FLORILEGE 146 - MARS 2012

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Et c’est assez, pour le poète, d’être la mauvaise conscience de son temps. - Saint-John Perse

FLORILEGE 146

mars 2012

revue trimestrielle de création artistique et littéraire Réalisée avec le soutien de AG2R – LA MONDIALE 1


FLORILEGE est éditée par l’Association Les Poètes de l’Amitié ABONNEMENT ( 1an - 4 N°) : France : 28 Euros Etranger : 40 Euros Association Les Poètes de l’Amitié Présidents d’Honneur : Maurice CARÊME Jean FERRAT Comité d’Honneur : Lucien GRIVEL Marie-Luce BETTOSINI Cécile POIGNANT Paulette-Jean SERRY Monique et Yvan AVENA Conseil d’Administration : Président Stephen BLANCHARD Membres : Christian AMSTATT Yolaine BLANCHARD Agnès FRANÇOIS K.J.DJII Annick GEORGETTE Marie-Claude LEFEVRE Jean-Michel LEVENARD Marie-Pierre VERJAT-DROIT Cotisation 2012 à l’Association : Actif : 21 Euros Bienfaiteurs : 210 Euros Forfait Abonnement + Cotisation(uniquement pour une adresse en France) : 42 Euros

Editorial Si vous voulez mon avis, il n’y a pas de raison que ça ne continue pas tant que ça dure. C’est pourquoi nous entreprenons le changement permanent et durable (!). Et à ce titre, ce numéro ouvre 2 nouvelles rubriques, l’une sur le cinéma par Bertrand Porcherot (voir p.51), l’autre de dessins par Tom (voir p.28) qui pour certains constituera également une occasion de se souvenir d’Armand Do… Et nous saluons l’arrivée de Claus-Peter Haverkamp et de Denis Prost. Je vous promets (j’ai bien surveillé le truc des promesses, il n’y a pas de risques !) sur cette année 2012 d’heureuses découvertes (un Martinet par exemple, comme nous en fîmes un Renard l’an dernier). Je vous invite également à vous rendre p.50 pour prendre connaissance de l’agenda 2012 de l’Association dont nous ne détaillons pas toujours ici ( loin de là)[tiens, c’est rigolo, ici loin de là] les nombreux rendez-vous. Ah ! Dites-nous aussi si les mots croisés vous ont amusés ! Merci. Que cette lecture vous soit un grand plaisir de rencontres. Pour l’équipe de FLORILEGE Jean-Michel Lévenard

Directeur de la publication : Stephen BLANCHARD Comité de lecture – Rédaction : Annie RAYNAL, Marie-Pierre VERJAT-DROIT, K.J.DJII, MarieClaude LEFEVRE, Jean-Michel LEVENARD Pour toute correspondance concernant la revue : (vos suggestions, remarques, coups de cœur, coups de gueule, propositions de participation) : Jean-Michel Lévenard – 25 rue Rimbaud – 21000 Dijon ou e-mail : jean-michel.levenard@laposte.net

Concernant l’Association : Stephen Blanchard – 19 allée du Mâconnais – 21000 Dijon. Exonérée de T.V.A. – Prix : 8 Euros C.P.P.A.P. : 0611 G 88402 - I.S.S.N. : 01840444

D.L. 1° trimestre 2012 Imprimerie ABRAX 21800 QUETIGNY

Visitez le site DES PASSANTES http://des-passantes/over-blog.com/

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SOMMAIRE

N° 146

Mars 2012

CREATIONS avec des photographismes de Philippe NOUVIER p.4 Anne-Emmanuelle FOURNIER : 4 poèmes p.6 Nicolas PANABIERE : 3 poèmes p.7 Eliane MALBERT-PAYA : Un rêve (poème) p.8 Jean-Jacques CHOLLET : 5 poèmes p10. Georges VERNAT : 2 poèmes p.11 Denis SOUBIEUX : Les chœurs Troner de Gueyraud (nouvelle) p.15 Marjorie CAGNASSO : Il faut porter les chagrins (poème) p.16 Un adieu à Violaine L’ESPICEENNE, hommage et choix de Claude CAGNASSO p. 18 André MARTI : 6 poèmes

CHRONIQUES p.19 La Chronique huronnique de Louis LEFEBVRE p.21 A ses enfants hors-la-loi, la littérature reconnaissante, par Jean CLAVAL : Expérience de critique littéraire de Clive Staples LEWIS (1898 –1963) p.23 Semaine de la langue française : mots croisés. p.25 Individu et Signification, par Denis PROST p.28 Faut vous faire un dessin ? par TOM p.30 Quelques considérations sur l’histoire de la Péiade, et de deux poètes bourguignons par Claus-Peter HAVERKAMP p.33 Do Brasil par Yvan AVENA: L´éloge de la paresse créative p.35 XXIIèmes Rencontres Poétiques de Bourgogne – Beaune - 2 octobre 2011 : « La multiplicité ne nuit-elle pas à la poésie et à sa diffusion ?, par Christelle THEBAULT

PASSE A TON VOISIN NOTES DE LECTURE

p.38 Louis DELORME - Poésie : Les lucioles ne brûlent plus, Gilles Simonnet ; En arrosant le temps, Melia Toka-Karachaliou ; Poésie ?, Christophe Rafahel ; Sans la miette d’un son, Aurélie de la Selle ; Le récital, Michel Beaugency ; Cathédrale de paille, Joëlle Mesnildrey ; Instantanés, Albane Charieau ; Ton âme est un soleil, Marie-odile Bodenheimer ; Epurer le doute, Claude Luezior – Revues : Diérèse ; Incognita ; Montauriol-Poésie p.45 Rome DEGUERGUE – Poésie : Flagrant délire, Claude Luezior p.46 Stephen BLANCHARD – Humour : La presse de Bourgogne en folie, Alain Schneider Roman : Des ors et des glaces , Alexandra Ythier p.47 Jean-Michel LEVENARD – Essai politique : La double mort d’une République ordinaire, Jean Guiloineau - Nouvelles : Carnet américain, Louise Cotnoir ;Virages dangereux, Annick Demouzon – Revue : La Corne de brume p.50 L’agenda des Poètes de l’Amitié p.51 Cinéma de quartier, par Bertrand PORCHEROT : Les chaussons rouges p.53 Revue des revues par K.J.Djii : La Racontotte p.55 La Page des adhérents

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Anne-Emmanuelle FOURNIER

Passionnée depuis toujours par la diversité des manières « d’être humain », j'ai fait des études d'anthropologie et de traduction. Particulièrement attentive à la musique des mots, je cherche à déployer dans mes textes un univers contemplatif et mélancolique, où l'atmosphère l'emporte sur la narration, un peu comme dans des sortes d'instantanés de l'âme. Le poète autrichien Georg Trakl a constitué une influence majeure pour mon écriture, en particulier par ses poèmes écrits à la forme impersonnelle, qui semblent véritablement laisser parler les choses elles-mêmes, comme une captation de leur présence la plus profonde, ce qui me semble aujourd'hui encore un idéal à atteindre en poésie. Mon désir d'écrire s'est également beaucoup nourri de grands romanciers américains comme Faulkner et Steinbeck, de mythes, de contes et de folklore, de toute la musique que j'écoute, et bien entendu de mon vécu et de mon imaginaire intérieur.

MY LAST SUMMER Comme il me manque l’été de notre enfance Deux longs mois béants dans lesquels s’étiraient des heures infinies Lentes, nonchalantes Comme les méandres sereins de la rivière. L’ennui même était habité Avait la patine du bois qui vieillit L’odeur fauve des feuillages arides secoués par la brise. Le temps était généreux et gratuit Les heures vides n’étaient pas effrayantes N’étaient pas sœurs du néant Elles étaient des points d’orgue où la vie se dilatait, se densifiant, S’éveillait à elle-même Avant de s’éparpiller bientôt, avec la lumière alourdie de l’automne, Dans une nouvelle fuite en avant.

Tel été de notre enfance Un grand jardin où venait mourir le Temps Enterré sous des tombereaux solaires Dans la terre végétale, parfumée, Accueillante, Sous les pierres immémoriales de la demeure des ancêtres. Un grand jardin d’éternité Où l’enfance était immobile Les rires et les pleurs à jamais innocents ; La Vieillesse et la Mort restaient sur le seuil. C’était un grand verger plein de péchés De frissons, d’interdits, de cruautés parfois A cueillir et à explorer Mais le mal n’entrait pas, pourtant. Il restait un jeu sous l’arbre d’immortalité. Tel été de notre enfance, Un pays de touffeur et d’éternité D’aubes transparentes et de soirées de santal De jours si longs que la vie ne peut les embrasser Nuits labyrinthiques Où tout semblait possible. Tel été… Jusqu’en septembre, Lorsque le glas sonnait La Renaissance du temps.

Ô comme il me manque l’été de notre enfance Il n’avait ni commencement ni fin Il n’était qu’apogée Mûr tout de suite, tout le temps, Gorgé de promesses d’instants Telles les pêches sucrées du jardin Le long des murets de pierres chaudes Si exotiques, si familiers.

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RIVAGES La lande tout doucement se meurt dans le soir. Les nuées d’herbes sèches et odorantes, les infimes ornières où sommeille la vase, et l’immensité, l’immensité poignante des confins, frissonnent sous la morsure tiède du jour qui se retire. Le soleil jette une agonie flamboyante et ocre dans le silence de l’eau brune. Les vieillards attendent, assis sur un banc désaffecté, un train qui ne viendra jamais. Ailleurs, peut-être, la mer incommensurable bat contre d’antiques murailles, gorgées de mémoire. Un chat galeux se presse contre un carreau en pleurs. Le vent du sud emporte toutes les espérances. Les vieillards attendent, assis sur un banc désaffecté. Les chemins creux ne mènent nulle part, ils tarissent dans la poussière. Une baraque de guingois gémit contre la houle. Il est des blessures dont on ne guérit pas. D’invisibles animaux s’affairent dans la tôle éventrée. Ailleurs, peut-être, brille le firmament immaculé. Beaucoup, fébriles, étreignent la promesse d’un départ. Les cieux gisent calcinés. La mort est un bruit de fond opiniâtre. Les vieillards attendent.

ÉTÉ

AU DÉSERT (Arizona Dream)

Après-midi immobile. Feulement bref du chien jaune Dans un chaos de tôles Ici, le ventre du soleil. Nid de poussières et de brindilles sèches.

Silence des sycomores. Odeur tiède du vent dans la sauge. Eau brune, ténue, millénaire. Chants qui guérissent, Chants de mains avides et de bois mort Chemins calcinés qui vont mourir au désert.

Étrange appel des chemins ocre… Danse bouillante des feuilles calcinées Sur le blanc électrique du ciel.

Odeur âcre de la sweetgrass (1) Fumée filant vers la montagne noire Ça et là, morsures éparses du jour. Beauté hurlante du roc dans l’ocre du soir Colosses porteurs de très anciennes traces.

Le ventre du soleil Est un vieil hôtel Sur une route déserte. Grincement ami du bois éreinté Attente moite Des voyageurs aux rêves de papier, Paisible errance des ermites Qu’on a dépossédés de tout.

Visages monolithiques, Poussière. Le vent ce soir emporte tous les chants du monde Et la voix mauve du tambour, Tellurique.

Et la guitare nue d’un solitaire À l’ombre d’un cyprès.

(1)Plante utilisée dans de nombreux rituels, notamment

Flasques visages de saindoux Siroco lourd de songes.

de purification, par les Indiens d'Amérique du Nord

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PANABIERE Nicolas

le déluge ça commence par une pluie fine une pluie qu'on ne voit même pas qu'on sent à peine comme si là-haut la salière était pleine d'eau que si tu danses dessous nu(e) les pieds dans la boue t'attrapes même pas de quoi te faire un bon rhume et puis un bon grog t'attrapes rien du tout sauf peut-être l'envie d'y revenir sous cette pluie fine qui mouille à peine saupoudrée comme les caresses d'un avare et on y revient parce qu'on aime ça quand ça commence par une pluie fine parce qu'on sait que ça va se terminer par des larmes puis les oiseaux deviendront fous à lier ils plongeront dans des flaques infestées de bulles les plumes enflammées le cri qui tue libre comme l'air et tout au fond de l'écho d'un écho un autre cri

carte d'altérité & passailleurs je n'ai plus de papiers monsieur l'agent je le jure je les ai tous brûlés monsieur l'agent et vous voyez j'existe encore je le jure que je décline mon identité ? mais je ne ressemble à personne ni à rien d'autre que moi monsieur l'agent je le jure mon nom ? aucun ne m'appartient vraiment vous savez comme je ne veux pas d'ennuis que les autres se servent d'abord monsieur l'agent ma date de naissance ? je suis en train de m'inventer un calendrier il y a le julien le révolutionnaire le grégorien il y aura le mien 6

comme ça je pourrais la choisir monsieur l'agent ma nationalité ? et pourquoi pas un numéro tant qu'on y est je suis né d'un père vagabond et d'une mère bohémienne je suis né sur un coin de frontière bien à personne comment ça n'existe pas ? mais qu'est-ce qui n'existe pas monsieur l'agent ? vous saluez un drapeau c'est pourtant mieux en torchon qu'en linceul faut dire que je préfère m'asseoir dessus qu'être couché dessous il y a une chance qu'on m'oublie monsieur l'agent ?

traître un jour il y a toujours un traître pour en trahir un autre dans une cascade une farandole de traîtrise qui n'en finit pas d'être trahie par ses propres lacets comme un taulard dépressif malchanceux usé qui dit merde à tout pour finir le cul sur le tabouret qui était censé être le plongeoir et le point de chute du grand saut qui était censé lui tirer les pieds de toute cette merde qui était censée couler dans un grand goulot qui était censé faire oublier la misère au monde qui était censé un traître attend toujours avant de trahir c'est de la poésie l'apogée d'une vie car on ne trahit qu'une seule fois et une seule après c'est fini soldé lavé


dévoilé obligé d'être rectiligne transparent et intègre et pour trahir une autre fois ce qu'il faut c'est un autre traître

Eliane MALBERT PAYA un hypocrite ne peut pas trahir Les souvenirs

RÊVE

J’ai allumé un rêve aux mèches de la nuit. Il est si dérisoire, il tremble et il vacille. Ô, lune… épargne-le ! D’un coup de ta faucille, ne brise pas ses ailes ; il a si peur du noir… J’ai allumé un rêve… Est-ce cela l’espoir ? Sera-t-il assez fou pour se croire invincible ? Ce sont ses premiers pas aux marches du possible. Il est si désarmé, fragile et maladroit ! J’ai allumé un rêve à l’archet du hasard. Ô vent, ne souffle pas ou bien alors, à peine.. car il est plus léger qu’un petit brin de laine. Durera-t-il un jour ? Une semaine , Un mois ? J’ai allumé un rêve pour qui veut faire un vœu. Ce rêve, il est pour toi Toi, qui passes… prends-le !

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Jean-Jacques CHOLLET

NE ME DITES SURTOUT PAS Ne me dites surtout pas que je peux vivre ici sans amour et sans haine sans un toujours avec des chaînes une petite laine et des bagues à chaque doigt je vis de vous de moi Nous vivons ensemble Ne me dites surtout pas que je suis voyageur Du haut des équateurs je vois mon voisin qui va chercher du vin pour faire valser sa peur de midi à deux heures Ne me dites surtout pas que je suis un poète qu’il y a dans ma tête des images nouvelles entassées pêle-mêle je veux nous observer d’un stylo trop taillé Ne me dites surtout pas que je vis comme bon me semble comme une bête au fond des bois Je vis de vous de moi Nous vivons ensemble

Ce jour-là on opéra comme suit Des bégonias dans l’ascenseur le roulis d’une voix de diva dans la chambre à fleurs les portiers tirés par quatre épingles jusqu’à la porte d’entrée un soleil de plomb qu’on avait commandé faisait suer les mirlitons accrochés dans l’escalier En retard de 3 heures arriva la star en peignoir hollandais sur des talons que des aiguilles à phono faisaient chanter Elle signa le livre d’or avec un mot gentil En guise de virgule avant son nom elle laissa tomber pour le patron une boucle d’argent qu’on avait remarquée à la télévision

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Et le calme revint L’herbe frissonna puis plus rien qu’un souffle de feu sur la terre battue le cri de souffrance d’un peuple humilié Et le calme revint Le soupir s’éteignit puis plus rien qu’une rumeur lointaine dans l’immense ville le sourd grondement d’une foule en colère Et le calme revint La clameur se tut puis plus rien qu’une parole amie au lever du jour comme un mot d’amour pour chacun de nous et le calme reviendra


SUR MON CAHIER

SUR LES PLANCHES

Sur mon cahier j’ai noté les couleurs des arbres en automne et celle des marguerites que l’été m’a données

on brûle un cigare on regarde quelqu’un très loin dans la salle à travers la brume du trac et de la gloire On passe en revue les années passées dans la glace aiguisée des amis venus voir un artiste oublié La lumière est partout pour traquer les répliques de ces princes de sang dont on vante les crimes dans les livres d’histoire On jette un œil distrait au fond de la coulisse où nos idoles veillent et le moindre sourire est un soleil de plus sur la face du public

J’ai noté la peau blanche et les amandes au fond des yeux de la maîtresse d’école Mon cahier part en vacances Anatole France et Jean Giono font leurs bagages dans la marge d’une dictée interminable Je n’ai pas noté mes diplômes perdus dans les couloirs de l’école communale et mon avenir m’attend comme un voleur de rêves à la lisière d’un bois

Jean-Jacques Chollet, comédien, auteur, metteur en scène est né à Tours en 1952. Après avoir découvert le théâtre au Centre dramatique de Tours, il joue et met en scène des spectacles dans différentes compagnies théâtrales. Il publie poèmes et nouvelles dans différentes revues. Passionné de chanson française, il écrit des biographies pour les rééditions de c.d. de divers artistes chez EMI, Frémeaux, etc. Il est également l’auteur de la première biographie de Georgius, parue aux éditions Christian Pirot.

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Georges VERNAT

LE DÎNER DE L’OGRE LES AGONISANTS

Ogre - je me nourris de la fumée d’hier Les souvenirs-châteaux qui tombent en poussière Les amours, digérées dans la tendresse acide Ogre - je me nourris de ces charniers de vide

ils ont voulu tuer mon père et je l’ai vu se démener gueuler crier pleurer mon père forçat de quelques forcenés

J’aurais voulu, les pieds crantés dans la poussière Enraciner ma peur au socle de la terre Choisir une prison - mon cachot, ou ma cage ! Errer : gémir, et la colère en paysage

je suis venu tout nu messieurs vous crier dans le froid du soir je suis l’en-bas je suis les gueux je suis fatigué de vous croire

Entendez : tout est vain, vos temples, vos prières Votre argent scélérat - vos penseurs de travers La vérité : sermons de garce bien assise ! Mentez, rêvez, fuyez par la première brise

me traîner dessous vos bureaux le cuir indécent de vos sièges je suis venu des caniveaux je suis le déchet des stratèges penchez votre triple menton abjectes renvois de pouvoir je suis venu j’ai sur le front l’espoir des vaincus mais l’espoir

Carreleurs de silence - allez, posez les dalles Pas d’enclos, pas de murs : des remparts aux étoiles ! Un seul être pour deux, et la bille du monde Aux poches des enfants qui s’aiment n’est plus ronde

descend du trône mercenaire ta graisse tes lois ta justice l’argent déféqué des corsaires des intestins de l’avarice

Poésie : pour aimer, d’abord ! Pour le défi ! Pour le combat perdu - le seul qui vaille un cri Le vers est un soudard et la strophe une horde ! Ogre - je me nourris des âmes qui débordent

je regarde mourir mon père dessous les roues de tes machines demain nous serons en hiver et dormirons dessous les ruines

J’ai vu dormir l’enfant de tendresse - les mots Grouillaient en brume vague aux nuances de peau Et contre mon dégoût, se posaient en douceur Ogre - je me nourris au feu de ces lueurs

il aimait bien les gens mon père les petits riens des pauvres-nés laissez les enfants de la guerre vieillir en connaissant la paix

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Denis SOUBIEUX Les chœurs Troner de Gueyraud

Ayant résisté aux multiples crises qui, depuis le monde trivial, avaient menacé leur survie, les chœurs Troner de Gueyraud étaient près d'atteindre leur siècle d’existence. L'exploit peut sembler modeste au béotien qui ne manquera pas de citer nombre de chorales ayant dépassé cette longévité. Simplement, la comparaison ne tient pas : les chœurs Troner de Gueyraud chantaient depuis presque cent ans, jour et nuit, été comme hiver, sans interruption. C'est toute la différence. Il ne s'agissait ni d'une action d'éclat motivée par une vaine émulation, ni d'un record stérile, mais simplement d'une lubie menée à son paroxysme par la passion d'un homme du siècle passé. Automne 2008 : La crise financière encerclait le groupe Urbach-de Gueyraud et l'heure était à la prise de décisions. Après la débâcle du textile et l'abandon de la sidérurgie, dans les années 1970, le plus gros des actifs du groupe provenait de l'agroalimentaire et du secteur bancaire. Mais là encore, le secteur manquait de stabilité, il fallait naviguer à vue, avec la plus grande vigilance. François Troner de Gueyraud venait de demander une suspension de séance du conseil d’administration et s’était fait servir son troisième café de la matinée. Ses quatre-vingts ans commençaient à lui peser et ces séances le fatiguaient comme jamais. Les administrateurs, respectant un tacite protocole, avaient quitté la salle, qui pour pisser, qui pour fumer, qui pour attendre, simplement, que le PDG donne le signal de la reprise. Dans le vestibule, leurs regards se croisaient comme de gros insectes silencieux et, gênés, allaient se poser lourdement sur quelque aspérité du mur ou du sol. Le président, autrefois altier, semblait aujourd'hui ratatiné sous les hiératiques portraits de ses ancêtres. De couleurs sombres, une huile gigantesque dominait, dans son dos, la pièce. Une petite plaque de cuivre vissée en dessous sur le cadre massif :

