FLORILEGE 147

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Chaque époque a son art, l’art a la liberté - Gustav KLIMT

FLORILEGE 147

juin 2012

Revue trimestrielle de création littéraire et artistique réalisée avec le soutien d’AG2R- LA MONDIALE 1


Editorial FLORILEGE est éditée par l’Association Les Poètes de l’Amitié ABONNEMENT ( 1an - 4 N°) : France : 28 Euros Etranger : 40 Euros Association Les Poètes de l’Amitié Présidents d’Honneur : Maurice CARÊME Jean FERRAT Comité d’Honneur : Lucien GRIVEL Marie-Luce BETTOSINI Cécile POIGNANT Paulette-Jean SERRY Monique et Yvan AVENA Conseil d’Administration : Président Stephen BLANCHARD Membres : Christian AMSTATT Yolaine BLANCHARD Agnès FRANÇOIS K.J.DJII Annick GEORGETTE Marie-Claude LEFEVRE Jean-Michel LEVENARD Marie-Pierre VERJAT-DROIT Cotisation 2012 à l’Association : Actif : 21 Euros Bienfaiteurs : 210 Euros Forfait Abonnement + Cotisation (uniquement pour une adresse en France) : 42 Euros

Les rencontres poétiques de Bourgogne, 23ièmes du nom, se dérouleront les 24, 26, 27 et 28 octobre à Beaune. Nous souhaitons leur donner un caractère participatif plus renforcé encore en insistant sur l’aspect d’échanges entre les auteurs, revuistes, éditeurs présents lors de débats largement ouverts sur les expériences de chacun. En outre, nous élargirons la démarche qui consiste à aller vers le public en essaimant par petits groupes dans divers lieux de la ville pour dire la poésie comme une parole commune et quotidienne. L’invité d’honneur de cette édition est le chanteur Bernard Sauvat que certains d’entre vous ont pu apercevoir il y a deux ans. Il revient pour un récital complet qui permettra de faire connaissance avec la plénitude d’un artiste soucieux de langage. Plus d’information en contactant Mady Vernay (31 rue du faubourg st Martin – 21200 Beaune ou atelierducloitre@sfr.fr) Pour l’équipe de FLORILEGE Jean-Michel Lévenard

Directeur de la publication : Stephen BLANCHARD Comité de lecture – Rédaction : Annie RAYNAL, Marie-Pierre VERJAT-DROIT, K.J.DJII, MarieClaude LEFEVRE, Jean-Michel LEVENARD Pour toute correspondance concernant la revue : (vos suggestions, remarques, coups de cœur, coups de gueule, propositions de participation) : Jean-Michel Lévenard – 25 rue Rimbaud – 21000 Dijon ou e-mail : jean-michel.levenard@laposte.net

Concernant l’Association : Stephen Blanchard – 19 allée du Mâconnais – 21000 Dijon. Exonérée de T.V.A. – Prix : 8 Euros C.P.P.A.P. : 0611 G 88402 - I.S.S.N. : 01840444

D.L. 2° trimestre 2012 Imprimerie ABRAX 21800 QUETIGNY

Visitez le site DES PASSANTES http://des-passantes/over-blog.com/ 2


SOMMAIRE

N° 147

Juin 2012

CREATIONS avec des dessins de Marie-Odile VALLERY p.4 Kéva APOSTOLOVA : 6 poèmes p.5 Martine SANSNOM : 2 poèmes p.6 Nicole PIQUET-LEGALL : 5 poèmes p.8 Nicole HARDOUIN : 2 poèmes p. 9 Adelina LENOIR-CICAICI : Pensées dans le miroir de la Grèce (poèmes) p.10 Sabine AUSSENAC : 5 poèmes p.12 Alain BERNIER et Roger MARIDAT : Compte et comptes (nouvelle) p.15 Eric SAVINA : 2 courtes proses p.15 Mathieu COUTISSE : Balade dominicale p. 16 Cédric SCHENONE : 4 poèmes p.18 Anne-Marie TEYSSEIRE : Celui-là (Prix du concours de la nouvelle) p.20 Gérard MILLOTTE : Flashes en lisières

CHRONIQUES p.21 La Chronique huronnique de Louis LEFEBVRE p.24 A ses enfants hors-la-loi, la littérature reconnaissante, par Jean CLAVAL : Denis Diderot (1713-1784), Les Bijoux indiscrets (1748) p.26 Faut vous faire un dessin ? par TOM p.28 Maurice Blanchard, l’enfant sauvage de Montdidier, par Jean-Hugues MALINEAU p.31 Poésie espagnole contemporaine « El Grupo Cero -Madrid», par Clémence LOONIS p.35 De la musique avant toute chose, par K.J.DJII : Tom JOBIM p.37 Do Brasil par Yvan AVENA: Elizabeth Caldeira Brito

NOTES DE LECTURE

PASSE A TON VOISIN p.39 Christelle THEBAULT - Nouvelles : A l’ombre des grands bois, Annick DEMOUZON, Prix Prométhée 2012 de l’Atelier Imaginaire p. 40 Christian AMSTATT - Poésie : Le cri du regard, Jane PERRIN ; Le Grand Jeu 1 et 2, Laurent Bayart p 41 ; Louis DELORME - Poésie : Ciels de Vie, Claude MERE ; Le Ciel dans la rivière, Annie LASSANSAA ; Escarbilles et Villégiatures, Jacques CANUT ; Recueil Poétique, Marie-Annick FAYDI ; Le Bouquet d’Aurélie, Aurélie de la SELLE, Guillaume

SABRAN – Revues : Rose des Temps ; Inédit Nouveau p.46 Stephen BLANCHARD – Chanson : L’âme de Paris , Pierre MEIGE p.47 Jean-Michel LEVENARD - Nouvelles : Nouvelles à chuchoter au crépuscule, Lucette DESVIGNES - Roman : Les larmes d’Amélie, Christian AMSTATT (p.25)

p.47 Revue des revues par K.J.DJII : la revue Pages Insulaires p.49 Cinéma de quartier, par Bertrand PORCHEROT : Détective Dee : Le mystère de la flamme fantôme P.50 L’Agenda des Poètes de l’Amitié p.51 La Page des adhérents p.52 Le Prix d’Edition poétique de la Ville de Dijon : Sous la lune Et autres saisons, de JeanFrançois FORESTIER, présentation par Christian AMSTATT

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Kéva APOSTOLOVA

Je m’accompagne comme l’ombre de l’eau.

Un rayon de soleil console mon visage : je vis en viager.

Je tais ma vie devant l’univers silencieux. L’œuf est un oiseau avant l’oiseau.

Le soleil Ce soleil non vérifié à la main L’excuse facile de certains devant les vivants pour la vie elle-même ? L’avenir a-t-il un avenir ? Le ciel vit sa vie. Qui distribue l’avenir ?

Je me fais du souci après un crime non accompli. Pour me sauver je saute rapidement dans les bras les plus proches : les miens.

Kéva Apostolova, née en 1946 en Bulgarie, est rédacteur en chef de la revue Théâtre à Sofia. Auteur de nombreux recueils de poésie, publiés en Hongrie, Pologne, Russie… et de pièces de théâtredont certaines ont été présentées sur scène à New-York et Istambul. Traduction du bulgare par Anélia Véléva.

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Martine SANSNOM Mont-Saint-Guibert Ce dimanche a détruit mon château du bonheur. De la rivière ondoie au bord de mes paupières. Je marche, l’âme à vif, sur un sentier coupant De souvenirs en verre éclatant de tristesse. Sur l’arbre couché, mort, j’accroupis mon chagrin. Que le blanc papillon lui rende son beau temps ! Dans les myosotis, la moutarde éternue. Le poil à me gratter s’enroule au liseron. Sur le seuil de sa porte, Lionel est assis, Tout en bleu de travail, il pelait ses patates. Fuse un « Bonjour, Monsieur ! » Fuse un « Bonjour, Madame ! » Et l’ombre du pignon déjà, les engloutit. L’Orne coule berceur, constellé d’aubépines ; S’y mirent la groseille, les cerises acides Et le geai, tout là-haut, frottant son bec au ciel Tandis qu’un hochequeue boit la mer, dans mes yeux.

La « tâcheronne » Je suis la « tâcheronne » des herbes potagères Mille ans de servitude m’ont collé les talons Et je tonds les chardons de mes petits ciseaux. Pays de solitude et d’amour flamboyant Me ceinturent d’orage, de lames de couteaux Et je tonds les chardons de mes petits ciseaux. Harcelé par l’ortie, l’espoir plus ne se porte Sur le noir taureau fou vêtu de lune ardente Et je tonds les chardons de mes petits ciseaux. Un jour, la mort viendra, chevauchant des soleils Planter un clou d’argent, là, juste entre mes yeux Lors je tonds les chardons de mes petits ciseaux. . Martine SANSNOM, Prix d’Edition de la Ville de Dijon 2010 pour Les Roulettes russes. 5


Nicole PIQUET-LEGALL

Solitude ton ombre défile toujours sur les sentiers abrupts dans l’odeur des bois inhumés L’écho sans visage hante les paysages au-delà du miroir

Les paumes saignent à polir les marches que nous devions gravir Tentative échouée de notre émancipation Latence indéfinie

Illisible ta loi reste inchangée et le réel effrayant se tapit dans les méandres de l’indicible Impossible de rassembler les morceaux épars d’un devenir incertain

Hisser ses pertes comme on dresse un drapeau jusqu’à l’épuisement Les bras n’œuvrent plus à verrouiller l’amour Amour mot mille fois ânonné hors sens Les mains sont retombées écorce contre écorce vides

Et l’on chemine ainsi longtemps aveuglé par le Rien 6

Solitude Ô Solitude La ternissure des peuples chasse l’odeur des forêts jusqu’à cette lente décadence au cœur des villes anonymes Trop tard pour prier Trop tard pour implorer La sentence est là entre les dents exactement serrées L’air est si sec dans la morsure du sirocco Et le désert qui s’allonge à l’arrachement de nos racines dégage sous les pieds l’originelle malédiction


Souviens-toi Avoir touché la genèse toutes sources ouvertes à profusion dans les eaux vierges de l’Etre Avoir éprouvé sous la peau le ressac incessant d’un rêve de partage Avoir habité le même corps sans se soucier du devenir cet océan de détresse où nous savions mesurer le risque de se perdre avec l’abolition définitive de toute volonté Souviens-toi de nos paupières peuplées d’astres chauds Le monde se transformait ivoire et turquoise

Laisse l’insistance du vent te plaquer contre le roc et regarde en face la houle soulever les embruns Là où se délite la douleur des mères Là où tu sais revenir lorsque l'épouvante t’enserre et que s’ouvre le précipice à l’extrémité de ton souffle Porte les yeux sur l’évanescence des choses Plonge sans penser dans ces contrées nébuleuses à perte de mémoire Et va tout blâme aboli dans un détachement total t’asseoir sur la proéminence d’un cri

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Nicole HARDOUIN

OMBRES MAJUSCULES

Goutte à langue coule s’écoule mots-mensonges masques-funambules décalcomanie au seuil de la pensée. Langue à vent passe repasse le poids du croire l’erreur du savoir sur confiance en déroute. Vent à bosquet hache arrache oiseaux barreaux liberté offerte aurore frondeuse pour horizon invisible. Bosquet à silence cerne décerne abécédaire d’échardes ombres- majuscules soie fuyant sur strophes murmurantes. Silence à anges chante enchante astres-prophéties ailes-processions lointains recommencements ciel symphonie.

LE SANG DES MOUETTES

Les haubans de ta déraison dérivent aucun radeau pour toi. Sur la déferlante de tes regrets le sable interroge le sang des mouettes Dans tes aveux secrets crisse le sel. Ferme les paupières de la nuit la mer revient toujours boire dans les nids du besoin. Reprends souffle dans la bouche du jusant hurle, brûle tes mirages. La mer a retrouvé la clé des marges les vagues renaissantes ont des yeux pour rivages des lèvres pour port. La mer dort sur l’aile d’un albatros libère tes embruns Tu reviens de nulle part.

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Adelina LENOIR CICAICI Pensées dans le miroir de la Grèce

Une fois arrivée sur les terres chargées de sèves solaires, assise à une table devant laquelle la mer danse avec ses nymphes de sable, je pense à la perfection divine du Créateur. * Nous étions de passage sur les sentes de la mer, les juments écumantes enfonçaient leurs crinières dans nos chairs humides ô beauté des étreintes dans les flammes divines ! * Quel sublime goût de soleil et de terre ont les tomates et les pêches, les melons et les pastèques, les olives et les poivrons en Grèce !!! * Quand je pense à l'Être qui coule, j'imagine une source capable de filtrer toute la misère du monde... * Ma mère est la divine terre qui a enfanté et bercé la semence que je fus et l'Être que je suis... * Le plus authentique et magique commerce se trouve vers la fin de la plage de Loutsa (en Grèce). Un éventaire simple avec des caisses en bois, chargées de pêches voluptueuses, tomates charnelles, pastèques gardant le sourire du soleil, aubergines-ballerines, melons sanglotant de rire dans le miracle de la lumière, et un couple de grecs chaleureux comme une matinée d'été. Elle pèse les récoltes de la terre, pendant que lui, assis sur une vieille chaise, note dans un cahier d'écolier le poids et les prix. matinée Les deux ont un sourire pur comme les perles de la mer.

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Sabine AUSSENAC

Il faudrait ne pas aimer Noël

Savoir renoncer à ces cannelles folles et aux bougies du temps. Le sapin en Ardennes m’est statue de Commandeur. Loin des arcades, deviner d’éternelles Abyssinies. Il faudrait ne pas aimer Noël. Une poupée à Auschwitz me regardera plus tard de ses yeux de pierre vide. Les osselets de ma mémoire et au loin, les fumées.

Je me souviens du ressac et des fièvres L’ange du soir me regarde ; Ses yeux lilas fixés sur mes fêlures, il sourit. Je me souviens du ressac et des fièvres, de la main de ma mère au fronton des douceurs. Bénédiction des jonquilles, comme des fées badinant vers la mare. Petite fadette enhardie, je rayonne en bouquets de mai. L’ogre aura raison de toutes, mes innocences.

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L’autre côté de moi L’autre côté de moi sur la rive rhénane. Mes étés ont aussi des couleurs de houblon. Immensité d’un ciel changeant, exotique rhubarbe. Mon Allemagne, le Brunnen du grand parc, pain noir du bonheur. Plus tard, les charniers. Il me tend « Exodus » et mille étoiles jaunes. L’homme de ma vie fait de moi la diseuse. Lettres du front de l’est de mon grand-père, et l’odeur du gazon coupé. Mon Allemagne, entre chevreuils et cendres.

Passer mon cœur à l’encaustique Passer mon cœur à l’encaustique ; les piles de draps de lin aux broderies d’ancêtres asservies et patientes apprennent fil du temps. Ce silence aux veloutés d’orfraie ; la nuit chuchote et crisse, parfois l’Autan crie comme femme en gésine. La source, abreuvoir des miracles, légère en ses tons de cressons et d’abeilles. Cristal en fusion de ruisseau, flambée de sarments aux éclats de vendanges, terre lourde en sillons d’avenir, immensité de l’estive ensoleillée : quatre éléments me constituent liberté.

Je suis quelqu’un de bien dans la tempête Garder les yeux ouverts, ne jamais se coucher. Mes étés bruisselants d’un million de cigales. Et la neige. En dépit des terreurs, ne pas fuir à Varennes. En tout sol calciné planter Arbres de Mai. Lili Marlen et Marianne, au pays des cent paix. Je suis quelqu’un de bien dans la tempête.

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DISPARUE DEPUIS UN DEMI SIÈCLE Nous avons retrouvé, parmi de vieux papiers du début des années 60, cette nouvelle inédite "Comte et comptes". Inutile de vous dire que nous avons été ravis, les auteurs sont incorrigibles, ils tiennent à ce qu'ils écrivent ! Nous n'avons pas changé un mot, alors ne soyez pas surpris : on se gare en plein Paris devant des magasins de luxe, on circule facilement. Il n'y a ni portables, ni caméras de surveillance, ni électronique ! Nous vous souhaitons un bon voyage dans ce passé que nous avons bien connu.

COMTE ET COMPTES Alain BERNIER et Roger MARIDAT

Le vendeur dévisage le client qui vient d'entrer, c'est un homme racé d'une quarantaine d'années vêtu d'un ensemble sport très élégant. - Je voudrais voir un bracelet en diamants. Il a une voix basse, étudiée, mais son sourire sympathique fait oublier ses intonations affectées. Il examine les différentes pièces qui lui sont proposées et fait la moue. - Vous n'avez rien de plus beau ? Sur le ton de la confidence il ajoute : - C'est pour un anniversaire... Je voudrais que ce soit parfait. Le vendeur est pris au dépourvu car le bijoutier, Axel Armau, est absent. - Pour les pièces de collection il est préférable que vous voyiez monsieur Armau, mais comme il n'est pas là je vais en parler à madame Armau. Si vous voulez bien attendre... Il range rapidement les bijoux et va chercher la femme du directeur. Chantal Armau est blonde, jeune, ravissante, intelligente et son sourire commercial est irrésistible. - Que puis-je pour vous, monsieur... ? Comme elle laisse traîner un peu la voix, il se présente : - Rumeau, comte de Rumeau. Avec beaucoup d'habileté elle le questionne devant le vendeur pourtant chevronné qui est toujours médusé par le savoir-faire de sa patronne. - Permettez-moi une question indiscrète. La personne à qui vous destinez ce cadeau a les yeux de quelle couleur ? - Verts.

- Alors j'ai un bracelet somptueux en émeraudes très pures. Evidemment le prix en est élevé. - Combien ? - Je vais d'abord vous le montrer. Même si vous ne l'achetez pas, c'est une merveille qui vaut la peine d'être regardée. Elle se dirige vers le coffre et revient avec un écrin qu'elle ouvre religieusement. - Admirable ! s'écrie-t-il. - Neuf cent mille francs, glisse-t-elle... nouveaux évidemment. Le comte de Rumeau examine les pierres une par une en connaisseur et soupire. - C'est... c'est une somme. - Mais c'est une affaire. Elle vante les mérites des placements en bijoux et met tant de conviction qu'elle donne l'impression d'être une bienfaitrice de riches épargnants ! Au bout d'une vingtaine de minutes, il s'incline. - Madame, je capitule. - Mais non, monsieur, c'est dans votre intérêt. Quant à moi, je m'en sépare à regret. - Je vous le règle immédiatement... j'emporte le bracelet avec moi. Il sort son carnet de chèques, en détache un qu'il remplit aussitôt puis fouille dans ses poches. - Mon dieu ! J'ai oublié ma carte d'identité. Pourtant je tiens à vous la présenter, je l'ai peut-être laissée dans la voiture. Il se dirige vers la Mercedes qu'il a garée devant le magasin et regarde longuement dans la boite à gants. 12


Pendant ce temps Chantal Armau examine le chèque et dit au vendeur à voix basse : - Téléphonez vite à la banque pour voir s'il est provisionné. L'employé revient, déconfit, quelques secondes plus tard. - C'est fermé... A quelques minutes près ! Le comte de Rumeau rentre dans la bijouterie l'air embarrassé. - J'ai dû laisser mes papiers à l'hôtel. Je suis descendu au Palace et tout le monde pourra vous certifier qui je suis. Le vendeur cherche le numéro de téléphone et, peu après, entend : - Palace Hôtel. De Rumeau prend l'appareil, demande la réception et passe l'écouteur à madame Armau. - Allo ! François, j'ai besoin de vous pour certifier mon identité. - A votre service, monsieur le comte. Satisfait de Rumeau regarde Chantal puis le vendeur et murmure : - C'est tout ce que je voulais vous dire. Merci. Il raccroche avec désinvolture et ajoute en souriant : - Je crois que vous n'avez aucune crainte à avoir. - J'en suis sûre, mais cette procédure est si inhabituelle... et la somme tellement importante ! Il se rembrunit, fronce les sourcils et réplique d'un ton sec : - Je ne veux pas vous forcer, madame, nous pouvons en rester là. - Non ! Non ! Je vous en prie. Le vendeur est ravi de ne prendre aucune responsabilité dans cette affaire et baisse le nez. Le comte plaisante de nouveau, sort avec l'écrin et démarre rapidement. - J'espère que je n'ai pas fait une bêtise, dit Chantal à voix basse en refermant la porte, mais c'était tentant la somme est inespérée. Lorsque Axel Armau revient il écoute sa femme et semble très agité. - Tu es folle ! Folle ! Il s'agit certainement d'un escroc. Venir un vendredi soir avant la fermeture est un coup classique auquel un bijoutier même débutant ne se laisse plus prendre depuis longtemps. - Cet homme avait beaucoup de classe et le Palace m'a confirmé son identité. - La classe ! C'est ce qu'il y a de plus dangereux ! Le vendeur hoche la tête, ravi de constater que sa patronne s'est montrée bien légère.

- Je prends les choses en main, dit Axel furieux. D'abord je téléphone au patron du Palace qui est une vieille connaissance. Dès qu'il a son correspondant il lui expose son problème. - Je vais me renseigner et je te rappelle, entend-il. - Merci. Axel raccroche, fait les cent pas devant l'appareil, guettant la sonnerie qui finit par retentir. - Alors ? demande-t-il en reconnaissant la voix de son ami. - Mon pauvre vieux, je crains que tu ne te sois fait rouler. Monsieur De Rumeau vient de passer deux jours chez nous dans une des chambres les moins chères. Il n'a aucun titre et je suppose que Lecomte – en un mot - est le nom de sa mère. Il a beaucoup plaisanté avec un des employés de la réception qui était très surpris de cette familiarité. - Je comprends dans quel but il l'a fait, être reconnu au téléphone. - Exactement ! Quant à sa voiture, elle est de location. Il y a un court silence et le directeur reprend : - Maintenant tiens-toi bien car je vais t'apprendre le pire. De Rumeau a quitté l'hôtel, il prend l'avion ce soir pour l'Amérique du Sud. - C'est la catastrophe. Axel fait une scène violente mais rapide à sa femme car il faut qu'il agisse avec le maximum de célérité pour tenter de récupérer son bien. Le vendeur, lui, se délectant de la situation, propose à ses patrons de rester avec eux afin de pouvoir les aider si besoin s'en faisait sentir. Armau appelle la police et le commissaire Ravignac lui répond. - Lecomte-De Rumeau, ce nom me dit quelque chose. Si je ne me trompe pas, il s'agit d'un homme qui n'a encore rien à son casier judiciaire, mais qui a été mêlé à de nombreuses affaires plus ou moins louches... Une espèce d'escroc international... mais très habile. Je pense que cette fois-ci nous allons pouvoir le coincer. Effectivement il rappelle Armau quelques heures plus tard. - Notre homme est arrêté et le bijou en sécurité... mais quelle histoire ! Il joue les victimes et prétend qu'il devait signer un contrat à Rio... Ces gens-là ont un culot extraordinaire. * * * Le lundi matin le commissaire Ravignac est effondré. De Rumeau prouve que son compte en banque est alimenté et qu'il peut payer le bracelet. Quant à l'affaire qu'il devait conclure au Brésil, elle 13


n'a pu, bien évidemment, l'être en temps utile et il demande de sérieux dommages et intérêts. - Si monsieur Armau me verse cent mille francs, je veux bien me taire et ne pas porter plainte. Vous avez intérêt à lui faire entendre raison car c'est un bien mauvais cas pour lui... et pour vous aussi, monsieur le commissaire, qui avez montré beaucoup de légèreté dans toute cette histoire. Discussions, palabres se succèdent et le commissaire convainc enfin Armau d'accepter cette proposition. - Je vais aller lui porter le chèque et lui dire ce que je pense de lui, s'écrie Chantal. C'est un escroc ! Il nous extorque cent mille francs avec une facilité déconcertante. - Calmez-vous, chère madame, - N'y va pas, ma chérie. - Personne au monde ne m'empêchera d'agir comme je le veux. - Je pourrais servir d'intermédiaire, propose le commissaire bouleversé par cette affaire qui risque de briser sa carrière si elle s'ébruite. - Non ! réplique-t-elle, n'insistez pas. Le voyant pâle et nerveux, elle le tranquillise. - Ne vous inquiétez pas, commissaire, il n'y aura pas de scandale. Vous avez fait le maximum pour mon mari et nous vous sommes très reconnaissants ; ce n'est de la faute de personne si nous nous sommes trompés sur cet individu. Une heure plus tard, Chantal s'adresse à la réception du Plazza car De Rumeau a changé d'hôtel. - Monsieur De Rumeau, demande-t-elle, pour madame Armau. L'employé téléphone puis se penche vers elle. - Monsieur De Rumeau vous attend, le groom va vous conduire à son appartement. A peine entrée dans le petit salon attenant à la chambre, elle tend le chèque. - Voici ce que vous avez escroqué à mon mari, monsieur. Il le lui prend des mains, l'examine puis se dirige vers sa valise qui est fermée à clef ; il l'ouvre lentement, cherche l'écrin et le lui donne. - Voici mon cadeau, madame ! Ils éclatent de rire et tombent dans les bras l'un de l'autre. - Mon amour... - Ma chérie... - Tu vois, dit-elle, j'avais raison, mon mari est tombé dans notre piège. - Je craignais qu'il n'ait pas suffisamment de conviction pour pousser le commissaire à m'empêcher de prendre l'avion.

- Nous avions tellement trouvé de détails qui semblaient t'accabler... à tort ! Il l'embrasse longuement, la caresse, il est heureux. Bientôt tous les deux seront installés à Rio. - Tout est en ordre, dit-il, j'ai nos billets pour ce soir. Il prend le chèque, l'endosse au nom de Chantal puis le lui donne. - Cela t'aidera à prendre tes dispositions pour que ta mère ne soit pas dans le besoin. Elle le remercie puis s'exclame : - J'ai hâte de quitter la France, tes autres affaires me font peur. - Tranquillise-toi, dit-il, tu sais très bien qu'aucun scandale ne peut éclater avant quarantehuit heures et, à ce moment-là, nous serons loin. Peu après il l'accompagne jusqu'à un taxi. - A tout de suite. - Je t'aime... Elle donne l'adresse de sa mère puis, quelques secondes plus tard, se reprend et se fait conduire à la bijouterie. - Ma chérie, dit Armau, j'ai encaissé le chèque, neuf cent mille francs c'est tout de même intéressant. Et toi ? - Moi ! Je te rapporte le bracelet et le chèque de cent mille francs ! - De Rumeau ne va pas essayer de se venger, s'il ne te trouve pas à l'aéroport ? - Il risque trop en restant en France... Ah ! Nous l'avons bien eu ce pigeon !

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Mathieu COUTISSE

Eric SAVINA

LES MANNEQUINS VIVANTS

BALADE DOMINICALE

Leurs cœurs ne sont pas de pierre, et pourtant, ils sont nombreux à habiter des cités en béton. Leurs mains ne sont pas en argile, mais ils fabriquent presque toujours du provisoire. Leurs yeux ne sont pas de verre, et malgré tout, ils ne voient pas plus loin que le bout de leur nez. Leurs oreilles ont des pavillons en berne depuis bien longtemps. Dans un monde uniforme, ils courent là où on leur dit d’aller, sans savoir pourquoi. Durant leurs modestes existences, ils liront plus de publicités que de poèmes. Leurs modèles seront les vitrines des grands magasins qui leur diront : « Soyez beaux et taisez-vous ! Surtout ne pensez pas ». Ils ressembleront à des mannequins de cire, à des polichinelles sans expression, à des soldats de plomb au regard figé, à des androïdes à figures humaines et à des jouets mécanisés. Ils mettront leurs cerveaux à la consigne et avaleront la clef en ne laissant derrière eux que des pas dans la neige.

Un renard de contrebande Et une blonde de cheveux Etaient allés rendre visite A la rombière qui est aussi sorcière Et écouter pleurer, Du fond de la propriété, Ses saules réputés Au retour ils ont dû contourner La manifestation des maisons Qui ne veulent plus de la journée de vingtquatre heures ; Ils sont passés devant des cours de fermes Où festoyaient de grands bouliers-compteurs Ils ont, pour retrouver la route, Interpellé un chimpanzé Qui ne pût que les embrouiller Tant il était déconcerté D’avoir surpris un puceron Tout juste sorti de prison Comptant fleurette à des pucelles Qui du coup devenaient plus belles

SACRE JACK Jack n’utilisait jamais de carte bancaire pour payer ses achats Jack ne rédigeait jamais de chèques pour régler ses dettes de jeux Jack ne procédait jamais par virement bancaire pour s’acquitter de son loyer Non, Jack l’éventreur payait toujours en petites coupures

Ayant très peu risqué de leur anonymat Ils sont rentrés comme des chats, Ont commandé par téléphone Une pluie sans acétone Et trois éléphants rouges et bleus, S’étant remis du khôl aux yeux, Sont venus la leur apporter En provoquant des craquements Impatients de la fin des temps

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Cédric SCHENONE

Au grand jamais

La citadelle assiégée

Les gens intelligents souffrent Et alors Leur souffrance dure toujours Ils souffrent Du temps qui passe Du spectacle Des gens idiots Et parfois Des feuilles mortes Qui s'envolent Dans le vent Mais jamais Au grand jamais Ils ne cessent De se poser Des questions

Que la paix soit avec moi C'est ce que je peux souhaiter Pour ça Rien de plus simple La providence n'a pas son mot à dire Il me suffit De me cloîtrer chez moi De débrancher le téléphone Et d'investir mon humble demeure Comme on investit une citadelle Dressée hiératique Sur un îlot Au milieu de l'Atlantique Assiégée par des milliers de croiseurs En lieu et place de missiles auto guidés Je n'ai à ma disposition Que ma morgue Ma froideur Voire mon mépris Pour dissuader l'armada de raseurs Et aussi la technique du mort Afin de leur laisser supposer Que j'ai disparu de la surface de la Terre Mais c'est une technique à employer Avec parcimonie Ils pourraient s'inquiéter Ce qui serait inquiétant Pour ma tranquillité

Les gens bêtes ne souffrent pas Ou alors Leur souffrance Ne dure qu'un temps Ils vivent Sans se poser de questions Sans songer Au lendemain Et parfois Sans s'imaginer Qu'ils font souffrir Les gens intelligents Mais jamais Au grand jamais Ils ne se posent De questions

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Un contemplatif à la mer La madeleine au goût de figue Je fais tout En pensée J'ai tout vécu En esprit Mais je suis un contemplatif Et le contemplatif est foncièrement Passif Le contemplatif S'il tombe à l'eau Cherchera à la comprendre Et se noiera

L'odeur âpre du figuier Me saisit au détour d'une rue Sans âme Mais ensoleillée Une senteur sauvage D'été D'enfance C'est l'odeur des promenades Dans la campagne varoise Avec mes parents Chez l'oncle Dédé Là-bas Titanesques Les batailles de figues se succédaient On grimpait dans les arbres surchargés Sans se soucier des branches trop fragiles A l'écorce uniformément grise Qui nous faisait songer A la peau d'éléphants vus La veille Dans des reportages animaliers Puis bien installés A l'abri des larges feuilles palmées On se gavait de fruits ultra sucrés Il fallait peu de temps pour qu'entre deux bouchées La guerre fût déclarée On s'envoyait alors En pleine poire Les figues noires Molles et bien trop mûres Qui éclataient sur nos visages hilares Mon copain roux ajoutait le violet Aux feux de ses cheveux Et on se marrait C'était le bon temps Chez l'oncle Dédé L'odeur âpre du figuier

Rien ne se passe Pendant des années Ce qui nous semble Des siècles Le temps s'étire A l'infini En une morne plaine Grise Et soudain Tout s'accélère On est pris Dans le tourbillon Les rapides De la vie Le destin se joue De nous Bouchon voguant Cahin-caha Au rythme des flots Cahotant Et du courant Mais le contemplatif S'il tombe à l'eau Cherchera à la comprendre Et se noiera

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Anne-Marie TEYSSEIRE Celui-là Prix de la Nouvelle sur le thème « Blanc benêt et benêt blanc » « Vous pouvez pas comprendre… Je suis arrivé un lundi matin dans ma classe et je l’ai trouvé là. Assis- posé plutôt- au premier rang. Il avait déjà deux têtes de plus que les miens. Morel, le directeur est tout de suite arrivé. Il m’a causé un peu à part, dans le couloir : « Ecoutez, Pedretti, il fallait absolument le scolariser ce gosse. Il a pas de place ailleurs. Ça fait déjà six mois que ses parents font des demandes partout. Légalement on pouvait pas refuser … alors bien sûr, on a pensé vous – ils avaient pensé à moi ! – Pedretti vous avez de la bouteille, vous savez les prendre et bla-bla-bla… » tout le baratin pour me faire avaler la pilule. Pourtant, c’est vrai, je peux le dire : j’ai appris à lire et à écrire à tous les gamins du canton. Deux générations même… J’en ai vu des cas en trente-cinq ans. Des familles pas piquées des hannetons, des fils d’alcoolos, de suicidaires, des fils de salauds même ! Des caractériels, des timides, des mutiques, des gueulards, des têtes brûlées que personne n’arrivait à cadrer… On me disait toujours : « M. Pedretti, avec vous y’a toujours un déclic. Vous arrivez toujours à en tirer quelque chose… »

Enfin. On a regardé son dessin : une maison avec deux fenêtres et un soleil. Voilà. Je peux vous dire que je m’en souviens de son dessin : pendant un mois il a fait le même ! Exactement le même, tous les jours. Sans rien en dire. Une maison avec rien dedans. Et quand il avait terminé, il attendait en souriant que le temps passe… Evidemment, les autres gamins, ils le loupaient pas : « M’sieur, M’sieur, il a fini son dessin ! » et toute la classe de rigoler… Un jour, ça m’a tellement mis en rogne que je lui ai crié : « Tu me les casses avec ta maison ! tu me les casses ! tu peux pas faire autre chose, non ? Ou alors rajouter un truc : un arbre, un oiseau, je sais pas, moi ! ». J’étais énervé et je lui ai balancé la feuille à la figure. Le soir, quand j’ai ramassé les papiers sur les tables, je l’ai trouvé son dessin. Il avait rajouté un arbre : un bâton marron avec le bout vert et un v dans le ciel pour l’oiseau. Je sais pas comment vous dire, ça m’a démoli… En tout cas, lui, il était jamais démoli. Il était là, tous les jours au 1er rang, calme, posé comme un sac de farine sur le banc, avec ses mollets poilus et son sourire. J’ai essayé de le prendre à part, de revoir avec lui les bases, le déchiffrage, les additions … oh ! il était pas de mauvaise volonté, mais vous comprenez, j’avais beau frapper à sa porte, ça s’ouvrait pas… Pourtant, les cancres, ça me décourage pas. J’en ai vus des qui voulaient rien savoir ! eh bien, moi , mon principe c’est que si ça rentre pas par les oreilles, ça rentre par les mains, et je leur fais construire des nichoirs pour les oiseaux, des cabanes dans les bois. On fait des plans, on coupe les planches, on visse, on cloue, …tiens, souvent aussi je leur fais faire un potager. Y’a toujours un moyen de les intéresser, et puis hop ! le déclic se fait. Et si ça rentre pas par les mains, ça rentre par les pieds ! Je me souviens, le petit Bauzelle, rien à en tirer, onze ans déjà…eh ben, le mercredi, on est allé courir ensemble dans la garrigue. On regardait les collines, on respirait. Il adorait ça. On ramassait des plantes, on observait les saisons…Il travaille maintenant au bûcheronnage. C’est l’espace et la nature qu’il lui fallait, c’est tout.

