Steve Kaufman et le Pop Art

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Università degli Studi di Trieste Licence en Conservation des Biens Culturels, mention historico-artistique

STEVE KAUFMAN ET LE POP ART

Mémoire de licence

Étudiante : Serena Bobbo

Directeur : M. Massimo Degrassi Co-directeur : M. Maurizio Lorber

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Index Introduction Chapitre 1 : Le Pop Art Les origines Les précurseurs anglais Le signe et le mythe de la consommation La sérialisation Chapitre 2 : Andy Warhol et la “Factory” La théorie La massification L’érotisme Transgression et destruction Les symboles Chapitre 3 : la seconde « Factory » et la « second Generation » (« Néo-Pop Art ») Art et personnages « Qu’est-ce qu’il y a encore à ajouter/dire ? » Chapitre 4 : Steve Kaufman Né dans le South Bronx Les Graffiti Dans l’atelier d’Andy Warhol L’engagement social Adieu à New York : le succès, les portraits et le monde d’Hollywood Les citations d’œuvres célèbres Les dernières années : son legs

Conclusions

Appendice : les (principaux) protagonistes du Pop Art Bibliographie

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Introduction « Le Pop Art veut détruire l’art (ou du moins s’en passer), mais l’art le rejoint : c’est le contre-sujet de notre fugue » (Roland Barthes)1 « De plus, à l’époque je ne donnais pas au terme ‘pop art’ le sens qu’on lui donne aujourd’hui. Je l’utilisais, comme l’expression ‘pop culture’ d’ailleurs, pour décrire les produits des mass media et non pas les œuvres d’art qui s’inspiraient à cette ‘culture populaire ‘. De toute façon, le terme entra dans l’usage commun entre l’hiver de 1954-55 et celui de 1957 » (Lawrence Alloway)2

« Il y a eu un moment, au milieu du XXème siècle, où le monde où les gens vivaient, est devenu luimême art »3. Il s’agit d’une définition captivante qui dévoile une grande partie du secret du succès du Pop Art et de sa longévité (peut-être seulement le Surréalisme peut-il rivaliser avec le Pop Art d’ampleur et de profondeur d’influence). Longévité qui va des premiers jours des années ’50 en Grande- Bretagne à l’explosion de popularité aux États-Unis, jusqu’à sa diffusion en Europe, en Australie et au Japon avec les artistes de la seconde génération comme Steve Kaufman, Jeff Koons, Richard Prince, Cindy Sherman et d’autres, qui ont pris l’idée et l’esthétique rendues célèbres par Andy Warhol et les ont réinterprétées et contextualisées dans le moment historique qui changeait, et qui change toujours. Aucun mouvement artistique international qui ait duré si longtemps et qui embrasse toutes les typologies d’instruments, genres et media connues, en développant en même temps des nouveaux styles et formes d’expression, ne peut être résumé en peu de phrases ou tout simplement ignoré. Les grands artistes se sont toujours exprimés avec simplicité et clarté vis-à-vis leurs œuvres et les idées y contenues, mais rarement ont-ils été écoutés.

Roland Barthes, L’obvie et l’obtus : essais critiques. Lucy R. Lippard, Pop Art, Mazzotta, Milano 1967 3 Wayne Radcliffe, conservateur de l’ancienne section d’Art Contemporain (maintenant section d’Art Australienne) de l’Art Gallery NSW- Australia- http://www.artgallery.nsw.gov.au/). 1 2

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Remerciements

Prof. Massimo Degrassi Prof. Maurizio Lorber

Pour m’avoir aidée à repérer les livres, les sources, les données et les instruments que j’ai utilisés pour rédiger mon mémoire et pour leur contribution à mon travail et mes recherches :

Diana Vachier- présidente de « Steve Kaufman Art Licensing, LLC » et « American Pop Art, Inc. » Alberto Panizzoli- co-président de « Steve Kaufman Art Licensing, LLC » et directeur de « American Pop Art, Inc. » Leslie Gonzlez – Media Relations, communication et stratégie de « Steve Kaufman Art Licensing, LLC » et « American Pop Art, Inc. » Roberto Srelz – journaliste et écrivain, directeur de « centoParole Magazine »

Je voudrais enfin remercier les personnes qui me sont le plus chères : Elena, Lorenzo et Marco – ma famille. Dédié à Steve Kaufman.

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Chapitre 1 : Le Pop Art

Les origines

Qu’est-ce que c’est que le Pop Art ? Le sens du terme « pop art » va bien au-delà de la simple traduction « art populaire ». Andy Warhol a dit : « Une fois qu’on est ‘devenu’ pop, on ne peut plus voir les signes de la même façon. Et une fois qu’on a commencé à penser pop, on ne peut plus voir l’Amérique de la même façon »4 (et le choix du mot « devenu » est révélateur, car il implique une véritable transformation de la manière de sentir, de la façon de regarder et percevoir les signes). Roy Lichtenstein a dit : « Le Pop Art regarde dans le monde […]. Il ne ressemble pas à la peinture de quelque chose, il ressemble à la chose elle-même. »5

Même si le public considère les grands maîtres du Pop Art et de toute définition de ce courant artistique comme synonyme de « Amérique » (et notamment d’États-Unis), le Pop Art est né dans le Vieux (pour tradition et école) Continent, dans le Londres mondain de 1950 : le terme Pop Art a été justement introduit pendant les débats, au London Institute of Contemporary Arts, du collectif d’artistes connu comme « Independent Group ». Parmi ces « artistes indépendants » il y avait Richard Hamilton, largement reconnu comme étant le premier artiste pop. Sa définition de Pop Art était disjointe et articulé : c’était un art « populaire (c’est-à-dire, destiné aux masses), éphémère (une « solution à court terme » dont on pouvait profiter immédiatement), consommable (c’est-à-dire facilement oublié), bon marché (sans œuvres colossales ou dispendieuses), produit en masse (à travers l’application de techniques industrielles désormais très communes), jeune (adressé aux jeunes), spirituel, attirant, fantaisiste, fascinant et…qui rapporte gros ».6 On mentionne souvent Hamilton en raison de la création de la première œuvre du Pop Art, le collage Just what is it that makes today’s homes so different, so appealing ? (« Qu’est-ce que c’est qui rend les maisons d’aujourd’hui si différentes, si séduisantes ? ») Andy Warhol, Ma philosophie de A à B L’arte, questa vecchia cosa…, en Pop Art : evoluzione di una generazione, catalogue, Electa, Milano, 1980 6 Richard Hamilton, Collected Words, Thames and Hudson, London 1982 4 5

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de 1956. Dans l’œuvre on voit un scénario domestique imaginaire et fascinant, plein d’objets de consommation, où un homme et une femme (représentés de façon icônique) se demandent ce qui rend leur maison si différente que d’habitude. La réponse est une énorme sucette rouge que l’homme tient dans sa main, et de laquelle le mot « pop » (ce type de sucette, née dans les années ‘30 et fourrée avec du chocolat ou de la liqueur, s’appelait « Tootsie pop » en anglais) sort littéralement du cadre ; en ce cas-ci, « Pop » signifie donc « explosion » (comme dans « pop-corn ») et pas « populaire ». Tout commence là : Hamilton unit images de films, affiches, magazines et histoire de l’art. Il réalise un mélange de techniques de représentation, matériaux et sujets- tous immédiatement accessibles : un homme au centre de l’espace qui a l’air d’avancer vers nous, mais qui est hors d’échelle par rapport aux objets qui l’entourent et n’est pas une figure réaliste ; une femme nue assise sur le sofa qui semble offrir son sein comme s’il était un objet parmi les objets, elle aussi irréaliste, hors d’échelle, hors de proportion. Si, au premier regard, nous avons l’impression que l’espace que Hamilton nous présente est accueillant, car il est plein des mêmes objets dont nous sommes entourés nous aussi et qui font partie de notre vie quotidienne, l’absence de proportions entre l’homme et son espace nous donne une sensation de claustrophobie, nous fait percevoir un espace encombré, plein de talismans, parmi lesquels se détache la sucette rouge, qui devient l’élément le plus important de la scène. C’est l’objet qui nous allons consommer et qui va changer la journée de notre maison- et qui constitue une forte allusion.

« Pour comprendre le collage de Richard Hamilton il ne faut pas seulement recourir aux Mythologies de Roland Barthes, mais aussi se rappeler que l’artiste pouvait voir le portrait des Époux Arnolfini sur les murs de la National Gallery de Londres »7.

L’œuvre a été exposée pour la première fois le 9 août 1956 à l’occasion de la célèbre exposition This is Tomorrow (« Ceci est le lendemain ») à la Whitechapel Gallery de Londres. L’exposition avait été organisée par l’Independent Group et était consacrée à des sujets tels que la ville, les mythes de la culture de masse et les nouvelles technologies. Entre-temps, aux États-Unis, les artistes avaient commencé à construire un pont vers le Pop. Influencés par le Dada et par son insistance sur les objets quotidiens et l’appropriation de la réalité, ils travaillaient de plus en plus avec le collage, les produits de consommation et une bonne dose d’ironie. Le dadaïsme (ou Dada) est un mouvement artistique né en 1916 à Zurich, en Suisse, à un moment historique très dramatique : la Première Guerre Mondiale. Il nait grâce à un 7

Alessandro del Puppo, L’arte contemporanea. Il secondo Novecento

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groupe d’intellectuels qui s’étaient réfugiés dans la ville pour échapper à la guerre. Les principaux représentants du groupe sont : Hans Arp, peintre, sculpteur et poète français ; Tristan Tzara, poète et essayiste roumain de langues française et roumaine ; Richard Huelsenbeck, écrivain allemand ; et Hans Richter, réalisateur et peintre allemand. En 1924 un nouveau courant prend la place du Dada : le Surréalisme. En cette année-là, en effet, l’écrivain français André Breton publie le premier manifeste du Surréalisme, en définissant le mouvement comme un « automatisme psychique pur »8. Parmi les artistes qui feront partie de ce courant il y a Hans Arp (qui avait déjà été un dadaïste) ; Joan Miró, peintre, sculpteur et céramiste espagnol ; René Magritte, peintre belge, et Salvador Dalí, peintre, sculpteur, écrivain, cinéaste, designer et scénariste espagnol. L’artiste Emmanuel Radnitzky (1890-1976), connu comme Man Ray, est considéré lui aussi comme un pont entre le Dada et les formes d’art successives, en raison de la période où il travaille, même si on ne peut pas l’insérer dans une catégorie ou mouvement artistiques précis. Il reste inclassable : il n’est pas Dada, il n’est pas Pop, il ne fait pas partie d’aucun courant. Graveur, dessinateur, cartographe, Man Ray reçoit sa formation à New York, où il connait la liberté d’expression et échappe aux techniques académiques, en plongeant dans l’expérimentation continue et dans l’avant-garde. Il est aussi un photographe, et la photographie sera toujours importante pour le Pop Art et ses évolutions. Le Dada et le Surréalisme partageaient la recherche d’une nouvelle façon de faire de l’art avec une attitude ironique, démystifiante et provocatrice, en réclamant « l’absence de tout contrôle exercé par la raison »9. Le Dada lutte contre les sens traditionnels attribués aux mots, et la poésie dadaïste a été quelque chose de casuel en polémique ouverte avec la poésie officielle. Le Surréalisme, par contre, analyse le rapport entre le langage et l’image (il suffit de penser à la célèbre « pipe »10 de Magritte, où juste sous l’image de la pipe il y a la légende « ceci n’est pas une pipe »), et il réfléchit sur la réalité qui nous entoure et sa représentation, et notamment sur la limite, pas toujours claire, entre les deux. C’est le dadaïste Marcel Duchamp qui a eu le plus d’influence sur les futurs artistes Pop, surtout grâce à ses « Ready mades » (« prêts à l’usage »). Marcel Duchamp, qui était arrivé de Suisse à New York, où il s’installe définitivement pendant la Seconde Guerre Mondiale (en 1942), en 1913 avait réalisé son premier « Ready made » : la célèbre roue de bicyclette renversée qui est considérée André Breton, Manifeste du Surréalisme, 1924 Ibidem 10 René Magritte, La trahison des images, 1926 8 9

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comme la grande révolution conceptuelle du XX siècle, le symbole de la contemporanéité. Roue de Bicyclette est un premier exemple de paradoxe logique : le mouvement (la roue) et l’immobilité (le tabouret), l’industrie et la production artisanale, la vie quotidienne qui entre dans l’art. Le « Ready made », c’est justement ça : prendre des objets d’usage commun isolés de leur contexte, mis en évidence et élevés, avec un geste provocateur, au rang d’œuvre d’art. Quelques années plus tard, en 1917, il réalise la sculpture intitulée Fontaine : un urinoir pour hommes en majolique blanche que Duchamp a renversé et placé sur un piédestal en bois. De cette manière, avec de petites retouches (le renversement, la signature et la date), il transforme un objet, un urinoir, dans une œuvre d’art en le définissant et l’encadrant publiquement comme tel (il le fait photographier par un célèbre photographe et collectionneur d’art, Alfred Stieglitz, et cette reproduction de l’œuvre a été commentée dans une publication issue pour l’occasion). Il envoie la sculpture à la Société des Artistes indépendants de New York (dont il était un membre) à l’occasion de son premier salon. C’est un scandale, un refus assuré. Duchamp, qui avait utilisé le pseudonyme de Richard Mutt, démissionne du comité organisateur de l’exposition. En cette occasion il explique son opinion de façon extrêmement lucide, en affirmant : « Il n’a aucune importance que Mutt ait fabriqué la fontaine de ses propres mains ou pas. Il l’a choisie. Il a pris un élément commun de l’existence et l’a placé de façon que le sens utilitaire disparaisse sous le nouveau point de vue : il a créé une nouvelle pensée pour cet objet »11. S’agit-il de la délivrance des objets banals de notre vie quotidienne ? L’idée était brisante et l’art n’aurait plus été le même, il était un point de non-retour dans son histoire. Des fragments de la vie réelle sont entrés dans le tissue de l’art. Une autre idée qui a ensuite été reprise par le Pop Art est la citation d’œuvres célèbres, comme dans l’œuvre de Duchamp L.H.O.O.Q., un « Ready-made » de 1919. Il s’agit d’une reproduction photographique de la Joconde de Léonard de Vinci : c’est l’art qui cite l’art, et pas un art quelconque, mais le chef-d’œuvre pictural pour excellence, l’icône de l’art mondial. Les opérations de Duchamp mettaient en scène une complexe stratégie de communication et métacommunication dont le but était l’énonciation d’un discours ambigu et sur plusieurs niveaux autour de l’art. « Je vous dis qu’avec cette opération il suffit de définir un objet quelconque comme étant une œuvre d’art

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Octavio Paz, Apparenza nuda. L’opera di Marcel Duchamp.

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pour qu’il devienne une œuvre d’art à part entière, mais ce que je vous dis est peutêtre une moquerie »12

Comment nait-elle la contemporanéité ? L’évènement décisif qui transforme les avant-gardes dans ce qu’elles sont aujourd’hui est, paradoxalement, leur dissolution, provoquée par la crise européenne qui débouche sur la Seconde guerre Mondiale. Forcés à l’exil aux États-Unis, les Expressionnistes et les Surréalistes recréent une sorte de Bohème à New York et Los Angeles et ils sont adoptés comme classiques par une culture artistique qui s’était arrêtée au réalisme social et qui était étrangère aux développements modernistes européens. L’exil des avant-gardes aux États-Unis transfère définitivement à New York le centre du panorama artistique, un tournant décisif pour l’art contemporain. La critique devient protagoniste, se montrant capable de créer les artistes à partir de rien, de les associer à un mouvement et de les proposer comme expression de ce dernier. C’est essentiellement la critique américaine qui a conduit au succès l’Expressionnisme Abstrait, en faisant d’artistes comme De Koonig, Kline, Rothko et surtout Pollock, les authentiques héritiers des avant-gardes européennes. L’opération théorique de reclassement des artistes réalisée par des critiques tels qu’Alfred Barr, Clement Greenberg, Harold Rosenberg etc. se déroule en deux moments : premier, imposer à l’opinion publique américaine les avant-gardes historiques européennes comme vrai art moderne, et ensuite rendre les nouveaux peintres américains les seuls capables de dépasser les maîtres. L’invention de l’Expressionnisme Abstrait et de sa légende n’a pas été seulement le résultat d’une complexe opération critique (faite d’idées et de promotion) : il fallait que la valorisation encontre le goût du publique, et c’est sur ce plan qui se réalise l’alliance entre critiques et galeristes et il y a la spécifique reformulation de la relation sociale entre artistes et commettants. Le critique devient auteur, alors que le marchand fournit l’espace physique, le médium où l’action artistique se déroule. Certes, on avait encore besoin de l’artiste, mais son rôle devenait moins important, comme celui purement extérieur du publique, qui devient maintenant simple consommateur passif d’un produit complètement élaboré indépendamment de son jugement.

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Octavio Paz, Apparenza nuda

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Les précurseurs

Le Pop Art n’explose vraiment que dans les années ’60, incontestablement grâce à la grande révolution culturelle intéressant tous les aspects de la société. Les artistes Pop (tous américains, par naissance ou naturalisation) qui exposent à la galerie Janis de New York en 1962 sont Andy Warhol, Jim Dine, Robert Indiana, Roy Liechtenstein, Claes Oldenburg, James Rosenquist, George Segal. Ils proposent un type d’art totalement ouvert aux formes de communication les plus populaires, de la BD à la publicité. Jasper Johns réimaginait les icônes des gens communs comme les « étoiles et bandes » du drapeau américain ; Robert Rauschenberg commençait à utiliser la sérigraphie et insérait dans ses œuvres les objets les plus disparates, produits en masse ; les deux sont considérés comme des précurseurs américains du Pop (Andy Warhol dit : « ils avaient des styles uniques ; ni Expressionnisme Abstrait ni Pop, ils étaient à mi-chemin »13). Duchamp, sa pensée et ses conséquences ont une valeur inestimable pour nous, car ils permettent de définir ce qui distingue la contemporanéité des précédentes formes d’art, indépendamment du complexe problème de la périodisation. Certaines œuvres de Warhol, tel comme ces de Duchamp, seront des objets que l’artiste s’approprie en les séparant de leur usage (comme Brillo Box, qui n’est rien d’autre que la reproduction d’un emballage de lessive) ; d’autres seront des manipulations d’images communes ou non communes (comme les sérigraphies tirées des photographies de Mao Tse Tung et Marylin Monroe et la série des Electric Chairs).

