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Mal de mères
On ne naît pas mère, on le devient. Le devenir ne signifie pas aimer l’être d’emblée. C'est un tabou social que de l’admettre dans un monde où instinct maternel et femmes ne doivent former qu’une seule entité, et non deux éléments conflictuels en cohabitation. Mélissa Lasnier, psychologue, et Marie-Ève Baillargeon, mère en «malternité», nous racontent ces réalités plus courantes qu’il n’y paraît.
«C’est une chose qui n’est pas discutée dans la société», déplore Mélissa Lasnier au sujet de la dépression postnatale, un mal qui touche pourtant près d’une nouvelle mère sur quatre, selon Statistiques Canada. Parmi ses symptômes notons de l’anxiété extrême, une tristesse inexpliquée, de la perte d’appétit, des idées noires, et surtout, une grande difficulté à prendre soin de son nourrisson. «La mère est envahie par ses propres émotions et n’est pas disponible en termes de temps et d’accompagnement affectif ou psychologique pour son enfant», explique la psychologue. «Et ça impacte sur tout ce qui l’entoure.» Des deux côtés, ce mal terrasse et ostracise. La mère se sent indigne d’un rôle qu’elle a tant désiré, mais qui, à terme, est extrêmement difficile à assumer. L’enfant ressent généralement cette déconnexion de plein fouet, mais, incapable de mettre le doigt sur son origine, en endosse la pleine responsabilité. Et entre les deux, le lien est inexistant, empêché par une dépression qui peut durer de quatorze jours après la naissance jusqu’à plusieurs années. «Tout dépend de l’intensité des symptômes, du soutien obtenu et de l’accompagnement que la mère va recevoir», énonce Mélissa Lasnier pour qui une lumière au bout du tunnel existe. «Il faut beaucoup d’écoute, de compréhension, de compassion et, surtout, ne pas rester en isolement affectif.»
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UNE CULTURE DE LA HONTE
Hélas, le tabou entourant ce sujet est si grand que la parole se trouve rarement libérée. La femme qui en souffre préfère se réfugier dans le silence, par peur d’être jugée. S’ajoute à cela la responsabilité que la société lui impute de façon automatique. «Une dépression postnatale est perçue comme une difficulté individuelle», expose ainsi Mélissa Lasnier. «Alors que la solution est plutôt systémique, familiale et sociale.» Aux yeux du monde, une mère en dépression postnatale est donc une mauvaise mère doublée d’une femme défectueuse. Or, rien de tel n’existe selon la psychologue pour qui une bonne mère n’est pas nécessairement une mère parfaite. «C’est une mère qui essaie de faire de son mieux en fonction de ses besoins, des circonstances qu’elle a vécues, des disponibilités de son entourage et de son histoire personnelle», la définit-elle.
LE MALAISE DE LA «MALTERNITÉ»
Marie-Ève est mère de deux adolescents qu’elle affectionne profondément. Toutefois, une chose reste claire dans son esprit. «Si c’était à refaire, je ne le referais pas», déclare-t-elle sans hésitation au sujet de ses maternités. Elle a même rebaptisé le terme «malternité», symbole d’une réalité qui l’a si longtemps tourmenté. «Pouvoir dire que je regrette d’être mère m’a grandement soulagée», partage-t-elle. Son premier choc a été de réaliser qu’une fois maman, tout s’effaçait au profit de l’enfant. «C’est comme si toute l’énergie va vers lui, pour répondre à ses besoins», raconte Marie-Ève qui manquait de temps pour elle-même. Mais être mère est le métier d’une vie — son second choc — qu’elle exerce désormais tant bien que mal. «J’aime le temps que je partage avec mes enfants, mais ce n’est vraiment pas instinctif», confie-t-elle. «Il n’y a pas d’instinct maternel, juste de l’obligation.» Ses enfants le savent, Marie-Ève ayant toujours été très transparente avec eux. «Ils ne l’ont pas mal pris et on tourne beaucoup ça en blagues», relate-t-elle. Elle ne souhaite créer en eux ni traumatisme ni blessure d’abandon, mais plutôt instiller des valeurs d’indépendance et de responsabilisation basées sur un dialogue honnête. S’ils doivent faire un choix, elle ne le fait pas pour eux, mais leur explique les potentielles conséquences. S’ils accomplissent un exploit, elle n’est pas fière d’eux, mais s’assure qu’eux-mêmes le soient. «Je ressens de l’amour, mais je les laisse vivre», résume-t-elle.
RENOUER AVEC LA RÉALITÉ Mais avant que l’expérience de la maternité ne tourne au cauchemar, la société a vendu à Marie-Ève un rêve: celui d’accéder au bonheur par le statut de mère. Deux enfants, une dépression post-partum et un océan de culpabilité achèveront cependant de briser cette illusion. «J’ai ressenti de la colère envers ma famille, envers le modèle dans lequel j’ai été élevée», relate-t-elle. «J’avais l’impression de me réveiller après un cauchemar et que ce n’était pas moi qui avais pris la décision.» Aujourd’hui, elle parle ouvertement de son vécu, incarnant le contre-modèle qu’elle aurait voulu connaître plus tôt et encourageant d’autres femmes en «malternité» à sortir de cette solitude taboue. Mais par-dessus tout, en parler aide Marie-Ève à faire la paix intérieurement. «Si je veux être heureuse dans cette réalité-là, je n’ai pas d’autre choix que d’être honnête envers moi-même», raisonne-t-elle.