L'effigie du Vieux avait été hissée au mitan du mur, face à l'entrée, et ses bacchantes Napoléon III n'invitaient guère à la plaisanterie. Sur sa droite, un autochrome, de format plus modeste avait saisi, sur le perron d'une imposante bâtisse, François - premier du nom - (1870-1942). Sur la gauche, un tirage photographique, de studio, représentait Adolphe (1898-1957), le père de François - deuxième du nom -, trônant sur un raide canapé d'apparat. Albert Lombard, secrétaire et homme à tout faire de François Troner, brassait discrètement ses dossiers, attentif au moindre signe de malaise de son patron, récurrent depuis plusieurs mois. Les yeux fermés, la tête dans ses mains, accoudé, celui-ci était parcouru de tremblements. Allait-il devoir, acculé par la crise, mettre un terme à l’œuvre philanthropique et insensée de son arrière-grand-père, annihiler le testament de son aïeul ? Il ressassait l’histoire familiale, conscient de la fin de règne qui menaçait. Cent ans plus tôt... *** 1911 : Victor Troner de Gueyraud allait sur ses 78 ans. Le Vieux, ainsi que le surnommaient ses proches à son insu, commençait à décliner. Son caractère comme son intelligence étaient toujours aussi vifs, seul le physique ne suivait plus. Depuis des mois, il ne se déplaçait qu'avec parcimonie, s’économisait, passait ses journées allongé sur un divan, dictant ses instructions à son fils. Autodidacte, à une époque où presque tout était possible, il mit au point en 1865 un métier à tisser hydraulique primé lors de l'exposition universelle de 1867. Diminuant les coups de main d’œuvre, il développa la filature paternelle, prenant ainsi de vitesse la corporation. En 1868, il épousa Marie Urbach qui mourut en couches, deux ans plus tard, lui laissant un fils, François. Seule héritière des banquiers Alfred et Louise Urbach, elle transmit son immense fortune à Victor qui la géra avec efficience. Le capital de ce qui était devenu le groupe Urbach-

Victor Troner de Gueyraud 1833-1914 Fondateur du groupe Urbach-de Gueyraud

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de Gueyraud ne cessa de croître au cours des décennies suivantes, augurant une progression sans limite. Le Vieux, depuis qu'il avait passé la main à son fils François, consacrait le plus gros de son énergie et de son temps à sa passion de la musique et au chant choral. Il se dispersait entre les multiples œuvres et institutions qui, dans un rayon d'une centaine de kilomètres, pouvaient satisfaire son engouement, créant un prix ici, une bourse d'étude là. Et les directeurs d'écoles de musique comme les chefs de chœurs ne manquaient pas de venir le solliciter. Une part non négligeable de la fortune familiale passait dans ce caprice mais, pour rien au monde, on aurait pris le risque de lui en faire la remarque. A l'origine de ce patrimoine, le Vieux l'avait fait fructifier formidablement. En outre, c'était un patriarche dont personne ne souhaitait voir frémir les moustaches. Victor Troner de Gueyraud avait fait bâtir, dans l'enceinte même de son entreprise, une solide maison pour abriter sa famille. Un matin du début de l'automne 1911, alors qu'il quittait de moins en moins la chambre et ne pouvait plus aller au devant de la musique, il décida de mettre enfin en œuvre le projet qu'il ressassait depuis une dizaine d'années. Enfermé dans le grand salon de la demeure familiale en compagnie de son notaire, il travailla avec acharnement jusqu'au milieu de l'après-midi. Il avait convoqué pour seize heures les membres du conseil d'administration au grand complet : son fils François, sa sœur Justine, ses deux neveux, sa nièce ainsi que leurs conjoints. A l'heure dite, chacun prit place de part et d'autre de la table, Victor en bout, Maître Weisman immédiatement sur sa droite. La préséance voulait que personne, jamais, ne s’asseye face au Vieux. Ce jour-là, d'un geste, il invita François à y prendre place. Le silence était presque total. Les hommes avaient posé leurs chapeaux sur leurs genoux. Justine, d'un geste récursif, amassait d'imaginaires miettes de pain en un petit tas. Le mouvement de sa main droite, repliée en cornet, produisait sur la table un frottement lancinant : elle n'avait plus toute sa tête. Victor attendait visiblement le silence le plus complet pour prendre la parole. Sa nièce, Marie, posa sa main gauche sur celle de sa mère, l'immobilisant d'un geste ferme. Le Vieux se tourna vers l'homme de loi qui se leva : - Victor Troner de Gueyraud vous a rassemblés afin de vous faire part d'une modification de son testament. C'est la raison de ma présence à ses côtés. Mais avant de nous

plonger dans des détails fastidieux, il souhaite vous entretenir de son projet avec des mots qui vous seront plus intelligibles que ceux de la loi : ceux de la passion. Il se rassit. Pas une mouche ne se serait hasardée à traverser la pièce. Victor posa sa main sur le rebord de la table comme pour y prendre appui avant de se lancer. Le souffle lui manquait. Pourtant, même ténue, sa voix grave emplit la salle : - La décence aurait voulu que je me présente à vous plus dignement. Hélas, je ne parviens même plus à me lever. Et je peine pour vous être audible. Comme vous le savez, je suis sur la pente descendante. Cependant je n'ai aucune inquiétude pour le groupe, plus florissant que jamais et administré avec une compétence que je ne saurais mettre en cause. Il s'interrompit, visiblement épuisé, à la recherche d'une bouffée d'air. François eut fugacement la vision des carpes que son père aimait sortir de l'étang lorsqu'il était enfant et qu'il regardait avec fascination s'étioler au fond de la nasse, bouches ouvertes. Révulsé par cette image, il la repoussa, reportant son attention sur l'assemblée. Les regards étaient baissés. On eût dit une veillée funèbre. Victor reprit enfin : - Ce qui m’importe aujourd'hui, c'est le temps qu'il me reste à vivre. Pendant des années, j'ai parcouru la région pour y chercher la bonne musique, l'écouter, soutenir ceux qui lui consacrent leur énergie, leur vie, leur voix. Présentement, je souhaite que cet art vienne ici rencontrer tous ceux qui travaillent pour le groupe et n'ont ni le temps ni les moyens de fréquenter les salles de concert. J'ai décidé de fonder une institution alimentée par une partie des revenus du groupe. Je me suis inspiré pour cela de l’exemple d'Alfred Nobel. Sa fondation fonctionne maintenant depuis dix ans. Il n'avait prévu aucun legs à ses héritiers directs, l'ensemble de son patrimoine, placé en actions « de père de famille », permettant d'alimenter les prix et le fonctionnement du comité. Contrairement à lui, je souhaite vous transmettre une part non négligeable de mon héritage, soixante-quinze à quatre-vingts pour cent, le niveau exact restant à préciser. J'en ai parlé avec Maître Weisman et avec notre comptable, le projet semble réaliste et viable. Chacun avait compris qu'une partie du gâteau venait de disparaitre. Quelles que fussent les intentions du Vieux, on ne pouvait le soupçonner de perdre la boule : son esprit surpassait en acuité et en rapidité les plus 12


brillants membres de l'assemblée. Personne ne bronchait, attendant une suite qui tardait à venir, aussi pleine de menaces qu'une grenade dégoupillée. - Ce que je veux, poursuivit-il, c'est pouvoir ici, dans ce lieu consacré au travail, faire entendre du chant choral à tous : ouvrières, cadres, administrateurs, leurs familles, ainsi que toute personne de passage qui le souhaitera - à toute heure du jour ou de la nuit. J'ai donc décidé d'entreprendre la construction d'un auditorium sur nos terrains afin d'y héberger un chœur perpétuel. La fondation pourvoira à l'organisation générale, aux recrutements, émoluments des choristes et des chefs de chœur, à l'organisation de concours, à l'aide à la formation, à l’octroi de bourses ainsi que tout ce qu’elle jugera utile pour l'élévation de la qualité musicale. Je souhaite que le programme des travaux et la mise en place des chœurs se fasse le plus rapidement possible. J'aimerais, de mon vivant, voir ce projet réalisé. Mes insomnies et mes souffrances en seraient allégées. Je voudrais être transporté jusqu'à mon dernier souffle, jusqu'à mon ultime lueur de conscience, par ces voix réconfortantes. Victor savait que ce lyrisme à dix sous exaspérait ses héritiers et qu'il avait toujours eu beaucoup de difficulté à s'en faire comprendre quand il s'engageait dans ces contrées. Il suspendit brièvement sa tirade, le temps de reprendre son souffle et de repartir sur un autre registre. Malgré la culture qu'il avait tenté de transmettre à son fils - ou à cause de cela ? -, celui-ci restait hermétique à toute émotion artistique. Un temps, il lui avait proposé de l'accompagner à certains concerts mais avait renoncé quand il avait compris que François, même s'il n'y manifestait pas d'ennui, écoutait la musique comme il eût écouté le discours d'un sénateur éloquent : avec son entendement d'ingénieur. Le Vieux n'y voyait pas une tare ; il avait simplement du mal à comprendre qu'on puisse rester ainsi insensible à de belles envolées mélodiques. Au moins, son fils saurait diriger le groupe avec beaucoup d'intelligence. Pour la chorale, Victor ne pouvait que se féliciter d'en avoir confié la gestion à une fondation indépendante. - Il faut que vous ayez conscience que ce type de mécénat, au lieu d’appauvrir l'entreprise, la placera aux côtés des plus grandes, lui conférant une notoriété bien au delà des limites de la région. Croire que le nom d'Urbach de Gueyraud puisse être associé, de par le monde, à cette fondation, n'est pas une utopie et les

retombées pour le groupe sont susceptibles d'être importantes. Je vous ai déjà cité l'illustre fondation Nobel mais dans un autre domaine, qui ne connaît l'Institut Pasteur ? Victor broda sur le sujet, ressentant une grande lassitude de devoir recourir à un tel argumentaire. Il eût aimé partager plus simplement son enthousiasme avec les siens. Jetant un regard furtif à chacun d'eux, il eut conscience d'être entouré d'un monde laborieux et sans la moindre passion. A tout autre moment de sa vie, il en eût été affligé. Son âge avancé l'avait doté d'une certaine distanciation qu'il savourait aujourd'hui en contrepartie de la vieillesse. *** Les chœurs avaient vu le jour au tout début du printemps 1912, permettant au Vieux de profiter de sa fondation deux années pleines. Devenu grabataire, il fit installer un semblant de chambre dans une loge, discrètement cachée par un rideau et l'occupa jusqu'à son décès. Gardant jusqu'au bout sa lucidité, il tint les rênes de la fondation avec la même foi, décernant les nouveaux prix de composition, commentant les interprétations, demandant que soit repris tel ou tel programme. Après sa mort, la loge fut vidée de son mobilier et retrouva son usage anonyme. Les chœurs Troner de Gueyraud étaient constitués de quatre pupitres, deux féminins, soprano et alto, et deux masculins, ténor et basse. Si, à l'occasion, ils accueillaient des solistes, cela restait exceptionnel. Il s'agissait alors d’honorer un lauréat ou de recevoir un interprète remarquable, de passage dans la région. Quatre chefs de chœur se relayaient pour diriger une formation d'une vingtaine de voix, qui, elles aussi, tournaient. Les chanteurs et chanteuses faisaient une petite pause d'une dizaine de minutes toutes les deux heures. Ainsi, la fondation employait une bonne centaine de personnes. Le rayonnement des chœurs dépassa effectivement les frontières, recueillant dans la presse des articles élogieux jusqu'aux États-Unis. Ainsi, on vit participer aux concours organisés par la fondation de jeunes musiciens qui allaient devenir, par la suite, des célébrités : Jacques Ibert, Heitor Villa-Lobos, Arthur Honneger ou encore Francis Poulenc et Erik Satie... Cette dernière information relevait vraisemblablement d'une rumeur et fut souvent remise en cause. Malgré tout, l'auditorium de deux cent cinquante places n'était qu'exceptionnellement rempli, à l'occasion d'événements inhabituels. Le plus 13


souvent, les chœurs chantaient dans le vide ou pour quelque trimardeur à la recherche d'un gîte pour la nuit. Le programme du mois était diffusé dans des lieux choisis : écoles de musique, universités mais aussi bistrots qui brassaient un public plus dense, plus prolétaire et souvent plus curieux. On n'y voyait la famille Troner de Gueyraud que très rarement, celle-ci préférant le casino au bel canto.

autorité afin de rappeler l'esprit des ancêtres, surseoir au démantèlement de la fondation. Il aspirait à proposer une alternative mitigée, si elle existait, à la hauteur de la situation, tout en respectant les hommes et l'histoire du groupe. Albert Lombard, prêt à alerter le médecin installé dans le bureau voisin au premier signe de détresse, surveillait son patron du coin de l’œil, inquiet de voir redoubler ses spasmes. Il toussota. - Monsieur ? Troner de Gueyraud releva la tête dans la seconde, posa ses mains à plat sur la table. - Vous avez raison, Albert. A quoi bon tergiverser ? Nous pouvons reprendre. Le factotum se leva et lissa les plis de son costume avant d'ouvrir la porte de la salle. Les administrateurs reprirent leur place dans un raclement retenu de pieds de chaises. Personne ne parlait.

*** 2008 : Ainsi que l'avait pratiqué son père Adolphe, François - deuxième du nom - n'avait de contact avec les chœurs que très rarement, lors de remises de médailles, de départs à la retraite ou autre cérémonie. Il se fendait alors d'un discours et, comme il ne pouvait s'éclipser trop rapidement, il restait écouter la chorale jusqu'à la relève des chanteurs. La petite réception qui suivait permettait au directeur de lui exposer les requêtes de la fondation. Il l'écoutait d'une oreille, agrippé à une coupe de Champagne, convaincu que le gestionnaire lui resservirait le laïus dans les plus brefs délais, avec tout l'argumentaire utile. Sans le respect qu'il vouait de façon quasi superstitieuse au testament du Vieux, il eut sacrifié chorale et fondation. En juin, pour la deuxième année consécutive, François Troner, recru, s' était fait remplacer à la remise des prix par son petit-cousin, PatrickAdrien - le petit-fils de son grand-oncle -, son successeur pressenti, en l'absence de descendance directe. Quadragénaire de choc, rompu aux techniques de management modernes, celui-ci ne lui permettrait pas le plus petit faux pas, pas la moindre marque de faiblesse. En cette période de crise bancaire, il avait défendu au conseil d'administration une position sans état d'âme, dans l'esprit de ce qui se pratiquait chez les concurrents : licencier afin de maintenir la marge. L'avenir des chœurs étaient, pour lui, on ne peut plus clair : les toquades d'un autre siècle n'avaient plus cours et le groupe ne pouvait se permettre la moindre fragilité dans un contexte de concurrence féroce : la dissolution de la fondation était une évidence. François Troner de Gueyraud savait que, s'il soutenait une position ferme, les administrateurs le suivraient. Certains de ces vieux compagnons avaient encore, lorsqu'il se montrait à la hauteur, un brin de respect pour lui. Ce conseil serait un de ses derniers, il en était convaincu. Il souhaitait, même s'il savait que ça ne serait qu'un atermoiement, profiter de son

François Troner de Gueyraud appuya sur l’interrupteur de son micro. Son argumentaire jaillit avec une éloquence inespérée : les chœurs ne seront pas dissous ; une réduction de trente pour cent de la participation du groupe Urbach-de Gueyraud à la fondation obligera celle-ci, simplement, à restructurer ses activités. Amputer la prestation de la chorale des heures creuses de la nuit, ne serait pas minoratif. A contrario cela pourrait lui permettre d'affiner son travail, se recentrer, et ne nuirait aucunement à sa notoriété. Par ailleurs, pour faire bonne mesure, une cinquantaine de licenciements répartis dans les différentes activités du groupe, lui semblait suffisant, dans un premier temps, pour sortir de la crise. Patrick-Adrien fut le seul à batailler contre les positions timorées de son vieux cousin : selon lui, la dissolution incontournable de la fondation, gouffre sans fond, n'éviterait même pas le nécessaire dégraissage de cent cinquante postes, répartis entre le secteur bancaire et l’agroalimentaire. Le conseil d'administration entérina, à une confortable majorité, les options du président, la seule opposition affichée restant celle de son petit-cousin. Un nombre non négligeable d'administrateurs, pressentant l'alternance proche, choisirent l'abstention. La séance n'avait repris que trois-quarts d'heure. Le président se leva pour conclure en bonne et due forme : - Mesdames, Messieurs, je vous remercie. La séance est levée. 14


La tension avait diminué. Les papiers regagnant leurs dossiers étaient plus bruissants qu'en début de conseil. Les raclements des chaises avaient perdu de leur discrétion. Quelques chuchotements étaient même audibles. Mais, par dessus ce frémissement, alors que les premiers administrateurs atteignaient tout juste la sortie, un fracas de chutes en cascade mêlé d'interjections envahit la salle. François Troner, affalé sur le sol au milieu de papiers éparpillés avait entrainé son fauteuil dans sa chute. L'attroupement autour du président fut rapidement écarté d'un geste explicite de Lombart qui, après un examen rapide, se saisit de son portable : - Docteur ? Le malaise habituel... Puis, après s'être penché à nouveau sur le vieillard inanimé : - Il ne respire plus. Vite. Merci de prévenir le 15. Et, ouvrant la chemise de son patron, il commença à pratiquer des massages cardiaques suivis d’insufflations. Le médecin du SAMU, sur place dans les dix minutes, ne put que constater le décès de François Troner de Gueyraud. On emporta le corps. Pendant la période de confusion qui suivit, et avant que les administrateurs ne se dispersent, Patrick-Adrien leur demanda de reprendre place dans la salle du conseil et s'adressa à eux : - Mesdames, Messieurs. En qualité de Président-adjoint et en raison des circonstances, je vous demande de bien vouloir annexer au procès-verbal du conseil de ce jour les points qui suivent : un conseil d'administration extraordinaire se tiendra ici sous huitaine. Nous y traiterons de la succession du PrésidentDirecteur-Général et reprendrons l'analyse de la situation difficile du groupe ainsi que des mesures permettant d'y remédier. Par ailleurs, au regard de son travail au sein du groupe pendant plus d'un demi-siècle, et en son hommage, le portrait de François Troner de Gueyraud sera installé dans cette salle. Je vous remercie de votre attention. A mardi prochain.

Marjorie CAGNASSO Marjorie est la fille de notre ami poète Claude Cagnasso. Elle a fréquenté en 1991-92 le lycée Hippolyte Fontaine à Dijon. Artiste née, elle s’est d’abord exprimée par la peinture, mais a vite découvert le pouvoir et la magie des mots. Elle écrit quelques nouvelles en attente de publication à Lyon.

Il faut porter les chagrins

Il faut porter les chagrins pour entendre les refrains des ruisseaux et les loger en soi Mille et un souvenirs frappent au cœur qui roulent comme un vent froid Cependant nous réchauffent et nous élèvent Nous font vivre et nous révèlent L’autre vie dans le secret des rêves Là-bas, un peu plus bas s’ébrouent des bêtes ignorées Leur chant colore l’air d’heures oubliées Toutes ces heures remplies de mots tus D’un temps muet aux gestes prompts A espérer une nouvelle saison d’esprit aigu Sur cette terre noire où le vert fleurit Cultiver son jardin sous le ciel gris Fait monter en soi la mémoire magique Des fougères bienveillantes et des ronces fatiguées Qui en savent tant en nous sourient mutiques Les psalmodies légères de cette campagne Font un récit étrange qui nous accompagne Jusqu’à ouvrir en nous à la nuit tombée Une folie joyeuse à la sagesse mariée Cette beauté… Et nos peines auront succombé

La pièce se vida très rapidement dans un silence absolu. Albert Lombard referma les lourdes portes avec l'impression de sceller un tombeau. Il lui sembla percevoir un sifflement, une plainte d'acouphènes : un aspirateur commençait son travail vespéral dans un des couloirs du bâtiment.

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Au revoir, VIOLAINE

Extraits du recueil « Re-naissance »

de Violaine L’Espicéenne C’est au premier jour du printemps, alors que déjà les premières fleurs de son jardin allaient éclore resplendissantes, que notre amie Violaine a quitté notre monde. Elle est partie sans autre bagage que ses rêves, ses souvenirs, mais aussi son amour et ses souffrances. De graves soucis de santé l’avaient contrainte à partir vers le sud, à la recherche du soleil qui pourrait améliorer son état. Une malencontreuse fracture de la rotule lui interdisait ensuite d’envisager la poursuite de son activité professionnelle qui lui donnait une grande part de sa raison de vivre. Aucun de ceux, aucune de celles qui l’ont connue n’oublieront sa spontanéité, son enthousiasme communicatif, son exigence à la mesure de sa générosité, cette exigence que traduisait un profond désir d’un monde où règneraient enfin la paix, l’amour et la liberté, ce monde idéal où elle nous attend. Elle avait choisi pour nom de plume Violaine l’Espicéenne, en souvenir du village d’Epoisses où elle avait passé son enfance jusqu’à huit ans, et dont elle conservait un souvenir ensoleillé. C’est là qu’à jamais reposent ses cendres. Au revoir, Violaine

VIERGE VICTIME DE LA VIE V ierge victime de la vie I ndésirable innocente de l’infamie O dieuse offense à l’ondoiement L épreuse lapidée pour sa laideur A me anéantie par l’absence I gnorante inutile et interdite N ymphe naissante et néfaste E nfant enterre-toi éternellement MOI JE VOUDRAIS PENSER A TOUT Tout savoir, tout voir, tout goûter. Je sais que je me brûlerai mais la vie est plus forte que tout. Le bien, le mal, l’amour, la joie peut-être aussi la faim, le froid je voudrais tant tout partager. J’ai beaucoup de choses à donner mon cœur et la joie qui l’emplit j’ai mon grand amour de la vie mes mains demandent à serrer une autre main pour la guider. Amitié, Amour, je peux tout je t’attends… **************** Tout commence un jour à l’école on lui refuse le ballon et sans arrêt on lui reproche ses mains couleur de charbon. Plus grand c’est à la piscine dont on lui interdit l’accès de peur qu’il ne contamine cette eau pour les blancs réservée. Il voit souvent aux devantures « Interdit aux noirs et aux chiens » pour la raison que sa figure est de la couleur de ses mains ; Son quartier il a des limites qu’il ne doit jamais dépasser si ce pauvre quartier s’agite sans délai il est mitraillé. Pourtant même avec sa couleur il est humain tout comme nous et au plus profond de son cœur la souffrance est là avant tout.

