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Les boutons de Valentine

C ourtoisie : Martine Corrivault

LES BOUTONS DE VALENTINE

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Parfois, ça fait du bien de dire les choses comme on les voit, de «laisser sortir le méchant», comme disait grand-maman. Ces jours-ci, Valentine, mon amie boomer, s’offre une cure de lamentations et je n’arrange pas les choses en la qualifiant de ce «titre ridicule» qui, dit-elle, lui donne des boutons. Sa grogne d’aujourd’hui s’est manifestée en lisant dans la programmation du festival d’été, les noms qu’elle décrète provocateurs de groupes qu’elle ne connaît même pas. «Quel intérêt j’aurais à découvrir des Suicide Boys ou Rage Against the Machine? Ce n’est que du vacarme en anglais!» Quand si je lui signale qu’elle exagère, que personne ne l’oblige à rien et qu’il y a aussi Ariane Moffatt, Charlotte Cardin, Alanis Morissette et bien d’autres, elle relance sa vieille cassette sur la transformation de son quartier en terrain de foire où tout le monde se comporte comme si personne n’habitait les maisons voisines des rassemblements. «C’est sexe, drogue et rock’n’roll pour du monde en vacances!» Évitant toute provocation, je tais la boutade qui me venait à l’esprit: «Jalouse?» Évidemment, il ne suffira pas, pour la calmer, d’invoquer l’esprit d’une fête offrant des découvertes à tout le monde, car le tourisme reste une industrie lucrative. Et elle continue sa complainte: «Pour une majorité de gens civilisés, y’en a toujours une gang qui ne sait pas vivre, ne respecte rien ni personne et se fiche de déranger ceux qui ne sont pas sur le party! Puis, arrivent avec les gros spectacles, les systèmes de son qui font trembler les meubles! Et on prétend que la musique adoucit les mœurs!» Je retiens le mot musique pour tenter une diversion. «Savais-tu que la musique, la drogue, la nourriture et les plaisirs sexuels obéissent, dans le cerveau humain, à des systèmes de récompenses neurochimiques similaires?» Parler plaisir devrait intéresser Valentine l’épicurienne qui tourne vers moi un regard interrogateur; je me lance à vouloir résumer ce que j’ai retenu d’une lecture passée au sujet d’une recherche sur la notion de plaisir. Une équipe de l’Université McGill, en étudiant un traitement pour contrer les toxicomanies, a constaté que le produit administré à un sujet pouvait neutraliser dans son cerveau toute notion de plaisir, le laissant complètement indifférent à toute tentation. En poussant plus loin leurs analyses, Adie Mallik et ses collègues Chanda et Levitin, ont compris que nourriture, activités sexuelles, drogues, musiques, toutes sources de plaisirs devaient répondre à un même système de récompense dans le cerveau. Le professeur Mallik s’intéressait aussi aux effets de la musique sur les émotions. Il en a déduit qu’elle joue un rôle important dans l’évolution humaine puisqu’elle passe par le même chemin que les comportements entourant la sexualité, indispensable à la survie de l’espèce. Et il insiste sur l’action positive de la musique qui peut renforcer les liens sociaux et les sentiments d’appartenance entre les gens qui partagent curiosité, goûts et intérêts, qu’ils écoutent un groupe rock, un orchestre symphonique, une troupe traditionnelle ou un soliste. «On s’en doutait un peu,» grogne Valentine en se lançant dans une dénonciation de la présence d’euphorisants comme l’alcool et les drogues autour des lieux de festivals de musique populaire. Ignorant sa remarque, j’ajoute que les sports, d’autres arts et même les performances commerciales peuvent aussi mobiliser les foules surtout quand des idoles sont de la fête. Parce que l’être humain est grégaire et amateur de plaisirs, mais reste unique et différent de ses voisins dont il ne partage pas nécessairement les goûts et les envies. «Pas plus que l’éducation au respect des autres», ajoute Valentine, toujours de mauvais poil. Alors, pour en finir avec le «méchant accumulé» et lui signifier, sans l’insulter, d’aller grogner ailleurs, je sors mon jeu de similisagesse pour faire appel à un peu de tolérance. «Tu te comportes comme une baby-boomer frustrée quand tu juges ce qui te dérange en ramenant à trois mots que tu méprises: sexe, drogue et rock’n’roll, ce qu’une culture plus ancienne nommait: amour, rêve et musique. De quelle manière autoriserais-tu les enfants des générations X, Y, Z, à s’exprimer? Penses-y en retournant chez toi parce que là, ta mauvaise humeur me donne des boutons.»

MARTINE CORRIVAULT

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