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2.1 La forme acousmatique

richesse d'un élément sonore : que ce soit sa substance ou sa matérialité. Cela définit le terme d'objet sonore qui désigne une entité sonore détachée de son contexte. L'objet est ainsi apprécié dans ses qualités intrinsèques en prenant en compte son contexte ou sa signification. Il s'agit d'écouter les sons entièrement. Cette nouvelle manière de séparer les sons du contexte dans lequel ils ont été produits, définit pour Schaeffer le sens acousmatique. «La forme acousmatique est le solfège de l'objet sonore». Car les sons habitent partout. C'est ainsi que le son peut être perçu comme clair, c’est un langage unique où l'on oublie souvent son support et sa source selon P.Schaeffer22 . Le terme acousmatique provient historiquement de Pythagore. Il désigne la manière employée par Pythagore afin d'enseigner la philosophie à ses disciples, derrière un rideau et dans le noir, de façon à ce qu’ils se concentrent plus facilement sur son discours. La forme acousmatique se traduit souvent par l'imagination et la perception mentale des sons. On ne voit pas la source de l'objet qui a produit le sonore.

2.1 La forme acousmatique

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Dans cette partie, l'idée est de présenter brièvement la question du sonore au travers différentes approches depuis 1960 jusqu'à aujourd'hui. Comme introduit précédemment, les sons font partie intégrante du paysage de l'homme, ils dépendent évidemment de leur culture de la région du monde et de l'époque dans lequel ils se trouvent. À la fin du XIXème siècle, la révolution électrique permet désormais d'enregistrer et de reproduire des sons. Une importance particulière au paysage sonore est donnée, qui devient pour les compositeurs une source, un objet qui peut être intégré à l'étude musicale. Au-delà de cette approche esthétique, les années 60 permettent de développer les recherches sur le paysage sonore selon une approche pluridisciplinaire ; artistique, scientifique, psychologique, psychoacoustique et en architecture. Le paysage sonore n'est plus seulement un objet, il est alors perçu comme un point de rencontre entre les arts et les sciences. Avant le XXème siècle le paysage sonore est un objet d'étude artistique. Des approches transversales sont développées notamment dans la musique. On retrouve principalement de l'imitation des sons des paysages qui nous entourent.

22 Pierre Schaeffer, “Ala recherche d’une musique concrète” ,1952

C'est seulement au début du XXème siècle que les sons dits comme "non musicaux" montrent un intérêt majeur dans les champs musicaux. Luigi Russolo, introduit la notion de bruit dans la musique.23 Pour lui, cette nouvelle sonorité doit être utilisée pour sortir du siècle précédent. Cependant son travail ne se détache pas des compositions musicales classiques que l'on pouvait retrouver dans le mouvement romantique. Il s'agit principalement d'intégrer les nouveaux sons apparus lors de la révolution industrielle dans la musique.

«Nous voulions entonner et régler harmoniquement et rythmiquement ces bruits très variés [...] Chaque bruit a un ton, parfois aussi un accord qui domine sur l'ensemble de ses vibrations irrégulières. [...]L'art des bruits ne doit pas être limité à une simple reproduction imitative. La variété des bruits est infinie. Avec l'incessante multiplication des nouvelles machines, nous pouvons distinguer un jour, dix, vingt ou trente mille bruits différents. Ce seront là des bruits qui nous faudra non pas simplement imiter, mais combinés au gré de notre fantaisie artistique». 24 Russolo avait comme objectif de créer des nouveaux instruments qui permettraient de jouer les bruits. Il permettrait de représenter un nouveau son pour que le public puisse percevoir différemment les ambiances sonores urbaines. Ceci devait être produit non pas comme instrument mais comme les autres sons qui nous entourent.

C'est ainsi que dans la période d’après-guerre, le compositeur John Cage interprète le rapport au bruit et au son différemment de Russolo. Il crée alors des instruments qui permettent de compléter les orchestres, il incorpore les sons de la vie quotidienne. Ce ne sont pas des nouveaux appareils et instruments qui sont créés mais il repense des situations de l'existence sur scène. L'utilisation des objets normaux sur scène inscrit alors le compositeur dans le même courant que celui de Marcel Duchamp. L'une de ses principales compositions s'intitule 4’33” jouer en 1952, il présente un silence inouï et provocateur. «Un manifeste pour que la musique prenne en compte tous les sons et pas seulement ceux créés par des instruments de musique. Par sa mise en scène transfigurée des bruits du quotidien l'artiste renvoie le public au monde pour qu'il l'écoute d'une nouvelle oreille».25

23 Russolo, L. (2001). L'art des bruits. l'Âge d'homme. 24Luigi Russolo, “ l'art des bruits. Manifeste futuriste” ,1913,p.3 25 Andréa Martignoni, Objet et paysage sonores,p.2

L'apparition des nouvelles technologies d'enregistrement et de diffusion du son donne de l'intérêt au paysage, Pierre Schaeffer, R.Muray Schafer sont les deux principaux musiciens et musicologues qui définissent au mieux les éléments sonores qui composent le paysage. Pierre Schaeffer, dans le traité des objets musicaux en 1968, fait une étude approfondie des rapports entre la musique et le son, ce travail propose une approche sur l'utilisation des sons mais également une analyse géographique des paysages sonores et comment ils sont mobilisés de façon complémentaire. Pierre Schaeffer est l'inventeur de la musique acousmatique appelée aussi musique concrète, il intègre des objets sonores concrets enregistrés sur des bandes magnétiques qui permettent à l'écoute de diffuser un son qui demeure invisible. L'acousmatique est parfois incomprise et est qualifiée plutôt comme une écoute indirecte. C'est le concept introduit par P. Schaeffer qui permet d'appréhender le paysage sonore en fonction des rapports entre les différentes dynamiques sensorielles.

