Infrarouge 222

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JOURNAL DES JEUNES SOCIALISTES

Juin 2021

INFRAROUGE

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INFRAROUGE – Éditorial

ÉDITORIAL L’ I N F R A R O U G E R E N A Î T DE SES CENDRES

Journal historique de la Jeunesse socialiste suisse fait par ses membres et pour ses membres, l’Infrarouge revient aujourd’hui en force et à temps pour la campagne de l’initiative 99%, qui sera soumise au vote du peuple et des cantons le 26 septembre prochain. Grande nouveauté : au lieu d’une seule rédaction bilingue, deux rédactions ont été formées de part et d’autre de la Sarine afin de proposer plus de contenu pour et par les membres issu·e·s des minorités linguistiques de notre parti. L’Infrarouge rassemble des contributions personnelles des membres de la JS Suisse, dont les opinions sont indépendantes des prises de positions officielles du Comité directeur. L’édition que vous tenez dans les mains est donc le travail engagé de seize autrices et auteurs. Elle dédie un dossier entier à la 99%, mais s’intéresse également à d’autres sujets : une rubrique monde consacrée à l’Amérique du Sud, une rubrique sur les mouvements sociaux, les perspectives socialistes sur la Nakba et la gestion de la crise Covid, un pourcentage culturel sur les jeux vidéo et une rubrique “sur le fil” consacrée à la sexualisation des femmes et à l’argent dans le football. Alors que la campagne pour l’initiative 99% débute à peine, avec la mobilisation remarquable des sections, la constitution de comités régionaux ainsi que la planification d’actions, la bourgeoisie sort déjà ses principaux « arguments » : initiative “qui rate sa cible,” “extrémiste” et “dangereuse pour les PME”. Si cela vous rappelle la campagne pour l’initiative pour des multinationales responsables, c’est normal : depuis plusieurs décennies, la bourgeoisie matraque toujours les mêmes slogans contre le progressisme et les initiatives de gauche qui pourraient considérablement améliorer la vie des classes précarisées et moyennes. Cela signifie que nous, jeunes socialistes, avons raison de pousser encore et toujours pour faire tomber les privilèges de la classe capitaliste dont la seule peur est le Grand Soir. Le 26 septembre, nous voterons donc. Ce dimanche sera particulièrement mobilisateur pour la gauche suisse, puisque le mariage pour toutes et tous est également soumis au vote du peuple : c’est donc une très bonne nouvelle pour nous. Les membres de la JS Suisse sont prêt·e·s pour ces deux campagnes et à mener bataille avec toutes leurs forces. En attendant, toute l’équipe de rédaction vous souhaite une très agréable lecture de ce tout nouveau numéro de l’Infrarouge, de retour deux ans après sa dernière parution ! Le comité rédactionnel de l’Infrarouge

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JS SUISSE

SOMMAIRE Dossier 99%

Monde

Mouvements

Pe r s p e c t i v e s

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Les origines de l’initiative 99%

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Entretien avec Samuel Bendahan

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Les revenus de la propriété capitaliste en Suisse : l e l o y e r

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Dépasser le capitalisme financier avec la 99%

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Po u r q u o i s ’ e n g a g e r p o u r l ’ i n i t i a t i v e 9 9 % ? Témoignages en 3 langues

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Les richesses suisses : une histoire de famille

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L’ a r g e n t : u s a g e e t e n j e u x d é m o c r a t i q u e s

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Surprises aux élections péruviennes et équatoriennes

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Pe r s p e c t i v e s p o u r l a g a u c h e a u B r é s i l

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Un regard socialiste sur la ZAD de la Colline

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La lutte pacifique d’un président socialiste africain

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La Nakba – un processus continu

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Gestion de la crise sanitaire : des mesures bourgeoises ?

Po u r c e n t a g e c u l t u r e l 1 4

Quand le capitalisme joue avec la dépendance

Sur le fil

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Le corps des femmes* est-il objet ?

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La Super League et les dérives du business du football

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Bonnes réponses à de mauvais arguments contre l’initiative 99%

Dossier 99%

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INFRAROUGE – Dossier 99%

ORIGINES DE L’INITIATIVE 99% La Jeunesse socialiste milite pour un meilleur monde, pour la justice sociale, pour plus d’égal i t é e n t re l e s p e r s o n n e s . À c e b u t , e l l e l a n c e d e n o m b re u s e s c a m pagnes et actions, ainsi que des g r a n d s p ro j e t s . E n 2 0 1 6 , l a J e u nesse socialiste suisse a décidé d e f a i re u n t e l p ro j e t , u n e i n i t i a t i v e p o p u l a i re .

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es jeunes militantes et militants socialistes ont débattu à l’Assemblée des délégué·e·x·s à Bienne en novembre 2016 pour choisir le projet qui sera lancé. De multiples propositions d’initiatives ont été discutées, puis le choix a été fait par un vote en ordre de préférences. L’initiative 99% est le projet que les délégué·e·x·s ont choisi de lancer. Cette initiative est une proposition réelle qui, si elle passe, permettra de diminuer les inégalités de revenus. Mais elle ne fait pas que ça. Elle lance un débat sur un sujet qui n’est pas encore suffisamment abordé et sensibilise le public sur une des plus grandes injustices définissant notre système économique et social actuel : plus de 40% de la richesse de notre pays est entre les mains du 1% le plus riche. La richesse se multiplie et les inégalités sociales augmentent naturellement. Notre système fiscal est loin de corriger ces inégalités : au contraire, il donne des avantages fiscaux à celles et ceux qui sont déjà le plus privilégié·e·s et qui en ont le moins besoin. Si l’initiative 99% peut lancer un débat public, il faut encore faire campagne pour que l’argument de la justice puisse être entendu. Dans le cas d’une initiative, la première partie de la campagne est la récolte des signatures. Avant de pouvoir récolter, l’initiative

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choisie a été retravaillée avec l’aide de juristes, puis le texte a été déposé à la Chancellerie fédérale. Ensuite, en octobre 2017, la récolte de signatures a enfin pu commencer. La Jeunesse socialiste avait alors 18 mois pour récolter plus de 100’000 signatures, les faire valider par les communes et les déposer à la Chancellerie fédérale. Cette tâche a été répartie entre les sections cantonales et sous-cantonales de la JS : chaque section s’est engagée à remplir un quota de signatures, et le Parti socialiste a également contribué à la récolte. Dans les rues, les militant·e·x·s de la JS ont dû expliquer le texte de l’initiative et ce n’était pas toujours une tâche simple. Elles et ils ont lancé le débat sur ce que sont les revenus du capital, comment ils sont imposés actuellement, et comment ils seraient imposés au-delà d’un certain montant (la JS propose 100’000 CHF de revenus de capital annuel) si l’initiative passe. Cette récolte était donc un véritable début de campagne. Au final, plus de 134’000 signatures ont été récoltées, dont 109’332 ont été validées. En avril 2019, les signatures ont été déposées à la Chancellerie fédérale. L’initiative 99% passera enfin en votation le 26 septembre 2021, presque 5 ans après le lancement de ce projet. Maintenant, l’étape la plus importante de la campagne commence : le moment de débattre devant le plus grand public, de sensibiliser, de convaincre, de voter et de gagner. Auteur : Mirko Ondráš


