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Horlogerie
En accord avec son temps
Le Genevois Nicolas Freudiger, 32 ans, est tout à fait convaincu par le recyclage. Sa montre ID Watch est composée de déchets d’acier fondu, de résidus de raisin et de mouvements de montres restaurés.
Texte: Michael West Photos: Guillaume Megevand
Des vitrines étincelantes, des tapis épais et des employés en blazer bleu foncé: voilà ce à quoi les gens s’attendent généralement lorsqu’ils achètent une montre coûteuse dans une bijouterie. Nicolas Freudiger, lui, a installé sa première boutique de fortune dans une ancienne usine à côté du Club Mad de Lausanne. Il y reçoit ses clients entre des murs de béton gribouillés au feutre, dont le plâtre s’écaille.
Sur un plateau, le jeune homme présente sa collection: ce sont d’élégants garde-temps à boîtier octogonal, qui coûtent environ 3500 francs chacun. Les cadrans sont disponibles en noir, blanc, bleu ou argent – sur demande également avec un motif marbré gravé au laser.
Boîtier en «or» du Jura Nicolas Freudiger préférerait presque montrer aux clients une boîte pleine de bandes et d’éclats d’acier plutôt que ses montres. En effet, c’est à partir de ces déchets qu’est fabriqué le boîtier de chaque ID Watch. Les restes de métal proviennent de diverses entreprises de la région du Jura, qui fabriquent toutes des outils de précision – par exemple, des scalpels pour les chirurgiens. L’étampage, le fraisage et le meulage produisent des résidus d’acier de haute qualité qu’une usine de recyclage française située près de la frontière suisse fait fondre en barres épaisses. La matière première de l’ID Watch, que Nicolas Freudiger appelle affectueusement l’«or du Jura», vient de là. Un fournisseur horloger de Saignelégier (JU) l’utilise ensuite pour façonner les boîtiers octogonaux. Si leur matériau est aussi solide et résistant aux rayures que l’acier inoxydable neuf, leur bilan climatique est environ dix fois meilleur.
La jeune entreprise horlogère ID Watch doit travailler en étroite collaboration avec d’autres entreprises, car elle ne compte pour

Le boîtier de chaque montre ID Watch est fait de chutes d’acier, qui proviennent notamment de la fabrication de scalpels et d’autres outils de précision.
l’instant que trois membres: Nicolas Freudiger, un ami horloger et un designer. Dès son adolescence, le jeune homme s’enthousiasmait pour les beaux chronomètres et rêvait de fonder sa propre marque. «Une montre mécanique est quelque chose d’extrêmement personnel pour moi, confie-t-il. Elle peut accompagner une personne toute sa vie et même être transmise à ses enfants. Une smartwatch, en revanche, ne dure que quelques années, après quoi elle est techniquement obsolète et devient un déchet électronique.»
Malgré sa passion pour l’horlogerie, Nicolas Freudiger a d’abord fréquenté une école hôtelière, puis a travaillé pour Coca-Cola Suisse, où il a organisé des campagnes publicitaires numériques. En pleine pandémie, il fait le pari du free-lance: en décembre 2020, il crée la société ID Watch. Ses deux cofondateurs et lui ont investi 100000 francs d’économies dans le projet et réuni 315000 francs supplémentaires en très peu de temps grâce au crowdfunding.
Nicolas Freudiger, fondateur de la nouvelle marque
Restauration d’anciens mouvements L’accueil enthousiaste rencontré donne des ailes au fondateur de la marque: «J'espère qu’à terme notre ID Watch deviendra un modèle pour l’ensemble de l’industrie horlogère suisse, déclare-t-il. Ce secteur important n’est pas pour l’instant particulièrement durable et se contente d’actions ponctuelles. Par exemple, telle entreprise lance une montre de plongée en édition limitée et reverse à la fin une partie des recettes à une organisation de protection des océans.» L’ID Watch, en revanche, mise radicalement sur le recyclage: au cœur de chaque chronomètre se trouve un mouvement soigneusement restauré de la marque suisse traditionnelle ETA. Nicolas Freudiger achète des mouvements usagés, les fait nettoyer, huiler et contrôler avant d’apposer son logo sur la masse oscillante. À travers un fond en verre saphir, on peut voir les rouages. Le bracelet de la montre ressemble à du cuir souple, mais il est végétalien: il est produit par une start-up de Milan à l’aide d’un tout nouveau procédé. La matière première utilisée est le marc, c’est-à-dire la masse laissée par le pressage du raisin.
Depuis sa création, l’entreprise a vendu environ trois cents montres, principalement via sa boutique en ligne. «Cela semble peu, admet le Genevois. Mais nous commencerons à faire des bénéfices dès que nous en vendrons mille par an.» MM