Dis-moi la Violaine d’Epoisses Celle qui vivait sans angoisses, Cette fillette aux yeux de feu Pour qui la vie était un jeu, Dont les boucles blondes cuivrées Faisaient la compagne des fées, Celle qui cajolait Martin Le vieil âne du pré voisin, Et qui promenait sa tortue Parmi les carrés de laitue, Qui pêchait au pied des remparts Tritons, grenouilles et têtards… Je veux la Violaine d’Epoisses Celle qui vivait sans angoisses. Claude CAGNASSO Carnets pour Violaine 16


LE TEMPS S’ ECOULE JE T’AIME Ferrat chante à mon oreille l’amour le mimosa dégage un parfum enivrant le temps s’écoule je t’aime Il y a six ans nos deux âmes se sont rencontrées nos deux corps se sont enlacés et unis le temps s’écoule je t’aime Il y a un an nos mains se sont jointes pour un dur labeur vivre à deux libres et heureux le temps s’écoule je t’aime

Il y a un mois je sentais vivre en moi le fruit de l’union de nos deux corps : notre enfant le temps s’écoule je t’aime Aujourd’hui le printemps s’éveille comme il y a six ans mon amour grandit avec les saisons le temps s’écoule je t’aime Demain les années se succèderont notre enfant grandira apprendra la vie le temps s’écoulera je t’aimerai

RENCONTRE PŒTIQUE Quand l’ange de l’enfer se reconnaît dans l’idéale un volcan de désir envahit son corps Quand le poète inhibé désespéré découvre la renaissance les flammes de l’amour l’ensorcellent et brûlent son âme Nos esprits tortueux nos corps fougueux fusionnent immédiatement unis par une même passion Celle de la beauté suprême des mots poésie révélatrice de la vie spirituelle intense vivante et éternelle Ta main aux longs doigts fins a recouvert la mienne par la magie des mots par la magie de nos peaux Un amour instantané un amour démesuré nous a envahis et consumés Transcendance intellectuelle désir sublime et sensuel extase de bonheur dans la plénitude apaisant mon mal de vivre et ma souffrance Te connaître m’offrir à toi t’aimer Mon trésor porte ouverte vers l’éternité.

VIERGE VICTORIEUSE DE LA VIE V ierge victorieuse de la vie I nvoque l’incandescente idylle O ublie l’offense de ton origine L utte lumineuse et libre A me adorée de l’amour I ncarne l’immortelle idéale N ie nostalgie et non-dit E cris existe éternellement

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André MARTI FONDS DE TEINT ESPERANZA Comme un phare dressé sur une grève Baignée d’un plein soleil, Je guette tous les jours ton retour Mais la nuit est ainsi faite Que le phare semble éteint Quand l’ombre m’enveloppe, Quand la fatigue se joue de moi Et ruse avec l’amour Et s’use avec la mort.

Comme l’oiseau et le vol La marche et l’Homme L’émeraude et cette eau de nuit Les ombres et les mauves ici A l’automne des jours Les combats et de l’olivier le brin De l’échine l’onde et l’à-pic du col : A jamais, toujours Ces flamboiements c’est comme Deux en un font teint.

TAISEZ-VOUS ! AMERTUME Au rocher son ressac Cogne au quotidien Rafraîchissant rappel Antédiluvien Que tous les feux s’attaquent Si l’on manque de sel

LA FLEUR DE L’AGE L’iris à tout âge, sage ou futile, Est la fleur de l’œil semblant immortelle De jour belle, de nuit nimbée de tulle. L’iris à tout âge, sage ou futile, Est tel l’arc-en-ciel, soleil qui s’étale Ou nocturne aster, étoile en étole. L’iris à tout âge, sage ou futile, Est toujours pareil : rose en son castel.

Vous pouvez verrouiller, vous pouvez vernisser, Vous pouvez déformer, vous pouvez instiller, Vous pouvez enfermer, vous pouvez décider Et vos meutes aboyer et vos sbires s’employer. Vous pouvez entre vous vous encenser de vous Et vous complimenter de savoir aiguisé, Du pouvoir de l’écrou qu’entre vous vous gardez Mais jamais, savez-vous, vous n’étoufferez L’infinie liberté : murmure aux accents doux… Toujours vous verrez après vous se lever, S’opposer, contester au moins l’un d’entre vous, Résonnant avec nous pour dire : Taisez-vous !

LE PERCE-OREILLE Le forficule œuvrant, qui en l’oreille ondule C’est de Wagner l’appel qui sourd en Tannhaüser ; Pinces en velours et chant de fer : Chatouillis lourd, Printemps qui veille aux cœurs d’hivers Glaçant l’oreille, Secousse en tête or toujours La même défaite Perce nos âmes où pourtant L’infini se pâme.

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LA CHRONIQUE HURONNIQUE de Louis LEFEBVRE agrémentée de dessins de Marie-Laine et de montages photographiques de Christian MOSER

DIALOGUE

IL FAUT SIFFLER LA FIN DE LA RECREATION De qui est cette superbe formule, à la mode aujourd’hui, et qui résume toute une politique ? On ignore le nom de l’auteur. Mais on répète cette petite phrase à l’envi. Il faut siffler la fin de la récréation. C’est aussi un alexandrin. Imaginez ce vers dans « Phèdre » : « Vois, mon bel Hippolyte !... Oh ! sur son char de guerre, Il est un dieu, il vole, il ne touche pas terre ! Mais il est en danger. J’ai peur. Malédiction ! Il faut siffler la fin de la récréation ! » Et dans le Misanthrope, voici Alceste qui tonne contre le genre humain : « Oui, il faut en finir avec la fourberie ! Les hommes ont trop joué à la bigoterie ! Foin des pervers, Philinte, et de la perversion. Il faut siffler la fin de la récréation. »

- Elles ont tout de même voté ! - « La démocratie n’est pas une fin, mais un moyen » a dit un illuminé de l’Islam. La démocratie est donc un moyen de mettre en place un régime antidémocratique. C’est pas nouveau. - Mais enfin, tout de même, elles ont voté ! - Oui, elles ont voté pour la charia. - Elles ont voté en toute liberté, et si elles veulent la charia, c’est leur droit. - Elles auront donc la charia. - En France aussi nous avons voté, il y a cinq ans, pour Zikossar. - Aujourd’hui beaucoup s’en mordent les doigts. Ils auraient préféré voter pour la charia.

Cette formule plaît non seulement parce qu’elle a le charme et le ronron d’un alex, mais encore parce qu’elle énonce une grande vérité : Nous avons assez joué. Nous, bon peuple de France, nous avons été insouciants, imprévoyants, inconscients. Il est fini le temps de se la couler douce. Tiens, encore un alexandrin. Enfin, quoi, après les jeux un peu fous de la récré, la pagaille des mômes qui courent dans tous les sens, les rires, les cris, la gabegie, le déchaînement du plaisir, il faut revenir à l’ordre : « En rang ! et je ne veux voir qu’une seule tête ! » Il faut retrouver l’atmosphère studieuse de la classe. 19


« Au travail, mes enfants ! » On s’applique. On courbe l’échine. On tire la langue. On moule comme il faut les pleins et les déliés. on écoute religieusement le maître. On est un écolier sérieux, discipliné, travailleur. On gagnera des bons points. On apprendra aussi par cœur la belle sentence morale que le maître a calligraphiée sur le grand tableau noir : Nous travaillerons plus et nous gagnerons plus.

poils pubiens, mais les jeunes islamistes ne pensent qu’à ça, comme tous les malheureux qui sont privés de l’essentiel.

EPITAPHE Une épitaphe sera bientôt nécessaire pour Zikossar I° appelé aussi Sarkozy. Pourquoi ? Mais parce que le 6 mai, il se peut qu’il soit réélu : alors, il meurt de joie. Il se peut aussi qu’il soit battu : alors il en crève de dépit.

Vive la France ! Le bon peuple de France doit comprendre qu’on ne peut pas toujours s’amuser. Depuis les congés payés jusqu’aux trentecinq heures, le bon peuple de France vivait une longue, une bien trop longue récréation ; le bon peuple de France était un peuple enfant. Il faut siffler la fin de la récréation Si la formule n’est pas de notre grand Zikossar, elle mérite de l’être.

Voici cette épitaphe : Ici, Sarko gît. Toujours content de lui. Il a le plus grand, le plus beau Des tombeaux. Il se repose enfin, le pauvre Sarkozy. Et nous aussi.

IL FAUT SIFFLER LA FIN DE LA REVOLUTION

SOUSCRIPTION

Oui, on ne peut pas toujours être en train de scander le joli slogan « dégage » ! Quand le dictateur a dégagé, reste à bâtir un état nouveau. Les démocrates du dimanche font alors voter le bon peuple. Et le lundi, le bon peuple se réveille avec la charia. Les urnes ? Que faire des urnes à présent ? A quoi pourraient servir ces grandes boîtes percées d’une fente sur le dessus ? On dirait des troncs comme on en trouve dans les églises des chrétiens. Qu’on se débarrasse des urnes ! Surtout qu’elles ont une connotation libidineuse avec leur fente ; elles pourraient égarer l’esprit de nos jeunes islamistes. Certes, la connotation libidineuse est tirée pas les

Où en est la souscription pour la pyramide d’Askon-Nèkon ? Les braves gens ne se sont pas précipités. Pour le moment, on a seulement de quoi élever un petit monument de 10 cm de haut. Sur le Champ de Mars, ce serait ridicule. Mais l’idée fait son chemin. Il faut insister. La pyramide d’Askon-Nèkon doit voir le jour ! Souscrivez ! Souscrivez !

(photographies : Christian MOSER)

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« La littérature reconnaissante à ses enfants hors-la-loi » par Jean CLAVAL Expérience de critique littéraire de Clive Staples LEWIS (1898 –1963) « Une littérature vaut ce que vaut le lecteur » Paul Valéry – Regards sur le monde actuel

Dès l’enfance, certains d’entre nous appréciaient déjà Jules Verne, L’Ile au Trésor ou Les Lettres de mon Moulin alors que d’autres faisaient leur pâture de périodiques ou récits à la popularité éphémère, le plus suivent empruntés. Il est manifeste que nous n’«aimions » pas notre pitance de la même manière et il en est encore ainsi aujourd’hui, les différences sautent aux yeux. La plupart des gens ne lisent jamais deux fois le même livre, considérant que, s’ils ont déjà lu une œuvre, il ne saurait être question de la parcourir de nouveau. Nous connaissons tous des personnes qui se souviennent d’un roman avec une telle imprécision qu’il leur faut longuement le feuilleter avant d’acquérir la certitude de l’avoir déjà lu et, à partir de ce moment, l’ouvrage se trouve rejeté : il est mort, ne présentant pas plus d’intérêt qu’un vieux ticket de métro, un journal de l’an dernier ou une allumette brûlée. Une majorité n’attache guère un grand prix à la lecture, ultime ressource contre l’ennui, abandonnée dès que se présente une autre distraction. On garde la lecture pour un voyage prolongé, une maladie, un temps de solitude forcée, voire pour s’endormir plus rapidement ; elle peut se combiner avec une conversation à bâtons rompus ou l’audition de la radio. Quand elles ont terminé une nouvelle ou un roman, rarement un poème (de préférence gnomique), rien d’important ne semble être arrivé à ces

Traditionnellement la critique littéraire a pour objet de juger les livres. Ces jugements formulés au sujet des œuvres impliquent également à l’évidence, par voie de conséquence, une opinion sur la manière de lire du public, une appréciation sur son goût pour les « bons » ou les « mauvais » livres. Dans la vie de tous les jours, dans notre entourage, nos relations, il est d’usage sur un plan littéraire de juger (ou tout au moins d’émettre un avis sur) les gens d’après les livres qu’ils lisent. C.S. Lewis se propose de prendre le contre-pied de cette attitude, d’inverser le processus et de nous inviter à « juger » les livres selon les gens qui les lisent. Au départ, il s’agit d’opérer une distinction entre les lecteurs, entre leurs manières différentes de lire et de saisir ainsi la disparité des œuvres elles-mêmes. S’avèrera-t-il possible (et valable) de définir un bon livre comme celui qu’on lit d’une certaine manière et un mauvais livre comme celui qu’on lit d’une autre manière ? Le processus habituel renferme, semble-til, un postulat erroné. Lorsque nous disons que Durand aime les magazines populaires et que Dupont aime le théâtre de Racine, le verbe « aime » paraît avoir le même sens dans les deux cas comme s’il s’agissait d’une même activité quoique les objets vers lesquels s’oriente cette activité diffèrent entièrement ; il n’en est rien. 21


personnes, au contraire du lettré (appellation jugée ici pratique sans présomption orgueilleuse de supériorité a priori) qui garde à l’esprit scènes, personnages, vers, strophes lui fournissant une sorte d’iconographie, considérant comme un élément essentiel de son bien-être ce qui pour elles apparaît non seulement secondaire mais superfétatoire. Toutefois les deux catégories de lecteurs ne sont pas séparées par des barrières immuables. Certains appartenant à la multitude évoluent et rejoignent les lettrés, et vice-versa. Nombreux sont ceux qui manifestent en art une vulgarité déconcertante, tout en jouissant d’une vive intelligence, d’une érudition approfondie et même de subtilité. Une œuvre d’art, quel que soit l’art, peut être soit « reçue » soit « utilisée ». Dans le premier cas, nous exerçons nos sens, notre imagination, nos facultés dans une direction et selon un schéma voulus par l’artiste ; dans le second, nous traitons l’œuvre comme un auxiliaire de notre propre activité. L’utilisateur fait de la réalité imaginée une distraction, un catalyseur lui permettant de rêver voire de se constituer une « philosophie de la vie » ; celui qui reçoit s’immobilise au sein de l’œuvre constituant, du moins provisoirement, une fin en soi. Opportunément, C.S. Lewis étudie en quelques pages magistrales les mythes, les diverses formes du fantastique et du réalisme, la poésie. Il nous livre les pertinentes observations qui suivent. Le lecteur inculte ne lit rien qui ne soit narratif, il peut même ne pas lire des romans mais uniquement des journaux. L’invention ne lui paraît pas une activité légitime, il désire que les récits soient vrais. Indifférent au style, il préfère souvent un livre que nous trouvons mal écrit. Un amateur de science-fiction médiocre ne goûtera pas L’Expérience du Docteur Mops de Jacques Spitz ou Les Chroniques martiennes de Ray Bradbury, déconcerté par la qualité supérieure de ce genre d’ «aliment » qu’il désire. Il privilégie les récits dans lesquels l’élément verbal se trouve réduit au minimum : histoires en images ou romans-photos feront ses délices. Il exige une action rapide où il se passe incessamment

quelque chose sinon, il récrimine : « Ça ne bouge pas assez, c’est lent ! ». Un bon style l’irrite par sa concision ou aussi bien par une richesse estimée excessive. Mais si nous trouvons un seul lecteur pour lequel un petit livre bon marché (romanticosentimental, western, anticipation..), avec sa hideuse couverture illustrée, a été une source de délice pour une vie entière, si nous découvrons qu’il l’a lu et relu, alors aussi infime que soit l’intérêt que nous-mêmes y trouvons et aussi grand que soit le mépris professé à son égard par nos parents, amis ou collègues, ne nous arrogeons pas le droit de reléguer cette brochure dans un no man’s land au-delà d’une frontière infranchissable. Quand nous voyons des gens, parfois une seule personne, lire sérieusement, à fond, et aimer tout au long de leur existence, un livre que nous avons trouvé mauvais, nous devons nous demander si cette œuvre est vraiment aussi détestable que nous le pensions. En observant comment les hommes lisent, nous disposons d’une base solide qui permet de juger ce qu’ils lisent ; en voyant ce qu’ils lisent, nous n’avons qu’une base fragile et éphémère pour juger leur manière de lire. Nous ne devons jamais prétendre que nous savons ce qui se passe quand quelqu’un d’autre que nous lit un livre. Jouissons des avantages dont nous pouvons bénéficier en fondant notre critique des œuvres sur une critique de la lecture. Ne quittons pas C.S. Lewis, chargé de cours et directeur d’étude au Magdalen College (Oxford) puis professeur de littérature médiévale et renaissante à Cambridge, sans mentionner différents aspects de son œuvre d’une grande richesse, cependant trop peu diffusée en France. Il est surtout connu chez nous pour les sept volumes du Monde de Narnia, cycle éminent ne le cédant en rien à celui du Seigneur des Anneaux de son ami John Ronald Reuel Tolkien. Auteur d’une captivante trilogie planétaire : Le Silence de la Terre, Voyage à Vénus, Cette Hideuse Puissance, il introduisit dès 1938 dans la science-fiction ce que l’on peut appeler une dimension métaphysique. De loin 22


apparenté, n’oublions pas son subtil et pénétrant récit Le Grand Divorce. Son roman Till we have faces ( Un Visage pour l’éternité) revisite ingénieusement le mythe de Psyché. Son autobiographie Surprised by Joy, titre traduit littéralement et correctement par Surpris par la Joie, comporte toutefois un double sens insaisissable si l’on ignore que son épouse se prénommait Joy. Il a écrit des nouvelles, des études et essais sur la littérature, des ouvrages de théologie, à ce propos citons ses Screwtape Letters (Tactique du Diable), correspondance entre un démon supérieur et un disciple novice chargé de mener un jeune homme à sa perdition, œuvre tout empreinte d’un savoureux humour, qualité d’ailleurs constante chez C.S. Lewis quels que soient les sujets abordés, y compris les plus sérieux. En 1993, le metteur en scène Richard Attenborough réalisa Les Ombres du Cœur, film fondé sur la vie de C.S. Lewis, célibataire endurci, et essentiellement sur le bouleversement apporté dans son existence à l’âge mûr par sa correspondance puis sa rencontre et son mariage avec Joy Gresham. L’interprétation de l’excellent acteur Anthony Hopkins dans le rôle principal constitue l’atout majeur de cette œuvre conventionnelle où il ne faut surtout point chercher une grande fidélité historique.

MOTS CROISES Dans le cadre de la Semaine de la langue française et de la francophonie, nous étions invités à jouer avec les dix mots : Ame – Autrement – Caractère – Chez – Confier – Histoire – Naturel – Penchant – Songe – Transport Florilège vous avait proposé de lui adresser des grilles de mots croisés en incluant autant que possible les mots choisis. Voici donc 3 grilles soumises maintenant à votre sagacité. Attention, tous les mots ne figurent pas dans chaque grille. (Solutions en page 54.) GRILLE 1 1

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9 A B C D E F G H I

HORIZONTALEMENT : A. B.

C. D. E. F. G. H. I.

Editeur littéraire parisien Fleuve risquant de mouiller « Le Manuscrit trouvé à Saragosse » ; Liée au corps chez Maxence Van Der Meersch. Donna des coups de sabots. Allonge par traction. Chassez-le, il revient au galop. Poche de l’estomac des oiseaux. Note. Le héros de « La montagne magique » s’y rétablirait. Pronom personnel. Bravo ou peut être Grande. De même. Associé au néant chez Sartre. Affluent de la Seine. Pharaon de la XIX° dynastie. En petite quantité.

VERTICALEMENT 1 Proches parentes de « L’Aérodrome » de Rex Warner.. 2 Enfant d’Alfred Jarry. Meilleur groupe. 3 Peut-être de joie ou de colère. 4 Ile de l’océan Atlantique. Ouille ! Interpellation. 5 Essai d’Albert Camus. 6 Exprimée par « La Force de l’Age » de Simone de Beauvoir. 7 Gouverneur musulman. En meute, prix Goncourt 1932. 8 Arbres africains aux vertus médicinales. Aurochs. 9 Prénom de l’auteur de « L’Esprit des Formes ». Ville de SeineMaritime.

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GRILLE 2 1

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A B C D E F G H I

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9 A B C D E F G H I

HORIZONTALEMENT : A. B. C. D. E. F. G. H. I.

Sutter par Cendrars. Avaient à voir avec les mouches. Pour des correspondants. Créateur du zoo naval. Tel Rastignac, ou tel le Père Goriot, par exemple. Attribué au départ. « C’est la vie ! » dirait Calderon. Trop court de moitié pour danser. « Oh les Beaux jours », tronqués ! Pour l’effectuer dans le temps, voir M. Wells. Relégua. Pour lire l’Iliade d’un bout à l’autre. Simone Weil le fit, plutôt que de philosopher en chaire. Voir le bout de son nez

HORIZONTALEMENT : A. B.

C. D. E. F.

VERTICALEMENT

G.

1 Un collectif singulier. Suivra les traces d’Arthur Cravan (se). 2 Tel le premier venu selon Jean-Jacques. 3 En or pour Henry Fonda. Sartre lui associe la mort dans « Les Chemins de la Liberté ». 4 Pour des rendez-vous. Sans nuance. 5 A l’origine, c’est l’œuf, pas la poule. Pour un personnage de Dostoïevsky. La fin d’un roman de Sagan. 6 Diminutif pour une bête à fable de Desnos. Premier mot d’un titre célèbre de Nietzsche. 7 On n’insistera pas. Par où commence l’intolérance. 8 Muse laïque ? 9 En parlant du glas, pour Hemingway. Promettez, à la fin !

H. I.

Prénom d’une Calanzas chanteuse brésilienne.. Un Chris auteur-compositeur anglais à succès mais on ne sait pas s’il fait la roue à gorge. Evoque les contes de Samivel. Acide essentiel assez désordre. Un roman d’Aldous Huxley.. Ne reconnut pas. D’une nuit d’été pour Shakespeare. Pour les billes de Joseph Josso. Manque de tac de Mademoiselle de Karine Glorieux. Un Mazo romancier auquel on offre un T mais aussi la réalisatrice du film « Des chambres et des couloirs ». Les bouts de bois du cerf en pagaille. Une des mortes de Gogol. On peut y placarder un poème Paris-banlieue. Le pâté-poème du Lord – à la sauce asiatique. Editions d’Henri Dougier qui ne sont pas pareilles mais à l’envers.

VERTICALEMENT 1 Pégase vous menant au mont Olympe en est un. 2 La première des filles culbutée. Le club des journalistes libres ou presque. 3 L’un de ceux de la Bruyère. 4 Rodolphe Salis en initiales et sans son chat noir. 5 Le dada de Michelet. 6 Prénom très rare chez les écrivains français mais qui a fait le saut avec Barrière. 7 Un de ceux dont Rousseau disait « Loin que l’amour vienne de la nature, il est la règle et le frein »… à donner le vertige comme la tour de Pise ! 8 Poème connu de Rudyard Kipling. Dromaiidé, autruche australienne. 9 Du côté de Swann. L’héroïne de Flaubert moins un M.