JS SUISSE

DOSSIER 99%

“TANDIS QUE LA DROITE DÉFEND LA LIBERTÉ DU FRIC, NOUS DÉFENDONS LA LIBERTÉ DES GENS” E n t re t i e n · S a m u e l B e n d a h a n e s t économiste et conseiller national socialiste. L’initiative 99% part du postulat qu’il est nécessaire de taxer le revenu du capital d’avantage que le revenu du travail. Qu’est-ce que le revenu du capital ? Qui le possède ? Il y a trois manières de gagner sa vie : le travail, un droit légitime – comme l’AVS – et le gain par la possession de biens ou d’actions. Ces éléments font partie du capital, c’est-à-dire ce qu’on détient ; plus on a de l’argent, plus on peut avoir de choses. Pour pouvoir bénéficier des revenus du capital, il faut déjà avoir pas mal d’argent sur son compte : plus on est riche, plus on va pouvoir investir dans des placements rentables et donc faire des bénéfices, notamment dans des fonds spéculatifs. En comparaison, qu’est-ce qui définit le revenu du travail ? La différence principale, c’est que le revenu du travail produit quelque chose. Quand on a un travail, on apporte quelque chose à la société : si je suis producteur·ice·x de pommes, les gens vont pouvoir manger des pommes, si je suis enseignant·e·x, je vais améliorer le niveau de formation de mes élèves – ça crée de la valeur. En fait, tout le monde devrait être capable de dire « dans mon métier, je fais cette chose-là qui est utile pour les autres ». Il y a un échange entre ce que je suis capable d’offrir à la société et ce que la société est capable de m’offrir, contrairement au gain du capital qui est un droit de posséder sans rien produire. Taxer le revenu du capital, qu’est-ce que ça implique du point de vue de la justice sociale ? Aujourd’hui, la situation n’est pas équitable : les gains en capitaux sont soit imposés plus faiblement que les revenus du travail, soit ne sont pas imposés du tout. Ainsi, en produisant quelque chose, on est plus imposé·e·x que si on ne produisait rien. Nous devons plutôt aller dans l’autre sens : imposer les

gens qui ont énormément d’argent sans rien faire et qui bénéficient des prestations de la société sans y participer – les milliardaires, en somme. L’initiative 99% vise à rétablir cette justice : actuellement, la Suisse est un pays où le capital n’est pas assez taxé, surtout vis-à-vis des autres pays. Si l’initiative est acceptée, qu’est-ce que ça implique pour les classes moyennes et précaires de Suisse ? Ça ne peut impliquer qu’une amélioration, mais il y a une marge de manœuvre : l’initiative précise que la plus-value doit profiter à touxtes. Ainsi, elle permettrait de réduire de manière équitable l’imposition sur les classes laborieuses ou d’ajuster les barèmes fiscaux. Mais elle permettrait également d’avoir plus de recettes fiscales pour développer les infrastructures publiques, ce qui profiterait à tout le monde. Il devrait arriver ces trois choses-là, même si, à mon sens, il faudrait avant tout diminuer les impôts sur la classe moyenne basse et investir dans les services publics, notamment le care. Et cela profiterait à tout le monde, quel que soit son revenu ou sa fortune. Un dernier mot ? Cette initiative s’inscrit dans un contexte d’accaparement du savoir, de la technologie et du progrès par les riches. Et c’est très dangereux, parce qu’iels possèdent de plus en plus de pouvoir et qu’il faut absolument contrecarrer ce phénomène. La 99% est la meilleure réponse pour redonner du pouvoir aux gens et une liberté : tandis que la droite défend la liberté du fric, nous défendons la liberté des gens. Auteur : Mehdy Henrioud

Samuel Bendahan

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INFRAROUGE – Dossier 99%

LES REVENUS DE LA PROPRIÉTÉ CAPITALISTE EN SUISSE :

LE LOYER

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a situation suisse dans l’immobilier se caractérise par un des taux de propriétaires le plus bas d’Europe (de 36% contre 83% en Espagne ou encore 55% en France). Le taux de propriétaires se définit par le pourcentage de ménages vivant dans leur propre appartement ou leur propre maison . Il ne comprend donc pas les propriétaires qui tirent un revenu de la location de leur bien (revenu du capital immobilier). Le taux de locataires, quant-à-lui, s’élève en Suisse à 57,4%. Ces logements loués sont de plus en plus concentrés dans les mains des grandes sociétés immobilières, composées notamment de sociétés anonymes, de banques et d’assurances. Selon l’Office Fédéral de la Statistique, ces grandes sociétés immobilières ont augmenté leur part de logements loués de 29% en 2000 à 39% en 2017, tandis que la part des logements loués appartenant à des particuliers a fortement baissé. L’ASLOCA (Association Suisse des Locataires) souligne que, parmi ces

grandes sociétés immobilières, on retrouve en tête l’assurance et gestionnaire d’actifs Swiss Life avec un revenu immobilier de plus de 23 milliards de CHF, et dont l’actionnaire principal est le sulfureux gérant de fonds américain BlackRock. On y retrouverait aussi UBS, qui détiendrait plus de 30 000 appartements en Suisse via des fonds de placement, ce qui équi-vaudrait environ à l’ensemble des habitations de Bienne (10ème ville de Suisse). L’ASLOCA avertit d’ailleurs que cette concentration des logements dans les mains des grandes sociétés immobilières conduit à une augmentation constante des loyers et du nombre de baux résiliés. Ces retombées désastreuses, dont les premières victimes sont les locataires, demeurent sans aucun doute le résultat d’une obsession de maximisation du rendement de ces grandes sociétés immobilières pour enrichir leurs actionnaires. Auteur : Jean Loye

DÉPASSER LE CAPITALISME FINANCIER AVEC LA 99%

S

i la course au profit et l’exploitation des ressources comme des travailleuses*eurs est gravé dans l’ADN même du capitalisme, celui-ci se mue en tant que système au travers du temps à la suite d’actions politiques menées et imposées par une élite économique et bourgeoise. Sa forme contemporaine est appelée le capitalisme financier, dont les règles sont dictées par de gigantesques fonds d’actionnaires détenus par les 1% les plus riches et qui n’ont qu’un seul et unique objectif : le profit. Tant que les revenus de l’actionnariat ne seront pas imposés équitablement, le paradigme du profit à court terme qu’impose cette forme de capital-

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isme aux entreprises, aux États et aux travailleuse*eurs perdurera et, avec lui, l’exploitation des ressources et du salariat. Tant que le profit sera son unique raison d’être, il ne peut y avoir de changement de ce système détruisant notre planète et nos vies. Il nous impose un marché qui exploite pour le profit de demain sans accorder la moindre importance au monde d’après-demain. Si le rapport au profit ne change pas, la catastrophe climatique et sociale sera inévitable. Et ce rapport ne changera pas de luimême. C’est pour tout cela que l’initiative

