r o lo g u e
Le judaïsme est la psychologie du futur
Je dois absolument vous raconter cette incroyable histoire.
Dans le cadre de mon service en tant que délégué Loubavitch au Minnesota, j’ai reçu un jour l’appel d’une mère dont le fils de 14 ans avait fait une tentative de suicide – plus tôt, cette même journée. Il était hospitalisé, dans le service psychiatrique, ce qui éveilla mon inquiétude pour lui, connaissant la précarité et le danger qu’impliquait ce lieu. Je suis donc allé lui rendre visite (en tant qu’aumônier, on m’accordait une permission spéciale) et je l’aperçus sur son lit, dans sa chambre, totalement immobile, lisant une bande dessinée comme s’il était en colonie de vacances. Les vacarmes des différents patients se faisaient entendre, mais cela ne semblait pas l’intéresser.
J’essayai d’entamer une conversation, mais il ne prit même pas la peine de tourner son regard vers moi. J’indiquai que c’était sa
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mère qui m’avait envoyé lui rendre visite pour la rassurer et lui annoncer qu’il allait bien.
L’enfant resta silencieux.
Je lui demandai si je pouvais retourner dire à sa mère qu’il se portait bien.
Aucune réponse.
Après avoir tenté d’attirer son attention à plusieurs reprises, il finit par me dire : « Vous feriez mieux de rentrer chez vous, le curé est déjà passé ».
Je souhaitais connaître les propos du curé, il répondit : « Quelque chose d’absurde ».
Je lui demandai quelle était la réplique absurde, il répondit : « Le curé m’a dit que je ne devais pas me donner la mort, car D.ieu m’aime.
- Tu as raison, remarquai-je, c’est totalement absurde, je ne vois pas comment D.ieu pourrait t’aimer – tu es un enfant gâté et agaçant. »
Pour la première fois, il me lança un regard qui avait l’air de dire « O.K, tu cherches quoi exactement ? »
Je lui expliquai que si D.ieu l’avait créé, Il devait certainement avoir besoin de lui pour une mission qu’il est le seul à pouvoir accomplir. « D.ieu ne t’aime pas, Il est juste coincé avec toi, lui dis-je.
- Et si je refuse de remplir la mission qu’Il m’a donnée ? répliqua l’enfant.
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- Cela s’appelle le libre arbitre, répondis-je. Mais il faudrait d’abord que tu te fasses ton opinion sur le sujet. Décide donc si tu veux ou non exécuter ta mission ».
Notre conversation ne s’étala pas plus que cela, mais ce jourlà, je pris conscience d’une chose très importante : la réponse du curé était complètement stupide. Cet enfant vit aisément, avec une mère qui se soucie de tous ses besoins, il n’a visiblement aucun problème, pourtant, il décide de s’ôter la vie. D’ailleurs, il s’avère qu’il avait fait cette tentative, accompagné d’un bon ami, comme s’il s’agissait d’une petite activité que l’on fait après les cours, sans trop réfléchir aux éventuelles conséquences. Mais pourquoi ?
Parce que cet enfant ne voit aucune utilité à son existence. Et lorsque ce curé vient le voir et lui dit que D.ieu l’aime, cela confirme à nouveau l’inutilité de cet enfant sur terre. Nous ne sommes pas supposés vivre simplement parce que l’on nous aime. Nous ne sommes pas des animaux de compagnie, il doit y avoir un objectif suprême qui justifie la création de l’homme. En fait, ce curé a parlé à l’enfant comme on parlerait à un écureuil : « Tu ne nous es d’aucune utilité, mais D.ieu te trouve mignon. »
Le message de cette histoire est le suivant – nous avons bien plus besoin de nous sentir utiles que de nous sentir aimés. En d’autres termes, se sentir essentiel dans la vie d’autrui est plus important qu’obtenir son attention. En effet, lorsqu’une personne a besoin de mon aide, elle me procure de la vie.
La psychologie et la psychiatrie véhiculent le message suivant : l’homme a des besoins insatisfaits, des désirs inconscients, un conditionnement complexe et des incohérences génétiques qu’il doit identifier dans le but de les satisfaire. Le manque d’amour, les désirs physiques, des enjeux compétitifs inaccomplis, la jalousie, le désir, l’ego – l’homme n’est finalement qu’un assemblage de
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besoins et d’exigences et sa vie entière est passée à les satisfaire ou à s’en priver, à défaut de pouvoir s’en défaire. Voici donc le secret juif, que même Sigmund Freud ignorait.
Effectivement, l’homme a toute une multitude de besoins : se nourrir, se vêtir, se rafraîchir quand il fait chaud et se chauffer quand il fait froid, etc. Qui plus est, nous possédons également certains besoins plus profonds comme la confiance en soi, la fiabilité, l’écoute et la solidarité, etc. Et outre tout cela, nous possédons d’autres besoins, si profonds et enfouis en nous, que nous en ignorons l’existence. Par exemple, « Ma mère m’a causé un traumatisme quand elle a voulu me rendre propre » ou « Mon frère ne m’a pas fait suffisamment de compliments », etc. Cela est bien vrai, mais le souci, c’est que dès lors que nous réussirons à satisfaire l’un de ces manques, nous en découvrirons de nouveaux. Et ce, indéfiniment. Essayons de clarifier l’origine de tous ces besoins ? Qu’est-ce qui les a précédés ?
