3 minute read

Modérez vos transports

Next Article
Composter

Composter

C ourtoisie: Claude Cossette

Dans mon adolescence, il m’arrivait de piquer des colères. D’un ton convaincant, ma mère intervenait avec un: «Modère tes transports!». Le ton ne laissait aucune place à la contestation et je me calmais rapidement. Aujourd’hui, dans des circonstances similaires, on entendra plutôt «Calme-toi le pompon!» ou un «Les nerfs!», lancé d’une voix de Stentor.

Advertisement

UNE MAUVAISE CONSEILLÈRE

La colère est ce sentiment d’exaspération qui s’exprime par un comportement emporté. La colère se traduit par une agressivité qui mène à prononcer de mauvaises paroles, à poser de mauvais gestes. Alors, pourquoi donc se met-on en colère? C’est que la colère est l’extériorisation d’autres sentiments comme la peur, la douleur, la culpabilité ou la jalousie. Ces sentiments sont normaux, mais la colère n’est pas la bonne façon de les exprimer. La colère se révèle le plus souvent lorsqu’une personne se sent frustrée qu’on l’empêche d’obtenir une chose qu’elle désire, de faire ce qu’elle veut faire — ou forcée d’accepter une situation indésirable. Bien sûr, les circonstances contrariantes, les abus, les injustices sont choquants pour tout le monde. Mais chez les colériques, ces situations les amènent à rouspéter, voire à attaquer ou, plus vicieusement, à se venger. Dans un premier temps, les colériques essaient de ralentir ce liquide explosif qu’ils sentent monter dans leurs veines, mais, le plus souvent, la tempête finit par éclater sous forme de coups de gueule. De coups parfois. Or, l’orage ne règle rien; il envenime plutôt la situation. La colère l’envenime par rapport aux autres qui se verront dérangés, intimidés, insultés, agressés, se mettant en colère à leur tour peut-être. Les personnes irascibles enveniment également leur propre situation, car aussitôt la crise passée, elles se déprécieront d’avoir été aussi bêtes, se verront touchées par le regret, handicapées par un important stress. Bref, «la colère est mauvaise conseillère», dit l’adage.

AGIR SANS ÊTRE AVEUGLÉ

La patience est la vertu morale inverse de ce défaut de comportement que constitue la colère. La patience est l’aptitude que possède un individu à maîtriser ses émotions, et les comportements qui en découlent, devant une situation décevante, contrariante ou choquante. La patience est une vertu dont la pertinence a changé au cours de l’Histoire. Pensons au scribe Bénédictin qui devait peiner dix ans pour terminer la copie des 1500 pages de la Bible. Ou au chasseur innu qui devait rester embusqué pendant des heures pour pouvoir abattre l’orignal qui nourrirait sa famille. Ou aux premiers immigrants du Québec qui devaient naviguer pendant deux mois sur une minuscule caravelle pour traverser l’Atlantique. Aujourd’hui, tous s’attendent à l’immédiateté. Celle des livraisons d’Amazon… ou de la découverte de l’âme sœur. Si la colère déclenche un coup de sang, la patience, elle, fait agir avec retenue, calme, voire impassibilité. La patience mène à se comporter avec douceur, délicatesse. Surtout, dit le moine bouddhiste Matthieu Ricard, la patience donne «la capacité d’agir sans être aveuglé». Hélas, la patience n’est pas une qualité de la jeunesse. Un enfant de trois ans réagit violemment si on ne répond pas à ses désirs: il pleure, crie, tape du pied, car il ne peut pas comprendre le point de vue de l’autre. La patience prend du temps à développer, car cela consiste à consentir à l’Autre sa réelle place dans le monde et sa totale liberté de penser. La patience est une qualité qui ne s’acquiert que sur l’interminable chemin de la maturité. «La patience est une vertu qui s’acquiert avec de la patience», résume avec humour Alessandro Morandotti. Et au dernier droit, la patience devient partie de la sagesse. D’ici là, il appartient à chacun de «modérer ses transports», comme dans la pièce de Chamfort du temps de Louis XIV:

Si mes vœux, si mes soins méritent quelque prix, si d’un vieillard tremblant vous souffrez les avis, modérez vos transports. Et, loin d’aigrir un père, réveillez dans son cœur sa tendresse première.

CLAUDE COSSETTE

This article is from: