FLORILEGE 149

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Une conscience sans scandale est une conscience aliénée - Georges BATAILLE

FLORILEGE 149

décembre 2012

revue trimestrielle de création artistique et littéraire réalisée avec le soutien d’AG2R-LA MONDIALE et la participation du CRL Bourgogne 1


FLORILEGE est éditée par l’Association Les Poètes de l’Amitié ABONNEMENT (1an - 4 N°) : France : 28 Euros Etranger : 40 Euros Association Les Poètes de l’Amitié Présidents d’Honneur : Maurice CARÊME Jean FERRAT Charles DUMONT Comité d’Honneur : Lucien GRIVEL Marie-Luce BETTOSINI Cécile POIGNANT Paulette-Jean SERRY Monique et Yvan AVENA

Conseil d’Administration : Président Stephen BLANCHARD Membres : Christian AMSTATT Agnès FRANÇOIS K.J.DJII Marie-Claude LEFEVRE Jean-Michel LEVENARD Marie-Pierre VERJAT-DROIT Cotisation 2013 à l’Association : Actifs : 21 Euros Bienfaiteurs : 210 Euros Forfait Abonnement + Cotisation (uniquement pour une adresse en France) : 42 Euros

Editorial Notre lectorat, au fil des années, comme pour bien d’autres revues, a tendance à diminuer. Pour tenter de remédier à cette «usure» bien naturelle, nous vous proposons de vous faire en quelque sorte nos ambassadeurs auprès d’une personne que vous pensez pouvoir être sensible à Florilège. A cette fin, chacun trouvera avec sa revue, une carte d’abonnement PARRAINAGE. Cette carte vous vaudra un prolongement d’un numéro pour votre propre abonnement (veillez à vous identifier sur la ligne Parrainé par :). D’autre part, cela allant aussi bien en le disant qu’en ne le disant pas, sachez que nous pouvons relayer des informations d’ordre culturel concernant vos activités dans la page des adhérents, que par ailleurs, le Comité de lecture sera attentif à vos propositions en matière tant de création que d’articles de fond. En un mot, vous aimez lire Florilège, Florilège aimera également vous lire ! Et puisque cela est de saison, meilleurs vœux à tous ! Pour l’équipe de FLORILEGE Jean-Michel Lévenard

Directeur de la publication : Stephen BLANCHARD Comité de lecture – Rédaction : Annie RAYNAL, Marie-Pierre VERJAT-DROIT, K.J.DJII, MarieClaude LEFEVRE, Jean-Michel LEVENARD Pour toute correspondance concernant la revue : (vos suggestions, remarques, coups de cœur, coups de gueule, propositions de participation) : Jean-Michel Lévenard – 25 rue Rimbaud – 21000 Dijon ou e-mail : jean-michel.levenard@laposte.net

Concernant l’Association : Stephen Blanchard – 19 allée du Mâconnais – 21000 Dijon. Exonérée de T.V.A. – Prix : 8 Euros C.P.P.A.P. : 0611 G 88402 - I.S.S.N. : 01840444 Visitez le site DES PASSANTES http://des-passantes/over-blog.com/

D.L. 4° trimestre 2012 Imprimerie ABRAX 21800 QUETIGNY 2


SOMMAIRE

N° 149 Décembre 2012 avec des dessins de Sébastien RUSSO CREATIONS

p.4 Fabrice FARRE : suite de poèmes p.5 Renée-Lise JONIN : 2 poèmes p.6 Danielle LAGET : 4 poèmes p.7 Colette SEGONZAC : Amuse-bouches (prix du concours de la nouvelle) p.10 Jacques BOE : Entre vrai et pas vrai (fantaisie poétique) p.11 Romain GIRARD : 2 poèmes p.12 Claude GROSJEAN : 2 poèmes p.13 Fatima KHELIFA : 3 poèmes

CHRONIQUES p.14 La Chronique huronnique de Louis LEFEBVRE p.16 Jazz et littérature, par Jean CLAVAL p.18 L’illumination de Vincennes, par Jean FERRARI (avec l’aimable autorisation du CRL Bourgogne) p.20 Lettres à…, par Claude LUEZIOR p.22 Hommage au poète Christian Morgenstern, par Dominique BLUMENSTIHL-ROTH p.27 Bernard CLAVEL ou l’écrivain parmi les hommes, par Yann LE PUITS p.34 Faut vous faire un dessin ? par TOM p.36 Do Brasil par Yvan AVENA: Poèmes Brefs

PASSE A TON VOISIN p.38 Revues en revue, par HMR : Pages Insulaires, Escapades, La Braise et l’Etincelle, Libelle p.40 Claude LUEZIOR : Côté ubac, de Jean-Louis Bernard (poésie) p.40 Louis DELORME : La nuit, ce long regard qui fuit déjà vers l’aube, de Paul Gagnaire

(poésie) p.41 Marie-Pierre VERJAT : Traces d’étoiles - Quelques vers posés avec respect sur vos chansons… de Jean-Pierre Paulhac (poésie) p.42 Jean-Michel LEVENARD : Sourires et larmes de l’école communale d’Odette AMELOT (récit) p.42 De la musique avant toute chose, par K.J.Djii : Du liquide dans les titres p.44 Cinéma de quartier, par Bertrand PORCHEROT : Hors Jeu, de Jafar Panahi p.46 L’agenda des Poètes de l’Amitié p.47 La page des adhérents p.48 Dis-moi dix mots

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Fabrice FARRE http://fabrice.farre.over-blog.com/ http://lesmotsplusgrands.over-blog.com/ Fabrice Farre est né le 7 novembre 1966, à Saint-Etienne où il est aujourd’hui fonctionnaire d’Etat. Il a consacré une thèse à la poésie contemporaine (Lettres et civilisations étrangères), et traduit les poètes tels que Lorca, Montale, etc.

IV - Scène Puis revenait comme un éclat de voix cet après-midi dur qui passait par la fenêtre pauvre. Ta main ouvrière œuvrait au quotidien couturier. Les gens qui venaient chez nous se laissaient évaluer sous ton mètre. Tu mesurais donc les vivants et les coups de craie donnaient une preuve supplémentaire au salaire routinier. Quant à moi, je râlais trop souvent croyant avoir pour simple patron cette ombre seule sur le bois de la table où nous mangions sans mot.

Ses publications : « Visages de poésie », anthologie n°6 de Jacques Basse, éd. Rafael de Surtis, 2012. Les chants sans voix, éd. Encres Vives, Coll. « Encres Blanches », 2012. Ru asséché, éd. Clapàs, Coll. « Franche Lippée », préface de Eric Dejaeger, (juin ou juillet 2012).

I - Long cours Perdre, à quoi bon perdre tout ce temps inutile (les mains tremblantes ne fixent aucun visage de mot que j’ai pour le monde autour de moi). Je gagne plutôt ce que je perds en attendant de le retrouver pour vivre enfin en ce lieu dont l’étendue me rétrécit et m’appréhende davantage dans le cours des choses.

V – A la mer Le temps de voir la mer le trait du tarmac sur elle et c’est le début du soir. Les visages brûlés par les bruits se font plus rares - comme les corps sous le même bleu des maillots aussi nus que le ciel - et le deltaplane qu’on touche du doigt étend sa traîne publicitaire. Non, ici ce n’est pas l’Amérique bien que dans le sable un dog anglais s’acharne à saisir un crabe plus gros que l’avion et les lettres là-haut derrière le moteur criard.

II - Mot Je ne t’ai reconnue que lorsque l’ombre s’étira sous les hauts lauriers roses. Ce fut une marque humide et noire comme une mémoire capricieuse à juger entre l’absent et la couleur.

VI - Estate

III - Intérieur

Celles qui s’élancent sur les places blanches étirent leurs jambes de verre. Las cafés ont leur façade basse, alentour, et les bâches des vitrines dans le vent paresseux, tracent d’un trait vert une limite au vol des moineaux inquiets.

En revenant au dedans qui meurt parfois, je me répète qu’il est vain d’occuper l’espace une fois encore. Les heures y ont brûlé sereines vives et nombreuses comme une poignée d’alternatives. Je veille surtout à ne pas me disperser lorsque je ne me reconnais pas parmi ceux qui m’ignorent.

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Renée-Lise JONIN

Il devinait qu’il devait vivre La liberté le roulement D’un grand tambour tonnant et blanc La voix de l’allumeur de l’aube Fêlée par le bonheur Il avait dans son corps La danse intense des oiseaux Il avait dans son cœur Un géant qui s’éveille et un lion qui rêve Il devinait qu’il devait vivre De la vie des monstres sacrés Qui roule comme un fleuve Jusqu’aux ailes des arbres Il devinait qu’il devait VIVRE Le fiancé de la pinède Ses pas sont des actes sacrés Il foule la terre vivante Parmi les ostensoirs La cigale lui dit bonjour Et sa chanson à lui s’adresse. Toutes les fourmis le connaissent Il glisse aux rainures des murs Des voix qui les éveillent Et des fenêtres qui se rêvent Il prend plaisir à ajouter En passant d’un geste discret Deux ou trois gouttes à la pluie

Les arbres du chemin Sont amoureux de lui Toutes les herbes l’aiment

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Danielle LAGET Ami J’ai écrit ces quelques mots hier la nuit s’en est allée vois-tu jamais les errances de mes nuits jamais les ombres de mes pensées n’ont occulté ces mots

Ce soir J'ai senti ce soir un battement de cœur un heurt un raté un vague bonheur ta présence fracassant les rochers résonne dans la crique du passé

J’ai écrit ces mots à toi destinés les nuits passent, les jours s’effacent jamais mon âme ne se lasse les flammes devant toi s’embrasent je voudrais t’ouvrir l’espace

Je t'ai tant aimé mon étrange ami aujourd'hui les cristaux gèlent mes nuits dans un raz de marée surpris soumis au fond d'un volcan explosé sans bruit

J’ai écrit ces mots sans oublier le sablier

Je t'ai tant aimé mon étrange ami tu t'enfuis un souffle de vent frémi silhouette doucement penchée tu rejoins ta vie m'as-tu aimé

Tel un chêne tu domines j’aime cette écorce rude à laquelle je me prends à rêver

Le temps est passé il reste un peu d’amertume l’envol de l’oiseau devient lourd fardeau

Je suis toujours là mon ami je tends mes doigts ma main mieux que moi te dira que je pense à toi

Mais les colonnes érodées par le vent dressent encore leurs silhouettes dans des fantômes de brume

Autrefois c’est quelques fois aujourd’hui c’est là mon ami

Souvent le soir

Femme J’ai vu sur la peau d’un mur un regard une présence une femme au visage pur une allure une prestance

Souvent le soir à l’heure des vêpres les arbres aux feuilles vernies de métal sèment un vent au mistral semblable et recouvre le sol pavé de dalles d’un moelleux tapis de velours sable

C’est une belle inconnue qui vit là dans la rue silhouette drapée de blanc offerte aux petits enfants

Souvent le matin à l’aube pâle les oiseaux chagrins rejoignent leurs nids alors le ciel gris jette une fine pluie qui lustre les fleurs d’un voile sale et les toits d’ardoise se couvrent d’étoiles

Un corps voilé de transparence la pointe d’un sein sculpté avec aisance une féminité sans indécence c’est un automne en errance

Souvent le promeneur erre solitaire le sentier boueux s’étire malheureux de vastes trouées creusent des gravières qui d’une succion absorbent un peu

Innocence si bien rendue amour sans retenue femme de la rue étrange seule et perdue

Et l’homme triste pense à Dieu 6


Le jury du concours de la nouvelle de la revue FLORILEGE est heureux de vous faire partager son choix, qui s’est porté pour cette 39 ° édition, sur le texte de Colette SEGONZAC d’Elancourt. Tous nos remerciements aux 35 participants. Pour tout renseignement sur le concours de la nouvelle, rendez-vous sur le site DES PASSANTES, ou écrivez à Stephen BLANCHARD (19 allée du Mâconnais – 21000 Dijon – Enveloppe pour réponse, merci).

Amuse-bouches De son sixième étage, accoudé au balcon, il contemplait la foule qui déambulait dans la rue. Il souriait en pensant à son réveil angoissé quelques minutes auparavant. Quand cesseraitil d’avoir besoin que sa maman remonte son drap et dépose un baiser protecteur sur son front pour pouvoir dormir tranquille ? La matinée s’annonçait radieuse. Les oiseaux chantaient. Côté jardin public de l’avenue d’Yver, il apercevait des amoureux enlacés derrière la fontaine aux nymphes. Ses terreurs nocturnes achevèrent de se désagréger dans la lumière dorée qui filtrait à travers les frondaisons. Il abandonna son poste d’observation pour s’installer à son bureau et corriger quelques pages. Vers onze heures, il prit une longue douche puis se livra à un récurage minutieux de l’appartement. Aujourd’hui, il n’entendrait pas dans son dos de méchantes réflexions prononcées mezza voce sur sa vocation contrariée de technicien de surface. Sa compagne s’était toujours moquée du soin maniaque qu’il prenait à cirer les parquets ou laver la vaisselle. Qu’il suggère un partage équitable des tâches, qu’il sollicite son aide pour descendre les ordures ou repasser quelques chemises et elle piquait sa crise. « Tu t’imagines que je n’ai que ça à faire ! Tu n’as qu’à engager quelqu’un. » Comme il ne tenait pas à abandonner à des mains étrangères le soin d’épousseter ses collections en dérangeant l’ordre parfait de ses piles de livres ou des feuillets de ses manuscrits, il cédait et se chargeait du nettoyage. Entre travail, shopping et salle de gym, la vie de Mathilde se déroulait dehors alors que lui, de l’aube au crépuscule, il trimait, rivé à son ordinateur face à la fenêtre du séjour. Pas facile pour un écrivain de chercher l’inspiration dans une pièce sale parfumée par des remugles de déchets en voie de décomposition et devant un horizon obstrué par un amas de cartons et de bouteilles de Contrex vides en attente sur le balcon.

L’après-midi débutait. Christian était en nage. Du sol au plafond, la tornade blanche était passée : tout étincelait. Ne restaient plus que les trois énormes sacs-poubelles qui encombraient la terrasse désormais en plein soleil. Il éprouva quelques difficultés à charger le coffre de sa voiture, mais le pèlerinage qu’il s’apprêtait à accomplir le motivait. Il quitta sans regret la ville envahie de touristes. Un vrai plaisir de circuler sur les départementales désertes bordées de vignes qui grimpaient à l’assaut des collines ! Une vingtaine de minutes plus tard, il aborda les reliefs tourmentés de l’arrière côte et entreprit de faire les arrêts projetés à chaque endroit que Mathilde avait aimé : la Sablière, le Lac Vert, le Ravin des Iris... Enfant, l’histoire du Petit Poucet figurait parmi ses préférées. Il s’identifia au héros semant sur son chemin cailloux et miettes de pain. À chacune de ses haltes, il réservait un poème et sa voix retrouvait les intonations mélodieuses de Mathilde déclamant, drôlement perchée sur un rocher, ou assise sur l’herbe, sa jupe bleue déployée en corolle autour d’elle. Le soleil se couchait lorsqu’il se décida à revenir à la civilisation, épuisé par le grand ménage qu’il avait fait dans sa vie. Un bon restaurant suivi d’une nuit d’hôtel permettrait d’évacuer le trop plein de stress et d’émotions. Il était temps de se changer les idées. D’entrée de jeu, la note fruitée et la couleur pourpre de la liqueur de cassis dans son verre de bourgogne aligoté l’égayèrent. Ensuite l’appétit s’emballa : les œufs en meurette et l’agneau cuit rosé avec ses pommes de terre rôties furent engloutis en quelques coups de fourchette. Sa gloutonnerie le conduisit à réclamer du fromage et en apothéose : une pêche Melba surmontée d’un coulis de groseilles acidulé. Il avait choisi un chambolle-musigny 2001 dont l’élégance suffisait à le rassurer sur ses talents d’œnologue.

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Son embonpoint naissant de quinquagénaire bon vivant l’avait condamné à renoncer à tous les plaisirs de la table sur ordre de Mathilde. Il desserra discrètement sa ceinture de deux crans et sirota son alcool de poire en pensant tendrement à elle. Le souper un peu lourd fut-il seul responsable ? Ne faut-il pas accuser plutôt les réminiscences pénibles qui polluaient sa conscience ? Toujours est-il qu’à nouveau, l’insomnie gâcha son repos. Il appréhendait le retour à la maison car il n’avait jamais vraiment vécu seul. Il était passé sans transition d’une vieille mère autoritaire à une petite amie assurément plus fantaisiste, mais particulièrement râleuse. Après avoir avalé une tasse de café et réglé sa note, le romancier quitta l’hôtel de bonne heure. Il roulait vite, concentré sur sa conduite. L’autoradio se taisait. Ses tympans bénéficiaient d’une cure de repos après le traitement rock-punk à gogo imposé par sa passagère malicieuse pendant cinq ans. Une fois la voiture rangée dans le parking souterrain de sa résidence, il opta pour une promenade nostalgique dans le parc. Il fallait exorciser les derniers vieux démons et le square était l’endroit le plus chargé en souvenirs du bonheur passé : l’allée où il lui avait pour la première fois avoué son amour, le bosquet du premier baiser, le circuit qu’ils accomplissaient ensemble à petites foulées autour de l’étang pour entretenir leur forme. Mathilde avait une fâcheuse tendance à juger sur la mine. Tout écart de régime prouvait, selon elle, un manque de volonté, un relâchement moral inadmissible. Des allusions perfides à leur différence d’âge pleuvaient s’il osait refuser une escapade en VTT. Certes elle appréciait sa vaste culture ainsi que ce qu’elle appelait joliment son « art de conter fleurette ». Au début de leur liaison, elle avait été flattée qu’un homme de lettres réputé se soit intéressé à elle, simple bibliothécaire de province. Mais ça ne suffisait plus. Dans l’ultime conversation qu’ils avaient eue en revenant d’un de ces joggings exténuants, elle avait froidement annoncé à Christian qu’elle ne supporterait pas très longtemps encore de voir son double menton, ses joues rebondies, son ventre « bonhomme Michelin ». « Tu te décides à faire VRAIMENT quelque chose ou je pars ! » Qu’elle était laide quand elle se mettait en colère ! Sa voix devenait crécelle lorsqu’elle dérapait dans les aigus. Mais il était fou de cette petite peste aux jambes fuselées. Il s’écroula sur un banc et sentit des larmes couler sur son visage. Il aurait été incapable de

