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Cohabiter au quotidien avec l’itinérance
S OCIOLOGUE EN RÉSIDENCE
QU’EST-CE QUE L’ITINÉRANCE?
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En 2012, le Réseau canadien de recherche sur l’itinérance définit l’itinérance comme étant «la situation d’un individu ou d’une famille qui n’a pas de logement stable, permanent, adéquat, ou qui n’a pas la possibilité ou la capacité immédiate de s’en procurer un». L’itinérance est également comprise à l’intersection de nombreuses difficultés psychosociales: perte du réseau de soutien, problème de santé physique, problème de santé mentale, consommation de substances psychoactives, etc. Ces causes sont dites individuelles. D’autres phénomènes sociaux peuvent participer à la désaffiliation sociale d’une personne: pénurie de logements, éviction illégale, mauvaise sortie d’institutions et la non-reconnaissance de sa force de production sur le marché du travail.
PÉNURIE DE LOGEMENTS
Une première cause structurelle, pouvant être pointée du doigt, est l’actuelle pénurie de logements abordables. Selon le gouvernement du Canada, un ménage devrait consacrer 30% de son revenu pour se loger. Aujourd’hui, dans la région métropolitaine de Québec, le prix moyen pour un 31/2 sur Kijiji est de 87$, alors qu’en 2020 le prix moyen était de 799$ (RCLALQ, Juin 2022). En printemps dernier, l’État québécois reconnaissait, dans une publicité diffusée à la radio, le problème en matière de logements. Dans cette campagne de prévention à l’itinérance, le gouvernement québécois pressait les locataires de se trouver un nouveau logement dès qu’ils décidaient de ne pas renouveler leur bail.
ÉVICTION ILLÉGALE
En 2021, l’expression «rénovictions» est apparue 11 fois dans les médias québécois. Educaloi (9 avril 2021) a publié un article présentant cinq situations d’éviction frauduleuse. L’objectif derrière ces délogements est décrit comme étant économique: rénover pour louer plus cher un logement. Comme les logements sont devenus une denrée rare, il devient économiquement intéressant d’augmenter la valeur de son bien sur le marché. Cela se fait trop souvent au détriment des locataires, qui voient leurs droits bafoués.
SORTIES D’INSTITUTIONS
Parfois, certaines personnes se retrouvent en situation d’itinérance à la suite d’une sortie de détention ou d’hospitalisation, autant en ce qui a trait à la santé physique que mentale. C’est une situation courante dans le cadre de mon travail d’intervenant: le personnel hospitalier m’a déjà demandé d’aller porter un homme en situation d’itinérance, gravement brûlé, sous le pont où il demeurait. Bien sûr, il existe des «trajectoires» pour ces situations, mais parfois elles sont inadaptées aux besoins de la personne.
LE MODE DE PRODUCTION CAPITALISTE
Vous le savez peut-être, mais le Magazine La Quête offre une expérience de travail à une population qui n’a pas su faire valoir, sur le marché du travail, leur force de production. Ces camelots, à 40°C comme à -40°C, sont debout, à l’extérieur et travaillent pour des raisons qui leur sont propres. Néanmoins, on peut supposer que ce travail participe à leur réintégration au sein du tissu social.
L’ESPACE PUBLIC
Au travers de ces quatre phénomènes sociaux, j’ai tenté de révéler la manière dont la société pouvait entraîner, par son mode de fonctionnement, l’individu en situation de précarité résidentielle. Ces normes bourgeoises ordonnent et structurent les espaces publics, afin de répondre aux intérêts d’une partie de la population aisée, appuyés par l’État et le travail policier. Pour les personnes vivant la rue, l’espace public est réimaginé comme un lieu permettant de répondre à des besoins primaires: se laver, se réchauffer, se reposer et se nourrir. Il est également le lieu du divertissement, celui qui permet de rencontrer de nouvelles personnes et de se raconter. Et si, au lieu de sortir de chez nous, nous rentrions chez eux ? Et si leur souffrance était en quelque sorte le matériau de notre confort matériel?
NICOLAS FOURNIER-BOISVERT
Que sont devenus nos journalistes?