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INDIVIDU ET SIGNIFICATION par Denis PROST professeur de philosophie auteur aux éditions Ellipses - Paris.

que les choses se compliquent, ils sont d'une diversité presque infinie. Il nous faut prendre en compte la problématique de l'individualité, débouchant sur la notion d'idiosyncrasie, c'est-àdire ce qu'il y a de plus proprement individuel. Plus les animaux sont simples et plus ils se ressemblent. Un escargot ressemble terriblement à un autre escargot. Mais, dans l'espèce humaine il y a des différences inter-individuelles telles qu'elles débouchent parfois sur l'incommunicabilité. Un poème s'écrit pour communiquer avec quelqu'un, souvent avec l'inconnu, avec Dieu, à supposer que Dieu soit quelqu'un, avec soi-même. Difficulté suprême: l'individu étant en perpétuel changement, ce poème écrit telle année aura perdu son charme (c'est-à-dire son impact excitatif) quelques années plus tard. Tout se passe dans l'instant, c'est-à-dire dans une durée indéterminée, quelques secondes ou quelques années.

INCONSCIENT ET CREATION

Voici un article qui se propose de décomposer les processus du langage et peut se dénommer, selon l'expression classique article de Psycho-linguistique. Un être humain est un système, d'une extrême complexité, d'émission et de réception de significations. Plus un animal est complexe, plus son organisation significatrice sera riche. L'être humain étant l'animal le plus complexe, c'est lui qui a le monopole de la complexité. Il ne faut en aucun cas mépriser les animaux mais leurs cris, de bonheur, de jouissance, de douleur sont très simples par comparaison à la musique ou à la poésie. Cet article se propose une première approximation. Disons cependant quelques mots de la cybernétique, même si son approche précise est réservée à la prolongation de notre propos. La cybernétique est née aux Etats-Unis, pendant la seconde guerre mondiale; il fallait alors remplacer les kamikazes japonais, par un pilotage automatique évitant cet inconvénient majeur qu'était la mort du pilote. La nécessité de construire des organismes artificiels conduisit à une meilleure connaissance des organismes naturels. Nous nous proposons d'entrer dans la « boîte noire » de l'être humain et, plus précisément dans celle du poète.

Division fondamentale du langage, aujourd'hui devenue classique, la division du signifiant et du signifié. Le signifiant désigne l'expression réalisée du sujet. Il est l'élément commun aux diverses individualités. Il est le code sans lequel la communication n'est pas possible. Il y a deux et seulement deux possibilités de signifiant, le signifiant graphique et le signifiant phonique. Le signifiant graphique est exprimé sur un support, peu importe lequel, du papier ou un écran de télévision ou d'ordinateur. C'est ce qui fait que, d'emblée, un poème est une figure, même une géométrie. Il se voit. Il peut ne pas se voir comme dans les civilisations sans écriture. Le signifiant phonique est produit par l'appareil phonateur (chez l'être humain, les lèvres, la

Or, les êtres humains sont tous semblables et tous différents. Nous situant selon la normalité, nous dirons qu'ils ont des yeux, des oreilles, un nez, une bouche etc... Ils ont une, à la rigueur deux langues maternelles. Ils savent parler, entendre, écouter. Cependant, et c'est là 25


langue, larynx et pharynx, thorax, abdomen). C'est un phénomène vibratoire, un ensemble d'ondes. Il a besoin de l'air pour être. Il s'arrête à notre tympan. Un poème est dans l'air mais nous ne saurions en priver les sourds qui n'en perçoivent que l'aspect graphique. Le signifiant est inséparable du signifié. Il n'y a pas de signifiant sans signifié même si le signifiant a parfois tendance à primer le signifié, comme dans l'exigence de la rime.

pas...) mais en aucun cas je ne peux savoir pourquoi, c'est-à-dire suivre et percevoir une infinité de lignes causales enchevêtrées. Je ne peux volontairement modifier mes goûts; l'acte de volonté exige une adhérence de la conscience qui peut aller jusqu'à l'obsession, jusqu'au ridicule. Il y a des gens qui se forcent à aimer Dieu, car, quelques années auparavant, ils ont prononcé des vœux ou, dans le cas du snobisme, se forcent à aimer Wagner, à aimer Proust, parce qu'il est socialement, de bon ton, de les aimer. Effort vain, voué tôt ou tard à l'échec. L'on ne peut bien longtemps mentir à soi-même.

Le signifié est l'ensemble des réactions psychiques d'un sujet. Le sujet est tantôt récepteur, tantôt émetteur et ne peut être simultanément l'un et l'autre, même si, parfois, la phase réceptrice et la phase émettrice se succèdent très rapidement. Le sujet récepteur écoute ou entend, l'écoute étant une duplication de la conscience qui se fait attentive. Il n'est pas possible qu'il y ait signifiant sans signifié; cette affirmation nous confronte aux rapports du conscient et de l'inconscient c'est-à-dire au subliminal. Je peux me livrer à une activité psychique (par exemple faire des calculs) alors qu'une musique ou un poème récité me parviennent. L'inconscient ne perd rien, n'évacue jamais rien. Alors que la conscience dissocie (cette porte est ouverte ou fermée, cette personne n'est pas cette autre personne, a n'est pas b etc...) et trouve son essence dans cette dissociation, l'inconscient associe car les contenus de l'inconscient sont contigus. Je peux dire que tel poème de Verlaine n'est pas tel autre poème de Verlaine car les titres sont différents. Cependant leur éruption relève du semblable car ils émanent de l'inconscient d'un même individu. Ainsi s'explique que musicalement, je reconnais « du » Bach « du » Beethoven, « du » Debussy etc de même que, sans vérifier, je reconnais un vers de Racine, un vers de Hugo, un vers de Baudelaire.

LE SUB-LIMINAL LINGUISTIQUE PROBLEMATIQUE DE LA METAPHORE

Le sujet récepteur va du signifiant au signifié. Le sujet émetteur va du signifié au signifiant. Le signifié est d'abord une antériorité au langage, c'est-à-dire que, si j'en parle, utilisant pour cela le langage, je le fausse. Il en est de même de l'inconnu; si je le connais, il n'est plus l'inconnu. Il en est encore de même du nouveau; dès que je le perçois comme nouveau, il n'est plus nouveau. Nous parlions de la volonté. De fait il n'y a pas d'acte volontaire ou plutôt, l'acte volontaire est une illusion. Le sujet croit que c'est lui qui veut écrire un poème mais l'écriture du poème est le résultat, la convergence d'un ensemble de forces émanant d'autre chose que de cet individu que je suis, que je crois limité par ma peau. Un poème, avec lequel certains communiquent, d'autres non, ne pouvait pas ne pas être, puisqu'il est, résultat d'un déterminisme absolu, qui est le déterminisme cosmique. Le signifié, qui va aller chercher son signifiant est en lui-même impulsion sans laquelle il resterait « lettre morte ». Le poète cherche une adéquation parfaite du signifié et du signifiant et la trouve dans le surgissement de l'instantané. Son vouloir-dire est identique au vouloir- vivre d'une plante ou d'un animal. L'impulsion qui

Or, l'inconscient détermine notre affectivité et selon des modalités qui nous échappent. L'inconscient est notre fonctionnement corporel; il est impossible à la conscience de suivre les mouvements de la digestion, des hormones, de toute cette chimie infinitésimale qui est nous-même. Je ne peux que constater que j'ai tel goût (j'aime, je n'aime 26


conduit du signifié au signifiant ne se légitime que par elle-même. La poésie n'est au service de rien ni de personne.

autres. Un mot a pour un individu une histoire. Cette histoire n'est jamais, ne peut pas être identique à celle d'un autre individu. Cependant et c'est ce qui explique la possibilité et le charme de la communication poétique, les diverses histoires se frôlent, se touchent, s'échappent, disparaissent, reviennent, comme en un ballet. Freud nous dit (Métapsychologie) que les contenus de l'inconscient échappent au temps. C'est la conscience qui fait le temps, qui dit que tel vécu est passé depuis long-temps. Mais à la suite d'un rêve, je peux me réveiller en pleurs, comme si ce deuil venait de m'arriver. Les charges affectives de l'inconscient demeurent pour toujours intactes.

Le va et vient du signifiant au signifié et du signifié au signifiant se fait par la fonction référentielle, laquelle a une objectivité, c'est-àdire un fonctionnement semblable chez tous les individus, mais aussi une idiosyncrasie, c'est-àdire une extrême individualisation. Le poète, sauf dans le cas limite de fabrication de signifiants, utilise des mots c'est-à-dire un matériel déjà fait. Les dictionnaires nous fournissent, avec plus ou moins de bonheur, une objectivation du langage, les mots, avec leurs diverses connotations. Ces connotations ne sont pas toutes perçues par tous les individus; certaines resteront mêmes toujours ignorées par certains locuteurs. Il y a une fonction référentielle minimale dans le cas d'une communication très simple et qui se veut essentiellement pragmatique, par exemple, la communication militaire. Cependant pour un individu qui possède les connotations diverses d'un mot il n'est pas possible (même si dans l'immédiat il se contente d'une connotation minimale) qu'il ne se passe pas autre chose. C'est cela le sub-liminal linguistique, équivalent du sub-liminal visuel, plus encore semblable au sub-liminal musical. Le poète fait une extrême subjectivité avec de l'objectivité. Nous avons tous reçus des commentaires de texte, scolaires ou universitaires et parfois protesté contre la micro-analyse de certains professeurs. C'est qu'ils s'efforcent d'épuiser le sens et la portée d'un poème. Difficulté suprême: derrière une grande simplicité apparente (ce que l'on trouve, entre autres, chez Verlaine) il y a un sens prodigieux, une puissance infinie d'excitation. Et c'est le mot excitation qu'il faut employer ici, avec sa connotation physiologique, voire sexuelle. Il y a des plaisirs qui s'épuisent très vite et d'autre infiniment renouvelés.

Faire du subjectif avec de l'objectif, faire du nouveau avec de l'ancien telle est la mission poétique. L'on appelle référent le parcours objectif d'un mot à travers la fonction référentielle c'est-à-dire la présentation d'un sens commun à tous. Les formules toutes faites, les poncifs, les clichés ramènent des réalités souvent très différentes à un semblable paresseux et sécurisant. C'est que la surprise, en même temps qu'elle fascine fait toujours peur. La proximité spatiale et temporelle des référents, le contact de ce qui était primitivement disjoint, fait la métaphore qui, dans le meilleur des cas, est une explosion de sens, l'apparition d'une vérité qui se donne comme inépuisable. Comment ai-je pu vivre sans cela? Le signifié apparaissait comme à-décrire, sorte de grosseur un peu douloureuse, qui attendait son avènement. La métaphore n'est parfois que le rapprochement de deux et seulement deux mots mais le plus souvent, elle est plurielle, exigence du multiple pour être. Il n'y a pas d'usine à métaphores. Tout se passe dans le discontinu. La perspective cybernétique dont nous parlions permettra de comprendre pourquoi. Nous y consacrerons un prochain article. Il existe une fantasmatique du jaillissement métaphorique ininterrompu comme il y a une fantasmatique du désir inextinguible. Par bonheur, et c'est un paradoxe, le poète connait les doutes, les chutes, les alternances imprévisibles de désespoir et d'espoir.

Le sub-liminal linguistique est à l'œuvre chez l'émetteur et chez le récepteur. Le récepteur n'est jamais passif. Lire un poème ou en écouter la lecture c'est le créer, création pour soi qui peut-être demeurera éternellement inconnue aux 27


FAUT VOUS FAIRE UN DESSIN ?

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par TOM

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QUELQUES CONSIDERATIONS SUR L’HISTOIRE DE LA PLEIADE et de deux poètes bourguignons (*) par Claus-Peter HAVERKAMP (*) Notre revue publiera bientôt des articles consacrés respectivement à Pontus de Tyard et à Guillaume des Autels.

Il est établi depuis un certain temps, du moins dans les milieux universitaires, que la Pléiade en tant que telle, c’est à dire sous la forme d’un groupe constitué, n’a jamais existé. Dans l’introduction à son livre « Le Cabinet Secret du Parnasse – Pierre de Ronsard et la Pléiade », publié en 1928 (!), Louis Perceau nous apprenait en effet déjà :

Il est établi que jamais la nouvelle école poétique n’adopta ce titre de Pléiade Française, qui la désigne pourtant depuis plus de quatre siècles. Ce sont les adversaires protestants de Ronsard, catholique fervent et très proche de la Ligue, qui relèvent ces deux vers : tour à tour Florent Chrestien, Jacques Grévin et Henry Estienne vont désigner ainsi le groupe, et la dénomination devient courante à la fin du 16e siècle.

« On croit communément qu’à l’imitation de la Pléiade ancienne, qui groupait sept poètes grecs, Pierre de Ronsard constitua, avec ses amis Du Bellay, Baïf, Jodelle, Belleau, Pontus de Tyard et Dorat, un groupe littéraire qui prit le nom de Pléiade Française, lequel groupe publia en 1549 son Manifeste « La Défense et Illustration de la Langue Françoise » de Joachim Du Bellay.

C’est le terme de Brigade qui avait été adopté par Ronsard et ses amis, et qui fut couramment employé par eux. De plus, le groupe de Ronsard et de ses amis n’a pas toujours compris sept noms. En 1549, il en comptait une quinzaine, et ce nombre augmenta par la suite, dépassant la vingtaine. C’est en 1553, dans une Elégie à Jean de La Péruse, que Ronsard fait un choix parmi la Brigade, et cite six noms qui en constituent en quelque sorte l’élite – avec lui naturellement : Du Bellay, Tyard, Baïf, Des Autels, Jodelle et La Péruse.

Depuis une vingtaine d’années, heureusement, la critique littéraire est sortie de l’empirisme pour devenir une science, et cette question de la Pléiade, comme tant d’autres, a pu enfin être élucidée. Notons tout d’abord qu’en 1549, Baïf et Jodelle avaient 17 ans ; mais il y a des erreurs plus graves. »

En 1555, dans l’Hymne de Henri II, Ronsard remplace le nom de Guillaume Des Autels par celui de Jacques Peletier du Mans et en 1556 celui de Jean de la Péruse par Rémy Belleau. Et en tout cas, jamais Ronsard ne mentionne le nom de Dorat sur ses listes… !

Il serait trop fastidieux de citer ici de larges extraits de cette étude. Je me permets donc de résumer ici les arguments avancés : Jamais Ronsard et ses amis n’ont nommé leur groupe la Pléiade Française. Des sept poètes communément cités, six n’ont même jamais prononcé ce nom dans leurs œuvres. Seul Ronsard l’a mentionné, une unique fois, en 1556, dans une Elégie, publiée en tête de l’Anacréon de Rémy Belleau, et où on trouve ces deux vers :

Ce seront en effet surtout les réformés qui vont vulgariser le terme de pléiade, d’abord avec une intention ironique, comme dans l’Apologie pour Hérodote de Henrie Estienne « Aux poètes de la Pléiade : S’il m’est permis de pléïadiser, c’est- à dire contrepéter le langage de messieurs les poètes de la pléïade ».

Te concevant, Belleau, qui vins en la brigade Des bons, pour accomplir la septième Pléiade. 30


Ce groupe n’a jamais formé une équipe, au sens où il y aurait eu entre ses membres une collaboration suivie et une concertation délibérée en vue d’objectifs communs et bien définis. Il s’agissait plutôt d’un foyer littéraire et d’un cercle d’amis. Quand on lit les œuvres des poètes de cette époque, tous évoquent et citent dans leurs écrits d’autres poètes amis. On peut même dire que chacun d’eux avait sa propre ‘pléiade’, c’est à dire son cercle de poètes préférés, cercle souvent à géométrie variable.

arguments sont repris, comme bien d’autres, dans un livre qui passe pour une référence « La France de la Renaissance, Histoire et Dictionnaire » publié chez Robert Laffont en 2001, sous la direction d’Arlette Jouanna. Et pour rester plus près de chez nous, donc en Saône-et-Loire, on peut citer pour finir une étude récente consacrée au cousin de Guillaume, Pontus de Tyard (*). Catherine Magnien, professeur à l’université de Bordeaux III, écrit en effet : « K. Hall (1) a démontré, après Chamard (2) que les rapports de Tyard avec la « Pléiade » ne se tissèrent que de loin, par l’intermédiaire des œuvres. Ronsard, qui ne cite pas Tyard au-delà de 1555 et qui l’attaque même rudement dans une ‘Elégie à Guillaume des Autels’, avait de lui une connaissance uniquement littéraire, et il en allait de même pour les autres poètes. … Tout comme Tyard a salué dans son œuvre Ronsard et ses amis, qui l’ont en retour et durant une période bien limitée, reconnu dans leurs œuvres pour un des leurs : voilà tout ce que peut affirmer l’historien de la littérature. » (3)

Si Ronsard cite par exemple Guillaume Des Autels parmi les poètes contemporains, cela ne montre rien d’autre que son respect pour notre auteur bourguignon, comme pour tant d’autres! Et Guillaume Des Autels, quant à lui, citera dans son œuvre Jodelle, Du Bellay, Ronsard, Denis Sauvage et bien sûr son cousin Pontus de Tyard, avant d’insérer plus tard un sonnet « Guillaume des Autels à C. de Pontoux » dans ‘Les Œuvres de Claude de Pontoux Gentillaume Chalonnois Docteur en Medecine’, qui seront publiées à titre posthume à Lyon en 1579, mais qui avaient été écrites, avec le sonnet en question, une vingtaine d’années plus tôt. En incluant Guillaume lui-même, on arrive certes au chiffre mythique de sept. Mais cela est le fruit du hasard. La liste des poètes préférés de son cousin Pontus de Tyard comporte par exemple dix noms, et celle pour les autres poètes de cette époque s’avère être une liste à géométrie très variable.

Si de nos jours, le nom de Pléiade continue à être utilisé, c’est que cette utilisation est devenue une pure convention ! Depuis quelques années, les universitaires du monde entier parlent d’ailleurs plus volontiers de « l’Ecole de la Pléiade » autour de Ronsard, tout comme ils parlent de « l’Ecole Lyonnaise » autour de Maurice Scève. Cette école regroupe tous les poètes contemporains de Ronsard… y compris bien évidemment Guillaume des Autels et Pontus de Tyard.

Ce qui est par contre étonnant, c’est le fait que le livre de Perceau ait été publié en 1928 et que cela fait donc un bon siècle désormais que la vérité est connue ! Mais qui a lu Louis Perceau ? Pourtant, tous ses

Mais une fois cette 31


vérité établie, nous sommes parfaitement en droit de constater que les poèmes, que Pierre de Ronsard a adressés à son ami Guillaume des Autels, pour ne citer que lui, sont et restent un joli hommage à notre poète bourguignon ! Les voici :

Des Autels (4), J.P. Valabrègue espérait déjà une réédition, du moins partielle, de son œuvre, proposant un tri savant. Et le professeur Daniel Martin a écrit plus récemment à ce propos: « L’œuvre de Des Autels est celle d’un poète qui s’est efforcé de s’ouvrir aux diverses influences qui se sont présentées à lui au cours de sa carrière et de les combiner de façon personnelle. Une relecture de cette œuvre permettrait de découvrir en Des Autels un authentique poète digne de l’estime que lui a témoignée son cousin Pontus de Tyard. » (5)

Mon Des-Autels, qui avez dès enfance Puisé de l’eau qui coule sur le mont Où les neuf Sœurs dedans un autre font Seules à part leur saincte demeurance ; Si autrefois l’amoureuse puissance Vous a planté le myrte sur le front, En-amouré de ces beaux yeux qui sont Par vos esprits l’honneur de nostre France, Ayez pitié de ma pauvre langueur, Et de vos sons adoucissez le cœur D’une qui tient ma franchise en contrainte. Si quelquefois en Bourgogne je suis, Je flechiray par mes vers, si je puis, La cruauté de vostre belle Saincte. (Les Amours diverses – 1560)

(1) HALL, Kathleen « Pontus de Tyard and his ‘Discours philosophiques’ Oxfort U.P 1966 p 20-23 (2) CHAMARD, Henri « Histoire de la Pléiade » Paris 1940, notamment t. I p 4ff (3) MAGNIEN, Catherine « Etienne Pasquier et Pontus de Tyard » dans « Actes du colloque international de l’Université de Créteil-Val-de-Marne » Paris 2003 (4) VALABREGUE, Jean-Pierre « Du Puley à Cluny, itinéraire d’un poète bourguignon : Guillaume des Autels, gentilhomme charolais » dans LA PHYSIOPHILE N° 103 1985 pp 17-26. Signalons que le même auteur a publié un petit extrait de 9 pages du « Mythistoire Baragouyne » de des Autels dans son livre « Paillards, Coquins, Grivois Bourguignons » Le Caractère en Marche, Genelard 1996 (5) MARTIN, Daniel « Tous deux pressez souz un mesme soucy : le dialogue poétique entre Guillaume des Autels et Pontus de Tyard » Editions Champion Paris 2003

ELEGIE A GUILLAUME DES AUTELS Gentilhomme Charollois Poëte et Jurisconsulte excellent SUR LE TUMULTE D’AMBOISE

Claus-Peter Haverkamp est né en Westphalie, mais vit en France depuis 1970. Il a enseigné à l’Université de Lyon et de Dijon et travaillé comme traducteur et comme guide, spécialiste de la Bourgogne. Il publie régulièrement des articles dans des revues comme « Images de Saône-et-Loire » ou « La Physiophile ». Il est membre titulaire de l’Académie de Mâcon et un bibliophile passionné. Récemment, il a consacré deux livres à Pontus de Tyard : « Pontus de Tyard se dévoile » et « A la poursuite d’une ombre - Pontus de Tyard et Pasithée ».