Mais celui-là… Bon, j’ai fait ma classe comme d’habitude. Que dire ? il était pas gênant , pas gêné non plus. Ça les a perturbés qu’un moment, les miens. Ils l’ont regardé comme un gros Martien, puis comme il se manifestait pas, ils l’ont oublié Au bout d’une demi-heure, vu qu’il était toujours assis dans la même position, j’ai compris qu’il pouvait pas suivre, alors je lui ai donné une feuille et des feutres et je lui ai dit qu’il pouvait dessiner, qu’on verrait ensemble à la récré… A la récré, il était toujours aussi calme et là, je l’ai mieux regardé. Les parents, des fois…quelle idée de lui laisser les cheveux longs jusqu’aux épaules et de l’affubler d’un pantacourt ! Je vous jure, ça fait bizarre dans une école primaire, des gros mollets poilus comme ça ! Puberté précoce, il paraît. Il lui manquait plus que ça…

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Bouzidi et Da Silva qui d’habitude sont de gentils garçons, lui avaient posé sur la tête le programme où ils avaient écrit : « Le con du 2 février ». Et lui, il souriait là dessous, l’air tranquille, au milieu de ceux qui se bidonnaient… Alors c’est moi qui l’ai remué : « Merde, je lui ai dit, t’es où ? mais t’es où ? réponds ! » - « ch’uis là » qu’y m’a dit ! « Arrête de faire le con ! arrête de faire le con !! ». Ça me devenait insupportable. Il était bien quelque part ce gosse. Au fond de ce gros corps inerte y’avait bien quelqu’un ! Comment dire…ça m’offensait que ça se manifeste pas. Les collègues ne comprenaient rien : « Laissele donc tranquille ! il est heureux comme ça » D’abord, qu’est-ce qu’ils en savaient s’il était heureux ? Et puis le laisser tranquille !…c’est de tranquillité qu’il crevait ce gosse ! Il pouvait quand même pas se contenter d’être là, à sourire en refusant de subir la laideur du monde, à attendre quoi ? l’éternité ? C’était une insulte à la vie ! Quoi, il avait pas le droit… Ils refusaient tous de comprendre. Un jour, on était de cantine, Veyre et moi, et j’essayais de lui exposer mon point de vue, « Tu sais, pour lui – il m’a dit, en le montrant du menton (on pouvait pas le louper : il s’empiffrait, dépassant les autres de sa tête et du bonnet blanc à pompon qu’il y avait oublié) – toutes tes méthodes, c’est benêt blanc et blanc benêt ! » et de s’esclaffer. Evidemment la saillie a fait le tour de l’école. Celui-là, il a commencé à m’obséder…

Mais celui-là… Au bout de quelques semaines, j’ai pas pu le laisser sortir en récré avec les autres. Forcément, le voir assis par terre dans le bac à sable, à regarder les fourmis ou même à se tripoter, ça les excitait les autres. Ils arrivaient même à être méchants. Un jour, j’ai piqué une grosse colère : ils l’avaient fait coucher par terre et ils étaient en train de le recouvrir totalement de sable en rigolant. Lui, il était pas fâché. Il était jamais fâché. Alors, c’est moi qui me suis fâché contre lui. Je lui ai dit qu’il devait pas se laisser faire, qu’il était grand, qu’il devait se tenir debout, je l’ai secoué… Bien sûr, mes collègues ne comprenaient pas : « C’est pas de sa faute, il est comme ça…faut pas le disputer ! » Mais enfin, Nom de Dieu, c’est pas acceptable. Des fortes têtes, j’en ai eues à l’école. Des violents, des sournois qui font leurs coups en douce. Ceux qui répondent et même tiens, Chabre, il s’appelait… un jour que je l’engueulais, il a fait mine de se dresser contre moi. Je l’ai attrapé par le col, je l’ai mis contre le mur, j’ai pas crié, non je lui ai simplement dit : « A la maison, tu fais peur à ta mère et à tes sœurs, ici mon petit vieux, c’est à moi que tu auras à faire ! » et je l’ai reposé. Il y a eu un grand silence et ça a été fini. C’est pas une question de carrure, mais de déter-mi-na-tion. C’est ce que j’explique toujours aux jeunes collègues ! Mais celui-là… plus.

Je rentrais énervé à la maison. Il me fallait 2 ou 3 pastis pour me remettre les idées en place. Mais je peux dire que lui, je l’ai plus jamais laissé tranquille ! Je le lâchais pas. Pas question qu’il continue à faire l’animal au milieu de nous autres. La nuit, je réfléchissais aux exercices, aux méthodes…J’allais la lui faire remplir sa maison vide ! Je m’occupais quasiment plus que de lui. Merde, un jour ou l’autre, il faudrait bien qu’il crie, qu’il souffle, qu’il souffre, qu’il soit un homme, quoi ! Le directeur est venu plusieurs fois me dire : « Pedretti, si vous voulez, on peut le mettre dans une autre classe…faut pas focaliser sur lui, faut prendre des distances… » Prendre des distances…c’est bien le discours à la mode !

Rien à faire, jamais colère. Jamais triste non

Voilà : le pire c’est qu’il avait jamais l’air malheureux. Il était là, posé au milieu de nous, tranquille, souriant, comme si la vie lui passait au travers… J’ai tout essayé pour que ça bouge. Je me disais qu’un jour ou l’autre il serait intéressé par un truc, que ça lui ferait de l’effet, quoi, que la porte s’ouvrirait ! En février, j’ai pensé à l’association montée pour promouvoir la culture populaire, on y fait souvent des lectures un peu mises en scènes. Les gamins, même les grands, ils ont beau protester, ils adorent. Quand je leur dis « Le Conte du Genévrier », même les durs à cuire ils sont scotchés… J’ai pensé : ça va le remuer… A la fin du spectacle je suis allé le voir. 19


Faut prendre des distances avec ses problèmes, avec les histoires des autres, avec la marche du monde…zen, on observe de loin. Ben voilà, justement, c’est ce qu’il avait fait lui, il avait pris des distances et tellement qu’il s’était perdu ! qu’il était quelque part, mort-vivant, confit dans sa connerie et que tout le monde était content ! Alors là, non ! Je lui disais en tapant sur la table : « t’as pas le droit de faire le légume comme ça, c’est trop facile ! tu es notre frère humain – oui, notre frère humain ! – et tu dois respecter ta dignité humaine. Voilà ! alors tu te tiens debout et tu récites cette putain de poésie ! et avec ton cœur, Nom de Dieu !! » A la récré, comme les autres le voulaient pas au foot, évidemment, je le gardais. Et je le lâchais pas tant qu’il m’avait pas collé droit les illustrations de son cahier. Plus question d’aller se vautrer dans le sable pour exciter la méchanceté des autres

Gérard MILLOTTE FLASHES EN LISIERES

Après Auschwitz, plus de poésie(s).

La liberté, c’est comme la poésie, ça ne se donne pas, ça se mérite.

Il a commencé à moins sourire. C’était déjà ça… Peut-être que je tenais le bon bout ?… Et puis un matin, je croise Veyre dans le couloir, qui me dit, goguenard : « Il est gentil comme tout ton débile, Pedretti ! regarde, il fait des dessins pour tout le monde… » et là, il me sort cette foutue maison vide avec le poireau et l’hirondelle ! J’ai pété les plombs. Veyre, je l’ai attrapé par le col : « Fumier ! » je lui ai dit et j’ai foncé dans ma classe. Il était là, tranquille, ahuri. Alors, j’ai craqué encore. « Petit con, t’as pas pu t’empêcher de te ridiculiser ! ça te plait, hein, qu’ils se foutent de toi ! ça te fait jouir, connard ! je me tue à te civiliser, et toi, tu vas promener tes mollets poilus et ta maison vide partout pour leur faire plaisir !! » Et plus je lui tapais dessus, plus j’avais mal… Y’avait rien à faire, rien, pour qu’il ouvre la porte.

Il y en a qui aime le pouvoir comme je hais l’argent.

Quand on n’a pas mal, on ne sent rien.

Le rire est le propre de l’homme, le souris de la femme.

Le paradoxe du poète : penser que l’angoisse des autorités n’existe pas.

(écrit à la mi-janvier 2012 ! …)

La petite fête pour mon départ à la retraite qui était prévue la semaine suivante, a été annulée. Pas la peine… Vous pouvez pas comprendre… Celui- là, quand j’y pense, j’ai envie de chialer.

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LA CHRONIQUE HURONNIQUE de Louis LEFEBVRE agrémentée de dessins de Marie-Héllène

Zeus avait inventé la loterie en quelque sorte.

PLOUTOS

Il ne voulait pas que la vertu et l’honnêteté soient récompensées en ce monde. Sinon le monde devient un paradis et ce n’est plus le monde des hommes. Il faut que la richesse tombe au hasard ou soit le fait des salopards, des fourbes, des malins, des cyniques. La comédie d’Aristophane ressemble à une fable triste. « Debout les damnés de la terre !... » Vous pouvez gueuler les damnés de la terre : les crésus, les nababs, les rentiers, les marquis de carabas, les nantis, les rupins, les culs cousus d’or continuent à rouler carrosse ! Ploutos ne voit rien.

Comédie d’Aristophane (388 av. J.C.)

Il est le Fric. Il domine le monde. Il est le dieu unique de la religion de la Finance. C’est un nouveau monothéisme. Un Mammon moderne. Et ce fascisme qui règne dans les temples appelés « Banques », n’a pas besoin de guignols comme les Franco, les Mussolini et les Adolf. Ce FRIC fasciste – ce Facho-Fric – est insaisissable. Invisible. Sa force entraîne tout sans qu’on puisse le combattre ou seulement l’endiguer. « Debout les damnés de la terre ! Debout les damnés de la faim !... qu’ils chantent aujourd’hui, les Grecs (en grec). Mais l’Internationale est devenue l’Internationale du FRIC. Les prolos ne savent même plus contre qui, contre quoi, lever leurs drapeaux noirs ou rouges.

Mais Aristophane s’amuse avec le conte du dieu non-voyant. Un brave travailleur – un prolo grec – Chrémyle (Chrémimile pour les intimes) décide d’aider Ploutos. Il le conduit au temple d’Asclépios, le dieu de la médecine. Afin que le dieu guérisse le dieu. Chrémyle rêve d’un peu de justice quand Ploutos aura recouvré la vue. Il nous explique : « Les femmes galantes de Corinthe, quand il se trouve que c’est un pauvre qui leur fait des avances, elles n’y font pas même attention ; mais si c’est un riche, elles lui résentent aussitôt leur derrière ». Ah ! on découvre la vie des Grecs dans l’Antiquité en lisant Aristophane ! Ainsi on apprend que les putains de Corinthe sont cher et qu’à un bon client elles présentent « leur derrière ». Spécialité de Corinthe – comme le raisin.

Le Ploutos d’antan était un bon bougre de dieu. Aristophane nous raconte dans sa comédie que le pauvre dieu est aveugle. « Quand j’étais jeune, j’avais ménacé Zeus de ne frayer qu’avec des gens justes, des sages, des gens honnêtes. Et c’est pour cela qu’il me rendit aveugle. » Ploutos ne voit pas à qui il donne la richesse et il peut être trompé par le premier filou venu. 21


Chrémimile mène à bien son beau projet et Ploutos est guéri ! Chrémimile a gagné le gros lot. Voici au moins un prolo qui ne chantera plus « Debout les damnés de la terre ! ». « Qu’il est agréable d’être riche ! La huche est pleine de blanche farine et les amphores de vin rouge au bouquet agréable. La citerne déborde d’huile et le grenier de figues sèches. Nos vieux plateaux à poissons tout pourris, on les voit en argent et notre lanterne est devenu en ivoire. Ce n’est plus avec des cailloux que nous nous torchons, mais avec des têtes d’ail… » Oui, on entre dans l’intimité du monde grec avec Aristophane.

La pauvreté au contraire oblige les pauvres à bosser. « Debout les damnés de la terre ! » oui, debout ! et de bonne heure pour aller pointer à l’usine ! Chrémyle voit défiler chez lui plein de gens qui se plaignent. Arrive un prêtre qui a perdu son gage-pain. « Comme ils sont riches, plus personne ne fait d’offrande. » Aristophane ne conclut pas. Il ne dit pas si Chrémyle est allé à Corinthe. Et si Ploutos a continué à mettre le monde cul par-dessus tête. Ploutos, s’il est encore de ce monde – mais il l’est certainement puisque c’est un immortel – doit contempler bien tristement la Grèce. Le Fric-Facho a ruiné son pays. Des ruines partout. Les ruines, on connaît en Grèce. Mais là, ce sont des ruines d’un nouveau genre : des ruines de Grecs. Des ruines de prolos grecs. Qui chantent « Debout les damnés de la terre ! »

Tout est bien qui pourrait finir bien. Mais voici une nouvelle venue : La PAUVRETE. La PAUVRETE vient se plaindre : « Je veux vous faire voir clairement que seule je suis la cause de toutes vos prospérités et que c’est grâce à moi que vous vivez. » Cette vieille peau raisonne aussi bien que Socrate. « Tu ne pourras pas dormir dans un lit, car il n’y en aura pas ; ni sur des tapis car qui voudra tisser s’il a de l’or. Vous n’aurez pas d’essences pour parfumer la jeune mariée, ni de robes coûteuses… Or quel avantage d’être riche quand on est privé de toutes ces choses-là ? Mais grâce à moi, il y a en abondance tout ce dont vous avez besoin, car c’est moi qui force l’ouvrier besogneux et indigent, à chercher des moyens de vivre. »

Zeus, au Mont de Piété, donne ses foudres d’or, Hermès, son caducée, Athéna, son égide, Héra, tous ses bijoux, Coré, ses plus beaux morts. On emplit le Mont de Piété. L’Olympe est vide. Ploutos voit comme dans les Champs élyséens, Errer un peuple gris dans Athènes qui pleure. On est là sans espoir, on ne sait plus très bien Pour qui sonne le glas et pourquoi on demeure. La ville est bien malade, elle tremble et gémit. De force, des salauds l’ont mise en quarantaine. Il n’y a plus ici ni amour, ni amis. Les loups de Reggiani sont entrés dansAthènes.

Cette vieille salope de Pauvreté raisonne comme les crésus, les nababs, les rentiers, les marquis de carabas, les nantis, les rupins, les culs cousus d’or. Si Ploutos donne la richesse à tout le monde, plus personne ne travaille, tout le monde se la coule douce et c’est la catastrophe.

Tout cela n’est pas très gai. Mais que les Grecs relisent Aristophane, ils verront que la Pauvreté octroie bien des biens : « Regardez les orateurs : tant qu’ils sont pauvres, ils sont justes envers le peuple et la cité ; se sont-ils une fois enrichis aux dépens 22


ZEUS lançant un javelot. 2,09 m Musée national – Athènes.X La statue est vendue par morceaux. Ici, la tête. 20 000 €. De quoi payer un professeur grec pendant 10 ans.

des deniers publics, les voilà aussitôt devenus injustes et qui complotent contre le gouvernement démocratique. » Quant aux riches, à qui la Pauverté ne donne aucun de ses dons : « Ils sont podagres, ventrus, ils ont des jambes épaisses et un embonpoint insolent… » Oui, les Grecs, songez que les nantis n’ont pas de chance.

BITON marbre – Delphes – 2,18 m.

Le riche a la peau grise et le foie vermoulu ; Le banquier cousu d’or se flétrit, ne dort plus ; Le plein aux as pourrit sur pied ; l’aristo fane ; Le Fric dessèche tout, nous dit Aristophane.

Biton ? C’est peut-être Cléobis. Cléobis et Biton étaient jumeaux. Comme leur maman se rendait au temple, ils s’attelèrent à son char. Les dieux, en récompense, leur donnèrent une jeunesse et un sommeil éternels. Drôle d’idée ! Cléobis et Biton auraient préféré, j’en suis sûr, recevoir chacun une belle fille et vivre de la vie de la terre.