dire combien de temps il resta ainsi prostré avant qu’une main secourable ne se tendît vers lui. On lui offrait un kleenex. Quelqu’un s’apitoyait sur son sort. Levant la tête, il se trouva face à une opulente poitrine moulée dans un tee-shirt fuchsia. Un court instant, il s’imagina blotti dans ce doux cocon, à l’abri des malheurs du monde. Une femme blonde le regardait avec inquiétude : « Que se passe-t-il Monsieur Merival ? Me reconnaissez-vous ? Nous nous sommes rencontrés au Salon du Livre de Brive. Nous étions voisins de stands. Vous rappelez vous ce superbe repas où les grands millésimes coulaient à flots ? - Mais oui bien sûr ! » Christian se mouchait bruyamment. Il retrouvait ses esprits. Il revoyait le défilé des plats : foie gras, magret de canard aux cèpes, tourte aux pommes, cerneaux de noix enrobés de chocolat noir avec le café ; cette femme charmante qui écrivait des bouquins de recettes et des guides de charme, évidemment il s’en souvenait aussi. « Vous êtes Sophie Bedenne, la reine des fourneaux, la papesse de la gastronomie ! » L’intéressée parut contente des titres élogieux qu’il lui décernait et saisie d’une envie maternelle de réconforter le pauvre éploré. - Allons, allons, hauts les cœurs ! Habitez– vous dans la région ? Je vous croyais Parisien de souche, attaché à la capitale comme un arapède à son rocher. - Eh bien… Euh… Je vis ici par amour… amour de la bonne chère et du bon vin, s’empressa-t-il de préciser. - Alors là, vous m’intéressez ! Je dois rencontrer mes lecteurs à la librairie de la place de la Libération à dix-huit heures. Je ne sais pas de quelle manière occuper mon temps jusque-là. Je serais ravie de connaître un peu mieux cet endroit grâce à vos lumières. » Elle n’allait donc pas l’abandonner seul et misérable : elle lui lançait une bouée de sauvetage à laquelle il s’agrippa avec l’énergie du désespoir. Il avait commencé par lui mentir effrontément : impossible d’avouer d’emblée que c’était pour les beaux yeux d’une gamine de vingt-cinq ans sa cadette qu’il avait fait ses adieux à Saint Germain des Prés. Il expliqua ses pleurs par le décès récent de sa vieille tante Lucie et s’empressa d’orienter la discussion, comme elle le souhaitait, vers les richesses du terroir. Deux bonnes heures s’écoulèrent sans que les deux bavards ne s’en rendent compte. On en était venu à disserter d’Apicius, de la température idéale du bain marie pour la cuisson d’une terrine de lapin au genièvre, des asperges et des petits pois dans 8


les menus du Roi Soleil. Elle lui révéla qu’il y avait du homard et de la purée de patates douces à la table d’Obama le jour de son investiture. Il lui raconta ses tentatives de réalisation du sorbet à l’avocat tel qu’il était préparé chez les Kennedy. Au fil de la conversation, ils avaient quitté le banc du parc pour se promener à pas lents dans la vieille ville. Ils en arrivaient enfin aux confidences. Adresses, numéros de téléphone, emails s’étaient échangés. Aucun d’eux n’ignorait maintenant les peines de cœur et toutes les trahisons que l’autre avait subies. Ils ne parvenaient pas à se quitter : ils déjeunèrent ensemble, se rendirent de conserve à la séance de signatures puis dînèrent à deux dans l’enclos fleuri d’un joli restaurant du centre. C’était une de ces nuits printanières où il fait bon marcher sous la voûte étoilée en construisant l’avenir. Il proposa de la raccompagner à la gare. L’idée de retrouvailles proches les séduisait tous les deux. Lorsqu’il la quitta sur le quai, il se permit de l’embrasser timidement sur la joue. Rendez-vous était pris pour le weekend suivant. Merival sifflotait en regagnant son immeuble. L’épisode Mathilde s’estompait peu à peu. Cette lamentable histoire avait-elle réellement existé ? Il ne pensait plus qu’à sa consolatrice, troublé comme un adolescent par les rondeurs mûres de Sophie. En voilà une qui ne perdait visiblement pas son temps en exercices d’abdos fessiers ! Elle ne devait pas chipoter à table. Dans sa tête, les repas de leur prochaine rencontre s’élaboraient. Pas question de se coucher : il devait recenser ses réserves et penser à faire la liste des courses pour préparer les festins qu’il offrirait à sa gourmande. Christian commença par ouvrir ses placards. Son matériel était digne d’équiper les plus grands chefs. Que ce soient poêles, sauteuses, hachoirs, couteaux et autres tranchelards, il achetait le haut de gamme sur catalogue spécialisé. Mais il avait rarement eu l’occasion d’utiliser ses ustensiles de cuisine sous l’ère mathildienne. Il se contentait de les entretenir en attendant des jours meilleurs. Personne mieux que lui ne savait polir un cul de casserole en cuivre ou aiguiser le tranchant d’une lame. Ce qui était plus désolant, c’est que la pénurie régnait en ces lieux : pas un morceau de sucre, pas une once de farine. Et que dire du contenu du réfrigérateur ? On aurait eu bien du mal à y dénicher une motte de beurre salé, un pot de crème fraîche ou de la graisse de canard. Le cuisinier frustré passa résolument à l’action. Sus à la diététique ! Au rebut tomates,

courgettes, poireaux, concombres, pamplemousses, tous ces « bons » aliments qui débordaient de leurs tiroirs pour envahir les clayettes supérieures du frigo ! Les yaourts 0%, la viande des Grisons, la margarine allégée disparurent également. Il s’attaquait maintenant au congélateur, éliminant sans regret un stock de filets de poissons maigres et d’escalopes de poulet blanchâtres. Les sachets de haricots verts, de brocolis, les épinards connurent le même sort. Il devenait de plus en plus fébrile au fur et à mesure qu’il faisait le vide. Plus question de s’arrêter en si bon chemin. Le paquet était là où il l’avait entreposé trois jours plus tôt : au fond du dernier compartiment. Sous l’épais plastique embué, Mathilde dormait. Ses lèvres exsangues aux reflets bleutés esquissaient un sourire bienveillant. Christian y vit comme un pardon posthume. D’un geste empreint de douceur, il déposa la tête sectionnée de son ancienne bien-aimée sur le lit de légumes et de produits light qu’il s’apprêtait à jeter. Une salade défraîchie coiffa le front de la bibliothécaire d’une dérisoire perruque verte. Il tassa un peu tous les déchets pour fermer hermétiquement ce cercueil improvisé. Il appela l’ascenseur et descendit au local des ordures. Sa charge lui paraissait légère. Comme il avait peiné l’autre jour à transporter les trois gros sacs noirs ! Il faut dire que le poids immense de son remords les alourdissait. Il ne ressentait plus qu’un grand soulagement. Tout allait recommencer en mille fois mieux. À présent, il était convaincu d’avoir eu raison.

Géographe de formation, professeur retraitée, Colette Segonzac est auditrice assidue des « Papous dans la tête » (France Culture). Se plaît aux contraintes d’écriture, telles les propositions Dix mots de la Francophonie auxquelles elle a participé à plusieurs reprises. Cette nouvelle est sa première tentative dans le genre.

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Jacques BOE

Entre vrai et pas vrai Bouche ou main ou fesse Et les doigts pour les caresses Ainsi va le monde. Eloge de la fesse Aïe ! suis amoureux Des deux fesses de ma mie Las ! tout se dérobe Fessa fessarum Fessus fessae bandant J’en perds mon latin. Fesse couleur pêche Dans un écrin de soie rouge Sourdes vibrations Eloge de la main Mains servent à tout Et même encore un peu plus Extase ou bien peine. Mais joue du clavier Mélodie en noir et blanc Un cristal scintille Une main s’agite Dans le vent et dans l’azur Douce fumerole. Eloge de la bouche Belle amie de bouche Cœur et yeux ne parlent pas De même langage. Si j’ai un secret ce sera bouche cousue Aïe ! Aïe ! les épines. Bouche en cul de poule Tendre expression imagée On rejoint la fesse. C.Q.F.D.

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Romain GIRARD Vingt-Neuf Secondes Après La Nuit

J’entends, au loin, crier une femme Dont la complainte, étrange et calme, Calliope 1 usée, broya mes os, En feuille d’automne, sous ses sabots. J’entends, là-bas, geindre l’aurore Se querellant avec la nuit; Sous l’empire de ses facéties, Elle s’assoupit, bien tôt, encor. J’en vois, de peur, tomber le jour, Ainsi cité sous les chofars; 2 Feu altier, d’ire, un peu sourd, Marri des cieux aux airs blafards. Il trace des ombres maladroites À l’art divin et camaïeu, D’un pinceau souple, pâle écarlate, Farceur fou et captieux. Des entrelacs, en douce brume, Brisent l’absolue rigueur des bancs Voûtés en faille, 3 époussiérant, 4 Le froid pesant telle l’enclume. Me dirait-on: « Demain s’éteint La lampade du noir Ether », Qu’envol peines, pour sa mémoire, J’en planterai des magnolias En verve ronde; lentement s’étreint L’écorce aux fleurs éphémères. Flammes roses 3 courant après le soir, S’essoufflent au peu de leur jeune pas. Éculant 5 l’outil de son labeur, L’Astre luisant aux mains rudes 1

Muse de l’éloquence. Type de trompette utilisée durant certaines fêtes juives. Bibliquement, responsable de la chute des remparts de la cité de Jéricho. 3 Il est fait ici écho aux fleurs des magnolias. 2

S’incline, métronome, dans la douleur Plus qu’immobile dans la quiétude.

Les Archers Du Clair De Lune Un cri strident, en la nuit lourde et muette, Désœuvre le ronflement de la somnolente Place dolente aux courbes abstraites Qui dessinent en son sein des flèches accueillantes Que croisent, adroits, des archers taciturnes, Me rappelant les bras de jouissances nocturnes, Invisibles aux toits, grandes tuiles faites dunes; À défaut de carquois, ils décochent la Lune. Quelle créature cherchent-ils, de leur corde tendue, Aux aguets, l’attention rivée au loin Sur des champs sans frontières où se livre l’arlésienne 1 À l’art 2 insolite des astres facétieux? Mais Sélène 3, jeune enfant, sait tant la ruse Qu’à l’instant du décompte, quand revient le soleil; Belle aux jupes tricheuses sous-vêtue de céruse 4, Disparaît, tout sourire, et se moque du ciel La cachant, si heureux d’être tant plus qu’un toit: Le complice d’une déesse et l’hôte de ses joies.

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Pièce d’ Alphonse Daudet dans « Les Lettres De Mon Moulin ». Au théâtre, cela désigne un personnage dont on parle ou que l’on décrit mais qui n’apparaît jamais dans aucune scène. 2 Ici, le jeu. Désigne le cache-cache, introduit plus loin. 3 Nom donné, dans la mythologie grecque, à la déesse représentant la pleine lune, Artémis étant le croissant de lune et Hécate, la nouvelle lune. 4 Il s’agit d’un pigment blanc à base de plomb mais également d’une technique décorative qui a pour but de faire ressortir la veinure du bois. Dans le cas présent, les deux interprétations sont plausibles au vue du contexte dans lequel le vers est introduit.

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Claude GROSJEAN

L’Homo

Réussir…

L’homme s’en va, le front blessé par la semence des astres regrettés comme des yeux d’amis et ses bras sont pareils à des rameaux fragiles que dans l’ombre les vents ne savent plus mouvoir.

Vous qui aimez la poésie ; A la banque du Saint-Esprit, Placez-y vos beaux sentiments Ils rapportent tant pour cent !

Ses yeux disent la flamme égarée d’un soleil et ses mains sont les fleurs aux pétales de vie, en lui germent les mots comme d’âpres racines dont sa voix vive dit les souterraines faims…

Vous reste-t-il une passion ? Convertissez-la en actions Et pour vous favoriser la chance Prenez une bonne assurance…

Qui était-il cet être étrange dont nous sommes les lointains descendants, si proches malgré tout, hordes dépenaillées de ces tout premiers hommes ; eux qui nous ont donné dans le temps rendez-vous ?

Votre cœur est-il en chômage ? Mettez vos souvenirs en gage, Envoyez au mont de piété Vos amours et vos amitiés…

Personne ici ne songe, assis devant sa table fasciné par ce jour que l’on veut éternel, aux cités englouties émergeants sous les sables. nous bâtissons des villes, élevons des Babels…

En dépit d’efforts méritoires Lassé d’attendre en vain la gloire Malgré tant de traits de génie, Vous semblez n’avoir point compris ?

… autant de hautes tours où nous nous entassons et mues depuis toujours par quelque déraison en rêvant à des Dieux accueillants et fidèles, de chenille rampante on devient papillon…

Alors il vous reste une chance De jouer au roi de la finance. -réunissez vos chers écrits… Et faites-en des confettis !

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Fatma KHELIFA La fille à la cigarette (à une jeune fille maghrébine)

La vieille dame et la mort Le visage figé comme une vieille carte postale Le dos courbé par les malheurs Elle n’a pas connu le bonheur

Certains l’aiment D’autres la méprisent Son univers est brumeux Mais elle est heureuse

Pourtant un petit rayon de soleil Brillait dans ses yeux sombres Elle aimait la vie malgré tout Le courage était son atout

Sa vie n’est pas sage Le ciel devient sauvage Au loin les loups hurlent dans le noir Mais elle est pleine de courage

Mais la mort a pris le dessus En l’enveloppant de son pardessus Elle est partie dans le silence Sa place est devenue absence

Elle embrasse son amant Mais elle oublie le temps Les jours de détresse et les nuits d’attente Mais elle est indépendante

Femme-Liberté (pour la journée de la femme – 8 mars 1998) Tu as déchiré le voile du silence Rompu avec les traditions L’Histoire t’a affranchie De tes chaînes d’esclave Tu es devenue une menace Mais tu restes tenace Malgré tes ailes brisées Tu es maîtresse de tes pensées Je marche avec toi Femme opprimée Fleur persécutée La Liberté est au bout du chemin

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LA CHRONIQUE HURONNIQUE de Louis LEFEBVRE (Les Brenots – 58430 Arleuf) agrémentée de dessins de Marie-Laine RIRE ET COLERE D’UN INCROYANT

Les hommes, en règle générale, n’acceptent pas d’être lâches. Alors ? Alors la question demeure. C’est une question que j’avais posée dans une de mes chansons : Pourquoi les hommes qu’on Dit doués de raison, Jouent-ils aux cons, Madame ? Jouent-ils aux cons ?

J’ai parlé du livre de René Pommier. J’en parle à nouveau. René Pommier écrit : « Les croyances auxquelles les croyants s’accrochent sont un tel tissu de stupidités ridicules, d’absurdités inénarrables et d’âneries anachroniques qu’ils devraient tous être totalement incapables de pouvoir seulement commencer à apprendre à lire et à écrire, incapables même de pouvoir apprendre à parler… » Or ce n’est évidemment pas le cas. (p.57)

Je n’ai toujours pas de réponse. Je vous re-reparlerai du livre de René Pommier dans le prochain Florilège. MEDAILLES…

Et René Pommier ajoute : « Beaucoup de croyants n’en sont pas moins intelligents ». (p .56) Notre bon professeur s’amuse beaucoup et joue les naïfs : comment peut-on être un homme doué de raison et croire – croire n’importe quoi ? Mais René Pommier tente de répondre à la question : « Les croyants sont généralement mus par des mobiles que l’incroyant peut fort bien comprendre, notamment le désir d’avoir des réponses à des questions auxquelles l’incroyant aimerait bien lui aussi pouvoir répondre et celui de retrouver dans un autre monde les êtres qu’on a aimés… » (p.59) Pour se rassurer et s’assurer, pour souffrir moins, on accepterait donc ce « tissu de stupidités ridicules, d’absurdités inénarrables et d’âneries anachroniques ? » Non. Un homme intelligent s’y refusera. Non seulement parce qu’il est intelligent, et qu’il se rend compte qu’il va jouer à un jeu imbécile, mais encore parce qu’une certaine fierté l’empêchera de se livrer ainsi à la religion. La fable est bien jolie, dira-t-il, mais il faudrait être bien lâche pour l’accepter.

Les jeux zoolympiques sont finis. On a eu plein de médailles ! Comme ça aide à vivre en période de crise ! Mais curieusement, on a oublié la médaille d’or gagnée par toutes les nations qui se disent libres et démocratiques. Ces nations ont accepté que des femmes concourent aux jeux, à condition d’être voilées. Pourtant quand les athlètes ont défilé, il suffisait que tous – les hommes comme les femmes – défilent voilés, afin de dire non au diktat du Qatar. La médaille oubliée et gagnée par toutes ces nations est une médaille d’or : la médaille d’or de la lâcheté. Il est d’autres médailles que l’on peut distribuer toute l’année. Ce sont les médailles d’or de la CONNERIE. Voici ce qu’a déclaré le pasteur Charles Worley (Charlotte – Caroline du Nord) : « Il faut enfermer les homosexuels dans des camps, derrière des clôtures électriques .

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De temps en temps, on viendrait les ravitailler par voie aérienne. Avant peu, ils disparaîtraient. Pourquoi ?... Parce qu’ils ne se reproduiraient pas entre eux. » A ce pasteur, une médaille d’or !

La politique serait donc une autre religion ? Avec des croyants ? Comment peut-on être intelligent et croire ? Nom de Dieu ! dans quoi je me suis embarqué ? Voici des questions bien trop subtiles pour un pauvre Huron !

Todd Akin ( Missouri) a ainsi raisonné : « Une femme qui se fait violer ne peut pas tomber enceinte, car le corps féminin a des moyens d’empêcher la fécondation : il secrète alors une substance qui tue le sperme du violeur. » Corollaire (qui va de soi, même si Todd Akin ne le propose pas) : « Une femme violée qui se retrouve enceinte n’a pas été véritablement violée. » Elle était consentante, et elle a aimé ça ! Ah ! la salope ! A Todd Akin, une médaille d’or !

LA RUE SANS JOIE Je pleure tes poulbots aux franges d’arlequins et leurs doigts dans le nez comme une flûte de Pan tes enfants du ruisseau la cigarette au bec dont les mollets se perdent dans leurs lourds godillots Je pleure tes maisons qui épaulent leur douleur dont les baies se penchent s’épient depuis des siècles Je pleure tes oripeaux à la hampe des fenêtres tes loques tes poussières ta vermine tes poux tes rats indifférents Je pleure tes relents de pisse de friture de crevettes Je pleure ton pot sans cul où s’isole une pousse Je pleure ton fond de rue qui n’aboutit à rien

AVE… STULTI TE SALUTANT C’est la devise de la Médaille d’or de la CONNERIE. STULTI : les sots – les cons. (stultitia : la stupidité) STULTI TE SALUTANT : les cons te saluent. AVE… j’ai laissé des points de supension. Les cons honorent toujours un césar quelconque : un gourou – un président – un homme providentiel - un colonel sauveur de la patrie – un maître à penser – un big Brother – un prophète inspiré – un Dieu sermonnant et tonnant… La médaille porte côté face, une tête de vache (je sais, c’est pas gentil pour les vaches). Et du côté pile : la tête de notre ancien président Zikossar I°. Il avait gagné une flopée de médailles d’or, Zikossar. Ah ! il nous manque ! Avec lui, on gagnait une médaille de la connerie chaque fois qu’il ouvrait la bouche. Il paraît qu’aujourd’hui il donne des conférences. Mais pourquoi y a-t-il des gens qui boivent les paroles d’un charlatan ?

