Le Pharmacien de France n° 1312 (partiel)

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L’INTERVIEW

« Le CEPS ne fait pas ce qu’il veut » Maurice-Pierre Planel, président du CEPS

Le PHaRMaCIeN w ww. lep h armacie ndef ra nce. f r

Un vaccin contre Lyme en 2024 ?

La cosmétique oncologique

Halte aux poux !

ENQUÊTE P. 28

INFLUENCES P. 40

XXX P. XX BANC D’ESSAI P. 48

DEFRANCE N° 1312 JUILLET-AOÛT 2019

Le PHaRMaCIeN DEFRANCE

RETROUVER LA SOUVERAINETÉ La délocalisation de la fabrication des principes actifs hors de France et de l’Union européenne commence à faire sérieusement débat.

ENJEUX P. 24


L’Éditorial

Le PHaRMaCIeN DEFRANCE

Le temps presse

Philippe Besset

© ANH LENOIR

Président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France

No 1312 I 60e année I19/07/19 ISSN 0031-6938 I CPPAP : 0222 T 81323 www.lepharmaciendefrance.fr LE PHARMACIEN DE FRANCE 13, rue Ballu 75311 Paris Cedex 09 Tél. : 01 42 81 15 96 Télécopie : 01 42 81 96 61 DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : Philippe Besset DIRECTRICE DE LA RÉDACTION : Cécile Michelet DIRECTEUR OPÉRATIONNEL : Christophe Micas RÉDACTEUR EN CHEF : Benoît Thelliez (bthelliez@lepharmaciendefrance.fr) CHEF DE RUBRIQUE : Alexandra Chopard (achopard@lepharmaciendefrance.fr) RÉDACTRICES : Claire Frangi (cfrangi@lepharmaciendefrance.fr) Hélène Bry (hbry@lepharmaciendefrance.fr) SECRÉTAIRE DE RÉDACTION : Joséphine Volat (jvolat@lepharmaciendefrance.fr) ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO : Anaïs Jeanne I Anne-Gaëlle Moulun I Stéphany Mocquery I Josefina Lascurain CRÉATION ET RÉALISATION : Rampazzo & Associés - blog.rampazzo.com CORRECTION : Maylis Laharie IMPRESSION : Lescure Théol 27120 Douains ILLUSTRATIONS : Dessins : Martin Vidberg DIRECTEUR COMMERCIAL ET RESPONSABLE DE LA PUBLICITÉ : Christophe Bentz (cbentz@lepharmaciendefrance.fr) Tél. : 01 42 81 56 85 Fax : 01 42 81 96 61 ABONNEMENTS : Tél. : 01 42 81 15 96 Abonnement d’un an France-Corse (TTC) : 95 € I Guyane : 93,05 € I Guadeloupe, Martinique, Réunion : 94,03 € I Étranger : 160 € I Achat au numéro : 15 € I Étudiants et retraités : 75 € I Certificat d’inscription à la Commission paritaire de la presse : no 0222 T 81323 ORGANE D’INFORMATIONS SCIENTIFIQUES ET PROFESSIONNELLES PHARMACEUTIQUES Le Pharmacien de France est édité par la SARL « Le Pharmacien de France ». Siège : 13, rue Ballu, 75311 Paris Cedex 09. Durée 99 ans à compter de 1977 Capital : 93 000 euros I Cogérants : Philippe Besset I Jean-Jacques Le BianI Date du contrôle OJD : 18/06/2018.