LES GRECS ONT DECIDE DE TIRER PARTI DE LEURS VIEILLES PIERRES Extraits du catalogue des ventes publiques (dessins de Marie-Hellène)

On voit ici que l’on a commencé à débiter Biton : il a encore ses coucougnettes mais il lui manque son zob. D’où la petite chanson grecque : « La bite à Biton Où est-elle, ma mère ? La bite à Biton Elle s’est fait la paire !… »

Temple encore en bon état. Peut être aménagé en bungalow pour les vacances. Prix à débattre

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« La littérature reconnaissante à ses enfants hors-la-loi » par Jean CLAVAL DENIS DIDEROT (1713 – 1784) Les Bijoux indiscrets (1748)

- Banza, Paris - l’Afrique, l’Europe - Erguebzed, Louis XIV - Mangogul, Louis XV - Mirzoza, Mme de pompadour - Aglaé, Mme de Puisieux - le génie Cucufa, la personnification de l’attrition On trouve dans cette œuvre maintes pages de qualité, une satire des mœurs déplorables , de l’éloquence factice, des préjugés. La sagesse et la philosophie, exprimées d’une plume alerte, avec finesse et verve, n’en sont point absentes. Par la suite, Diderot affectera de dédaigner son ouvrage, allant jusqu’à le désavouer avec une attitude embarrassée lorsqu’il en entendra parler même de façon flatteuse, assurant que « s’il était possible de réparer cette faute par la perte d’un doigt, il ne balancerait pas d’en faire le sacrifice à l’entière suppression de ce délire de l’imagination »(Mémoires de Naigeon). Si Diderot est arrêté le 24 juillet 1749 et emprisonné au donjon de Vincennes, ce n’est toutefois pas suite à la publication des Bijoux mais sous l’accusation d’appartenir au « parti intellectuel » comme auteur de la Lettre sur les Aveugles à l’usage de ceux qui voient et la Promenade du Sceptique. La situation du royaume exigeait une recrudescence de surveillance, la vigilance de la police s’intensifiait et le gouvernement usait de la plus

Comment Diderot fut-il amené à écrire Les Bijoux indiscrets, roman détonnant, peut –on sans conteste avancer, dans l’œuvre de l’écrivain philosophe ? Agé de trente-cinq ans, Diderot est l’amant de Madame de Puisieux. Certains critiques soutiennent que l’auteur avait besoin d’argent pour subvenir aux dépenses de sa maîtresse. Quelques éxégètes, sans éliminer ce motif peutêtre péremptoire, y associent le désir de prouver la possibilité de mettre dans un écrit léger (ironsnous jusqu’à dire licencieux ?) bien autre chose qu’une succession de scènes libres et de dialogues équivoques. Par ailleurs, incitation implicite, publié en 1745 Le Sopha de Crébillon fils avait obtenu un beau succès. La question se pose seulement de trouver une idée plaisante, base essentielle du projet. Diderot n’invente pas la trame de son récit, il la puise dans un fabliau érotique du Moyen Age, Le Chevalier qui faisait parler les cons. Les Bijoux se révèlent un livre à clef. Sans avoir l’intention délibérée de faire une peinture de la Cour, Diderot a surtout le désir de brocarder l’habitude du roi de s’informer de la chronique scandaleuse relevée par les agents des lieutenants de Police de Paris. Nous pouvons identifier certains noms du roman pour les transposer aisément : - le Congo, c’est la France 24


ferme répression. Après aveux et promesse d’amendement, Diderot obtient le 21 octobre son élargissement. Les Bijoux paraissent en Hollande, six éditions s’en vendent en quelques mois, certaines portant A Pékin ! Dès 1749, le roman est traduit en anglais. Signalons qu’une édition de 1833, ornée de figures, alarme les censeurs et entraîne une condamnation insérée dans le Moniteur du 7 août 1835. Il ne s’agit certes pas d’un chef-d’œuvre mais ne faisons pas la fine bouche et ne boudons pas notre plaisir, extrayons-en sa « substantifique moelle » puis, pour les savourer alors sans ombre d’obreption, relisons à cœur ouvert Jacques le fataliste et son maître et Le Neveu de Rameau. Pour ne nous en tenir qu’au XX° siècle et à quelques auteurs de renom, nous n’oublierons pas que Pierre Louÿs, Guillaume Apollinaire, Louis Aragon, Raymond Queneau et Robert Turner (ici, nous pensons évidemment à Trois filles de leur mère, Les Onze mille verges, Le Con d’Irène, On est toujours trop bon avec les femmes et Tite Belle) n’ont pas hésité à tremper leur plume dans l’encrier de la gaudisserie épicée pour nous concocter à leur tour quelque ouvrage « de haulte gresse enchargié d’esgayer la maison ». Que s’esbaudisse l’ombre de Rabelais

Les larmes d’Agathe – Etre femme dans le Morvan, roman par Christian AMSTATT – Chez l’auteur, 51 rue L. de Vinci – 21000 Dijon (Editions Raison et Passions – 210 p. 15 €)

Le Morvan dans les années 50. Le monde vient battre aux portes d’Agathe, enfant symbolique d’une civilisation paysanne sur sa fin. Devenir femme sera le fruit d’épreuves successives, ôtant tour à tour les « voiles » des habitudes, des préjugés, des fatalités. La tenacité d’une enfant qui ne se satisfait pas de ses chagrins secrets et refuse de s’en tenir à une place assignée. Cette quête de soi, cette quête de sens, menée en souvenir d’un ami mort, sacrifié, passé lui aussi en pertes et profits, c’est l’obstination de l’intelligence, de la volonté de justice, de l’incroyance en l’absurdité des choses, du discernement d’un avenir qui tient aux hommes, et nouveauté révolutionnaire, révélation dans la pensée d’Agathe, aux femmes. L’environnement d’Agathe, c’est la pesanteur des routines, l’absence de vision, l’espoir tenu sous le boisseau du manque d’audace. Ce qui sauve Agathe, c’est finalement l’indifférence , le peu de curiosité que suscite ses démarches, la liberté acquise par défaut. Ses larmes sont sa force, le signe de son non renoncement, le signe de sa conscience, de sa révolte muette pour parvenir à comprendre et maîtriser un jour sa vie. Elles nous mèneront aux derniers débordements de sa maturité intellectuelle, aux flots salvateurs de ses larmes de joie… Jean-Michel Lévenard

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FAUT VOUS FAIRE UN DESSIN ?

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par TOM

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Maurice Blanchard, l’enfant sauvage de Montdidier

par Jean-Hugues MALINEAU Paru dans « Balade dans la Somme, sur les pas des écrivains (Paris, 2003-réédition 2011), collection de géographie littéraire, éditions Alexandrines (www.alexandrines.fr)

Pour Maurice Blanchard plus que pour tout autre écrivain ou poète, « la poésie et la vie sont intimement mêlées » dans la mesure où le poème est toujours écho métaphorique de la vie réelle, « souvenir du souvenir ». Pour ce fils du pays né le 14 avril 1890, l’enfance solitaire et malheureuse nourrira les révoltes et les batailles intérieures à venir, elle nourrira de rancune sans pardon et de colère la future parole poétique. Fils unique d’un père et d’une mère appartenant à de vieilles familles du faubourg Saint Martin, il naquit au pied de la colline de l’abbaye (prieuré des moines bénédictins), appelé « l’Abie » par les anciens Montdidériens. Son père qui deviendra par la suite maire de Montdidier de 1923 à 1925, quitte sa mère dès la naissance de l’enfant. Celle-ci qui mène une vie plus que modeste « gardera » Maurice plus qu’elle ne s’occupera de lui, et Blanchard confiera qu’il ne se souvient pas d’une marque de tendresse de sa part son enfance durant ! Plus encore, sa mère, dans la misère elle-même, va refuser à son fils le droit le plus élémentaire à l’instruction. Maurice qui est un élève sensible et très intelligent sera, malgré l’insistance de son maître d’école, engagé, à l’âge de douze ans apprenti serrurier chez le maréchal ferrant du faubourg. Un peu plus tard, écrira Blanchard dans un poème autobiographique, « une grande joie, la loi de dix heures avec une ombre : nettoyer l’atelier le dimanche, ranger les outils et la ferraille. La loi n’en parlait pas, ni pour ni contre, donc… »

Cette solitude sans amour et cette misère vont faire de l’enfant craintif et timide un enfant « sauvage » et du futur poète une véritable « bête sauvage » qui s’identifiera luimême au tigre, au jaguar ou au sanglier. Pêcheur de brochets, tueur de lapins durant ses rares moments de répit, l’enfant amoureux de la rivière, des arbres et de la lumière, vit surtout dans une atroce souffrance solitaire : « Ce fut un enfant abandonné sur un fagot d’épines. Ce fut un adolescent sans espoir et sans lumière. Ce fut une taupe dans son royaume souterrain et la terre lui fut un refuge contre la bassesse du ciel. » L’enfant joue même un jour à creuser sa tombe dans les feuilles mortes d’automne ; un autre jour, raconte-t-il, « à cinq ans, j’ai mangé le nez d’un innocent entêté. Comme le nez a saigné ! » A huit ans, premier poème avec des mots qu’il invente, en dévalant la colline à toute vitesse par un soir de grand vent : Estave ô minaure / Sirtace dismen / Olh janosb héricante / Bahia la carsillo/ Mintem…1 Enfant oisif et humilié par l’esclavage des premiers travaux, c’est un enfant qui dérobe parfois, les poings serrés, quelques instants d’éternité : « Au premier chant du coq, réfugié dans la grange, abandonné des humains et du soleil, enfoui dans la paille comme un rat craintif, je m’enivrais de silence et d’obscurité. Il me semblait vivre dans l’éternité, hors de ma chair, hors de mon sang, hors

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. Ce poème sera retranscrit 40 ans plus tard dans le recueil : C’est la fête et vous n’en savez rien.

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des terrestres dégoûts et des humiliations et je vivais dans les lieux calmes et les profondeurs de l’Enfer. »

écrire un poème, il faut recommencer sa vie, toutes ses vies ». Pour Maurice Blanchard davantage encore puisque la victoire de la poésie qui consiste à reconquérir « une pureté première » passe nécessairement par une descente aux enfers : « Les aurores se fabriquent dans les ténèbres » Poète encore très méconnu, après de longues années passées à Paris, Maurice Blanchard retraité de l’aéronautique choisit en 1955 de retourner finir ses jours à Montdidier où il loue une maison ! Il y passera les cinq dernières années de sa vie jusqu’en 1960 et il y écrira ses derniers poèmes. « Je revins au pays pour cultiver la terre, bien que la récolte n’eût plus à mes yeux que la valeur d’un rêve d’enfance. Et même infiniment moins ! Mais comment se fit-il qu’en descendant la colline, je me prisse à caresser les haies toujours vertes qui se mirent à frissonner comme des bêtes familières. Ce fut émouvant bien sûr ! L’écorce de ma vie se fendit et laissa perler sa noire résine ». Sur cette même colline de l’Abie qu’il dévalait enfant en hurlant son premier poème, il chutera un jour d’hiver 1960, glissant sur une plaque de glace et mourra, quelques jours plus tard des suites de cette mauvaise chute.

Si Maurice Blanchard évoque parfois son enfance, il ne nous parle que très rarement de Montdidier hormis dans quelques pages de son journal dont nous présentons plus loin des extraits. Il quittera la Picardie vers 18 ans pour s’engager dans la marine (seule possibilité de faire des études et « de rejoindre la file des garçons instruits »). Ignorant alors que le voyage jusqu’à Toulon est payé aux jeunes conscrits, il part à pieds de Montdidier et marchera jusqu’à la Méditerranée ! « J’ai repris des forces en piétinant ma mère. Je chante à pleine gueule, va-du-bec, va-z-y voir je t’emmerde, je pousse un petit caillou, je pousse mon ventre. Vichy, quatre cent trente kilomètres, comme le temps passe… » On connaît la suite…L’enfant surdoué, animé par une véritable boulimie de connaissances, deviendra en quelques années un célèbre ingénieur aéronaute (ses avions battront des records de vitesse et d’altitude) et, tard venu à la poésie, à l’âge de trente-sept ans, il est un des poètes essentiels du vingtième siècle qui a fait l’admiration d’André Breton, Paul Eluard, Julien Gracq , René Char et de bien d’autres parmi les plus illustres de ses contemporains. On peut s’étonner dès lors que l’enfant malheureux et humilié soit si fréquemment retourné à Montdidier : «Pourquoi s’attendrir sur d’affreuses réminiscences ? Pourquoi se souvenir de saloperies d’enfances ? Je n’aimerai pas revoir le triste patelin qui m’a vu naître : pourquoi cette éducation collée aux gestes comme la terre des champs à mes semelles, quand je touchais les bœufs dans la plaine d’Assainvillers ». Il nous faudrait longtemps peut-être pour expliquer ce nécessaire retour aux sources et ces apparentes contradictions ; qu’on se contente de cette citation éclairante : « Pour

Contacts : Editions Alexandrines, Marie-Noëlle CRAISSATI 31, rue du Coüédic – 75014 PARIS alexandrines@wanadoo.fr Pour lectures de Maurice BLANCHARD : « Les Barricades mystérieuses » (NRF – GALLIMARD) « Maurice BLANCHARD » par Pierre Peuchmaurd (Seghers) «L’avant-garde solitaire » par Maurice BLANCHARD (L’Harmattan)

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LE FESTIN DU PAUVRE L’affamé, avide et transparent, digère les couleurs. Les sons se hâtent et marchent sur les eaux et voici le soleil encore un coup immobile pour un siècle ! Ô patience ! Ô patiente ! La forêt de mes mains s’épouvante et les rameaux tombent, tombent lentement. Ils effacent les sentiers, ils effacent les souvenirs. Ma main de glace qui déchire l’angoisse, ma main qui étoile les vitres hargneuses, ma main qui écrit ce poème : ma main est sage comme une image. Je suis l’intouchable, le pestiféré, mais je suis fort et demain n’existe pas. La faim extra-lucide aux grandes mains d’étrangleur a parlé : « Un monde, c’est quelque chose que l’on mange, d’une façon ou d’une autre, par la chair ou par les yeux, par la flamme, le rabot du cœur et ses bouquets de copeaux frisés qui sentent le printemps. » Seules les basses marées sont mortelles. L’HORLOGE DE LA TOUR L’ivrogne s’est couché sur les marches de pierre, et la pierre est devenue douce. C’est un lit de fleurs qui berce l’ivrogne, une chanson. Et la pierre est là, qui témoigne de l’éternité. L’homme sage crache sur l’ivrogne, mais le Soleil brille sur les pierres et les nuages font trois fois le tour du monde. Ils changent la lumière qui fait briller les pierres. Les yeux de l’ivrogne brillent et chantent. Aujourd’hui 21 juin, il est midi et c’est l’Été. Ce sera toujours midi et ce sera toujours l’Été. L’hirondelle a bâti son nid au sommet de la Tour et le lierre du souvenir pique inlassablement de son bec d’acier dans les jointures de la pierre qui brille et qui chante. VIVRE C’EST INVENTER Dans la nuit brisée par l’orage, assis sur la margelle d’un vieux puits, je fixai ce pétrifiant regard de gorgone qui me dévorait déjà à l’autre bout du monde. Ce n’est pas avec les mains que l’on saisit la vérité, c’est en chassant au plus profond de l’abîme les ténèbres de l’existence. Ainsi, j’écoutais les chants harmonieux de la nuit qui montaient des vagues entrouvertes. Regarder son aurore, c’est à un bonheur indescriptible. ÉCLAIRER LES RUINES

4 textes de Maurice BLANCHARD

O ! Passé, passé immense Ventre éternel et farouche gardien des secrets de l’existence : tu ne mens point et je ne crois en rien d’autre qu’en ta puissante et Imputrescible mémoire. Les roches scintillantes des profondeurs sont là depuis toujours, pour toujours supports solides du grand silence, grand-livre des événements irréversibles. Durant les longues nuits sans sommeil mes ancêtres sont en moi, ils combattent, s’entre-déchirent et se tuent. Leurs blessures sont affreuses et leur cruauté me pénètre : Elle imprègne ma moelle Et mon cerveau. Chaque matin, dans l’aube mouvante et instable mes revenants titubent et s’effacent.

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POÉSIE ESPAGNOLE CONTEMPORAINE «EL GRUPO CERO - MADRID» par Clémence LOONIS de l’École de Poésie Grupo Cero- Madrid LA POESÍA ES UN ARMA CARGADA DE FUTURO -La poésie est une arme chargée de futurGabriel Celaya (1911 – 1991)

Depuis la génération du 27 représentée particulièrement par Federico García Lorca, Dámaso Alonso, Vicente Aleixandre, les maîtres du début du siècle passé, les générations se sont succédées sous la même dénomination, génération du 50, génération du 60 et ensuite plusieurs « ismes » ont fait leur apparition, chacun d’entre eux voulant rompre avec l’antérieur, cherchant à se démarquer; certains tendent vers le naturalisme, d’autres se faisant appeler « L’autre sentimentalité », il y a aussi « la poésie de l’expérience » que le groupe « La Différence » dénonce comme étant protégée par les pouvoirs publics. Voulant présenter à tout prix quelque chose de nouveau, quelque chose qui n’ait rien à voir avec le passé, ils reviennent, d’une part à une espèce de réalisme sous forme de récit de l’expérience, dénué de métaphores et marqué par l’incommunication, la solitude, le scepticisme, puis d’autre part, se dessine un style minimaliste où les espaces blancs ont beaucoup plus d’importance que les mots. Finalement, dans ce laboratoire se produit bien peu de poésies.

Dans chaque poème, il y a une poétique et dans chaque poétique, une conception du monde, une manière de penser la vie, l’amour, la création. Depuis 30 ans, il existe en Espagne, à Madrid, un mouvement scientifico-culturel fondé sur d’autres questions. C’est l’École de Poésie et Psychanalyse Grupo Cero pour qui la poésie est une manière forte d’être dans la vie. Ses Ateliers de Poésies privilégient la lecture des grands poètes du monde entier et maintient une constante diffusion gratuite de poésie universelle. La meilleure poésie, des meilleurs, de tous les temps que propose la revue Las 2001 Noches. (www.las2001noches.com) “Si est possible le poème, est possible la vie” écrit le poète fondateur de l’école, Miguel Oscar Menassa. * Quand la poésie se libère des lois qu’elle enfreint parce qu’elles sont des modèles idéologiques, elle devient un instrument de connaissance, une manière différente de lire les phénomènes qui ont lieu dans le monde. La poésie est fondamentale pour comprendre le monde et pour agir sur la réalité.