«Cette approche est basée sur les convictions que la perception visuelle est conditionnée par la perception auditive. L'écoute alors dite aveugle permet à P. Schaeffer «d'aller au-delà du seul phénomène auditif pour réfléchir de façon plus générale sur les conditions de l'écoute, l'audition étant toujours associée aux autres sens perceptif et principalement à la vie».», selon Andréa Martignoni (2006) .

Nous reviendrons plus en détails aux modalités d'écoute et à l'écoute objective selon Pierre Schaeffer dans le point suivant.

C'est lorsque François Bayle en 1952 intègre le groupe de recherche de musique concrète de la Radiodiffusion-Télévision-Française (RTF) renommer plus tard et réorganiser sous le nom de groupe de recherche musicale en 1958 (GRM) que la dimension de musique concrète prend une nouvelle forme. Le courant de la musique acousmatique est une musique uniquement diffusée sur un orchestre de haut-parleur construit à partir d'image de son appelé Acousmonium. L'Acousmonium permet l'interprétation différente et multiple voire symbolique car le contenu visuel fait défaut. La cause du son n'est pas représentée, la masse sonore envahit l'espace, l'auditeur est aveugle, il se laisse alors aller à de nombreuses associations sonores. L'auditeur réalise alors un rapprochement d'ordre subjectif qui lui permet de mieux interpréter ces objets sonores.

François Bayle est l'un des leaders de la musique concrète en France, après les pionniers Pierre Schaeffer et Pierre Henry, son style est unique, fait d'une imagination fertile et souvent éthérée, nourri par son admiration de Jules Verne (utopie) et son goût pour la poésie (rêve) ; sa musique est complémentaire de l'autre compositeur acousmatique français de la seconde génération, Bernard Parmegiani : “Non datée par la technologie ou la mode, elle résiste bien au temps, elle se remet nous lève sans cesse, marquée par des espaces, des cycles, avec des suites, des parcours, des métaphores, des boucles [...] Pièce emblématique (tout électronique, sur un total de plus de 100) :, «« Jeita» (1970), «'expérience acoustique» (1972)...»26 Selon François Bayle, l'acousmatique est une modalité. Pythagore l’employait avec ses élèves, Schaeffer est le fondateur du terme. Ce terme acousmatique permet de mettre en avant la pensée perspective dynamique. Ainsi, l'image du son peut-être considérée comme une figure grâce à son caractère intentionnel et son dépassement du figuralisme. Ces modes de relation permettent d'éloigner le réel, de le rendre plus riche et plus complexe, la musique est alors dite figurée plutôt que figurale.

La forme acousmatique du sonore permet aux sons d'être hors champs, cela implique une réalité non perçue par le spectateur, l’usager, au-delà de ce qui est donné à entendre. La norme structurelle qui la compose, les archétypes statiques et aussi dynamiques des positions font émerger un nouveau genre, une nouvelle manière d'entendre. Le son acousmatique est un son qui dépasse les indices sonores, sa cause instrumentale lui permet alors une écoute active, qui renvoie aux effets et au sens. La forme acousmatique se définit comme les bruits et sons qui dépassent l'indice sonore de leur cause matérielle et qui met en avant une écoute active s'appuyant sur les effets et le sens. «L'image acoustique occupe l'espace offert»27 . Le son se propage au-delà de la production sonore, la projection du son se fait par un interprète responsable et conscient de son rôle déterminant.

En définitive, la forme acousmatique du son permet de révéler le caractère plutôt que de le cacher. Ainsi, il peut être compris avec des formes spatiales impossibles dans la réalité mais qui sont comprises à des niveaux différents de sémiotisation du son.

26 27 François Bayle, musique acousmatique, Bûchet Chastel, 1993 S.McAdams/I.Deliege, «Voyage en aéroforme, la musique et les siens cognitives» p.43

«La Sémiotisation » est interprétée grâce au «statut d'images» qui est donné par le son et qui permet de «l'appréhender au-delà» de la temporalité tout en le faisant émerger «localement». Il permet alors de mettre en avant «les intentions au-delà de l'audible»28 .

L’écoute acousmatique, aussi appelée «l`écoute aveugle» s’exprime au-delà de l’écoute quotidienne qui, elle, est conditionnée par la vue et le champ visuel perpétuellement en alerte. L’écoute aveugle s’intègre intégralement dans une déontologie : celle d’un certain nombre de règles comportementales auxquelles il faut se dissocier pour atteindre l’objet sonore.

Figure 3. Différence entre image réelle et image-son. Source Couprie, P. (2001). Le vocabulaire de l'objet sonore. p.9 sur 14 (2001)

28 Augoyard, J. F. (1999). L'objet sonore ou l'environnement suspendu. Buchet/Chastel, “Écouter et

comprendre” , p.79-90, 1966