’ L

adoption par le Par- dans notre interview le président du CEPS lement de la loi de ­Maurice-Pierre Planel, le prix d’un médicament ­santé qui introduit la n’a pas vocation à ­rester figé dans le temps. Mais dispensation proto- nous avons besoin de mesures permettant à c o l i s é e e s t u n e toutes les officines de vivre et pas seulement de bonne nouvelle pour la profes- survivre. L’avenant n° 11 montre aujourd’hui sion. En revanche, le nouveau ses limites : il n’est pas suffisamment protecteur rapport « Charges et produits » vis-à-vis des réductions tarifaires qui ne cessepublié par l’Assurance maladie ront pas de sitôt. Et les nouvelles missions ne jette un froid. Ce document, qui sert de base à permettent pas aujourd’hui de les compenser. l’élaboration du projet de loi de financement de Nous devons trouver de nouvelles solutions si la sécurité sociale (PLFSS), nous ne voulons pas que les prévoit la réalisation de près déserts pharmaceutiques se « La Rosp n’est de 900 millions d’euros d’écosuperposent aux déserts pas adaptée nomies supplémentaires sur médicaux. Pour moi, le prinles prescriptions de médicacipe d’une rémunération sur aux nouvelles ments et de dispositifs médiobjectifs de santé publique missions. » caux, qui viendront s’ajouter (Rosp) spécifique pour les aux baisses de prix sur les officines qui rendent un serproduits de santé envisagées par ailleurs. Mais vice de proximité permettra de leur donner la surtout, en cas de changement de prix, il préco- ­bouffée d’oxygène dont elles ont besoin. nise de réduire de 20 jours les délais d’écoule- Toutefois, force est de constater que la Rosp ment des médicaments aux anciens tarifs. n’est pas adaptée aux entretiens pharmaceuSi cette mesure était appliquée, ce serait catas- tiques, aux bilans de médication, aux futurs trophique pour le réseau qui traverse déjà une accompagnements des patients sous chimiomauvaise passe économique et en particulier thérapie, à la dispensation protocolisée ou à la pour les petites officines de proximité. Les pre- vaccination antigrippale. En réalisant ces mismiers « Amphis de l’officine » organisés par la sions, nous effectuons des actes ; elles doivent FSPF à la Maison des pharmaciens le 18 juin donc être rémunérées sous forme d’honoraires. dernier l’ont parfaitement montré. Ces pharma- Je l’ai dit à Agnès Buzyn lorsque je l’ai renconcies, si utiles aux patients, ne bénéficient géné- trée au ministère de la Santé le 4 juillet dernier. ralement pas de l’arrivée en ville des La balle est maintenant dans son camp. Mais le médicaments chers et subissent de plein fouet temps presse. Sinon, la pharmacie de proxiles baisses de prix. Certes, comme l’explique mité ne sera bientôt plus qu’un lointain souvenir.

C’

est avec une grande tristesse que nous avons appris la disparition de Jean-Louis Jamet survenue le 5 juillet, à l’âge de 74 ans. Ancien vice-président de la FSPF et président de la commission Relations sociales et Formation professionnelle, il participa au premier mandat de président de Bernard Capdeville, entre 1995 et 1998, avant de devenir vice-président de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris, puis vice-président

de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME). Pharmacien en chef du service de santé des Armées, il était également membre de l’Académie nationale de pharmacie et avait siégé au Conseil économique, social et environnemental (Cese). Un homme engagé et intègre au parcours exemplaire qui lui a valu d’être nommé officier de la Légion d’honneur et chevalier de l’ordre national du Mérite. Ses anciens collègues, amis et compagnons de route saluent aujourd’hui sa mémoire et adressent à sa famille et à ses proches leurs plus sincères condoléances.

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juillet-août 2019 Sommaire

Le PHaRMaCIeN DEFRANCE

Actualité

Santé

Officine

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28

48

4 LES DOSSIERS DE LA FÉDÉ

28 ENQUÊTE Un vaccin contre Lyme en 2024 ?

40 INFLUENCES La cosmétique oncologique 42 OFFICINE EN BREF

32 PANORAMA 33 FICHE CONSEIL Contraception et contraception d’urgence Tableau comparatif des moyens de contraception 36 INTERNATIONAL L’homme de demain

44 MARCHÉ Un marché bien soutenu 46 PRODUITS

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L’INTERVIEW

aurice-Pierre Planel : M « Le CEPS ne fait pas ce qu’il veut »

