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La polarisation des idées à l’ère numérique

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Chère dulcinée

Chère dulcinée

Depuis toujours, le choc des idées est porteur d’innovation et d’avancement. Mais il peut aussi être source de conflits. Les réseaux sociaux, plateformes de partage des idées largement utilisées aujourd’hui, sont le théâtre quotidien de ces confrontations. Survol du phénomène.

Les algorithmes très avancés de ces plateformes analysent les préférences de l’utilisateur afin de lui proposer un contenu, informatif et promotionnel, qui correspond à ses champs d’intérêt et à son profil de consommation en ligne. L’intention ici étant de le garder le plus longtemps possible en ligne, sur ladite plateforme. Ainsi ciblé, l’utilisateur devient la proie des publicitaires et aussi des communautés d’idées. Le problème réside donc dans le fait que, sans nécessairement le réaliser, un citoyen qui utilise les médias sociaux comme principale source d’information consomme des nouvelles qui alimentent sa vision du monde telle qu’il l’accepte déjà. Les algorithmes ne favorisent pas la diversité des sources d’information. Ce qui en résulte, entre autres, c’est la facilité avec laquelle les gens tendent maintenant à se diviser sur les idées qu’ils croient être les bonnes. On remarque ainsi une polarisation des médias sociaux et l’application du concept de chambre d’écho. Plusieurs études confirment que les utilisateurs des plateformes de médias sociaux sont polarisés, ce qui signifie qu’ils ont tendance à lire et à partager l’information qui est en lien avec leurs croyances actuelles (biais de confirmation), créant ainsi des communautés fermées qui n’interagissent pas avec des perspectives différentes, ce qu’on appelle les chambres d’écho. Les utilisateurs confinés à l’intérieur de ces communautés ont tendance à être exposés seulement à de l’information qui confirme leurs points de vue, même si le contenu de cette information inclut des faussetés. La personnalisation des algorithmes facilite la création de ces chambres d’écho, facilitant la propagation de fausses nouvelles (traduction libre). Plusieurs auteurs et chercheurs se sont penchés sur ce phénomène et en quantifient l’ampleur. Omniprésents dans la vie de milliards d’individus (Facebook a plus de 2 milliards d’utilisateurs actifs depuis juin 2017, YouTube 1,5 milliard, Instagram 700 millions et Twitter 328 millions), les réseaux sociaux sont utilisés comme source d’information pour 62% des adultes américains et 48% des Européens. Les auteurs expliquent que le développement exponentiel des plateformes numériques a considérablement accru le risque de manipulations de l’information de plusieurs manières. D’abord, il y a la surabondance d’information. On y apprend que l’Américain moyen a maintenant accès à cinq fois plus d’information aujourd’hui (rappelons que l’ouvrage date de 2018) qu’en 1986. Ainsi, la surcharge d’information contribue à la difficulté d’y voir clair et de se faire une idée précise de l’opinion à adopter. Comme le soulignent les auteurs, «[…] ce n’est au fond que l’application aux réseaux sociaux d’une thèse bien connue des psychologues […]: trop d’informations nuit à la prise de décision.» Toujours selon la même étude, les auteurs mentionnent d’autres impacts face auxquels nous devons demeurer prudents:

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• Le nombre de vecteurs disponibles pour diffuser la fausseté (potentiellement autant qu’il y a d’utilisateurs de ces réseaux, c’està-dire plusieurs milliards) ; • La plus grande précision de la segmentation et du ciblage de la population (micro-targeting), les cibles les plus vulnérables étant les jeunes (17-25 ans) ; • Le faible coût de cette diffusion (quelques clics, quelques minutes) et la démocratisation de l’apparence journalistique (facile de faire un blog, une page, un site, d’allure professionnelle); • L’horizontalité des médias sociaux permettant à chacun de diffuser des contenus à tout le monde sans passer par des instances de contrôle éditorial ; • Le fait qu’Internet n’ait pas de frontière, et donc que des puissances étrangères puissent facilement y infiltrer des communautés et y répandre de fausses nouvelles ; • Le progrès technique dans l’édition de contenus photo, vidéo, audio qui sont de plus en plus proches de la réalité, donc moins détectables. Il est facile de voir dans notre quotidien à quel point cette réalité est omniprésente. La polarisation des idées bat son plein depuis quelques années et le contexte de pandémie mondiale n’a rien fait pour atténuer le problème. À titre d’exemple, la discorde face aux mesures sanitaires, les théories du complot qui ne cessent de faire surface peu importent la thématique, la politique américaine qui expose la dynamique Trump versus Biden et le conflit ukrainien qui offre un terrain fertile à la désinformation. Ce ne sont que des exemples qui exposent dans quelle mesure un fossé insurmontable se creuse entre les opinions divergentes. Chacun se réconfortant dans ses croyances, on oublie le compromis, on néglige la discussion et l’effort de comprendre l’autre. Comme dans bien d’autres aspects du monde dans lequel nous vivons, la grande majorité silencieuse se retrouve au milieu avec une position de compromis raisonnable. Le problème se trouve aux extrêmes, tant à gauche qu’à droite du spectre politique. Beaucoup d’encre coule sur la montée de l’extrême droite, et avec raison. Il faut assurément s’en méfier. Il serait pourtant imprudent de sous-estimer les dangers de l’extrême gauche. Ceux qui en doutent sont invités à réviser certains passages historiques récents. Plus particulièrement en ce qui a trait à l’URSS de Staline et la Chine de Mao, tous deux de fervents défenseurs du peuple et de l’abolition des élites… On connaît le résultat. Avec l’accès aux technologies actuelles, n’importe qui peut maintenant publier sa pensée, ses opinions et défendre ses points de vue. Les citoyens brillants et bien informés peuvent ainsi communiquer entre eux et partager leur vision du monde. Tout comme les idiots.

PHILIPPE FORTIN

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