Le signe et le mythe de la consommation Concevoir un art créé pour le moment, sans aucun désir d’immortalité et éternité, ou du moins sans aucune prétention d’un tel désir, aurait semblé monstrueux.

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Andy Warhol, POPism : the Warhol’s 60s, New York: Harcourt Brace Jovanovich, 1980

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Si l’antiquité avait souvent créé ses mythes et ses fétiches en s’inspirant d’éléments du monde naturel (roches anthropomorphiques, plantes sacrées ou images rituelles), ou les avait réintroduits en utilisant les images symboliques qui émergent dans la conscience et qui dérivent de croyances et sensations, notre époque emprunte ses mythes et fétiches à éléments préfabriqués, souvent mécaniques ou industriels, produits en série, créés par l’homme mais déjà déshumanisés et devenus les simulacres d’une vision du monde artificielle mais qui pour autant n’en est pas moins réelle. En 1964, lors d’une conférence, Roy Lichtenstein affirme que le Pop était un art de l’antisensibilité14 : « Le pop est le produit de deux tendances du XXème siècle, une extérieure (le sujet), et l’autre intérieure (la sensibilité esthétique). Le sujet doit être identifié dans le mercantilisme et dans l’art commercial, mais sa contribution consiste dans l’isolement et dans l’exaltation de « l’objet ». L’art commercial n’est pas notre art, il est notre sujet. La sensibilité esthétique dont je parle est une forme d’anti-sensibilité »15.

Lichtenstein utilise la technique d’impression à points (la « Ben-Day » inventée par Henry Day en 1879 est une technique qui utilise des points colorés ou en noir et blanc, de la même dimension, espacés ou chevauchantes, pour créer l’illusion optique des couleurs et des demi-tons même en laissant d’espaces blancs) et le style graphique des BD pour créer des panneaux de grosses dimensions. Oldenburg se spécialise de plus en plus dans les objets, en gonflant des hamburgers jusqu’à des dimensions énormes et en exposant des sculptures représentant de la nourriture et des objets usuels. Rosenquist profite de son expérience en tant que peintre publicitaire pour imaginer des visages souriants, des voitures colorées comme bonbons, ou de la vraie publicité.

Le Pop Art, c’était le miroir de la société. Il visait à réfléchir les valeurs sociales et l’environnement où il se trouvait, non pas à les bouleverser ou détruire (à l’époque du Pop Art il n’y avait plus l’atmosphère du massacre de la Seconde Guerre Mondiale et le subséquent refus horrifié pour ce type de société ; la guerre était présente- elle n’avait pas disparu et ne l’aurait jamais fait- mais on la sentait plus lointaine). Et ainsi les artistes pop se concentraient sur les soucis de la plupart des américains : nourriture, voitures, sexe. Ils le font à travers des images fortes et profondément satiriques et, s’ils subissaient des critiques pour cela, pouvaient répondre qu’ils n’avaient fait rien d’autre que de tenir un miroir dans leur main face à la réalité qu’ils

Andrea Mecacci, Introduzione ad Andy Warhol La déclaration de Lichtenstein est contenue dans le catalogue New York Renaissance. Dal Whitney Museum of American Art, Electa, Milano, 2002 14 15

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voyaient de leurs propres yeux (un miroir placé devant la société moderne, un monde entier se préoccupant de la recherche de la satisfaction matérielle, qui l’engageait complètement). Le Pop Art et les artistes pop étaient le miroir fidèle d’une situation de crise, de fétichisme et d’extrême mythisation auxquelles l’Amérique était soumise sans le savoir. Et cela indépendamment des désirs des intellectuels et de ceux qui en voulaient utiliser les œuvres « a priori », car l’art ne peut pas s’empêcher d’être le miroir de la situation éthique et sociale du pays où il se manifeste, mais on ne peut pas l’utiliser et programmer pour cela, ou il risque de perdre toute autonomie expressive et de se réduire à un simple élément de propagande politique.

La sérialisation Le 9 juillet 1962 Andy Warhol expose l’œuvre Campbell’s Soup Cans à la Ferus Gallery de Los Angeles. Il s’agissait d’une série de trente-deux tableaux représentant tous le même sujet : des boîtes de soupe Campbell. La disposition des tableaux ressemblait vaguement, et peut-être intentionnellement, les rayons d’un supermarché : « quand on y songe, les grands magasins sont un peu comme des musées »16. Avec cette œuvre, Warhol représente l’ancien dilemme de mimésis entre la copie et l’original, en montrant d’un seul coup l’industrialisation de l’esthétique et l’esthétisation des produits industriels. Marcel Duchamp commente ainsi l’œuvre : « Lorsque quelqu’un s’avise de mettre cinquante boîtes de soupe Campbell sur une toile, ce n’est pas le point de vue optique qui nous préoccupe.17 Ce qui nous intéresse, c’est le concept qui fait mettre cinquante boîtes de Campbell sur une toile ». Warhol reviendra plusieurs fois sur ce sujet, en créant une série : dans Big campbell’s Soup Can il agrandira la boîte, dans Small Campbell’s Soup Can il la rapetissera, etc. Il réalisera aussi 200 Campbell’s Soup Cans, Big Torn Campbell’s Soup Can, Campbell’s Soup Can with Can Opener. Quelques années plus tard, il fait la même chose avec une bouteille de Coca-Cola, représentée dans les mêmes variantes que la soupe Campbell : il la répète en série un nombre infini de fois pour renforcer son statut iconique et lui faire perdre sa détermination réelle, son contact avec la réalité. La révolutionnaire « Factory » de Andy Warhol aurait pourvu à redéfinir l’art de toute une époque, en jettant une lumière nouvelle sur les idées liées à la production en masse des œuvres, à la célébrité et à l’artiste en tant que personnage publique. La « Factory » de Warhol lançait des lignes de productions de sérigraphies réalisées avec des méthodes industrielles pendant que 16 17

Andy Warhol, America, Harper and Row, New York 1985 Marcel Duchamp, interview pour le Herald Tribune, 1964

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musiciens, acteurs et écrivains flânaient autour des tableaux, souvent enveloppés par une fumée narcotique. La « Factory » produisait les Marylin Monroe et les Elvis (qui sont parmi les œuvres d’art les plus connues du XXème siècle. Une nouvelle virtualité s’accole au triomphe de l’emballage, de la boîte, de la bouteille, du récipient, de la surface que transforme le consommateur en client, auquel l’objet-marchandise est familier : le lien affectif du fan pour la vedette à travers la surexposition de l’image de cette dernière. Dans le Pop Art l’œuvre devient homogène au système-objet, et l’artiste est lui-même un consommateur, un « consommateur déjà consommé » qui intervient encore en créant quelque chose d’esthétique : la sienne est une opération artistique qui passe aussi par la récupération des objets ordinaires. La consommation artistique du Pop Art est invoquée par la diffusion à son intérieur des produits de consommation, et tout est catapulté dans une dimension où tout est déjà arrivé et le présent redevient continuellement passé. Le mythe entraîne la nouveauté du présent dans le passé, tout est déjà arrivé et est déjà consommé dans un recommencement perpétuel. Le temps n’existe plus et la popularité des objets semble être la répétition d’un signe. La citation est la forme Pop de diffusion d’œuvres d’art et de circulation d’objets de consommation qui se rappellent mutuellement (comme le Coca-Cola, aussi célèbre que la Joconde). « La valeur de l’objet de consommation est toute dans le signe de la consommation, et non pas dans sa propre valeur d’usage »18.

Chapitre 2 : Andy Warhol et la « Factory »

A la mort d’Andy Warhol, le 22 février 1987, l’artiste Keith Haring a dit : « Il a été le premier vrai artiste public, dans un sens holiste ; son art et sa vie ont changé le concept de « art et vie » que nous avons au XXème siècle »19.

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Carolina Carriero, Il consumo della Pop Art. Keith Haring, Journal

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Andy Warhol, dont le vrai nom est Andrew Warhola, naît le 6 août 1928 à Pittsburgh chez une famille d’immigrés slovaques. Son père, Ondrej Warhola, travaillait aux États-Unis et sa femme et ses fils le rejoignent en 1921. En 1945 Andy commence à étudier au Carnegie Institute of Technology de Pittsburgh, où il obtient un diplôme en art publicitaire en 1949. Ensuite il s’établit à New York où, au cours des années ’50, il se distingue comme un des illustrateurs et graphiques les plus demandés par la publicité et les magazines. Déjà à partir des premières années sa carrière paraît comme une séquence ininterrompue de succès. Au début des années ’60 il semble qu’Andy s’inspire au monde de la BD, à la publicité et aux produits de l’industrie alimentaire pour réaliser ses œuvres, mais c’est sans aucun doute l’une de ses œuvres les plus connues qui consacre son entrée dans l’univers Pop : le 9 juillet 1962 il présente la série Campbell’s Soup Cans. Il existe beaucoup de mythes autour de Warhol, d’où émerge quand-même la figure d’un artiste ayant besoin du contact humain et toujours en train de chercher quelque chose avec ses yeux, au point qu’il se présentait à presque toutes les fêtes avec son appareil photo au cou et qu’il appelait ce dernier « sa petite amie ». Une « petite amie » avec laquelle il créait des gros plans, des photos sans arrière-plan et des portraits directs et forts des visages les plus connus de son temps (photos qui ont souvent été considérées, erronément peut-être, comme préparatoires à ses tableaux) : John Lennon, Sylvester Stallone, Dennis Hopper, Liza Minnelli, Diana Ross. Et encore les transsexuels de New York et ses autoportraits. Dans sa peinture Warhol incluait rarement la présence humaine, alors qu’il la recherchait continuellement dans sa photographie. Avant lui, beaucoup d’artistes avaient eu des assistants qui ébauchaient les œuvres, préparaient le fond, travaillaient comme manœuvres ou participaient à la réalisation de l’œuvre. 14


Mais dans la « Factory » le groupe croît jusqu’à atteindre les dimensions d’une petite entreprise. On le voyait comme une sorte d’entourage de Warhol, mais il chasse cette idée de sa tête et essaye de la chasser des têtes des autres : « On pensait que j’étais la chose autour de laquelle tous étaient à la Factory… mais c’est l’exact contraire. C’est moi qui était autour de tous les autres. Je payais juste le loyer »20. Même si l’idée de la « Factory » capture l’imagination publique, plus tard Warhol la ramènera à des justes proportions. Pour lui, c’était « le bureau », une société d’art où lui et « les gars » travaillaient. La Factory lui permettait de créer tableaux et films, de publier des contes et des livres de philosophie, de mettre en scène des pièces, de dessiner des couvertures d’albums musicaux, de faire de la publicité à la télé et des vidéos, de travailler avec des mannequins.

La théorie La dimension multimédia caractérisant les intuitions esthétiques de Warhol (peinture, cinéma, livres, magazines, télévision) avait un seul dénominateur commun, c’est-à-dire sa principale source iconique : l’Amérique. Plus que n’importe quel artiste de sa période, Warhol cure la reconnaissabilité en tant qu’interrogatif continu sur l’art et la réalité qui nous entoure : « Est-ce que ce qui nous voyons est seulement réalité ou est-il art aussi ? » se demande-t-il, en bouleversant ainsi le concept classique, comme s’il entendait que « ce qui rend l’art ce qu’il est ne sont pas ses produits, mais ses cadres »21. Au début des années ’60, l’Expressionnisme Abstrait avait désormais perdu sa vigueur. Pour qu’elle soit efficace, la rébellion contre l’orthodoxie aurait donc dû prendre des formes différentes, et elle avait commencé avec des artistes qui représentaient des modèles idéaux pour Warhol : Robert Rauschenberg et Jasper Johns. La première forme d’inspiration extérieure de la nouvelle direction de Warhol est la BD. Les héros des comics ramènent l’artiste à son enfance solitaire, introvertie, et en même temps l’orientent vers l’esthétique froide et détachée qu’il avait vu dans les solutions Dada de Johns et Rauschenberg (le « New Dada », caractérisé par l’utilisation de matériaux modernes et de sujets de l’imaginaire populaire associés de façon absurde). Les personnages des BD choisis par Warhol, dans leur apparente banalité, trahissent la perçante tension psychologique de l’artiste à la recherche d’une identité. Ils sont des héros qui font de la 20 21

P.Hackett, Andy Warhol: Journal Ibidem

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transformation, du passage d’eux-mêmes à un autre leur centre symbolique : Batman, Superman, Popeye, Dick Tracy, qui en plus sont tous des hommes, projections sublimées du désir physique homosexuel.

La massification

La possibilité de reproduire une œuvre à l’infini était déjà à la base du Pop Art, mais il aurait été la « Factory » de Andy Warhol qui aurait imposé définitivement ce changement. Les êtres humains et les objets, surtout les américains, subissent un processus de mythisation, processus qui concerne leur contemporanéité en tous ses aspects. Le pop semblait la seule réalité possible : « Pour cette nouvelle génération, le Pop ne représentait plus un problème ou un choix : c’était la seule chose que nous connaissions »22. Andy Warhol était le seul qui ne montrait pas une attitude de défense envers la critique. Il affirmait : « Ce serait formidable que d’autres gens se mettent à la sérigraphie, pour qu’on ne sache pas si c’est moi qui ait peint le tableau, ou bien quelqu’un d’autre »23. Et quand on lui répondait, en se scandalisant, que de telles opérations auraient renversé toute l’histoire de l’art, il se limitait à acquiescer en disant « C’est vrai ». En élevant les Brillo box et les boîtes de Campbell au rang d’objets uniques, d’icônes, Warhol fait en sorte que toute une classe de nouvelles célébrités puisse se transformer elle-même en icône à travers son art, car les vedettes s’approprient de l’idée que si elles avaient un portrait réalisé par Warhol, leur renommé, parfois fugace et temporaire, se fixerait pour toujours. L’exemple le plus efficace est un tableau intitulé The American Man, le portrait d’un directeur d’assurance, Watson Powell, l’un des premiers clients à commissionner un portrait à Warhol.

22 23

Andy Warhol, Ma philosophie de A à B et vice-versa Ibidem

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« Je peins ainsi », il dit pendant une interview, « parce que je veux être une machine ».24

« Si je peins ainsi c’est parce que je veux être une machine et je pense que tout ce que je fais comme une machine correspond à ce que je veux faire ».

« Ce serait formidable que d’autres gens se mettent à la sérigraphie, pour qu’on ne sache pas si c’est moi qui ait peint le tableau, ou bien quelqu’un d’autre »

Warhol synthétise dans la surface la complexité de l’union entre le sujet et le monde qui étaient ses contemporaines : il commence à passer spasmodiquement d’un moyen artistique à l’autre, à cacher les langages et les identités des sujets. Il est un pionnier de l’usage de la photographie dans le Pop Art et il transforme les images prises de la publicité et du journalisme en ses très célèbres sérigraphies ; ses photos servent donc comme point de départ pour un œuvre d’art à une époque où la photo était considérée seulement comme quelque chose d’éphémère, non vendable et indigne d’attention dans les galeries. L’appareil photographique et la caméra accompagnent Warhol pendant toute sa carrière. Ses photos, en général peu connues, marquent une étape 24

Ibidem

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importante dans l’histoire de la photographie. Il est aussi réalisateur et producteur et il entraîne dans une sorte de jeu tous ceux qui l’entourent et tous les personnages de ce moment culturel avec lesquels il entre en contact. Il utilise les mécanismes et les lois de cette vie culturelle pour atteindre ses objectifs.

L’érotisme

Marylin Monroe meurt, officiellement suicide, le 5 août 1962 : c’est la morte d’un symbole, qui bouleverse le monde d’une façon difficile à comprendre aujourd’hui (et dans un très différent contexte, pour un jeu du destin, la mort de John Fitzgerald Kennedy en fera autant). Les artistes du pop art commencent à élaborer le deuil dans un hommage continu, et ce sera Andy Warhol qui représentera son image la plus fidèle. Warhol se rapproche à l’icône de Marylin en utilisant son pessimisme social : aucun être humain, dans sa philosophie et sa sensibilité, ne pourra jamais connaître un autre être humain ; on ne pourra jamais connaître la Marylin réelle, mais seulement son image et son être un symbole sexuel, dans la même façon dont on connait un produit, c’est-à-dire par son emballage, par sa marque. Au centre de la réflexion il y a l’idée de se tenir constamment loin de soi et de la possibilité de construire le beau à travers la transformation réelle et palpable d’un « je » : le nom, les cheveux, la voix, l’image. On voit les mécanismes de la domination de l’image (la « esthétisation ») dans le monde contemporaine, où les vedettes, les personnages sont des concepts et des images plus que des personnes réelles ; séduisantes, érotiques, on peut les posséder, mais elles restent insaisissables. Entre 1962 et 1964 Warhol réalise trente sérigraphies à partir d’une même image de Marylin : la photo prise par Frank Powolny et utilisée comme photo promotionnelle du film « Niagara ». La « personne Marylin » n’est pas là dans cette photo : elle est pleinement et absolument reconnaissable, mais ce n’est pas elle, c’est l’icône. Warhol se concentre uniquement sur le visage de l’actrice, renvoyant ainsi l’attention non pas sur le corps, mais sur le symbole : ensuite il réduira ultérieurement la représentation de l’actrice à un seul élément, les lèvres (Maryilin Monroe Lips), dont l’important n’était pas la baisabilité mais la « photographiabilité » (« Les gens sont plus faciles à baiser lorsqu’elles ne sont pas maquillées. Les lèvres de Marylin n’étaient pas baisables, mais elles étaient très 18


photographiables »25). L’intérêt, la dimension érotique ne concernait pas seulement le visage de l’actrice, mais surtout son maquillage, et donc la surface du visage. C’est pour cette raison que Warhol utilisera d’innombrables variantes chromatiques qui le transformeront dans un masque aux traits à peine perceptibles en tant que déformés par les couleurs.