14 20 23

ACTUALITÉ EN BREF INDUSTRIE & CO LE KIOSQUE

ENJEUX

• •

48 BANC D’ESSAI Halte aux poux ! 50 NOUVELLES TECHNOLOGIES 51 APERÇU

52

À votre santé ! par Martin Vidberg

Retrouver la souveraineté Les contempteurs de la mondialisation et de ses effets pervers vont avoir du grain à moudre. Les pouvoirs publics et les industriels du médicament admettent désormais que l’origine des pénuries récurrentes

24

de médicaments enregistrées dans notre pays est en grande partie liée à une délocalisation massive des usines fabricant les principes actifs en Asie. La solution : redynamiser l’outil industriel à l’échelon national et européen.

ABONNEZ-VOUS maintenant au Pharmacien de France. Rendez-vous sur www.lepharmaciendefrance.fr Ce numéro comporte une carte T invitation au Congrès national des pharmaciens jetée sous film. Juillet-Août 2019 I No 1312 I 3


Actualité En bref

Le PHaRMaCIeN DEFRANCE

CE QU’ILS ILS L’ONT DIT ONT DIT

Dr Patrick Bouet, président réélu en juin du Conseil national de l’Ordre des médecins (Source : conférence de presse du 3 juillet)

Marc Alandry, vice-président de l’Association de pharmacie rurale (APR) à propos de la future fermeture de 400 écoles primaires de petits villages. (Source : Twitter, le 1er juillet)

Pr Axel Kahn, nouveau président de la Ligue contre le cancer. (Source : France Info, le 2 juillet)

La e-carte Vitale en pratique Alors qu’il était initialement prévu qu’elle soit généralisée en 2019, la « e-carte d’assurance maladie » sera finalement expérimentée pour un an à partir du troisième trimestre 2019 et délivrée aux ­assurés volontaires rattachés aux caisses primaires du Rhône et des AlpesMaritimes ainsi qu’à ceux rattachés aux caisses de la Mutualité sociale agricole Ain-Rhône et Provence Azur. Se présentant sous la forme d’une application pour smartphone dénommée apCV, elle ne sera valable qu’auprès des professionnels de santé participant à l’expérimentation. x

paracétamol

homéopathie

Déremboursée en deux temps La ministre de la Santé a tranché : les médicaments homéopathiques seront progressivement déremboursés.

C

omme elle s’y était engagée, Agnès Buzyn a donc décidé de suivre l’avis de la Haute Autorité de santé (HAS) qui préconisait de mettre fin au remboursement des produits homéopathiques en raison d’un manque de preuve de leur efficacité. Mais pas tout de suite. La radiation de ces spécialités de la liste des médicaments pris en charge par l’Assurance maladie ne deviendra effective qu’au 1er janvier 2021. D’ici là, la ministre a prévu une étape intermédiaire « pour permettre aux patients, aux industriels et aux prescripteurs de s’adapter ».

Ainsi, à partir du 1er janvier 2020, leur taux de remboursement sera ramené à 15 %, contre 30 % actuellement. Le chef de l’État s’est rangé à cette position, même s’il n’était pas insensible aux arguments économiques des fabricants et aux conséquences sur l’emploi. Sur le plan politique, le choix de dérembourser pourrait également avoir des répercussions. Près de trois quarts des Français y sont opposés selon un sondage réalisé en novembre 2018 et le président des Hauts-de-France, Xavier Bertrand, n’a pas hésité à monter au créneau contre le déremboursement de l’homéo. L’ancien ministre de la Santé qualifie ainsi cette décision de « fausse bonne idée », qui mettrait à mal le « pouvoir d’achat » et la « liberté de choix des patients ». x

OFFICINE

Messages d’alerte sur les boîtes

Cinq nouvelles missions

« Dépasser la dose peut détruire le foie » pourra-t-on bientôt lire sur les emballages des spécialités à base de paracétamol. Si l’antalgique est associé à un autre principe actif, la mention « Ne pas prendre un autre médicament contenant du paracétamol » devra également figurer sur la boîte. L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a donné neuf mois aux fabricants pour se mettre en conformité. Plus de 200 spécialités à base de paracétamol sont commer­cialisées en France. x