Des Autelz, que la loy, et que la rethoricque Et la Muse cherist comme son Filz unicque, Je suis esmerveillé que les grandz de la Court (Veu le temps orageux qui par l’Europe court) Ne s’arment des costez d’hommes qui ont la puissance Comme toy de plaider leurs causes en la France, Et revenger d’un art par toy renouvelé Le sceptre que le peuple a par terre foulé. (Discours des Misères de ce temps – 1560 ; réimprimé séparément à Paris en 1564) Mais que dire de l’œuvre de notre poète bourguignon ? Dans un article consacré à

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Do Brasil par Yvan Avena L´éloge de la paresse créative La paresse a une très mauvaise renommée! Victor Hugo disait dans Les Misérables : « Ainsi la paresse est mère. Elle a un fils, le vol, et une fille, la faim ». Néanmoins, veuillez excuser ma franchise, même La Fontaine nous semble parfois ridicule avec ses fables. Qu´il s´agisse de la cigale ou de celle du laboureur et ses enfants, quel homme sensé peut encore croire, au 21ème siècle, que « Le travail c´est la santé ». Qui peut sérieusement, aujourd´hui, affirmer de telles balivernes. Malgré l´absurdité de cette croyance il y a encore des gens qui enseignent, dans les écoles, la valeur morale du travail ! Quand expliquera-t-on aux enfants qu´il n´y plus que ceux qui exploitent à leur profit le travail des autres pour y croire et l´apprécier ! Qui ignore encore que les travailleurs manuels sont les moins bien payés et, socialement, les moins considérés ? Naturellement, comme toujours, il y a des exceptions. Les plombiers par exemple ! Mais, dans l´ensemble, personne ne se vante de sa réussite quand il est mineur de fond (malgré les primes de risque), ouvrier dans la construction ou femme de chambre, même dans un hôtel de luxe à 3.000 dollars la nuit (Note : toute association d´idées avec des événements récents est pure coïncidence...). Mais il y a pire ! Nous vivons, hélas ! (trois fois hélas !...) une époque fabuleuse de l´évolution sociale où on trouve toujours pire... Je me réfère en particulier au sous-prolétariat du monde intellectuel : les poètes. Car si les travailleurs manuels ne sont guère considérés, ils sont néanmoins rétribués pour leurs tâches. Aucun patron - même parmi les plus ignobles exploiteurs - n´exige de ses employés de le payer, pour avoir le droit de travailler. Il a pourtant, dans des pays dit « développés », des entrepreneurs qui ont outrepassé l´inconcevable dans le monde du travail : les éditeurs de poésie « à compte d´auteur ». Les auteurs payent pour publier leurs œuvres, au lieu d´être payés ! Mais il y a une raison inexorable pour ça : la poésie ne se vend

pas ! Personne n´achète, en librairie, un livre de poésie d´un poète vivant. Donc ce sont souvent les poètes qui financent l´édition de leurs poèmes, pour les offrir à leur entourage. Quelques poètes célèbres ont trouvé, pour vendre leurs livres, l´astuce suivante : ils publient leurs poèmes avec des gravures d´un vieux peintre renommé (souvent un ancien copain de jeunesse) car certains bibliophiles payent assez cher ce genre d´édition. Non pas pour le texte (qu´il ne lisent même pas...), mais pour le nom du peintre et la rareté de l´objet. Dont ce qui, au départ, ressemble à un livre d´art n´est qu´un objet de collection qui, avec le temps, peut prendre de la valeur. Mais même ce genre d´édition devient difficile car les peintresgraveurs célèbres se font rares. Par ailleurs les jeunes artistes ont autant de mal à vendre leurs œuvres que les poètes leurs plaquettes. A tous ces obstacles s´ajoute le fait que pour créer des œuvres d´art ou écrire des poèmes il faut, non seulement du talent, mais beaucoup de temps libre. Peu de gens - à part les retraités et les chômeurs - ont dans nos sociétés modernes du temps disponible pour la paresse et les rêveries créatives de l´artiste flâneur. Les retraités, souvent usés par plus de 40 ans de travail de pure routine (« on vous demande de travailler et non pas de penser... », disent les chefs) n´ont plus rien à dire d´intéressant. Quand aux chômeurs, minés par la mauvaise conscience ou par les difficultés matérielles, ils n´ont guère l´occasion de profiter de leurs loisirs forcés pour écrire des poèmes ou peindre des tableaux. D´ailleurs qui les prendrait au sérieux ? On est artiste par vocation et non pas pour occuper un occasionnel temps libre. « Il n´y a pas d´art à mitemps » ai-je écrit quelque part, mais comment vivre seulement de l´art ? Là réside tout le dilemme de la création artistique moderne... La paresse créative implique une grande disponibilité de temps pour l´art. Qui dit disponibilité dit indépendance économique. Quand l´artiste créateur doit se battre, hors de son 33


domaine, pour gagner l´argent nécessaire pour survivre et pour l´achat du matériel nécessaire à l´exercice de son art, il perd beaucoup de ses moyens. Il faut alors à l´artiste une volonté, une force et une énergie presque surhumaines pour réaliser son œuvre.

suivant : «Boulot-métro-dodo : cette ritournelle désenchantée, voilà ce que j´en entends : le travail qu´il soit pénible ou confortable, ennuyeux ou passionnant exclut la jouissance. Le temps qui passe au travail est perdu pour ce qui me tient à cœur, pour ce qui me fait rêver : la bise acide de l´aventure, l´amour brûlant ou serein, la joie du corps d´où resurgit la nostalgie du paradis perdu. Le temps qui s´écoule et qui fuit, c´est le temps de cette « vraie » vie qui m´échappe. » La poésie est pour certains la seule vraie vie, mais comment expliquer à votre employeur et à vos fournisseurs habituels que, de temps à autre, vous avez besoin de quelques mois de liberté totale pour écrire des poèmes ?... Ivan Illich dit dans « Le chômage créateur » (Le Seuil 1977) : « Tous les gouvernements prônent une force de production génératrice d´emplois, sans vouloir reconnaître que ces emplois détruisent aussi la valeur d´usage du temps de loisir. Tous réclament une définition professionnelle plus objective et plus complète des besoins, sans s´arrêter à l´expro-priation de la vie qui en est la résultante ». Quand donnerons-nous plus d´importance, au bonheur de vivre notre paresse créative, qu´à l´agitation productiviste de nos sociétés modernes ? Quand dirons-nous « assez à la vitesse » ? Le film de Chaplin « Les temps modernes » (de 1936) nous fait encore rire. Le système de production tayloriste nous semble tellement absurde ! Pourtant, de façon plus ou moins subtile et dissimulée, nous avons tous goûté à l´organisation tayloriste, broyeuse d´hommes libres...

Nous devons ajouter aux difficultés matérielles le fait que tout artiste créateur est nécessairement subversif. Soit par le langage, soit par les idées, soit par les questions qu´il pose. L´artiste créateur est un perturbateur de l´ordre établi. Il n´y a pas de grand art conservateur. Donc, quoi qu´il fasse, l´artiste est condamné à vivre dans la tempête. Plus son œuvre sera importante plus grands seront les obstacles qu´il devra surmonter. La paresse créative exige, plus que tout autre activité, des qualités de courage et de sacrifice car rien n´exige autant d´efforts que de ne rien faire. Nous pouvons lire dans « Travailler deux heures » publié par l´association Adret aux Edition du Seuil en 1977, le commentaire

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22ème Rencontres Poétiques de Bourgogne - Beaune Débat du dimanche 2 octobre 2011 « La multiplicité ne nuit-elle pas à la poésie et à sa diffusion ? compte-rendu de Christelle THEBAULT

Bruno Cortot engage le débat sur le rôle de l'éditeur dans la diffusion de la poésie et sur notre tendance à appeler tout poésie, dans notre société du chiffre.

sélection mais dans ce cas, par qui et selon quels critères ? Et il semble difficile de brider la création ! Après l'évocation de l'auteur et de l'éditeur, parlons du spectateur et du lecteur car c'est à lui de faire son choix dans cette profusion. A nous donc, en tant que lecteurs, d'aller à la rencontre des auteurs et d'assumer cette part de rencontres avec certes des déceptions mais aussi de belles découvertes !

Ecrivain et président du Centre Régional du Livre de Bourgogne ces dernières années, Michel Lagrange s'interroge sur le sens de la profusion : est-ce que cela signifie pléthore de créateurs ? Veillons alors à ne pas mélanger quantitatif et qualitatif ! Aujourd'hui, il y a plus d'auteurs qui écrivent que de lecteurs de poésie. On ne peut cependant pas s'affliger que des gens écrivent de la poésie – et encore faudrait-il préciser ce que le mot poésie recouvre - la poésie étant un regard autant qu'une écriture.

Bruno Cortot explique le pourquoi de la question du débat : journaliste au Bien Public et chargé des livres, il en reçoit beaucoup et certains sont mal écrits. Or il doit en parler parce qu'il a reçu les livres mais sans pour autant pouvoir exprimer de critique négative, pour ne pas risquer de perdre des lecteurs pour le journal. Que faire alors ?

Michel Lagrange évoque alors le problème de la diffusion, les éditeurs étant soumis aujourd'hui à une conjoncture économique. Le contraste est important entre les grandes maisons d'édition vouées à faire du chiffre et de la rentabilité et les petits éditeurs qui ont du mal à accomplir leurs tâches. Et la poésie n'est pas rentable...

Michel Lagrange poursuit que le public n'est pas naturellement enclin à aller vers une littérature difficile telle que la poésie : cela doit commencer par l'éducation. Or le problème est réel lorsque certains enseignants ont des ornières alors qu'ils devraient être jardiniers pour ouvrir les jeunes à la culture et à la poésie contemporaine. Et il n'y a plus d'émissions littéraires pour le grand public.

Un bon éditeur est celui capable de flairer un talent puis de se battre pour promouvoir l'auteur. Son rôle est complémentaire à celui de l'auteur qui manque d'esprit critique sur son propre texte.

La poésie suppose une connivence avec l'auteur mais les gens sont transformés aujourd'hui en un troupeau de consommateurs, et la poésie est oubliée !

Professeur de lettres à la retraite, Jacques Thomas repose la question initiale de la profusion de poésie, à savoir si cela va à l'encontre de sa diffusion. Question que l'on peut retourner ainsi : dans ce monde de bruit et de fureur, y-a-t-il trop de poésie ? Ce qui peut s'appliquer au théâtre : y a-t-il trop de spectacles au festival d'Avignon, lorsque nous dénombrons plus d'un millier de spectacles off par jour ? Faut-il une forme de

Avec humour, Michel Lagrange estime être content d'être à contre-courant lorsque l'on voit l'état du courant !

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Jean-Michel Lévenard renchérit que nous sommes aujourd'hui dans la promotion. C'est pourquoi tout semble égal au lecteur : il n'y a plus de véritables critiques, ni de guides pour donner un sens à ce que nous pouvons lire.

le parcours du combattant pour faire le tour des salons ! Il devient dans ces conditions plus aisé de faire de l'autoédition, d'où le paradoxe car il n'y alors plus de critique. Annie Fauchère confirme qu'il est très difficile d'éditer un poète et que la diffusion est difficile.

Jacques Thomas estime que nous avons besoin de guides : enseignants, libraires ou maisons d'édition qui peuvent avoir leurs propres lignes d'édition. Mais ceux capables de discuter avec nous en fonction de nos goûts et de faire un choix parmi les publications deviennent rares.

Or, un bon éditeur doit assumer la diffusion, intervient Michel Lagrange. Bruno Leclerc du Sablon constate que ce débat parle des effets de la profusion. Mais pourquoi y a-t-il tant d'auteurs ? Il participe à des sites Internet francophones et, sur certains, il arrive un poème à la minute ! Si l'on peut juger le poème, l'auteur n’est cependant pas connu. Et même si le poème ne plaît pas, il demeure que l'auteur a un message à transmettre, et ceci est un fait de société important. Regardons donc pourquoi il y a beaucoup d'auteurs et peu de personnes intéressées à les faire connaître.

Michel Lagrange pense que le meilleur guide reste nous-même, avec notre curiosité personnelle qui nous fait découvrir des pépites, ce qui justifie toutes nos erreurs antérieures de sélection. Evidemment nous avons des guides, des anciens en qui nous avons confiance, mais les critiques d'aujourd'hui sont plutôt des promoteurs qui cherchent à vendre des livres. Voici une expérience de Bruno Cortot qui a émis une critique négative sur une pièce de théâtre, ce qui n'a pas été accepté par l'organisateur qui le refuse aujourd'hui en tant que journaliste ! Aujourd'hui, l'artiste n'accepte plus un avis sur son œuvre ou spectacle et le critique perd dès lors toute crédibilité à ne dire que du bien de tout, sans suivre son jugement personnel.

Jean-Michel Lévenard réagit que si cette profusion d'auteurs est ce qui motive le peu de diffusion, cela questionne sur la liberté d'écrire, car beaucoup de textes ne seront pas lus et la poésie perdra de ses formes. Faut-il alors la redéfinir ?

Jean-Michel Lévenard demande à Michel Lagrange si le Centre Régional du Livre pratiquait une critique, car il fallait bien sélectionner les livres aidés.

Bruno Cortot souligne le propre de l'Edition du Prix de Poésie : il faut choisir un manuscrit parmi une vingtaine et c'est le choix du jury ; or un auteur peut se manifester, estimant qu'il écrit mieux que le lauréat.

Non, ce n'est pas sa vocation et surtout cela peut être à double tranchant car selon quelles références critiquer ? N'oublions pas les poètes miséreux du XIXième siècle qui sortaient des normes de l'époque.

Michel Lagrange réagit vivement qu'un auteur disant qu'il écrit mieux qu'un autre finit par se scléroser ! C'est la règle du jeu d'en choisir un et c'est un honneur d'être critiqué par le jury d'un Prix d'Edition.

Michel Lagrange déplore néanmoins qu'une association comme le CRL pourra ne pas recevoir de subvention si elle n'entre pas dans les codes, si bien qu'elle n'aidera pas nécessairement ceux qui en ont le plus besoin.

Jean-Michel Lévenard estime que le milieu « poétique » ne fait pas son métier. A-t-on le courage de critiquer suffisamment ? Car si une critique est négative, le risque est de perdre l'adhérent et la revue finit par mourir... Une critique féroce ne fait pas partie de la règle du jeu.

Dans le public, Jean Chevalot témoigne que si un éditeur accepte un auteur, c'est ensuite 36


Bruno Cortot pense cependant que la critique doit être un support de progression pour l'auteur, qu'il doit l'accepter en tant que telle.

Jacques Thomas revient sur l'exemple du Prix de Poésie, le choix se fait dans la rencontre des exigences des membres du jury.

Michel Lagrange tempère que le poète ou musicien est un être solitaire qui peut être écrasé par une critique, d'où le danger. A chaque revue sa position, une sélection drastique pour Fata Morgana ; une sélection plus douce axée sur l'amitié pour Florilège mais sans pour autant tout accepter !

Bruno Cortot précise qu'il n'y a pas de critères imposés, l'important étant d'aller chercher ce qui est bon, quelle que soit la forme du texte : poèmes, prose poétique... Jean Chevalot intervient pour rappeler que la France est le seul pays à avoir autant de salons du livre et tant d'auteurs !

Michel Lagrange sourit que c'est le versant lumineux des actes de la revue Florilège : les auteurs publiés rendent certainement grâce à l'association !

Michel Lagrange poursuit que la France est certes encore un pays privilégié. Toutefois, la crise actuelle peut être un alibi pour retirer encore des subventions. C'est pourquoi, il ne faut cesser de se battre pour garder ces vitrines que sont les salons du livre.

Jean-Michel Lévenard poursuit que la position d'équilibre est difficile à tenir : il faut une qualité nécessaire et suffisante pour être publié dans la revue qui accepte tous types de textes. Néanmoins, dans le travail critique, l'honnêteté voudrait que l'on rende public un jugement même négatif, avec évidemment tous les arguments.

Bruno Cortot clôt la discussion et annonce quelques lectures du Prix de Poésie décerné cette année au recueil « Célébrations » de Béatrice Kad.

22èmes Rencontres Poétiques de Bourgogne - Beaune Après son beau et émouvant récital du vendredi 30 septembre au théâtre de Beaune, Charles Dumont a pu rencontrer son public à la Chapelle Saint Etienne, le samedi 1er octobre. Il évoque la poésie car il estime que sans poésie, il n'y a pas de chanson. Paroles et musique sont intimement liées dans une chanson, sans que l’on sache ce qui en fait le succès : c'est un mariage sacré. Pour lui, composer une chanson n'est pas le résultat d'un travail : c'est un cadeau. L'important est ensuite la diffusion, elle est décisive car sinon le public ne vous connait pas et ne peut vous aimer ! Le rôle des médias est donc essentiel. Il reconnaît qu'il ne serait pas devenu le chanteur Charles Dumont sans Edith Piaf : il vit dans sa lumière, et non pas dans son ombre ! Et il nous raconte avec bonheur l'histoire de la chanson « Non, je ne regrette rien », la chance de sa rencontre avec Piaf qui a aimé cette chanson, ce qui a changé toute sa carrière.

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NOTES DE LECTURE

Par Louis DELORME n’a plus que bien peu de valeur marchande ? " Assis sur le bord du lit, il répète : / danse ! danse ! / avec son regard d’ogre, / vorace. / Elle connaît la suite..." Seule issue possible, partir ! loin, le plus loin possible. Retrouver son père, un parent ? – on n’est pas certain de rien mais on se plaît à le supposer – sur la terre de ses ancêtres ? – on le pressent – " Elle veut revenir à la source d’enfance / mais où poser sa valise / quand il n’y a plus de nid sur la terre natale, / quand personne n’attend pour lui ouvrir les bras. " La décision difficile. La peur du refus. Et puis le téléphone : " Sonnerie, sonnerie. Pourquoi tremble sa main ? / Il répond. Il est là, caressant de sa voix / la voix qui fait naufrage à l’autre bout du monde..." Je ne veux pas en dévoiler davantage. Le poète nous touche d’autant plus qu’il manifeste une certaine réserve dans l’expression, une sorte de pudeur, qui force la compassion. Après le dégoût et l’abomination. Et de nous laisser perplexes. Comment cela est-il possible, comment peuvent encore exister en ce XXIe siècle, qui devrait marquer le début d’une ère de progrès, ces zones de non-droit où règnent des caïds qui se moquent bien de la justice et de la police, qui font régner la loi du plus fort, du plus cruel, du plus minable qui soit. L’homme a sans doute mis des millénaires avant que la relation sexuelle soit de part et d’autre consentie. Même chez l’animal, on constate une évolution dans ce sens. Les pigeons se choisissent. Et bien d’autres espèces. Le viol est la plus horrible des régressions. J’ai parlé au début de l’impuissance du poète. Certes ! mais cela ne peut – ne doit pas – l’empêcher de crier sa révolte. Celle de Gilles Simonnet nous émeut profondément.

Les lucioles ne brûlent plus, Gilles SIMONNET. Editions le roseau. Chez l’auteur, 20, rue du chemin vert, 91580 Etrechy. Dans une langue sobre, bien cadencée, dont la beauté – au final – souligne l’impuissance du poète face à la terrible réalité, Gilles Simonnet nous raconte l’histoire, – la suggère plutôt – de vers en vers, de page en page, de la fillette qui grandit, innocente encore, et devient la proie convoitée par les loups. " Imprudent fétu de paille tu t’envoles / et c’est toi qui seras mangée." Victime qui subit le supplice et la honte, coupable qu’elle est – au fond – d’avoir suscité la convoitise. " Les escaliers ont peur de l’essaim agglutiné. " C’est la descente aux enfers. La tournante sans doute. "...Le retour de l’école a des airs de défaite. // La fillette ignore que la main / ne joue qu’à jupe vole. // Son cri n’écrase pas les rires." Après cela, elle connaîtra la honte, le dégoût la prostitution peut-être. pour survivre. Les lucioles, ces faibles lumières jaune-vert, quasiment phosphorescentes, émises souvent dans les trous des murs par des larves d’insectes, ( les lampyres ) si nombreuses dans notre enfance, ne brillent plus. C’est tout un symbole. La vie volée, la vie confisquée, la vie violée, la vie gâchée par d’infâmes prédateurs. Au nom de quelle loi stupide ? Impuissance de la victime : "Etre là jusqu’au bout / le cœur à fleur de lèvres, / les yeux secs et la bouche close sur les mots / qui ne trahiront pas la honte. // Etre là où vont crever les rêves. " A l’origine de tout cela, peut-être, le garçon qu’elle aimait qui rêvait d’elle :" Il aimait ton visage / pour l’étonnement de ton regard / et le bronze de ta peau livré en héritage / par les soleils berbères... ", qui l’a peut-être jetée en pâture à d’autres, savoir sous quels fallacieux prétextes : " Il a reçu comme une injure / ta volonté de briser les interdits Ton refus de te soumettre au mirage de la volupté..." Que faire après cela ? Que devenir ? Vendre un corps qui

Intéressante préface de Jehan Despert. Traduction en italien sur des pages-miroirs, par l’auteur lui-même. Cet important recueil m’a inspiré le texte suivant:

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L’horreur a son zénith

lascifs. " Le mot perpétuel est lâché. Il s’agit pourtant d’un flash photographique de l’œil qui observe cela. De ces éclairs particuliers, uniques, la vie est faite, ( à nous de la faire ) le meilleur de la vie, pour qui sait regarder, celle qui n’est pour nous que poésie. L’instant, l’éternité, mais aussi l’infini, tout cela résonne en nous à des degrés divers que l’on privilégie ou qu’on ignore: " Un chagrin dans tes yeux stagne / Comme l’humidité de la pluie / transperce le ciel / Infinie comme un océan / électrifiée et glaciale. / Elle circule entre tes mots / surpris dans le poème. " Et l’écriture justement, n’est-elle pas, elle aussi, " éternisation " de ce dont on est le témoin ? Savoir vivre le présent, n’est-ce pas finalement l’essentiel ? " A présent je ne recherche plus mon soleil. / A présent je le porte au fond de moi, / cicatrice du sens du toucher qui brûle, / tandis que la terre, avec ce vert frénétique, / donne toute sève / arrosant le temps, qui fauchait des attentes aux lettres sans sons, / sur des pierres gravées." Savoir arroser le temps pour mieux le com-prendre, mieux l’appréhender. " Mutation en miroir zoophore mon visage / élabore notre printemps." Pour mieux renaître aussi. Melita Toka-Karachaliou née à Thessalonique s’exprime dans notre langue comme si c’était sa langue maternelle. Le lecteur trouvera sans doute d’autres pistes de lecture, s’attardera, par exemple, sur les idéogrammes – en exergue desquels, l’auteur place deux vers d’Apollinaire, tirés d'Alcools – dans ce recueil d’une grande richesse, d’une poésie vraie qui parle à notre cœur .

