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Tous cohabitants

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Chère dulcinée

Chère dulcinée

C ourtoisie: Claude Cossette

Il y a trente ans, seuls de nouveaux retraités de souche habitaient dans ma bâtisse. Maintenant, j’avoisine un jeune couple d’ascendance coréenne, une famille d’immigrés maghrébins, quelques universitaires à la peau noire ou blanche. Et d’autres. Pour le genre humain, la cohabitation est une façon ordinaire de vivre. Vivre sous le même wigwam, le même igloo ou le même toit, constitue la manière habituelle de se protéger contre les intempéries… et de gagner en humanité. Comme le définit la troisième acception du dictionnaire Larousse, cohabiter c’est: «3.Vivre avec un autre groupe sur le même territoire sans remettre en cause le système existant».

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LA COHABITATION PRIVÉE

Certaines personnes partagent le même «territoire» pour des raisons pratiques. C’est le cas de ces collégiens obligés de gagner une métropole pour poursuivre leurs études. De ces travailleurs parachutés dans une autre ville le temps d’un contrat. De cette main-d’œuvre saisonnière qui supplée aux bras qui nous manquent. D’autres y sont contraints par les circonstances comme ces désargentés coincés dans un espace minimal, ces réfugiés entassés à huit ou dix dans un logement exigu, ces itinérants partageant, au mieux, une place dans un dortoir et souvent, qu’un coin de gazon ou de béton. Cohabiter, c’est parfois choisir de partager le même lit. C’est le cas de ces jeunes adultes enflammés par l’énamourement, trop heureux de construire leur petit nid d’amour. Ou de ces vieux couples qui cohabitent, à travers vents et marées, depuis vingt-cinq, cinquante ans ou davantage. On peut également penser à cette cohabitation intergénérationnelle où des parents partagent leur logis avec fils et belle-fille, fille et gendre… incluant parfois les petits-enfants. Ou celle où des fils, des filles, partagent leur espace familial avec leurs parents qui ont besoin de soins. Que la cohabitation soit contrainte par les circonstances, déclenchée par la générosité ou nourrie par l’instinct grégaire, elle générera ses instants de bonheur autant que ses passages difficiles. Mais elle demeure une manière tout humaine de vivre.

LA COHABITATION TERRITORIALE

Sédentaires ou nomades, les humains se sont toujours déplacés pour chercher des terres plus hospitalières, un climat plus clément, des ressources plus abondantes (eau, fruits et légumes, gibier), des voisins plus paisibles. Et ces mouvements de population ne font que s’amplifier. Cela, pour plusieurs raisons dont les récents moyens de communication qui facilitent les déplacements et qui font miroiter des styles de vie plus alléchants. Conséquemment, plus de gens s’expatrient. Ils le font pour réaliser un rêve ou parce qu’ils sont poussés par des forces externes (guerre, racisme, famine, intolérance religieuse). C’est ainsi qu’au cours des dernières décennies, la population du Québec s’est maintenue par l’immigration, produisant des communautés multiculturelles composées de résidents de la culture native et de corésidents de cultures allochtones, tous obligés de cohabiter. Le sociologue Zygmunt Bauman estime que, quelle que soit leur origine ethnique, les élites se détachent de leur culture propre, partageant même style de vie et mêmes valeurs. Cela, contrairement aux classes populaires qui, enracinées dans leur culture locale, ne cohabiteraient avec «les étrangers» que dans la méfiance — au mieux, dans l’indifférence ou la tolérance. Dans une cohabitation désormais inévitable, les Québécois-de-terroir se voient invités (contraints?) à relativiser leur culture et leurs mœurs, alors que l’on attend des immigrants qu’ils manifestent clairement (qu’ils prouvent?) leur loyauté et leur affection à leur pays d’accueil et non pas qu’ils maintiennent et affichent les signes qui les distinguent. Et dans ce contexte, tous doivent pratiquer la tolérance: les «de terroir» doivent consentir quelques accommodements aux nouveaux arrivants et ceuxci doivent s’accommoder des mœurs de leur pays d’accueil. Or, dans La Tolérance pervertie, l’anthropologue québécois Raymond Massé juge que la paix sociale se trouve menacée par des accommodements consentis avec trop de légèreté par les Québécois. Dans Le Naufrage des civilisations, le grand écrivain Amin Maalouf prévient par ailleurs que, quoi qu’il fasse, tout porteur de deux nationalités risque d’être considéré comme un «traître». Qu’ils aient raison ou tort, le fait est que la cohabitation sera inévitablement un lieu de conflits, de négociations, d’ajustements. Puis, avec la bonne volonté de chacun, DE PAIX en construction!

CLAUDE COSSETTE

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