Les parlementaires ont terminé l’examen du projet de loi de santé. Ce texte élargit encore le rôle du pharmacien d’officine. Malgré quelques rebondissements, le principe de la dispensation protocolisée de certains médicaments a été entériné. À partir de 2020, les officinaux seront donc autorisés, selon des protocoles inscrits dans le cadre d’un exercice coordonné, à délivrer des médicaments afin de traiter certaines pathologies définies. Ils pourront

18 I No 1312 I Juillet-Août 2019

également prescrire des vaccins, substituer un médicament d’intérêt thérapeutique majeur par un autre en cas de rupture de stock ou encore renouveler des traitements chroniques et en ajuster la posologie lorsqu’ils seront désignés comme « correspondant » par le patient, dans le cadre, là aussi, d’un exercice coordonné et avec l’accord du médecin. Enfin, ils deviendront acteurs du télésoin. Ils seront ainsi habilités à pratiquer certains actes à distance,

© ADOBESTOCK/RUKANOGA

expérimentation

DR

« Un enfant sur deux né récemment sera dans sa vie atteint du cancer. »

© IDRISS BIGOU-GILLES

« On peut déjà envisager une pharmacie bar-tabac-PMU ! ».

DR

« Les CPTS sont de véritables foires d’empoigne dans certaines régions. »

par vidéotrans­mission, à condition qu’ils aient déjà réalisé un ­premier soin, un bilan de médication ou un entretien pharmaceutique à ce patient dans leur officine. La mise en œuvre de ces missions doit encore faire l’objet de décrets ou d’arrêtés.


En bref Actualité

Le PHaRMaCIeN DEFRANCE

REPÈRES

86 %

72 %

7,8/10 88 %

C’est le pourcentage de Français qui jugent le prix des médicaments trop élevé.

C’est la proportion d’adhérents à la Caisse d’assurance vieillesse des pharmaciens (CAVP) qui estiment qu’une réforme des retraites est inutile.

C’est la note moyenne de satisfaction attribuée par les Français au conseil délivré par leur pharmacien.

(Source : Baromètre Santé Opinionway pour Deloitte)

(Source : enquête Harris Interactive pour l’Afipa)

C’est la proportion de médecins qui pensent qu’une meilleure sensibilisation à la prévention en santé devrait être effectuée par les praticiens et les pharmaciens. (Source : Baromètre santé 360, Odoxa)

(Source : enquête Pro’action retraite)

comptabilité

médicaments

Un décret publié au Journal officiel du 29 juin donne le coup d’envoi d’une expérimentation de déclaration dématérialisée, auprès des agences régionales de santé (ARS), du chiffre d’affaires (CA) global et détaillé des pharmacies d’officine. L’objectif est de collecter des données en vue d’une révision du mode de calcul du nombre d’adjoints devant être employés en fonction du CA d’une officine. Cette expérimentation, qui prendra fin le 31 décembre, concerne les départements de l’Yonne, d’Eure-etLoir, de Haute-Corse, de Corse-du-Sud, de l’Aisne, du Val-d’Oise, du Tarn, de la Mayenne et des Alpes-de-Haute-Provence. x

Afin d’endiguer le phénomène des pénuries de médicaments, la ministre de la Santé Agnès Buzyn a présenté une feuille de route dont l’objectif est de « promouvoir la transparence et la qualité de l’information, agir sur l’ensemble du circuit du médicament pour prévenir plus efficacement les pénuries de médicaments et mieux coordonner notre action, tant au niveau national qu’au niveau européen ». Parmi les mesures annoncées, l’extension de l’accès à DPRuptures à toute la chaîne de distribution du médicament et la possibilité pour le pharmacien de remplacer un médicament d’intérêt thérapeutique majeur par une autre spécialité en cas de rupture. x