Que deviendra l’enfant qu’ils traînent dans la cave Afin de l’immoler sous leurs poignards de chair? Ils sont sept, cagoulés, lâches, pour une esclave, Ne sont-ils pas sortis tout droit de leur enfer ? Ce phénomène abject dans la cité s’aggrave... Fillette de douze ans que n’as-tu pas souffert ? Tes rêves d’avenir, pour décharger leur bave D’infâmes prédateurs en ont fait un désert. Partout, la dignité face au mépris s’éclipse ; Ils sont sept cavaliers d’une autre apocalypse Que celle qu’on décrit dans les livres sacrés ; Qui viendra redresser ce monde qui vacille, Qui ne reconnaît plus l’état ni la famille Et qui soumet le faible à la loi des tarés ?

EN ARROSANT LE TEMPS, Melita TOKAKARACHALIOU, Editions Thierry SAJAT. Arroser le temps, pour quoi faire ? Pour l’entretenir, pour le faire pousser ? On sait que le temps n’est pas extensible. Il nous est compté généreusement ou chichement. Lachésis nous en mesure le fil et Atropos le tranche. Et cependant, le temps n’est-il pas relatif, la durée du chronomètre n’étant pas celle ressentie ? Il est des heures qui paraissent des siècles, nos millénaires ne sont rien, dissous qu’ils sont dans les milliards d’années qui les ont précédés et les autres milliards qui les suivront ; de courts instants paraissent des éternités que rien ne peut plus effacer. Ils ne sont plus mais rien ne peut plus faire qu’ils n’aient jamais été. Le recueil – rien d’étonnant puisque un recueil sert à recueillir – est la réunion de quatre parties : Embrasement d’instants – Phaenô, la veille pélagique – La nuit naît humide – – Idéogrammes. L’instant que l’on saisit, qui n’existe que parce qu’on le perçoit, voilà bien un thème favori du poète : " Sur les rives sans sommeil, où bruissent les myrtes / et bavardent les géraniums sauvages, / une matière sans comparaison recherche son reflet / dans une goutte d’eau qui ne peut se rompre. / Et comme elle est belle, comme un sourire fécond / et quelles cellules perpétuelles filent des messages

POESIES ? Christophe RAFAHEL, Editions à hélice et à éoliennes Bastia L’ouvrage se divise en trois parties, l’unité se trouvant réalisée par la langue et le style: des vers rimés ou non, des alexandrins, des décasyllabes, des octosyllabes... UN AVENT AMOUREUX : Six poèmes d’amour correspondant aux six jours de la semaine du lundi au samedi. L’Avent, dans l’attente du dimanche, jour des retrouvailles. Des textes écrits chacun en trois strophes de six vers, construites sur trois rimes disposées A B C A C B, ce qui donne à l’ensemble une belle 39


SANS LA MIETTE D’UN SON, Aurélie de la SELLE, Editions Tarabuste, rue du Fort, 36170 SAINTBENOIT -DU-SAUT ( 12,20 €)

musicalité. Ces poèmes, très émouvants, sont dédiés à Geoffroy, l’auteur assumant pleinement son homosexualité. Celle-ci n’étant plus tabou, encore que... il est bon de voir un poète trouver des paroles si belles à l’adresse de l’être aimé : «Pour toi, Geoffroy, été de mon automne. / J’écris ton nom, j’assume d’affirmer / Les mots brûlants que je n’ai jamais dits. » ou encore : « Accorde-moi le temps, toi qui me tiens / Le cœur et que je puisse t’explorer / Plus qu’au-delà de furtives brûlures / Voici ma seule vie comme elle vient : /Je l’accorde à la tienne et qu’elles durent / Outre la mort pour mêler nos secrets. L’amour gagne en intensité à mesure qu’avance la semaine : au samedi : « Venant vers toi, Geoffroy, j’avance / Surtout vers moi, cet inconnu / Que dévoilera ton regard. / je vais naître de ta présence / Et par tes yeux je vais me voir / Comme nul autre ne m’a vu.» PRIERES : Douze poèmes constitués chacun de trois strophes de quatre alexandrins non rimés. Dans cette partie, le poète fustige les religions de tout bord, qui toutes pensent honorer le vrai dieu, et qui ont, au mépris de la tolérance, imposé leurs dogmes, évangélisé par la force, massacré les infidèles quels qu’ils soient : « Les empreintes de vous dans l’Histoire, Seigneurs ? / Voici : immolations, croisades, guerres saintes / Des Saint-Barthélémy, des bûchers de la foi / Les femmes opprimées, les ghettos, les fatwas.» L’auteur met volontairement le mot Seigneurs au pluriel, comme s’il y avait autant de dieux que de croyants. Pour qui Dieu existe-t-il ? pour l’homme ? pour toute créature ? « Comment existez-vous, Seigneurs pour l’acarien / Où un juste karma me réincarnerait ? / Sais-je si je ne suis déjà dans l’univers / Un acarien pour créatures d’outre-monde ? Ces textes donnent à méditer. PAPIERS DE SOI : L’auteur écrit en vers libres cette fois : Qui suis-je ? Qui sommesnous ? Que d’interrogations se posent à nous sur l’existence, sur le monde qui nous entoure, la société qui s’impose à nous. Cette vie que nul n’a demandée, qu’en avons-nous fait aujourd’hui? « Là-haut tournent les Pléiades leurs étoiles compagnes / Invisibles désormais éclipsées par l’éclat des villes capitales / Ville maman hurlante de voitures / Maman machine luisant d’enjoliveurs / Finiras-tu jamais d’éloigner ton enfance / Juste un jeton dans les flancs de métal : Que peux-tu acheter Tu l’as perdu d’avance.» Automatismes, automates, programmes, n’allons-nous pas finir dans un monde sclérosé ?

... Je suis sourde de naissance : ne soyez pas surpris si vous m’entendez parler malgré ma surdité, je ne suis pas "sourde-muette " car je voulais, je veux, je fais l’effort de parler pour m’ouvrir vers vous tous. C’est cette confidence que nous fait Aurélie de la Selle sur le rabat de la couverture du livre. Les poètes ne sont pas tous malentendants mais ils nous parlent souvent de leur solitude, cette solitude qui est inhérente à tout être humain, si entouré qu’il soit. Cette solitude s’accompagne du silence. Les deux ne font souvent qu’un. Solitude qui vient de ce que les autres nous sont extérieurs. Si intimes soient-ils. " Dans le frisson / Tout au fond de ma cellule // je tourne en rond / sans aucun bruit // je vis là / Assise sans parvenir / A percer ce silence // obsession dans mon approche des autres / je taquine mon émotion / Mousse silencieuse..." ( in " AIR DU TEMPS " ) L’approche des autres, presque impossible, voilà bien les germes de la solitude. Chez quelqu’un qui n’entend pas, le silence prend, bien évidemment, une autre dimension. Le mot, avec tout le poids qu’il suppose, apparaît une douzaine de fois dans le recueil, relayé par l’adjectif ou l’absence de bruit. Mais nous dit encore l’auteur, je voulais, je veux, je fais l’effort de parler pour m’ouvrir vers vous tous. C’est la vocation même du poète que de s’ouvrir aux autres, de leur faire partager sa solitude et l’angoisse qu’elle génère ; c’est cette tentative de communication, plus ou moins réussie qui fait la noblesse de toute poésie. Nous ne sommes pas différents les uns des autres, c’est ce qui peut et doit nous rapprocher. Victor Hugo l’avait bellement exprimé. Cette ressemblance nous rend les choses plus supportables, moins amère notre condition : "Dans le regard des autres / / Que de solitude // Même si votre chaleur / me touche // Mon esprit vagabonde / étrange solitude / Dans laquelle je vis." ( in " VISION " ) La ressemblance s’arrête peut-être là. Elle ne nous permet pas de mesurer le degré de solitude de celui qui n’a jamais perçu un son. Cette solitude pourtant si nécessaire au poète qui a besoin de se couper du monde pour enfanter, si 40


Il faut parcourir ce recueil et s’arrêter ici et là, revenir en arrière, aller de l’avant. La variété est grande et permet le vagabondage. Le poète a beau être désabusé par la vie, il ne peut s’empêcher de la chanter : " Ne trompez pas la vie / le ciel sur cette terre / n’est plus rien aujourd’hui / qu’une noirceur amère. // Pourtant je recommence / infatigable idiot / à pousser ma romance / au lieu de l’adagio. " ( in " Indifférent " ) Cette vie, ce que l’homme en fait, il faut bien l’assumer, la dénoncer, sinon la changer : " Ceux qui sont engloutis sous la boue à Verdun, Ceux qui sont torturés, déportés, massacrés / ceux qui sont blonds, armés pour fusiller les bruns / Ceux qui parlent la langue à jamais inconnue... ( Et c’est là que le bât blesse ) // Ceux qui pieusement sont montés à l’assaut / défendre la terreur ou les puits de pétrole... Ce n’est pas toujours de la nation qu’il s’agit. Entrez dans ce recueil comme dans un paysage, dans cette " Poésie entachée d’images et de mots. "

délectable quand on peut la faire cesser à tout moment. Notre poète n’est pas pessimiste pour autant : " Retiens ton souffle / Pour déjà éparpiller // Cinq feuilles de coquelicot // Protège ton cœur / Après l’ondée// Ta vie prend forme // Avec le temps " ( in " POURPRE " ) Aurélie de la Selle nous fait encore cadeau de ses aquarelles (autant que de poèmes) qui d’une touche légère, presque enfantine par moments, nous permettent de mieux entrer dans le texte ; et, ne nous y trompons pas, d’une belle spontanéité, dans des tons délavés qui en font la richesse.

LE RECITAL, Michel BEAUGENCY –– Editions les Poètes français Il s’agit bel et bien d’un récital, tant l’auteur excelle à donner du rythme à ses poèmes dont on enchaîne la lecture sans discontinuer, qu’il s’agisse de mètres courts ou longs, de vers libres ou mesurés, rimés ou blancs. Et c’est bien cela l’essentiel en poésie. Après, bien sûr, il y a la profondeur de pensée et les images. Exemple de vers libres ( le mot ne me plaît guère mais puisque tout le monde l’emploie cela permet de se comprendre.) : "Que dans les ténèbres / Toutes les étoiles soient mes yeux qui t’admirent / et que ton ombre dans la plaine danse / éclairée par les feux vifs / et les flammes mortes de tous les astres. " Le rythme est une longue sinusoïde qui déroule ses spires. Le poème est fort beau et mérite d’être poursuivi" Que mon corps en paroles, en caresses soit cet air / et cette eau qui pénètrent ta chair / par les moindres pores de cette peau si douce / respirant l’amour de toutes ses forces, / que la nudité de ton corps se dresse / de la terre jusqu’au ciel..." La poésie se veut musique. "Avant toute chose" dirait Verlaine. Mais en musique, s’il y a la symphonie, il y a aussi la fantaisie. Exemple de mètre court, ou quand la rime coupe l’alexandrin en quatre : " Nous baisons / à Paris / des garçons / très jolis. // Nous gagnons / des amis / et dansons / jour et nuit. // Nous perdons / nos Q. I. / et rendons / les maris, // effaçons / les ennuis / et partons / étourdis. " Sorte de solo pour ce merveilleux instrument qu’est la voix.

CATHEDRALE DE PAILLE, Joëlle MESNILDREY - - Autoédition A quoi pouvait bien songer Voltaire lorsqu’il prédisait que viendrait un moment où le poète se ferait aussi philosophe ? J’oserai dire qu’il pensait que l’homme, le poète, viendrait à considérer sa condition comme objet poétique et à exprimer son effroi par le jeu des mots, face au côté absurde de la vie. Pris dans ce sens, tout homme doit être philosophe, le poète à plus forte raison. C’est avec une grande acuité que Joëlle Mesnildrey explore cette face si atroce de la vie, lorsqu’on l’examine sans espérance, sans pouvoir essayer de s’émerveiller devant cette beauté des choses chère à Louis Aragon. «Orphée, ne te retourne pas ! », supplie le poète. C’est quand même qu’elle espère autre chose que cette perte d’Eurydice qui nous a tous attristés lorsque, jeunes potaches, nous traduisions les pages d’Ovide. Une rédemption, qui sait ? Une vraie rédemption effacerait le mal, comme s’il n’avait jamais été. « Orphée, prends ta lyre ! / Ne te retourne pas / Dans les nuages, un sourire / La mort est à double visage / La mort est à double vivant. » 41


La Cathédrale de paille, quel beau titre ! la paille, si fragile lorsqu’elle est simple fétu, ne peut-elle gagner en force et en vertus ? Peut-être, nous laisse espérer l’auteur, si l’on érige une cathédrale en entassant les bottes d’un champ. Le doute est là pourtant : « L’existence ne serait-elle qu’une cathédrale de paille, / Qu’une seule étincelle pourrait embraser.» On sait précisément ce que donne un feu de paille. Belle source de poésie, néanmoins. Ah ! s’il n’y avait pas la souffrance. L’auteur exprime la sienne, intense, ô combien! par petites touches, sans nous en révéler la cause. Si ! tout de même dans les dernières pages du recueil : la perte d’un frère mort sans sépulture : « De ma prison de terre, un jour, je sortirai / Tu n’as pas enseveli mon frère / Je ne peux le pardonner / J’ai traversé le Styx, parlé au nautonier / Mais son cœur de fer ne m’a pas écouté. » Antigone et son mythe ! Quelle belle fierté ! Peut-être pour finir, une lueur d’espérance, mais bien ténue ; la dernière page nous l’offre : « Quel est ce chant dans les cendres du soir ? / L’entendez-vous monter jusqu’aux étoiles ? / Quelle est cette voix aux lèvres de marbre / des silences défunts revenue ? / Cesse le doute, renaît l’espoir.» On espère pour elle et on souhaite ne pas se tromper.

INSTANTANES, Editions Baudelaire

Albane

amitié, une complicité, / Qui a commencé on ne sait plus quand, / Au détour d’un berceau et d’une famille ancrée / Dans cette terre depuis plus de mille ans " ( Haute-Loire ) C’est encore le portrait de l’être cher, et nous entrons plus encore, pour l’occasion, dans l’intimité de notre poète. " Ton profil quelquefois dur, quelquefois tendre / Tes mains parfois sévères, parfois douces, / Tes yeux parfois bleus, parfois gris méandre, / Tes bras qui ou m’attirent ou me repoussent... " ( Ton image ) Plus que cela encore : se fondre dans celui qu’on aime : " Comme le lierre du mur, / J’aimerais envahir ton cœur, / Et prendre racine dans ta vie, / Pour m’y épanouir pleinement... " ("Chez toi" ) On ne peut rester indifférent. On a plaisir à cheminer aux côtés de l’auteure, si féminine, de partager ses doutes, ses craintes mais aussi son espérance. On se sent si près d’elle. TON AME EST UN SOLEIL, Marie-Odile BODENHEIMER, Publibook Le soleil est un symbole récurrent en poésie. Tout comme il est la vie, il est la joie, il est le rire, l’énergie qui nous pousse, nous stimule. Rien d’étonnant à ce que l’âme soit un soleil ellemême : " La conscience éveillée / Au mouvement de la planète / Ton âme est un soleil // La joie de reconnaître / Le temps de la fête de la terre/ Les yeux émerveillés / Ton âme est un soleil.". Ce poème éponyme est le dernier du recueil, la conclusion qui résume tout de la vie, cette vie qu’il faut savoir apprécier, goûter dans toute sa splendeur, toutes ses saveurs : "Ensemble nous écoutons la chanson du monde / La musique de la fête pastorale / Le murmure du vent dans la campagne / La symphonie de la mer". Etre attentif aussi aux souffrances des autres : "Dans sa chambre d’hôpital / L’enfant triste / Souffre et pleure / de ne plus voir le ciel clair." Accepter la différence, accepter ceux qui n’ont pas de patrie :" Les peuples de l’errance / Accablés par le poids de l’inexistence / ont perdu leurs repères et leur identité / Dans la nuit sans étoile de la destinée. // Les peuples de l’errance / Recherchent les signes immatériels / Les rituels et les souvenirs cultures / De leur appartenance. " L’auteur nous environne de toutes ses expériences.

CHARIEAU,

Mélange de courtes proses et de poèmes qui sont autant d’Instantanés, saisis sur le vif de la vie quotidienne, ou resurgis des souvenirs. Scènes de rupture, sentiment de solitude, promesse d’amour, mensonges, poursuite de l’inconnue, observation de la voisine, rencontre manquée, les blessures, l’incommunicabilité entre les êtres... tout cela nous fait entrer dans les rêves de l’auteure mais aussi dans ses doutes, ses angoisses peut-être. Le décor est celui de Lyon, de Paris et de sa banlieue... mais nous sommes aussi entraînés vers la campagne, sur les rives de la Loire, les Hauteurs des Cévennes, le bord de mer. On sent l’importance du paysage dans le vécu. Revient également une image d’enfance, obsessionnelle mais aussi consolatrice : " C’est une longue 42


est un supplice " La poésie quant à elle, n’estelle pas un rêve à deux ? " pour célébrer la poésie / es-tu entrée / dans ma vie / par effraction ? // pour entrelacer nos plumes / peutêtre / avons-nous offensé / quelque sainte ?..." "Poésie est-elle vin du diable" s’interroge encore l’auteur dans le texte qui fait la transition entre les chants IX et X. "Avoir besoin de poètes, comme la chair a besoin de sang", entre les chants X et XI. Lorsqu’il aborde le chant XIII, l’auteur prend de la hauteur, de la distance. Il entre dans le cosmos pour se situer, je pense, souligner notre petitesse : " remue-ménage / d’atomes / à fleur de turbulences // là se forgent / en sphères virtuoses / les dédales de l’infini ". Mais le poète revient vite à la vie – à l’amour – car il n’y a qu’elle au fond qui compte véritablement : "une goutte de ton miel / à ma sueur // une parcelle de tes larmes / sur mon front // une part de ton être / à mes entrailles // juste un peu de toi." La vie aussi dans les petites choses pour qui sait regarder, apprécier, se délecter : " un lys martagon / fait le fier à bras / une volée de renoncules / réinvente un matin / sans herbes mauvaises / et pommes perdues." Le doute resurgit dans la dernière strophe du dernier chant: " le plus bel amour / n’est-il, quelque part / apologie du doute ?" mais on sent bien alors que le poète a fini par le transcender. Il faudrait dire encore quelques mots des belles structures que nous propose le poète, lui qui nous dit encore – toujours en manière de transition – " A ton enclume compagnon ! pour forger un bout d’éternité. " et plus loin : " la grâce est au miracle ce que la dentelle est à la soie." Un exemple de ces édifices de mots : " il n’est pas rare / de voir nos constructions / se vêtir de rouille / comme d’une houppelande / peau tierce / au rituel des heures // comme si le destin / changeait son axe / pour emprunter au doute / un chemin de traverse / gavroche fuyant / le carcan de la raison." ( les dix strophes du poème s’articulent avec bonheur sur ce : " il n’est pas rare... comme si..." Ce sont bien véritablement des chants. Il convient de souligner encore la belle langue de Claude Luezior qui peaufine chaque image. Les citations qui précèdent vous en donnent un avant-goût. Dans sa dédicace, Claude m’intronise son compagnon de mots. Comme je suis fier d’être à ses côtés pour partager cet amour du texte, de la langue, en tâchant de leur faire honneur !