Marylin représentera pour Warhol les deux notions principales de son esthétique, fortement liées entre elles : la Beauté et le Masque. « Pour moi Marylin Monroe n’est qu’une personne parmi beaucoup d’autres. Et en ce qui concerne la question si le fait de peindre l’actrice avec des tons de couleur si vifs représente un acte symbolique, je peux seulement répondre que ce qui m’intéressait c’était sa beauté : et Marylin Monroe est belle. Pour un beau sujet il faut enfin des beaux couleurs. C’est tout. L’histoire se comporte plus ou moins de la même façon »26.

25 26

Andy Warhol, Ma philosophie de A à B et vice-versa Honnef, Warhol

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Transgression et destruction

Warhol synthétise la complexité symbiotique du sujet et du monde contemporains dans la notion de « surface ». Ici commence sa vocation spasmodique à passer d’un moyen artistique à l’autre, à camoufler les langages et donc les identités des sujets de ces langages. La surface permet à Warhol d’aborder dans la culture pop et de fonder un sens esthétique commun à toute une décennie, une sorte de no man’s land où l’art récupère une dimension mimétique tout court. Warhol réduit Marylin à un symbole du corps-fétiche, en satisfaisant ainsi le besoin des mythes populaires de la beauté et du succès. Il réduit son corps à signe extérieur, marque, maquillage, yeux et bouche, pas pour autant moins désirables. La bouche entrouverte renvoyant à la séduction du corps-objet et les yeux faisant allusion à une sexualité déjà consommée, ils font allusion à l’acceptation de la disponibilité, de l’offre de soi, alors que Marylin s’offre comme marchandise déjà détruite, puisque l’être une Star comme elle signifie être déjà détruits, réduits à marque, signe. À travers ses peintures, le Pop Art souligne un fait incontestable : on ne pourra plus connaître la Marylin réelle, mais seulement son image. Il n’y aura plus Norma Jean Mortenson, pour personne et pour aucune raison au monde, mais seulement Marylin Monroe. Avec sa reproduction sur toile des photos de Marylin, Warhol a fondé le stéréotype de la Star plutôt que sa splendeur, et c’est justement cela que le spectateur, le consommateur, cherche. Dans ce produit-là le consommateur, le bénéficiaire trouve sa récompense, sa compensation psychologique. L’artiste Andy Warhol a toujours déclaré, jusqu’à l’effronterie, les étroites relations de son art avec le monde des affaires et de l’argent. Dessinateur publicitaire dans sa jeunesse, et ensuite peintre, réalisateur d’avant-garde, découvreur de talents artistiques et promoteur de groupes de rock, photographe transgressif, personnage télévisé, Warhol a été beaucoup plus qu’un artiste, il a été une sorte de « protagoniste de l’art », un créateur d’art à 360 degrés, capable de se mouvoir entre la culture haute et la basse, personnages d’élite et underground, galeristes et réalisateurs de graffiti, publicitaires et disc jockeys. Un personnage qui, quoiqu’on pense de lui, constitue une sorte d’idéal artistique dans la culture contemporaine : c’est dans son œuvre que les liens entre la culture d’avant-garde et la culture de masse, entre les dimensions symbolique et économique de la société, apparaissent plus clairement qu’ailleurs.

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Avant Warhol, l’idée que l’œuvre d’un artiste se traduise presque immédiatement en un événement médiatique, de plus interactif, et en argent, ne rentrait pas dans la conception conventionnelle d’art.

Les symboles

Tant qu’il travaille comme dessinateur publicitaire, bien qu’il soit très apprécié, Warhol est étranger au monde de l’art contemporaine, encore dominé, au début des années ’60, par l’Expressionnisme Abstrait. C’est la rencontre avec Leo Castelli, le plus important galeriste américain de l’époque, qui change son art : Warhol choisit consciemment de réinventer son activité, en devenant un « artiste contemporain ». Naturellement certaines d’entre les œuvres qui l’imposent sur la scène (par exemple les soupes Campbell) sont une citation évidente du monde de la publicité d’où il provenait : c’est le fait d’avoir été exposées en tant que pièces uniques dans les galeries de New York qui en a fait des œuvres d’art, et non pas le contraire. En transférant son travail dans une sphère sociale différente, Warhol choisit de mettre un certain vêtement, il devient un personnage, et ce vêtement en fait encore le représentant principal, ou le plus connu, du pop art. Il y a un lien naturel entre l’artiste et le spectateur et, dans le cas de Warhol, l’existence d’un tel lien contribue sans aucun doute au processus qui le transforme en protagoniste et ensuite en icône de l’époque. Warhol connaissait les mêmes choses que son public, et les mêmes choses qui l’émouvaient émouvaient son public aussi. Warhol dit : « À l’heure actuelle, même si vous êtes un escroc, vous restez une vedette. Vous pouvez écrire des livres, passer à la télé, donner des interviews – vous êtes une célébrité et nul ne vous méprise parce que vous êtes un escroc. Vous êtes quand même au firmament. C’est parce que les gens veulent avant tout des stars »27 . Le spectateur satisfait son propre besoin de se confondre en circulant comme un produit reconnaissable par tout le monde, et en même temps il veut cacher à soi-même le prix de cette circulation. « Il faut au reste s’entendre : le pop art dépersonnalise, mais il ne rende pas anonyme : rien de plus identifiable que Marylin, la chaise électrique, un pneu ou une robe, vus par le pop art ; ils ne sont même que cela : immédiatement et

27

Andy Warhol, Ma philosophie de A à B et vice-versa

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exhaustivement identifiables, nous enseignant par-là que l’identité n’est pas la personne : le monde futur risque d’être un monde d’identités (par la généralisation mécanique des fichiers de police), mais non de personnes. »28

Warhol, avec la lucidité qu’il pouvait avoir quand il ôtait sa perruque (son masque), met fin à la conviction qu’un art étranger à l’argent et au commerce soit un indice infaillible pour reconnaître l’art supérieur : « L’art non commercial nous a donné La Grande Jatte de Seurat et les sonnets de Shakespeare, mais aussi de nombreuses autres choses que leur ésotérisme a rendues impénétrables. D’ailleurs, l’art commercial a été souvent vulgaire et prétentieux jusqu’à saturation (il s’agit des deux côtés de la médaille), mais on lui doit aussi les gravures de Dürer ou les pièces de Shakespeare »29. Warhol a été pour l’art le passeur d’une époque à l’autre.

Chapitre 3. La seconde « Factory » et la « Second Generation » (le « Néo-Pop »)

Le Pop Art ne termine pas dans les années ’60 : aux années ’80 il y a un nouvel intérêt pour Andy Warhol et ses contemporains : on entre dans la Seconde Génération. Il ne s’agissait pas d’un nouveau mouvement artistique, mais il consistait (et consiste toujours) à une forme revisitée du Pop Art des prédécesseurs, définie aussi « Néo-Pop », une renaissance d’œuvres inspirées par de nouveaux objets reconnaissables et des célébrités de la culture populaire, avec des icônes et des symboles de la contemporanéité non plus des années ’60, mais de notre monde quotidien.

Art et personnages

De toute façon, quand on parle de Néo Pop on fait référence, plus qu’à un mouvement artistique, à une manière utile de cataloguer ces nouveaux artistes, qui s’inspirent aussi du minimalisme, de l’art conceptuel, du photoréalisme, des installations et du Performance Art. Le mouvement pop originaire représente une rupture et le commencement d’une époque nouvelle,

28 29

Roland Barthes, L’obvie et l’obtus Erwin Panofsky, Still und medium im Film & Die ideologischen Vorlaufer, Francfort, 1999 (1ère edition en 1936)

22


d’avant-garde, tandis que le Néo Pop Art n’est pas un nouveau style mais une évolution, parfois dramatique et controversée, de la génération précédente. Dans les premières années du Néo Pop Art les sujets sont souvent pris du monde animal, notamment dans les œuvres de Jeff Koons, Keith Haring et Damien Hirst : l’obsession de la représentation (voire de l’usage) des animaux dans leurs œuvres émerge dans les chiens de Haring, dans les lapins et chiens gonflables de Koons ou dans les dissections en formol de Hirst. Une autre caractéristique de la seconde génération pop est l’évaluation psychologique souvent enfermée dans l’œuvre réalisée, tant à travers la reconnaissance des intentions (comme dans l’énorme « Chiot » de Koons), qu’à travers le choix de sujets qui troublent le spectateur jouissant de l’œuvre, comme il est le cas avec Hirst (où l’artiste proclame explicitement son intention en utilisant des titres pessimistes et des sujets souvent dégoûtants) : l’ancien Pop Art n’était pas si provocant (bien que Warhol ait exploré ce territoire-là dans ses œuvres Death and Disaster- Mort et Désastre, 1962-1963).

Né en 1958, Keith Haring est lui aussi considéré un artiste pop, même si ses travaux n’apparaissent qu’entre la fin des années ’70 et le début des années ’80. Ses peintures murales puisent énergiquement dans le legs de ses prédécesseurs, dans leur révolution, et la platitude typique de ses œuvres, souvent semblables aux cartoons, est souvent remplie de messages sociaux et politiques, qui ouvrent la voie (et la rue) à une nouvelle forme d’expression populaire : le Street Art, fait par des « soldats », jeunes artistes qui commencent à peindre sur les murs des rues, pour lesquels être dans la rue est une bataille que cependant ils combattent volontiers. Ils étaient des soldats qui avaient appris des pionniers et des premiers, devenus leurs maîtres, et qui combinaient le Pop Art avec les idées contenues dans les Graffiti pour essayer d’accumuler une force idéologique suffisante à travers la répétition d’images chargées d’un message social. Le but était d’interagir avec le monde, et avoir une place dans les galeries était quelque chose dont on pouvait seulement rêver.

« Qu’est-ce qu’il y a encore à dire ? »

Le Néo Pop Art s’évolue en étendant encore plus l’idée de « ready made » comme base pour créer le produit final, et en puisant à pleines mains dans les icônes culturelles contemporaines (Michael Jackson, Madonna, Britney Spears, Paris Hilton…). L’usage que les artistes néo pop font des médias et de recherche d’inspiration et influence, mais aussi de promotion de leur travail. 23


Le Néo Pop Art tend à critiquer la culture occidentale et à mettre en discussion ses valeurs, relations et interactions, en se moquant des célébrités et en embrassant ouvertement des idées qui sont souvent controversées et provocantes.

Pour la première fois, avec le Pop Art, la culture populaire (les films, la télévision, les BD, la publicité) avait été non seulement un sujet de l’œuvre d’art, mais aussi son esthétique elle-même, recherchée par les artistes ; après l’année 2000, avec la seconde génération, le Néo Pop Art semble, en certains cas, avoir évolué avec des tons typiquement sinistres qui critiquent âprement notre façon de vivre et font pression sur nos peurs et obsessions.

Chapitre 4 : Steve Kaufman

Né dans le South Bronx

« Salut, je m’appelle Steve Kaufman. J’ai grandi dans le South Bronx. Je faisais du Graffiti Art. J’ai été arrêté quand j’avais quinze ans, et le juge m’a condamné à nettoyer neuf wagons du métro… »30 « Steve était un homme très grand, il mesurait deux mètres à peu près et avait un corps robuste. Il n’était pas aussi fort intérieurement qu’il semblait à l’extérieur : parfois il aimait jouer le rôle de géant inspirant du respecte mais il était un homme doux, extrêmement généreux, qui portait toujours avec soi une partie de l’enfant qu’il avait été. Son accent était terrible, fortement influencé par les parlers du Bronx et de Brooklyn. Il parlait de façon familière et il n’accordait trop d’attention aux manières. Il n’a jamais changé - il n’a jamais essayé de changer e il n’a jamais

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Steve Kaufman, Coffee Table Book

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voulu changer. Il n’a jamais cherché à être ou à apparaître différent de ce qu’il était. Et il pensait toujours hors des sentiers battus. Je l’ai rencontré en 2000, et j’ai continué à travailler en étroit contact avec lui jusqu’à 2010, l’année de sa mort. »31

1960 – Steve Alan Kaufman nait en 1960 à New York, dans le quartier du Bronx. Même avec l’amour de sa famille, son enfance sera difficile à cause des conditions économico-sociaux dans lesquelles il vit. Il maintiendra toujours une bonne mais extrêmement discrète relation avec sa famille. Steve Kaufman a été une sorte de « fils de l’art », car plusieurs membres de sa famille étaient des passionnés d’art, fût-il art figuratif (sa mère), sculpture (son oncle) ou musique. « On me dit qu’être un artiste signifiait changer constamment, donc j’ai essayé… j’ai expérimenté toutes les formes d’art avec lesquelles je suis entré en contact et aujourd’hui je travaille avec quinze styles différents. On devrait toujours concevoir l’art comme un changement continu ; beaucoup d’artistes travaillent avec une seule méthode et à travers un seul moyen pendant toute leur carrière, mais je ne voudrais jamais m’ennuyer ainsi. On m’a enseigné que la toile n’est pas le seul support où on peut peindre. »32

1968 – Avec le soutien d’une communauté juive du Bronx et du temple, Steve Kaufman réalise des peintures sur l’Holocauste, peintures qui seront ensuite données au Museum of Jewish Heritage de Brooklyn. « J’avais vingt-trois ou vingt-quatre ans… je crois que Steve en avait huit, la première fois que je le rencontrai, probablement. J’avais donné ma disponibilité à passer du temps avec lui tous les deux fins de semaine pour deux ans 33. J’allais jusqu’au Bronx ; il habitait dans un tout petit appartement à Riverdale. Un très joli lieu. Je prenais le métro jusqu’à la 231 ème, je montais sur cette incroyable colline -je me souviens de Johnson Avenue- jusqu’à sa maison et je voyais sa mère, sa sœur, son frère et lui. Après, moi et lui partions tout seuls. Si je ferme les yeux, c’est comme si j’étais là encore une fois. Si je repense à cela – et beaucoup d’années sont passées- je

Diana Vachier, présidente de Steve Kaufman Art Licensing, LLC et American Pop Art, Inc; V. 32 33 Dans le cadre du programme américain de bénévolat et assistance « Big Brothers Big Sisters » (dont l’objectif était de donner une figure adulte de référence aux enfants qui avaient perdu un parent, www.bbbs.org) 31 32

25


me demande où sa mère et sa sœur dormaient. Sur un divan, je crois, ou bien il y avait une autre pièce dont je ne m’étais pas aperçu. Steve et son frère partageaient une petite chambre à coucher. Ils étaient des garçons très grands les deux, même s’ils étaient petits. »34

1972- à douze ans, il travaille pour Macy’s, la grande chaine de magasins américaine, pour laquelle il peint des chiens et des chats sur les Pet Rocks.35

Les Graffiti 1975 – Il participe à une exposition collective de Graffiti Art au Whitney Museum of American Art de New York. Le Graffiti Art est la première forme d’art à travers laquelle il s’exprime concrètement ; il n’a que quinze ans.

« J’ai été arrêté quand j’avais quinze ans, et le juge m’a condamné à nettoyer neuf wagons du métro… on nous a amené, enchainés et en menottes, dans une galerie où un vieil homme nous criait de construire des cadres en bois pour son artiste. Ben, à partir de ce jour-là, j’ai compris ce que l’art était. C’est-à-dire, je créais déjà de l’art mais je ne m’en étais pas aperçu. »36

Robert « Bob » Michelson, interview inédite réalisée en collaboration avec « American Pop Art ». Bob Michelson, le « grand frère », a été, avec Bob Womack (ami et assistant de Kaufman et artiste lui-même) la personne plus proche de Steve Kaufman hors de sa famille. 35 Objet de consommation pareil au Pop lancé par Gary Dahl en 1970 ; il a eu un grand succès et il a récemment été reproposé 36 Steve Kaufman, Coffee Table Book 34

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Dans l’atelier d’Andy Warhol 1978-1981 – il s’inscrit à la School of Visual Arts à New York (SVA). Ici, il connait Andy Warhol et il devient son assistant officiel à la Factory ; Warhol lui donne le surnom de SAK, qu’il utilisera ensuite comme signature. Il organise événements à thème dans les boîtes les plus populaires de New York, telles que Studio 54 et The Mudd Club ; il vend ses œuvres à d’importants noms de la mode comme Calvin Klein et Steve Rubell. À la School of Visual Arts il rencontre Keith Haring aussi, avec qui il participe ensuite à une exposition au Club 57 ; les deux deviennent amis et dans cette période-là il se fréquentent souvent et partagent beaucoup d’opinions.37

Steve Kaufman, Van Gogh et Andy.

“J’avais fait ma première exposition à huit ans, mais je ne savais pas ce que l’art était. Je le faisais tout simplement pour gagner les cent dollars. Je suis fini à travailler pour un mec qui s’appelait Andy Warhol. Je lui ai dit : « M. Warhol ». Et lui m’a répondu « Oh, ‘M. Warhol ‘. Tu as découvert qui je suis, enfin ? ». Je lui ai dit : « Oui, je l’ai découvert. Désolé de vous avoir causé autant de chagrin »38

37 38

Des interviews avec Diana Vachier et Robert « Bob » Michelson Steve Kaufman, Coffee Table Book

27


« Je savais qu’il avait travaillé pour Andy Warhol : il préparait le matériel pour les sérigraphies de Warhol et les préparait pour l’impression. Il était très rapide et habile, et Andy l’appréciait beaucoup, justement pour la rapidité avec laquelle il réussissait à couper et monter le matériau (…) Steve m’a dit qu’au début il n’avait pas bien compris qui Andy était : Steve était très jeun, il avait dix-sept ou dix-huit ans, et à cette époque Andy n’était pas très connu. Ensuite, les choses ont changé ; il a été une grande expérience pour Steve, il a appris beaucoup sur la technique sérigraphique. Il a travaillé avec Warhol pendant eux ans ou peu plus et il a toujours été très fier de cette période-là et d’avoir travaillé côte à côte avec Warhol. Beaucoup plus tard, après la mort de Andy, la société Warhol a mis en doute que Steve Kaufman ait été vraiment l’assistent de Andy, mais Steve l’a prouvé : de nombreuses personnes pouvaient le témoigner et il existe un document officiel qui le confirme. »39

1982 – Il réalise le style graphique de l’émission télévisée Saturday Night Live, transmise par NBC et il passe sa licence à la School of Visual Arts, obtenant ainsi le Baccalauréat en beaux-arts (BFA). Il organise des expositions à l’Air Gallery de Londres, aussi bien que les étalages de White Freud et Fiorucci à New York, en suivant le chemin d’autres maîtres (comme Dalí).