99% est plus importante que jamais. Elle s’attaque directement à la source du plus grand facteur d’inégalité de nos sociétés : le profit. En modifiant la manière de calculer l’impôt sur les revenus du capital, elle permet d’aller directement rendre l’argent issu de l’exploitation des travailleuse·eurs, donnant des moyens supplémentaires à l’État. De plus, elle impose un changement de paradigme en stoppant la course au profit et ainsi obligeant un dépassement de ce capitalisme financier. Car l’argent ne travaille pas, nous oui. Auteur : David Raccaud


JS SUISSE

DOSSIER 99%

PAROLES DE MILITANTES AU TROIS COINS DE LA SUISSE I L D E N A R O N O N L AV O R A , N O I S Ì ! La società in cui viviamo è costruita su diversi sistemi di dominazione, in interazione tra loro, che strutturano la nostra posizione all’interno della società. Fra questi sistemi di dominazione, la struttura capitalista è particolarmente deleteria nelle sue conseguenze sociali e ambientali, essa si riproduce grazie allo sfruttamento del 99% e attraverso l’accumulazione di capitale. La Svizzera presenta una struttura fiscale che difende ciecamente l’accumulazione di capitale, in quanto i maggiori beneficiari della generosità dello Stato sono i redditi da capitale, quelli che non si possono ottenere a meno di appartenere già a una classe privilegiata. L’iniziativa propone di aggiustare questo squilibrio, per poter alleggerire il carico fiscale sulla classe lavoratrice! La maggioranza borghese sta facendo di tutto per screditare la nostra iniziativa e ne ha paura. Per quanto loro abbiano capitale e influenza, noi abbiamo nel cuore la speranza che una società migliore è possibile. Dobbiamo farci sentire e farci vedere in questa campagna dove, non solo difendiamo una distribuzione più giusta delle ricchezze, ma anche un progetto di società che è possibile e desiderabile. Autrice : Federica Caggìa

F Ü H RT D I E I N I T I AT I V E D E N SOZIALISMUS EIN? Ob mit Lehre, Studium oder ohne Ausbildung: Um zu überleben, müssen wir arbeiten. Das ist die Realität der 99%. Auf der anderen Seite steht das 1%, dem wir unsere Arbeitskraft verkaufen müssen. Selber arbeiten muss das 1% dabei nicht. Das Einkommen des 1% ist der Mehrwert, den wir in unserer Arbeitszeit schaffen. Es ist das Geld, das sie uns nicht ausbezahlen. Teil des 1% zu sein bedeutet also nicht, zu viel Geld für geleistete Arbeit zu bekommen – sondern gar nicht erst arbeiten zu müssen und auf unsere Kosten Reichtum anzuhäufen. Der notwendige Schluss für die 99%: Es braucht einen Systemwechsel. Wir brauchen ein System, in dem es kein 1% gibt, das bestimmen kann, wer arbeiten darf und wer wie viel Lohn bekommt. Stattdessen brauchen wir eine Gesellschaft, in der demokratisch

über den Reichtum bestimmt wird – und zwar von denen, die dafür gearbeitet haben. Kurz gesagt: den Sozialismus. Wird die 99%-Initiative den Sozialismus über Nacht einführen, wie es die Gegner*innen behaupten? Nein. Aber sie legt sie den Grundstein für den weiteren politischen Kampf, indem sie die Frage nach dem Wert von Arbeit ins Zentrum der politischen Diskussion stellt. Autrice : Daria Vogrin

POURQUOI JE M’ENGAGE EN FAV E U R D E L’ I N I T I AT I V E 9 9 % ? Notre système capitaliste libéral est responsable des inégalités qui gangrènent la société. Il est grand temps qu’une répartition des richesses plus équitable intervienne. L’initiative 99% est un premier pas en direction d’un changement complet de paradigme. Elle permet d’imposer plus fortement les revenus du capital des ultra-riches, représentant le 1% de la population suisse, et de les redistribuer aux 99%, par le biais d’une réduction de leurs impôts, ou, en finançant des politiques sociales. La JS Suisse propose, par exemple, que les recettes fiscales découlant de l’imposition soient affectées à une baisse des primes d’assurance obligatoire des soins ou à des réductions d’impôts en faveur des faibles et moyens revenus, ou encore, au financement de places de crèches. Je m’engage en faveur de l’initiative 99%, car je pense sincèrement qu’une société plus équitable est possible. Pour ce faire, il est nécessaire de réduire les inégalités sociales, de manière ciblée, solidaire et démocratique. Cette initiative a pour vocation de ne cibler que les personnes possédant un revenu sur le capital conséquent, ce qui n’inclut pas les petit·e·s épargnant·e·s. Elle représente donc un outil idéal à la mise en œuvre d’une société plus solidaire et égalitaire. Autrice : Elodie Wehrli

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INFRAROUGE – Dossier 99%

LES RICHESSES SUISSES : UNE HISTOIRE DE FAMILLE L a r i c h e s s e s e c u l t i v e e t s ’ e n t re t i e n t d a n s u n c e rc l e re s t re i n t . D e rr i è re l e s p l u s g ro s s e s r i c h e s s e s d e S u i s s e , o n re t ro u v e s o u v e n t u n héritage familial. En effet, dans le classement des 10 plus grandes fortunes de Suisse du magazine Bilan en 2017, on retrouve notamment la famille Hoffman et Oeri dont la fortune s’élève à 25 milliards, la famille Bertarelli à la tête de 14 milliards ou encore la famille Blocher, nouvelle arrivante dans le classement des milliardaires suisses avec une fortune s’élevant à 12 milliards. Leur point commun ? Toutes ont construit un empire qui se transmet sur plusieurs générations et touchent des revenus colossaux de leurs fortunes grâce à des placements boursiers, entre autres. La famille Blocher, par exemple, accumule des sommes astronomiques car elle possède l’entreprise EMS Chemie et se verse des dividendes sur les bénéfices de l’entreprise grâce à ses actions en bourse. Pour l’année 2020, cela représentait 263 millions de

francs ! L’entreprise Dottikon ES, dont le président est Markus Blocher, fils de l’ancien conseiller fédéral, a également une place confortable en bourse et retire un montant important de ses actions. Mais remontons un peu le temps : cette belle histoire de famille commence en 1983 lorsque Christoph Blocher rachète l’entreprise de pétrochimie à un grand groupe pour la faire grandir. Sa fille, Magdalena Martullo Blocher, reprend la tête de cette dernière en 2004. EMS Chemie ne quitte pas la famille et se passe d’une main à l’autre au sein de la même lignée. En 2020, la fortune de la famille Blocher a augmenté de 4 milliards alors qu’un neuvième des ménages suisses les plus précaires, qui vivent avec moins de 4000 francs par mois, a dû s’endetter pour survivre durant la crise. Selon un rapport d’Oxfam, il aura fallu 9 mois aux 1000 personnes les plus riches du monde pour atteindre à nouveau la fortune qu’elles avaient avant la crise. En comparaison, pour certains ménages les plus touchés, il faudra jusqu’à 10 ans pour se remettre complètement de cette crise.