Cependant, cette écriture existe parce qu’elle suit les modèles idéologiques de l’état. Elle a aussi la fonction de dissiper, de diluer, de faire passer à un autre plan les mouvements qui ciblent l’écriture d’une véritable histoire de l’homme, une véritable production de connaissances, de réalités. À la poésie, on y arrive par la poésie et nier le passé ne nous convient pas, car sans maîtres, on ne peut pas écrire.

« Quand irons-nous, par-delà les grèves et les monts, saluer la naissance du travail nouveau, la sagesse nouvelle, la fuite des tyrans et des démons, la fin de la superstition… » écrit Rimbaud, parce qu’il sait, tout comme Saint John Perse que c’est à partir de la poésie que se fabrique le monde et qu’un autre monde est possible; “L’amour est son foyer, l’insoumission 31


sa loi et son lieu est partout, dans l’anticipation” Discours de Stockholm, réception du Prix Nobel, 1960

LA MORT DE L'HOMME

C'est de nouveau la nuit et en général la maison dort. Une voix à la radio dit les dernières paroles. Je me distrais avec la fumée et mille choses me passent par la tête et aucune n'a à voir avec l'idée de m'allonger tranquillement sur le lit et dormir.

« La poésie doit être faite par tous, non par un » écrit Lautréamont « La poésie doit être lue par tous » écrit le Grupo Cero. La poésie ne souffre pas des misères du temps chronologique et sa valeur est hors de la valeur d’usage et loin, très loin, de la valeur d’échange, puisque comme nous le savons la poésie, dans sa différence radicale, n’équivaut à rien de possible. Sa sphère d’action, l’avènement, ne peut ni s’utiliser ni se vendre mais, cependant et ce n’est pas en vain que le poète le dit : la poésie n’abrite en son sein que les grands travailleurs.

Au milieu de tant de papiers je finirai par être un écrivain et je fixe mon regard sur le lointain et je laisse l'histoire de l'homme faire irruption avec la violence du destin dans ma nuit.

Penser le poète comme un travailleur domine l’exercice régulier de la lecture et de l’écriture. La poésie est une possibilité pour chaque être humain, c’est un travail, comme l’est parler ou marcher mais le poète n’est pas la poésie et c’est dans l’acceptation de cette différence que s’inaugure la possibilité d’écrire.

J'allume des cigarettes en abondance l'une après l'autre comme si c'étaient de scintillantes grenades contre les oppresseurs. Depuis des millions d'années l'homme vit à genoux. Les grenades éclatent sur mon visage. De primitives présences peuplent ma nuit de rites sauvages. Cérémonies où la mort est toujours une chanson sublime et mystérieuse.

Pour le Grupo Cero : écrire, publier et diffuser, sont un même acte. C’est pour cela qu’il a fondé en 1981, la Maison d’Édition du même nom et a publié depuis lors à compte d’auteurs, plus de 180 livres et de nombreuses revues de poésies gratuites. Et comme l’a souligné le Grupo Cero, il y a plus de 30 ans : « La poésie est une arme contre l’ennemi, utilisez-là ».

Des bêtes indomptables semblables à l'homme par la maladresse de leurs mouvements dansent autour de moi rageuses sylvestres. En mauvais français elles me disent que leur chef veut parler avec moi.

*Né à Buenos Aires en 1940, il vit à Madrid depuis 1976. Poète, Médecin, Psychanalyste, Peintre, Éditeur, Metteur en scène, Acteur…Candidat au prix Nobel de Littérature 2010. Il a publié plus d’une cinquantaine de livres et cette année il célèbre ses 50 ans de poète. (www.miguelmenassa.com)

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Assis sur mon lit en train d'écrire je demande que cessent de rugir les tambours que cesse la danse qu'on me laisse écrire ce poème. L'homme a faim et soif depuis des millénaires. Nous sommes cet homme affamé et assoiffé poète chantez avec nous: Nous venons de la Mésopotamie et des Caraïbes et en cherchant la perfection nous sommes arrivés jusqu'aux mondes qui se cachent au-dessus du ciel et nous n'avons rien trouvé. Il y a toujours un homme qui a faim. Il y a toujours un homme qui meurt de soif. Ici même poète dans ta maison logent l'oppresseur et l'opprimé. Assis sur mon lit en train d'écrire je dis aux sauvages que nous sommes en pleine nuit je leur demande poliment qu'ils arrêtent de danser j'ai besoin de m'enfoncer parmi les lettres ma faim mon unique soif. Et maintenant poète laisse ta plume commence à marcher et pense. Assis sur mon lit en train d'écrire je dis au sauvage que je ne veux pas quitter ma chambre et que j'ai toujours su que penser n'était pas nécessaire et que je désire et c'est la dernière fois que je le lui dis continuer à écrire ce poème.

Ils arrêtent de danser et celui qui se distingue par son extrême humanité me fulmine du regard. Qui est plus cruel poète? Qui est plus sauvage? Celui qui meurt en luttant pour un morceau de pain ou celui qui ne meurt jamais? Qui produira l'extermination poète? Mes armes ou tes vers?

Avant de continuer je m'arrête sur l'intelligence du sauvage: il parle bien et tandis qu'il parle il laisse échapper entre les mots

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Voyons poète un vers qui me dise maintenant même qu'est-ce que l'homme? Assis sur mon lit en train d'écrire je me rends compte que l'intelligence du sauvage terminera par brûler tous mes papiers écrits dans ce bûcher que ces paroles ont construit autour de moi.

Je cesse d'écrire je le regarde fixement dans les yeux et je murmure ses propres paroles en un seul vers un homme en un seul vers un homme et je me décide à écrire ce vers. Je soutiens avec mon regard le regard du sauvage et avec de rapides mouvements je prends la mitraillette et je tire plusieurs rafales sur le corps du sauvage qui les yeux exorbités par la surprise tombe pour mourir et disparaître.

son haleine pour que tout semble vital déchirant. Moi je suis l'homme crie la bête enchaînée.

Assis sur mon lit j'écris maintenant avec l'assurance de celui est arrivé au sommet: Un poète a assassiné son homme pour écrire ce poème et ça c'est un homme.

Et toi poète, tu es l'homme ? Écrire pour qui ? Où les amis et où les ennemis? Dis-moi poète, ton chant a-t-il besoin du futur pour être ? Ce poème que tu écris contre tout à qui servira-t-il ?

Miguel Oscar Menassa

Traduit de l'espagnol par Claire Deloupy

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De la musique avant toute chose… par K.J.Djii

TOM JOBIM ou de l’opportunité d’une musique populaire de qualité.

Il reste toujours des fossés à combler et les manches de pelle manquent bien souvent de bras. Prose/poésie : c’est quoi cette hérésie ? Peinture figurative/peinture abstraite : Abstraction faite de certains neurones par trop sédimentés, il s’agit dans les deux cas de représentation. Musique populaire/musique savante : Bartok a-t-il écrit de la musique savaire ou populante ? Il est vrai qu’en son temps, il se faisait traiter tantôt de folkloriste et tantôt de moderniste, voire de décadent (Sa musique a été interdite dès 1933 en Allemagne). Mais il est des contrées où ce fossé n’existe pas ou tout du moins, reste suffisamment petit pour être aisément enjambé. C’est le cas de la musique populaire brésilienne (MPB qu’ils disent là-bas) qui, contrairement aux idées reçues, n’est pas uniquement de la musique de carnaval à grands renforts de sourdots, quikas et berimbaos, ou de la musique à danser et à jouer au foot sur les plages de Rio, mais bel et bien une authentique musique de haute qualité, tant dans l’écriture que dans l’expression. Un cas précis, Desafinado, composé par Tom Jobin (1) sur des paroles de Newton Mendonça. Cette chanson, universellement connue a immédiatement été adoptée par la population brésilienne mais aussi par un grand nombre de musiciens et sa place dans le Realbook, recueil des grands standards de jazz, n’est pas un hasard. Musique facile d’apparence, tout le monde en connaît la mélodie, sauf qu’au bout de

quelques mesures, un siffleur négligent en perdra le fil et s’emmêlera les cordes vocales (2). Pourquoi donc cette notoriété planétaire et cette facilité d’apparence ? Voyons de près. Ce qui surprend dès la première lecture, il s’agit de la partition, c’est que cette musique qui colonise instantanément le cerveau, n’est pas un de ces airs simple voire simpliste, inséré dans une structure qui ne l’est pas moins et arrangé de même. Afin de pas utiliser de notions trop techniques, le refrain ou ce qui peut être appelé ainsi, n’apparaît que trois fois et jamais de la même manière, et aucune partie intermédiaire ne ressemble à ce qui se nomme un couplet alors que c’est une chanson. D’ailleurs, il ne s’agit justement pas d’un couplet, mais plutôt d’une variété amazonienne de reptile qui fourrage dans tous les demi-tons que comporte la gamme (3). Tous ; aucun n’est laissé de côté, d’où la grande richesse harmonique de cette musique qui devrait faire dresser les oreilles des musiciens classiques et hérisser le poil aux rats (cadémie des stars).Ces douze demi-tons font bien entendu référence à l’école viennoise du début du XXème siècle, lorsque Schoenberg et ses condisciples, Berg et Webern abandonnèrent le système tonal pour le remplacer par l’atonalité et le dodécaphonisme. Mais, à la différence de leur musique qui reste malgré tout, parfois âpre et quelque peu aride, Desafinado est un enchantement de souplesse et de sinuosité. Il faut aussi préciser que Tom Jobim a pris des cours de piano auprès de l’Allemand Hans-Joachim 35


Koellreuter qui s’intéressait de très près à cette technique de composition. Quant au reptile amazonien qui est l’une des causes de cet enchantement, il est directement issu de la saudade, terme brésilien ne possédant pas d’équivalent correct en français (4), qui est l’expression la plus représentative de la culture du pays et de son esprit. C’est une douceur bien balancée, sur un rythme très souple, tant dans le jeu instrumental que vocal, et qui confère à cette musique un caractère éminemment féminin et sensuel. Ajoutons une pelletée de richesses harmoniques (5) histoire d’enterrer la culture hallidesque de Johnny et nous nous retrouvons face à un véritable petit chef d’œuvre de deux minutes digne de figurer au panthéon des grands. Enfin, et le trou sera bouché, la diffusion de la musique au Brésil ne se heurte pas à la sacro-sainte loi des 70 ans pour entrer dans le domaine public qui sévit en Occident ou du moins, n’est pas appliquée de la même manière. Ainsi, la partition appartient au patrimoine humain des musiciens et des auditeurs et non aux mains des maisons d’édition et autres prêteurs sur gages. Musique populaire/musique savante ? A vos binious (6).

1-De son vrai nom Antonio Carlos Brasileiro de Almeida Jobim (Rio de Janeiro 1927-New York 1994). Le point de départ de sa carrière est la rencontre avec Vinicus de Moraes en 1956 qui lui demande d'écrire une musique pour sa pièce Orfeu da Conceiçao ; c'est immédiatement un triomphe et la pièce sera adaptée au cinéma par Marcel Camus en 1959 sous le titre Orfeu Negro. En plus de Moraes, Tom Jobim a joué avec tous les grands de la musique brésilienne tels que Baden Powel, Joäa Gilberto ou Nara Leäo qui sont à l'origine de la bossa nova. Il a composé plusieurs centaines de chansons et enregistré plus de 50 disques. Il est aussi l’auteur d’autres mélodies mondialement connues comme La Garota de Ipanema ou Aguas de março. Il sera quelque peu abandonné de son public brésilien à la fin de sa vie pour s'être trop rapproché de la musique américaine et de Franck Sinatra notamment. 2-Pipeau à deux cordes. 3-Les 7 notes de la gamme (do ré mi fa sol la si) sont divisés en 12 demi-tons. 4-Saudade pourrait être associé à quelque chose comme la nostalgie ou la mélancolie (qui est une sorte de vague à l’âme à la sexualité floue). Le terme allemand de sehnsucht conviendrait mieux à qui comprend la langue. 5- L’armature, comportant un si bémol à la clé, fait penser à une gamme de fa majeur, mais il n’en est rien puisque sur les 68 mesures composant la pièce, 45 accords différents s’y succèdent. L’accord de fa majeur qui soutient effectivement les deux premières mesures ne se retrouve qu’à trois reprises. 6-Attention, de fausses partitions circulent sur internet.

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Do Brasil par Yvan AVENA Elizabeth Caldeira Brito : poète de l´amitié quelques pages manuscrites de ses poèmes, j´avais pu l´inclure dans mon exposition « Poesia Brasileira », dans laquelle je présentais les poèmes illustrés de 29 poètes brésiliens reconnus. Je m´en félicite. Elizabeth (Beth pour les amis), qui venait de la danse (elle avait été la directrice de l´école de ballet de Goiânia) a, depuis, publié plusieurs livres, dont « L´envers des heures et autres », trilingue (portugais, espagnol et français) et occupe de nombreuses fonctions d´animatrice ou de présidente de diverses et prestigieuses institutions culturelles que nous énoncerons à la fin de cet article. Elizabeth Caldeira Brito représente, dans mon esprit, tout ce qu´il y a de gentillesse et d´amabilité dans les rapports avec les Brésiliens de cette région. Goiânia, qui est la capitale moderne et animée d´un Etat grand comme les 2/3 de la France, malgré ses 1.200.000 habitants (en constante augmentation) continue de garder, dans ses rapports humains, une douceur décontractée de village. Personne ne s´énerve quand il faut attendre son tour et, dans les magasins, les vendeuses sont toujours souriantes et aimables, comme si vous étiez le seul client de la journée. C´est vrai aussi que les Brésiliens ne sont guère ponctuels dans leurs rendez-vous, mais personne ne semble s´en formaliser. Ça n´empêche pas le pays d´avancer et de se développer. Et même d´avancer très vite. Peutêtre même trop vite, poussé par la « mondialisation » commerciale qui rabote, sans pitié, tous les particularismes culturels. Pourtant Elizabeth, qui est une femme moderne, une femme consciente de ses droits et qui a des obligations professionnelles (elle est responsable de l´administration de l´Institut Historique et Géographique de l´Etat de Goiás), soutient également la commission locale de Folklore. Je me moque parfois, gentiment, de cette activité folkloriste qui m´exclut. J´ai gardé, après quelques années dans le Gers, une certaine aversion pour les gens qui sont attachés, sans

Je n´aime pas trop les hommages publics. Il y a quelque chose d´artificiel dans les grandes manifestations de remise de médailles et de diplômes comme dans les « hommages posthumes » que les hommes politiques se croient obligés d´organiser, pour des écrivains ou des artistes qu´ils n´ont, pourtant, jamais essayé de connaître et de fréquenter quand ils étaient vivants. Une certaine pudeur absurde m´empêcha, souvent, d´exprimer toute l´admiration et l´amitié - et aussi la reconnaissance – que j´ai éprouvées pour certains de mes amis artistes ou poètes. Bien après, quand ils n´étaient plus là, j´ai regretté de ne pas leur avoir dit tout mon bonheur de les avoir connus. J´ai, effectivement, déploré de ne pas les avoir suffisamment remerciés de tout ce qu´ils m´ont apporté et m´ont offert, dans le domaine de l´art de vivre et de comprendre les hommes. C´est que souvent les grandes et inoubliables rencontres de notre vie restent très discrètes, très simples. La main qu´on vous tend, pour vous éviter de mettre le pied dans une flaque d´eau boueuse, n´est jamais filmée par la télévision. La main de l´amitié est toujours discrète, désintéressée et sans malice. C´est la main du cœur. A Goiânia, où nous sommes arrivés, déjà âgés (j´avais 74 ans), et où nous avions comme seul ami le professeur Ruy Rodrigues da Silva (que nous avions connu en Afrique), beaucoup de mains se sont gentiment tendues pour nous éviter de trébucher, mais aussi pour nous ouvrir généreusement les portes - toujours quelque peu secrètes - du monde de la poésie de cette région. Je souhaite aujourd´hui exprimer, tout particulièrement, ma reconnaissance à Elizabeth Caldeira Brito qui fut, depuis notre arrivée à Goiânia, notre ange gardien. Cette aimable, belle et talentueuse poète publia son premier livre « Dimensões do vivir » (Les dimensions du vécu) en 2004, soit un an après notre premier séjour d´un mois à Goiânia. Néanmoins grâce à 37


nuances, aux « traditions ancestrales ». Mais c´est, peut-être, ce manque de vieilles traditions qui éveille, chez les Brésiliens, le besoin de vouloir conserver le souvenir de ce que leurs grands-parents leur ont transmis. Ça ne va guère plus loin dans le temps. (La ville de Goiânia existe depuis moins de 80 ans...). Donc, à part cette adhésion sentimentale au passé, tout au Brésil est découverte. Le regard des intellectuels est réceptif à toutes les couleurs de l´horizon. Ce n´est pas par hasard que le surréalisme a pénétré si facilement et si profondément l´esprit des artistes et des poètes latino-américains. Un écrivain mexicain disait à un journaliste : « Pour nous le surréalisme est une littérature de mœurs traditionnelles ». Donc Elizabeth Caldeira Brito est non pas un écrivain régional (j´ai envie de dire, comme les suisses, une écrivaine car la sensibilité féminine existe) car, ce qu´elle exprime, dépasse aisément les frontières nationales. La plupart des traductions de poèmes que j´ai envoyées à des revues françaises, belges et suisses ont été publiées et appréciées. C´est une poète d´aujourd´hui !

« Beth» et Yvan (avril 2012)

Le temps On cherche dans les heures lentes, consumées dans l´illusion, l´espoir d´un seul chemin. On cherche dans les jours nébuleux le brillant regard qui, dans les assauts du temps, se vêt de basses et opaques brumes.