1983-1985 – Il est arrêté avec d’autres manifestants contre l’AIDS à cause d’une protestation contre l’alors maire de New York Ed Koch. Il organise l’exposition Sex, Rock&Roll à la Off-Centre Gallery de Londres.

1986-1988- Il ouvre le SAK Studio ; il organise une campagne de sensibilisation à l’AIDS. Parmi les évènements liés à cette initiative, il y a les expositions Condom Art qui se déroulent au Main Fine Art de Glasgow, à l’Edinburgh College of Art et à la Smith Gallery de Sacramento.

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Interview à Bob Womack

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« Il ne se sentait point exclus de la communauté des autres artistes parce qu’il n’avait pas fréquenté une école spécifique ; il n’y pensait pas, il n’avait jamais ce genre de doutes. Son amitié avec Keith Haring avait été importante, mais il n’en parlait pas beaucoup. Steve était irrésistible dans sa gaieté, mais il était très discret par rapport à ses choses personnelles. Il était une personne très simple, en rien prétentieuse : il était le genre d’homme qui aimait vêtir le même type de t-shirt blanche chaque jour, qui souriait toujours ouvertement et avec une chaleur très prenante. Je ne sais pas ce qui se serait passé s’il s’était installé en Europe, peut-être pour essayer de promouvoir son art à travers les musées français ou allemands. Sans doute on ne l’aurait pas compris. On aurait aimé l’homme (c’était impossible de ne pas être séduits par lui), mais peut-être ne l’aurait-on pas pris au sérieux ; on l’aurait considéré trop excentrique, on n’aurait certainement pas mis en doute sa valeur artistique, mais en le regardant toujours de façon un peu bizarre. C’est ce que je pense. »40

1989-1990- Il emploie dans son atelier des clochards de New York, en poursuivant l’engagement social grâce auquel il s’était distingué depuis le début. Il réalise les portraits de trois clochards, qui sont exposés dans les espaces publicitaires des autobus en plus de quarante villes américaines. Il achève les portraits incomplets de Andy Warhol pour des clients. Il peint le premier murales Racial Harmony (Harmonie raciale) à Harlem pour sensibiliser l’opinion publique. Il organise une exposition à la White Gallery, où toutes les œuvres sont couvertes par une toile noire pour commémorer les victimes de l’AIDS. Il organise également une exposition à la Loft Gallery de Tokyo.

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Diana Vachier

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Steve Kaufman, Double Crying Girl gets married

1991-1992- En se servant de quatre wagons inutilisés du métro de New York, des parois et des murs extérieurs de bâtiments abandonnés, il réalise à New York cinquante-cinq murales Racial Harmony avec des images de Malcolm X. Il est invité par plusieurs chaînes radio, parmi lesquelles Fox Tv et Mtv ; il reçoit le prix Undeground Artist of the Year. Il institue l’AIDS Memorial à New York. Il collabore avec de nombreux personnages très connus dans le milieu télévisé, musical et cinématographique, comme Eddie Murphy et Larry Mullen des U2. 1993-1994- Steve Kaufman déplace l’Art Studio à Los Angeles et inaugure le style Comic Book Pop Art, dont les icônes sont les dessins des super-héros tels que Superman, Batman et Spiderman. Il emploie dans son atelier plus de cent garçons qui faisaient partie des gangs de Los Angeles. Il soutiendra un grand 30


nombre d’organisations de bénévolat et il recevra ensuite un prix du maire de Los Angeles Richard Riordan.

L’engagement social « Je me suis déplacé à Los Angeles il y a quinze ans41. Et lorsque je suis arrivé, j’ai remarqué la lumière du soleil et tout le reste. Et dans cette période-là nous employions des gars de South Central, East Los Angeles, peu importe. Ils avaient du caractère et moi aussi j’avais du caractère, et ils se sont rendus compte que j’allais pas les embêter. Après ça, ils se sont détendus. C’est presque le terminus pour ces gars. Ils sont entrés et sortis de prison une ou deux fois. Et alors quand les agents de probation, ou leurs mères ou n’importe qui les laissent ici ou quand leurs cousins les amènent, c’est réellement le terminus. Ici j’ai certains gars qui personne n’emploierait jamais. Et la vérité est que c’est justement pour ça que je les emploie. […] J’ai l’opportunité de peindre. […] Donnez, et il vous sera donné. Je veux dire, c’est un peu ce que nous faisons avec les gars. On les reçoit, ils font un peu de scène. Ils te mettent à l’épreuve. Tu les mets au travail. Et ça c’est le but de tout : donner, tout simplement. Etre là et donner. Ce qui nous voulons faire c’est d’installer des établissements à Las Vegas et Chicago, exactement comme nous faisons ici, où nous employons les gars et les mettons au travail. Si je meurs demain, je suis certainement béni. Le but est seulement ça, rendre. »42

« Nous avions beaucoup des garçons dans notre atelier de North Hollywood : des garçons difficiles, et même des garçons de rue qui n’avaient pas de maison ou de famille. Steve se souciait toujours d’eux : nous avions un panier de basket dans

41 42

En 1993-1994 Steve Kaufman, Coffee Table Book

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la cour, il mettait des affiches dans la rue : « Si tu vas à l’école, tu joues au basket » et choses comme ça, pour leur donner envie d’étudier et de venir chez nous s’ils n’avaient pas de famille. Les garçons l’aimaient beaucoup. »43

Pendant toute sa carrière et sa vie artistique, Steve Kaufman s’est engagé dans des activités sociales : de la réalisation d’œuvres de dénonciation (par exemple la Condom Art pour sensibiliser à l’AIDS, ou les campagnes en faveur de la tolérance raciale, ou encore l’œuvre consacrée à l’11 Septembre), à l’intervention directe pour aider des garçons, souvent très jeunes, ayant été en prison et ayant des difficultés de réinsertion. Lors des expositions et des manifestations artistiques, il ne manquait pas de manifester spontanément sa générosité.

« Je me rappelle qu’une fois nous nous étions mis d’accord pour la vente d’une de ses vestes peintes à la main ; c’était une des formes d’art qu’il promouvait, une forme expressive qu’il aimait et qu’il utilisait aussi pour se promouvoir luimême (imaginez un gaillard de deux mètres qui se promène à une foire d’art avec une veste blanche complètement décorée avec des éléments pop !). J’avais trouvé un bon client pour cette veste, et j’avais appelé Steve pour les détails concernant la vente, comme prévu ; il me répondit : « Tu vas me tuer, mais je n’ai plus cette veste-là. Je l’ai donné à un petit garçon. Il ne me l’a pas demandé… mais il l’aimait beaucoup ». Steve avait participé à un évènement de charité pour des garçons avec des difficultés physiques, il s’était aperçu du désir de cet enfant et il lui avait donné la veste. Steve était comme ça : il te demandait toujours si tu allais bien, si tu avais de l’argent ou si tu avais besoin de quelque chose. »44

43 44

Interview à Bob Womack Diana Vachier

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Steve Kaufman a créé et a maintenu toujours en vie « Give Kids a Break », une fondation visant à soustraire à la rue ou à la prison des garçons sans assistance en leur donnant un travail dans l’atelier artistique. La tâche des garçons était de préparer les cadres, les toiles et les couleurs : ils étaient les « tout jeunes assistants » de Kaufman. En quinze ans, « Give Kids a Break » a donné de l’assistance à plus de mille garçons.

Adieu à New York : le succès, les portraits et le monde d’Hollywood 1995- Il réalise des œuvres pour la Martin Lawrence Limited Editions : il s’agit de tableaux en édition limitée qui donnent un nouveau sens aux décorations faites à la main (Hand Embellishment) qu’il avait développé précédemment. Il peint des éditions limitées de Beethoven et Marylin Monroe. Il portrait Muhammad Ali et John Travolta, et il travaille avec Stan Lee45.

Scénariste et éditeur de BD, producteur cinématographique et télévisé américain. Il a été le président de la maison d’édition de comics Marvel. 45

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1996- Steve Kaufman contacte la famille Sinatra pour réaliser un portrait de Frank Sinatra. La Campbell lui demande de réaliser une édition limitée pour célébrer le centième anniversaire de la Campbell’s Soup, rendue immortelle par Andy Warhol. Il peint le visage de Muhammad Ali sur cinq cents gants de boxe, en confirmant que l’art n’est pas forcement réalisé sur toile. Il peint un autre portrait de Ali lors des Jeux Olympiques d’Atlanta de 1996, portrait que Ali signera pour la première fois tant avec son nom musulman, Muhammad Ali, qu’avec son nom de naissance, Cassius Clay, en signe de réconciliation et d’appartenance à deux cultures.46

Jimi Hendrix, Collage « J’ai peint des tableaux de Picasso, Superman et Batman. Aujourd’hui je peins le rock and roll (Jimi Hendrix, John Lennon) et je mets mon art même sur des divans, voire sur des guitares électriques [...]. A douze ans je travaillais pour Macy’s peignant sur les Pet Rocks. Imaginez-moi à douze ans, les gens m’apportant des photos de leurs chiots ou chiens, et je dessinais leur chien ou leur chat sur le pet rock. Je veux dire, quand j’étais garçon, j’allais dans les magasins de fournitures automobiles, je prenais les parebrises cassés et je dessinais le visage de mes amis comme s’ils les avaient heurtés. Ou je peignais sur la poubelle. Ou sur les troncs des arbres. M première exposition a été réalisée sur des troncs. C’est mon oncle qui m’a aidé réellement. Je semblais un génie, j’avais huit ans et je disais que j’avais peint l’Holocauste sur ce cercle qui représentait l’année de l’Holocauste et j’expliquais tout ça à un adulte. Je semblais un génie, mais en fait je n’avais aucune idée de ce dont je parlais. J’avais huit ans […] »47

Il faut se rappeler que Ali, un personnage passé à l’histoire du sport comme le meilleur boxeur vivant dans la catégorie des Poids Lourds, avait refusé de s’enrôler dans l’armée des États Unis pour des raisons religieuses, et il avait été arrêté pour avoir déclaré qu’il serait parti en guerre si Allah lui avait demandé de le faire : ses positions comme objecteur de conscience l’ont transformé en une icône de la contre-culture de sa génération. 47 En Coffee Table Book, p. 18 46

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1996- Kaufman rend hommage à Beethoven et Mozart, en créant des peintures faites à la main, en édition limitée, avec la technique de l’huile sur toile. Un de ces tableaux, Mozart, est exposée au musée Reiss-Engelhorn, à Mannheim en Allemagne ; une autre version de Mozart, State II 1997, fait partie de la collection permanente de la Mozart Wohnhaus à Salzbourg, en Autriche.

« Et pourquoi pas ? J’ai grandi dans le South Bronx sans rien avoir. Je suis encore cet enfant-là. J’ai connu Picasso quand j’étais très jeune, à onze ans peut-être. Il draguait ma mère à l’époque […]. Quand je suis allé au Musée Van Gogh en Europe, je peignais comme Van Gogh. Il y a un restaurant, à Amsterdam- un lieu très bizarre, où on peint les murs de blanc tous les deux jours. Les artistes y vont et se défient pour voir qui peint la peinture la plus extravagante. Et si tu es le meilleur artiste, ton repas est offert. Chaque fois que j’y vais on me dit : « Oh, l’américain est revenu ». Et je peins Marylin Monroe ou Albert Einstein. Et même pas avec les couleurs, mais avec la nourriture. Je frotte les murs avec la nourriture. Et ça fait flipper les gens. Et je n’ai jamais dû payer un repas là-bas. »48

2000- Steve Kaufman est subitement touché par une crise cardiaque. Aussitôt repris, il recommence à travailler à plein régime, presque ignorant l’accident, et il réalise de nombreuses œuvres : des portraits des Rat Pack et de Sinatra, d’Al Pacino dans le rôle du Parrain et de Scarface, de Howard Stern, Barbie, et deux nouvelles versions de Marylin Monroe.49 Il publie des nouvelles éditions de Van Gogh et Picasso réalisées avec un nouveau style : elles sont entièrement réalisées à la main.

Ibidem Icônes et icônes : le tableau de Marylin Monroe nue qu’il avait réalisé pour Hugh Hefner (le magnat de « Playboy ») et qu’il avait signé. L’émission télévisée américaine « The Girls Next Door » présentait la « Playboy Mansion », la maison de Hefner, où 76 œuvres de Kaufman étaient exposées, qu’Hefner avait choisies pour les couleurs et pour l’énergie et la joie qu’elles portaient dans sa maison. 48 49

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Steve Kaufman, Marilyn Monroe

2001- Kaufman peut être comparée à peu d’artistes en ce qui concerne le nombre de styles utilisés : en 2001 il crée des œuvres en utilisant son quatorzième et quinzième style, respectivement le Portrait Collage et le Museum Art. Le Portrait Collage consiste à ajouter un collage d’images au portrait principal, et il est exalté dans les portraits des Rat Pack, Hollywood Marylin, Van Gogh et Jackie Kennedy. Le Museum Art comprend une œuvre commémorant le 11 Septembre, un hommage aux

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héros des attaques au World Trade Center. Il réalise aussi une série des peintures de 6x153 mètres célébrant le trente-cinquième anniversaire du Caesar’s Palace de Las Vegas.50 « Jusqu’à il y a peu de temps, ces « âges » [de l’architecture] étaient considérés comme le comble du kitsch, mais maintenant ils sont devenus histoire. On peut voir les collections de fétiches et « souvenirs » dans les auberges-casinos, comme la série de murale réalisés par Steve Kaufman qui décorent l’intérieur du Caesar’s Palace »51.

2002- Il donne le portrait de la princesse Diana à l’Elton John AIDS Foundation. Il lance aussi un nouveau projet : il place ses peintures des icônes dans des lieux publiques de tous les États-Unis afin que tous puissent les admirer. Parmi ces œuvres il y a un portrait de Muhammad Ali, un de Sinatra à la Hofstra University, un de Marylin Monroe à la Foundation Fighting Blindness de Columbia (Maryland).

« Il y a trois ans j’ai eu une crise cardiaque […] Vous savez quoi ? Chaque jour on se réveille, on s’assoit et on pense « c’est une bonne journée ». […] Je m’amuse beaucoup. Je veux dire, on ne va pas là à dire « Ok, cela se vend, j’en ferai dix autres ». Cela ne m’intéresse pas. […] Je capture des icônes. Je peins les personnes […]. J’ai réalisé des peintures de l’11 septembre. Et j’y ai mis tous

Les œuvres sont exposées à l’intérieur du Caesar’s Palace, le célèbre casino de Las Vegas, afin que tout le monde puisse les voir. Kaufman ne se limite pas à l’art sur toile or sur panneau : il réalise aussi une guitare Fender de trois mètres de hauteur pour la Rock and Roll Hall of Fame de Cleveland. 51 Giovanna Franci 50

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les noms de ceux qui sont morts dans les attentats. Il ne s’agit pas toujours de faire quelque chose de populaire. Il s’agit de faire quelque chose qui vient du cœur. […] Un quitteur ne gagne jamais, et un gagneur ne quitte jamais. »52

2003- Après l’Art Expo de New York Steve

Kaufman est frappé par un grave ictus ; encore une

fois,

aussitôt qu’il se reprend, il organise une nouvelle exposition à Las Vegas, reçue par Robin Leach, et il

reçoit

les honneurs du maire Oscar Goodman qui le 21 mai

2003

déclare le Steve Kaufman Day. Il rencontre l’ancien président américain Bill Clinton lors d’une fête pour les artistes dont les œuvres font partie de la collection exposée dans le bureau personnel du président. 2004 – il réalise et présente le portrait de Bill Clinton. Il affecte de nombreuses œuvres à la bienfaisance, et il donne la recette des ventes à la fondation qu’il avait créée lui-même, Give Kids a Break. À cause de ses problèmes de santé qui s’empirent toujours, Kaufman est forcé à réduire son travail et les expositions en programme.

52En

Coffee Table Book

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2005- il crée Uniques, une série d’originaux de ses icônes préférées : Marylin, les Rat Pack, Frank Sinatra, les Beatles, Einstein etc. Le Pape Jean Paul II accepte un portrait, qu’il accroche dans son bureau au Vatican. Il peint aussi des tableaux en édition limitée pour collecter des fonds pour les victimes de l’ouragan Katrina. Il réalise également des peintures de grosse taille de la Mercedes SLR McLaren pour célébrer le centième anniversaire de la Mercedes Benz. « J’ai créé des uniques, des images spéciales de mes icônes préférées, de Marylin à Frank Sinatra aux Beatles à Las Vegas, etc. Je n’aime jamais créer un original en utilisant la même image et en variant simplement la dimension. Au contraire, j’essaie de combiner le plus possible mes différents styles pour créer une image qui soit un véritable original. Au fil des années, j’ai beaucoup travaillé pour me distinguer et pour créer des choses qui soient différentes : j’ai peint sur des gants de boxe, j’ai peint des motos à la main, j’ai peint sur des portes en bois, […] sur les murs des bureaux, […] sur des boîtes à cigares, […] sur des voitures, sur des vestes. »

2006- Une amélioration dans son état de santé permet à Kaufman d’augmenter de façon exponentielle le nombre de ses expositions à New York, Las Vegas et Washington. Il donne les

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Mini-Heart Paintings à tous les enfants participant à ses expositions et des gravures encadrées à tous ceux qui achètent une œuvre.