SI LA SUISSE ÉTAIT DIVISÉE COMME L’EST LA FORTUNE En 2016, les 10% les plus riches de la population suisse possédaient plus du double de la fortune des 90 autre pourcents de la population. Le 1% le plus riche possédait à lui seul 42.3% de la fortune totale en Suisse. C’est comme si 1% de la population occupait les cantons de Berne, Fribourg, Genève, du Jura, de Neuchâtel, Vaud et du Valais. Les 9% suivants se trouveraient dans les cantons d’Argovie, d’Appenzell Rhodes-Intérieures, d’Appenzell Rhodes-Extérieures, de Bâle-campagne, Bâle-ville, Glaris, Lucerne, Nidwald, Obwald, Saint-Gall, Schaffhouse, Schwyz, Soleure, Thurgovie, Uri, Zurich et Zoug. Et les 90% restants devraient se répartir entre le Tessin et les Grisons.

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LE 1% LE PLUS RICHE LES 9% SUIVANTS LES 90% RESTANTS

Autrice : Cloé Baladier


JS SUISSE

L’ARGENT : USAGE ET ENJEUX DÉMOCRATIQUES Q u ’ e s t - c e q u e l ’ a rg e n t ? Notons qu’il existe, dans le système économique, plus i e u r s « a rg e n t s » o u m o n naies, qui sont parfois échangeables ou non, régulées par des États par exemple. Mais qu’est-ce que l’idée de l ’ a rg e n t ? P a r f o i s , i l e s t u t i l e d e s ’ a t t a rd e r s u r d e s s i t u a tions simples pour révéler les p ro c e s s u s s o u s - t e n d a n t n o s réalités complexes. Imaginons une société où l’argent n’existe pas encore, où les biens et les services se distribuent sur la logique du don et de l’échange. On y accepte qu’une livre de pain vaut une coupe de cheveux, ou qu’une charrette y vaut 100 kilos de carottes. Un tel système est possible en raison de la capacité pour les différent·e·s membres de cette société de s’approvisionner en denrées de toutes sortes par le don ou le troc. La société dont on parle est suffisamment petite et non spécialisée pour rendre de tels rapports possibles. Mais imaginons une société spécialisée, où les échanges sont plus difficiles en raison d’un éloignement géographique. Émerge alors l’idée de l’argent. Un objet, une pièce d’un métal spécifique, d’un poids donné, équivaut alors à la valeur d’une carotte. Cette transformation de la valeur d’un objet ou d’un service (comme une coupe de cheveux) correspond à la « mise en argent » du monde. Cette mise en argent se doit d’être acceptée, régulée et soutenue par le plus grand nombre d’individus ou d’institutions afin d’être effective. On doit accepter que, dans un système de production de valeur, ces biens soient exprimables en une valeur quantifiée abstraite. Une économie est en réalité un écosystème, un réseau reposant sur la reconnaissance mutuelle effective de valeur produite. De là découlent plusieurs conséquences. L’argent peut être accumulé : il est en partie non périssable, contrairement aux carottes (bien que soumis à l’inflation et aux fluctuations des conjectures économiques). Il

est un moyen d’échange qui, plus il est accepté et jugé nécessaire, devient hégémonique (non contournable). Une des vertus de l’argent est sa capacité à faciliter les échanges, à nous émanciper des limites du troc. Mais l’argent possède également des vices. Il peut, par exemple, être « capté » par les possédant·e·s d’une structure de production, comme une usine, et ce à des degrés très excessifs. Imaginons qu’un·e employé·e produit l’équivalent de 1000.- CHF de valeur en une journée, et que l’employeur capte 90% de la valeur produite afin de payer ses charges, mais également (majoritairement) pour enrichir sa fortune personnelle. On assiste alors manifestement à une injustice. La distribution de l’argent doit se faire de manière cohérente avec le travail fourni et être soumise à un contrôle démocratique (tout comme le type de biens et de services méritant l’acquisition d’argent, pensons à une économie écologique). Mais, aujourd’hui, nous ne sommes pas dans une telle société : l’argent y est distribué de manière inéquitable. 1% de la population possède plus de 50% de la richesse mondiale. Cette inégalité n’est pas due à une inégalité de travail fourni, car on ne peut pas travailler un milliards de fois plus que quelqu’un·e d’autre pour des limites temporelles évidentes, mais à des injustices inhérentes aux possibilités de l’argent et à son manque de régulation collective. Il ne s’agit pas ici de condamner l’utilisation et l’existence de l’argent, mais de s’interroger sur sa juste distribution et sur le contrôle de ses flux. Ce contrôle doit être démocratique, car l’argent, par son caractère hégémonique, est une manière privilégiée d’exercice et d’existence du pouvoir, et sa production est dépendante du travail de chacun·e. La population doit pouvoir décider de la distribution et de la redistribution de l’argent, qui ne doit pas rester aux mains d’un nombre restreint d’individus. Enfin, la population doit se réapproprier son pouvoir par l’État, pour le contrôle et la disparition des inégalités. Auteur : Romain Gapany

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INFRAROUGE – Monde

SURPRISES AUX ÉLECTIONS

PÉRUVIENNES ET ÉQUATORIENNES

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ette année, pour la première fois de l’histoire du Pérou, aucun·e candidat·e à la présidentielle n’a franchi le seuil des 20% de voix, dans un pays en pleine recomposition politique. Grand vainqueur du premier tour avec 18.93% des voix, Pedro Castillo et son mouvement Pérou Libre d’obédience marxiste-léniniste, pourtant crédités de 7% des voix, obtiennent 37 des 130 sièges au parlement. Au deuxième tour, qui se déroule le 6 juin, Castillo affronte Keiko Fujimori, la présidente du mouvement d’extrême-droite Force populaire, qui avait manqué de peu (49.88%) d’être élue il y a de cela cinq ans. Cependant, le mouvement de Castillo, conservateur, permettra des avancées économiques mais pas sociales. À n’en pas douter, il reste sans doute moins catastrophique que le programme néolibéral que défend Fujimori. Un moindre mal, en somme. En Équateur, le parti au pouvoir Alianza País s’est totalement effondré avec l’impopularité du président Lenín Moreno qui avait décidé de ne pas se représenter. Le véritable dauphin de l’ancien président Rafael Correa, Andrés Arauz, arrive en tête du premier tour avec 32.72% des voix. Son adversaire est pour un temps incertain : on annonce d’abord le candidat écologiste et indigène Yaku Pérez du Pachakutik et non le principal candidat de la droite, Guillermo Lasso, qui n’est qualifié pour le second tour qu’avec un peu plus de 30 000 voix d’avance. Cependant, l’appel de Pérez à voter blanc et le ralliement du centre à Lasso permettent à celui-ci de l’emporter au deuxième tour avec 52.36% des voix. Un véritable gâchis pour la gauche équatorienne qui a décroché 72 des 137 sièges en jeu lors des élections législatives qui se déroulaient en même temps… Auteur : Mehdy Henrioud