Et surtout ta rengaine traînant comme un râle sur un accordéon et que la fille de joie adossée à sa peine sanglote dans un coin la gorge contre le ciel Jean L’Anselme – Le Tambour de Ville

Je ne comprenais pas pourquoi Jean L’Anselme avait abandonné cette poésie du « Tambour de Ville » pour écrire des âneries et des calembours. Un jour, je lui ai demandé : - Mais pourquoi as-tu flanqué ta muse sur le trottoir ? Ce n’est plus de la poésie, c’est du proxénétisme. Il m’a répondu : - Ma muse fréquentait les salons littéraires autrefois ; mais la poésie qu’on y fabriquait était tellement pédante et bête que ma muse est descendue dans la rue pour manifester. Dans la rue, elle s’est retrouvée toute seule. Alors, ne pouvant occuper la rue, elle a fait le trottoir. 15


JAZZ ET LITTERATURE par Jean CLAVAL

A l’origine, nous trouvons le blues. Le blues : expression vocale par les esclaves noirs des Etats-unis d’Amérique de leur condition sociale, leur dur labeur, leurs souffrances, leurs espoirs, leurs amours. Dans les champs, sur les chantiers, traité comme du capital d’exploitation fermier ou ouvrier, condamné aux plus épuisants travaux, le noir rythme ceux-ci en fredonnant ou en chantant. Le texte du blues n’est pas autre chose qu’un poème, pouvant tout contenir, la mémoire d’un peuple déraciné, rançonné, sa mélancolie mais aussi ses plaisirs ; spirituel ou vulgaire, noble ou obscène, cafardeux ou humoristique, le blues, vision du monde et interrogation du Noir sur lui-même, s’imprègne évidemment de l’environnement, du climat social et économique de son lieu de naissance. Celui-ci, multiple, se situe essentiellement mais non exclusivement dans les Etats du Sud ; le Delta du Mississippi passe pour le berceau du blues où foisonnent dès les premières décennies du XX° siècle les interprètes dont certains deviendront légendaires. S’étendant hors des champs et autres lieux de travail, le blues se manifeste aussi bien couplé aux danses à l’occasion des mariages, des naissances et des fêtes de tout ordre qu’aux enterrements. Vite, les instrumentistes s’approprient le blues, les instruments à vent, cornet, anches, surtout le trombone, imitent sporadiquement les intonations de la voix humaine.

Le blues s’urbanise, gagne les studios d’enregistrement. Pendant ce que l’on peut appeler sa période classique se font connaître, entre autres, les chanteurs Charley Patton, Blind Lemon Jefferson, T-Bone Walker, et chanteuses Ma Rainey, Bessie Smith, Victoria Spivey. Le blues constitue une strucuture musicale s’adaptant parfaitement à tous les styles de jazz. Les meilleurs orchestres comptent à leur tête et dans leurs rangs de merveilleux joueurs de blues : Duke Ellington, Count Basie, Cootie Williams, Johnny Hodges, Willie Smith, Al Grey… Les grandes et petites formations ne limitent toutefois pas leur répertoire au blues mais empruntent et tranfigurent les thèmes d’airs folkloriques, religieux ou profanes, de chansons populaires, voire de morceaux classiques et, en fait, de toutes autres sources musicales, l’interprétation se valorisant essentiellement par l’indispensable et subtil balancement, le « swing », dans l’exécution et la qualité de l’improvisation sur le matériau d’origine. Celui-ci inclut évidemment les compositions impérissables de précurseurs comme William Christopher Handy ou Jelly Roll Morton et les œuvres originales de talentueux successeurs. Les chanteuses Billie Holiday et Abbey Lincoln écrivent elles-mêmes certaines de leurs chansons. Duke Ellington a composé la Suite Such Sweet Thunder en hommage aux personnages de Shakespeare, et la Suite Thursday pour célébrer musicalement le roman Sweet Thursday (Tendre 16


Jeudi) de John Steinbeck. André Hodeir, inspiré par Finnegans Wake de James Joyce, en illustre un épisode avec son Anna Livia Prurabelle. Le clarinettiste Artie Shaw a écrit un recueil de nouvelles, le saxophoniste Archie Shepp des pièces de théâtre, Abbey Lincoln également ainsi que des poèmes. Seuls, ou en collaboration avec leur conjoint, un écrivain ou un journaliste, certains musiciens et chanteurs publièrent leur autobiographie, la plupart traduites en français :

Saluons les semeurs de la bonne parole qui, contre vents et marées, avec alacrité, mordant et parfois intransigeance, nous initièrent, informèrent, instruisirent, confortèrent par leurs écrits, articles, livres, souvenirs, exégèses au service d’une musique à découvrir, comprendre, valoriser, aimer : Robert Goffin (Aux Frontières du Jazz), Hugues Panassié (Douze Années de Jazz), Charles Delaunay (Django, mon frère), André Hodeir (Hommes et Problèmes du Jazz), André Clergeat (Dictionnaire du Jazz), Frank Ténot (L’Homme qui aimait le Jazz). Enfin, avec un court spicilège, nous n’oublierons pas ceux qui sans hésiter trempèrent leur plume au fin fond de l’encrier de la sottise venimeuse : « Certains veulent voir dans ces hurlements d’ivrognes un antidote aux sucreries des derniers sprirituals ». Lucien Rebatet.1930. « Le jazz-hot n’a aucun rapport avec les grands orchestres disciplinés dont les deux cents exécutants sont conduits parfois par un chefenfant en culotte courte ». Georges Ravon ; 1947. « Thomas Fats Waller était un nègre ventripotent qui excellait dans l’art de démolir les pianos à force de taper dessus ». Article non signé du nouveau Journal. 1944. « Le style be-bop fait penser à l’audition d’un disque qui tournerait à l’envers ». Sylvaine Pécheral. 1948. « Le jazz est cyniquement l’orchestre des brutes au pouce non opposable et aux pieds encore préhensiles de la forêt du Vaudou. Il est tout excès, et par là plus que monotone ; le singe est livré à lui-même, sans mœurs, sans discipline, tombé dans tous les taillis de l’instinct, montrant sa viande à nu dans tous ses bonds et son cœur qui est une viande plus obscène encore ». André Suarès. 1931. (pour bien situer le personnage, rappelons que ce même Suarès, à propos de Chaplin, osa parler du « cœur ignoble de Charlot »).

Louis Armstrong, Swing That Music et Ma Nouvelle-Orléans. Bill Coleman : Trumpet Story Duke Ellington : Music is my Mistress Dizzy Gillespie : To Be or not To Bop Billie Holiday : Lady Sings the Blues Milton Mezzrow : Really the Blues ( La Rage de Vivre) Art Pepper : Straight Life Artie Shaw : Trouble with Cinderella Hal Singer : Jazz Roads Ethel Waters : His Eye is on the Sparrow (La Vie en Blues) On trouve de nombreuses références au jazz et à ses interprètes dans les œuvres de William Faulkner, Jean-Paul Sartre, Michel Leiris, Fredric Brown, Chester Himes, Ernest Borneman et Boris Vian, pour ne citer que ces écrivains. Rappelons-nous le chapitre VII de L’Ecume des Jours de Vian où Colin écoute Chloé dans l’arrangement de Duke Ellington et le chapitre XXXIII où, à l’audition du saxophone de Johnny Hodges dans l’enregistrement de The Mood to be Wooed, les coins de la chambre s’arrondissent, la pièce devenant sphérique. Dans le recueil The Best of Simple (L’Ingénu de Harlem) de Langston Hughes, la nouvelle Le Bop est entièrement consacrée à ce style de musique afro-américaine ; du même auteur, signalons un livre pour enfants, The First Book of Jazz.

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L’ILLUMINATION DE VINCENNES par Jean FERRARI Cet article a été publié par le CRL Bourgogne au sein d’une brochure consacrée à la célébration du tricentenaire de la naissance de Jean-Jacques Rousseau

Rousseau a presque quarante ans lorsque, une nouvelle fois, en cet été 1749, il fait visite à son ami Diderot, enfermé dans le donjon de Vincennes après la publication de La lettre sur les aveugles. L’épisode communément désigné par l’illumination de Vincennes concerne particulièrement l’Académie de Dijon, puisque, par le sujet de son prix pour l’année 1750, elle est à l’origine du Discours sur les Sciences et les Arts dont le couronnement a constitué la première reconnaissance officielle, sinon du génie, du moins du talent d’écrivain de Rousseau et l’a fait entrer glorieusement dans la carrière des lettres. L’illumination de Vincennes fait l’objet, dans l’œuvre de Rousseau, de deux récits circonstanciés et de plusieurs allusions qui traduisent l’importance majeure de cet épisode qui « fait époque » dans la vie de Rousseau : « Il me sera toujours présent quand je vivrais éternellement » 1. Le premier récit figure dans la Seconde lettre à Monsieur de Malesherbes qui était alors directeur de la Librairie2 et auquel Rousseau adresse, alors qu’il se croit condamné à une mort prochaine, la première esquisse d’une biographie qui lui servira ensuite sans la rédaction de ses Confessions. La finalité en est déjà la même : « …montrer le vrai tableau de mon caractère et les vrais motifs de ma conduite » 3.

En janvier 1762, tout paraît justifier l’expression d’illumination. La cause occasionnelle en est la lecture, dans le Mercure de France, du sujet du prix de l’Académie : « Si le rétablissement des sciences et des arts a contribué à épurer les mœurs », qui suscite en son esprit une sorte de séisme intellectuel, opérant une rupture entre ce qu’il a été jusque là, « mécontent de moi-même et des autres » 4 et ce qu’il va devenir, éclairé par les grandes vérités qui se révèlent à lui. Rousseau parle d’une inspiration subite dont il décrit les effets sur son esprit : « …ébloui de mille lumières ; des foules d’idées vives s’y présentèrent à la fois avec une force et une confusion qui me jeta dans un trouble inexprimable » 5, et ce trouble intérieur se manifeste par des phénomènes physiques : étourdissements, oppression, palpitation, au point que Rousseau est contraint de s’arrêter, de s’asseoir et qu’il pleure sans même s’en rendre compte. « …en me relevant j’aperçus tout le devant de ma veste mouillé de mes larmes sans avoir senti que j’en répandais » 6. Ces pleurs pourraient rappeler ceux de Pascal, consignés dans le Mémorial du 23 novembre 1654 : « Certitude, certitude… joie, joie, joie, pleurs de joie ». Mais rien n’indique chez Rousseau, même si les effets en sont quelque peu comparables, une révélation de nature religieuse. Elle concerne chez lui l’homme, son histoire, l’organisation de la société. Il s’agit d’idées dont, quoiqu’on ait parfois dit, Rousseau n’est pas le contempteur :

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Toutes les citations sont données dans l’édition des Œuvres complètes publiées à la bibliothèque de la Pléiade, Paris, éditons Gallimard, en cinq volumes, 1959-1995, en abrégé : O.C. suivi de l’indication du tome et de la page. Ici : O.C., t. 1, p. 1135 2 Administration du pouvoir royal qui autorise ou refuse la parution d’un ouvrage. 3 O.C., t. 1, p. 1130

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O.C., t. 1, p. 1135 Ibid. 6 Ibid. 5

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« La vérité générale et abstraite est le plus précieux de tous les biens » 7, Et ces idées s’imposent à lui avec une telle force que, tel un prophète, il va devoir les diffuser et devenir « auteur comme malgré lui », consacrant, selon les termes de sa devise, son existence à la vérité : « Vitam impendere vero ». L’enthousiasme ressenti alors explique à la fois l’éloquence du propos et le sentiment d’inadéquation entre ce qu’il a perçu à cet instant et ce qu’il en a pu dire ensuite, d’abord dans la Prosopopée de Fabricius, écrite sur le bord du chemin, et de ce qu’il en a développé dans l’ensemble de son œuvre. Mais déjà les principes de son système lui sont donnés : « les contradictions du système social », « les abus des institutions », surtout l’évidence de la bonté originelle de l’homme et sa corruption par la société. Sans qu’on puisse la comparer à la joie pascalienne, la tonalité de ce premier récit est somme toute positive. À l’inverse, celle des Confessions, écrites sans doute vers la fin de l’année 1769, au terme d’une période d’errances et de persécutions, résonne tragiquement. Déjà le trajet de Paris à Vincennes est décrit dans sa pénibilité : « Cette année 1749, l’été fut d’une chaleur excessive » 8. Rousseau se dit « exténué de chaleur et de fatigue », obligé de s’arrêter et de s’étendre sur le côté de la route. L’illumination apparaît comme un moment d’égarement et la décision, source de tous ses malheurs. Toutefois, en une phrase admirable de concision, il dit le bouleversement opéré en son esprit : « À l’instant de cette lecture, je vis un autre univers et je devins un autre homme » 9. C’est que l’illumination de Vincennes concerne Rousseau lui-même. Si, sa vie durant, il n’avait fait que composer de la musique ou constituer des herbiers, il n’aurait subi que peu d’épreuves et connu que peu d’ennemis. Avant Vincennes, tout demeurait indécis. Il n’avait su choisir entre les dons qu’il se reconnaissait. En outre, il était divisé entre ses goûts profonds de liberté et de solitude et l’existence qu’il menait dans le monde. Or, le revoilà embarqué dans un combat pour la vérité, à lui seul révélée. L’unité si difficilement recherchée entre ses sentiments et ses idées se trouve réalisée à un point tel et avec une telle rapidité que tout le reste est balayé:

« Toutes mes petites passions furent étouffées par l’enthousiasme de la vérité, de la liberté, de la vertu… » 10 Vérité, liberté, vertu, seront désormais les idées cardinales qui inspireront ses écrits et leur défense, dans un monde qui leur est opposé, la cause de toutes ses infortunes. Pour entraîner un tel bouleversement dans ses sentiments et ses idées, il fallait que l’illumination de Vincennes n’apportât pas seulement une compréhension nouvelle de la société et de son histoire, mais qu’elle concernât Rousseau lui-même, humain parmi les humains et que l’idée selon laquelle l’homme naît bon et que la société le déprave s’appliquât d’abord à lui-même. Il s’invente parlà une innocence. S’il est habité par le remords du mensonge qui a condamné la jeune Marion à une vie misérable, n’avait-il pas lui-même été victime d’une première injustice à Bossey dans l’épisode du peigne cassé ? Il faut savoir retrouver l’innocence initiale, avant l’injustice, avant le mensonge. Ainsi l’exercice de l’autobiographie chez Rousseau est disculpante. Né bon, il a cherché à montrer par le récit de sa vie qu’il l’était demeuré malgré les fautes dont il se sent coupable. Il faut donc toujours remonter aux origines, « Tout est bien, sortant de l’auteur des choses, tout dégénère, entre les mains des hommes » 11, pour comprendre les mécanismes de la corruption. C’est ce que montrent les deux Discours dont les sujets ont été proposés par l’Académie de Dijon : le premier par une comparaison qui veut montrer la supériorité de l’état premier des peuples de l’Europe sur leur situation actuelle, corrompue par le progrès des sciences et des arts, ce qui lui permet de répondre négativement à la question posée, le second en inventant l’hypothèse d’un état de nature qui « n’existe plus, qui n’a peut-être jamais existé… mais dont il est pourtant nécessaire d’avoir des notions justes pour bien juger de notre état présent » 12. En couronnant le 1er Discours et en proposant en 1753 un sujet que Rousseau considéra comme fait pour lui, les académiciens de Dijon ont joué un rôle décisif dans l’éveil d’un écrivain de génie dont l’influence fut immense sur la sensibilité littéraire au XVIIIe siècle et les idées politiques jusqu’à nos jours comme le montrent en

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O.C., t. 1, p. 1026 O.C., t. 1, p. 350 9 O.C., t. 1, p. 351

Ibid. O.C., t. 4, p. 245 12 O.C., t. 3, p. 123

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cette année 2012, les célébrations organisées à l’occasion du 300e anniversaire de sa naissance. Devant les deux récits de l’illumination de Vincennes, une question peut encore se poser. Les choses se sont-elles réellement passées comme Rousseau les raconte ? D’autres versions existent de l’événement qui accordent à Diderot l’idée même du 1er Discours, telles celle de Marmontel et de la fille de Diderot. Mais Diderot luimême, tout à la fin de sa vie, tempère les accusations d’affabulation. « Rousseau fit ce qu’il devait faire parce qu’il était lui. Je n’aurais rien fait ou j’aurais fait tout autre chose parce que j’aurais été moi… c’était un baril de poudre à canon ou d’or fulminant, qui serait resté sans explosion, sans l’étincelle qui partit de Dijon et qui l’enflamma »13. Il paraît peu probable en effet, pour expliquer la véhémence du premier Discours et les réponses publiées que fit ensuite Rousseau à ses détracteurs, qu’on puisse faire l’économie de quelque chose comme d’une brusque lumière dont les effets perdurèrent pendant plusieurs années et conduisirent Rousseau à réformer sa manière de vivre. L’on peut penser ici à ce que disait Pascal à propose du cogito cartésien dans L’esprit géométrique : « il y a différence entre écrire un mot à l’aventure sans y faire une réflexion plus longue et plus étendue et apercevoir dans ce mot une suite admirable de conséquences… » 14 Il y a loin entre un simple jeu d’esprit que serait pour les adversaires de Rousseau le premier Discours et cet ensemble de vérités qu’il croit avoir découvertes et qui fondent l’entier de son système.

Lettres … par Claude LUEZIOR

…à l’Electronique en poésie

D’abord, il faut bien le dire, tes électrons sont charmants. Ils virevoltent, presque immatériels, comme des planètes autour de leur étoile. Par ailleurs, quoi de plus magique qu’un écran scintillant sous nos yeux ? Un clavier pour Mozart, sans doute. Une souris pour conte de fées! Puces, virus et toute leur ménagerie ne gâcheront pas notre plaisir : partons d’un a priori favorable. Le dieu Bill est avec nous. Il est vrai que le poème est d’emblée propre en ordre, en habits du dimanche. Avoir du génie au bout des doigts… L’on déroule les vers tel un cocon de soie, à l’ancienne, comme nos ancêtres le faisaient avec un volume (de volumen, volvere, rouler). Bien entendu, le très tactile et fringant I-Pad va redistribuer les cartes magnétiques. Enfin, suprême folie, un correcteur d’orthographe très sympathique supplée à nos indigences chroniques. Nous voilà aux portes du Paradis ! Quelques détails toutefois irritent ma muse. En premier lieu, il faut taper alors que ma plume esquisse, griffe, gratouille. Hors colères jupitériennes, le chantre n’aime pas taper. Mon avis est celui des doux : un poème se caresse. Et puis, j’aime affûter ce crayon, le ronger un peu,

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Œuvres de Diderot, Bouquins-Laffont, 1994, t. 1, pp. 784-785 14 Pascal, Œuvres complètes, Seuil, 1963, p. 358

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le cajoler entre pouce et index, lui qui parfois prend une telle vitesse aux abîmes de la pensée. Mordiller un clavier si lambin ne se fait guère. Les délices de froisser, déchirer la cellulose, prendre en main cette plume qui coule, me tache les doigts, qui se refuse à moi, boude mon inspiration, oui, tous ces délices-là me sont tellement chers.

… aux Poètes À vos mots, citoyens ! Que l’on rassemble les volontaires, partons ! Que chacun prenne sa plume et tous ses encriers, sa passion en bandoulière, un quignon de verbes et la sabretache à ras le cœur. Fusillons adjectifs et virgules inutiles. Peu de majuscules et juste un brin d’emphase pour ne pas alourdir le paquetage.

Couper-coller, soit ! Mais annoter dans les marges, surcharger, biffer, raturer ? Ces grands esprits de Word, tapis dans leur Californie natale, ont-ils pensé à mes petites et grandes joies ? Le bon Dieu a-t-il taillé notre rétine à la mesure d’une surbrillance ? La surabondance de polices (voilà le mot lâché!) n’ajoute rien au caractère de mes lignes. Centrer, bien sûr, mais a-t-on vu un écrivain du centre ?

Le temps n’est plus aux poètes maudits sous leur pont. À la rivière, morphines, fée verte et jérémiades ! Loin sur leur Olympe, laissons muses éthérées, Polymnie et autres sylphides. La moustache pouilleuse des faux génies et des bardes a vécu. Que les douairières gémissent en leur chaumière, que les tricoteuses de bonnes intentions fignolent leur chasuble ! Séchez vos larmes et vos roses sublimes, vos ciels bleus et vos extases. Marchons !

Et puis, avez-vous pensé à la délicieuse tache de café sur la page ? Essayez de verser une tasse dans votre clavier... On dit qu’il faut habiter le livre, s’en nourrir (bien qu’il nous manque quelques enzymes pour digérer la cellulose, le plastic coréen ne plaisant davantage à nos papilles). Avez-vous visité les caves d’un éditeur? J’y suis retourné, l’autre jour : cent mille ouvrages. Hors l’encre fraîche, cela sentait la forêt, la clairière, le bois coupé. Se lover dans le ventre d’un livre est sans conteste plus chaleureux que survivre entre des disques durs.

Que dix mille poètes prennent la parole chaque semaine, en famille, devant mère-grand, le petit morveux et quelques autres. Que nos cent mille enseignants de la langue nous montrent ce qu’ils ont appris ! Non pas avec une pseudoscience linguistique mais avec leurs tripes. Forçons nos médias à reproduire quelques-unes de nos lignes. La poésie ne se vend pas mais elle se donne ? Donnons ! Les jeunes ne lisent plus ? Lisons ! Apprenons-leur les rêves et le partage, le mystère et l’immense liberté de l’écriture. Ils veulent des slams ? Scandons ! Et de la musique ? Chantons !

Propos bien surannés, Monsieur le Poète ! J’en conviens. Bon élève, je vais taper (encore !) ce texte et l’envoyer derechef par la Toile. Mais l’aimable araignée ne remplacera pas la plume de l’oiseau. Et Bill le Magnifique n’effacera pas l’ombre de Prévert.

Vous qui avez en soupente des piles d’invendus, déchirez-en quelques pages et envoyez-les, une à une, à votre belle-mère, banquier ou percepteur. Affichez-les sur votre porte de garage et, jusqu’à plus soif, dans la cuisine où mitonne la sauce béarnaise. Et si chacun épinglait un poème à sa place de travail, sur le couloir d’un métro ou la vitre d’un bus ? Avec dix grammes d’écriture, mettons le feu au désert que l’on nous propose. La poésie n’est pas langue morte. Elle ne cesse de vivre au pays de Canaan. Mais pour cela, Poète, quitte ta tour d’ivoire : ensemble, il faut marcher !

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Hommage au poète

Christian Morgenstern (1871-1914) Nichts ist vergebens !

Par Dominique Blumenstihl-Roth Prix de la Poésie de la Ville de Dijon 2003 Prix des Écrivains d’Alsace et de Lorraine

Quand Lauraine Jungelson, traductrice de la poétesse Elisabeth Browning, m’a offert le recueil Ich und Du, de Christian Morgenstern, publié en 1923 aux éditions Piper Verlag de Hambourg, j’étais loin de soupçonner qu’elle venait de me donner un texte qui me permettrait de prendre conscience de l’une des dispositions les plus subtiles de la langue germanique. Certes, de la littérature allemande, je connaissais Goethe, Hölderlin et Hermann Hesse. Mais je n’avais jamais été confronté aussi directement à la nécessité d’entendre le chant d’un poète dont toute l’œuvre exige une extrapolation auditive. Car lire Morgenstern, c’est entendre, écouter la voix d’un homme dont la parole chante l’intime adhésion d’une pensée au mode d’expression qu’elle s’est choisi, dans une langue qui possède la capacité d’être le véhicule de ce mariage entre l’être, la pensée et le sentiment formulant un hymne à l’absolu. Entendre est un verbe essentiel en allemand. Hören. Un verbe que l’on peut faire précéder de tous les préfixes de la langue et dont chacun donnera un aspect de l’écoute mise en œuvre. Par exemple : zu + hören = écouter. Mit + hören = suivre (une leçon). Ab + hören = écouter (une personne qui récite). Auf + hören = cesser. Wieder + hören = entendre à nouveau. Auf Wiederhören (à nous ré-entendre) est une expression aussi courante que le célèbre auf

Wiedersehen (au revoir), locution où le verbe, associé au préfixe, devient concept. Hören : écouter, dresser les oreilles, entendre l’incantation poétique dite en une langue qui présente une prédisposition à tout ce que relève de l’écoute : n’est-ce pas dans l’espace linguistique germanique — côtoyant le judaïsme et l’intégrant— qu’est née la psychanalyse, dont le protocole thérapeutique repose tout entier sur l’écoute ? N’est-ce pas dans cet espace que s’est créé le fantastique mouvement culturel du romantisme, issu d’une perception du réel par la sensibilité, elle-même conduisant à la métaphysique, ainsi que le préconisait Hölderlin ? Le poète allemand Christian Morgenstern, né le 6 mai 1871 à Munich, quasi-inconnu en France malgré l’immensité de son œuvre, est l’auteur du sonnet Auf Wieder-hören. Dans son titre, il sépare la particule du verbe afin que l’on distingue la nécessité de la nouvelle écoute. Hör zu ! Wir wollen uns erst wieder-hören, eh wir uns wieder-sehn ! Ecoute ! Nous voulons, avant de nous re-voir, Tout d’abord nous ré-entendre ! Ce poème s’adresse-t-il à la voix de l’Esprit, dont la bien-aimée serait la gardienne ? Dans le recueil dont ce poème est extrait, tout se 22


centre sur le phénomène auditif : univers de bruits, de murmures où tout semble doué de parole. Le vent, le craquement d’une branche, la nuit, la pendule, la fenêtre, tout ici parle, s’exprime, disant la préoccupation de l’esprit qui cherche, non à séduire, mais nous convaincre qu’un frisson, qu’une braise, que tout est appel, quête de la source de vie.

poétique qui est d’éveiller les hommes à plus grand qu’eux-mêmes, il mesure les limites du symbolisme : Je vis une nef : la tempête la dépeça Dans ses flancs l’obscur océan planta Ses griffes hurlantes Les débris étaient pitoyables —Ce que la mort avait broyé de ses mâchoires Je le vis m’oubliant presque moi-même De ce brassage d’enfer jaillit enfin Voyageuse immobile Notre terre-étoile Mesurant son propre océan !

Quellen des Lebens hör ich in mir singen „Nichts ist vergebens ! Nichts ist vergebens ! Je les entends chanter en moi, les sources de vie : „Rien n’est vain ! Rien n’est vain !“ L’air même est un empire de sons, de paroles, où tout frémit : pour le poète, tout doit parler. Il perçoit ce que le critique Siegfried Kracauer appelait un flux de l'âme qui commence à se mouvoir face aux reflets de l'événement trop puissant.

Auteur de nombreux Lieder, mis en musique par Weingartner, Zemlinsky, Hindemith, dans lesquels il chante des univers intimes, mais dont l’anecdote initiale s’élève toujours vers une interrogation spirituelle, Morgenstern explore la langue allemande sur deux niveaux : le poète s’exprime dans un langage simple et direct. Le tissu des métaphores est efficace quand, par l’intrusion d’un concept, il arrache le quotidien de son apparente naïveté, l’élève à hauteur métaphysique : soudain naît une poésie nietzschéenne.

Seid still ! Nein, —redet, singt, jedweger Mund Sonst wird die Ewigkeit ganz eine Gruft… Soyez silencieux ! Non —bouches, parlez, chantez Sinon l’éternité sera une tombe… Le poète affirme sa perception sonique des personnes : Tonarten sind mir die Menschen (lach du nur) So bist Du meist Es-Moll, aber auch Fis-Dur Und sieh : so lern ich selbst Tonleitern —lieben

Assez ! Je veux d’autres pensées ! Tu songes encore à cette nuit sur la crête Quand, dans ta poitrine, la foudre déchira le ciel, Les trombes d’eau noyèrent le grondement du tonnerre…

Les humains me paraissent des sons (tu peux en rire) Ainsi, tu es le plus souvent Mi bémol, mais aussi Fa dièse Et vois : ainsi j’apprends même les gammes…

Tandis que Nietzsche (1844–1900) développe une philosophie qui tire sa puissance de l’emploi de la métaphore au service du concept, Morgenstern part de la perception sensible, la développe en métaphore. Celle-ci déploie ses propres ressources, capte l’expression conceptuelle qu’elle traquait. Naît alors une poésie quasi-narrative où l’esprit se raconte. Nul besoin désormais d’inventer des concepts : ceuxci naissent de la perception même du vrai.

Partout, l’oreille du poète s’attarde. L’oreille, organe délégué à percevoir le monde est chargée d’en rendre compte à la sensiblité : ce monde est un monde de parole où tout être vivant — les objets mêmes — surtout les animaux possèdent un langage : Auf der Treppe sitzen meine Öhrchen wie zwei Kätzschen, die die Milch erwarten… Mes petites oreilles sont assises sur les marches de l’escalier, comme deux chatons qui patientent leur lait…

Esprit, L’éternité est-elle ce que le raisin est à la soif, Ce que le baiser à la bouche Ce que l’homme est à Dieu Ou n’est-elle qu’un écho ? Cette poésie exprime un amour profond du monde, au delà des petitesses dont le poète se rit. Il ne condamne ni ne juge, il ne s’agit que de choses humaines…

Ce chant de la langue allemande, Morgenstern en écrit une partition, dans une maîtrise parfaite des rythmes, dont il brise cependant la courbe à l’instant où elle deviendrait confortable : il garde une haute vue sur la mission 23


C’est l’éternelle petitesse de l’amour, de s’adonner à L ’idolâtrie de l’image et autres misères sans grande flamme… Ces jouets d’une chambre d’enfant —le petit berceau ! Quand il s’agit de la flèche de l’Esprit, empennée d’étoiles… Ce monde auquel il appartient et participe, car tel est le lot des hommes, Morgenstern le situe dans la fosse, avec l’orchestre. Là encore, Nietzsche est au rendez-vous : Oui, laisse l’orchestre dans la fosse Que je sois inhumain, que je sois un sombre tyran Qu’avons-nous à faire des parterres de la planète? Sois avec moi, élevée, au-dessus du monde, Ce monde que je ne veux connaître en tant que chose, Mais en tant qu’il inspire le nouveau…

A moins que leur rire ne soit un manifeste d’insolence, une « éloquence de rupture » ? Cherchent-ils à sauver ce qui peut l’être encore ? Confient-ils aux générations futures le Grand Testament ? L’Histoire a donné aux Galgenlieder une dimension inattendue. Best-seller en Allemagne avec plus de trois cent rééditions, ce chant est celui du poète qui, à l’aube de la première guerre mondiale, pressent le désastre de la seconde et annonce la férocité du bourreau nazi qui fera gibet de tout un peuple. Il fallait dès lors raccorder cette œuvre de jeunesse à celles des derniers jours : considérer l’unité de pensée, et voir dans les recueils Ich und Du, publié trois années avant la disparition de son auteur, et Wir fanden einen Pfad, édité en 1914, la plaidoirie d’un homme qui, se sachant condamné, présente une offrande lyrique pour arracher la clémence divine, non pour lui-même, mais en faveur d’une humanité ignorante qu’il faut à tout prix décrocher de la potence qu’elle s’est, depuis longtemps, elle-même érigée.

Le réalisme de ce poète du début du XXème siècle s’oppose au déconando surréaliste pour qui le symbolisme n’aura été qu’un jeu d’écriture, sans implication vivante dans le signifié. Morgenstern a la plume vive, tranchante, dirons-nous « engagée » ? Juriste formé à l’université de Breslau, il est l’inventeur, dans sa jeunesse, d’une désopilante « poésie humoristicofantastique » qu’il développe dans ses Galgenlieder (Chant du Gibet). Homme de théâtre, auteur satirique pour le cabaret berlinois Schall und Rausch de Max Reinhart, éditeur de la revue Deutscher Geist, il leurre la critique qui longtemps le range parmi les fantaisistes : classement commode, en un siècle de fer, d’industrie, de raison raisonnante, d’absolutisme scientifique. Il était préférable de ne voir en lui qu’un saltimbanque et s’amuser de ses textes comico-maccabres à la François Villon (1431 - ). Mais regardons de près ces deux poètes, Villon et Morgenstern, que des siècles séparent. L’un délinquant l’autre juriste, ne prononcent-ils pas, chacun à sa manière, un réquisitoire contre l’humanité déchue : qu’elle soit pendue, n’étant faite que de pas-encore au regard de l’Absolu ?

Renonçant au chaos, tout effort emprunte Le chemin où des milliers de spirales conduisent haut vers Dieu Dieu que tu es à toi-même Étant à jamais l’oiseau-phénix de ton propre anoblissement Sauver l’homme, lui montrer les sommets. L’Esprit a ses champions, l’Esprit a ses poètes : Goethe, qui en formalise une perception quasiscientifique, Eduard Mörike qui appelle à sa manifestation, Maria Rilke qui engage avec lui un saisissant dialogue. Mais il fallait que surgisse une œuvre cinglante, populaire, qui n’en dise pas moins, s’adressant à tous les lecteurs, de tout âge. Un pari que Morgenstern tient et réussit. Ses contes, poèmes, Lieder sont connus de tous les enfants d’Allemagne, et il n’est d’école où l’on ne chante ses Kinderlieder : courtes chansonnettes, d’apparence anodine, composées à la manière des Ko’ans chinois, où la sélection des métaphores se concentre en un maximum de conceptualisation imagée. Deux peupliers à l’horizon ? Non : trois peupliers dressés contre l’éternité Sous la chaleur de notre pieux soleil.

Nous avons l’audace de traiter de l’espace sidéral, Nous en avons la témérité Bien que non seulement animaux mais aveugles au sens de la vie Nous soyons humains chassés de l’innocence d’Eden !

Morgenstern ne renonce pas à son humour. Il se confirme, au cours des années, comme un précurseur du réalisme merveilleux, expression inventée un demi-siècle plus tard par le cubain Alejo Carpentier, l’un des principaux fondateurs 24


de la littérature latino-américaine. Il fonde sa poésie sur une étroite adhésion au réel : la vie elle-même fabrique les métaphores. Bien qu’atteint de tuberculose, il ne cesse d’aimer la vie : qu’est-ce que l’humour sinon la conscientisation d’une dramaturgie ? Ainsi pourrait se créer le concept de : sich-selbst-andie-sprenchende-Welt-Messung. Une façon d’être (sein) une mesure (Messen) à soi (sich) par soimême (selbst) au monde (Welt) parlant. Mais telle n’est pas la prétention du poète qui ne se pose pas en constructeur de concepts, mais en témoin et porte-parole de l’univers parlant : Nous avons l’audace de parler d’éternité, De l’eau, de feu, de terre, de vent, Et nous ordonnons le monde, comme un enfant Et savons les noms et lieux de toutes choses…

aboutissement, et mieux encore, affirme l’existence d’un lieu meilleur que le sien! Oh je ne renie pas ma terre, Je l’aime, —seulement, qu’elle ne soit pas une borne ! Elle n’est pas la dernière pensée du Moi Et sa lumière n’est pas ultime !… Toute l’œuvre de Morgenstern signe cet effort du romantisme, rejoignant la définition même de la littérature dont la fonction civilisatrice, selon Hölderlin, est d’être le vecteur d’un savoir véritable. Un savoir où toutes choses deviennent claires, dicibles, compréhensibles. Que ce soit dans ses innombrables poèmes pour enfants ou ses recueils les plus profonds, Morgenstern exprime cette tension vers l’entendement du Tout : ne faire qu’un avec tout, telle est la vie de la divinité, tel est le ciel de l’homme. Pour accéder à ce ciel, le poème est une étape. Auberge du symbole, il est cette Heimat, ce lieu de la pensée, du sentiment débordant hors de lui en quête de son sens. Mais une Heimat toute provisoire qui ne peut se satisfaire d’ellemême… devant SE compléter. La tension vers ce ciel humain aboutit, chez Morgenstern, — nous sommes à la veille de la première déflagration mondiale — à l’appel d’une mise au clair de la pensée : par le moyen des lois de l’Esprit dont il pressent qu’elles seules (ré)conforteront l’Allemagne. Il sait, il affirme que l’élucidation du sens est le seul avenir de la poésie, dût-elle en mourir, elle offrira sa plus haute lumière à l’instant de son incandescence. Il veut qu’en elle, l’étape du cristal translucide soit dépassée. Elle n’est pas la dernière pensée du Moi, Et sa lumière n’est pas ultime ! Malheur à qui voudrait la considérer comme un temple accompli… Il exige que l’homme atteigne ce ciel où le romantisme se dissout, cède la place à l’élucidation de toute chose par un langage qui saura toucher les êtres, conformément à la pression évolutive du Temps. Ce Temps obéissant à l’appel créateur qui produit les œuvres indispensables à la libération de l’humanité. Morgenstern incarne sans aucun doute le sacrifice du poème se donnant à ce qui le surplombe.

Traducteur d’Ibsen, Strindberg et Knut Hamsun, Morgenstern écoute les voix du monde. Il mesure son humanité. Il aime ce monde, de l’amour qu’il porte aux femmes, aux enfants, à ses amis, aux animaux, aux objets qui l’entourent : à lui-même. Il répond à la définition du poète que donne Rimbaud : donc le poète est vraiment voleur de feu. Il est chargé de l’humanité, des animaux même ; il devra faire sentir, palper, écouter ses inventions ; si ce qu’il rapporte de là-bas a forme, il donne forme ; si c’est informe, il donne de l’informe… Pour Morgenstern, tout a forme. Tout résonne. Il exprime à chaque instant l’amour de son pays, de sa terre, de sa langue: le nom même du poète, une métaphore en soi — Morgenstern signifie « l’étoile du matin » — évoque la parole symbolique du poète, non encore révélée, mais riche de tout le potentiel de sens auquel l’Allemagne du 21° siècle consacrera son énergie si elle désire rester fidèle à la promesse de sa vocation romantique. En 1910, il épouse Margaret Gosebruch von Liechtenstern dont la piquante intelligence répond à l’attente du poète. Morgenstern / Liechtenstern : cette rencontre de deux étoiles, dont la seconde offre sa lumière à la première, n’est-elle pas une belle promesse d’avenir ? L’Esprit aurait-il enfin trouvé une Heimat ? Morgenstern, à qui le destin accorde une mort précoce — ses dates (18711914) le préservent de toute participation aux boucheries guerrières — chante l’espace du poème, provisoire résidence d’une parole dont il connaît les frontières et les enjeux. Avec quelle lucidité ! Il est exceptionnel qu’un poète délimite le territoire de son art, récuse l’idée qu’il soit un

La nuit est douce exigeant de moi que je considère Le promontoire au-dessus de mon lieu : A travers une brèche dans le mur je vois Monter monter le cours du ruisseau 25


Les scintillantes étincelles sur l’échiquier stellaire Se jouent de ma tête cachée dans le feuillage Les lanternes humaines me taquinent Éclairs d’une transparente carte

quand l’espoir — l’exégèse du Monde — repose, pour une large part, sur le nécessaire effacement du poète ? La mort, il l’attend avec sérénité. Il la voit s’approcher avec quiétude ; il est prêt à la recevoir comme une amie espérée de longue date. Elle frappe à sa porte, le 31 mars 1914. La disparition du poète est l’offrande même du Poème, étape de la pensée symbolique dont le dépassement consenti autorise enfin l’apparition de l’étoile du soir, étoile du sens à la lumière de laquelle…

N’avons-nous pas affaire, ici, à une éblouissante vision de l’intérieur de la Structure d’Absolu — celle dont l’écrivain Dominique Aubier dit, dans son ouvrage L’ordre Cosmique : « la nature organique du Cosmos, son essence corticale, contraint l’imagination à lui prêter une sensibilité du même ordre que celle dont nous essayons de respecter le bien-être dans nos personnes… Il faut savoir comment fonctionne le Cosmos pour se couler en lui en toute sécurité. S’agissant d’un organe cérébral, la moindre vicissitude pourrait en ébranler ou compromettre la santé. Qui sait, si par ignorance, nous n’avons pas déjà mis sa vie en danger. » En effet, qu’en est-il du devenir de l'esprit, de l’homme, à partir et au delà, de la propre position du poète ? Rimbaud, vivante météore, renonça à la poésie, devint marchand d’armes, d’aucun disent qu’il opta pour le nihilisme. Mais souvenons-nous du message de la comète : trouver une langue, cette langue sera de l’âme pour l’âme, résumant tout, parfums, sons, couleurs, de la pensée accrochant la pensée et tirant… Morgenstern poursuit la même quête : trouver la langue du vrai, sachant toutefois que le lieu poétique n’est qu’une escale. Il lui incombe, dès lors — est-ce le sens de sa vie ? — de traverser de l’étroit corridor poétique qui lui est réservé, dans un temps sévèrement compté. De cette fantastique perception de lui-même et du temps imparti, naît le recueil Toi et Moi. Qui est ce Toi si ce n’est ce promontoire depuis lequel Tout serait dit ? Pour accéder à ce lieu de l’esprit, il existe un sentier par lequel le poète nous propose de cheminer. Il en résulte le recueil Wir fanden einen Pfad — Nous trouvâmes un Sentier — ultime chef d’œuvre publié en 1914, dédié à son ami Rudolf Steiner. La mort de Morgenstern, à 43 ans, lumineuse étoile du matin, est-elle prématurée

Donne-moi une vue sur ton être, O Monde Et laisse le rayon du sens me traverser ! Maison qui peu à peu s’illumine S’emplit d’or comme un édifice Où l’esprit s’éclaire Ostensoir transparent …

Ce texte reproduit la préface à l’ouvrage regroupant les recueils "Ich und Du", suivi de "Wir fanden einen Pfad", édités aux éditions Peleman. Traduction de Dominique Blumenstihl-Roth. Toi et Moi, suivi de Nous trouvâmes un Sentier, de Christian Morgenstern, (15 x 21 cm ; 117 pages ; 28 euros) par courrier : DBR BP 16 27 240 DAMVILLE Site internet de Dominique Blumenstihl-Roth : http://www.dbr-radio.com/christian-morgenstern.html Sites internet de Morgenstern en Allemagne : http://www.christian-morgenstern.de/ http://www.oppisworld.de/morgen/index.html

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Bernard CLAVEL ou l’écrivain parmi les hommes par Yann LE PUITS L’expression « littérature populaire » est, dans certaines bouches, teintée de connotations négatives. L’élitisme se méfie des auteurs qui veulent s’adresser au plus grand nombre . Bernard Clavel ne désirait pas autre chose. Il ne se cachait pas d’employer d’abord et surtout « les mots les plus simples », par souci de clarté. Ainsi, dans Littérature de notre temps, ouvrage de synthèse paru en 1966 chez Casterman, je lis : « Bernard Clavel, qui aime les gros livres… » Pas un mot de plus. L’œuvre est balayée d’un revers de main méprisant. C’est faire trop peu de cas, injustement, de celui dont les livres enchantèrent les veillées d’au moins deux générations. Issu du peuple, Bernard Clavel parle du peuple et s’adresse au peuple. Il nous décrit la foule des métiers, la vie quotidienne de l’artisan, du paysan et de l’ouvrier, sans l’idéaliser, mais avec un puissant réalisme, servi par un style vigoureux. C’est, du moins, ce que je vais m’efforcer de démontrer. Je ne m’étendrai pas sur la biographie de l’auteur, pour la raison suivante : « Mais j’ai dit, je répète, que ce qui compte d’un artiste, c’est son œuvre. Pas sa vie privée. » (Bernard Clavel, Qui êtes-vous ?). Agir à l’opposé de ce que voulait l’écrivain équivaudrait à une trahison de sa pensée. Aussi me limiterai-je à rappeler deux dates, celle de sa naissance le 29 mai 1923 à Lons-le-Saunier et celle de son décès, le 5 octobre 2010, à la MotteServoiex. Cet article se veut, à la fois, analyse et hommage, car j’eus l’honneur et le privilège, deux fois, de rencontrer Bernard Clavel. La clause « Honneur et privilège » ne doit pas être considérée comme une politesse obligée. J’ai conté ces deux entretiens dans Le sept rue du coq (Ecritures en miroirs).

Homme généreux et passionné, très vif et d’une profonde humanité, en 2001 (il avait alors 78 ans) Bernard Clavel avait conservé une énergie, un allant, une rapidité de décision et d’exécution, que bien des gens plus jeunes auraient pu lui envier. Dans cet article, je voudrais lui redonner un peu de ce qu’il m’offrit. L’œuvre est si vaste que je ne puis envisager d’en aborder tous les aspects. Ma présente et modeste ambition se résume comme suit : tracer quelques pistes de réflexion. A cet effet, je me limiterai à l’étude de deux séries, Les colonnes du ciel et Le Royaume du Nord, onze romans au total. Il s’agit là du Clavel de la maturité. La première saga se déroule au 17e siècle, en Franche-Comté, la deuxième au Québec et au 20e siècle. Entre les deux existe un lien : la série Les colonnes du ciel s’achève par Compagnons du Nouveau Monde, lorsque le charpentier Bisontin-la-Vertu émigre au Québec. Rappelons que Bernard Clavel entreprit la rédaction de ces fleuves romanesques, à une période de sa vie où les critiques pensaient que sa verve s’était épuisée. Une fois de plus, des gens très intelligents (ou qui pensent l’être) se trompèrent. Des récits bien charpentés Chose qui, de prime abord, nous frappe, à la lecture des livres de Bernard Clavel : la clarté de la construction : les chapitres s’assemblent en parties, dont chacune porte un titre. Chacun des chapitres conte, généralement, une scène précise, un moment de l’action. Aucune péripétie ne semble gratuite ou superflue. Les récits sont très sérieusement documentés. Bernard Clavel ne manque pas d’imagination, mais il sait aussi discipliner cette folle. De plus, il nous livre la synthèse de ses

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recherches et, pour cela, n’hésite pas à devenir pédagogue. Déjà, dans Les colonnes du ciel, les pages didactiques sont éparpillées au fil de la narration et nous apportent des éclairages, qui nous permettent de mieux appréhender le pourquoi et le comment des paroles et des gestes. Cet aspect pédagogique et didactique s’affirme encore plus, dans la fresque suivante, Le royaume du Nord. Des chapitres intercalaires scandent l’action, mettent en perspective les drames individuels, à l’intérieur de la tragédie, sociétale et naturelle. Seul Amarok fait exception à cette règle, où Raoul Herman, le trappeur et son chien à moitié loup (Amarok signifie « le loup » dans une langue indienne) forment un couple inoubliable, à tel point que la limite entre intelligence et instinct se brouille. Je dirais même que les deux fusionnent. Aussi, Bernard Clavel réussit un difficile pari, celui de nous distraire et de nous instruire à la fois. Toujours brefs et clairs, sans apporter une surcharge de données, les chapitres documentaires ne nous éloignent pas des personnages ; ils nous aident à mieux les comprendre. Les situations restent toujours plausibles ou vraisemblables. Même lorsque le sort des personnages est suspendu à un fil, l’auteur ne cède pas à la tentation rocambolesque. Aussi n’assistons-nous pas à des sauvetages providentiels. Par exemple, dans La femme de guerre, la corde de chanvre se casse à cause de la glace, libérant Barberat le contrebandier, lequel à son tour peut libérer Hortense (chapitre 18). C’est un facteur physique, qui permet aux prisonniers de s’échapper, pas la soudaine apparition de comparses diligentés par le romancier. Sur le plan de la construction narrative, Bernard Clavel n’innove pas. Généralement, ses récits présentent une structure linéaire. Les anticipations et les retours en arrière y sont rares. Cela donne à l’œuvre l’apparence de la facilité. On peut la lire sans effort majeur et vite ; luimême nous entraîne au fil d’histoires menées de main de maître, dont le tempo s’accélère et propulse les personnages, vers une fin souvent désastreuse.

Il serait dommage de s’en tenir là. Les bons livres valent la peine que nous les relisions. Il s’agit de mieux percevoir et saisir la trame secrète, la foule des allusions, des métaphores et symboles qui parsèment les romans de Bernard Clavel, pour mieux en déguster les saveurs uniques. Des « êtres de chair et de sang ». Qui sait dessiner peut, aisément je crois, réaliser le portrait des personnages claveliens. Tous présentent des caractéristiques clairement exposées : âge, taille, corpulence, chevelure, aspect de la peau, démarche, voix, métier, ville ou province d’origine. Nous les voyons revenir d’un livre à l’autre, mais l’importance du rôle qu’ils jouent peut soit augmenter, soit diminuer. Prenons pour exemple de portrait celui de Mersch : « L’homme avait l’air d’un long épouvantail (…) Mersch montait à leur rencontre par le sentier. Il semblait qu’à chaque enjambée sa carcasse brinquebalante allait se démantibuler. Il tenait toujours à la main son large couvre-chef qui avait libéré une tignasse clairsemée où se mêlaient le noir et l’argent. Son visage tout en os et en peau ridée grimaçait. Des yeux minuscules piquaient dans cette face de pain d’épice ratatiné deux grains de café d’un noir très dur. » (L’or de la terre, Ch. 10, P. 204 et 205) Bernard Clavel désigne encore Edouard Mersch comme le gesticuleux, l’échalas, le touten-os. La précision du trait permet à l’auteur de désigner le personnage de plusieurs manières : par le prénom, le patronyme, un surnom, l’origine géographique, l’ethnie, le métier ou le rappel de traits physiques distinctifs. Le pittoresque fonctionne sur deux plans : d’abord lexical (gesticuleux, peut-être un adjectif québécois ou même un néologisme de l’auteur) ensuite grâce à l’image qui en résulte, haute en couleurs, vivante et vivace. Il va de soi que chaque personnage est aussi doté d’un caractère défini, lequel peut se modifier ; c’est le cas de Marie, aigrie par le départ de Bisontin, qu’elle considère comme une trahison. 28


(Marie Bon Pain) De même pour l’aspect physique : les personnages n’échappent pas au vieillissement. Catherine Robillard, jeune femme dans Harricana, nous apparaît comme une vieille dame, dans L’angélus du soir ; son fils Stéphane est devenu quinquagénaire et bedonnant. Dans ses entretiens avec Adeline Rivard, Bernard Clavel affirme que ses personnages sont « des êtres de chair et de sang ». Cela ne signifie pas qu’il les confond avec des personnes réelles, mais par ailleurs il avoue n’avoir jamais totalement inventé. Les personnages résultent de l’observation de personnes réelles, puis l’imagination agit sur le matériau comme un agent chimique et le transforme. Bien malin qui saurait délimiter les parts de l’une et de l’autre. Ce processus est trop connu pour que je m’y attarde. La plupart des romanciers souscrivent à cette vision de l’écriture.

Hortense d’Eternoz dans La femme de guerre, Bisontin-la-Vertu, dans Compagnons du Nouveau Monde, Maxime Jordan, dans L’or de la terre, Raoul Herman, dans Amarok et Cyrille Labrèche, dans L’angélus du soir, vivent leur passion ou leur destin jusqu’à la plus extrême conséquence, la mort. Il faut, ici, comprendre le mot « passion » de deux manières : d’abord, au sens profane et, dans l’ordre où j’ai cité les personnages, la passion se nomme soif de vengeance, orgueil et amour, fortune, liberté inconditionnelle, enfin labeur ; ensuite, au sens quasi chrétien, même si Bernard Clavel glisse parfois une allusion qui le définirait plutôt comme agnostique, car ses personnages acceptent de subir toutes sortes de souffrances, pour vivre leur destin. Même si très souvent la figure du colosse se représente et peut jouer un rôle central, Bernard. Clavel ne met pas en scène des demi-dieux J’entends par là que l’invincibilité n’est pas leur attribut. C’est parce que les personnages sont des gens ordinaires qu’avec l’auteur, c’est-à-dire grâce à sa vigilance soutenue, amicale et patiente, nous les suivons, observons et notons les gestes quotidiens, lesquels constituent leur démarche. Avec eux, nous partageons tâches et préoccupations de chaque jour. Ils se dévoilent et se révèlent dans la praxis, car tout, gestes et paroles, est chargé de sens. Et c’est pour toutes ces raisons que leur vie nous touche de si près. Qu’ils nous ressemblent ou non, ils ne peuvent nous laisser indifférents, parce qu’ils sont profondément humains, mélanges de défauts et qualités. Leur histoire aurait pu être la nôtre. Rares sont les figures absolument négatives, dans l’œuvre de Bernard Clavel. Elles n’y jouent que des rôles secondaires. Citons le cas de Francis d’Anterac, dans La femme de guerre, tortionnaire d’une cruauté à vous chambouler l’estomac. Les personnages agissent toujours dans une réalité sociale précise. Leur vie s’enracine dans un contexte historique et géographique lequel, s’il influe sur leurs actes, ne les détermine pas de manière mécanique.

Souffle de l’épopée Il est permis de parler d’épopée, pour les deux suites déjà citées, parce que les histoires individuelles s’insèrent dans des cadres, historiques et géographiques, où se déroulent des bouleversements, qui affectent des sociétés entières. Par exemple, dans Le royaume du Nord, la rude conquête des régions les plus sauvages du Canada, du début du 20e siècle jusqu’aux années 70. Maudits sauvages, qui clôt le cycle, donne le point d’orgue, l’aboutissement de la longue tragédie amérindienne, celle de peuples totalement spoliés, puisque la confiscation, le pillage et le saccage de leurs territoires les plongent dans un état de dépendance, où la vie perd tout sens. L’épopée s’incarne dans des femmes et des hommes, que nous aurions pu rencontrer car, bien plus vivants que des héros, ces personnages nous ressemblent : ils aiment et haïssent, travaillent et dorment, fêtent et souffrent. Au total, ils vivent leur drame personnel dans le cadre de la tragédie humaine, avec énergie et courage, jusqu’à l’extrême limite de leurs forces. Cela vit, cela palpite et nous entraîne, vers le pire s’il le faut, sans que nous puissions, un instant, résister au flot romanesque.

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La foule des métiers et le chant du quoti-

Dans Maudits sauvages, Bernard Clavel devient ethnographe. Sa connaissance de la culture amérindienne est profonde. L’Occidental se voit, dans le miroir que lui tend ce « maudit sauvage » et l’image qu’il nous renvoie ne nous flatte pas : cupidité, fausseté, irrespect total des lois naturelles, avec pour conséquence la rupture des équilibres écologiques. Les personnages conservent leur liberté de choix et d’action, y compris le choix de la mort. Si leur vie tout entière tend vers un destin, c’est à travers le triple cheminement, des gestes quotidiens, du contexte social, enfin des choix personnels conscients. En d’autres termes, ces vies qui auraient pu n’être que des existences ordinaires, sans intérêt romanesque, se transforment en destins passionnés, eux-mêmes placés dans le cadre de tragédies humaines. Les personnages, même s’ils ne deviennent pas des héros, connaissent un destin héroïque, mais sans le savoir, modestement. Ils ont joué leur rôle, jusqu’au bout, avec honnêteté, avec chaleur et dévouement, sans reculer face à l’adversité, même si la conclusion doit leur coûter cher, la perte de leurs illusions, de leurs biens ou même de la vie.

dien Pour qui a beaucoup lu Bernard Clavel, un thème se dégage aisément et domine l’œuvre : celui du travail. Si nous voulions répertorier tous les métiers manuels décrits, la liste en serait fort longue. Ces hommes et ces femmes partagent le goût de l’effort soutenu et du travail bien fait. Le plus souvent, ils se lèvent à l’aube, « besognent » jusqu’au crépuscule, n’épargnent pas leur peine, transpirent beaucoup et terminent «les reins cassés». Il n’est pas exagéré de dire que la sueur, le cal sur les mains et la grande fatigue sont les caractères distinctifs des travailleurs clavéliens. De ce fait, le romancier reste fidèle au réalisme. Bernard Clavel s’est beaucoup intéressé à la tradition du compagnonnage. Il est vrai que ces artisans forment l’élite du peuple, parce qu’ils excellent lorsqu’il s’agit de savoir-faire, d’intelligence et d’habileté, du goût de la tâche bien faite et de la fierté que l’on en tire. Si nécessaire, ces travailleurs hors pair se rebellent contre des chefs incompétents, parfois coléreux ou malhonnêtes, qui s’accrochent aux prérogatives de la hiérarchie, comme si cela pouvait suffire à les rendre utiles. Chroniqueur du quotidien, Bernard Clavel suit pas à pas ses personnages, observe et note les gestes du travailleur, quels outils sont utilisés, dans quel ordre et de quelle façon s’accomplit la tâche, éventuellement les hésitations ou les erreurs, puis les corrections apportées. L’état du ciel conditionne souvent la réalisation. Dans ces petites communautés rurales ou semi-rurales, la règle vitale est la solidarité. Celle-ci s’exprime de différentes manières : d’abord, les gens apprennent les uns des autres. Chacun apporte à la communauté une ou des compétences précises. Le partage du travail assure la base de la solidarité. Les métiers sont autant de maillons de la chaîne. Les personnages secondaires antipathiques, souvent brutaux et buveurs, jouisseurs et peu scrupuleux, se condamnent eux-mêmes à la solitude, en bafouant la solidarité.

Les figures centrales présentent souvent une ambivalence. Chacun des personnages centraux sert de théâtre à un conflit, où se jouent son destin et ceux des protagonistes, sur fond de questionnement moral. Ecartelés entre des voies opposées, les personnages finissent, généralement, par choisir celle qui va servir l’intérêt général. Ni le fabuleux héroïsme, ni l’égoïsme crapuleux ne les caractérisent. Le lecteur devine l’approche de désastres, d’abord à des signes matériels, détectés par des hommes de métiers. L’intuition féminine nous avertit, aussi, de l’approche de catastrophes. La malédiction est aussi une arme redoutable. Il ne me paraît pas excessif de dire qu’une véritable dramaturgie sous-tend les romans de Bernard Clavel. Chacune des parties peut être considérée comme un acte, chacun des chapitres comme une scène.

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Le travail n’est pas cause de morosité, mais bien plutôt source de joies, car il permet à l’homme et à la femme d’éprouver leur force et d’exercer leur habileté. Le travail est vécu comme geste d’amour, don de soi et réalisation de soi. Il ne faudrait pas s’imaginer que Bernard Clavel tombe dans la mièvrerie. Son réalisme est trop puissant pour qu’il cède à cette forme de facilité. La sobriété du style sert de garde-fou.

gnent, c’est-à-dire qu’ils possèdent et manifestent une si grande force qu’il n’est pas possible de se refuser à eux. Ces femmes et ces hommes laborieux, saisis ou submergés par des émotions, ne savent que faire de leurs mains, lorsque l’inactivité les oblige au repos. Ces beaux outils musculeux et calleux changent alors de nature. Ils ne se satisfont plus de prolonger les bras, mais se muent en des animaux indociles et fiévreux, qui se pétrissent, s’étreignent, comme des lutteurs ou comme les regards conflictuels. Bernard Clavel utilise tous les temps, avec brio. Il ne néglige aucune de leurs nuances, comme le peintre des couleurs : l’imparfait, temps étale de la narration ; le passé simple, contrepoint nécessaire à l’imparfait, dont les sonorités variées donnent au récit une plus vive coloration, adaptée à la succession d’actes ou d’actions uniques et rapides ; le présent, pour les situations les plus marquantes et les moments dramatiques, le futur, à valeur hypothétique, le personnage imaginant l’avenir à partir de sa situation présente ; l’imparfait du subjonctif, car Bernard Clavel respecte la concordance des temps ; le passé 2° forme du conditionnel, avec son accent circonflexe à la charmante désuétude. Trois de ces temps, moins usités par les écrivains actuels : passé simple, imparfait du subjonctif et passé 2° forme du conditionnel, confèrent aux récits du romancier une patine personnelle, qui le rattache solidement à la tradition du conteur lequel, près de l’âtre, bourre sa pipe. Bernard Clavel préfère, lorsqu’il veut énumérer des objets, construire des phrases nominatives. Les verbes « être, avoir » ou l’expression « il y a » n’apporteraient rien de plus. Plus concise, débarrassée de ces scories, la phrase nominative place l’objet en pleine lumière. Sa présence s’impose à nous : « Le pays à la tête des eaux. Scintillantes ou enfouies sous les mousses, jasantes ou silencieuses, des sources partout. Des lacs immenses, secrets, ne montrant que leur visage de ciel. Des lacs hésitant à déverser vers le sud ou vers le nord. » (L’or de la terre, ch. 3, P. 179).

Les personnages échangent de brèves paroles, dans une langue simple, en accord avec leur milieu. En fait, plus les nouvelles importent, et plus les paroles s’espacent. Les silences jouent un rôle majeur. Ils ne signifient pas que les personnages n’ont rien à se dire, au contraire, le poids du message serait trop fort pour les mots. Entre les hommes, le rite du tabac, rouler la cigarette ou bourrer la pipe, occupe alors des mains habituées à s’activer sans cesse. Les silences occupent une place prépondérante. Le rite du petit verre s’adjoint à celui du tabac. Le thème du silence est fortement récurrent dans Maudits sauvages. L’Indien traditionnel ne répond pas du tac au tac : il médite ce qui vient d’être dit, afin d’éviter de parler à tort et à travers. Exactement le contraire de nos habitudes actuelles… Le style : un lexique tonique et les temps du conteur ; Nature et animisme Dans l’œuvre de Bernard Clavel, si l’on exclut bien sûr les inévitables verbes être, avoir et faire, le verbe le plus fréquent est sans aucun doute empoigner. Le suivent de près lancer (au sens de dire, s’exclamer, apostropher) et s’étreindre, déjà évoqué ; puis, écraser et pétrir. Empoigner, ou saisir dans sa poigne ; le verbe nous met en présence de la force physique du travailleur. L’habitude des longs efforts et l’habileté acquise transforment les mains en outils. De plus, empoigner nous suggère une volonté en action. L’écrivain donne également à ce verbe une acception abstraite. Les sentiments vous empoi31


Dans l’exemple donné, les verbes au participe présent mettent les lacs hors du temps. De toute éternité, ils furent. Les animaux jouent, dans certains romans, un rôle si central, qu’ils en deviennent d’indispensables alliés de l’homme. Citons le chien de traîneau, Amarok, dont l’intelligence, l’acuité des sens, la force, la souplesse et la rapidité prolongent et renforcent les qualités de son maître, le coureur des bois. Amarok et Raoul Herman forment une si belle équipe, une équipe si soudée que même la mort ne peut les séparer. L’animalité n’est pas réservée aux seuls animaux, mais lorsqu’elle s’étend à d’autres domaines, elle revêt un caractère fantastique, étrange ou même négatif. « Le fourneau, les pattes en l’air, tel un gros animal balourd renversé dans un combat et incapable de se remettre sur pied. » Harricana, chapitre 7, P. 36 Bernard Clavel sème, à l’intérieur du récit réaliste, les graines du bizarre. Le regard de l’auteur modifie l’objet, jusqu’à le faire passer de l’état domestique et paisible à celui, un tantinet inquiétant, de bête vindicative. Parce que l’auteur est l’homme des pays neigeux, le vent s’appelle très souvent bise ou nordet. Plus d’une fois, porteur de « nuées », il « miaule » autour de la maison, fermée comme une amande pour mieux préserver le réconfort de la flambée. « Il (le vent) lui arrivait de pousser un coup de gueule et de lever quelques vagues, juste de quoi montrer qu’on est en bateau et qu’un lac n’est pas forcément un animal domestique. Parfois, ce vent du levant se ramassait, grognassait à la manière d’un chien qui cherche sa queue. Il tournait en rond sur l’eau toute grésillante, puis, lassé d’un coup, il filait vers la berge qu’il mordait pour lui arracher des brassées de feuilles rousses et dorées. » Harricana, ch. 9. P. 42. Les belles couleurs des feuilles ne servent pas qu’un but esthétique. Elles nous rappellent que ces migrants doivent parvenir à destination avant l’hiver. Un même élément peut revêtir, selon les circonstances ou la perception des personnages,

tantôt une coloration négative, tantôt positive. Restons avec le vent, adversaire des rameurs : « Le voyage reprit. A présent, c’était un combat. Les rafales couraient, porteuses d’écume et de colère. Elles giflaient les visages. Stéphane riait. Il était comme si ce vent l’eût aimé. Comme s’il n’eût aimé que lui. Tête baissée, les épaules effacées, le garçon pénétrait ce corps nerveux comme un nageur attaque une eau vive. » Harricana, chapitre 9, P. 44 Le combat n’est pas vécu comme une expérience négative. Il ne faut pas confondre adversaire avec ennemi. La lutte offre à l’homme l’occasion d’éprouver sa force et son habileté, qu’un travail sédentaire laisserait inexploitées. La reprise d’une partie de la phrase précédente (comme si… eût aimé) est un procédé assez fréquent. Elle porte l’idée sur un plan supérieur et lui confère une force accrue. Dans ce cas, l’idée se condense, grâce à la suppression de mots accessoires, ici « Il était ». Il n’est pas rare que la reprise se présente sous la forme d’une subordonnée, la phrase principale étant passée sous silence. Lorsque l’homme ne maîtrise plus le feu, d’animal amical qu’il est dans l’âtre, il devient monstre déterminé à détruire l’œuvre humaine, comme à la fin d’Harricana : « Le feu les dominait en effet. Plus rapide et plus souple que les hommes, il se couchait à côté d’eux sous les broussailles, cherchant à contourner chaque lutteur. Il bondissait dans les branches, pour se laisser tomber comme un fauve. (…) Excité par les cris et la vue de ce qu’il avait réussi du premier coup de gueule, le vent redoublait de vitesse et de violence. (…) Tous les horizons semblaient souffler en même temps, dix vents conjugués bondissant vers le même incendie. » Chapitre 38, p. 158. Autre exemple de violence de la Nature, en particulier celle du vent : « … seul le vent continuait de mener le branle dans la forêt proche et de varloper les pierres usées du toit. » La femme de guerre, chapitre 16, p. 135

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Varloper, raboter, terme de menuiserie, métier que connaissait bien l’auteur. De même, lorsque la pluie ne cesse plus, elle « pétrit » la terre, comme le boulanger la pâte.

poubelle, mais la considéraient comme la Mère nourricière, à qui est dû le plus profond respect. Au moins pour cette raison, Bernard Clavel reste éminemment moderne. Il avait anticipé les colères de notre planète, les désordres provoqués par la folle cupidité de l’Homme. Il nous propose la sagesse de Mestakoshi, qui ressemble à la sienne, comme peuvent se ressembler des sœurs jumelles. Or, le propre de la sagesse est d’être inépuisable ; elle s’appuie sur la solidité du silence. D’où la modestie de l’artiste, qui connaît les limites des mots. Lisons et relisons Bernard Clavel. Même ses silences nous apprendront qui nous sommes, ou nous proposeront d’autres voies.

Bernard Clavel nous donne aussi, par endroits, une prose poétique, sans affèteries : « Ils montèrent entre des hêtres dont les cimes chantaient, balançant le branchage et constellant l’écorce luisante des troncs de milliers de papillons de lune ». La femme de guerre, chapitre 2 page 27 Je n’hésite pas à dire que c’est dans ses descriptions de la Nature que le romancier nous livre ses plus beaux morceaux. Sa voix trouve alors les accents du lyrisme. Il y aurait foule de passages à citer, dans cette veine. Je choisis le suivant : « C’était le milieu de la nuit. Une nuit plus éclatante qu’une nuit de juillet. La lune à son plein faisait étinceler la blancheur du plateau. Une immensité de lumière déferlait jusqu’au corps noir d’une forêt couchée sur l’horizon où l’écrasait le scintillement du ciel. Rien n’indiquait le chemin sur ce moutonnement lent où rampaient les congères à peine soulignées par des ombres d’un vert transparent, lumineux lui aussi, mais glacé. ». La lumière du lac ; chapitre 1, page 11. Il apparaît clairement, à travers les exemples donnés, que la Nature ne se réduit pas à une série de phénomènes physiques et chimiques, de bout en bout explicables grâce à la seule science. La personnification des éléments, des plantes et des animaux, ne relève pas que d’une convention facile, qui serait uniquement destinée à embellir le récit. Dans les passages descriptifs, qu’il s’agisse ou non de la Nature, les « comme si » et les « pareil à » se multiplient. Métaphores et symboles se placent au premier plan. Plus profondément, la personnification de la Nature révèle la vision proche de l’animisme, que nous propose Bernard Clavel. D’où l’empathie de l’écrivain pour les peuples autochtones du Canada, qui ne traitaient pas la Nature comme une source d’enrichissement puis une

Yann LE PUITS : Secrétaire de l’association Signature Touraine Lauréat du Prix Aloysius Bertrand 2011, de la Société des Poètes français. Premier Prix d’honneur de la nouvelle 2012, association KLIHO, ville d’Halsou. Membre du centre d’Etudes supérieures de la Littérature

BIBLIOGRAPHIE Bernard Clavel, Qui êtes-vous ? (Chez Pocket, paru en 2000) Entretiens avec Adeline Rivard Les colonnes du ciel : (Chez Pocket, paru en 1997) La saison des loups La lumière du lac La femme de guerre Marie Bon Pain Compagnons du Nouveau Monde

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Le Royaume du Nord : (Paru chez Omnibus, en 2005) Harricana L’or de la terre Miserere Amarok L’angélus du soir Maudits sauvages


FAUT VOUS FAIRE UN DESSIN ?

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par TOM

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Do Brasil par Yvan Avena Poèmes brefs

Présentation Il y a 2 ou 3 ans j´illustrais encore des poèmes. L´idée m´était venue de traduire des poèmes brefs de 22 poètes de l´Etat de Goiás et de les présenter, tous, sur un seul tableau qui serait exposé à l´Institut Historique et Géographique de Goiânia. Il y est encore et, avec le temps, ce tableau unique (une aquarelle) devient historique car il donne le panorama de la meilleure poésie de Goiás de cette époque. Je publie maintenant ces micro-poèmes dans « Florilège » qui, par la même occasion, sera la première revue française qui pourra se vanter d´avoir présenté une anthologie, presque exhaustive, de cette période poétique à Goiânia. En Argentine on dit « Lo bueno si breve dos veces bueno » (Ce qui est bon et bref est deux fois bon), bien que souvent les poètes latino-américains, peu habitués à publier dans les revues, écrivent de très longs poèmes qui deviennent des livres, pas très épais certes, mais ayant une introduction, un sujet et une conclusion. C´est souvent ainsi que la poésie latinoaméricaine existe et qu´elle est diffusée jusqu´à trouver une place sur l´étagère d´une bibliothèque d´un autre poète.

Poèmes brefs : Ada Curado Constance Pendant mes mille et une année d´existence seul l´amour fut mon maître.

Aidenor Aires Il y eut un temps Il y eut un temps où le mois d´avril ne s´annonçait pas, il se diluait en oiseaux. Il y eut certainement un temps où la nature m´écoutait avant d´ouvrir et de fermer les saisons.

Augusta Faro Zen Le cœur dans l´assiette. Le fruit ouvert les graines palpitent je pense à toi.

Les poètes Ada Curado/Aidenor Aires/Augusta Faro/Elizabeth Caldeira Brito/Brasigóis Felicio/Coelho Vaz/Denise Godoy/Edmar Guimarães/Gabriel Nascente/Gilberto Mendonça Teles / Heloisa Helena Campos Borges/Helvécio Goulart/Itamar Pires Ribeiro/José Mendonça Teles/J.J.Leandro/Luiz de Aquino/Malu Ribeiro/Maria Helena Chein/Miguel Jorge/Moacyr Félix/Sergio Pietroluongo/Sônia Ferreira.

Elizabeth Caldeira Brito Vent Le vent souffle sur les cheveux, Il efface les pensées de l´esprit, avant d´arriver à la conclusion, de l´énorme solitude ressentie.

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Brasigóis Felicio Le Christ dans l´erreur (extrait) La ville dévorait tout. La tristesse de savoir que, les solitaires de la nuit sont vides de joie, dans l´hiver du désespoir des rencontres ratées. Que le dernier qui tombe éteigne la lumière...S´il y a encore un peu de lumière dans le noir de notre vie.

Coelho Vaz Corps nocturne 48 Les raisins de tes désirs sont des poèmes : Liqueurs de vie.

Denise Godoy Souffle Je vois la photo décolorée dans la boîte égarée. La mémoire remémore des images. Je souffle la poussière du papier : L´odeur ancienne se disperse et cloue des dards dans la vieille plaie.

Edmar Guimarâes Jardin fermé Perles, les racines du parfum. Paille, les pétales du parfum.

Gabriel Nascente La lutte Quelle lutte ! Quelle folie ! J´amarre la lumière dans les yeux du poème.

Gilberto Mendoça Teles Avis Il y aura un instant de tendresse générale : Tous les poètes auront la main droite paralysée et les deux mille langues de l´univers s´amalgameront en une tour de silence.

Heloisa Helena Campos Borges Tard Seulement plus tard, bien plus tard j´ai compris, mais il était trop tard.

Helvécio Goulard Avis Ceci est le lieu qu´était ici même quand nous passâmes un jour.

Malu Ribeiro Mauvais sort Un chat noir dans la grotte rouge connaît les secrets d´un rêve bleu.

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Maria Helena Chein Baume Je saigne lors de chaque absence. Néanmoins je ne meurs pas.

Miguel Jorge Flûte douce Flûte Je te souffle doucement. Je souffle et je plonge. Je joue la mélodie de ta bouche de tes seins et de tes mains, pendant que le cœur se répand sur mon émoi.

Sergio Pétroluongo Octaves (extrait) Les papillons sont des fleurs distraites, qui un certain jour décidèrent de voler.

Sônia Ferreira Fenêtres Au prof. Gilberto Mendonça Teles Je regarde mes fenêtres à travers tes yeux je regarde ses yeux à travers mes fenêtres je vois mes yeux à ses fenêtres je vois ses fenêtres dans mes yeux.


Revues en revue par

exilés, Hafsa Saifi répond depuis les pages de la revue Escapades, expressions libres et poétiques, revue annuelle dirigée par Pascal Kin : « La liberté / a la douceur / d'une femme dépossédée » Dans cette revue nous trouvons quatre pièces de ce poète algérien, quatre poèmes qui sont autant de coups de poing pris en pleine conscience. Violence implacable sous des mots de velours...Ces vers disent la souffrance des colonisés « Nous on ne disait rien / Parce qu'on n'était pas / de leur race / Parce qu'on nous donnait des morceaux de sucre / comme les animaux blessés du zoo. », l'espérance malgré tout d'un renouveau chevillée à la plume « A l'aube qui revient/Par la profonde faille/Nous disons notre impatience/D'être enfin transformés » qui retombe dans la désillusion amère qui est bien souvent le lot des révolutions , désillusion qui vibre de façon bien particulière dans nos consciences à l'heure où les révolutions arabes ne semblent pas ouvrir sur la démocratie attendue par le plus grand nombre « Et quand la foudre les a surpris / Dans le sommeil / Ils se sont réveillés en sursaut / Comme des esclaves, que le maître / surprend dans son périmètre ». Le contenu de cette revue est d'une grande richesse et ses concepteurs semblent attentifs à lui conférer une certaine unité, thématique avant tout. Les premiers poèmes évoquent le motif du spectacle, suivis de textes plus graves peignant la comédie humaine sous tous ses aspects avant de clore son numéro sur une note plus douce, un magnifique blason du corps aimé, poème écrit par Louis Lefèvre « C'était l'arrondi de ton ventre blanc, Marie-passe-velours », corps aimé, peut-être porteur d'une autre vie, corps magnifié et célébré avec beaucoup de justesse, de tendresse, de pudeur, une grande finesse d'écriture, évitant la mièvrerie et la description trop clinique, deux travers inhérents à ce difficile exercice. J'éprouve néanmoins quelque réserve sur l'esthétique de cette revue, couverture peu attrayante, page de présentation assez confuse, mais en revanche les textes sont clairement offerts à la lecture, ce qui constitue un véritable plaisir.

