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Sur la route de l’exil
OLEKSANDRA
ÉTUDIANTE UKRAINIENNE SUR LA ROUTE DE L’EXIL
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Elle s’appelle Oleksandra* et fait partie des quatre millions d’Ukrainiens qui fuient la guerre déclarée par la Russie le 24 février. À Kyiv, sa capitale natale, elle était étudiante. Elle veut atteindre Winnipeg, au Manitoba, où elle espère s’endormir sans la peur de ne jamais se réveiller.
Encore en Ukraine au moment d’écrire à La Quête, Oleksandra assure être en sécurité chez des amis, à proximité de la frontière polonaise. L’étudiante a quitté Kyiv au troisième jour du conflit. L’invasion russe à peine amorcée, elle s’est sentie en danger entre les murs de sa maison. «Le plus effrayant, c’est que la Russie ne tire pas seulement sur les installations militaires, mais aussi sur les bâtiments résidentiels, donc on ne se sent en sécurité nulle part». Contexte oblige, le départ est chaotique. «Nous avons entamé la route vers Kamianets-Podilskyi (à l’ouest du pays) en voiture. Ha-
: Victor Lohest Crédit photo
En signe de solidarité, le drapeau ukrainien est projeté sur le Palais législatif du Manitoba, à Winnipeg. bituellement, le trajet dure six heures. À cause du trafic, ça nous a pris 24 heures». Oleksandra n’a pas de permis de conduire; c’est sa mère qui assure donc le transport en voiture. Des amis les hébergent dans cette ville de transition. Avant de quitter le pays, Oleksandra est retournée à Kyiv pour rassembler ses affaires laissées sur place lors de son premier départ. «C’est angoissant de conduire dans la région de Kyiv. Beaucoup de mines sont encore cachées». À son passage — en coup de vent — dans son ancien chez elle, il n’y avait pas une âme qui vive. «La ville est vide. Même lors de la première vague de la COVID, ce n’était pas tellement fantôme», compare-t-elle.
«RIEN NE REMPLACERA MES SENTIMENTS POUR L’UKRAINE »
La jeune Ukrainienne veut se rendre en bus à Varsovie, en Pologne, pour déposer ses empreintes biométriques — étape préalable à toute entrée sur le territoire canadien — et demander l’autorisation de voyage d’urgence Canada-Ukraine. Elle explique qu’elle ira à Winnipeg dès que son dossier sera accepté. «Ma mère a contacté une de ses anciennes camarades de classe dont la sœur vit à Winnipeg. Elle a un logement pour nous». La capitale manitobaine compte la plus grande diaspora ukrainienne au Canada. La taille de la communauté ne remplace pas son pays dans le cœur d’Oleksandra. «Je ne veux pas imaginer ne jamais y retourner… Rien ne remplacera mes sentiments pour l’Ukraine.»
EN QUÊTE DE RÉPONSES
Sur le forum Reddit, dans une section consacrée à Winnipeg, Oleksandra cherche des informations sur le Canada. L’étudiante en comptabilité l’admet avec humour: elle ne connaît le pays qu’à travers ses cours de géographie. En anglais, elle lance une bouteille dans la mer numérique. «J’avais très peur que personne ne réponde ou que les gens ne soient pas heureux de me voir arriver… Puis, je me suis endormie et le matin, j’ai vu tellement de commentaires de soutien que je me suis mise à pleurer», confie-t-elle, à la lecture des soixante réponses à son message. Toujours dans l’optique de rejoindre Winnipeg, elle épluche le site d’immigration Canada. «J’ai râlé contre ce site», concède-t-elle, puis elle se reprend. «Le Canada aide tout de même beaucoup les Ukrainiens».
RECOLLER LES MORCEAUX
À 17 ans, Oleksandra est traumatisée par la guerre, «comme tous les Ukrainiens». Tous ses proches ont une horreur à raconter. «Ma grand-mère m’a parlé au téléphone des bruits de bombardement. Ça l’effraie même si elle ne fait que les entendre», raconte-telle, inquiète pour son aînée et le chat resté avec elle. Il y a aussi les témoignages de viols, de mutilation et le décompte des morts de cette guerre. Dans ce tourment, impossible pour elle de se reposer. «Je dors parfois pendant 9 heures, mais le sommeil n’est pas du tout profond à cause de l’anxiété ambiante. J’ai commencé à me poser beaucoup de questions comme “Et si je mourais aujourd’hui?” ou “Que se passera-t-il demain?”». Bientôt adulte, Oleksandra a un monde à reconstruire. L’histoire s’écrit. Pour elle, une page se tourne.