PERSPECTIVES POUR LA GAUCHE AU BRÉSIL

L

e Brésil est le sixième pays le plus grand au monde par population, mais cela n’explique qu’en partie l’impact mondial de la situation politique et sociale au Brésil. La forêt amazonienne, plus grande forêt équatoriale du monde et surnommée « poumon de la Terre », est actuellement en danger de déforestation sauvage. Le gouvernement de Jair Bolsonaro est non seulement responsable de la déforestation, mais aussi de politiques nationalistes, anti-indigènes, antiféministes et LGBTphobes ou encore d’une mauvaise gestion de la crise sanitaire. De plus, il ne cache pas ses sympathies envers la dictature militaire et ses tentatives de soumettre l’armée à son idéologie ont déjà mené à la démission de trois généraux. Le contraste avec l’ex-président Luiz Inácio Lula da Silva, dont la politique sociale a aidé plus de 30 millions de Brésilien·ne·s à sortir de la pauvreté, ne peut pas être plus grand. Bolsonaro est devenu président en 2018 après que la candidature de Lula ait été empêchée par des charges de corruption et une peine de prison prononcée par Sergio Moro, deve-

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nu Ministre de la Justice au sein du gouvernement Bolsonaro. Par la suite, la Cour suprême a jugé ces charges infondées, permettant le retour de Lula en politique avec la perspective des élections de 2022. Si les sondages actuels anticipent une victoire pour l’ex-président, c’est loin d’être gagné pour la gauche. D’une part, il est possible que Bolsonaro emploie des moyens non démocratiques pour se donner l’avantage. D’autre part, même en cas de victoire de la gauche à la présidentielle, il faudra encore obtenir une majorité au parlement afin de pouvoir gouverner. Une victoire modeste aura comme conséquence un gouvernement centriste avec participation du centre-droit. L’ampleur de la victoire est donc également importante et il reste beaucoup à faire pour les partis de gauche au Brésil d’ici les élections en octobre 2022. Auteur : Mirko Ondráš


JS SUISSE

Mouvements

UN REGARD SOCIALISTE SUR LA ZAD DE LA COLLINE L e 1 7 o c t o b re 2 0 2 0 é t a i t i n s t a l l é e l a p re m i è re Z o n e à d é f e n d re ( Z A D ) d e Suisse sur la colline du Mormont, d a n s l e c a n t o n d e Va u d . D u r a n t 5 mois, des militant·e·x·s ont défendu l a c o l l i n e , a v a n t d ’ ê t re é v a c u é · e · x · s e n m a r s d e r n i e r. I l c o n v i e n t d o n c d e re v e n i r s u r c e t t e e x p é r i e n c e m a rq u a n t e e t d e l ’ a n a l y s e r d a n s une perspective socialiste.

Une ZAD correspond à l’occupation politique d’un espace donné, le plus souvent dans le but de s’opposer à un projet d’aménagement. Les ZAD dépassent néanmoins largement cette simple dimension de moyen de lutte et visent également à l’établissement de modes de vie alternatifs et autonomes. L’exemple le plus connu de ZAD est certainement celui de Notre-Dame-des-Landes. L’établissement de la ZAD de la Colline avait pour but de défendre la plateau de la Birette face au cimentier LafargeHolcim, dont les exploitations rongent petit à petit la colline. Les militant·e·x·s ont mis en évidence la richesse de sa biodiversité ainsi que son intérêt historique, la colline abritant un ancien site helvète. Plus largement, l’établissement de la ZAD de la Colline a permis de dénoncer les activités extrêmement polluantes de LafargeHolcim ainsi que la nécessité de sortir de la dépendance au béton pour construire une société écologique.

Une importante conscientisation

L’expérience de la ZAD de la Colline a permis une prise de conscience au sein de la population quant à plusieurs éléments clés du capitalisme, ou du moins elle en avait et en a aujourd’hui encore le potentiel. Tout d’abord, il y a la question de la primauté du profit à court terme. Ainsi, le fait que LafargeHolcim choisisse d’exploiter cette colline, faisant fi de son intérêt historique et naturel, montre bien qu’au sein du capitalisme, le profit à court terme passe toujours avant tout autre chose. Prendre conscience de cela est essentiel pour comprendre pourquoi il ne peut pas y avoir de capitalisme vert. Et le lien avec la question climatique est ici très fort. En effet, LafargeHolcim est tout simplement l’entreprise la plus polluante de Suisse avec des émissions cumulées de 1,4 millions de tonnes de CO2 par an sur ses trois sites.

Sur le plan international, l’entreprise transnationale est responsable d’au moins 120 cas de pollution environnementale et viole les droits humains dans 34 pays différents. Les liens fondamentaux entre justice climatique et sociale sont ainsi mis en évidence, tout comme le fait qu’une poignée d’entreprises transnationales comme LafargeHolcim sont les réelles responsables de la crise climatique. Enfin, l’évacuation de la ZAD en septembre, qui a mobilisé quelque 600 policiers·ères·x, permet de mettre en évidence le caractère bourgeois de l’État. En effet, que l’État, indépendamment de la couleur de son gouvernement, défende la propriété privée des moyens de production lorsque celle-ci est menacée, montre bien que l’Etat n’est pas une entité neutre. Au passage, cela révèle que la police n’est rien d’autre que le visage coercitif du pouvoir étatique et la gardienne de l’ordre établi. Avant toute chose, elle défend les intérêts privés du capital.

Les limites des ZAD

S’il faut bien sûr souligner le fait que la ZAD de la Colline a constitué une expérience politique et sociale forte pour toutes les personnes qui y ont contribué de près ou de loin, il faut aussi mettre en évidence les limites des ZAD lorsqu’elles sont considérées comme outil de fondement d’une société nouvelle, notamment autour de slogans tels que « ZAD partout ». À cet égard, la critique développée par l’économiste et philosophe Frédéric Lordon peut nous servir de base. En premier lieu, si les ZAD s’émancipent en leur sein des contraintes capitalistes et en conséquence des valeurs aliénantes et oppressives que ce système engendre, elles n’en demeurent pas moins « branchées » sur le capitalisme pour toute une série d’outils et de denrées dont elles ont besoin. Ensuite, pour espérer qu’une révolution connaisse le succès et éviter que les institutions bourgeoises reprennent le dessus, il faut que le mouvement de transformation sociale soit suffisamment grand et puissant. Le mouvement doit donc être macroscopique et non pas microscopique comme l’est une ZAD - ou même de nombreuses ZAD. Enfin, il faut que le projet de société que l’on vise soit attirant pour des larges couches de la société. Or, au sein du capitalisme, nous sommes habitué·e·x·s à un confort matériel, et si les 99% sont certainement prêt·e·x·s à sacrifier une partie de leur confort pour aller vers une société capable d’offrir une vie plus agréable et épanouissante, la ZAD est trop éloignée de nos standards actuels pour ne serait-ce qu’éveiller un large intérêt et donc réellement pouvoir constituer une alternative. Mais cela reste néanmoins un bel outil de lutte ! Auteur : Thomas Bruchez

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INFRAROUGE – Mouvements

La lutte pacifique d’un président socialiste africain Pour la démocratie et le développement de son pays