2007- Steve Kaufman continue avec son programme d’expositions à New York, Washington, Denver, Maui, Toronto et en Europe. Il crée une série de « uniques », peintures originales qui représentent la Red Bull, un hommage à la boisson énergétique la plus populaire au monde. « Nous voyageons beaucoup ensemble. Angleterre, Ecosse, Japon, Suisse, Amsterdam, Allemagne. Steve avait aussi été à Paris, en Irlande, au Canada. Toujours pour des expositions, jamais pour son plaisir personnel, juste pour les expositions. En ce qui concerne le Japon, je l’ai accompagné là-bas seulement une fois, mais il y est allé au moins cinq ou six fois. […] Les gens me voient comme l’ami de longue date de Steve, le meilleur ami depuis toujours pendant toutes les années que nous avons passéés ensemble. Nous n’avons jamais été séparés par le travail ou l’un de l’autre. Nous travaillions ensemble, nous voyagions ensemble. […] toujours au travail, Steve et moi. »53

2008- Toutes les œuvres de Steve Kaufman sont exposées à la huitième Annual Exhibition à la Centaur Art Gallery de Las Vegas, avec celles de Neiman, Rockwell, Picasso, Chagall et Dalí. La Las Vegas Convention and Visitors Authority organise une de ses expositions. Toujours à Las Vegas, pendant une cérémonie pour le 4 juillet, le Jour de l’Indépendance, Kaufman présente pour la première fois ses œuvres sur des verres colorés pour les nouvelles campagnes publicitaires du Coca-cola et de l’Apple iPod.

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Bob Womack

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2009- Il donne plusieurs peintures du Coca Cola à la Pop Culture Gallery au The World of Coca Cola, à Atlante, en Géorgie. Il participe à une exposition de six jours à la Galerie de Stanfiel After Hours pendant le Sundance Film Festival, où les enfants l’aident à peindre le sol de la galerie avec un sujet pop art ; l’événement est filmé par une production cinématographique indépendante pour le Sundance Film Festival 2010. Il organise également une exposition pour la galerie d’art de Tyson Corner, en Virginie. Lors des Academy Awards, Kaufman réalise une série de peintures inspirées par les films L’Etrange Histoire de Benjamin Button, Frost/Nixon- L’heure de verité, Harvey Milk, The Reader et Slumdog Millionaire.

« Steve signait toujours à l’arrière de ses peintures. Je ne sais pas pourquoi, je sais seulement qu’il m’a dit : « Ce qu’on veut voir, c’est l’art, non la signature de l’artiste ». Il signait SAK, qui étaient les initiales de son nom (Steve Alan Kaufman) mais aussi le surnom que lui avait donné Andy Warhol. Parfois il signait deux fois, parce que les gens voulaient le voir signer en vrai. »54

2010- Le 12 février Steve Kaufman est frappé par une crise cardiaque mortelle à Vail, en Colorado, alors qu’il se prépare, encore une fois, pour une exposition. Depuis longtemps ses conditions ne lui permettaient de travailler tout seul, cependant, incapable de s’arrêter, il continuait à essayer de le faire, à lutter, à rire, à affronter la vie et à créer. Il ne s’en va pas en silence et presque par hasard, comme Warhol, mais consciemment et en laissant écrit : « C’est ce pour que je vive, j’ai eu une belle vie, donc je vous prie de ne pas pleurer pour moi. J’ai eu la vie de cent hommes. »55

54 55

Bob Womack Testament de Steve Kaufman

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Après sa mort, l’art de Steve Kaufman est présenté dans une historique exposition en mai 2012, « Writing as an Image, Writing within an Image » à l’Andy Warhol Museum of Modern Art dans le Nord-Est de la Slovaquie, dans la ville natale de Warhol. Son art est aussi inclus dans « This is POP ART ! », une grande exposition de quatre-vingt-dix œuvres d’artistes pop du monde entier organisée au « Museum of Passion » de Valladolid, en Espagne. En 2013, l’art de Steve Kaufman est présent aussi en « Pure Pop Art », une exposition de grandes œuvres d’artistes mondialement connus tels qu’Andy Warhol, Roy Liechtenstein et Robert Indiana au Centre Culturel Marcos Valcárcel à Ourense, en Galice, Espagne.

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En juillet 2014, le tableau de Kaufman Mozart State II, un portrait de Wolfgang Amadeus Mozart peint en 1997, est accueilli dans la collection permanente de l’Internationale Stiftung Mozarteum, le musée officiel de Mozart installée dans sa résidence à Salzbourg en Autriche. Steve Kaufman a été le premier artiste américain à avoir obtenu cette reconnaissance. Dans la ville de Trieste, en Italie, une peinture de Steve Kaufman, « Rat Pack » est exposée en 2013 dans le foyer du théâtre Politeama Rossetti lors du début du spectacle musical « Christmas with the Rat Pack Live from Las Vegas ». L’année suivante la mairie de Trieste, en collaboration avec American Pop Art Inc. (qui détient les droits de l’artiste depuis sa mort), présente l’exposition « Pop Art in Trieste : Steve Kaufman, the former assistant to Andy Warhol » dans la Sala Veruda de Palazzo Costanzi. Trente œuvres provenant d’importantes collections constituent l’exposition, introduite par le critique d’art italien Vittorio Sgarbi. Au mois de novembre de la même année on présente « Icons of Pop Art, Then and Now », une exposition de voitures sportives d’époque avec de prestigieuses œuvres de Steve Kaufman et d’autres artistes pop dans la maison musée Enzo Ferrari à Modène (Kaufman avait peint une série consacrée aux Ferrari en 2006) ; l’évènement est introduit et commenté par le critique italo-français Philippe Daverio.

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En mai 2014 un des « uniques » de Kaufman, Barbie 1997, est inséré en « Barbie Around the World », une exposition consacrée à la poupée la plus célèbre au monde qui se déroule à la Barbara Frigerio Contemporary Art de Milan. En été, quinze peintures originales de Steve Kaufman consacrées aux icônes de la musique sont exposées dans la Maison de Musique de la ville italienne de Grado lors de la manifestation « Icons of Music : Then And Now »

Warhol then and Now exposé au Museo Casa Enzo Ferrari

Les citations d’oeuvres célèbres La caractéristique des premières peintures pop était celle d’avoir des sujets arrachés de leur temps et de leur contexte : ils existaient dans un espace vide où ils ne signifiaient rien d’autre qu’euxmêmes. Le sujet représenté (séduisant, intéressant et, s’il s’agissait d’une femme, toujours désirable) devenait un symbole à adorer (une icône), à accrocher et regarder tous les jours. S’il était un objet, il devenait l’icône à acheter en tant que connue, célèbre, que « il fallait avoir ».

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Kaufman humanise ces mêmes sujets, il les approche de ceux qui regardent à travers quelque chose (s’agisse-t-il d’un élément graphique ou d’une couleur) qui arrache le sujet du vide et le projette dans le quotidien réel.

Nous sommes à Florence au début du XVème siècle, le tableau est La Naissance de Vénus de Botticelli. Au centre il y a Aphrodite naissant de l’écume de la mer (« Afros » signifie écume en grec). Vénus est la déesse de l’amour et de la beauté. À sa droite on voit deux figures qui volent : il s’agit d’Éole, le dieu des vents, et de Borée, le Vent du Nord, deux vents qui soufflent vers la déesse et la poussent vers le rivage dans sa grande coquille. À la gauche de la déesse il y a une nymphe (sans doute une des douze heures) qui porte un manteau pour couvrir la nudité de Vénus. Un thème classique, ancien, mythologique. La Vénus de Steve Kaufman n’est pas nue (dans la Renaissance, le nu était le symbole de l’éloignement des biens matériels), mais c’est une Vénus qui cache sa nudité, sa pureté, derrière des sacs modernes, griffés, contemporains. C’est une Vénus sophistiquée, une Vénus griffée. On peut imaginer ce que les sacs qu’elle tient dans ses mains contiennent : maquillage, portable, et tout ce qu’il y a dans le sac d’une femme du XXème siècle.

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Une autre Vénus ; mais cette fois-ci, le tableau cité est de William Adolphe Bouguereau. C’est un de ses tableaux les plus célèbres : il ne s’agit pas de la naissance, mais du transport de Vénus de la haute mer vers l’île de Chypre à bord d’une coquille. Ici nous trouvons de nouveaux éléments : il y a le dauphin et les amours dans le ciel, les couleurs sont claires et parmi elles se distinguent le blanc soulignant la candeur et la sensualité du corps de Vénus, qui est une déesse « en chair et en os », et l’azur du ciel où les amours pullulent. La Vénus de Kaufman est clairement une citation, un hommage, qui enlève le halo mythique et divin et introduit un élément moderne, contemporain, le véritable symbole de la modernité : le Coca-Cola. Steve Kaufman accentue la composante gaie déjà présente dans le tableau de Bouguereau, en insérant des bouteilles de Coca Cola dans la peinture, Vénus elle-même en tient une dans la main, non pas pour la boire, mais juste pour l’exhiber. Le label Coca-Cola ressorte dans un rouge flamboyant à l’intérieur du tableau, où l’équilibre entre le blanc et l’azur est définitivement cassé, l’harmonie a cédé sa place à la vivacité, au Pop.

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« C'est vous qui avez fait cela ? » « Non… vous »56 Changeons de sujet, changeons d’époque, jusqu’au Cubisme. Nous parlons de Guernica, une des œuvres plus célèbres de Picasso, dédiée au bombardement allemand de la petite ville basque de Guernica qui s’est produit le 26 avril 1937, pendant la guerre civile espagnole. Une toile intense, palpitante, violente. C’est une œuvre qui témoigne de la participation passionnée de Picasso à la souffrance humaine et de la réflexion sur la violence commise par l’homme. Pendant ce bombardement aérien, l’un des premiers dans l’histoire, la ville a été complètement détruite et des centaines de civils sont morts (le chiffre s’élève environ à mille-six-cents personnes). Guernica est la représentation d’un massacre, mais aussi d’un engagement social sans précédents dans les œuvres de Picasso. L’œuvre appartient au courant artistique du Cubisme, dont Picasso faisait partie : le sujet nous est montré de plusieurs perspectives, démonté, décomposé, déconstruit ; nous sommes face à une perspective en crise, dégondée et désintégrée. Picasso nous fait sentir la crise.

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Réponse de Picasso à l’ambassadeur allemand Otto Abetz, en visite à son atelier, face à une photo de Guernica

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Steve Kaufman réalise une copie fidèle de la peinture de Picasso. Il s’agit d’une citation « littérale », qui se veut être un hommage à Picasso. Le sujet est le même, et les couleurs aussi : comme Picasso, Kaufman utilise exclusivement des tons de gris, des couleurs très ternes, comme dans une de ces photos en noir et blanc qui documentaient la tragédie. Mais Steve Kaufman ne se limite pas à citer une œuvre ; il réalise aussi un fidèle portrait de Picasso qu’il insère dans le tableau, en quittant le noir et blanc pour la couleur. Il s’agit d’un hommage à un grande artiste qui a sans aucun doute fasciné Kaufman et aux victimes de ce massacre, pour ne pas oublier.

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La Mona Lisa est un autre hommage à l’auteur du tableau, cette fois Léonard de Vinci. L’œuvre a été citée plusieurs fois par artistes tels que Duchamp, Dalí et naturellement le maître de Kaufman, Andy Warhol. L’époque est la Renaissance, et elle est la Mona Lisa, l’une des œuvres les plus connues de cette époque-là, et probablement de l’art italien en général. Le charme de ce tableau est peut-être enfermé dans le sourire que Lisa Gherardini, la Joconde, adresse à l’observateur. C’est un sourire de sphinx qui fait allusion à un secret inconnaissable. C’est le sourire du sphinx, d’une femme enceinte ou c’est juste une manifestation de la plénitude de l’être. La sexualité de la figure est également ambigüe, et beaucoup d’artistes contemporains l’ont souligné, notamment Duchamp et Dalí qui lui ont ajouté des moustaches et une barbiche. Steve Kaufman ne fait rien de tout ça, mais comme il l’avait fait dans les tableaux de Botticelli et de Bouguereau, il ajoute des éléments modernes, de son époque. Nous retrouvons le Coca-Cola et la figure tient dans ses mains un baladeur numérique, un iPod. La sienne est une Joconde qui boit du Coca et écoute de la musique moderne.

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« Le tableau représentait un paysage près de Port Lligat, dont les rochiers étaient éclairés par un crépuscule transparent et mélancolique. En premier plan, on voyait des oliviers aux branches coupées et sans feuilles. Je savais que l’atmosphère que j’étais réussi à créer dans cette vue-là servirait comme milieu pour des idées, des images surprenantes, mais je ne savais pas encore lesquelles. J’étais sur le point d’éteindre la lumière quand instantanément j’ai « vu » la solution. J’ai vu deux montres molles, l’un desquelles était pendue douloureusement aux branches de l’olivier. »57

La persistance de la mémoire, ou les montres molles. Un tableau-rêve. Il s’agit d’une huile sur toile réalisée par Salvador Dalí en 1931 et qui a été exposée en janvier 1932. Ce tableau représente le flux du temps, représenté par trois montres, objets inattendus, soustraits à la réalité quotidienne. Le tableau de Dalí est l’absurde de nos rêves et de la dimension onirique, le sien est un monde où des situations absurdes et inquiétantes se manifestent. C’était une invitation à utiliser un regard différent, à voir ce qui n’est pas là : arrêter de voir avec les yeux de tous les jours, nier et refuser le fonctionnement coutumier du regard, aller au-delà des règles habituelles de la perception. Parfois tout n’est pas ce qu’il paraît, cela n’est pas une montre penchée sur une branche à l’instar d’un petit oiseau quelconque : si on la regarde bien, on s’aperçoit

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Marco di Capua, Salvador Dalí

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qu’il s’agit d’une montre se liquéfiant. C’est une invitation à regarder le monde avec de nouveaux yeux. Comme dans le cas de Guernica, dans ce tableau aussi Kaufman veut rendre hommage à un peintre qui l’a fasciné, intéressé, inspiré. Et qu’il insère dans le tableau, comme il l’avait fait avec Picasso. Mais les couleurs de Kaufman ne sont pas les mêmes qu’utilise Dalí ; elles sont plus soutenues, plus intenses, incisives, il y a des rouges et des bleus hallucinés et hallucinants, presque expressionnistes (ils rappellent vaguement le rouge du ciel et le bleu du fjord du tableau de Munch Le Cri). Les couleurs ne sont pas réalistes, naturelles, elles ne proviennent pas de l’extérieur mais de l’intérieur. Elles ne sont pas des couleurs visuelles mais visionnaires, symboliques, qui se chargent de sens ultérieurs. Le froid du bleu et le chaud du rouge représentent la vie comme conflit de forces contraires : Eros et Thanatos, ou désir de possession et désir de puissance. Des pulsions qui agissent dans l’inconscient, dans la partie obscure du moi. Ces désirs insatisfaits font surface dans la conscience, dans les signes, dans la mémoire et de la mémoire ; et d’ici, on revient au rêve. Au Pop Art en tant que rêve.

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« La connaissance humaine ne consiste pas seulement en des bibliothèques, du parchemin et de l'encre - il est également composée des volumes de connaissances écrits dans le cœur humain, ciselés dans l'âme humaine et gravés sur la psyché humaine. »58

De l’art pictural à une autre forme d’art : la musique. Un grand artiste : Michael Jackson. Une nouvelle technique : le collage. Michael Jackson est l’un des artistes qui ont eu le plus de succès de tous les temps, il est le roi du pop. Une icône de la musique. Kaufman décide de le représenter avant sa transformation, avant l’intervention chirurgicale. Il nous montre son côté authentique, le Michael original. Et il le fait à travers deux techniques : la sérigraphie et le collage. La veste et les cheveux sont composés d’un collage des couvertures de ses albums, qui se distinguent de l’image en noir et blanc du chanteur. La musique est couleur, la musique est POP. Pop Art.

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Alanis E Leona Kory, Michael Jackson, interviews

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« Il y aura toujours une foule de prétextes pour ne pas lutter, en tout temps et en toutes circonstances, mais sans lutte, point de liberté. » (Fidel Castro)

Steve Kaufman peint une motocyclette Harley Davidson avec le motif de Cohiba, le marque de cigares cubains, et demande ensuite à Fidel Castro de la signer, comme témoignage de l’existence d’un pont culturel entre les deux Amériques représentées par les Etats-Unis et Cuba, si éloignées politiquement. Castro accepte. Kaufman ne s’est jamais intéressé à la photographie, ni s’est jamais approché de l’infographie bien qu’il en ait à disposition les instruments, car il les considérait inadaptés à sa manière de s’exprimer.

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Evènement à Times Square, originale de Steve Kaufman

« Avec internet, on pourra atteindre et servir la future génération des amateurs de l’art en touchant un clavier. Internet est en train de révolutionner, sans aucun doute, le monde de l’art aussi : le nom « Andy Warhol » donne 24.100.000 correspondances sur Google, « Steve Alan Kaufman » en donne 765.000, « Roy Liechtenstein » 9400.000, « Marcel Duchamp » 1.170.000, « Salvador Dalí » 493.000 ».

Le monde dont Kaufman s’inspire pour son cycle de peintures sur les mythes de la musique est celui de l’opéra classique et des figures historiques, mais aussi celui de la télévision, du cinéma, des évènements mondains : il peint Mozart, Beethoven, Marylin Monroe, Michael Jackson, les Beatles, Frank Sinatra (il arrive aussi à obtenir, avec Leroy Neiman, l’exclusivité de la famille Sinatra pour réaliser plusieurs portraits de l’inoubliable chanteur) en les représentant comme s’ils étaient des personnages actuels. « Il avait l’habitude de reproduire un sujet sur, mettons, cinquante sérigraphies, et ensuite il peignait quelques détails à la main sur chacune, ou il en ajoutait quelques-uns ; ainsi, chacune de ces cinquante œuvres était différente des autres. Elle devenait un original. Il ne le faisait pas pour toutes les œuvres ; certaines de ses éditions sont des simples reproductions de l’original, sans aucune intervention faite à la main mais seulement sérigraphiées. D’autres, il les sélectionnait et intervenait parfois massivement sur elles. Nous ne savons pas encore exactement quels étaient ses critères de choix. Steve Kaufman avait appris parfaitement la technique de la sérigraphie d’Andy Warhol, et il l’avait beaucoup perfectionnée en utilisant plusieurs niveaux, plusieurs passages. Il voulait se distinguer, grandir et progresser ; et si on regarde les photos de ses œuvres, le perfectionnement est évident. Il avait l’habitude de garder même les sérigraphies imparfaites, celles qui révélaient l’intervention de l’homme dans l’œuvre et qui avaient donc plus de valeur. »59

Certainement Kaufman a toujours été fasciné par l’effet qui les grandes personnalités et stars de la musique ont dans la société, et il va jusqu’à transformer ce sentiment dans un fil rouge de son art, jusqu’à arriver à ce qui, pour lui, est une occasion de réfléchir sur la célébrité : il sente

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Diana Vachier

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le besoin de regarder avec humilité en arrière, envers ceux qui, avant lui, avaient laissé une trace, pour pouvoir ensuite continuer en d’autres directions. Même les icônes de la musique de Steve Kaufman s’insèrent en effet dans le contexte du « mythe ». La confrontation avec ces mythes du passé (et du présent : Michael Jackson, malgré sa mort prématurée, John Lennon, Elvis Presley sont très présents dans notre vie quotidienne) est pour Kaufman un processus naturel. Warhol était passé des objets aux personnes, de la Campbell Soup (reprise quand-même par Kaufman à la demande de la Campbell elle-même) au mythe de Marylin (aucun autre artiste a réussi à traduire mieux que Warhol l’émotion de la célèbre phrase avec laquelle Marylin, en 1960, s’était définie lors d’une interview pour « Marie Claire » : « Je suis un produit artificiel »). Kaufman continue l’œuvre de Warhol mais il a besoin d’un contact plus personnel avec ces icônes de la musique, du cinéma et du spectacle qui l’avaient fasciné. Il éprouve donc un besoin d’une nouvelle personnalisation. Le pessimisme ne contrôle guère la vie de Kaufman ; au contraire, l’artiste est constamment à la recherche de nouvelles stimulations, et dans l’image qu’il voit devant ses yeux (par exemple le portrait de Sinatra, devant lequel le vieux chanteur s’est attendri) il cherche encore une fois l’âme.