HMR

Je vais m'attarder davantage sur quatre des revues qui me sont parvenues jusqu'à ce jour. En premier lieu, Pages Insulaires, Bimestriel perméable aux idées, numéro 25 daté de juin 2012. Editée à Dole, tout près de chez nous, cette revue est dirigée par Jean-Michel Bongiraud. Malgré la grande simplicité de présentation - feuillets A3 pliés et agrafés en leur milieu - cette revue est dès l'abord attirante. Elle séduit le toucher - papier soyeux, doux, agréable - mais aussi la vue: mise en page claire de la couverture agrémentée d'une reproduction noir sur blanc d'une œuvre graphique de Salvatore Gucciardo. Ouvrons ensemble le fascicule: trois – beaux poèmes nous attendent, suivis d'un entretien avec celui dont l'œuvre poétique et picturale constitue la trame et l'unité de ce numéro. Habilement, des textes critiques de différents auteurs - Maria Teresa Furno, Joseph Bodson, Daniel Charneux, Eric Allard... - alternent avec des poèmes et des reproductions de toiles de Salvatore Gucciardo, amenant le lecteur à la découverte croisée d'un homme et d'une œuvre. Approche éclairante mettant en exergue la belle unité d'inspiration qui anime le poète comme le peintre, dans un désir de fraternité et de spiritualité : Michel Bénard le définit comme « peintre visionnaire » tandis que Maria Teresa Epifiani Furno le qualifie de « peintre et poète sans frontière ». L'idée de frontière s'associe à la notion de libre circulation et à une liberté d'expression plus ou moins large...Salvatore Gucciardo aborde ces thématiques avec un très grand sens de la symbolique « Exil de l'écorché/le couteau et la plaie. » En écho à ces deux vers qui traduisent avec une certaine violence la violence même faite aux 38


Ouvrons à présent le numéro 99 en date du 15 mai 2012 de La Braise et l'Etincelle, journal bimestriel indépendant au service de la francophonie, revue affiliée à l'Union des poètes francophones qui donne en théorie la possibilité de s'exprimer aux auteurs vivant sur d'autres rives. Sa devise « Posons sur notre temps des yeux d'éternité » , ses outils - variés - pour parvenir à ce but: arts, lettres, poésie, échos. A première vue, je suis séduite par la diversité des textes proposés. L'éditorial de Yves-Fred Boisset nous interroge sur ce qui survit à notre époque moderne de l'héritage des Lumières et rend hommage à Slobodan Klojovic, poète disparu depuis une décennie avant de donner la parole à Emma Michel qui évoque « les pays du centre, l'Indre et le Berri », suivent une réflexion sur les atouts de notre pays et un poème chantant la « douce France ». Après ces évocations franco-françaises (francophonie ?) viennent des chroniques africaines rédigées par...un Français, la relation du congrès de l'union des poètes francophones puis quelques critiques cinématographiques. Plusieurs poèmes et haïkus alternent avec des dessins. J'avoue être restée sur ma faim. L'accroche de la couverture promettait un dépaysement enrichissant au sein de ma propre langue et de ses diverses mutations, évolutions: poèmes canadiens aux accents rocailleux, langage poétique car à la fois figé sur un autre temps et vivant le présent avec intensité, velours épicé de textes africains, parole donnée à ceux qui habitent « l'autre rive »...De tout cela rien, juste un éloge de la France éternelle, ses châteaux, son patrimoine architectural ou naturel, toutes beautés dont je ne nie pas la réalité ou l'importance, mais la revue n'offre en rien selon moi l'ouverture promise.

donc la lecture, aisées. Les poèmes, agglutinés sur les pages, ne laissant aucun « blanc » permettant une respiration salutaire et ne bénéficient donc pas d'une grande visibilité. Un poème, serait-ce le plus bref, est un monde à lui seul et on ne peut l'apprécier d'un coup d'œil rapide, d'une lecture transversale, comme on le ferait d'un article de journal. La poésie requiert une approche attentive et un temps de repos permettant de savourer, d'approfondir, l'émotion suscitée par la lecture. Regard et pensée, pour se répondre et s'enrichir mutuellement ont besoin d'un espace de clarté et d'un peu de page blanche succédant à un poème imprimé, espace de méditation et de réflexion. Il est fort dommage que cette revue ne réponde pas à ces conditions élémentaires qui sont celles d'une lecture poétique nourricière, car le contenu en est riche et varié. Sans une lecture obstinée, j'aurais sans aucun doute manqué un petit joyau, un court poème de J.C.Paillet « Ecarter d'un geste / la nuit / D'une parole / Attiser le jour / Et la source jaillira / plus claire / en avant de soi ». Si je n'avais pas forcé mon attention à débusquer la beauté de chaque texte, j'aurais seulement survolé, dans le numéro de mai, ce magnifique poème de Jean-Marc Gougeon, « les Amants du frêne » dont on déguste avec gourmandise les trouvailles verbales, les images délicates et justes « Un jour dans une ombre de frêne / ils s'étaient désendimanchés / Avaient décorseté leurs peines / S'étaient couchés sur leur passé » Cette revue offre également une place importante aux auteurs de Haïkus, genre dans lequel il est si difficile d'exceller, car restituer en trois vers, la justesse, l'intensité d'une émotion, d'une atmosphère représente une vraie gageure... Je citerai deux Haïkus, celui d'Yves Brillon « Soleil levant / dans la vitre givrée / un amas d'étoiles » et « Les boutons rouges / éclosent en feuilles vertes / et ma robe déteint » d'Evelyne Voldeng. Pour conclure, donc, une revue qui se veut à l'écoute de la poésie sous toutes ses formes, dans tous ses états, mais qui devrait offrir à chacun des textes publiés une place vraie, leur permettant ainsi de déployer leurs ailes et de susciter chez le lecteur la possibilité d'une découverte pleine et entière.

Pour terminer, je rendrai compte, transversalement, de quelques numéros d'une revue mensuelle, Libelle, Mensuel de Poésie, de février à mai 2012. Cette revue gagnerait à subir une restructuration, une refonte complètes. La présentation, tout d'abord: des feuillets de format A4 couleur ivoire, pliés par le milieu, non agrafés, et un ou deux encarts de couleur blanche, qui ne rendent pas la manipulation, 39


Notes de Lecture

l’envers. Une poésie d’une incontestable modernité mais tellement pure qu’elle sécrète quelque chose de classique, où le regard glissant / sur fond de sable / partage avec la foudre / son tracé d‘obsidienne. On ne lit pas ce livre, on le hume, on le goûte. Il faut le fermer, le rouvrir tel un flacon. Le fermer encore et s’y noyer. Jean-Louis BERNARD est de ces passeurs hors du commun entre inconscience et réalité, transcrivant l’au-delà dans le marbre des mots. À la douane d’une aurore, il est poète, tout simplement.

par Claude LUEZIOR Côté ubac, de Jean-Louis BERNARD Éditions du Petit Pavé, coll. Le Semainier, juin 2012

Son univers est celui d’un silence courtisant les mots au seuil d’incendies intérieurs. Ceux de bréviaires entrouverts, de prières froissées et de questionnements partagés. Ses lignes s’entrechoquent, se fiancent dans la fulgurance et l’effleurement, s’égarent pour mieux se retrouver en une alchimie d’haleines partagées. Cela, avec la simplicité d’une syntaxe presque ascétique, d’une respiration verticale tenant lieu de ponctuation. Avec l’apesanteur fertile d’images en déroute. Avec une introspection sans emphase que seule trahit la buée d’un murmure. Nous ne connaissons bien que ce dont nous sommes dépouillés, disait François Mauriac. Il est de ces bardes errants dans la sylve des songes, de ces nomades faisant moutonner ses pages blanches à l’oasis des mots, il est de ces poètes majeurs cueillant le gui et le feu. Perméable au souffle épuisé de la chouette, à la ponctuation lente des gouttes, aux arômes de minuit, il nous convie dans les rais lunaires de son verbe, dissèque murmures et traces aux lisières de la mémoire, y étire quelque énigme ou résonnance. Filigranes que l’on avait déjà perçus dans Entre trace et obscur, l’un de ses précédents recueils, le vent des origines, ou la très ancienne blessure demeurent des thèmes fertiles. Et George Sand de murmurer : le souvenir est le parfum de l’âme. Jean-Louis BERNARD est l’un de ces nomades tissant avec brio les trames de l’éphémère. Orpailleur de météores, il cisèle les échos de la langue et peint ses poèmes-icônes tel un moine du Mont Athos. Chaque strophe apporte un calligramme original, chaque page pétrifie une rencontre inattendue et quasi-sacrée d’oraisons en jachère. Une poésie où s’écaille l’attente à la fois laïque et sacrée : revive l’éclat noir / de ces noces païennes (…) nos testaments de sel / s’écrivent à

par Louis DELORME Paul GAGNAIRE – La nuit, ce long regard qui fuit déjà vers l’aube – Editions Thierry SAJAT La nuit, ce long regard qui fuit déjà vers l’aube... Un bel alexandrin pour titre : ce long regard, cette interminable interrogation qui tente de fuir notre obscurité pour aller jusqu’à la lumière. La poésie est émerveillement, certes ! Mais elle est aussi questionnement sur la vie, sur ses raisons d’être, sur sa possible destination finale. "émerveillement ! " s’élever peu à peu dans l’éther, / nos souffrances rivées à la terre / et nos pleurs et nos joies, nos soleils, / sentiments, sensations et merveilles, / nous guidant vers le ciel salvateur..." On a beau faire, on a beau dire, on a beau l’écrire, nos souffrances restent souvent rivées à la terre et le regard n’arrive pas à fuir vers cette aube tant désirée. Paul Gagnaire nous fait part de cette souffrance et celle-ci nous émeut : " Je ne peux t’avouer combien grande est ma peine, / elle afflue dans mon cœur comme une large vague, / me noyant dans son creux me laissant dans le vague, / dans le flou d’une vie décadente et malsaine... " Ces poèmes sont des cris, des appels de détresse, " d’un cœur qui s’appauvrit et se sait condamné". Ce sont des bouteilles à la mer pour faire cesser la solitude, cette solitude au milieu de la foule que dénonçait dans ses chansons Leny Escudero :" Comme une perle rare au fond d’un 40


naissain d’huîtres / Je cherche les regards qui pourraient me sourire.". Le poète s’identifie au pianiste sur l’océan dont il nous narre la légende : hélas ! nous avons une âme d’oiseau et un corps de bête rampante : " Lui qui n’a jamais eu d’autre amour que la mer, / lui qui n’a jamais vu que le reflet du ciel, / le voilà délaissé au charnier de la terre / dont le feu infini lui consume les ailes." Le poète est bien cet Albatros, qui hante la tempête, selon Charles Baudelaire, et que ses ailes de géant empêchent de marcher. Après cette première partie très sombre intitulée les Plaies, on aborde les Lumières qui célèbrent avec amour, le grand-père, le père, la mère, la femme aimée : "Je ne marche jamais sans songer à tes yeux, / sans rêver à l’amour qui nous unit tous deux / et nous change en oiseaux habitant même nid, / Parcourant même ciel, même espace infini." Mais la vie ne donne que pour mieux reprendre, et plus elle a donné, plus l’absence est pesante :"ô toi dont le nom seul permettait à mes fièvres / de guérir du présent sur le bout de tes lèvres / Je n’accepterai pas ton départ à jamais..." Dans cette troisième partie, les Signes, Paul Gagnaire tente de se faire illusion, c’est du moins l’impression que je ressens : " Touchons le ciel à l’infini d’un long bâton ...", de retrouver l’enfance : " Il dort au bord de l’eau, ses yeux baignés de sable, l’enfant du temps qui passe...", les bons souvenirs : "Tes cheveux blonds me souriaient dans le manège...", la beauté de la nature : " Pendant que l’eau des pluies se fige sur ton cœur / et perle sur la robe de tes fins pétales / tu écoutes le vent qui souffle tes couleurs / rose de volupté, cendrillon végétale." La dernière partie, les Renaissances, est une tentative pour retrouver des raisons de vivre, pas seulement d’exister : " L’espoir m’a traversé / comme un rai de lumière. // L’espoir m’a transpercé / répondant aux prières / qu’isolé je faisais / dans ma grande cellule / dont les rideaux luisaient / couleur de crépuscule... ". On songe à Verlaine, à son espoir [qui] luit comme un brin de paille dans l’étable. Mais la souffrance resurgit, tenace, balayant l’éclaircie passagère :" Je suis le révolté, le bel adolescent, / pour qui l’astre jaunâtre est un fou que je fuis, / lui préférant les pluies et les torrents des nuits...". " Je suis le ténébreux, le veuf, l’inconsolé, disait Gérard de Nerval, et mon luth constellé, porte le soleil noir de la mélancolie. " Paul Gagnaire, dans cet avant-dernier poème qu’il intitule Vers la vraie profondeur, nous touche, nous alerte : " Regardez-moi pleurer, voyez combien je souffre, / regardez-moi tomber et être au fond du gouffre, /

je voudrais le cacher mais je cherche un dialogue / pour éviter de vivre un brutal épilogue, // peutêtre est-ce inconscient, mais j’ai peur du suicide..." Tout comme Nerval, il a mis fin à des jours qui n’avaient pour lui plus de raison d’être. Reste une poésie, très pure, très soignée, pleine d’invention, qui mérite notre considération et notre ferveur.

par Marie -Pierre VERJAT Jean-Pierre PAULHAC - Traces d’étoiles - Quelques vers posés avec respect sur vos chansons… Editions Praelego, 8 € - Chez l’auteur : 3 rue Serin-Moulin BP 845150- 45150 JARGEAU C’est en feuilletant ces « traces d’étoiles », ce « tribute to … » que j’ai redécouvert l’esprit des chansons de Cohen et Dylan ; en effet J.P.Paulhac s’est attaché à transcrire ce que lui inspiraient ces textes connus, ce qu’ ils pouvaient avoir en commun avec son existence personnelle, sans chercher à traduire ni à copier mais à nous offrir, en parallèle avec les deux artistes, ses propres impressions, exercice très original qui devrait ravir les inconditionnels de ces géants mythiques de la musique. Ainsi, en première partie, on découvre Dylan façon Paulhac dans : « It’ s all over now baby blue » transposé en : « A quoi bon t’habiller de moi, tu ne m’as connu que nu »…ou encore « I want you », « les traces de tes pas sont des fragments d’étoiles où s’abreuvent les mots que je lance » …ou encore « Sister », « mon irréelle sœur, est-ce une utopie ? » La deuxième partie nous offre un Cohen également « paulhaquisé » à travers son superbe « So long Marianne », «je rêvais d’un long fil de soie s’enroulant sur tes doigts d’arpèges comme un signe de foi qui dure malgré le vent volage de la liberté »… et le non moins superbe : « Suzanne », « et là au fond de moi / ta voix nue dans 41


De la musique avant toute chose

mes mains / ton corps magique de guitare / sur la nuit affolée de nos mots / notre chanson inachevée… ». Et l’incontournable : « Hallelujah », « heureusement qu’il y a toi / et ton corps en offrande / ardent, sensuel et libre / Alleluia ! »

par K.J.Djii Du liquide dans les titres Certaines musiques ont la cote, d'autres pas. Par contre, beaucoup ont un titre ; d'avancer que les titres cotés constituent une valeur sûre de placement artistique dans les bourses pourrait alimenter un débat générateur d'autres débats dans d'autres bourses, mais cela ne saurait en rien résoudre l'énigme des titres de la musique. Lorsque certaines personnes affirment que la musique leur fait voir des images, je suis sceptique. Je n'ai jamais rien vu dans la musique, je n'y ai entendu qu'une suite de sons, plus ou moins bien arrangés, harmonisés, mis en ordre ou en désordre au hasard des tribulations boursières d'artistes à l'égo souvent surdimensionné. En donnant un titre à un morceau de musique, le compositeur n'avouerait-il pas son incapacité ou impuissance, puisqu'il s'agit de bourses, à faire passer et comprendre son message musical uniquement à l'aide du matériau sonore à sa disposition ? Ne serait-ce pas une tentative de diriger l'écoute d'un auditeur perplexe (pour les hommes, les femmes étant merplexes) vers ce qu'il désire faire entendre, vers une manière de contraindre notre perception en la détournant de toute perception naturelle ? Cette étude scientifric va donc nous amener à considérer les titres et leur rapport avec les éléments du monde dont ils empruntent les mots. Car, ne serait-il pas plus juste, quitte à donner un titre, de le faire avec des notes ? Aussi abordons nous cette étude (scientifisc) tout d'abord par le rapport que la musique entretient avec l'élément liquide, à savoir l'eau. Et là, les exemples ne manquent pas. Plongeons donc dans la mer de Bussy ( Claude Achille, 1862-1918), qui doit se situer quelque part entre Saint Germain-en-Laye et Paris et dont le remplissage a été achevé en 1905. Il faut savoir que cette musique, de l'aveu de l'auteur, a été composée à partir d'impressions d'enfance et même si René Peter raconte que « Debussy, passant un été de 1900 et quelque en un petit trou pas cher d'une plage bretonne, soumit un matin à ses compagnons un thème qu'il avait ramassé dans l'écume d'une vague », on ne sait pas de quel thème il s'agit, ni si celui-ci a été utilisé pour l'élaboration de sa partition. D'autant plus que c'est dans un village de Bourgogne que ce poème symphonique en trois mouvements a été écrit. Ce

Merci à Jean-Pierre Paulhac d’avoir si bien su nous faire revivre à travers sa plume et en fusion totale avec ces poètes des années 70 qu’il qualifie à juste titre d’éternels, cette époque où le folk était roi.

par Jean-Michel LEVENARD Odette AMELOT – Sourires et larmes de l’école communale – Chez Micheline et Pierre Amelot –le Grand Breuil -16300 St Palais du Né - 136 p. -10 €. Cette mosaïque d’anecdotes issues de la vie d’une classe primaire de campagne nous ramène à une époque (les années 30 du siècle dernier) où la foi et l’idéalisme animaient bien souvent ces missionnaires laïcs du progrès que pensaient être – à juste titre – les enseignants. Apporter l’émancipation, exercer l’intelligence, éveiller la sensibilité, Odette Amelot œuvre en permanence avec ces exigences bien présentes au cœur de son action, mais sachant qu’elle navigue à contre-courant parfois des trivialités de la vie. Peu de grands mots, mais en filigrane de tout ce qu’elle entreprend apparaissent les espérances qui caractérisèrent la période que devait couronner le Front populaire. Sans conteste, aux yeux d’Odette Amelot, un avenir se dessine, un avenir auquel il faut donner à chacun les moyens de participer, une aventure collective dont elle ne doute pas un instant qu’elle ne soit une définitive avancée. A sa mesure, elle aura lutté pour l’égalité des femmes, l’égalité des chances, l’appropriation collective de la culture, l’exigence de justice sociale…

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C'est finalement Vladimir Jankélévitch, dans La musique et l'Ineffable qui semble le plus juste. «Ce que La Mer nous décrit, ce n'est pas le jet d'eau, chef d’œuvre de l’hydraulique, svelte corolle vaporisée par l'art des fontainiers, c'est le chaos informe et le désordre barbare et l'agitation sans loi. » Plus loin, à propos du Dialogue du vent et de la Mer, il reste sur le même registre « Le dialogue qui fait parler les interlocuteurs les uns après les autres et alternativement, la polyphonie même qui les accorde l'un avec l'autre cèdent la place à la coexistence ou coprésence de tous les bruits, à la simultanéité universelle, à la grande confusion primitive ». Enfin, « Debussy ne raconte pas l'histoire d'une matinée océanique : car cette demi-journée est aussi statique qu'agitée, aussi vide d'événements que pleine de tourbillons ». En retenant les expressions, chaos informe, désordre barbare, agitation sans loi ou grande confusion primitive, et en y ajoutant la période de création de la pièce, l'on se rend vite compte que l'on a affaire à une musique directement issue de son époque, parfaitement en résonance avec l'état de la société qui préparait la première mi-temps d'une monstrueuse boucherie. La Mer ne fait pas penser à la mer mais à l'homme et à ses confuses velléités guerrières dont toute mélodie est éliminée. Et si l'on faisait écouter cette musique à quelqu'un qui ne la connaîtrait pas en la présentant avec un titre différent comme, Prélude au Massacre, ou Le Crépuscule des Empires, ou bien encore Le Bal des Vampires. Cette proposition est d'ailleurs valable pour toutes les musiques comportant un titre qui nous égare plus qu'il ne nous aide. Mais peut-être que Debussy était un marin d'eau douce et salée au long court, incoercible dans tous ces titres pêchés dans son œuvre instrumentale : Reflets dans l'eau, Poissons d'or, Jardins sous la pluie, La cathédrale engloutie, Ondine, Pour remercier la pluie au matin. Bon, je sens que les oreilles vous chauffent, allez-y, beaucoup d'excellentes versions existent et si vous êtes démunis, sur You Tube l'enregistrement de Ricardo Muti avec le Berliner Philharmoniker est tout à fait Korrect. Ach !, de la musique française interprétée par un chef italien et un orchestre allemand, c'est ça l'Europe qu'on attend !

qui apparaît comme vraisemblable, c'est que ses impressions d'enfance aient été aussi chaotiques et confuses pour donner naissance à une musique qui ne l'est pas moins, mais combien ferme, géniale et moderne. Même s'il n'y a là rien qui me fasse voir la mer, ni la sentir. J'ai essayé de me rendre au bord de cette mer de Bussy ; pas d'embruns, pas de cet air délicieusement iodé dont manquent tant les peuplades montagnardes, pas de pêcheurs, pas de grève des pêcheurs ou des dockers, non rien qu'une plage de vinyle sans moyen de regarder les filles qui marchent sur le sable. Pas de guinguette, non plus de poissonnières vociférant leurs écailles, pas de vieux loups de mer édentés contant leurs chasses à la baleine imaginaire. Non, rien de tout cela, uniquement de la musique et de la musique avant toute chose. Voyons la bête de près ; trois mouvements donc, De l'aube à midi sur la mer, Jeux de vagues et Dialogue du vent et de la mer. Le premier mouvement faisait dire à l'incorrigible Satie à l'audition de la première « Ah ! Mon vieux ! Il y a surtout un petit moment entre 10 heures et demie et 11 heures moins le quart que je trouve épatant ! » Quant au texte de présentation qui figurait sur le programme de cette même première, l’œuvre était décrite comme « une sorte de palette sonore où l'habileté du pinceau mêle des tons rares et brillants pour traduire, dans toute la variété de leur gamme, les jeux d'ombre et de lumière, tout le clair-obscur des flots changeants et infinis ». Vaste programme ! Là encore, difficile d'y voir clair (obscur) et surtout, d'une part, comment ne pas être stupéfait de la décourageante glose inepte de commentateurs incultes et d'autre part, de ne pas se rendre compte de la totale inaptitude des mots à parler de musique (cet article savant en fournit une preuve de plus) sans céder à la bimbeloterie référentielle ou au bric à brac pseudo émotionnel.

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CINEMA DE QUARTIER par Bertrand PORCHEROT, directeur de salle classée Art et Essai Hors Jeu, de Jafar Panahi

Alors que vient de sortir sur les écrans l’un des premiers films d’Asghar Farhadi : Les enfants de Belle Ville (2004), désormais célèbre réalisateur d’Une séparation (2010), je viens vous parler d’un autre réalisateur iranien, Jafar Panahi, qui réalisait en 2006 le film Hors jeu. Très belle affiche ci-dessus dessinée par Marjane Satrapi, auteur du roman graphique Persépolis.

douille : Caméra d'Or à Cannes en 1995 pour Le Ballon blanc, Léopard d'Or en 1997 au Festival de Locarno pour Le Miroir, il a remporté le Lion d'or à Venise en 2000 pour Le cercle. Son précédent long métrage, Sang et or, avait été présenté sur la Croisette, dans le cadre de la section Un Certain Regard], elles sont aujourd'hui interdites dans son propre pays (même si elles sont distribuées sous forme de DVD vendus en secret au marché noir). Tournant ses films en secret, il a inventé la technique de la double équipe de tournage. La première est un leurre qui prend en cas de danger la place de la deuxième, la vraie, qui tourne clandestinement.

Depuis maintenant une bonne dizaine d'années, Jafar Panahi s'est fait connaître en – et surtout hors – d'Iran par son militantisme en faveur des femmes et contre les injustices de la république coranique. Dans Hors jeu, il est encore question de la condition de la femme en Iran et à travers elle, des crispations politiques, morales et religieuses. Cette fois, c'est autour du football, un sport populaire exclusivement masculin, qu'il renouvelle sa symbolique. Le régime a également interdit la sortie en salle de Hors jeu qui dénonce la place réservée aux femmes dans son pays. En effet, ce documentaire fiction, devenu culte, traite de la fronde des Iraniennes, fans de football, assistant clandestinement aux matchs, en contournant l'interdiction faite aux femmes, depuis la révolution islamique de 1979, de pénétrer dans les stades lors des matchs opposant des équipes masculines. Cependant, ce film a connu le succès en Iran grâce aux copies DVD diffusées dans tout le pays.

Synospis : Qui est cet étrange garçon assis tranquillement dans le coin d'un bus rempli de supporters déchaînés en route pour un match de foot ? En réalité, ce garçon effacé est une fille déguisée. En Iran, les femmes aussi aiment le foot mais elles ne sont pas autorisées à entrer dans les stades. Avant que le match ne commence, elle est arrêtée et confiée à la brigade des mœurs. Pourtant, cette jeune fille refuse d'abandonner. Elle use de toutes les techniques possibles pour voir le match malgré tout. Elle n'est d'ailleurs pas toute seule : d'autres petites sœurs l'ont rejointe sur le banc de touche, toutes accoutrées de vêtements masculins, qui masquent plus ou moins leur féminité. Pour ce délit, elles risquent la Brigade des Mœurs et le bannissement de leur famille.

Alors que les œuvres de Panahi sont systématiquement primées dans les grands festivals internationaux [Cinquième long métrage de Jafar Panahi, Hors jeu a remporté le Grand Prix du Jury, (présidé par Charlotte Rampling), au Festival de Berlin en 2006. Le réalisateur iranien est un grand habitué des festivals internationaux, dont il repart rarement bre-

Le foot est un prétexte transposable dans plein d'autres domaines. Et surtout, le cinéaste le traite avec beaucoup de subtilité. Au fond, femmes et hommes sont piégés dans les rouages d'un système qui les contraint à ses règles mar44


tiales. La situation est totalement absurde. Hors jeu est filmé complètement hors champs. Du match, que l'on suit intensément, à travers les commentaires des gardiens et la clameur de la foule, on n'apercevra pas le moindre tir au but. Jafar Panahi réussit l'exploit de nous faire vivre la rencontre en off, sans aucune image, et pourtant comme si on y était, avec un suspense haletant.

hrein. A la suite des matchs de qualification, l'Iran a pu participer à la Coupe du Monde 2006 en Allemagne. Le pays, qui faisait partie du groupe D, avec le Mexique, l'Angola et le Portugal, n'est pas allé au-delà du 1er tour. Une large partie de Hors jeu est consacrée au face-à-face entre les jeunes filles et les soldats qui leur interdisent de pénétrer dans le stade. Mais cette confrontation se transforme en une conversation entre jeunes du même âge. Le cinéaste explique lors de la conférence de presse au Festival de Berlin : « En Iran, le service militaire est obligatoire, les soldats ne sont pas des fonctionnaires mais des appelés. Ces hommes sont issus de familles ordinaires. Ils peuvent donc facilement comprendre les désirs et les envies de leur génération. Ces soldats sont là pour imposer des interdictions, et ils ne se sentent pas toujours très à l'aise avec ce qu'ils font. De l'autre côté, vous avez les plus âgés, avec des points de vue beaucoup plus traditionnels. Les traditionalistes représentent 10% de la population mais ils ont le pouvoir. Evidemment, il y a un choc entre ces deux générations. » Les différents personnages sont également liés par leur passion du football : « Au début tous ces gens sont des étrangers les uns pour les autres. Et plus la victoire approche, plus ils sont soudés, formant presque une famille. Il n'y a que le football qui rend cela possible ».

Jafar Panahi s'appuie sur un fait anecdotique pour développer un discours sans la moindre ambiguïté : à travers le symbole du ballon rond, c'est tout un tabou qui est levé en étendard. Pourquoi une femme ne pourrait-elle pas assister à un match de foot ? Même s'il y a, certes, des causes plus fondamentales à défendre pour l'émancipation des femmes en Iran, Hors jeu prend part à un combat acharné et inégal, qui ne fait hélas que commencer. Le cinéaste revient sur la genèse du projet : « Il y a huit ans (1997), l'équipe nationale iranienne battait l'Australie et se qualifiait pour la coupe du monde. Les joueurs reçurent un accueil triomphal de la part de la population. En Iran, l'entrée dans un stade de foot est interdite aux femmes. Mais cette fois-ci, près de cinq mille femmes passèrent au-dessus de la loi et entrèrent dans le stade pour célébrer la victoire des joueurs. Cet évènement suscita de nombreux débats. Je me rappelle avoir lu à cette époque l'article d'un journaliste sportif qui expliquait que dans la Grèce ancienne les femmes étaient confrontées au même problème. Pour pouvoir supporter leurs fils qui étaient de vrais héros sportifs, elles se déguisaient en garçon. Il y a quatre ans, j'étais dans les gradins du stade où s'entraîne notre équipe nationale et à ma grande surprise, je reconnus ma fille, cheveux courts et chemise large, qui se faufilait parmi les hommes. L'idée du film est née ce jour-là. Quand j'ai réalisé que l'Iran était à nouveau sur le point de se qualifier pour la coupe du monde, j'ai décidé que c'était le moment de le faire. »

Jafar Panahi revient sur les obstacles rencontrés au cours du tournage : « En Iran, il n'est pas très difficile d'obtenir une autorisation pour filmer un match de football, mais si vous filmez des filles dans un stade, ce n'est pas la même chose. Et puis nous savions que ma réputation en tant que réalisateur serait un problème. Nous avons essayé d'être très discrets, et évité tout contact avec la presse. Cependant, cinq jours avant la fin du tournage, un journal publia un article mentionnant que je tournais un nouveau film. Les militaires reçurent immédiatement l'ordre d'interrompre le tournage et de saisir mes rushes afin qu'ils soient vérifiés. J'ai évidemment refusé et dit à l'officier chargé du cinéma en Iran que je ne voulais pas voir un seul soldat sur les lieux de tournage. Heureusement, il ne restait que quelques scènes à tourner, dans un minibus. Nous avons quitté la zone sous contrôle militaire et terminé le film à six kilomètres de Téhéran. »

Hors jeu a été tourné le 8 juin 2005 pendant que se jouait Iran-Bahrein, match de qualification pour la Coupe du monde. Dans la première séquence, le spectateur s'invite dans le car des supporters qui partent assister à la rencontre, et le film s'achève avec leurs réactions à la fin du match. Le film est construit sur le modèle d'un documentaire. L'endroit, l'événement et les personnages sont réels. Au terme de la rencontre, c'est l'Iran qui l'a emporté 1 but à 0 face au Ba-

Depuis la révolution islamique en 1979, les femmes sont interdites d'entrée au stade en Iran. En avril 2006, le président Ahmadinejad a sou45


L’Agenda des Poètes de l’amitié 2012-2013

haité revenir sur cette décision, ce qui a provoqué la foudre des ayatollahs locaux, horrifiés par cette possible mixité. Le président a donc abandonné son idée de décret. Quant au film lui-même, il était toujours interdit en Iran au moment de sa sortie en France.

2012 Décembre VENDREDI 14 : spectacle Dimey à Chenôve, à la salle des Fêtes SAMEDI 15 : réunion Conseil d’administration JEUDI 20 : cénacle à la Maison des Associations LUNDI 31 : date limite pour participation au concours de la nouvelle N° 40

En juin 2009, Jafar Panahi participe dans la rue à de nombreuses manifestations suite à la victoire controversée d'Ahmadinejad. Fin juillet, il est arrêté quelques jours pour avoir assisté à une cérémonie organisée à la mémoire de la jeune manifestante tuée, Neda Agha Soltan. En février 2010, le pouvoir islamique lui interdit de se rendre au festival de Berlin alors qu'il était l'invité d'honneur. Arrêté le 1er mars 2010 avec sa femme, sa fille et 15 autres personnes, il est retenu dans la prison d'Evin par les autorités iraniennes pendant le Festival de Cannes 2010 alors qu'il était invité à faire partie du jury officiel. Le 18 mai 2010, lors du Festival, une journaliste iranienne révèle que le cinéaste a entamé une grève de la faim pour protester contre les mauvais traitements qu'il subit en prison. Il est libéré sous caution le 25 mai 2010. En décembre 2010, il est condamné à six ans de prison et il lui est interdit de réaliser des films ou de quitter le pays pendant vingt ans. « Jafar Panahi a été condamné à six ans de prison pour participation à des rassemblements et pour propagande contre le régime », dénonce son avocate Farideh Gheirat, selon des propos rapportés par l'agence de presse Isna. Malgré cette interdiction de travailler, Jafar Panahi coréalise avec Mojtaba Mirtahmasb Ceci n'est pas un film qui décrit sa situation. Tourné en numérique, parfois, à l'aide de son I-phone, Jafar Panahi décrit la situation d'un cinéaste qui n'a pas le droit de faire du cinéma. Ce film, stocké sur une clé USB, cachée dans un gâteau, arrive au festival de Cannes 2011 et est présenté hors compétition. Depuis, il fait le tour des festivals de cinéma internationaux.

2013 Janvier MARDI 15 : lecture à l’école Maurice Cortot de Chalon sur Saône JEUDI 24 : café Alzheimer à St Marcel (71) SAMEDI 26 : réunion Conseil d’administration MARDI 29 : lecture à l’école Maurice Cortot de Chalon sur Saône

Février

SAMEDI 9 : réunion Conseil d’administration MARDI 12 : lecture à l’école Maurice Cortot de Chalon sur Saône

Mars

VENDREDI 8 : lecture au lycée Boivin de Chevigny-St-sauveur (21) JEUDI 14 : lecture au lycée Stephen Liegeard à Brochon (21) SAMEDI 16 : conseil d’administration JEUDI 21 : café Alzheimer à St Marcel (71) SAMEDI 23 : remise du Prix d’Edition de l a Ville de Dijon (prévisionnel)

Avril

SAMEDI 6 : spectacle Dimey à Chalon/Saône, au Studio70 SAMEDI 13 : conseil d’administration Mai JEUDI 16 : café Alzheimer à St Marcel (71) VENDREDI 17 : lecture à la Maison de retraite de Chatillon /Seine (21) VENDREDI 24 : lecture à l’EPHAD à St Marcel (71) SAMEDI 25 : conseil d’administration VENDREDI 31 : date limite pour participation au concours de la nouvelle N° 41

Les 5 matchs qui ont fait le football iranien : http://www.cahiersdufootball.net/article.php?id=4578

Juin SAMEDI 8 : festival de lectures publiques (Dijon) JEUDI 20 : lecture à l’EPHAD à St Marcel (71) SAMEDI 22 : conseil d’administration SAMEDI 29 : lecture au Jardin des Poètes ( Dijon)

Drame - 2005- Iran- durée: 1h28 (+32' de Bonus) Sortie à la Vente en DVD le 13 Juin 2007 - Editions MK2 Prix de vente indicatif : 19,99 € (Amazon)

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Universités, sa formation de géologue détermine chez lui une attention particulière aux problèmes environnementaux. Ce livre tente un rapprochement entre une pensée économique qui ne renie en rien les apports marxistes et les exigences nouvelles qui s’imposent aux présentes générations. On peut se procurer l’ouvrage auprès de l’auteur (252 p. - 21,95 €, préface d’Yvon Quiniou), 156 le St Victor, av. des Lavandières – 83110 Sanary/Mer.

La page des adhérents Jean-Luc Le FOULER lance une souscription pour la publication d’un recueil accompagné de la préface de Christian Amstatt, Sous le regard des étoiles, auquel la Société des Poètes français a décerné un prix honorifique, en 2011. 2 extraits de cette publication (le prix est fixé à 15 Euros, pour 53 pages). Souscrire à : jlefouler@laposte.net

Aquarelles Les Poètes de l’Amitié vous proposent :

Lézard minéral

- Ne tue pas la mésange bleue, de Nicole PiquetLegall, Prix 2012 Yolaine et Stephen Blanchard. Traditionnellement, ce prix est remis lors de l’assemblée générale de l’Association. A commander auprès de Stephen Blanchard, 19 allée du Mâconnais – 21000 Dijon ( 56 p. ; 10 €).

La pierre qui, au soleil de juillet se chauffe, participe de la nature du lézard quoique d’une variété bien particulière : paradoxal reptile, pour vocation elle se donna l’immobilité. Pour autant, même si la sueur ne nous apparaît, la pierre transpire de reconnaissance. Jusqu’au plus profond de ses atomes, elle éprouve les bienfaits de l’été.

- Le Tambour des lunes, d’Odile Vecciani, Prix 2012 de la Ville de Beaune. Ce prix, organisé par la délégation beaunoise des Poètes de l’amitié bénéficie d’une préface d’Alain Suguenot, maire de Beaune. Il a été remis durant les Rencontres Poétiques de Bourgogne, le 26 octobre 2012. A commander auprès de Bruno Cortot, 31 rue du faubourg St Martin, 21200 Beaune (64 p. ; 10 €)

Ephémère fille… Fragile passagère de la tiédeur, cette fleur au crépuscule sur elle-même assemble les plis de son châle. Chacun des pétales compte La nuit peut déployer ses fastes de lumineuse obscurité. De toute éternité, malgré sa brièveté, la dormeuse sait que l’aube lui soufflera : « L’heure est venue, d’accueillir l’abeille ou le papillon. » André PRONE nous annonce la parution de son dernier ouvrage, écrit en compagnie de Maurice Richaud, aux Editions l’Harmattan. « Pour sortir du capitalisme – Eco-partage ou communisme» prolonge une réflexion qu’André Prone a menée tout au long de son existence, et dont les manifestations transparaissent au travers de ses engagements. Longtemps membre du Parti communiste, responsable national au sein de la Cgt au titre des personnels des

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Dans le cadre de Semaine de la langue française et de la Francophonie – 16 au 24 mars 2013-, la revue FLORILEGE vous propose de jouer avec les dix mots proposés pour cette édition.

ATELIER – BOUQUET – CACHET – COUP DE FOUDRE – EQUIPE – PROTEGER – SAVOIRFAIRE – UNIQUE – VIS-A-VIS – VOILA Adresser à la revue, avant le 10 février, soit par voie postale ( J-M. Lévenard – 25 rue Rimbaud – 21000 Dijon), soit par voie informatique ( jean-michel.levenard@laposte.net) un texte comportant ces 10 mots sur l’un des thèmes : « Une histoire à dormir debout » ou « On a fêté Noël » sous la forme d’une courte prose de 10 lignes, ou d’une courte pièce de 10 vers. La revue FLORILEGE publiera les 20 propositions que le Comité de lecture estimera les plus amusantes, les plus inattendues. Chaque participant non abonné publié recevra un exemplaire de la revue. A cette fin, joignez à votre envoi vos coordonnées postales.

Voilà donc la gageure. A vos ateliers d’écriture, et offrez-nous le bouquet décimal de votre savoir-faire. Que le cachet d’un style unique déclenche le coup de foudre de l’équipe de Florilège ! Et, pour vous protéger, si vous craignez l’exposition de votre nom vis-à-vis d’autres participants, usez d’un pseudonyme !

FLORILEGE – DECEMBRE 2012 – Prix : 8 € 48


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