L a u re n t G b a g b o , o p p o s a n t h i s t o r i q u e à f e u F e l i x H o u p h o u ë t B o i g n y, f u t l e p re m i e r p r é s i d e n t d e l a C ô t e d ’ I v o i re p o s t - c o l o n i a l e , d e 1 9 6 0 à 1993. Dès 1980, en tant qu’opposant, L a u re n t G b a g b o e n g a g e u n e l u t t e pacifique qui aboutit en 1990 au m u l t i p a r t i s m e e n C ô t e d ’ I v o i re . C e t t e l u t t e l u i a v a l u à m a i n t e s re prises plusieurs années de prison. I l f u t re n v e r s é p a r l ’ a r m é e f r a n ç a i s e e n 2 0 1 1 a p r è s u n d i ff é re n d é l e c toral. En octobre 2000, Laurent Gbagbo est élu démocratiquement président de la République de Côte d’Ivoire et, en toute indépendance, négocie des accords commerciaux d’égal à égal avec les partenaires internationaux de la Côte d’Ivoire, y compris la France. Conformément à sa vision de modernisation et de démocratisation de la Côte d’Ivoire et de l’Afrique, le président Laurent Gbagbo mit en œuvre plusieurs projets gouvernementaux sociaux ambitieux à fort succès tels que la gratuité de l’école et des fournitures scolaires, l’assurance maladie universelle ou encore la décentralisation. Pour empêcher Laurent Gbagbo et son gouvernement d’atteindre leurs objectifs, une série de déstabilisations et de coups d’État contre son régime sera lancée. L’un des coups d’État se transforma en rébellion armée le 19 septembre 2002, divisant le pays en deux : le Nord, occupé par la rébellion armée, et le Sud, occupé par le gouvernement légal et légitime de Gbagbo Laurent qui, avec les recettes fiscales de la moitié du pays, continuait à financer les projets de développement de son pays et à payer les fonctionnaires. Le 31 octobre 2010, lors du deuxième tour des élections présidentielles, Laurent Gbagbo et Alassane Dramane Ouattara, l’actuel président de la Côte d’Ivoire, revendiquent

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tous deux leur victoire. Laurent Gbagbo propose un recomptage des voix, mais la France dirigée par Nicolas Sarkozy refuse et donne un ultimatum à Laurent Gbagbo pour quitter le pouvoir. Il s’ensuit une crise post-électorale qui aboutit à une guerre pour la prise du pouvoir entre la rébellion, considérée comme les forces pro-Ouattara et soutenue par l’armée française et onusienne, et l’armée régulière de Côte d’Ivoire qui soutenaient Laurent Gbagbo. Le 4 avril 2011, les forces pro-Ouattara lancent une offensive sur Abidjan contre les forces régulières ivoiriennes. Sous les décombres de sa résidence bombardée par les forces françaises, Laurent Gbagbo, sa famille et ses ministres sont arrêté·e·s le 11 avril par l’armée française et remis·es aux forces pro-Ouattara. Cette guerre engendra près de 3 000 morts et des ONG telles qu’Amnesty International et Human Right Watch dénoncèrent les exactions commises par les deux camps. Le 29 novembre 2011, Laurent Gbagbo est déporté à la Cour Pénale Internationale (CPI) à la Haye, en Hollande, dans la prison de Scheveningen où il sera rejoint quelques années plus tard par son ministre de la Jeunesse Charles Blé Goudé. Ils seront accusés de quatre chefs de crimes contre l’humanité pour leur implication dans la crise post-électorale. Le 15 janvier 2019, après 8 ans de détention, l’audition de 82 témoins à charges contre Laurent Gbagbo et l’enregistrement de milliers de documents comme éléments de preuve, Laurent Gbagbo et son ministre Charles Blé Goudé furent acquittés. Le 31 mars 2021, la chambre d’appel de la CPI a confirmé l’acquittement prononcé en 2019 en faveur de l’ancien chef d’État socialiste ivoirien Laurent Gbagbo et de son ancien ministre Charles Blé Goudé, reconnus non coupable de crimes contre l’humanité. Le parcours de Laurent Gbagbo est à la fois passionnant et éducatif, montrant à la jeunesse africaine et socialiste qu’il faut assumer ses choix, défendre des valeurs républicaines et travailler pour le bien-être des populations qui nous ont élu·e·s. Comme le dit Laurent Gbagbo, lorsqu’un homme marche, il laisse des traces. Et Gbagbo a laissé et continue de laisser des traces pour des dizaines de générations africaines et mondiales. Auteur : Serge Bai


JS SUISSE

Perspectives

La Nakba u n p ro c e s s u s c o n t i n u

L e 1 5 m a i d e r n i e r, l e s P a l e s t i nien·ne·s commémoraient le 73ème a n n i v e r s a i re d e l a N a k b a ( « c a t a s t ro p h e » e n a r a b e ) , l e j o u r o ù 7 5 0 ’ 0 0 0 d ’ e n t re e u x o n t é t é e x p u l s é s d e f o rc e d e l e u r s t e r re s p a r les milices sionistes.

Or comme les récents événements à Jérusalem-Est Occupé nous le rappellent, la Nakba est loin d’être un événement figé dans le temps. En effet, depuis plusieurs semaines, six familles palestiniennes sont menacées d’expulsion dans le quartier de Sheikh Jarrah à Jérusalem-Est, alors qu’elles y vivent depuis des générations. La médiatisation des violences qui s’ensuivirent de la part de colon·e·s israélien·ne·s ainsi que les bombardements israéliens sur Gaza qui ont tué plus de 248 Palestinien·ne·s, y-inclus·es 66 enfants, donne l’impression de cas isolés ; on ne pourrait être plus loin de la vérité. Ces violences s’inscrivent dans le projet colonial d’Israël, évident de par les incessantes violations du droit international par le régime d’apartheid israélien. Mentionnons par exemple l’article 147 de la 4ème Convention de

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Genève qui définit « la destruction et l’appropriation de biens non justifiés par des nécessités militaires et exécutées sur une large échelle de façon illicite et arbitraire » comme un délit grave, et par conséquent un crime de guerre2. Ainsi, l’existence même de colonies israéliennes au sein de la Cisjordanie bafoue le droit international. En dépit de cela, l’expansion des colonies continue, avec aujourd’hui plus de 600’000 colon·e·s israélien·ne·s vivant sur les territoires occupés palestiniens. Cette occupation supposée temporaire s’est ainsi cristallisée en une réalité permanente d’occupation illégale et d’apartheid pour les habitant·e·s palestinien·ne·es. 73 ans plus tard, les Palestinien·e·s continuent de militer pour leurs droits fondamentaux, comme le droit au retour des réfugié·e·s palestinien·ne·s telle qu’encré dans la résolution 194 de l’ONU. Autrice : Mona Dennaoui Sources :

1. https://www.aa.com.tr/en/middle-east/gaza-death-toll-in-israeli-attacksrises-to-248-including-66-children/2250630 2. https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/1951/300_302_297/fr#art_147

Gestion de la crise sanitaire: des mesures bourgeoises?