Bibliographie -«Dimensões do viver»- Ed.consorciadas UBEGO 2004 -“Quatro poetas Goianos & um pintor francês” - Ed. Kelps 2004 -“Aveso das horas & otros” – Ed, Secrétariat de la Culture de la Municipalité de Goiânia 2007 -“Santuário da Cultura Universal” – Ed. Kelps 2010 -“Reverências – Secretariat de la Culture de la Municipalité de Goiânia 2011

On cherche dans un camp invisible du désir silencieux l´instant de rêve que seulement le temps enseigne.

Membre actif des organisations suivantes : - Académie de Lettres du Brésil -Institut Historique et Géographique de Goiás -Commission Goianaise de Folklore -Union Brésilienne des Ecrivains - Présidente de l´Institut Brésilien de Culture Internationale.

Et entrevoyant des aubes d´infinis voyages, d´heures amères et d´invalides journées que le temps ourdit de singulières images. Et il construit pour toujours une malheureuse créature. 38


Notes de Lecture

En octobre 2011, Annick DEMOUZON a reçu le Prix Prométhée 2011 : « A l'ombre des grands bois ».

par Christelle THEBAULT

« Nos souvenirs ne sont que brefs éclats jaillis de l'obscurité dévorante. Bientôt, ils s'éteindront, petites histoires de vies sans importance, vite englouties dans le gouffre serein du Temps amnésique. » L'écriture est concise, nerveuse, comme une succession d'instantanés photographiques. La décomposition des instants donne de l'ampleur et de la saveur aux textes, traversés par une émotion palpable. Les répétitions et les phrases courtes diffusent également une tension, une angoisse qui croît par petites touches. Dans d'autres nouvelles, l'écriture est plus légère et pétrie d'humour. Le lecteur suit les pensées et les interrogations des personnages, il balance parfois de l'un à l'autre, et l'intrigue se noue comme se resserrent les différentes voies possibles prises par une situation le plus souvent ordinaire. « Il a pensé : « Ce doit être cela, le bonheur. » Et il aurait voulu figer cet instant, l'immortaliser, que jamais il ne cesse. Mais il n'avait pas son appareil avec lui. Alors il s'est forcé à bien voir, très fort, pour ne pas oublier. » Les personnages photographient ou regardent des photographies, des paysages, des portraits, et ils captent l'instant précis de la beauté, de la vie frémissante autour d'eux, du passé enfoui, de chaque âge de l'existence. L'un pense : « Je n'ai pas pu me retenir. Je mitraille. Il y en aura bien quelqu'unes de réussies. Et je trierai. La photo, c'est mon trip. Attraper dans ma boîte la beauté du monde, la faire mienne. » Et un autre prend conscience alors qu'il photographie des inconnus dans la rue : « Une illusion, une copie de la vie. Pas la vie. Je les ai pris, saisis – je crois. Ils m'appartiennent – je crois. Si peu. » Aux amateurs de photographies et de nouvelles, et à tous les autres, n'hésitez-pas à vous plonger dans ce miroir de nos vies, de nos rêves et de nos illusions !

L'Atelier Imaginaire « Mettons un rêve dans notre vie, et soufflons dans les voiles » : Guy Rouquet, président de l'Atelier Imaginaire, illustre ainsi avec ferveur l'esprit de son association culturelle. Jeune professeur de lettres, Guy Rouquet a fait le pari réussi au début des années soixante-dix de décerner un Prix littéraire hors de Paris, dans la région lourdaise où il habite. Max-Pol Fouchet a été le premier à le soutenir dans son projet et il a honoré de sa présence à Lourdes la proclamation officielle des résultats du premier Prix Prométhée en octobre 1974 : « Il faut que vous sentiez que quelque chose de grand est né. » L'aventure a continué depuis et Guy Rouquet n'a jamais cessé de poursuivre son action en faveur de la création littéraire et artistique. Ainsi, une quinzaine culturelle est organisée chaque année, courant octobre : rencontres, lectures, spectacles dans divers lieux de la région lourdaise, sans oublier collèges et lycées. En point d'orgue le dernier dimanche du festival, se déroule la remise du Prix de Poésie Max-Pol Fouchet et du Prix Prométhée de la Nouvelle, décernés sur manuscrits, en vue de promouvoir des talents nouveaux ou méconnus. Depuis 1988, cette décade littéraire et artistique se termine par cinq journées magiques, moments forts d'échanges et de rencontres entre les artistes et jurés internationaux des deux Prix et de jeunes lauréats du Concours Général des lycées, invités dans le cadre de la manifestation. Ce temps de partage est un creuset d'émotions et de découvertes magnifiques. Au-delà du plaisir des spectacles, les jeunes côtoient en effet durant ces journées de nombreux artistes, « passeurs de rêve » et « compagnons de songe ». L'expérience, belle et riche, donne ses lettres de noblesse à la culture et au mélange des générations !

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dans les représentations et spectacles qu’elle égraine au fil des saisons. Ce qu’elle fait n’a rien d’anecdotique. Ce chemin qu’elle trace et montre à cette jeunesse est celui de l’effort mais aussi de « l’horizon restauré » qui permet de conclure :

par Christian AMSTATT

Le Cri du Regard. Jane Perrin

« J’ai franchi les vastes jardins / où les planètes s’entrecroisent / et dans ton sein / NUIT / j’ai pu ébaucher / un destin »

Dans son dernier recueil de poésie paru en automne 2011, « Le Cri du regard », Jane Perrin, vaillante octogénaire qu’aucun obstacle ne rebute, passe d’un constat bien morose relatif à la déliquescence de notre civilisation engluée dans le maelström

Poèmes courts, incisifs, sans fioritures ni artifices, et qui font mouche à tous les coups. De la poésie-diamant comme on aimerait en lire plus souvent.

« Notre CIVILISATION décline /elle est devenue /troupeau obsédé, détricoté, /asservi /devant un ECRAN /où se déchargent évidemment /des lambeaux de vie, / des névroses incurables, / sain ou pervers enfermement… »

Par ailleurs, l’ouvrage photographies de l’auteur.

à une volonté farouche de revendication et d’insoumission

est

agrémenté

de

Le GRAND JEU 1 et 2. Laurent Bayart.

« Peuple/ Réveille-toi…/ Peuple / Fais éclater / Souffrance et colère / Au-delà de ces ornières

Avec « Le Grand Jeu », Laurent Bayart nous offre, en deux fascicules, une succession ininterrompue d’images pleines de fraîcheur et d’humour. Tout est basé sur une observation détaillée des sensations ressenties par le poète, qu’il s’agisse de la nature, des animaux, du quotidien. En des images fugaces, c’est un hommage à toutes les petites choses de la vie que nous ne prenons plus suffisamment le temps de capter. Un grand jeu, certes, mais un jeu où il y néanmoins matière à réflexion.

Que ta justice / Soit ta LUMIERE » « Il faut hurler / se révolter… » mais plus encore, de reconstruction. En effet, chez elle, rien n’est jamais perdu. Elle garde toujours en elle cette foi en la vie, foi dans les hommes, même s’il faut parfois les secouer un peu. « Homme que fais-tu / de ta liberté si chèrement / conquise / et aujourd’hui, / galvaudée, / piétinée ? »

« Une tortue échangiste / A troqué sa carapace / Pour une coquille / D’escargot »

« Alors / au fil des ans / au fil des ciels / survoltant tous les orages / se peindra / la lueurchemin »

« Deux lacets / Enlacés / se tortillent / Dans la terre du jardinet / Un nœud / Les rassemble // Deux lombrics font du catch »

Le temps, sur elle et sur sa poésie, ne fait qu’accroître son espoir d’une vie meilleure dans une fraternité retrouvée.

« Un papillon a mis / Un nœud / pour sortir » « Deux sauterelles / Jouent à la pétanque / Avec des punaises / tenant le rôle / Des boules // tandis qu’un papillon / Fait office de cochonnet // Une chenille graduée / S’est déguisée / En décimètre / Afin de les départager »

« Homme, retrouve ton cœur / dans le silence de tes pensées / loin de ce bruit-destruction / désillusion » Sans doute reprend-elle force et vigueur auprès de ces jeunes qu’elle accompagne tout au long de l’année dans des ateliers d’écriture, ainsi que 40


gaudrioles, / des refrains en english-paroles, / les détritus de la beauté..." (in La honte). Il convient cependant de garder la tête froide, de ne pas céder aux sirènes du pessimisme, non ! Il y a encore l’enfance, l’innocence, la vie toujours recommencée, susceptible d’aller vers le mieux, à défaut du meilleur. " Près de moi, l’enfant me sourit, / et bat des mains, et cabriole. / Pas de crédit pour la torgnole ! // Sa liberté n’a pas de prix. ! " (in La leçon) Il y a l’amour qui perdure, qui n’a pas d’âge lui, parce qu’il échappe à la morsure acide du temps : " Les uns disent récidive, / et d’autres fidélité. / vivait ce qui nous arrive / et survit après l’été. // Je guettais sur le qui-vive / quand la perdrix a chanté / et d’hier à la dérive / l’oiseau a tout raconté. // Depuis, c’est à ne pas croire / comme le chante Aragon. / Il fait beau sur ma mémoire.// Il fait beau sur ma chanson. / Il fait beau sur notre histoire. / Recommence la moisson !" (in Comme hier) Ciels gris, ciels bleus, ciels d’aurore, ciels de crépuscule, Ciels d’automne, ciels de printemps, ciels d’orage, éclaircies d’après l’averse, ainsi va la vie. C’est à nous de savoir la prendre par le bon bout.

par Louis DELORME

Claude MERE - CIELS DE VIE - Editions Thierry Sajat. On dit souvent qu’il faut de tout pour faire un monde. Et pour faire une vie ? Claude Méré, à la façon d’un peintre soigne ses ciels, ces ciels de vie, qu’ils soient de nuages ou d’éclaircies, comme il nous l’annonce dans un court poème qui sert d’avant-propos. C’est toute sa philosophie qu’il nous expose là. La vie est faite de hauts et de bas, disent certains. C’est à nous de rehausser les bas, de prendre le dessus sur eux, à nous d’être à la hauteur des hauts pour en tirer le meilleur. Il s’agit là d’un humanisme (qui met l’homme et les valeurs humaines au-dessus des autres : dixit Larousse.) simple, pratique, qui ne cherche pas midi à quatorze heures, qui avance selon la météo de la vie quotidienne, une philosophie dont le poète déplore la perte : " Naguère, on vieillissait heureux, / on s’arrangeait avec son âge, / ses reins, ses jambes, son visage / et l’on finissait pour le mieux. // On n’avait regrets ni remords / ni soucis de vieilles revanches, / ni la crainte des échéances, / ni la hantise de la mort." (in Bilan) On reconnaît çà et là le caricaturiste des recueils précédents. La plume, restée jeune, fait mouche à coups de petits traits incisifs : " C’est aux cénacles des cabots / que les poètes collabos, / complicité, duplicité, / échafaudent leur vanité. // Ils travaillent, vaille que vaille / à se doter d’une médaille, / d’une nébuleuse notoire / dans le firmament de l’histoire. // Ils rêvent d’un sonnet d’Arvers, d’une bleuette de Prévert / qui mettent les cœurs à l’envers." (in le Panthéon) Comment le poète ne dénoncerait-il pas aussi un monde qui va à vau-l’eau et nous entraîne inexorablement vers sa chute : " On ne l’avait pas mérité / les corbeilles de dividende / les paradis de contrebandes / les faux-semblants de vérité. // On ne l’avait pas mérité : / une télé de

Annie LASSANSAA – LE CIEL DANS LA RIVIERE – Editions Bénévent " Le ciel dans la rivière ". L’auteur m’explique le pourquoi du titre, comment elle a fait ajouter des nuages dans le tableau et comment, lorsqu’on retourne celui-ci, on voit effectivement le ciel devenir rivière et le chemin devenir ciel au soleil couchant. La poésie est là, avant même d’ouvrir le livre. Avec le premier poème :" SAVOIR ENCORE S’EMERVEILLER ", c’est toute sa philosophie que notre amie expose. S’émerveiller, n’est-ce pas le vrai secret du bonheur ? S’émerveiller avec un peu de naïveté, de tendresse, d’humilité et beaucoup de simplicité. Je pioche au hasard : "Savoir encore s’émerveiller / Du fragile velours des roses, 41


d’une confidence à mi-voix / Qu’un ami vous offre en cadeau, d’un arc-en-ciel qu’on entrevoit...// D’une fable de La Fontaine, de la senteur du chèvrefeuille...// S’émerveiller, dans la détresse, du réconfort De l’amitié... // Et des légendes d’autrefois que l’on racontait près de l’âtre, // ... Du jeune veuf désespéré qui retrouve un nouvel amour... // De prendre la main d’un enfant étrennant son premier cartable, //... D’un ange de Botticelli, de quelques pages de Colette..." Emerveillement tous azimuts, à propos de tout... et de rien, ai-je envie de dire. Les choses les plus insignifiantes sont les plus parlantes pour qui sait regarder, écouter, sentir, goûter, palper. Je songe à ces tableaux du XVIIe siècle où le peintre s’exerçait à représenter une scène qui figurât les cinq sens. Emerveillement devant les beautés de la nature, devant les créations de l’homme, bref " Enfin s’émerveiller de tout ce qui fait la Beauté du Monde" Comme on en a besoin face à la laideur qui s’exprime un peu partout ! L’auteur ne m’en voudra pas si je continue dans l’ordre, laissant au lecteur toute la suite que je n’aurai pas déflorée : avec " LE BLANC ET LE NOIR ", notre poète joue du contraste de l’obscurité et de la lumière : " Sous le ciel de jais piqueté d’étoiles / Glisse sur le lac un grand cygne blanc. Son plumage tranche sur l’eau lisse et noire. // Et dans le silence, commence soudain / La danse légère des flocons de soie..." Tous les poèmes sont à découvrir, à se laisser enchanter par leur charme " Il y a des jours comme ça / Où glissant dans son bain, on croit voir la lagune, / Les coraux flamboyants et les poissons volants... " // Il y a des jours comme ça / Où cueillant au jardin un bouquet de lys blancs, / L’on retrouve l’enfance au goût de lait crémeux..." Je pourrais continuer, parler encore de l’osmose entre le ELLE et le LUI, l’auteur se mettant dans la peau de l’un comme de l’autre, faisant même, en une sorte de dialogue une confrontation amoureuse, mais il me faut dire quelque mots de la forme. Proche du classicisme, Annie Lassansàa ne se laisse pas enfermer dans des règles trop rigoureuses. Elle garde sa liberté de verbe, n’insistant jamais sur la rime, lui préférant de loin le rythme car c’est bien lui qui nous entraîne, qui nous déroule le tapis vert de poésie, où il nous plaît d’avancer. Outre l’alexandrin, elle invente le vers de seize pieds, réunion de deux octosyllabes ce qui permet de

raréfier la rime. (On l’a vu plus haut dans la première citation). Comment résister encore à vous donner une strophe d’un poème figurant sur la quatrième de couverture ? "Il en est des enfants comme des tourterelles ; On les croit parmi nous mais ils lustrent leurs ailes ; De s’éloigner un jour, on les croit incapables ; Pas déjà ! Pas si tôt ! Ils sont encore petits ! Mais voilà qu’ils sont prêts, qu’ils sont bientôt partis ... Ils sont tous différents et pourtant si semblables..." Si vous n’aimez pas ce recueil, je vous autorise à me faire reproche de ce que j’avance.

Jacques CANUT– ESCARBILLES – Carnets confidentiels N° 35 Ah ! ces fameuses escarbilles que crachait la locomotive du temps des chemins de fer à vapeur, qui constituaient de fâcheuses mésaventures ou au contraire des aventures heureuses, pour peu qu’un joli visage fût chargé de les ôter. Escarbilles est bien le mot juste. Des particules de poésie qui vous parviennent au fil du souvenir, du quotidien. Beaucoup passent à côté parce qu’ils n’ont pas l’œil qu’il faut pour les recevoir. Jacques Canut, lui, possède une grande acuité d’observation et il nous les livre finement. Aphorismes, Haïkus de forme libre, courtes proses (très courtes même) constituent le 35e de ces Carnets confidentiels (déjà) qu’on a toujours plaisir à découvrir. Confidentiel : on se sent privilégié par l’auteur qui nous admet dans son cercle le plus intime : aphorisme ? La discrétion est l’abri du sage // Un bonheur dont il s’efforce de ne jamais se glorifier. Ou encore : Le cœur ne voit bien qu’avec l’intelligence. Haïku de forme libre : Plus de pots de résine / dans la forêt landaise : / on méprise les larmes / des pins. Courte prose poétique : Par l’entrée du courrier / quelque chose glisse / puis tombe avec fracas / sur le 42


s’enveloppent d’une léthargique / sérénité. Les lieux que nous avons aimés, les objets que nous avons tenus dans nos mains, le dessus des meubles que nous avons caressés, une cruche fêlée, un livre aux pages cornées, sont pour nous autant de madeleines de Proust : Anciennes villégiatures. / La mémoire en reconstitue / les plus élémentaires détails ; / Un mur, une porte / exhumés des silences du passé. Et le passé refait alors surface : Apaisante fraîcheur de la maison basse / où le soleil estival faisait de l’œil / à l’ombre. A l’opposé, un paysage nouveau peut nous permettre de repartir sur de nouvelles bases, d’oublier un passé trop lourd : Il est des paysages / qui furent indispensables / à mon chant, tel ce "campo" / dont je peuplai l’immensité / sans regretter / ma province natale. Les outrages du temps accentuent l’emprise sur nous de ces endroits que nous avons tatoués de notre empreinte ; nous voilà captivés, pétrifiés devant l’image présente qui se combine avec celles passées : Il est des demeures plus fascinantes / d’être restées inhabitées. // Les toiles d’araignée flottent, / s’abaissent jusqu’à moi. // Le bouquet de tournesols / que tu avais cueilli / lors de ton bref séjour / me salue, inaltérable /dans son vase. // Et je me souviens / d’un été... Points de suspension révélateurs que nous complétons de nos propres expériences et réminiscences : c’est là tout l’art du poète.

carrelage du couloir. // Le facteur est passé. // Je me précipite. / Beaucoup de bruit pour rien. / Ce n’est qu’un épais catalogue / Qui ne m’intéresse guère. Il ne faut pas grand-chose pour attirer la plume de Jacques Canut mais ce pas grand-chose prend dans notre esprit une tout autre dimension. Le temps qu’on surprend dans son vol, qu’on interrompt le temps de la photo. Ce temps qui nous rattrape de quelque façon que ce soit et qui nous martèle sa dure réalité : Ces pendules qui mentent / qui sèment les fausses graines / du temps // Tic-tac... / pourquoi pas / tac-tic ? // Pourquoi "Pile ou face"? / Et non " Face et pile"?" Le temps, critère majeur de l’existence, paramètre incontournable de nos faits et gestes, facteur essentiel qui met notre vie en équation. Nouvelle année : / une porte s’ouvre. / Est-il possible / de refermer l’ancienne ? Tout est dans la coexistence du passé, du présent et du futur. Comment ne pas décrypter, pour terminer, le poème qui s’inscrit dans le dessin de couverture, dû à Claudine Goux : La pelote des mots / heurte le fronton de la lumière / brise la coupole des pensées / et sentiments / S’évader avec ses ailes de cristal ! La poésie est indissociable des mots.

Jacques CANUT – VILLEGIATURES – Carnets Confidentiels 36 L’homme est inséparable des êtres qu’il a connus et aimés, mais aussi des lieux qu’il a fréquentés. Aussi est-ce sans doute pourquoi le déracinement estil vécu comme l’une des choses les plus atroces. Même consenti, souvent. Partout où nous passons, nous laissons nos marques et lorsque nous retournons dans ces endroits qui ont servi de cadre, de théâtre, à notre vie, nous retrouvons des atmosphères, des parfums, des signes, des souvenirs que notre passage à disséminés au hasard de scènes vécues. J’arrive dans cet appartement atlantique / où ton séjour a laissé / un signe de troublante / mais incorruptible complicité. // Lumière tamisée sur les crêtes des vagues. / Le temps souffle le farniente. / Les tic-tac de la pendule /

Marie-Annick FAYDI - RECUEIL POETIQUE MONTAURIOL poésie N° 85 " La poésie cesse à l’idée," selon Jean Cocteau. J’ai envie de dire qu’elle y commence aussi, d’une certaine façon. Celui qui n’a rien à dire n’a qu’à se taire. Ecrire sur l’écriture, lequel des poètes ne s’est pas laissé aller à cette nécessité ? Qui donc ne s’est posé le pourquoi de sa plume ? "Mot, verbe phrase / Dire et pourquoi ? / Se dire qu’il faut dire... / Dire pour dire. / Ecrire pour tenter l’impossibilité à dire. / Ecrire pour faire trace, humble ornière du Temps..." A quoi sert donc la poésie ? J’ai envie de paraphraser " La Page 43


blanche" de ce recueil où l’auteur, justement, parle du rôle de l’écrivain et se demande "Que lui sert d’être disert?" et donne en fait la réponse à ma question: "A rien me direz-vous. A rien, c’est donc à tout." Dans son avant-propos, notre poète se demandait si elle faisait ce qu’on nomme poésie et répondait : "Je sais juste le cri de l’écrit." Ce cri qu’on retrouve plus loin dans le recueil : "... Expulsé hors de la chair / Cri primordial de l’expulsion / Cri tout nu dans gosier noyé." Le cri de la naissance, le cri de désespoir, le cri de haine, celui d’amour... Le cri qui devient hurlement : " Hurlez, amis, mes frères ! / Bramez dans les forêts votre rut impuissant! / Criez votre impossible mission d’être." Être ! Ce seul mot nous pose problème : "Je sais, je sais / Quoi ? / Je ne sais pas. / Que faut-il savoir ? / Au juste... / J’ai fini par accepter... / Accepter quoi ? Hé ! la vie... / La vie pardi ! " Comment concilier le bien-être et le mal être ? C’est bien là qu’est le problème. Le doute, voilà l’autre chose importante ! Voilà l’honnêteté ! Dans un monde où beaucoup continuent, après toutes les horreurs que cela a pu provoquer par le passé, à vouloir imposer leurs certitudes : " Hors de ma vue le crime du racisme et de l’intolérance, du pouvoir exercé toujours sur les plus faibles." Autre thème récurrent : la solitude : "Ecrire pour tenter de dire toute cette solitude et tout ce silence en toi, qui s’est fait à ton insu et que tu ne comprends pas." On est seul au milieu de la foule. Heureusement, pour atténuer ce côté sombre, il y a la nature, ses paysages, sa tranquillité. Comment la poète ne pourrait-elle rendre hommage, à la façon de Ronsard :"A ma douce vallée, verdure et pâturages / Mon Loir marécage, méandres vendômois, / /Ma place Saint-Martin, mon carillon-émoi, / A ma première école, à ma ville natale..." La lecture est aussi plaisir. Comment ne pas aimer ce mélange de poèmes métrés et de prose poétique ? Comment ne pas apprécier la diversité des questions abordées ? La variété ne représente-t-elle pas la première des richesses ?

les nuances. Elle est dans l’œil de celui qui regarde, dans l’oreille de celui qui est à l’écoute, dans les doigts de celui qui modèle... Ainsi naissent le poème, le tableau, la musique, la sculpture... Heureuse conjonction de planètes que ce recueil : Aurélie de la Selle pour cette combinaison d’aquarelles et collages; Guillaume Sabran pour les textes, en lecture bilingue (français et anglais) sur chaque page, en jouant avec la disposition dans l’espace de la feuille. Qui nous charme le plus, nous pousse le plus à la réflexion, au plaisir, d’Aurélie et de Guillaume ? On ne saurait le dire tant la lecture du dessin et du texte se fait simultanément. S’agit-il de poèmes mis en images ou d’images à susciter le poème, de poéture ou de peintésie ? On n’en sait rien et c’est tant mieux car cela préserve intact le mystère, et cette volupté qu’il y a à découvrir ce qui fait véritablement un tout. Il faudrait, pour mon propos, pouvoir reproduire comme exemple le dessin et les mots qui vont avec : la première page nous montre deux amoureux aquarellés : " Dix ans déjà / ai-je accompli / mon temps de ta beauté ? - Ten years yet / have I done / of your beauty my day ? ". Pour traduire cette beauté, en guise de visage, le collage d’un timbre de Marianne : celle à deux centimes de franc, dans des tons indigo ; qui tord légèrement le cou, ainsi que le prônait Léonard, dans son traité d’esthétique, coiffée d’un bandeau, un peu à la façon d’une statue grecque. " Mon présent heurté / nourrit-il nos baisers ? // my stumbling present / does it feed our kisses ? Reconnaissant ta voix / je riais de vraie joie Knoking your voice / in true glee I laughed. " comme au quitter d’un autre / tu me retrouvais, me comparant - as when another deserting / You found me again, comparing. Je t’aime ma distance, autrement / Dois-je désormais nous partager - I love you my afar, differently / Shall I now share us ? Dans les pages de garde, la réflexion suivante : " Vos textes dans les deux langues sont la vie même. J’aime beaucoup aussi les peintures pleines d’humour et de vivacité d’Aurélie. " Et c’est signé Andrée Chedid. Qu’ajouter de plus ?

Aurélie de la SELLE - Guillaume SABRAN - LE BOUQUET D’AURELIE TARABUSTE éditeur La poésie est dans le mot, la poésie est dans le trait, dans la couleur. Elle est aussi dans les sens de celui qui arrange les mots, les formes, 44


numéro 8 mais elle semble promettre beaucoup. Et nous lui souhaitons de se développer, de faire sa place parmi les auteurs, et surtout les lecteurs.

ROSE DES TEMPS REVUE DE L’ASSOCIATION PAROLE ET POESIE

L’INEDIT NOUVEAU N° 254 - janvier-février

2012

Revue modeste, certes : trente pages, mais tellement denses, tellement bien présentées, bien qu’imprimées sur du papier recyclé. Un exemple à suivre ! Une douzaine de poèmes seulement mais il faut bien répartir la place. En choisir un, ce n’est pas faire injure aux autres qui sont tous de bonne facture. De Claude Prouvost, président le de l’Association Flammes Vives : Il neige sur mon cœur. " La neige tombe sur mon cœur / Dans la froidure vespérale / Comme une aura sentimentale / Qui déguiserait sa noirceur. Je n’ai plus la force des larmes / Et dans mes cris et mes vacarmes, / L’absence a des yeux de vainqueur. // De la peine et de la douleur / Ma poitrine est la capitale / Mais l’esprit est le cannibale / Qui vient dévorer la candeur. / Les fées d’antan n’ont plus de charmes / Et mon âme a rendu les armes, / La neige tombe sur mon cœur." Dans son éditorial, Patrick Picornot, le président, dénonce cette société de consommation qui a tendance à nous réduire à l’état d’objets. Et nous sommes tombés dans le piège. Nous avons abandonné notre statut de sujet. L’homme n’est plus ce roseau pensant, célébré par Blaise Pascal. Toujours sous la plume de P. Picornot, puis d’Aumane Placide, suit une intéressante étude sur Milosz, ce Lituanien, à cheval sur le XIXe et le XXe siècle, dont toute l’œuvre est écrite en français. Milosz qui écrivait dans son recueil intitulé La Terre : " Je n’ai point de maison ; je n’ai point de patrie ; / L’univers seul a su combler mon cœur amer. / J’aimais également toutes les créatures / Et jamais je n’ai su morceler mon amour. / J’ai vécu solitaire au sommet de ma tour / Les yeux illuminés de visions futures." Comme cette belle leçon d’humanisme, d’universalisme, (Je suis l’enfant du monde) semble loin aujourd’hui alors qu’elle serait plus nécessaire que jamais ! De nombreuses pages, en fin de brochure, sont dévolues aux recensions de recueils et de revues ainsi que des annonces de manifestations. La revue n’en est qu’à son

L’Inédit Nouveau en est à son 254e numéro, c’est tout dire. C’est dire la patience et le labeur de Paul Van Melle et de sa femme Jacqueline. Ce n’est pas de gaieté de cœur qu’ils ont réduit ne nombre de parutions de leur revue qu’ils nous envoient maintenant tous les deux mois. Ils ont voulu avant tout préserver la qualité. L’inédit Nouveau reçoit quantité de romans, de recueils, de nouvelles, d’essais, d’anthologies, de revues, dont Paul, dans sa rubrique "à tous mes échos" fait un compterendu plus ou moins détaillé selon l’importance de l’œuvre. Tous les ouvrages sont recensés avec rigueur, toujours de façon bienveillante mais sans complaisance aucune. Dans les milieux littéraires et poétiques, sa voix fait autorité. Tous les auteurs attendent avec impatience son avis. Deux mois maintenant, c’est long ! Les éditoriaux de Paul font aussi preuve d’un engagement sans faille pour la langue et la poésie. Mais détaillons un peu le présent numéro. Un graveur, Bruno Gentinetta, et une poète de langue allemande Magdalena Rüetschi se partagent la couverture sur le thème de la goutte d’eau. Sa traduction française, aidée par Marie-Louise Cuvelier-Hirzel donne ceci : La goutte solitaire qui pend / se condensant lentement / jusqu’au possible saut et / à l’heureuse arrivée / dans son propre élément / un son solennel / emprunté à l’univers. Au verso de la couverture, Paul Van Melle fait l’étude succincte des littératures orientales préislamiques sous le titre : " au temps où l’orient sauvait (déjà) l’occident. " Viennent ensuite des textes en prose notamment un extrait d’autobiographie de Charles d’Estève dans une langue d’une grande élégance :" Etaient là rassemblés depuis longtemps, non pêle-mêle mais chronologiquement, de petits dessins et des gouaches, échos de mes promenades et de mes jeux, des poèmes liés à des fêtes ou à des émotions personnelles...." Cela donne envie de connaître la suite. Suit tout un florilège de poèmes. Comment ne pas retenir 45


un extrait du poème intitulé "Attendu que", de Micheline Debailleul qui m’avait fait la gentillesse de me donner des textes pour Soif de mots :" Attendu que le soleil de midi / brille sur la blondeur des épis sans contrepartie / qu’une péniche creuse des sillons bruyants et larges / sans que la rivière pour cette blessure ne lui porte ombrage / Attendu que les enfants noirs et blancs jouent dans la plaine / que leurs cris sont joyeux et sans haine / Je sais qu’il est bon de savoir toutes ces choses / qui meublent les saisons traversières... " Il y aurait encore tant à dire sur cet Inédit Nouveau qui fait référence. (Paul Van Melle Avenue du Chant d’oiseaux 11 1310 La Hulpe - Belgique)

comme un vieux gosse perdu, au hasard des rues, le temps d’une romance éphémère … mais si vous passez à deux pas de la rue Caulaincourt ou du Pont Mirabeau, vous aurez certainement la nostalgie d’y découvrir l’empreinte de quelques larmes posées délicatement sur les pavés d’antan.

par Jean-Michel LEVENARD Nouvelles à chuchoter au crépuscule , Lucette DESVIGNES. Editions de Bourgogne, 126 p., 15 €. Le titre en appelle bien sûr aux noirceurs et aux incertitudes de la brune, et non aux splendeurs de l’aurore. Que voulez-vous, c’est ainsi de façon immémoriale, l’heure du crime est nocturne… Alors, on ne parlera pas d’enchantement, mais d’ensorcellement. Et méfiez-vous, il n’y a pas qu’à l’encontre de ses personnages que Lucette Desvignes use de perversité, elle s’en prend aussi à ses lecteurs ! Quand elle vous aura guidé par la main, longuement par des chemins diffus au cœur des tourments humains, elle vous lâchera soudain… à vous de trouver l’issue… car c’est l’une des particularités de ces nouvelles que de conclure rarement les intrigues qu’elles proposent. Après tout, puisqu’il faut bien que la vie continue, n’est-ce pas de grande sagesse que de passer son chemin… Si vous demeurez aux bords des mots, fascinés, basculé du côté des morts plutôt que des vivants, alors vous verrez s’approcher le Chat, démon débonnaire et domestique… Ces nouvelles s’expriment pour la plupart sur le mode mineur de la vie de vos congénères (méfiez-vous, vous serez donc bientôt du lot des victimes ou des bourreaux…), sans bien grands signes annonciateurs (ça vous tombera donc dessus, comme ça !), à l’exception d’une étrange rencontre dans un désert tout à fait pharaonique particulièrement destinée à profondément vous éclairer sur le non-sens de toute vie (et la vôtre, vous en pensez quoi ?)…

par Stephen BLANCHARD « L’âme de Paris », avec C.D. de Pierre MEIGE (20 €) Mail : pmeige@numericable.fr et tél : 06.34.75.77.69

Ce recueil est dédié « à ceux et à celles qui promènent leurs vies dans Paris », du Paris Panam au Paris Baudelaire, aux âmes errantes du boulevard Montparnasse et du quartier SaintGermain, aux sanglots longs de Verlaine qui font encore « chialer les poulbots » et c’est à la terrasse du temps qui passe que l’auteur retrouve ces p’tits coins d’Paradis, ses rêves de liberté. Pierre Meige traîne sa bohème sur les quais de la Seine, parfois au quartier latin ou il ne se passe plus rien car ici on a bétonné le vieux Colombier et par là, les artistes sont devenus des « quincailliers littéraires ». Et puis, il y a la rue de l’amour et ses muses qui font rimer les saisons, l’ombre de Bernard Dimey, de Vian, de JeanRoger Caussimon, de Barbara et de la serveuse du petit bistrot de la rue Modiano qui en a « dépanné plus d’un ». Voilà toute l’ambiance de ce recueil qu’il faut déguster le cœur en bandoulière avec l’âme d’un saltimbanque lorsque l’espoir et les luttes s’écrivent encore à l’encre noire sur les murs d’un Paris canaille. Pierre MEIGE s’en va retrouver sa jeunesse 46


revue permet de vivre à son rythme. Je suis admiratif des éditeurs qui, supportent un autre poids, bien plus lourd que le revuiste. Il ne s'agit pas simplement de publier et de laisser ensuite le livre sur la table, il faut au minimum entreprendre une action pour vendre le livre édité et cette posture exige une disponibilité pérenne. Les éditeurs, sans être plus nombreux que les revuistes ont une existence plus longue que ces derniers. Pour moi, la revue ne peut être qu'éphémère, elle n'a pas à s'inscrire dans la durée. Récemment, Action Poétique a publié son dernier numéro et c'est presque une gageure que celle-ci ait duré plus d'un demi-siècle ! Dans son interview, Henry Deluy dit, avec innocence et sincérité, que cette décision lui appartient et qu'il n'a jamais voulu passer les « commandes » à quelqu'un, même si le comité se compose de plusieurs personnes. Et je le comprends, la revue est l'histoire d'un homme bien souvent. Créer une revue, c'est aussi être passeur, faire l'intermédiaire, créer un lien entre le lecteur et l'écrivain, entre l'idée et la pensée, entre le mot et le poème. C'est établir en toutes circonstances la possibilité pour chacun de pouvoir se relier à l'intérieur de la revue à quelque chose et d'aller au-delà. La revue ne s'arrête pas à sa simple publication, tout ce qui y est lu est véhiculé, acheminé, colporté comme je l'ai écrit une fois. On pourra dire que c'est à une petite échelle, mais cette échelle n'est petite qu'en apparence, malgré le silence ou le dédain qui entoure ces publications.