EPURER LE DOUTE Claude LUEZIOR, éditions de l’Atlantique.Collection PHOIBOS

En premier lieu, il s’agit d’un beau livre : cela ne gâche pas le contenu. 72 pages sur papier couché, nacré, à grain, de fort grammage, édition limitée à 250 exemplaires, tous numérotés. Conception maquette, conception et réalisation graphique du logo de couverture signée par notre amie de longue date, Silvaine Arabo. Epurer le doute ? Le titre nous est redonné – mais est-ce bien la clé ? – à la page 33: "pour avoir épuré le doute, / nos fleurs / une à une / se sont-elles éteintes ?" Si nous considérons l’ensemble du recueil, il se compose de 19 chants – c’est moi qui les nomme ainsi – séparés par quelques lignes en prose qui nous donnent de brèves indications de lecture. On pourrait détailler chacun d’eux : le premier est un hymne à l’automne : " l’arrière-été / chancelle / dans ses éboulis / de nuages... Et si le soleil / déçu de nos larmes / s’était volatilisé pour toujours ? " L’interrogation, le doute qui vient peut-être du déclin de la vie. " Le doute est un démon bienfaisant," nous dit un peu plus loin l’auteur. " le vent aigre / un à un éteint / les lampions / des roses... mais pourquoi donc / cet automne / qui assassine / tant de chlorophylle. " La solution ? Savoir profiter de la vie :" apprendre peut-être / à caresser les plis / de chaque instant / au tamis des jours." Le second chant est un beau chant d’amour : " aux confins de tes ombres / ces humides caresses / où dansent tes courbes / celles où nous avons perdu / nos dernières droites lignes... Un chant qu’on voudrait voir perdurer à jamais " au bord de nos vertiges / ces mains incertaines / par nos yeux nouées / celles qui supplient / que la caresse ne s’arrête." Le doute n’est-il pas, au fond, le temps qui passe ? Ne suis-je pas en train d’interpréter ? Je ne m’en défendrai pas car c’est bien là, la richesse de Claude : nous pousser à construire, par delà ses mots, notre propre poésie. La poésie, justement : il en est question au chant VIII mais le chant VII, déjà, souligne la souffrance qu’est l’écriture, par-delà la joie qu’elle peut procurer : " construire / est un dédale / graver mes mots / 43


éditorial par ces mots :" Il y a plus que de l’évidence dans la conception qui veut que l’art, comme le poème qui procède de la même quête, soit un surcroît de vie, de vigueur, de vitalité... telle la vie même deux fois goûtée." Les instances qui nous gouvernent qui n’ont souvent que mépris pour la poésie feraient bien de méditer cela. La poésie doit retrouver un rôle dans notre société. ( Abonnement, 4 numéros 38 euros. A l’ordre de Daniel Martinez 8, avenue Hoche - 77330 Ozoir-la Ferrière )

DIERESE,revue trimestrielle Parmi les nombreuses revues de poésie, rares sont celles qui ont un vrai souci culturel profond. Diérèse est de celles-là. Son fondateur, Daniel MARTINEZ la porte à bout de bras depuis mars 1998, date de sa création et nous en sommes au numéro 54. C’est dire l’effort que cela a pu représenter quand on sait que beaucoup de revues ne dépassent pas le nombre 20. Ce numéro est consacré, en grande partie à Richard Rognet à qui vingt-six pages sont offertes : une poésie dense, bien sentie, donc porteuse de sens, qui utilise le schéma du sonnet, les vers de douze, onze, dix syllabes –– des vers coupés à la Rimbaud, le Rimbaud du Dormeur du val : "Je passe près de moi, sans reconnaître qui je / fus, et les oiseaux s’envolent et les fleurs / se referment. Bien des gens que j’aimais sont / si vite partis que je ne sais plus où poser / / mes regards, ni comment recevoir de nouveaux / sourires , bien des gens qui savaient comment / battait mon cœur lorsqu’ils serraient ma main / où marchaient à mes côtés avec l’espoir pour // but. ." On oublie très vite ce découpage insolite pour n’écouter que la voix du poète. Une voix souvent sublime. Suivent les hommages poétiques des poètes contemporains majeurs que sont Guy Goffette, Jacques Réda, ainsi que Pierre Dhainaut, Yves Leclair, Jean-Luc Steinmetz, Anise Koltz et Daniel Martinez lui-même. (Je ne les cite pas tous.) Une seconde série d’hommages (de la page 77 à la page 133) complètent ce vaste panorama, sur un auteur qui en vaut la peine, par une série d’analyses de l’œuvre en général et de textes en particulier. Daniel Martinez nous offre encore un florilège de poésie et notamment des œuvres traduites de l’allemand, de l’anglais, du croate en version bilingue. Mais une revue ne saurait être complète sans la recension des livres récemment parus : plusieurs critiques se partagent cette tâche sur une cinquantaine de pages encore. Trois pages encore de lettres laissées à la diligence de Valence Rouzaud et nous voilà rendus à la page 270. Diérèse n’est pas qu’une revue copieuse. C’est une revue de qualité et de forte teneur culturelle. Comment ne pas laisser la parole à Daniel Martinez, lui-même, qui commence son

L INCOGNITA, Revue littéraire – Hors-série N°1 Ce hors-série est consacré à Lucienne-Grâce GEORGES, partout fêtée cette année, et à juste raison. Pour la raison poétique bien sûr, (elle a reçu de nombreux prix, parmi les plus éminents) mais aussi pour les nobles causes où elle s’est engagée corps et âme. C’est ce que souligne Jean-Paul Mestas dans son article intitulé :"Les roses de Blida, une chance nimbée de plénitude." Que dit J. P. Mestas à propos de Réflexions faites, un des récents ouvrages de l’auteur ? " Notre héroïne incarne la voix d’une vie généreusement promise à ceux qui ont souffert et se sont retrouvés cloîtrés dans la solitude. " Et il cite : « Je serai toujours là / où toi-même tu seras / Viens... Je te guiderai ». Lucienne Grâce Georges a connu le drame de l’Algérie, le déchirement que fut l’exil des rapatriés : « Mon pays m’est à fleur de peau / Il est dans un vol d’hirondelle / Dans le sable fin d’une plage déserte. » Notre poète a gardé un profond attachement à sa terre natale. « Entre la rose et l’oranger / Je pris un jour source à Blida / Je fus l’enfant d’un bel été / Qu’on surnommait Esméralda. » Elle nous confie son admiration pour Albert Camus, notamment le Camus qui laissa, lors de son décès accidentel, en 1960, les notes qui allaient conduire, beaucoup plus tard, à la publication de son livre posthume : Le premier Homme. De nombreux écrivains rendent hommage à Lucienne-Grâce Georges dans ce numéro spécial. Catherine Girard-Augry, entre autres, qui nous livre une analyse intéressante de son parcours poétique. Tout un florilège de poésies de Lucienne-Grâce Georges nous est aussi offert. 44


Laissons pour terminer la parole à notre poète : "Je ne me lasserai jamais de dire que tout ce qui bouge, qui respire et qui vit, a trait à la poésie. En effet, la poésie est aussi nécessaire pour surmonter les difficultés de la vie que le sont les éléments naturels pour survivre."

avoir laissé aborder ses seize ans. Une gamine, j’ose le dire, mature de bonne heure, qui nous surprend par la justesse de ses images et la force profonde de ses écrits. Qui a pris ses marques dans le jardin de son enfance et y a gravé les siennes pour notre grand bonheur de lire. Comment ne pas se demander ce que serait devenue la poésie d’une femme de trente ans ou plus, si le destin lui avait permis d’atteindre ce palier ?

MONTAURIOL-POESIE, ETE-AUTOMNE 2011 – N° 83-84 "La poésie est un art rebelle aux définitions", nous dit Florence DELBARTFAURE, la présidente de l’Association, dans la Préface. Définir c’est limiter, restreindre, alors que le domaine de la poésie est illimité étant donné que, par essence, elle explore l’infini, l’absolu, l’éternel. Les poètes qui s’expriment dans la revue nous en donnent la preuve : ils sont d’une grande diversité, quant à la forme et quant au fond. Chacun à sa langue, ses mots, ses tournures magiques qui leur donnent un style. J’ai l’habitude de dire que la Poésie est un éventail qui s’ouvre à 360°. Nous en avons encore là la démonstration. En citer un seul serait faire injure aux autres. Mais une fois n’est pas coutume : je veux saluer Mélanie Fafonteyn et Pierre Guérande que j’ai publiés dans Soif de Mots. Je voudrais souligner également la qualité constante des illustrations d’Üzeyir ÇAYCI Nous retrouvons, dans ce double numéro, bien des noms qui nous sont familiers, de poètes qui poursuivent inlassablement leur travail de Partisans d’art puisque la revue se veut telle. On peut aussi enlever le P. Car être poète, c’est aussi être un bon artisan. Mais le mot partisan me plaît puisqu’il rappelle le mot rebelle que la présidente a employé pour qualifier la poésie. La poésie est résistance, résistance à la laideur d’où qu’elle vienne. Cette préface ou éditorial, pour revenir à elle, fait référence à Jean-Paul Sartre, celui des Mots, qui nous a enchantés en nous contant sa découverte de la langue, à Robert Sabatier qui fait du poète un laveur de mots, ainsi qu’à d’autres écrivains dont les textes ne manquent pas de pertinence. La Rubrique "Exploration poétique" nous raconte ce qu’est le blason en poésie, nous relate un peu de son histoire, et donne un bel exemple avec un poème de Paul Eluard. La Rubrique " Découverte" est un court essai sur Sabine Sicaud (1913-1928) qui fut poète seulement, hélas ! de 1919 à 1928, puisqu’une triste et douloureuse maladie, contractée suite à une blessure au pied, devait l’emporter sans lui

Par Rome DEGUERGUE Membre du PEN Club français de la Société des Poètes Français http://romedeguergue.over-blog.fr

Flagrant délire, Claude Luezior, éditions de l’Atlantique, collection PHOIBOS, 2011, édition à tirage limité, numéroté et réalisé sur Papier de création blanc nacré, grain subtil, 70 pages, 18 euros. Les textes du nouveau recueil du poète, romancier, nouvelliste suisse, Claude Luezior ne comporte pas de titres. Alternativement sur la page gauche, puis sur la page droite se posent, tantôt des poèmes précédés d'un chiffre romain, tantôt une phrase en prose, sans titre, sans chiffre romain, sorte de maxime, tel ce vrai / faux question-nement, à la page 33 : « Et si les sentences n'étaient que mensonges et les poèmes, feux follets ? ». La clé de cette écriture résiderait-elle ainsi dans l'annonce pré-citée qui souligne et renforce le titre : « Flagrant délire » ? Délire assumé, visible puisque flagrant ou bien encore délire, comme dé-lire ? S'agit-il ici d'un clin d'œil adressé au lecteur, auquel Luezior conseillerait de désapprendre à lire ? Ou bien encore de textes vagants à prendre tels quels ? Une étrange exhortation à redéfinir le pacte entre auteur et lecteur serait ici ponctuée de cette énigmatique et inédite phrase préfacière de Nicole Hardouin : « C'était comme cela, avant le 45


premier cri de la matière. ». On pourrait aussi y entendre une invitation à reconsidérer l'esthétique d'accents poétiques, via la pratique éprouvée d'une lecture différenciée, surprenante et le premier vers du poème I ne s'ouvre-t-il pas justement sur une véritable injonction : « étonnemoi ! » p. 7. Ainsi, de poème en sentence & de sentence en poème, Luezior trace-t-il cette écriture ciselée, « en plein cintre pour exorciser les arcatures de l'oubli ». Ecriture empathique, forte du poète mêlant sa voix à celles de « l'inapaisé », du sans-papier, de boat-people, sur « un improbable esquif », à ceux qui « passent pour des idiots / ceux qui savourent / les mots avec délice / au lieu de marteler / le bronze pour la guerre / et les cuirasses en acier », à celle aussi d'un artiste-peintre, auquel il dédit un poème sur le thème de la neige, pas forcément toujours d'une blancheur pélagique. Ecriture amoureuse : « goûte mon Amazone / ton appétence pour moi / la folie de nos pastels / et l'abondance du levain » p. 34. Ecriture rêveuse : « Sur les traversées du ciel s'écrivent des condensations : hiéroglyphes d'anges ou graffitis de kérosène ? » p. 15. Ecriture réflexive destinée à prendre une nouvelle fois conscience que toute liberté a son prix : « dans sa niche / la chienne / rêve aux renardes / et dans leurs tanières / les renardes / muettes / lèchent leurs plaies. » p. 38. Ecriture du plus quotidien des quotidiens qui rassure, alimente les sens, rythme les saisons, tel qu'ainsi décrit : « le temps est venu / des mirabelles imberbes / des prunes et confitures / qui lentement moutonnent / dans des marmites / bouche bée / et le sucre candide / compte ses bulles / couleur caramel / (…) p. 16. Tableaux de la vie au quotidien dans laquelle Luezior en fin de recueil semble aussi convoquer une mère, « dans les flaques / de ma mémoire / luit Celle / qui encore préside / aux fidèles embruns / de ma destinée (…) p. 51, ainsi qu'un père en une « exigeante alliance / d'une légende paternelle / et d'un scribe en désarroi (…) ne riez pas vous autres / c'était du résistant / accroché à ses roches / à l'aplomb des dictatures / pour seules armes / croyez-en mes aveux / un fusil, dix cartouches / et l'orgueil tenace » p. 55. Une mère, un père... à

la fois légitimes, biologiques, symboliques et célestes. Les siens, les nôtres ? Sensibilité, sensualité, reconnaissance de ce qui est, de ce que l'on éprouve, découvre, lors des petites messes de la vie, colorées d'épiphanies plurielles, comme « aux grandsmesses de vie » où Luezior appelle dans un mouvement de mémoire à effet pendulaire inversé : « la fulgurance d'un regard / celui du crucifié » en « ces instants sacrés / où sourit une femme / non seulement celle / pieuse gardienne / du linceul défroissé / au Mont du Crâne / mais celle d'une eucharistie / où sédimente la tendresse / en singulière liturgie / (…) p. 23. Mais Luezior, en voyageur accompli ouvre aussi un espace mental où s'engouffre la mémoire défunte. Il établit des correspondances entre le voyage qu'il effectue réellement et les mémoires palimpsestes des hommes et des dieux en « un dédale de lumière / où se côtoient furieusement / Zeus, héros et saints / au seuil de leurs passions » près d'« une côte pour Spartiates / Ulysse, Argonautes / Héllènes visionnaires / et batisseurs d'Acropole » et d' «un promontoire trois fois sacré / où les lèvres des moines / sont teintés par le sang / d'un Christ pantocréateur. » p. 25. Par delà les maux et la fureur des hommes, Luezior, avec une humanité non galvaudée s'attache à apporter du réconfort aux petites gens, à ceux qui sont en souffrance, en déshérence et dont le destin souvent tragique, la sincérité et le courage touchent le poète qui répond aux xénophobes, aux détracteurs de tout crin : « pour insulte, on nous dit poète / (…) / mais je n'ai de compte à rendre / qu'à la brise et aux vents » p. 13 quant bien même « passent pour niais / ceux qui perçoivent / au-delà des miroirs / poètes et troubadours / récitant leurs couleurs / quand il n'y a que la nuit » p. 19. Quand il n'y a que la nuit... On croirait entendre le renard dire au petit Prince : « on ne voit bien qu'avec le cœur ; l'essentiel est invisible ». Pas pour tous, car tel un félis catus Luezior voit, observe, élabore une lecture flagrante, mue par une déflagration d'intention et d'intuition intérieures qui progresse de détonations en étincelles, pour générer une 46


lucide énumération d'états d'êtres et de choses, de rêves réels, parfois délirants, dérivants, par force à la frange de mémoires singulières, ancestrales et cosmiques, à l'aide d'une savante économie de mots, faits de sable, de calcaire, d'argile et de vent. Car la poésie de Luezior – ne nous y trompons pas – embrasse vraiment la terre qu'il réussit à habiter en poète. Ainsi, « abondante et farouche / l'herbe des prés / jubile de frôlements / quand la sève du poète / en ses racines bouillonne » p.70. Le moment est alors venu de réfléchir aux conséquences durables de la lecture de cet ensemble de textes pérégrinant à travers les époques et le temps et que le poète, l'homme, Claude Luezior qualifie, avec une sorte de geste à la fois rebelle et empathique de « flagrant délire » en miroir à notre condition : humaine, trop humaine.

modération » a-t-il mentionné lors de sa dédicace au salon du livre de Talant. Alain n’a pas changé, il est toujours aussi sympa, l’œil à l’affût, et il part du principe qu’il faut tourner sept fois sa plume dans l’encrier avant de l’utiliser. Si vous êtes témoins de coquilles pleines ou vides, mais surtout perlières… n’hésitez pas à lui en faire part, toutes cocasseries de votre part seront les bienvenues. Et puis rappelez-vous cette pensée de Jules Renard en mars 1903 : « Il n’y a que les erreurs qui donnent du prix à la vérité » Le mot juste Rénovation et implantation de toilettes publiques à Dijon. Intitulé « les Dijonnais disposent de quarante petits coins ». L’article (Le Bien Public, 14.04.2004) commence ainsi : « La municipalité, à l’écoute des besoins des Dijonnais… » Précision anatomique A la rubrique « perdu/trouvé » (Le Bien public, 02.07.2008) : « perdu quartier Maladière, chatte femelle ». Pas de pot « C’est grâce à l’école de sa fille que le poteau rose a été découvert » (Le Journal de Saône-etLoire, 20.11.2009) Œil gourmand « un jambon persillé peut émouvoir les pupilles gustatives » (Les Dépêches, 19.19.1982) Authentique « A vendre salon 5 pièces Louis XVI, fabrication avant-guerre » (Le Bien Public, 21.10.1957) Gonflé « A vendre poupée gonflable, encore bon état, cause mariage » (Hebdo Dijon, 15.05.86)

Par Stephen BLANCHARD La presse de Bourgogne en folie, Alain SCHNEIDER – Ed. Le Bien Public, Bd Chanoine Kir 21000 Dijon – 96 p. ; 8,90 €. alain.schneider21@orange.fr Après « la vie du bon côté » et « ça ne s’invente pas ! » l’auteur revient sur le devant de la scène pour nous présenter un nouvel ouvrage ou se mêlent 750 coquilles, perles et autres drôleries. Cet ancien journaliste du « Bien Public » (également chroniqueur à France Bleu Bourgogne) et que j’ai bien connu en 1974 lors de la création de la revue Florilège ne m’a laissé sous sa plume que de bons souvenirs lorsque chaque matin je découvrais pour mon plus grand bonheur les perles rares péchées au plus profond des pages de la presse régionale française. Erreurs jubilatoires… et donc excusables, coquilles désopilantes, typographies involon-taires, tout un « gratin de coquilles à déguster sans

Chat alors ! Titre des Dépêches (13.O3.1980) Opération nécessaire « L’ex-chah souffre de la rate » Plein la vue « Maison de Marsannay-la-Côte, Loto des aveugles », annonce Le Bien Public du 30.04.2005. Parmi les premiers lots : App. Photo num., DVD, home cinéma…. » Fallait pas ! « M. Gueyrard remercie très sincèrement les pompiers et les habitants de Nod de leur 47


participation à l’incendie de ses bâtiments » (Châtillon-Presse, O1.10.1954) Frappée « Une certaine Mme… a tenté de mettre fin à ses jours en s’empoisonnant à coups de marteau. » (L’Yonne Républicaine, 23.03.1956)

l’intégration profonde des émigrés russes à la France, un attachement que la seconde guerre mondiale amènera aux limites de l’héroïsme, puis face aux incertitudes, l’oubli ou l’adoption de l’ancienne patrie ou « le pays perdu ». Illustrée par la dijonnaise Nicole LAMAILLE, ce roman est surtout « un devoir de mémoire »… car tout peut recommencer un jour ou l’autre. L’auteure, poète également est membre de l’association « les poètes de l’amitié » et a publié de nombreux recueils. Contacts : Mme Andrée ALEXANDRE (Alexandra Ythier), maison de retraite « jasmin », Route de Voisines 89260 Thorignysur-Oreuse (25 € pour chaque roman)

Et puis pêle-mêle : « les discours ont débuté par une minute de silence » (Le Bien public, 27.02.2003) « Vol à main armée au magasin ATAC » (Le Bien Public décembre 2003) « Le numéro 47873 gagne un voyage aux Lentilles » (Les Dépêches, 19.12.1982) « A vendre crottin de cheval, sacs de 30 kilos, Heures repas (Châtillon-Presse, 13.03.1983) « Place Vendôme avait été organisé un spectacle Con et Lumière » (Le Bien Public, 09.04.1957) « Chatillon-sur-Seine : Portes ouvertes au centre éducatif fermé. » (Le Bien Public, 29.11.2006)

par Jean-Michel LEVENARD La double mort d’une République ordinaire, Jean Guiloineau (Dessins de Jean Kerleroux) – Editions Mutines, 34 rue des Vernottes – 21110 Cessey sur Tille – 110 p. ,12 €. http://editions-mutines.over-blog.com/

Je vais terminer cette lecture sur une citation de l’écrivain Henry de Montherlant extraite de « ses carnets » et que notre ami Alain Schneider adore plus particulièrement : « En annonçant de bonnes nouvelles, on se rend aimable. En en annonçant de mauvaises, on se rend important ». Chers lecteurs, n’est-ce pas qu’il faut prendre la vie du bon côté ?

Aurais-je sous-titré cette analyse pamphlet, tel qu’il est fait ici ? Sans doute non, car c’est risqué de laisser croire que le traitement du sujet relève de la diatribe, de la charge. Or, si le ton est enlevé, la phrase vive, le propos correspond bien plus à celui d’un travail historique soucieux d’argumentation. Jean Guiloineau remet en perspective la 4° et la 5° Républiques. Après, et avec son illustre prédécesseur – l’auteur du « Coup d’Etat permanent » - il dénonce la mise en cause de la 4° - la République des partis – qui continue à faire les choux gras (sert-on du chou au Fouquet’s ?) – pour justifier l’instauration et les arrangements pris depuis plus de 50 ans de ce qui n’aurait dû être qu’un intermède…

« Des ors et des glaces », une saga d’Alexandra YTHIER La bourguignonne, poète et romancière Alexandra Ythier, nous offre un nouveau dépaysement, après son roman « Stella du Niolo » (qui se situe dans la Corse du XVIIIème siècle) en publiant le tome II « des ors et des glaces ». La première édition préfacé par Jean-Luc Dauphin relatait en près de quatre cent pages l’histoire romanesque et incroyable de Dimitri, un officier de « la vieille Russie » de Saint Pétersbourg dans les années 1910 et dont les faits sont réels. La seconde édition aussi volumineuse retrace les aventures et l’épopée de Dimitri, l’exil sous les toits de Paris,

Nous sommes donc en République extraordinaire, où le statut exceptionnel du Président de la république, taillé en son temps par et pour le Général de Gaulle, perdure malgré les ravalements de façade successifs. Au final, le costume a même été retaillé pour mieux servir encore la possibilité d’un accaparement personnel du pouvoir. 48


Cette constitution est une partition politique pour Caudillo et godillots, où le Caudillo joue la partie du vent, et les godillots le parti au pied ! Le résultat est consternant. Jean Guiloineau en souligne les aspects les plus néfastes. Une démocratie réduite à la portion congrue qu’édulcore en trompe l’œil le referendum populaire – parfaitement illustré par les rares exemples de l’exercice : referendum à la Prévert : voulez-vous réformer le Sénat + modifier le statut des régions + me garder à la tête du pays + un raton-laveur ; referendum à canons superposés : voulez-vous de l’Europe ? Non ? Alors on fera donner les godillots ; referendum lynchage : qui étrangler un chômeur ?… Une représentation nationale à l’image du Président, où chaque député est le petit roi de sa circonscription, passant voir ses « gens » chaque fin de semaine, n’étant plus acteur ni même garant d’une quelconque politique nationale… Une confiscation des instances représentatives qui tiennent écartés des courants de pensée et condamnent le pays aux débats archaïques (voir le temps et la perte d’identité qu’il a fallu aux écologistes accéder à la « place publique »). Une désaffection du corps électoral, personnage mineur de la représentation dont le Monsieur Loyal du moment réclame à grands cris les applaudissements. Enfin, une irresponsabilité du détenteur véritable du pouvoir, en toute contradiction avec « l’esprit des lois » démocratique qui réclame une suprématie de la représentation populaire par rapport à l’exécutif. Une excellente révision qui nous montre que les enjeux institutionnels dépassent largement de pures considérations de forme…

Pour ces deux recueils, leurs auteurs ont pris le parti de constituer des ensembles globalement significatifs, plutôt que de présenter des sommes de textes disparates. Le risque évident, c’est la répétition, la redite provoquant la dilution de l’étonnement et de l’intérêt pour les lecteurs au fil des pages. Comment introduire suffisamment de variété, comment renouveler les récits, tout en conservant la cohérence que l’on a choisi de servir ? Louise Cotnoir s’appuie sur deux constantes quant au fond. Une unité de lieu - le creuset de Manhattan, mais il s’agit du Manhattan d’après WTC (on est censé universellement comprendre World Trade Center, il est vrai que « après J.C » nous avait déjà rendus familiers de ce genre de formulation) ressenti comme un lieu blessé, ayant perdu sa superbe, comme marqué d’une lèpre, d’une gangrène. Et dans cette cathédrale maudite et désaffectée errent douze solitaires enfermés dans cette souricière, chacun semble-t-il en deuil de « son » Amérique. Chacune de ces histoires humaines semble une conspiration contre l’homme . L’unité de ton chez Louise Cotnoir donne une couleur unique aux récits – qui serait, pourquoi pas, la couleur de l’indifférence urbaine de New York vis-à-vis de ces quelques vies, qui, finalement, ne comptent pas et se défendent à peine – et un détachement, une distanciation d’entomologiste renforcés par l’absence totale de dialogue. Le lecteur assiste à un processus de destruction dont chaque individu est, pour son propre cas, très souvent à la fois la victime et le responsable jusqu’à la douloureuse révélation, programmée, irréversible, menée sans fièvre, sans recours. La mort y survient, quand c’est son tour, à pas lents, à visage découvert, comme seule véritable issue parfois. Il ne semble y avoir dans ces drames que la marche ordinaire des jours. A l‘inverse, nous partageons la chair des personnages d’Annick Demouzon – nombre des récits usent du « je ». Il s’agit de crises, de points de rupture, d’exécrations insoutenables, il s’agit « d’en sortir »… Le ton utilisé par Annick Demouzon se partage entre grotesque et humour noir souvent. L’excessif est parfois au rendezvous, et nous ne sommes plus dans le constat froid et impersonnel dressé par Louise Cotnoir, mais dans une effervescence imaginative et perverse.