lors que les fitness, les restaurants, les cinémas et les bains thermaux étaient fermés, il était possible de passer des nuits dans des hôtels 5 étoiles et d’avoir accès à l’entier de ces services. Alors qu’il était interdit de participer à un match de foot en extérieur, il était possible de dévaler les pistes de Verbier. Alors qu’il était inconcevable de participer à un séminaire, avec distance sociale et masque à l’université, il était possible de se réunir en entreprise pour établir les bullet-points de la journée. Ces incohérences, toutes ayant été présentes à au moins un moment donné, témoignent d’une

réalité évidente : la gestion de la crise ne s’est pas faite uniquement par rapport à un impératif sanitaire, mais bien par rapport à des considérations idéologiques. C’est-à-dire par rapport au respect des intérêts des riches. L’État n’est pas entièrement au service et sous le contrôle du peuple, il souffre de l’impact de l’oligarchie capitaliste. Les décisions fédérales pour les 99% comme le plafonnement des RHT à 80% du salaire, le non-encadrement des loyers ou les aides tardives allouées à la restauration, sont bien timides. Elles contrastent avec la diligence de l’État bourgeois concernant les intérêts des ultra-

riches : on ne touche pas aux loyers, n’augmente pas les impôts pour financer solidairement la crise: les considérations sanitaires sont à géométrie variable selon les classes sociales. Pour une gestion réellement démocratique de la crise, il aurait fallu s’affranchir de l’hégémonie bourgeoise et de la révérence pour la préservation de ses intérêts économiques. Aurait-on par hasard besoin d’une modification de nos processus politiques pour une indépendance plus grande de l’Etat et pour une augmentation de sa responsabilité envers les citoyen·ne·x·s ? Auteur : Romain Gapany

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I N F R A R O U G E – P o u rc e n t a g e c u l t u re l

P o u rc e n t a g e c u l t u re l

Quand le capitalisme joue avec la dépendance Saviez-vous qu’au niveau mondial, l’industrie des jeux vidéo rapporte p l u s d ’ a rg e n t q u e l e s m a rc h é s d u cinéma et de la musique réunis ? En 2018, les jeux vidéo ont généré 1 0 9 m i l l i a rd s d e d o l l a r s d e re v e n u s c o n t re s e u l e m e n t 5 8 m i l l i a rd s p o u r le cinéma et la musique. À y regarder de plus près, c’est encore plus intéressant : dans le secteur des jeux vidéo, les jeux vidéo gratuits (ou free-to-play) ont généré plus de 80% des revenus, soit un total de 87,6 milliards de dollars. Impressionnant, pour un produit qui est censé être gratuit. Si vous êtes adeptes de jeux sur votre téléphone, ce constat ne vous étonnera pas. Ces jeux génèrent de tels revenus parce que les éditeurs utilisent toute une palette de techniques de monétisation. Que vous jouiez à Candy Crush, Fortnite ou Call of Duty, la tentation d’utiliser votre carte de crédit est vite là. Si ce marché est si lucratif, c’est parce que les éditeurs de jeux s’appuient sur un mécanisme bien connu et extrêmement profitable dans une économie capitaliste : la dépendance. Depuis quelques années, les spécialistes des addictions pointent un phénomène en pleine explosion : l’intégration croissante de mécanismes issus des jeux d’argent dans les jeux vidéo, ou la « gamblification du gaming ». Pour illustrer ce phénomène, le meilleur exemple est celui des loot boxes, ou coffres à butin. Une loot box, en bref, est un jeu de loterie dans un jeu vidéo. Vous payez pour obtenir un bien virtuel (par ex. une arme, un vêtement, etc.) mais c’est le hasard qui décide ce qui sortira de la loot box. Parfois, vous ne gagnez rien, comme dans une vraie loterie. Le hasard, vraiment ? Dans un jeu vidéo, le hasard se transforme en notion toute relative. Selon la recherche, le contenu de la loot box est influencé par des algorithmes qui prennent en compte les comportements des joueuse*eurs. Par exemple, aux États-Unis, le jeu Call of Duty dispose d’un brevet qui lui permet de savoir quelle arme un·e joueuse*eur aimerait posséder, puis approximativement combien de loot boxes cette personne est prête à payer en

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vain avant de tomber sur le bien désiré. Lorsque l’utilisation des données entre en jeu, la notion de hasard semble bien lointaine. Aux Pays-Bas, une évaluation du risque de dépendance que font peser les loot boxes sur les consommatrice*eurs révèle qu’elles présentent un potentiel de dépendance comparable à celui du blackjack ou de la roulette, tandis que d’autres recherches en expliquent les mécanismes psychologiques. Avec la Belgique, les Pays-Bas sont le seul pays à avoir interdit l’utilisation de certaines loot boxes sur leur territoire. Aux États-Unis, un projet de loi demande que les microtransactions soient interdites dans les jeux vidéo destinés aux mineur·es et l’Espagne aussi se penche actuellement sur un tel projet de loi. En Suisse, le Parlement débat actuellement d’un projet de loi pour la protection des mineur·es dans les films et les jeux vidéo, centré sur les limites d’âges et les contrôles pour visionner un film ou jouer à un jeu vidéo. La question des microtransactions, totalement absente du projet présenté par le Conseil fédéral, a été ajoutée in extremis par la Commission de la science, de l’éducation et de la culture après une rencontre avec les spécialistes suisses sur le sujet. Si les marchés de l’alcool ou du tabac sont régulés, c’est parce qu’on sait que ces produits comportent un risque pour la santé de la population, notamment parce qu’ils peuvent engendrer une dépendance. Pour une économie capitaliste, la dépendance est une source de revenus extrêmement intéressante. Ainsi, bien que la majorité des joueuse*eurs ne réalisent pas de microtransactions, la petite proportion qui y est dépendante assure de gigantesques revenus à l’industrie des jeux vidéo. Alors, la Suisse aura-t-elle le courage d’opposer une limite à cette course aux profits d’une industrie qui n’hésite pas à jouer avec l’addiction ? Source : Al Kurdi, C., Kuendig, H. et Notari, L. (2020). « Jeux d’argent sur internet en Suisse : Un regard quantitatif, qualitatif et prospectif sur les jeux d’argent en ligne et leur convergence avec les jeux vidéo », GREA et Addiction Suisse, Lausanne. https://grea.ch/rapport-jhal

Autrice : Camille Robert


JS SUISSE

Sur le fil

A

Le corps des femmes* est-il objet?

ux prémices du printemps, un courrier des lecteurs intitulé « Aux jeunes filles en fleurs » paraissait dans le quotidien fribourgeois La Liberté, faisant sitôt scandale de par le regard sexualisé de l’auteur. En effet, en évoquant leurs « tenues particulières » et la « transparence » de leur habillement dans une perspective d’érotisation du corps, les femmes* se sont vues de facto réduites à de simples objets du désir masculin. Loin de constituer une exception, cette sexualisation des attributs physiques considérés comme féminins existe depuis des siècles, notamment par le biais de la culture, de la publicité ou encore des médias. Par ailleurs, comment appréhender l’espace public lorsque tous les supports de communication transmettent un message d’objectification de notre être à des fins de plaisirs sexuels, et ce dans un rapport de pouvoir et de hiérarchisation des genres ? Le concept d’objectification sexuelle, développé par