Les dernières années : le legs « J’ai beaucoup de chance de faire ce que j’ai toujours voulu : créer. J’ai trouvé une liberté difficile à décrire en paroles. Je m’interrogeais toujours sur mes projets : […] quelles directions devrais-je prendre ? Maintenant je ne pense même plus à ces choses-là. Je vais dans mon atelier avec ma passion et je me demande : « Qu’est-ce que j’aurais envie de créer aujourd’hui ? »60

« Il était un homme unique. Il avait un physique énorme, un grande sourire, un comportement d’enfant parfois, d’autres fois il n’était pas sûr de soi, il était naïf, toujours gentil et affectueux envers les gens. Il souriait toujours. Steve Kaufman était un homme doué d’une imagination et d’une créativité extraordinaires, constamment à la recherche de quelque chose de nouveau ; il avait un esprit brillant, et peut-être a-t-il été ce qui l’a approché de la mort, parce qu’il n’était pas capable de débrancher, il n’arrivait pas à ne pas travailler et à ne pas imaginer de nouvelles choses. Travailler pour lui a été l’occupation plus

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Steve Kaufman, Coffee Table Book

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difficile de toute ma vie. Je pensais souvent : « Mon Dieu, cet homme est fou, il me fait devenir folle ». Mais cela a été la majeure opportunité que je n’ai jamais eue et j’ai aimé ces années-là. Steve était toujours là, toujours présent ; et il l’est encore. »61 « Dans le portrait que m’a fait Steve Kaufman… je m’y suis placé devant, je l’ai touché et j’ai senti de la force, de l’énergie. Je n’avais jamais vu rien comme ça avant. »62 [Al Pacino ; derrière le tableau, la biographie de l’acteur]

Le legs le plus radical de Andy Warhol se reflète dans Steve Kaufman et peut-être aussi dans la façon dont les artistes des générations successives ont adopté les techniques de promotion de Warhol. Dans son livre de 1975, Ma philosophie d’A à B et vice-versa, Warhol crée la première de ses fameuses maximes sur le rapport entre l’art et les affaires, en écrivant : « Pendant l’époque hippie, les gens débinaient l’idée des affaires : on disait « l’argent est sale », et « travailler fait du mal », mais gagner de l’argent, c’est de l’art, travailler, c’est de l’art et faire de bonnes affaires c’est le comble de l’art. » C’était une provocation (Warhol n’a jamais cessé de provoquer ; ses interviews et ses citations restent extraordinaires), d’autant plus si insérée dans son contexte et dans son époque, mais justement, provoquer avait toujours été la spécialité de Warhol depuis les premières années ’60 et lui, qui avait été artiste e dessinateur publicitaire, il s’était rendu compte que l’artiste solitaire dans son genre était une figure d’autrefois, de temps plus simples. Un monde « Corporate » aurait désormais cherché un artiste « Corporate » : la culture « corporate » était et serait devenue de plus en plus l’un des

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Diana Vachier En “année 2007”, Coffee Table Book

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aspects du monde, donc pourquoi pas, qu’est-ce qu’il y avait- qu’est-ce qu’il y a- de mal dans les affaires ? La vraie surprise, le vrai mystère de l’art d’Andy Warhol correspondent à la révélation du quotidien- sans l’affronter, sans rien faire de plus, alors que dans l’art de Steve Kaufman nous trouvons aussi bien un désir de regarder à l’arrière que d’évoluer, de continuer ; un chemin prématurément interrompu par sa mort en 2010. On se rappelle de Steve Kaufman comme un grand activiste et philanthrope. Dans le courant du Pop Art (ou mieux du Néo Pop Art, même s’il s’agit d’un classement pratique pour cataloguer les artistes selon la date et leur âge plus que d’une réelle différence de genre artistique), Steve Kaufman est un artiste encore à découvrir et connaître : ses œuvres, très liées à la peinture, sont le produit d’un travail quotidien, constant et presque sans interruptions ou pauses qui a caractérisé toute sa carrière et qui, à cause des rythmes frénétiques et du caractère de l’artiste, a miné sa santé jusqu’à le conduire à la mort. Kaufman perçoit, intériorise et transmet l’art avec des sentiments positifs qui suscitent normalement la joie. Dans ses œuvres il attenue les bords et les contrastes nets de couleur, en transformant souvent tout en une vive allégorie du contemporain sur la toile ou sur un ou plusieurs énormes panneaux, en récupérant des mythes et des personnages connus, en réveillant les moments de l’enfance et en nous faisant faire un voyage à travers l’histoire et la culture d’une façon passionnante. Tout l’aspect polémique du Pop Art et le cynisme, les sentiments parfois obscurs du Pop Art de deuxième génération sont absents dans les œuvres de Kaufman : il raconte son époque et ses icônes sans devoir forcément les critiquer, et c’est cela qui le rend original, qui le distingue.

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Le caractère magique du don de la marchandise et l’obsolescence constante du produit technologique cachent le processus de fabrication et de création artistique. La représentation pop d’un objet dans son marque (Coca-cola) et dans son image (photographie d’une star) est très différente du recyclage du produit ou des « Ready Made » de Duchamp. Cela est évident en Steve Kaufman. L’artiste new-yorkais apporte toujours des modifications, soient-elles marginales, au modèle original, afin que celui-ci puisse survivre à ses copies multiples (l’agrandissement à l’échelle reste une méthode très importante et très diffusée). La technologie est entrée dans le Pop Art non seulement au niveau des produits de consommations que nous retrouvons dans les œuvres, offerts comme modèles, mais surtout avec l’adoption du modèle de son public, diffusé par les médias technologiques. « La technique de reproduction - telle pourrait être la formule générale - détache la chose reproduite du domaine de la tradition. En multipliant sa reproduction, elle met à la place de son unique existence son existence en série et, en permettant à la reproduction de s'offrir en n'importe quelle situation au spectateur ou à l'auditeur, elle actualise la chose reproduite. Ces deux procès mènent à un puissant bouleversement de la chose transmise, bouleversement de la tradition qui n'est que le revers de la crise et du renouvellement actuel de l'humanité. »63

Le sourire avec lequel l’art de Steve Kaufman- artiste joyeux, peut-être le seul artiste pop à être joyeux- semble accepter la consommation en cadeau est souvent mal interprété sur la base de son optimisme plutôt que de son étude sur la durée de l’optimisme lui-même. Contrairement à d’autres courants artistiques plus cryptiques (et donc beaucoup moins populaires), le Pop Art est souvent aimé pour la facilité avec laquelle on en peut jouir, et en même temps il est caché exactement pour l’ambigüité de cette spontanéité. Le Pop Art de Steve Kaufman semble exemplifier cette conjonction mieux qu’aucun autre.

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Walter Benjamin, L’oeuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique

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Steve Kaufman n’a pas été immédiatement compris. Le critique d’art italien Gillo Dorfles a écrit : « Il préfère toujours le vieux au nouveau, ou un nouveau qui soit aussi bien compréhensible que le vieux, où la Facility soit intégrale et ne demande pas même un brin de Difficulty pour qu’on la déchiffre. Ceci dit, il est évident à quel point soit important le discours sur l’incompréhension de l’art moderne et sur les oscillations du goût qui le caractérisent souvent. Ce que je veux dire quand je parle d’incompréhension, c’est une méfiance instinctive face à la plupart des manifestations les plus intéressantes et vitales de l’art moderne. »64 En Kaufman- mais aussi en général- l’incompréhension pop ressorte de cette « facilité » de jouir de son « nouveau » artistique, qui touche immédiatement le spectateur. La « sublimation » de l’objet et du sujet dans l’image de Kaufman crée un jeu de simulation semblable au renversement de la perception et de la mémoire.

« Il y a là comme deux côtés du miroir, mais ce qui est d'un côté ne ressemble pas à ce qui est de l'autre (« tout le reste était aussi différent que possible... ») Passer de l'autre côté du miroir, c'est passer du rapport de désignation au rapport d'expression - sans s'arrêter aux intermédiaires, manifestation, signification. C'est arriver dans une région où le langage n'a plus de rapport avec des désignés, mais seulement avec des exprimés, c'est·à·dire avec le sens. »65

En De l'autre côté du miroir de Carroll, Alice traverse sa propre image en franchissant le miroir. C’est un saut dans le rêve de l’autre : la réalité au-delà du miroir n’est pas le simulacre de ce qui est réfléchi, mais son double, modifié de façon à ne plus être reconnaissable. Dans ses œuvres, Steve Kaufman (et le Pop art) offre aux spectateurs la possibilité de se regarder simultanément. Le sujet qui se reflète dans l’image de l’objet, à travers le système de

64 65

Gillo Dorfles, Les oscillations du goût Gilles Deleuze, La logique du sens

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persuasion de la publicité et de la mode, semble être regardé par l’objet pop. Le regard réfléchi dans l’objet pop bloque le spectateur à travers son image en entravant toute possibilité de jugement, grâce à la séduction exercée par l’objet regardé. « Parmi les cartes cachées, il n’y en a qu’une qui gagne, mais à ce point-là le seul qui gagne réellement est celui qui choisit de s’en débarrasser, c’est-à-dire celui qui choisit de ne pas jouer avec soi-même au rôle du beau Narcisse malheureux »66

« La vérité du bonheur en tant que besoin rend immédiatement et facilement compte d’elle-même : son contenu rend la séduction un jeu facile. Le besoin insatisfait convainc, avec sa violence, de la vérité de la séduction en tant que sollicitation au bonheur, de son urgence et de la positivité de son message. Si le besoin sollicité restait insatisfait (la vérité de l’antagoniste : jeter la carte), qui, nous en sommes convaincus, choisirait jamais d’embrasser autant d’angoisse ? »67

La séduction l’emporte sur la liberté aussi longtemps qu’on continue à jouer avec ces imagesdésirs. La séduction de l’image-objet amuse le joueur, qui désormais ne pense à rien d’autre que le prix en jeu ; qui jette la carte se soustrait à la promesse certaine que « Séduire, c’est mourir comme réalité et se produire comme leurre »68. Dans la fétichisation artistique, la fascination attend le joueur séduit comme un prix inattendu. Ce n’est pas le pop art qui décide, mais ceux qui restent dans le jeu, qui « implose dans une overdose de simulacres, de signes »69. Et encore « les icônes pop (les sucreries, les cigarettes, la boite à soupe végétale, les canettes de Coca-Cola, les vêtements, les boîtes de lessive) sont des figures de peu de valeur dans le jeu, qui permettent de traverser le parcours établi. (…) »70 Puisque le principe esthétique est désormais

Carolina Carriero, La consommation du Pop Art Ibidem 68 Jean Baudrillard, De la séduction 69 Ibidem 70 Ibidem 66 67

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au-delà du beau et du moche, c’est-à-dire tout dans l’économie, et la valeur de la réalité est toute dans l’image, on peut s’illusionner de gagner avec la carte-icône du dollar. L’illusion qui maintient le jeu est la persuasion de pouvoir croire en l’art indépendamment de son existence. « Chacun cherche son look. Comme il n’est plus possible de tirer argument de sa propre existence, [ni la misère ni la vertu ni le travail sont désormais des preuves, on ne se regarde plus, la séduction, c’est fini !] Il ne reste plus qu’à faire « acte d’apparence » sans se soucier d’être, ni même d’être regardé… Non pas : j'existe, je suis là, mais : je suis visible, je suis image look, look ! »71

Aujourd’hui tant la consommation du signe (la Vénus de Kaufman) que le signe de la consommation (le Coca-Cola) résistent à la mode ; miser sur la publicisation du produit n’aurait pas beaucoup de succès désormais. « C’est surtout l’objet populaire de consommation qui doit être vidé de sa propre banalité, si on ne veut pas qu’il soit parodié et dévalué. »72

Steve Kaufman nous a laissé ne énorme quantité d’œuvres ; sa production avait des rythmes frénétiques, il travaillait sans interruption, jour et nuit. La réalisation du catalogue de ses œuvres, que « American Pop Art » est en train de réaliser et qui inclut des milliers d’images (dont une partie est déjà sur support informatique, tandis que les autres sont en train d’être cataloguées) requerra de nombreuses années, surtout pour déterminer l’exacte collocation temporelle des œuvres.

Conclusions « Aujourd’hui le langage de l’art, c’est le langage du monde »73

Jean Baudrillard Carolina Carriero 73 Alessandro Del Puppo 71 72

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Obama - Shepard Fairey, artiste et illustrateur « Street Art » né en 1970 ; il choisit d’utiliser un style pop, en ce cas pour des affiches apposées illégalement, pour créer un phénomène médiatique pendant la campagne électorale de Barack Obama et pour citer l’affiche de L’Oncle Sam et Hope de Robert Indiana. Obama (qui est iconifié dans l’affiche) n’officialisa jamais la collaboration avec l’artiste, mais il lui envoya une lettre pour le remercier ouvertement et vivement. Si on se souvient de la volonté des artistes pop d’évoquer des choses quotidiennes, il est intéressant de noter que Fairey est l’auteur du changement de style de l’icône du navigateur web Mozilla, très connu parmi les utilisateurs plus experts d’internet. Le Pop Art est une forme d’art intéressée a l’objet et à sa mise en scène. C’est le monde qui s’offre comme s’il était « coagulé » dans l’épaisseur de l’objet qui avance. L’exploration cognitive de l’artiste dans l’environnement récupère les objets de la vie quotidienne et toute la gamme des produits industriels. Le sujet n’a plus rien à voir avec la nature ; le paysage urbain est riche d’une « végétation d’objets », à interpréter comme une évolution naturelle de la tension du je envers le monde.

Le geste artistique, qui dans l’Expressionnisme Abstrait trouvait dans la toile blanche son achèvement naturel, laisse sa place à la rencontre directe entre le corps et le système des objetssignes de l’action humaine. La dénonciation d’un goût pour des objets extérieurs faite par le Pop Art figuratif est indice d’un phénomène plus large concernant tout l’actuel « art de consommation » et auquel se sont intéressés de nombreux spécialistes. Le refus des produits de l’art de consommation est beaucoup plus grand que l’exaltation de l’art lui-même.

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Dans la société de masse l’homme est constamment uniformisé au système culturel prévalent par ces moyens de communication qui transmettent des messages aussi banaux qu’éloignés de la réalité. L’effet suggestif de l’objet agrandi et sorti de son contexte dans l’œuvre pop élimine l’évidence du banal en la reléguant à ses caractéristiques formelles. « Il y a un aspect qui souligne le caractère artificiel de la nourriture reproduite avec des matériaux plastiques : il s’agit de la continuité, qui arrive jusqu’à l’indistinction, entre les vénéneux colorants artificiels de la nourriture réelle et la peinture de la nourriture fausse. (…) La prétention de l’avant-garde historique de dépasser, à travers l’art, les limites de la sérialisation de la production et de la consommation, en résulte réfutée et par conséquent l’art lui-même se place de la part de sa propre négation ».74

La correspondance entre l’art et la vie amène l’artiste à choisir, sans aucune distinction, les sujets pour ses œuvres parmi les personnes et les objets de consommation dont l’abondance se traduit en sérialité de l’image-objet. La consommation de la jouissance artistique de la boîte Campbell est multipliée par la série infinie de toutes les possibles boîtes existantes sur le marché.

« Une partie étrange, celle que, selon l’attitude pop, on joue avec les choses de tous les jours, car d’un côté elles ne perdent aucun de leurs caractères plus concrets et matériels (la rouille d’une boîte de viande, la polychromie de son étiquette, le bord dentelé d’un bouchon) ; mais en même temps ces caractères concrets sont comme élevés en l’air, atteints par un index mental et idéalisés. La chose est là, « faite » de pied en cap mais en même temps elle n’est plus la même, nous ne pouvons plus avoir avec elle notre habituel rapport naturel et spontané. »75

Une des premières erreurs à laquelle on s’expose en considérant ces formes créatives est de ne pas comprendre qu’une des caractéristiques principales est leur caractère transitoire. Beaucoup de ceux qui étudient une œuvre aimeraient en pouvoir définir et établir les valeurs dans un sens absolu, sur la base d’arrangements inaltérables, mais cette solution est impensable, car le phénomène du pop art est justement caractérisé par une extraordinaire mobilité. La sensibilité populaire pour ces produits artistiques est donc directe et extrêmement susceptible de changer. « La qualité, les matériaux et la consistance des produits manufacturés définis comme « œuvres d’art » ont changé plus dans les cinquante dernières années que dans tous les siècles précédents. »76

Tommaso de Chiaro, Claes Oldenburg et l’iconografia del banale Renato Barilli, Informale oggetto contemporaneo 76 Alessandro del Puppo 74 75

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A l’unicité de l’acte artistique qui avait distingué toutes les formes d’art précédentes, le Pop Art a opposé la répétition et la reproduction mécanique de l’objet artistique, remplaçant l’unicité par la sérialisation. Le Pop Art a prélevé des images et des signes de la réalité environnante, celle d’une société industrialisée, en rendant inutile une hiérarchie de l’art et de la culture ; il a adapté des images déjà existantes en les élevant au niveau de l’art, qui n’est plus conçu comme un acte individuel, mais comme un acte commun et participé. Dans l’ère de la production mécanique, où la répétitivité semblait la seule valeur reconnue, la répétition semblait le seul chemin possible, et d’ici naissent donc les tableaux reproduits en série. Le Pop Art se distingue en tant qu’art des signes et sur les signe, en symbiose perpétuelle avec le monde environnant dont il devient partie - un monde caractérisé par d’infinis signes (des produits commerciaux au vedettisme, à la personne commune qui aspire à devenir immortelle et à participer au processus de mythisation.)