Carnet américain, Louise Cotnoir - Ed. L’Instant même, 865 av. Moncton - Québec H4N 1S2 - 100 p. ; 15 $. www.instantmeme.com Virages dangereux, Annick Demouzon - Ed. le bas vénitien, 6 rue Léontine – 75015 Paris – 176 p. ,16 € . www.lebasvenitien.com

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Annick Demouzon établit son fil rouge en cataloguant les mille manières de cuisiner la haine… dans les différents récipients de l’intimité familiale. L’oppression est ici nommée, reconnue, circonscrite et quand faire se peut, passée par les armes… Ces Virages Dangereux occasionnent pour la plupart des sorties de routes dommageables pour le conducteur, le ou les passagers, voire, pour des piétons attardés – dégâts collatéraux. Si les situations paraissent outrées (remarquez la similitude du mot avec Outreau ! Mais comment le juge a-t-il pu ne pas se méfier !), quelques retours sur image, et tout à coup, la réalité avec sa faconde de diable boiteux vous renvoie à l’actualité… Bientôt on pourra dire : c’est aussi vrai qu’une histoire d’Annick Demouzon !

L’Agenda des Poètes de l’amitié 2012 Mars VENDREDI 16 (20 h ) - lecture au foyer Ile/Fram de Beire le Chatel (Côte d'Or) SAMEDI 17 (14 h30) : remise du Prix d'Edition poétique de la Ville de Dijon à la médiathèque Champollion (Dijon) lecture (18 h) au château de Pontus de Tyard, à Bissey sur Fley (Saône et loire) JEUDI 22 (14 h 30 à 17 h) : Cénacle à la Maison des Associations. SAMEDI 24 : Comité de Lecture de Florilège ( 14 h à 15 h) ; Conseil d'Administration de l'Association (15 h à 18h). VENDREDI 30 (15 h ) - lecture à la maison de retraite des Amandiers à St Marcel (Saône et Loire) SAMEDI 31 (20 h 30 ) - Spectacle dans le cadre de Talant Passion musical : récital poétique et prestation musicale de Frédéric Dufoix du groupe Pasithée

La Corne de brume – revue du Centre de Réflexion sur les auteurs méconnus (Bernard Baritaud, appt 19, 7, rue Bernard de Clairvaux – 75003 Paris) http://lebretteur.free.fr

Avril VENDREDI 6 (20 h 30 ) - Spectacle "Lectures absurdes"au Studio 70 à Châlon-sur-Saône JEUDI 12 (14 h 30 à 17 h) : Cénacle au Centre Municipal des Associations SAMEDI 14 : Comité de Lecture de Florilège ( 14 h à 15 h) ; Conseil d'Administration de l'Association (15 h à 18h).

Cette revue hors commerce est servie exclusivement aux adhérents de l’Association qui gère le Centre. Il y a un aspect nécrologie indéniable, mais foi d’humain, on ne meurt qu’une fois… alors autant faire un éclat ce jourlà. Cette huitième livraison rend hommage à ce titre à Jean Dutour à qui on ne déniera pas le titre d’écrivain, quant à être méconnu… c’est pour plus tard ! Mais, par ailleurs, il est de véritables auteurs méconnus au sommaire : Brigitte Richter, Jean-Francis Bœuf, Marcel Boulenger, Maurice Dekobra ou que quelque réédition rappelle à notre mémoire : ici, Marguerite de la Nuit de Pierre Mac Orlan (au cours de la revue sont également évoqués Carco, Francis Lemarque…). La revue a quelque chose du vide-grenier (mais un grenier très bien tenu), exhumant des paquets de lettres d’une époque où art littéraire et art épistolier allaient de pair. Une revue de découverte pour les fervents de la petite histoire littéraire qui a bien le droit à sa sociologie comme les autres. Non, mais !

Mai SAMEDI 12 : Comité de Lecture de Florilège ( 14 h à 15 h) ; Conseil d'Administration de l'Association (15 h à 18h).

Juin VENDREDI 1 : lecture Norge par les Bibliambules dans le cadre de Talant Passion Littéraire SAMEDI 23 : Comité de Lecture de Florilège ( 14 h à 15 h) ; Conseil d'Administration de l'Association (15 h à 18h).

Septembre Du SAMEDI 15 au SAMEDI 22 : exposition de l'Association les Poètes de l'Amitié à la Maison des Associations de Dijon.

24,26, 27 et 28 Octobre RENCONTRES PŒTIQUES DE BOURGOGNE à BEAUNE Mercredi 24 : interventions à la maison de retraite et à la bibliothèque municipale Vendredi 26 : inauguration, remise du Prix d'Edition poétique de la ville de Beaune ; récital au théâtre municipal (invité d'honneur en attente) Samedi 27 et dimanche 28 : animation diverses (lectures, spectacles) dans la ville et à la Chapelle St Etienne; lieu de rassemblement et d'exposition des Rencontres, débat public...

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CINEMA DE QUARTIER par Bertrand PORCHEROT, directeur de salle classée Art et Essai

LES CHAUSSONS ROUGES,

Réalisé par Michael Powell et Emeric Pressburger

l’influence du cinéma de Powell et de Pressburger, et des Chaussons rouges en particulier, sur les cinéastes de sa génération, de Brian De Palma à Francis Ford Coppola.

Je sais que cette rubrique doit faire la part belle aux cinémas du monde et pourtant j’ai choisi de commencer par le cinéma classique anglais. L’un des meilleurs films qu’il m’ait été donné de voir ces dernières années : Les Chaussons rouges de Michael Powell et Emeric Pressburger sorti en 1948.

Le travail de préservation a duré deux ans et demi, entre l'automne 2006 et le printemps 2009, et a mobilisé les troupes de la branche Film & Television Archive de l'Université de Californie, déjà responsables des restaurations de La Chevauchée fantastique de John Ford ou de La Dame du vendredi d'Howard Hawks. Ils ont réussi à mettre la main sur les négatifs originaux de la fameuse caméra Technicolor trichrome utilisée sur le film.

Je tiens à féliciter le choix du distributeur Carlotta Films de ressortir le film dans les salles en France en 2009. L'édition double DVD collector du film comprend un ensemble de bonus assez exceptionnels : un documentaire sur la genèse du projet et la réception du film, un autre sur les perspectives offertes par le thème du ballet dans le film, ainsi qu'une rencontre avec Thelma Schoonmaker (épouse de Michael Powell) et une explication de la superbe restauration du film par Martin Scorsese en personne !

Lorsque Pressburger présenta le scénario des Chaussons rouges à Michael Powell, ce dernier accepta à la condition que l'actrice principale ne soit pas une comédienne, mais une danseuse. La rencontre de Powell avec Moira Shearer, étoile montante du ballet britannique, fut déterminante. Réticente au début et pas vraiment attirée par le cinéma, elle finit par céder pour des raisons financières.

Les Chaussons rouges, version restaurée, fait l’ouverture de la section Cannes Classics en 2009, dont le président d’honneur est alors Martin Scorsese. Le réalisateur revient, aux côtés de Thelma Schoonmaker, monteuse de nombre de ses œuvres et dernière femme de Michael Powell, sur l’importance du film dans sa propre carrière. Il rappelle également

L’histoire débute comme un film classique sur la danse. Un producteur engage une nouvelle danseuse et un nouveau compositeur pour mettre en scène un ballet inspiré du conte d’Andersen dans lequel une 51


jeune fille trouve des chaussons qui la feront danser jusqu’à la mort. En effet, l’utilisation du conte d’Andersen comme spectacle, objet des répétitions de la troupe, est bien à mettre en parallèle avec l’histoire de la danseuse Vicky Page (qu’incarne Moira Shearer). Comme la fillette du conte, elle vit pour danser et seulement pour danser, jusqu’à ce que l’amour remette ce choix en question. Cette démonstration se fait au travers du ballet, art corporel le plus exigeant qui soit, mais elle aurait pu se faire au travers de la peinture ou de tout autre art. Car c’est bien de création pure qu’il s’agit ici. Et ces questions qui trouvent ici une issue tragique, inhabituelle pour l’époque, ont de quoi renforcer cette image de l’artiste qui doit souffrir pour atteindre la perfection.

déchaîné) ou de les faire changer de taille, le montage autorise les changements d'arrièrefonds les plus rapides et la stop motion(2) confère aux fameux chaussons du titre une vie propre. Malgré cette indéniable réussite artistique, le film fut à l’époque assez mal accueilli par la critique britannique qui attendait plutôt une histoire de danse pour jeunes filles. Paralysés par ses dépassements de budget et la noirceur romantique de son discours (un grand artiste est consumé par son art), ainsi que par les folles expérimentations de sa forme, les investisseurs firent tout pour saboter sa sortie anglaise au mois de septembre 1948. Sans soirée de première, sans aucune affiche ni publicité pour le soutenir, le film fut programmé dans une seule salle londonienne, qui plus est lors de séances nocturnes. C’est lorsque le film sorti aux ÉtatsUnis avec un succès autant public que critique qu’il s’inscrivit alors dans les grands classiques du cinéma.

Le film délaisse alors petit à petit son aspect classique pour partir dans des contrées plus oniriques culminant avec une séquence de ballet au centre du récit. Un tour de force qui fait non seulement avancer le récit mais lui donne une dimension fantastique inattendue. Les jeux de surimpressions, de textures volatiles et de glissements hallucinogènes apparentent l’image à une projection du psychisme du personnage, qui s’épanouit dans l’encart du ballet comme en un miroir révélateur.

(1) Un storyboard est la représentation illustrée d’un film avant sa réalisation. (2) Stop motion signifie animation image par image, c’est une technique d’animation permettant de créer un mouvement à partir d’objets immobiles.

Hein Hekcroth, chef costumier allemand, remplace au dernier moment le décorateur Alfred Junge. Double emploi notamment lors de la séquence du ballet pour lequel Heckroth, faisant plus office de directeur artistique que de décorateur, a dû adapter le conte et lui donner une existence picturale, notamment en réalisant plus de 120 peintures préparatoires (il était peintre de formation) ainsi qu'un storyboard(1) animé de toute la scène, qui sera d'une grande aide pour le chef-opérateur. Cette longue séquence, qui nécessitera à elle seule 6 semaines de tournage, utilise tous les artifices cinématographiques à sa disposition : les effets spéciaux visuels permettent d'incruster les personnages dans des paysages oniriques (l'orchestre se transforme ainsi en un océan

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Revue en revue par K.J.Djii Habituellement consacrée à certaines revues littéraires qui nous parviennent, cette chronique est entièrement tournée vers une revue franccomtoise, La Racontotte, et son directeur de publication, Daniel Leroux. Trimestrielle, d'une qualité de papier et d'impression irréprochable, la revue, si elle ne publie que peu de poèmes n'en possède pas moins les atouts d'une poésie faite de grand air, de cailloux dans les chaussettes et de résistance. Sous-titrée Nature et Traditions comtoises, La Racontotte ne reste pas pour autant ancrée dans le régionalisme cantonal ou dans le nostalgico-bucolisme uniquement tourné vers le passé. Bien au contraire puisque la plupart des thèmes abordés concernent chaque individu possédant quelque débris de neurone lui permettant d'avoir une conscience et un regard critique sur le monde et ce depuis 35 ans.

K.J.: Justement, comment vit aujourd'hui la revue ? Est-ce uniquement grâce aux abonnements, aux ventes en kiosques et librairies ou bien bénéficie-t-elle de subventions ? D.L.: Depuis l'origine jusqu'à aujourd'hui j'ai toujours refusé les subventions. Je veux être entièrement libre dans mes éditos et ne désire surtout pas être limité dans ce que je veux dire par un annonceur qui s'attend à être respecté. En moyenne la revue tourne avec 1000 abonnés dont 70% vivent en région. Certains numéros ont été tirés jusqu'à 2500 exemplaires et les numéros spéciaux, jusqu'à plus de 5000 exemplaires. Au début nous passions par un imprimeur et la distribution se faisait par nous-mêmes en se répartissant les différents secteurs de la région. Mais nous nous sommes vite rendus compte que les déplacements et l'impression augmentaient sensiblement les coûts, donc nous avons décidé de créer notre propre imprimerie.

K.J.Djii : En quelle année la revue a-t-elle été fondée et quelles en ont été les raisons ? Daniel Leroux: Le premier numéro de La Racontotte est sorti en 1976. A cette époque, le discours ambiant était une confiance totale dans l'indépassable modèle économique basé sur le bonheur promis par le progrès, c'est à dire, le plaisir de consommer. Avec la lecture du magazine Le Sauvage, qui était chapeauté par Le Nouvel Observateur, nous découvrions de nouvelles manières de vivre, d'aimer, de consommer et surtout de nous raccorder à la nature. Le Sauvage m'a donné des ailes ; en plus, nous avions la chance, choisie, de vivre dans un village encore authentiquement traditionnel avec la conscience de ce que signifie ce bonheur concret de vivre à la campagne dans une société rurale communautaire. C'était pour préserver ce mode de vie et pour le célébrer que La Racontotte a vu le jour. Au départ ce n'était qu'une revue de clocher, mais il s'agissait aussi d'une critique de la société moderne, contre l'agriculture industrielle et se démarquant de l'écologie urbaine. Nous avons fait partie des premiers à dénoncer l'amiante, on nous prenait pour des fous furieux. Mais ça a marché, le premier numéro a été épuisé en 15 jours et dans ce même laps de temps, 300 abonnements ont été souscrits.

K.J. : L'Atelier du Grand Tétras qui édite La Racontotte est aussi une vraie maison d'édition. La direction éditoriale, à défaut de ligne, est-elle la même pour la revue et pour les livres ? D.L. :Ce sont les bénéfices de la revue qui ont permis la création de la maison d'édition en 1996. Bien sûr, les deux sont intimement liés puisque pour nous, éditer ce n'est pas communiquer, c'est résister. L'Atelier du Grand Tétras a publié à ce jour plus d'une quarantaine d'ouvrages, prose, poésie ou essais, dont le point commun est l'attachement au sol, mais aussi au travail sur l'écriture. Nous avons eu la chance de publier le dernier livre de Henri Meschonnic et l'ouvrage consacré au poète Jacques Ancet a été une vraie réussite. K.J. : Le support papier va-t-il tenir encore longtemps ? D.L. : C'est vrai que beaucoup de revues et de journaux abandonnent le papier, mais pour l'instant je suis confiant. Nos lecteurs sont attachés au support papier. 53


K.J. : Quel constat pour notre civilisation ?

Solutions des mots croisés

D.L. : La réponse c'est que la France est dominée par deux partis. Quand tu entres dans un parti et que tu vas dans le sens du poil, ça marche. Mais si tu élèves ta voix, t'es viré. Les partis dominent tout. On va dans le mur sur quelque chose de simple, notre attachement à un confort excessif. Pour moi, le pire est de se taire. Tant qu'on parle, qu'on partage, on vit et on peut au moins nourrir une espérance avec la permanence de certaines valeurs.

1 A E R O G A R E S

2 U B U E L I T E

3 T R A N S P O R T

4 R E A I E

5 E E T E I

E H

6 M A T U R I T E

I

7 E M I R L O U P

8 N E R E S U R E

9 T E L I E E U

A B C D E F G H I

Grille 1 proposée par Jean CLAVAL

K.J. : Tu as été un élu. Le fait de vivre au quotidien la réalité économique et sociale d'une commune a-t-il influencé tes décisions artistiques, tes choix de publications ?

1 O N B A T T R A

D.L. : Oui, bien sûr ça m'a renforcé. J'ai eu la confirmation que le système ne nous laisse guère le choix. J'avais la chance au niveau du département d'être écouté par les techniciens de l'écologie et j'avais des propositions solides sur la nécessité de préserver autant un mode social de vie qu'un mode environnemental.

2 R N A T U R E L

3 C O L T A M E

4 C H E Z U N I S

5 O E A S

6 C R O C O

S S E

P A R

7 H S

8 E

I N T O

E G E R I E

9 S O N N E T E Z

A B C D E F G H I

Grille 2 proposée par Jean-Michel LEVENARD

1 T R A N S P O R T

K.J. : Le mot de la fin ? D.L. : J'ai retrouvé de l'espoir avec Proudhon. Et puis je ne suis pas seul, nous sommes toute une équipe qui œuvre dans la même direction. Je l'ai dit, rien ne renforce mieux la souveraineté triomphante de la mondialisation que les voix qui se taisent. Nous le savons, nous ne sommes rien, qu'une voix bien frêle dans le concert tonitruant des puissances maîtresses provisoires du monde, mais une voix qui existe et qui donnera vie à cette Racontotte tant que ses lecteurs lui en donneront les moyens

2 E E N I A P E N

3 C A R A C T E R E

4 A

R S M

5 H I S T O I R E

6

L O I C

R

7 P E N C H A N T

8 s I G E M E U

9 C H E Z E M A

A B C D E F G H I

Grille 3 proposée par Roland LOMBARD

Louis LEFEBVRE vous donne rendezvous au Théo-théâtre (20 rue Théodore Deck – 75015 Paris) pour les représentations de Lubricité, par la compagnie Jade & Léda, les 7 et 8 avril ; 14 et 15 avril ; 21 et 22 avril ; 28 et 29 avril ; 5 et 6 mai, les samedis à 17 h ; les dimanches à 19 h 30

La Racontotte est publiée par L'Atelier du Grand Tétras Au-Dessus du Village 25210 Mont-de-Laval tél - fax : 03 81 68 91 91

« Et si la lubricité n’était pas une chose sale, un péché, une perversion, une abjection ? Si la lubricité était un joli penchant aux plaisirs charnels ? » 54


la page des adhérents

Le Symbolisme au Quotidien Marie-Claire CALMUS

Les larmes d’Agathe Christian AMSTATT

Agrégée de Lettres Modernes Marie-Claire Calmus a mené parallèlement à sa carrière professionnelle, des activités littéraire , théâtrale et picturale.

Dans le Morvan du début des années 1960, Agathe, une fille de "l'Assistance Publique" épouse un riche agriculteur dont elle devient plus la servante que la femme. C'est paradoxalement les "évènements d'Algérie" qui vont révéler sa forte personnalité. La timide "petite Agathe", en s’éveillant aux réalités du monde et aux horreurs de la guerre va devenir une femme pleinement responsable de ses pensées et de ses actes

Comme le dit l’anthropologue Marcel Mauss : « Dans son effort pour comprendre le monde l’homme dispose toujours d’un surplus de signification qu’il répartit entre les choses selon les lois de la pensée symbolique » C’est le recours à ce surplus de signification que l’auteur analyse comme une gymnastique quotidienne de survie – un sauvetage de l’essentiel – exercée si continûment qu’elle fabrique un autre tissu d’existence.

Editions Raison et Passion - 15 €.

www.raisonetpassions.fr

Editions Refael de Surtis, 7 , rue St Michel – 81170 Cordes sur Ciel – 15 €

Traces d’étoiles Jean-Pierre PAULHAC « Ce ne sont surtout pas des traductions. Je ne veux ni ne sais faire cet exercice. Ce ne sont pas non plus des adaptations. Pas de réécriture du même texte, pas de paraphrase de l’amateur de poésie sur les vers du maître. Donc pas de procès en forfaiture. Les textes ne sont là que par leurs titres, et rien d’autre. Mais, à partir de ces titres, j’ai voulu laisser aller librement ma plume, lui lâcher un peu la bride, pour qu’elle dise, en la contrôlant parfois à peine, ce qu’elle avait à écrire à propos de ces chansons, pour la plupart, mondialement connues. J’ai voulu exprimer, en vers personnels, ce que certains textes de Bob Dylan et de Léonard Cohen avaient pu avoir comme point de rencontre avec moi, avec mon existence, avec mes simples mots. C’est là le seul et réel effort de traduction de ce recueil. »

Claire-Voie ou La pénombre en 365 jours Oscar RUIZ-HUIDOBRO Ecrits tandis que l’auteur accomplissait ses obligations militaires, ces textes s’organisent chronologique en trois parties, d’une expression absconse et sinistre – c’est l’auteur qui le dit –vers un humour dérisoire teinté d’antimilitarisme. Cette même période est celle d’un désarroi à voir se déliter sa vie sentimentale. Il demeure de cet ensemble en demi-teinte, le sentiment d’un travail formel très poussé, un second plan de jeu qui n’est pas sans nous rappeler les exercices sous contrainte, les amusements verbaux de l’Oulipo. Editions Les Néides, 7 €.

Editions Praelego ISBN 978-2-8131-0183-9 72 pages ;€ 8 00

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Prix : 8 € 56


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