Barbara Fredrickson et Tomi-Ann Roberts en 1997, rend compte de cette instrumentalisation du corps des femmes* quasi inhérente à notre société patriarcale. Selon les autrices, « bien que l’objectification sexuelle ne soit qu’une forme d’oppression liée au genre, elle est un facteur – et peut-être un catalyseur – d’une multitude d’autres oppressions auxquelles les femmes sont confrontées, allant de la discrimination à l’emploi et de la violence sexuelle, à la banalisation du travail et des réalisations des femmes ». Il n’est pas aisé de renverser le regard de la masculinité hégémonique, ni les pratiques et les discours socioculturels qui perpétuent une forme d’essentialisation du genre. Toutefois, le corps est un construit social et sa réappropriation en tant que femme* constitue un acte politique des plus importants dans la lutte contre le patriarcat. Autrice : Mathilde de Aragao *toutes personnes se définissant comme femme.

Sur le fil

La Super League

L

et les dérives du business du football

e 18 avril dernier, douze clubs européens des plus riches, mais aussi des plus endettés au monde, annoncent la création de leur propre compétition privée, la Super League, censée compter vingt participants : quinze membres permanents et cinq invités. De l’aveu même des promoteurs du projet, l’objectif est de renflouer les caisses de ces clubs, grâce aux droits TV notamment. Officiellement, tous ont été durement touchés par la pandémie. En réalité, il s’agit d’un prétexte pour accaparer toujours plus d’argent sans aucun mérite sportif. Pour bien se rendre compte de la démesure du projet, il suffit de

jeter un œil aux montants perçus par les clubs. Par exemple, même en terminant dernier de la Super League, un club empocherait plus que le vainqueur de la Ligue des Champions, la compétition phare de l’UEFA. Dès son annonce la compétition fait polémique. Les médias fustigent un projet mortifère pour le football, les fans s’estiment lésés. Des quatre coins de l’Europe, clubs et joueuse*eurs critiquent le projet. Par après, des politiques s’en mêlent : Emmanuel Macron et Boris Johnson prennent chacun la parole. Ce dernier va jusqu’à menacer les six clubs anglais impliqués. Le sujet devient

international. Face au tollé, neuf des douze équipes concernées se retirent. La Super League est officiellement suspendue à peine trois jours avoir été annoncée. Le football n’est cependant pas tiré d’affaires. Si un tel projet a pu émerger, c’est sans doute car ce sport est en train de partir à la dérive. La passivité et la corruption au sein des instances dirigeantes, des investissements douteux, ou encore la spéculation financière forment ensemble un cocktail dangereux qui risque de mener le football à sa perte. Auteur : Nathan Wenger

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BONNES RÉPONSES À D E M A U VA I S A R G U M E N T S C O N T R E L’ I N I T I AT I V E 9 9 % “ L’ i n i t i a t i v e n u i t à l ’ é c o n o m i e ! “

La droite considère que l’économie, c’est les patron·ne·s, les investisseur*euses et pas toutes les personnes qui ont beaucoup d’argent. Or, nous pensons que l’économie, c’est les personnes qui créent réellement de la valeur dans leur travail de tous les jours, sur les chantiers, dans des bureaux ou à la maison. L’initiative bénéficient à ces personnes-là car l’argent est redistribué des poches des plus riches vers celles des 99%, en les soulageant des charges fiscales et en renforçant les services publics. De plus, ce qui nuit réellement à l’économie, ce n’est pas l’initiative 99%, mais les inégalités : en s’appropriant la valeur ajoutée créé par les travailleurs et travailleuses, le 1% s’enrichit sur le dos des 99%. Selon l’OCDE, les inégalités de richesses ont à leur tour un effet négatif sur la croissance. C’est le serpent du capitalisme qui se mord la queue ! L’initiative 99% permet cependant de freiner la croissance des inégalités en faisant un pas vers la justice fiscale. Et ce pas est impératif car l’argent, c’est le pouvoir, et le pouvoir doit être distribué équitablement.

“ To u t e s e t t o u s l e s r i c h e s v o n t p a r t i r ! “

Cette menace s’est déjà avérée être une coquille vide : depuis que Zürich a supprimé les forfaits fiscaux, en 2009, les recettes fiscales du canton ont même augmenté ! Cet argument s’insère dans le cadre de la compétition fiscale internationale, une véritable course vers le bas des pays qui chouchouteront au mieux le 1%. Mais nous ne voulons pas que les riches dictent les taux d’imposition ! Nous devons en finir avec le dumping fiscal et pouvoir décider de la fiscalité de manière démocratique.

“ L’ i n i t i a t i v e p é n a l i s e l e s r e t r a i t é · e · s e t les petit·e·s épargnant·e·s. “

“ L’ a r g e n t d e s s u p e r- r i c h e s p r o f i t e à t o u t le monde “

C’est la fameuse théorie du ruissellement, qui a encore une fois été prouvée fausse par une récente étude de la London School of Economics : les réformes fiscales réduisant les impôts des super-riches conduisent à plus d’inégalités de revenu et n’ont aucun effet sur le chômage et la croissance économique. Ainsi, lorsque les riches paient moins d’impôts, ils s’enrichissent mais les 99% restant de la population n’en profitent aucunement. Au contraire : proportionnellement moins d’argent est alors investi dans la santé, le social, l’éducation ou la transition écologique.

“ Les entreprises familiales et les startups vont être particulièrement touchées. “

L’initiative vise l’imposition des personnes physiques, et non des PME : elle n’a donc pas d’impact direct sur les entreprises ou les commerces. Une entrepreneur·euse peut décider de répercuter la taxe prévue par l’initiative sur son entreprise mais c’est alors sa propre décision. Les successions dans les PME resteront également possibles, surtout si des solutions internes à la famille sont trouvées – ce qui est déjà fait aujourd’hui. Depuis les années 1980, on a également observé que l’augmentation des profits des entreprises, distribués en dividendes, n’ont pas conduit à une hausse des investissements. Les riches s’enrichissent donc mais réinjectent peu cet argent dans l’économie réelle. Des acteurs étatiques seraient bien plus à même de décider d’investissements qui servent l’intérêt public et non les profits privés. Autrice : Mathilde Mottet

Faux. Une personne qui a placé d’assez d’argent pour pouvoir égager plus de 100’000 francs de profit, par exemple, n’est pas un·e petit·e épargnant·e et les rentes vieillesse ne sont pas touchées par l’initiative. Édition : Infrarouge · Theaterplatz 4, 3011 Berne, www.juso.ch/fr · Contact : infrarouge@juso.ch, 031 329 69 99 Rédaction : Mathilde de Aragao, Serge Bai, Cloé Baladier Romain Gapany, Medhy Henrioud, Mathilde Mottet, Leudita Sherifi Design et mise en page : Silvan Häseli · Impression : Druckerei AG Suhr, 5034 Suhr · L’Infrarouge paraît deux fois par année.


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