« À partir de la dernière décennie du vingtième siècle s’est diffusée une forme de pluralisme culturel. Peutêtre est-il vrai, comme on l’écrit partout, qu’à ce moment-là les idéologies se sont écroulées. Mais une, du moins, semble être restée bien solide. L’art s’est plié à la logique du capitalisme financier international aussi que toute marchandise, production et circulation globale. »77

Bien qu’il soit impossible de nier la réalité d’une exploitation commerciale en grand et d’une constante et croissante stratégie publicitaire en toute la culture populaire (c’est-à-dire de masse), il faut qu’à la base il y ait quelque chose d’authentique, ou du moins d’authentiquement vécu, vu, senti.

Comme le raconte Enrico Baj dans son livre Cose dell’altro mondo : « « Donnez à Leo [Castelli] deux canettes de bière vides et il les vendra », dit de Kooning avec de la rancune à peine voilée dans une froide nuit du décembre 1962 à la Cedar Tavern sur la University Place (…) Jasper Johns prit les mots de Kooning au pied de la lettre, fondit en bronze deux canettes vides de Ballantine Ale et les donna à Castelli. Castelli le vendit immédiatement au collectionneur Scull, le

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Alessandro del Puppo

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Panza de New York, pour neuf-cents-soixante dollars. Scull les revendit aux enchères en 1973 pour 99.000 dollars. » On est heureux dans la terre de la consommation contemporaine, car il n’arrive jamais rien qui puisse détruire ou menacer. Il s’agit d’une terre où le moderne objet artistique vit en tant que mode de la même marchandise ; et aujourd’hui on est sûr que sa copie multipliée et diffusée par les galeries d’art ne décevra l’attente de ses acheteurs.

« La publicité a construit un nouveau paysage autour de nous : les affiches, les enseignes néon, la littérature, la télévision etc., tout notre environnement semble être fait, partiellement, d’un désir de plus vendre. Ça, c’est le paysage que j’ai l’intérêt de représenter (…) Je ne suis pas le seul qui a un tel intérêt. Le même paysage commercial a intéressé d’autres artistes. »78

Il est difficile de trouver un artiste appartenant au Pop Art de seconde génération qui accepte ouvertement cette étiquette dans ses interviews ; beaucoup d’entre eux la refusent, ou lui préfèrent d’autres termes, et presque personne n’aime être défini « néo-quelque chose ». Et peutêtre est-ce correct, car le Pop Art, même après Warhol, Lichtenstein, Indiana et Rosenquist, n’est jamais parti, et si on est « second » c’est seulement une question d’âge. Dans les villes des grands magasins, d’Internet, des grands bâtiments et des grands monuments la perception visuelle subit une forte sollicitation tandis que dans l’ostentation de l’image, la capacité d’imagination semble être presque privée de toute valeur. Lorsqu’une œuvre d’art devient si chère que presque tout le monde sent le besoin d’en mentionner la valeur, nous ne sommes plus en train de parler d’art, mais d’un symbole : on achète ce Koons-là pour prouver à tous qu’on a assez d’argent pour acheter ce Koons en

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Roy Lichtenstein

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particulier. L’acheteur doit donc être habile, talentueux et bien sûr très, très riche. Pourtant, (et la contradiction est seulement apparente), en pensant qu’il s’agit uniquement d’argent et d’affaires, on commence à douter d’être réellement face à une œuvre d’art, et cependant on ne peut pas vivre sans elle. Et les scrupules qui un artiste peut avoir, peut-être, alors qu’il réalise des œuvres uniquement pour satisfaire la demande du marché…eh bien, ils sont étouffés par la constatation qu’en fin de compte il est en train de faire ce que tous les artistes font depuis toujours.

Reyner Bahnam écrit : « Le vrai flux de la culture contemporaine est pop, et cela est une des raisons pour lesquelles un si grand nombre des manifestations vives des autres branches de la culture dérivent du pop. Le pop est désormais si fondamental dans notre façon de vivre et dans le monde où nous vivons qu’être avec lui…ne force personne à s’investir dans la droite ou la gauche, ni dans la critique ou acceptation de la société où nous vivons. Il est devenu langage commun, musique, un langage visuel et (de plus en plus) littéraire, grâce auquel les membres de la culture mécanisée des pays occidentaux peuvent communiquer les uns avec les autres dans la façon la plus directe, vive et significative. »79

Presque trente ans après sa mort, Warhol demeure sans aucun doute la figure de référence pour l’art mondial- et même si cette affirmation peut être objet de discussion, elle n’est pas extrême. Il n’y pas qui, même parmi les promeneurs les plus simples, ne connait pas la Marylin d’Andy Warhol, et cela fait en sorte que la photo de Warhol avec la perruque ne fasse pas piètre figure face à l’autoportrait de Léonard de Vinci, car les deux sont universels, ils sont devenus des icônes. Warhol est mort avant de pouvoir découvrir quel personnage serait devenu ; quand il était

79

Reyner Banham, America Deserta

66


vivant, il semblait être partout, et il se prodiguait pour réaliser la transformation de « artiste » à « art constituée par la présence de l’artiste lui-même » qu’il avait prophétisée et dans laquelle il croyait. Sa mort n’a pas arrêté ce processus ; au contraire, elle l’a accentué et n’a absolument pas fait diminuer sa popularité. On pourrait dire, en fait, que la mort de Warhol a été un bon coup pour sa carrière, et certainement lui a permis de réaliser le rêve d’une exposition personnelle au MOMA, qu’il avait fort désiré dans sa vie et qui a eu lieu en 1989. Après cette date, il y a eu une exposition après l’autre. A Warhol été le seul, le premier à inventer les éléments d’autopromotion et les attitudes qui l’ont rendu célèbre ? Probablement, non. Le grand Surréaliste Salvador Dalí, qui était presque vingt-cinq ans plus vieux, était un maître de la publicité et il osait utiliser son art et sa position dans le monde des artistes pour encaisser de l’argent à travers des spots télévisés, en peignant les étalages des magasins, et en vendant du papier blanc avec son autographe. Warhol a amené simplement cet approche encore plus loin, au niveau suivant, en mettant au jour les stratégies adoptées par Dalí mais aussi par Duchamp. Cet héritage continue aujourd’hui avec Koons, Hirst et Murakami, ainsi qu’avec un nombre d’autres jeunes artistes. Actuellement, le Pop Art de Warhol, Kaufman etc. est un mouvement artistique qui ressemble parfois à un credo, et dont l’influence est clairement visible chaque fois qu’une exposition est organisée, soit-il à la Tate Modern, au Mozarteum de Salzbourg, à Florence, à Bologne ou aux Etats-Unis. Aujourd’hui, tout type d’art est à vendre. La meilleure défense du type d’art que nous aimerions contester est le fait que l’artiste accepte l’évidence honnêtement, sans chercher de nouveaux niveaux de profondeur culturelle pour se justifier. L’art est de l’argent, et beaucoup d’argent. Le Merchandising de Romeo Britto, la collaboration de Murakami avec Louis Vuitton, 67


dans laquelle ses images de fleurs superflat ont paru sur des sacs de luxe, semblent confirmer la prophétie de Warhol que l’art et la culture du consommateur seraient devenues étroitement liées : « gagner de l’argent, c’est de l’art, travailler, c’est de l’art et faire de bonnes affaires c’est le comble de l’art ». À notre époque, pas mal d’artistes pourraient être d’accord, et pas mal de critiques d’art pourraient approuver et partager cette opinion. Et peut-être n’y a-t-il pas de scandale en tout ça.

Appendice Les principaux représentants du Pop Art Richard Hamilton (1922-2011) - Just What Is It that Makes Today’s Homes So Different, So Appealing? (1956). Le travail de Hamilton, déjà mentionné dessus, est considéré par les critiques et historiens de l’art comme la première œuvre du Pop Art. L’œuvre stimule les sens humains de façons diverses, et son but était de « susciter la conscience perçante des fonctions sensorielles dans un environnement ».

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Roy Lichtenstein (1923-1997) - MMaybe (1965). Lichtenstein est l’une des figures les plus influentes du mouvement. Son style provenait principalement de la bande dessinée, et il représente la trivialisation de la culture qu’en ces années-là il considère comme une caractéristique endémique de la vie américaine. En utilisant des couleurs brillantes, criardes et des techniques réalisation presse,

de

BD

Lichtenstein

empruntées incorpore

à

de

l’industrie de la

avec

ironie

les

émotions de masse et les objets qu’y sont

associés

à

des

sophistiquées références à l’histoire de

l’art. M-Maybe est

peut-être le plus célèbre parmi ses

travaux

par les BD d’amour : l’œuvre portrait

une

inspirés

jeune

fille

séduisante qui attend un homme dans un environnement vague mais visiblement urbain. Le texte et son expression expriment ses constants soucis et l’anticipation de la rencontre. M-Maybe, réalisé sur une surface dure satinée en utilisant des encres extrêmement pigmentées, restitue une image nette, riche en détails et vive qui révèle un grand soin dans l’usage de la couleur. Lichtenstein concrétise ce que le photographe Henri Cartier Bresson appelait « l’instant décisif ». Allan D’Arcangelo (1930-1998), artiste et imprimeur américain, est connu pour ses peintures d’autoroutes et panneaux routiers. Il a été reconnu en tant qu’artiste pop en 1963, justement après sa série de peintures ayant pour sujet les autoroutes, tels que US Highway 1.

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Jim Dine (1935 - vivant), artiste polyédrique lui aussi (peintre, sculpteur, imprimeur, illustrateur, dessinateur et interprète théâtral), il s’est approché au monde de l’art avec les Happenings de 1959-60 : il s’agissait d’évènements théâtraux où le drame était représenté dans un contexte changeant et chaotique réalisé par l’artiste-acteur. Au début il a utilisé des matériaux usagés dans ses Assemblages, et en même temps il a perfectionné la méthode avec laquelle il aurait réalisé ses œuvres les plus célèbres, qui représentent (sous forme de peinture, dessin ou sculpture) des images très connues ou de objets d’usage commun tels que vêtements et bibelots (cravates, chaussures, assiettes, brosses à dents…) ou des objets de sa profession tels que pinceaux et palettes. Sa méthode consiste à répéter le thème à l’infini, souvent sur de différents milieux. Bien que Dine soit associé au mouvement Pop Art, il n’en a jamais été un animateur et il a toujours été ce qu’aujourd’hui on appelle un « moderne individualiste » qui ensuite a été défini comme un précurseur du Neo-Expressionnisme.

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Robert Rauschenberg (1925-2008) – Les œuvres les plus connues de Rauschenberg sont sans doute ses Combines (les combinaisons) de 1950, dans lesquelles il utilise des matériaux non traditionnels et des objets trouvés dans la rue (pneus d’automobile, coussins…) en créant des assortiments innovants. Les Combines sont peintures et sculptures, mais Rauschenberg a travaillé aussi avec la photographie, l’impression et les performances. Bed est l’une des premières Combines de Rauschenberg : la légende veut que, n’ayant pas les moyens de s’acheter une toile, il ait pris son propre coussin et son drap et qu’il les ait utilisés pour peindre dans un style semblable à celui du peintre expressionniste abstrait Jackson Pollock. Accroché au mur comme un tableau traditionnel, son lit, encore fait, devient une sorte d’autoportrait intime.

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Allen Jones (1937-vivant) - peintre, sculpteur et imprimeur anglais, il a exprimé son adhésion au Pop Art et à son esprit principalement à travers la réalisation de sculptures provocantes en fibre de verre et de peintures telles que Perfect Match, en utilisant un style très linéaire et un moyen physique pour souligner l’aspect tactile. Ensuite, il est revenu à une conception plus picturale. Il a été également prolifique dans la production de lithographies.

Claes Oldenburg (1929-vivant), suédois naturalisé américain, a partagé l’enthousiasme de Jim Dine et d’autres artistes pour les « Happenings » (le performance art de la fin des années ’50 dans lequel l’artisteinterprète produisait des situations non-narratives conçues comme des images en mouvement et des moments oniriques à l’aide de la récitation, des scénarios et de la scénographie). L’utilisation d’objets et images de la vie quotidienne dans ces performances a jeté les bases pour le développement futur des œuvres de Oldenburg- sculptures d’objets commerciaux ou produits industriels tels que son Dropped Cone et ses autres sculptures géantes, ou les sculptures en plâtre représentant de la nourriture (sandwichs, hamburgers, confiseries, steaks…).

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Mel Ramos (1935-vivant) est un peintre et professeur universitaire à la retraite. Après une première période où il représentait des superhéros et des personnages de la BD comme le faisait Warhol, il s’est spécialisée dans les nus féminins (comme Velveeta, à côté, et d’autres œuvres où des filles provocantes et sensuelles émergent de verres de Martini, bananes Chiquita et enveloppes de bonbons), à travers lesquels, sans poser des barrières entre l’art publicitaire commercial et celui indépendant de l’argent, il a voulu rechercher à nouveau un érotisme plus raffiné après celle qu’il considérait une longue parenthèse d’abstinence due à l’art abstrait. Selon Ramos, la forme et l’imitation parfaite de la marque du produit possèdent la même valeur esthétique que le corps de la femme, et cet amalgame absurde lance un message cynique : on ne peut trouver le bonheur que dans la consommation d’appétissantes gourmandises industrielles et de… pin-up accessoires.

Peter Phillips (1939-vivant) - artiste anglais pionnier du Pop Art, Philips a réalisé ses œuvres avec différentes techniques, de l’huile sur toile aux compositions multimédia aux collages, en passant pour les sculptures et l’architecture. Son œuvre la plus populaire est peut-être For Men OnlyStarring MM and BB (1961), qu’il a créée alors qu’il était encore un étudiant du Royal College en utilisant l’huile, le bois et le collage sur toile. Sur un panneau de dimensions monumentales les icônes des médias et des symboles culturels se rencontrent de façon diverse et extrêmement contradictoire ; Philips met dans le même cadre Marylin Monroe et Brigitte Bardot, symboles stéréotypés du sexe de ces années-là, 73


au côté des poses d’une strip-teaseuse de l’époque et du symbole traditionnel anglais du lièvre, en ce cas pris d’un jeu victorien et uni au mots « She’s a doll » (« Elle est une poupée ») et au nom de la strip-teaseuse. Il s’agit d’une réalisation parallèle aux œuvres de Peter Blake.

James Rosenquist (1933-vivant), peintre, sculpteur et imprimeur américain. Il a commencé lui aussi comme artiste publicitaire, en peignant des enseignes alors qu’il était encore un étudiant. En 1960 il a utilisé les techniques apprises pour réaliser d’énormes peintures tels que President Elect, une œuvre où deux icônes de l’époque, le président John Fitzgerald Kennedy et une voiture élégante, se mélangent, partiellement en couleurs et partiellement en noir et blanc, comme dans une vieille photo. Peintre d’inspiration surréaliste, son utilisation de sources comme les objets produits en masse et les personnages des magazines, des films, de l’actualité a amené à son identification comme une des figures clés du développement du Pop Art aux Etats-Unis. Pourtant, son utilisation de certains sujets typiquement Pop tels que le sexe et la consommation avait peu en commun avec la spontanéité et les manières directes de Warhol ou Lichtenstein : Rosenquist tendait à détruire la figure, à déplacer le personnage plutôt qu’à reproduire son œuvre. Il s’est aussi distingué pour son engagement politique et pour son désir d’expérimenter.

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Edward Ruscha (1937 - vivant) - Ruscha est le seul artiste Pop (à part peut-être Cindy Sherman, qui cependant appartient à une génération successive et travaille dans un autre contexte) à avoir utilisé la photographie sans la plier à d’autres exigences, mais dans sa forme originale et dans des livres illustrés. Ruscha, qui n’était pas seulement photographe mais aussi peintre et illustrateur, décrit des aspects de la vie américaine en représentant des logos très connus, des panoramas archétypaux, des stations-services et d’autres images de la culture populaire en ajoutant des phrases ou des mots laconiques mais choisis avec attention, de façon à concentrer l’attention du spectateur sur des sujets tels que l’existence et la vacuité de la présence humaine dans le monde.

Peter Blake (1932-vivant) – L’un des représentants les plus connus du Pop Art européen, Blake devient célèbre à la fin des années ’50. Ses tableaux embrassent la publicité, l’amusement, les bals, la musique, les lutteurs, et ils comprennent souvent des éléments de collage. On the Balcony (1955-57) est l’un des plus connus, et significativement l’un des premiers à être considérés comme des icônes du British Pop Art ; ce tableau montre l’intérêt de Blake de rapprocher et combiner des images de la culture pop et l’art classique. L’œuvre, qui semble un 75


collage mais qui est en fait complètement peinte, montre, entre autres choses, un garçon qui tient dans sa main Le Balcon d’Edouard Manet, des adhésifs et des magazines ; pour cette peinture, Blake s’est inspiré d’un tableau de l’artiste américaine Honoré Sharrer (1920-2009), qui représentait des travailleurs tenant des célèbres peintures (Workers and Paintings, MOMA).

Jasper Johns (1930-vivant) – Il est célèbre surtout grâce à sa peinture Flag (« Drapeau »), qui représente le drapeau américain. Son travail est souvent décrit comme « Néo-dada », en opposition au Pop Art, bien que ses sujets comprennent souvent des images et des objets tirés de la culture populaire contemporaine. Beaucoup de catalogues insèrent quand-même Jasper Johns parmi les artistes Pop pour son utilisation artistique de l’iconographie classique.