La télédéclaration testée

Mesures anti-ruptures

MACRO / ÉCO

L’écart entre petites et grosses officines se creuse Les dynamiques économiques qui caractérisent les deux extrémités du réseau officinal sont clairement opposées. Les données d’évolution du chiffre d’affaires (CA) fournies sur cinq ans par CGC, le groupement d’experts-comptables spécialisés dans la gestion d’officines, laissent apparaître un décalage flagrant entre les petites pharmacies dont le CA annuel tourne autour de 1 million d’euros et celles qui ont un CA annuel de 2 millions d’euros et plus. Cette tendance désormais pérenne démontre bien qu’une menace réelle pèse sur les petites pharmacies de proximité si aucune mesure n’est mise en œuvre pour les aider à i­nverser la tendance.

Évolution du chiffre d’affaires (HT) par taille d’officine (prestations de services comprises) 3 %

2 %

1 %

0

2014

– 1 %

2015 2016

– 2 %

2017 2018

– 3 %

– 4 %

Toutes catégories

< 1 000 k€

1 000 à 1 500 k€

1 500 à 2 000 k€

2 000 à 2 500 k€

> à 2 500 k€

Source : étude CGP sur 327 officines étudiées excluant celles ayant réalisé un regroupement ou un transfert.

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Actualité Enjeux

Le PHaRMaCIeN DEFRANCE

Les problèmes croissants de pénuries de médicaments posent la question d’un retour à une souveraineté, si ce n’est nationale du moins européenne, pour la fabrication de certains principes actifs et des médicaments essentiels. par Stéphany Mocquery

RETROUVER LA SOUVERAINETÉ Après un rapport de l’Académie nationale de pharmacie en juin 2018 et un rapport sénatorial en octobre de la même année, c’était au tour des industriels de se pencher sur la problématique des pénuries de médicaments, le 14 mai dernier, à l’hôtel national des

Invalides à Paris, à l’occasion d’un colloque intitulé « Principes actifs et médicaments : la souveraineté de la France est-elle menacée ? ». « Le problème des pénuries de médicaments est un problème croissant depuis de nombreuses années mais dont on ne commence à voir ­l’urgence que maintenant », indique Muriel Dahan, inspectrice générale des affaires sociales (Igas) « Entre 60 et 80 % et membre de l’Académie nationale de pharmacie. « Un phénomène qui des principes actifs s’est accéléré depuis 3-4 ans, en tout sont fabriqués hors de cas en ce qui concerne les médicaments anticancéreux », ajoute-t-elle. l’Union européenne. » Selon Philippe Lamoureux, direcVincent Touraille, président du Sicos Biochimie teur général du Leem (Les Entreprises du médicament), « depuis mars 2019, on constate 652 ruptures d’approvisionnement contre 400 en 2014 ». Qu’il s’agisse de ruptures périodiques de produits ou de tensions d’approvisionnement dans les officines ou les établissements de santé, « les médecins n’arrivent plus à prescrire les médicaments qu’ils pensent être les meilleurs et les patients sont les premières victimes de cette situation », rappelle Muriel Dahan. Délocalisations et érosion En cause ? La perte d’autonomie de la France, mais également de l’Europe, en matière de production et d’approvisionnement en principes actifs et médicaments. « Après avoir été leader de 1995 à 2008, la France figurait, en 2018, 24 I No 1312 I Juillet-Août 2019