UNE AVENTURE QUI PORTE SES FRUITS
Après mon passage à La Quête, j’ai eu le plaisir d’obtenir mon diplôme et de mettre fin à mon parcours postsecondaire après 10 ans sur les bancs d’école dans la région de Québec. En plus d’avoir l’opportunité de continuer comme pigiste pour le magazine UnPointCinq, qui a aussi été mon stage de fin d’études, j’ai aussi déniché un emploi de journaliste pour le journal local de ma région d’origine, Le Courrier de Portneuf. Cet emploi m’a permis d’abreuver ma soif de terrain pendant près de deux ans, alors que j’ai eu l’occasion de me promener d’un bout à l’autre de la région dans laquelle j’ai grandi, en allant à la rencontre des gens qui l’habitent. En plus des nouvelles, des points de presse et des activités organisées à l’année dans la région, j’étais aussi affecté à une série de portraits en profondeur de gens de la région, une expérience qui m’a permis de développer mes habiletés en entrevue. Le genre de choses qui ne s’apprennent pas sur les bancs d’école aussi facilement. Cet emploi, bien que très agréable, restait assez précaire, et avec la réduction d’autres opportunités de pige, j’ai choisi après presque deux ans de regarder ailleurs pour tenter de trouver un emploi qui pourrait m’offrir un peu plus de stabilité et plus d’heures. Quelques mois après le début de mes tentatives pour trouver quelque chose de plus permanent, j’ai eu la chance d’être engagé à Radio-Canada, une de mes compagnies de médias préférées. Seul hic, l’emploi est à Toronto, à quelque 750 kilomètres de ma vie, mes amis, ma famille. J’ai fait le choix conscient de dire oui à l’aventure, au nom de ma carrière, de mon futur et aussi avec le désir d’essayer de nouvelles choses. Le 4 août 2019, j’ai empilé ma vie dans ma voiture, la presque totalité de mes possessions terrestres, et j’ai déménagé dans la Ville Reine. Mes débuts à Radio-Canada ont été stressants. Moi qui arrivais de la presse écrite, sans aucune expérience en radio ou à la télé, j’avais des mois de rattrapage à faire pour acquérir les habiletés et la confiance pour être capable de performer juste pour la radio ! J’ai passé une bonne partie de mes premiers mois radio-canadiens à faire du Web, ce qui concordait assez bien avec les habiletés avec lesquelles je suis arrivé dans la société d’État. Puis est arrivée une certaine pandémie. Alors que Toronto et toute la vie qui la caractérise se sont arrêtées abruptement, je me préparais moi aussi à commencer à faire du journalisme de la maison. Un changement qui s’est aussi assez rapidement transformé en opportunité, quelques mois après le début de la pandémie : on m’a offert de faire des remplacements à distance pour la station de Radio-Canada à Sudbury, une ville aux portes du Nord de l’Ontario. Ce poste venait avec du Web, mais aussi avec des interventions régulières à la radio, ce qui était pour moi, un nouveau encore nerveux en radio, parfait pour me désensibiliser. Mon arrivée (virtuelle) dans le Nord de l’Ontario a d’abord été vue comme une punition, mais j’ai rapidement vu qu’il y avait des opportunités. Avec une plus petite salle de nouvelles, une équipe plus tissée serrée, j’ai été séduit par l’ambiance et la volonté de l’équipe de gestion de me donner plus de responsabilités. J’ai pu apprendre le travail de pupitre, j’ai eu l’occasion de faire de plus en plus de radio, de me familiariser avec le processus et d’apprendre à paraître à mon meilleur jour à la radio. Après plus d’un an à distance, j’ai décidé il y a environ un an de faire le saut vers Sudbury. Encore une fois, j’ai ramassé toute ma vie dans une remorque U-Haul, et j’ai fait le voyage vers le Nord. Depuis, j’ai encore progressé, j’ai occupé le poste de lecteur de nouvelles pour des remplacements, j’ai fait de la télé, j’ai mentoré de nouveaux journalistes, et j’ai fait beaucoup, beaucoup de rédaction. J’y prends toujours autant de plaisir. La leçon que je tire de tout ça : il ne faut jamais avoir peur de partir loin de chez soi pour avoir de belles opportunités.

Francis Beaudry