Wayne Thiebaud (1920-vivant) – Thiebaud, peintre américain dont les œuvres les plus célèbres sont des gâteaux (Cakes, à côté), des pâtisseries, des bottes, des toilettes, des jouets et des tubes de rouge à lèvres, est associé lui-aussi au Pop Art en raison de son intérêt pour les objets de la culture de masse (ayant travaillé dans les années ’60 aussi, en certains cas il emprunte aux œuvres de ses prédécesseurs). Thiebaud est un artiste très intéressant pour la façon dont il représente ses 76


sujets, en utilisant des pigments et des couleurs très vives, exagérées, qui s’opposent à des ombres très bien définies typiques des illustrations publicitaires.

Tom Wesselmann (1931-2004) - Considéré comme le plus élégant des artistes Pop et parfois associé à Matisse en tant que continuateur (dans son propre contexte) d’un style classique moderne, il s’est concentré

sur

les

collages

d’art

publicitaire

représentant des objets d’usage quotidien, sur les natures mortes et sur les installations, en utilisant des objets réels : il insérait dans ses œuvres de fausses façades de bâtiments, des étagères, des télévisions, des réfrigérateurs, des bouteilles, en faisant particulièrement attention à l’harmonie des espaces et à la solidité de la composition. Beaucoup de ses grandes œuvres ont un contenu sexuel très fort, et il est connu surtout pour ses séries Great American Nude (parmi les premières œuvres Pop à avoir un grand succès) et Smokers ; ces derniers, froids, intentionnellement impersonnels bien qu’ils soient nets et vifs, sont des exemples d’une interprétation artistique de la consommation populaire américaine de l’époque. Remarquablement, dès la moitié des années ’80 l’artiste choisit d’utiliser le laser pour graver ses dessins sur des plaques d’aluminium coupées et travaillées avec des filigranes colorées. Dans ces œuvres Wesselman reste directe, « manuel », « cru », et non pas trop affecté ou sophistiqué.

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Andy Warhol (1928-1987) – artiste central du mouvement Pop Art, il a déjà été traité en entier dans le chapitre 2.

David Hockney (1937-vivant) – Connu pour ses tableaux « au bord de la piscine », il est un autre représentant important du Pop Art en Grande-Bretagne, et il atteint le maximum de notoriété vers la fin des années ’60. Il était également un dessinateur, scénographe, imprimeur et photographe, ce qui montre encore une fois comment le mouvement artistique était lié

à

d’autres

disciplines,

techniques

industrielles

et

mouvements culturels du XXème siècle. L’œuvre la plus connue de Hockney est peut-être A Bigger Splash (1967) : « Quand je suis arrivé en Californie, j’ai découvert la façon relaxée et sensuelle de vivre sa vie. Le climat était ensoleillé, les gens étaient relaxés, beaucoup plus qu’à New York… Je ne savais pas si j’aurai trouvé quelque type de mouvement ou de vie artistique en Californie, mais c’était le moindre de mes problèmes »80. En Californie « Tout le monde avait une piscine, et on pouvait l’utiliser toute l’année sans qu’il soit considéré un luxe ». La piscine, donc, en tant qu’objet quotidien, et le soleil : ce sont les choses qui unissent Hockney et la seconde génération de Steve Kaufman (qui s’était déplacé lui-aussi à Los Angeles pour des raisons semblables).

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De www.tate.org

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George Segal (1924-2000) – Peintre et sculpteur américain, Segal a été associé au courant Pop à la fin des années ’50 ; ses sculptures, souvent caractérisées par les éléments commerciaux et les objets quotidiens typiques de ce mouvement artistique, se distinguent des œuvres des autres artistes pour une inquiétude, une anxiété sous-jacente visible dans les visages de ses figures, comme dans Bus Riders (à côté).

Robert Indiana (1928-vivant) – Il utilise distinctement l’illustration publicitaire comme technique principale en la mélangeant avec l’existentialisme, une union qui est ensuite allée graduellement vers ce qu’il a qualifié de « poèmes sculpturaux ». Ses œuvres consistent souvent en des icônes fortes et simples formées par des verbes tels que EAT (« mange »), HUG (« embrasse »), LOVE (« aime ») conjugués à l’impératif. Un des travaux les plus connus d’Indiana est justement Love (1964-1973), une œuvre très graphique née comme carte postale de Noël pour le MOMA et reproduite dans des timbres aussi. Certains mouvements juvéniles américains tels que les skaters et certains rappers l’ont adoptée comme symbole avec des implications sociales et de protestation. Love et d’autres images similaires, copiées et transformées en des objets de consommation (comme dans le cas récent du Merchandising des objets poussé à l'extrême par l’artiste Pop de seconde génération Romero Britto), poussent à réfléchir sur le problème des droits d’auteur : une des composantes fondamentales du Pop Art, la possibilité d’être reproduit en masse, devient maintenant un, voire le principal point faible de l’art, qui se retrouve

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imprimé et vendu même sur des rouleaux de papier toilette et pas pour un choix culturel ou de rupture de l’auteur, ce qui soulève beaucoup de doutes et de perplexités sur où la limite se trouve.

Jean-Michel Basquiat (1960-1988) - Au début il est devenu célèbre en tant qu’artiste de Graffiti Art à New York et ensuite, après 1980, comme artiste néo-expressionniste. Il était en étroit contacte avec Andy Warhol et Keith Haring. Les tableaux de Basquiat continuent à influencer les artistes modernes et à obtenir de hautes cotations sur le marché. Son art se concentrait sur les dichotomies

telles

que

richesse-pauvreté,

intégration-

ségrégation, sentiment-sensation, en puisant de la poésie et de la peinture du passé et en combinant le texte et l’image, l’abstrait et le figuratif. Basquiat utilisait le texte comme un tableau noir sur lequel exprimer celles qu’il considérait des vérités sur l’individu, des éléments de la lutte de classe ou de la critique sociale et politique. Beaucoup de ses œuvres n’ont pas de titre, parmi les plus célèbres il y a les « crânes ». Basquiat est mort à 28 ans à cause d’une overdose d’héroïne.

Keith Haring (1958-1990) – Il a été un artiste et activiste social appartenant au Néo-Pop Art et dont le travail était lié à la culture de rue de New York et aux années ’80. Ses images sont devenues un langage visuel universellement reconnu à la fin du XXème siècle. Haring travaillait dans la rue e il ne pouvait vivre sans la rue ; mort très jeun à cause du SIDA (maladie qu’il annonça publiquement) et pris par une 80


inquiétude éternelle, il était un ami de Andy Warhol et de Steve Kaufman. Haring a trouvé immédiatement son style et il s’est affermé rapidement grâce également au moment de grand intérêt pour l’art contemporain, et il a ouvert des points de vente de gadgets où on pouvait aussi voir les artistes au travail. Ses « bonhommes rayonnants » et les « chiens qui aboient » sont incomparables et ils colorent, grâce à ses émulateurs, de nombreuses villes du monde, en continuant à transmettre le sentiment de l’artiste.

Damien Hirst (1965-vivant) – Artiste, entrepreneur et collectionneur d’œuvres d’art anglais, il s’est fait connaître par le public en 1988 à Londres quand il a conçu et réalisé Freeze, une exposition dans un magasin abandonné dont faisaient partie ses travaux et ceux des étudiants qui collaboraient avec lui au Goldsmith College. Dans les dix années suivantes il est devenu un point de référence, l’un des artistes les plus influents de sa génération. Hirst est un artiste controversé, qui a souvent été au centre de l’attention et des polémiques à cause des installations réalisés avec des animaux morts ou sectionnés : des œuvres telles que L'impossibilité physique de la mort dans l'esprit d'un vivant, qui inclut un requin suspendu en formaldéhyde, ou Mère et enfant, séparés, constituée par des animaux découpés et mis dans le formol, sont exposées à la Tate Modern de Londres. Il est associé au Pop Art en raison des œuvres où il utilise des objets quotidiens tels que cigarettes et médicaments.

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Steve Kaufman (1960-2010) – Assistant d’Andy Warhol à la Factory, l’artiste a été traité séparément dans le chapitre 4.

Parmi les artistes du Néo-Pop Art il y a également : Kevin Cherry, dont les collages rappellent le travail des artistes des années ’60, qui atteint pourtant un nouveau niveau de développement grâce à l’utilisation de l’art numérique (qu’avait commencé à frôler Warhol dans les années ’80).

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Sung-Ho Bae, artiste coréen qui en 2007 a gagné (et cela est très intéressant) l’Adobe Design Achievement Award, un concours sponsorisé par le grand producteur de logiciels pour l’élaboration numérique d’images Adobe, avec l’œuvre Neuf différent problèmes inversement proportionnels. Romero Britto (1963- vivant) – Vedette du Cubisme Néo-Pop, il a suivi les traces de Warhol et Haring avec Kaufman, en utilisant un style coloré et vif qui reflet son optimisme et sa vision positive du monde. Britto propose des couleurs vifs et voyants, des sujets pop et des compositions qui attirent immédiatement pour leur fort pouvoir esthétique et visuel. A l’instar de Steve Kaufman, Britto est très aimé par les célébrités ; il compte parmi ses clients des personnages tels que Michael Jordan, Arnold Schwarzenegger, Andre Agassi, Roger Federer, Ronaldo, la famille Bush et la chancelière allemande Angela Merkel.

Takashi Murakami (1955-vivant) – Ses œuvres, inspirées des thèmes et des styles typiques de l’iconographie de masse, sont des icônes monumentales de la culture et de la société japonaise contemporaine et se concentrent sur la dichotomie des valences culturelles (haut-bas, ancien-moderne, orientaloccidental…). D’après Murakami, l’artiste est quelqu’un qui comprend les frontières entre les 83


différents mondes et fait l’effort de les reconnaître. Avec son style « Superflat » (« super plat »), qui se sert d’exquises techniques d’impression japonaises pour représenter un mélange entre le Pop, l’anime et l’Otaku sur un plan, il travaille, toujours dans une perspective individualiste et singulière, dans un milieu esthétique toujours en expansion et riche d’inspirations culturelles, en insérant souvent des références religieuses à côté des objets mondains.

Jeff Koons (1955-vivant) – Il est un artiste américain qui s’est affirmé dans le riche panorama culturel de New York dans les années ’80 et ’90. En partant de l’art conceptuel il a poursuivi le travail de Duchamp sur les « Ready Made », jusqu’à atteindre des résultats, du moins au niveau des affaires, qui étaient difficiles à imaginer auparavant (l’une de ses sculptures de la série Dogs a été récemment vendue pour 58 millions de dollars). Koons est considéré comme Néo-Pop car, à l’instar des artistes Pop, il utilise ses œuvres pour réfléchir sur les phénomènes de la société et du monde contemporains, dominés par le désir d’images narcissiques et d’un pouvoir d’achat illimité. Puppy (« chiot »), son terrier de 13 m de hauteur et composé par un coffrage « vivant » qui peut contenir 70 000 fleurs et qui est doué d’un système d’arrosage interne, a été réalisé en 1992 et ensuite reconstruit et amélioré en 1995. Dès 1997, sauf quelques tournées, il est exposé devant au Musée Guggenheim de Bilbao.

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Cindy Sherman (1954 - vivante) – Réalisatrice, mannequin, photographe, elle est considérée comme l’une des artistes les plus importants et influents de l’art contemporain. Pendant toute sa carrière elle a exploré les thèmes de la construction de l’identité contemporaine et de la nature de la représentation de façon provocante et éloquente, en se basant sur la disponibilité illimitée d’images venant des films, de la télévision, des magazines, de l’internet (et l’utilisation de ce nouveau média par une artiste est très significatif) et de l’histoire de l’art. Dans ses œuvres, elle a été modèle d’elle-même pendant trente ans, et elle s’est représentée dans un très grand nombre de costumes et situations, tantôt amusantes, tantôt dégoûtantes, tantôt provocantes ; pour réaliser ces œuvres, principalement photographies, elle joue les différents rôles de photographe, modèle, maquilleuse, styliste et dessinatrice de mode douée de tout un stock de perruques, costumes, masques et accessoires. Cindy Sherman est considérée part du mouvement Pop parce qu’elle est un personnage elle-même et en même temps elle modifie son apparence et l’environnement pour s’y unir en créant une myriade d’images intrigantes qui représentent des icônes du présent ou des icônes du passé plongées dans le présent, et en sérialisant la présence de personnages célèbres en les plaçant à côté de protagonistes de la vie commune tels que les employées ou les clochards.

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Les artistes italiens : Mimmo Rotella (1918-2006) – après avoir étudié à l’Académie de Beaux-Arts de Naples, anticonformiste depuis toujours, il a concentré son attention sur les techniques de la photographie, du collage et du photomontage. Après un séjour aux Etats-Unis (dont on voit clairement l’influence dans ses Marylin), le parcours artistique de Rotella l’a amené à imaginer des nouvelles formes d’expression, et a été renouvelé à travers l’arrachage des affiches : Rotella les mettait en pièces et ensuite les collait à nouveau tous ensemble, en transformant ses œuvres informelles en des constructions d’images de grosses dimensions (même sur tôle) mais clairement lisibles. De cette façon, il dépasse la frontière entre l’image bidimensionnelle et l’image plastique, en proposant des œuvres qu’on ne peut plus classifier selon les catégories traditionnelles de peinture et sculpture.

Michelangelo Pistoletto (1933-vivant) – Dans les années ’60 il commence à incorporer la photographie à ses peintures, et ensuite il montera ses figures grandeur nature sur des surfaces d’acier poli en guise de miroir, en essayant d’introduire le spectateur dans l’image. Il utilise également le collage, et il est associé au Pop Art par ses sujets, qui s’inspirent d’éléments de la vie quotidienne. Venere degli Stracci (« Vénus aux Chiffons), de 1967, oppose un nu classique à une pile de chiffons colorés, en créant un travail iconique qui explore les relations entre la tradition et 86


ce qui la dépasse. Ensuite, Pistoletto deviendra une figure symbole du courant dit « Art Pauvre », qui utilise des matériaux « pauvres » mais « honnêtes » pour obtenir un résultat élémentaire et pur. Ses œuvres ont été récemment exposées au Louvre et au Jardin des Tuileries. Il vit et travaille à Biella, sa ville d’origine, où il a créé la fondation « Città dell’Arte » pour soutenir la créativité et les idées innovatrices.

Il faut également mentionner Alighiero Boetti, Piero Gilardi, Aldo Mondino, Ugo Nespolo. La critique italienne a renfermé ces artistes dans la catégorie de l’Art Pauvre, dont ils ont tous fait ou font partie, avec plus ou moins d’intensité. Cependant, leurs modalités d’expression n’ont pas toujours été liées au mouvement de l’Art Pauvre : le critique Francesco Poli a mis en évidence combien leur façon de travailler se rapproche plus du monde du Pop Art que de celui de l’Art Pauvre. « Les images bariolées des lettres insérées dans les tapisseries de Boetti- écrit Poli- renvoient à l’artiste même des personnes ignorant toute autre œuvre de sa production éclectique et extrêmement vaste… ». Boetti est très fidèle à l’aura et aux règles canoniques du Pop Art italien, qui consiste à représenter les choses telles quelles, avec un calquage précis, en comptant sur l’inévitable effet d’éloignement produit par leur reconstruction avec des matériaux artificiels et des couleurs violentes. Mondino est l’un des artistes italiens les plus éclectiques, dont le parcours artistique va du Pop Art au langage de l’Arte Povera des débuts, en passant pour les plusieurs expérimentations de techniques et de matériaux. Nespolo a une racine Pop qu’il maintient exempte de toute aridité conceptuelle. Selon Pistoletto, enfin, l’art crée une

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image, même s’il ne veut pas être représentatif, et les moyens de diffusion transforment inexorablement l’œuvre en image, quelle qu’elle soit.

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Bibliographie Alanis E. Leona Kory, Michael Jackson, interviste e discorsi, Michael Jackson Alessandro dal Lago e Serena Giordano, Mercanti d’Aura- Logiche dell’arte contemporanea, Il Mulino, Bologna 2006 Alessandro del Puppo, L’arte contemporanea. Il secondo Novecento, Einaudi Editore, Torino 2013 Andy Warhol, America, Harper & Row, New York 1985 Andy Warhol, POPism: the Warhol’ 60s, 1980 Andrea Mecacci, Introduzione ad Andy Warhol, Editori Laterza, Bari 2008 André Breton, Manifesto del Surrealismo, 1924 Arthur C. Danto, Andy Warhol, Yale University Press, 2009 Carolina Carriero, Il consumo della Pop Art, Jaka Book, Milano 2003 Enrico Baj, Cose dell’altro mondo, Elèuthera, Milano 1990 Gillo Dorfles, Le oscillazioni del gusto, Einaudi, Torino 1970 Gilles Deleuze, Logica del senso, tr.it, Feltrinelli, Milano 1975 Giovanna Franci, The Myth of the Grand Tour and Contemporary Mass Tourism Imagination: the Example of Las Vegas - Università di Bologna Pat Hackett, I diari di Andy Warhol, De Agostini, Milano 1990 Jean Baudrillard, Della seduzione, SE, Milano 2010 Jean Baudrillard, La sparizione dell’arte a cura di Ezio Grazioli, Abscondita, Milano 2012 Keith Haring, Diari, Mondadori, Milano 2001

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Elenco siti internet consultati

www.artgallery.nsw.gov.au www.artnet.com www.arte.rai.it 90


www.banksy.co.uk www.insideart.eu www.americanpopartinc.com www.basquiat.com www.cindysherman.com www.damienhirst.com www.gagosian.com www.guggenheim.org www.jasper-johns.org www.haring.com www.huffingtonpost.com

www.lichtensteinfoundation.org www.moma.org www.museomaca.it www.oldenburgvanbruggen.com www.philippedaverio.it www.robertindiana.com www.stevekaufmanartlicensing.com www.tate.org www.tate.org.uk www.mozarteum.at www.warholfoundation.org www.xavierhufkens.com

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Tous les droits des images de Steve Kaufman réservés à : © Steve Kaufman Art Licensing LLC

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