au 4e rang des distributeurs de médicaments en valeur en Europe, derrière la Suisse, l’Allemagne et l’Italie », indique Vincent Touraille, président du syndicat Sicos Biochimie. « On estime désormais qu’entre 60 et 80 % des principes actifs sont fabriqués hors de l’Union européenne, alors que cette proportion était de 20 % il y a 30 ans », ­ajoute-t-il. Une production en grande partie délocalisée en Chine et en Inde. « Depuis vingt ans, nous avons connu de grandes évolutions industrielles, rappelle le président du Sicos Biochimie. Cela a contraint les acteurs du marché pharmaceutique européen à s’adapter, à la fois pour faire face à un marché mondialisé avec une progression permanente de la demande [+ 6 % par an, NDLR], mais également pour répondre à des normes de qualité en perpétuelle évolution et à des contraintes de production environnementales plus élevées en Europe qu’en Asie. » De nombreux fabricants de principes actifs ont donc disparu des paysages français et européen suite au transfert massif des usines de production en Asie, où la réglementation en matière de protection de l’environnement est moins sévère, tout au moins jusqu’à encore récemment en Chine. « En France, les entreprises se sont spécialisées sur les étapes finales de la production des principes actifs, à plus forte valeur ajoutée et à plus fortes barrières réglementaires, au détriment des étapes en amont, mais leur taille a stagné comparé à la croissance mondiale du marché des médicaments », ajoute Vincent Touraille. La mise en place du plan Bluesky en Chine en mai 2018 a, par ailleurs, accentué les tensions d’approvisionnement en principes actifs en provenance de l’empire du Milieu. Ce plan impose aux entreprises chinoises un respect strict de nouvelles normes réglementaires en


Enjeux Actualité

Le PHaRMaCIeN

© ADOBESTOCK/DANJAZZIA

DEFRANCE

termes de rejets de polluants et d’effluents dans l’environnement. Ce qui a contraint un certain nombre de fabricants chinois à interrompre, modifier, voire arrêter leur production, les investissements nécessaires à la mise aux normes et/ ou les volumes produits n’étant plus assez rentables. Du côté des médicaments, les laboratoires pharmaceutiques français et européens, confrontés à une forte concurrence sur les prix et les volumes des produits en provenance du sud-est asiatique, ont été contraints à d’importantes rationalisations. Avec, pour conséquences, une réduction du nombre de sites de production, des fermetures d’unités de production et une réduction des effectifs. « Tout cela a conduit à l’érosion d’un tissu industriel performant sur l’ensemble de la chaîne de valeurs », fait remarquer le président du Sicos. Sécuriser l’approvisionnement La solution pour pallier les pénuries de médicaments et sécuriser les approvisionnements passe nécessairement par l’échelon européen. « La plupart des pénuries concernent de vieux médicaments utilisés dans tous les pays d’Europe », souligne Muriel Dahan. « En dimensionnant nos besoins en médicaments au niveau européen, il serait possible de donner une visibilité aux producteurs de principes actifs sur ces

besoins et de promouvoir une augmentation de leur production, voire de se mobiliser pour trouver de nouveaux producteurs », indique-t-elle. « Une autre voie serait de constituer une force de production européenne qui permettrait, a minima, de pallier les ruptures sur des médicaments essentiels [anticancéreux et antibiotiques notamment, NDLR], soit en constituant de nouvelles usines, soit en augmentant les capacités de production des usines existantes », ajoute-t-elle. III

L’ exemple des sartans Entre juillet 2018 et mars 2019, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a procédé à des rappels massifs de lots de valsartan et d’irbésartan ainsi que d’un lot de losartan après que de la N-nitrosodiméthylamine (NDMA) et de la N-nitrosodiéthylamine (NDEA) ont été retrouvées dans la substance active (sartan) de ces médicaments. Ces nitrosamines sont classées comme probablement cancérogènes par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ). Si la plupart des patients sous sartan ont pu bénéficier de traitements équivalents et que les lots non concernés par les rappels ont pu être réservés à ceux n’ayant pas d’alternative, cette pseudo-crise illustre bien les risques liés à la dépendance envers un nombre limité de fabricants de substances actives. Le valsartan contenu dans les lots rappelés provenait majoritairement d’un seul fabricant chinois, Zhejiang Huahai. La présence de NDMA et de NDEA serait, semble-til, liée à des modifications du procédé de fabrication du principe actif.