Revue en revue par K.J.Djii

Une fois de plus, cette chronique va être consacrée à une seule revue, Pages Insulaires et à son directeur de publication, Jean-Michel Bongiraud. La revue, crée en juin 2008, succède à Parterre Verbal qui faisait une large place à la poésie. Aujourd'hui, Pages Insulaires offre plus de pages dédiées autant à la musique avec une chronique régulière de Guy Ferdinande, aux sciences et plus précisément à l'astrophysique avec Roland Counard et plus généralement à des articles de fond donnant ainsi à la revue une réalité en cohérence avec les interrogations de notre temps. K.J.Djii : C'est quoi, créer une revue, l'abandonner, en créer une autre ? Jean-Michel Bongiraud : Le sous-titre de la revue est : « Bimestriel perméable aux idées ». Je pense que ceci est suffisamment parlant pour ne pas développer. Quoiqu'il en soit, Pages Insulaires n'a pas fermé la porte à la poésie, loin de là, même si les articles sont nombreux et les poèmes un peu plus rares ! Cette revue correspond à mon attachement à la culture en général et à la poésie en particulier. Le rôle de celui qui crée une revue est souvent solitaire et d'une certaine manière, cela correspond à mon caractère, non pas que je sois incapable de supporter la contradiction ou la relation, mais une

KJ : Justement, à propos d'échelle, à combien tire Pages Insulaires et comment fonctionne-t-elle ? JMB : Tout repose sur les abonnés et notre bonne volonté. Parterre Verbal a duré 10 années, elle fut assez rapidement « reconnue » et avait près de 47


150 abonnés. Elle était plus axée sur la poésie avec des numéros spéciaux sur certains poètes, Rousselot, par exemple, ou certains sujets, comme L'enfant et la poésie. Pages Insulaires n'a pas de lien avec Parterre Verbal, d'autant plus que la moitié des abonnés d'aujourd'hui ne sont pas ceux d'hier. Actuellement ils sont environ 120.

monde, elle transforme notre rapport au monde ou elle n'est pas la poésie ». La poésie aurait-elle une fonction ? JMB : Dire que la poésie doit transformer le monde ne me convient pas, même si effectivement elle peut transformer notre rapport au monde. Transformer le monde par la poésie, c'est lui attribuer des vertus qu'elle n'a pas. Pourquoi pas la musique ? C'est un vieux rêve que de croire à un pouvoir de la poésie. Pour moi, elle est affaire d'individu, et même d'avantage de l'intimité même de chaque être. C'est en cela que la poésie est inexplicable car elle pénètre là où nul ne va, au plus profond de nous-mêmes. Et puis, tout le monde n'est pas réceptif à la poésie, ce n'est pas seulement une question de culture, mais de sensibilité, d'écoute, de patience, de réception personnelle. Enfin dire qu'elle n'est que poétisation si elle ne transforme pas le monde, c'est aller vite en besogne. Aucune poésie n'est gratuite, même si mon attachement à une poésie engageant l'homme pour son épanouissement social et personnel me semble incontournable. Elle n'est pas une vérité universelle, mais intime, comme je l'ai dit auparavant. Tu vas me trouver critique, mais je deviens très pragmatique quand on veut me faire croire aux pouvoirs de la poésie. Je dis dans mon éditorial que « la poésie est quelque chose de tangible... de naturel... » ; elle est l'homme avec tous ses méandres, puisqu'il ne faut pas oublier que les mots composent l'homme et la poésie en est le terreau. En ce sens il n'y a rien de plus naturel, mais qui dit naturel ne veut pas dire pouvoir ou force motrice, mais d'avantage présence, celle réelle et certainement éphémère de l'homme, autant qu'effective. Pas de dieu ou de choses extraordinaires, une réalité proche de nous, en chacun mais insaisissable en tant que telle. Je crois que c'est un peu cela la poésie.

KJ : Le numéro de décembre était thématique, titré « Les armes ou l'écriture ? » ; Pages Insulaires est-elle une revue engagée ? JMB : En ce qui concerne l'engagement, ce terme semble galvaudé au même titre que la lutte des classes même si tout ceci n'est pas près de s'éteindre. En ce qui concerne la revue, j'ai effectivement voulu marquer avec plus d'insistance cette idée d'engagement. Mais je n'ai pas conceptualisé, ou disons, émis une « doctrine-mode d'emploi ». J'ai laissé la porte ouvertes aux expressions, mais on peut dire que ce qui se retrouve, si l'on veut dresser un portrait, c'est un certain humanisme, une certaine lucidité par rapport aux événements et aux souffrances de la société actuelle. Mes convictions personnelles n'ont pas d'influence particulière sur la revue, même si indirectement elles peuvent être ressenties. Je m'exprime à travers l'éditorial, mais les textes publiés ne font pas l'apanage d'un parti ou d'une mouvance particulière. C'est une certaine idée de l'homme, de sa dignité, de son rôle mais aussi de ses faiblesses qui réunit les abonnés. Le combat se fait, comme je le disais avant, par l'intermédiaire du colportage. Celui de la rue, je veux dire le combat, s'il doit venir, n'est pas souhaitable, mais la montée d'un extrémisme politique, religieux, n'est pas sans danger, surtout lorsqu'il est exacerbé par le pouvoir. Les idées suffiront-elles sans les armes ? Je pourrais militer, mais la revue me permet à la fois de garder contact avec la réalité mais aussi d'avoir un certain recul. KJ : Dans Vivre Poème, Henri Meschonnic écrit ceci : « La poésie doit transformer le

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CINEMA DE QUARTIER par Bertrand PORCHEROT, directeur de salle classée Art et Essai

DETECTIVE DEE : Le mystère de la flamme fantôme Réalisé par Tsui Hark

Vous aimez les polars, vous aimez les intrigues de Cour, vous aimez la Chine, vous aimez un peu le Kung Fu… Alors vous apprécierez l’œuvre du réalisateur, acteur et producteur hong-kongais via sa société Film Workshop (Le syndicat du crime et The Killer de John Woo ; le sublime Histoire de fantômes chinois de Chin Siu Tung), Tsui Hark (d’origine vietnamienne), auteur prolifique d’une quarantaine de longs métrages. Tsui Hark est un virtuose de la caméra qui a hérité du surnom de « Spielberg asiatique » dans son pays.

termina sa carrière comme chancelier de l'impératrice Wu. La légende du « jugedétective » a été popularisée dans les pays occidentaux par les romans écrits par le diplomate néerlandais Robert van Gulik qui le renomma « juge Ti ». De même qu’avec son premier long métrage The Butterfly Murders (1979), Tsui Hark nous offre un film d’action en costumes avec une intrigue policière, où la logique et la science finissent par l’emporter sur la superstition. Le récit suit un détective libéré de prison (interprété par Andy Lau) en l’an 690 qui doit élucider une série de meurtres mettant en péril le sacre de la première impératrice de Chine, Wu Ze Tian (première et dernière femme chinoise à avoir accédé au trône). On retrouve la figure du héros indépendant qui cherche à résoudre une enquête pleine de faux semblants (distinguer l'être et le paraître). En désignant l'homme comme une somme indissociable de défauts et de qualités, Tsui Hark montre des alliances qui se font et se défont selon les intérêts et les motivations.

Détective Dee : Le mystère de la flamme fantôme, sorti dans les salles françaises en avril 2011, est un divertissement digne des meilleurs Wu Xia Pian (films de sabre) avec un côté «enquête à la Sherlock Holmes». Le film de cape et d'épée chinois, genre extrêmement populaire en Chine connaît en Tsui Hark un de ses plus grands représentants puisque c'est sa série de films Il était une fois en Chine (avec pour héros Wong Fei Hung, personnage historique du XIXe siècle incarné par Jet Li) qui le popularise dans le monde.

Le film se passe sous l'ère de la Dynastie Tang qui a régné de 608 à 907. A la suite de la Dynastie Sui qui était parvenue à la réunification de la Chine du Nord et du Sud, cette dynastie a été synonyme de prospérité

Dans Détective Dee, Tsui Hark porte à l’écran pour la première fois la vie de cette véritable icône du VIIe siècle. Son nom était originellement Di Renjie ou Ti Jen Tsié. Il 49


L’Agenda des Poètes de l’amitié 2012

pour l'Empire du Milieu. De nombreux films se passent pendant cette période comme récemment Le Secret des poignards volants de Zhang Yimou. Détective Dee tente de s'intéresser au plus près aux mœurs populaires de cette époque. Pour Tsui Hark, la Dynastie Tang se distingue des autres époques de l'histoire de la Chine par son atmosphère mystérieuse et romantique. Il s'est rendu dans la province de Xi'an, berceau de cette époque avec son chef décorateur James Choo, afin de créer une atmosphère crédible.

Juin VENDREDI 1 : lecture Norge par les Bibliambules dans le cadre de Talant Passion Littéraire JEUDI 7 : cénacle « portes ouvertes » au CMA de Dijon JEUDI 21 : cénacle « portes ouvertes » au CMA de Dijon SAMEDI 23 : Comité de Lecture de Florilège (14h à 15 h) ; Conseil d'Administration de l'Association (15h à 18h). Les JEUDIS du 28 juin au 23 Août, tous les quinze jours : Apéropoésie dans le jardin de la Banque de France à Beaune

Juillet VENDREDI 20 : animation de la « Balade de l’escargot » à Chenove.

Septembre Du SAMEDI 15 au SAMEDI 22 : exposition de l'Association les Poètes de l'Amitié à la Maison des Associations de Dijon. DIMANCHE 16 : dans le cadre de la Journée du Patrimoine, participation à Arts Croisés à Chalon/Saône SAMEDI 22 : spectacle « lectures absurdes » au lycée Stephen Liégeard à Brochon DIMANCHE 30 : date limite de participation pour le Prix d’Edition poétique de la Ville De Dijon 2013

Ce héros reviendra, je l'espère, dans une suite signée Tsui Hark. En attendant, ce dernier retrouvera Jet Li dans The Flying Swords of Dragon Gate. Tsui Hark a créé une œuvre cohérente, extrêmement riche, parfois inégale mais dont les défauts sont noyés dans un déferlement d'images ahurissantes et de personnages fabuleux. De Tsui Hark je suis encore assez loin d'avoir vu tous les films. D'une part parce qu'en France ils ne sont pas encore tous sortis et aussi parce que je manque toujours autant de temps.

24, 26, 27 et 28 Octobre RENCONTRES POETIQUES DE BOURGOGNE à BEAUNE Mercredi 24 : interventions en maison de retraite et à la bibliothèque municipale Vendredi 26 : inauguration, remise du Prix d'Edition poétique de la ville de Beaune ; récital au théâtre municipal (invité d'honneur Bernard SAUVAT) Samedi 27 et dimanche 28 : animation diverses (lectures, spectacles) dans la ville et à la Chapelle St Etienne; lieu de rassemblement et d'exposition des Rencontres, débat public...

DVD sorti le 23 août 2011 chez Wild Side vidéo mais privilégier le Blu Ray si vous souhaitez approfondir vos connaissances grâce aux bonus plus conséquents que sur le DVD.

Novembre SAMEDI 10 : Assemblée générale de l’association Les Poètes de l’Amitié à Dijon VENDREDI 23 : spectacle Dimey à Talant, salle Gabin VENDREDI 30 : spectacle Dimey à Chenôve, à l’Escale Décembre LUNDI 31 : date limite pour participation au concours de la nouvelle N° 40

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la page des adhérents

Dans la fleur j’ai vu de Jacques BOE Cet ouvrage est un bonheur que malheureusement peu partageront. En effet, Jacques Boé concocte artisanalement de très courtes séries de recueils alliant dessins et textes. En l’occurrence, ici, il associe des gravures sur bois aquarellées à des haiku déclinés en hommage à seize fleurs magnifiées par ses travaux graphiques.

L'hôtesse noire de Jean-Pierre PAULHAC ISBN : 978-2-84924-266-7 14 x 21 cm ; 130 pages ; 13,00 € Dans un bar à hôtesses, dans une ville de province, deux personnages se rencontrent. Christophe, nouvellement affecté dans cette cité vient chercher à tromper son ennui et s'échapper de sa nostalgie – il a été expatrié en Afrique, au Tchad – en acceptant des conversations tarifées avec Diane, une hôtesse d'origine camerounaise. 
Il rêve d'être ailleurs, de rejoindre « son » Afrique perdue, les amours qu'il a pu y vivre et croit retrouver dans son interlocutrice comme des réminiscences de ce passé, un peu trop brûlant. Elle, ne le suit pas du tout dans ce cheminement, déracinée volontairement, oublieuse d'une Afrique qu'elle ne connaît pas, ses préoccupations sont autres, peut-être plus alimentaires, soucieuse de subvenir à ses besoins essentiels, sans avoir trop de perspectives.
 Ce dialogue les amènera-t-il à se rencontrer réellement ? Diane incarne-t-elle ce que veut revivre Christophe ? Ou bien tout cela n'est-il pas qu'un fantasme de plus ?
 Dans le huis clos de ce court roman, l'auteur poursuit son exploration de tous les malentendus issus de la relation francoafricaine et trace, à nouveau, le portrait attachant d'une femme noire, tentant d'inventer un chemin de vie original et indépendant.

Ce genre d’associations lui est habituel, et Jacques sera l’un des exposants majeur de la manifestation que nous préparons pour mettre en lumière la complémentarité textes/images qui nous semble l’une des clés pour renouveler l’intérêt des « non-initiés » à l’écriture poétique.

Nicole PIQUET-LEGALL est la lauréate 2012 du Prix de poésie Yolaine et Stephen Blanchard, pour son recueil, Ne tue pas la mésange bleue. La remise du prix aura lieu à Dijon, lors de l’Assemblée générale des Poètes de l’Amitié le 10 novembre prochain. L’ouvrage peut d’ores et déjà être réservé (10 € port compris) auprès de Stephen Blanchard, (19 allée du Mâconnais - 21000 Dijon). Ce recueil de poésie libre, sera disponible en novembre prochain.

Oscar RUIZ-HUIDOBRO reçoit le Prix Stephen Liégeard, doté par la mairie de Brochon, - siège du château de Stephen Liégeard, aujourd’hui transformé en lycée pour son ouvrage édité, Claire-Voie, ou La pénombre en 365 jours. La remise du Prix se déroulera le 22 septembre. 51


Sous la lune et autres saisons. Jean-François Forestier. Préface de Perrin GRIMARD (poète, revuiste, éditeur) Un ouvrage de 56 pages, 10 €, disponible auprès de l’Association) ; Si l’un des moyens à la disposition de quiconque veut écrire est de noircir la page initialement blanche, il semble que le premier travail de notre poète soit au contraire de s’être mis en demeure de blanchir une page auparavant noire et de ne laisser volontairement que quelques lignes « chues d’un désastre obscur » pour reprendre un vers célèbre de Mallarmé, comme si écrire commençait par une action de diminution, de gommage, de suppression, pour ne laisser subsister qu’un message codé qui de page en page se développe pour constituer une chaîne ininterrompue voguant sous la lune et (en) autres saisons : « De l’enfantement de l’automne / passant par une fin d’été racoleuse », en empruntant « les portes de la nuit » « cette nuit noire de Soulages » « Dans les heures où la lune se démasque » et se poursuivant « jusqu’aux écharpes de neige » quand « en gésine le printemps tarde » Textes concis qui ne sont pas sans rappeler le Haïku ou le tanka et qui amènent, immanquablement, le lecteur à s’arrêter sur ce fugitif, ce presque non-dit, cette retenue, cette pudeur, qui rendent le poème à la fois non fini mais aussi poignant, offrant au lecteur le choix entre un arrêt sur image- image souvent somptueuse- et une suite à venir qui de toute évidence ne pourrait surgir que de lui-même. « Offense faite au champ de neige / De ma nuit / Par l’oiseau noir de l’insomnie ». « Lame luisante d’un couteau d’insomnie / Tu parais éclair sans génie / Puis t’éloignes en riant / Me laissant à la nuit ». De la nuit à la nuit, de l’insomnie à l’insomnie, qu’elle soit oiseau ou couteau, il y a dans cet enfermement tant de choses à dire. La route est tracée. Au lecteur de combler ce vide entraperçu aux contours internes et étincelants des vers ciselés comme des bijoux. Va et vient entre le noir et le blanc, le blanc et le noir, équilibre subtil qu’il est si difficile – pour ne pas dire impossible - d’atteindre dans la vie de tous les jours. Un peu comme ce combat incessant entre santé et maladie, vie et mort, dont on connaît l’issue malheureusement fatale mais qui n’empêche nullement –au contraire- « Dans des couloirs sans fin / les voyageurs égarés, somnambules inquiets de guetter à l’écran des destinations inconnues. » « Et ce vide papier que la blancheur défend » pour revenir à Mallarmé, n’est plus alors ce symbole de l’épreuve surhumaine et quasi impossible à surmonter du poète suant et souffrant sur son épreuve, mais au contraire signe de respect entre le noir de cette nuit qui revient si souvent dans le recueil – « cette nuit tapageuse – (qui) avait écrit un poème / effacé à la lucidité du jour » et cette soudaine magistrale « gifle de lumière / l’ accroche de l’aube » Christian AMSTATT

FLORILEGE – JUIN 2012 – Prix : 8 € 52


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