Juillet-Août 2019 I No 1312 I 25


Actualité Enjeux [Retrouver la souveraineté]

Le PHaRMaCIeN DEFRANCE

Pour les anticancéreux, une liste de 42 médicaments totalement irremplaçables a d’ailleurs déjà été établie. III

de la Santé. Tout en soulignant que l’État français a déjà mis en place un certain nombre de fonds pour aider à l’industrialisation (fonds SPI, Sociétés de projets industriels, pour 800 milliards d’euros ; fonds Large Venture pour 1 milliard d’euros…), la responsable rappelle la nécessité d’investissements privés : « Il faut que les industriels et les banques, notamment, se joignent à l’État pour coinvestir et qu’il y ait une volonté de la part de l’industriel de s’inscrire de façon pérenne en France, avec, notamment, des créations d’emplois importantes. »

Renouer avec la compétitivité française Au niveau national, en revanche, le rapatriement de la production des principes actifs et des médicaments est plus problématique : « Le réseau industriel français est vieillissant et souffre d’un manque d’investissements depuis plusieurs années », souligne Gwenaël Servant, administrateur du Sicos Biochimie et directeur du Business Development chez Servier. « Nous manquons de capacités de production, même avec une liste Rien n'est perdu… de médicaments essentiels », ajoute-t-il. Pour les Si la prise de conscience est récente, « elle principes actifs, notamment, la France ne compte commence à se généraliser », se félicite Muriel désormais plus qu’une centaine de sites de pro- Dahan, qui précise, par ailleurs, que l’Institut duction, contre 2 000 au sein de l’espace éco- national du cancer (Inca) a mis en place des nomique européen, 400 en Allemagne et 300 en mesures avec l’Agence nationale de sécurité du Suisse. Pour l’administrateur du Sicos, « non médicament et des produits de santé (ANSM) seulement il faut investir pour conserver les sites pour tenter d’endiguer ces pénuries. « L’ANSM existants, mais il faut en va chercher des alternacréer d’autres ». Il faut tives dans d’autres pays « La plupart des également, et surtout, que pour obtenir une partie les entreprises françaises pénuries concernent de des lots pour la France », soient attractives. « L’ave- vieux médicaments. » ajoute-t-elle. Gwenaël nir de la localisation et de Servant, lui, indique que l’implantation des entre- Muriel Dahan, inspectrice à l’Igas la France vient de rentrer prises en France vient de dans le top 5 des pays les leur capacité à être compétitives, notamment sur plus attractifs pour les industriels. « Il y a une les procédés de production, ce qui implique de belle dynamique dont il faut profiter, sans compl’innovation », fait remarquer Julie Galland, res- ter que la chimie est le premier secteur exportaponsable du bureau des industries de santé à la teur en France, devant l’aéronautique et Direction générale des entreprises du ministère l’automobile », conclut-il. x

« En France comme en Europe, on note une forte recrudescence du développement de nouvelles molécules depuis 7 à 8 ans, un secteur dynamisé par l’émergence des start-up et des medtech », indique Vincent Touraille, président du Sicos Biochimie. Sur les médicaments à forte valeur ajoutée, notre pays reste compétitif. Il est, en revanche, très en retard dans la bioproduction : « Nous manquons de structures capables d’accompagner la production des phases de développement jusqu’à la commercialisation », ajoute-t-il. Le développement et la commercialisation des médicaments biologiques se fait donc principalement à l’extérieur, notamment en Allemagne, en Suisse et aux États-Unis. Pour Gwenaël Servant, administrateur du Sicos Biochimie, il est encore temps d’agir « en focalisant certains investissements stratégiques sur ce secteur ». Quant à Julie Galland, responsable du bureau des industries de santé, elle rappelle que l’État français s’est déjà investi, dans le cadre du contrat du comité stratégique de filière (CSF), pour rendre l’outil industriel français compétitif en bioproduction : « Le projet s’est fixé comme objectif de diviser le coup de production des molécules biologiques par 100 et d’industrialiser en France, précise-t-elle. Quarante millions d’euros ont déjà été sécurisés ; nous attendons maintenant la mobilisation des industriels pour aller plus loin. »

26 I No 1312 I Juillet-Août 2019

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Et les biomédicaments ?


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