Prenons un petit instant pour réfléchir à cela, et nous réaliserons qu’en réalité, nous n’avons aucun besoin. Nous n’avons aucun besoin, car ce n’est pas nous qui nous sommes créés. Est-ce moi qui ai besoin de manger ? Peut-être vaut-il mieux faire un régime ? Estce moi qui ai besoin de dormir ? Je préférerais éviter de gaspiller la moitié de ma vie à être latent. Est-ce moi qui ai besoin de gagner ma vie et de me voir confronté à la société environnante ? Non, merci. Je n’ai besoin de rien. Mais qu’est-ce que ça change ? Qui est-ce que cela intéresse ? Le message du judaïsme est le suivant : D.ieu m’a créé avec ces besoins, parce que c’est précisément ainsi qu’Il veut que je sois.
La psychologie du futur optera pour le message juif. Plutôt que d’essayer de satisfaire nos besoins conscients et inconscients, elle tentera de nous aider à défier les limites de la réflexion humaine et des besoins qu’elle nous impose. En d’autres termes, si tu es
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encombré par un quelconque problème psychologique, la solution n’est pas d’y remédier, mais de le voir sous un autre angle. Tu souffres de solitude ? C’est la preuve qu’il faut que tu trouves des personnes déprimées pour leur apporter ton soutien. Tu ne te sens pas aimé(e) ? Bingo – on a un rôle à te confier ! Trouve des personnes délaissées sur terre et apporte-leur un maximum d’amour. Mais souviens-toi d’une chose : tu n’as pas été créé par toi-même.
En tant qu’éducateur, coach de couple et de famille, conférencier international et délégué du mouvement ‘Habad depuis plus de cinquante ans, mon travail consiste à parler avec un peu tout le monde, jeunes et personnes âgées, Juifs et non-juifs, hommes et femmes, athées et croyant – peu importe. Nous abordons toutes sortes de sujets, à commencer par l’humour juif, la politique israélienne et l’antisémitisme, ou encore le mariage, l’intimité et l’amour. Mais d’une manière ou d’une autre, nous finissons toujours par parler de D.ieu.
Au cours de ces conversations, j’ai été confronté à de nombreuses critiques sur D.ieu – Son « mode opératoire », Ses exigences, Son « absence » sur terre. Ce que je retiens de tous ces reproches est que la réputation de D.ieu connaît une réelle désinformation. Je crois sincèrement qu’une mise au point sur ses relations publiques doit être effectuée. Pour ce faire, nous devons tout d’abord assimiler que D.ieu a eu besoin de nous bien avant que nous n’ayons eu besoin de quoi que ce soit, mais hélas, les différentes religions ont faussé notre conception.
Et si cela vous semble trop idéaliste, naïf ou romantique, je vous suggère la réflexion suivante : certaines personnes sur terre possèdent 100 milliards de dollars ! Je suis convaincu que ces individus savent que cet argent ne leur est pas destiné. Ils n’arriveront jamais à tout dépenser même s’ils vivent encore
Je n'ai pas demandé à venir au monde cent ans. D’où l’importance de l’utiliser à des fins constructives. Utilisons cet exemple dans d’autres domaines – l’intelligence dont vous bénéficiez, n’est-elle réservée qu’à vous ? Certainement pas. Et qu’en est-il de vos forces et de votre énergie physique ? Tout laisse à croire qu’il en va de même. Je vous laisse faire la liste des cadeaux qui vous ont été offerts et vous comprendrez qu’aucune de vos facultés ne vous est destinée d’une façon exclusive. Lorsque vous conservez un don ou une connaissance pour vous-mêmes, vous êtes exactement comme ce milliardaire qui conserve ses sous bien au chaud sous son sommier tandis que des personnes meurent de faim autour de lui.
En revanche, lorsque vous mettez vos compétences à contribution pour le Créateur et pour le monde, vous ouvrez la voie à la psychologie du futur et trouvez le remède à tous vos problèmes, tourments et besoins.
J’adresse mes profonds remerciements à mon guide et maître, le Rav Yoel Kahn, de mémoire bénie, qui fut source d’inspiration pour les notions apportées dans ce livre, ainsi qu’à mon fils Zalman Friedman, responsable de production, et au Dr Elad Ben-Eloul pour la rédaction et l’analyse littéraire.
Rav Manis Friedman New York ’Hanouka 5782
Q u e l e s t le s e n s Quel est sens d e la v i e de vie
La théorie qui répond à tout
Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi D.ieu a créé le monde ? Dans ce chapitre nous analyserons l’existence de D.ieu et le processus de la création du monde.
Mais avant cela, j’aimerais vraiment comprendre… À quoi sert tout ce casse-tête ? Au commencement, seul D.ieu existait, tout était parfait et harmonieux. Pourquoi tout gâcher ? Dans quel but D.ieu a-t-il créé un univers où les êtres qui s’y trouvent se plaignent à longueur de journée, Le renient, Lui formulent leurs exigences, et Le blâment sans cesse pour tout ce qui leur arrive ? Pourquoi partager Son existence avec les hommes ? Avait-t-Il réellement besoin de tout cela ?
Avant de répondre à cette question, j’aimerais vous en poser quelques autres. Certaines pourraient vous paraître hors de propos, mais croyez-moi, elles sont bien liées. En voici une. Qu’est donc
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le secret de la survie du peuple juif ? Dans un ouvrage connu, Mark Twain décrit le parcours surréaliste du peuple juif qui, contrairement aux autres nations, a surmonté toutes les périodes de l’histoire, parsemée de tant de péripéties1. Comment se fait-il que nous ayons survécu tandis que d’autres peuples, plus grands et plus imposants que nous, firent irruption, bouleversèrent l’univers entier, pour ensuite disparaître dans les annales de l’histoire ? Comment se fait-il que seuls les Juifs soient toujours là ? Qui plus est, nous ne montrons aucun signe de décadence…
J’ai encore une question : qu’est-ce que la dépression ? Je ne parle pas d’une psychopathologie clinique ou due à un déséquilibre hormonal ni d’un accablement causé par la perte d’un proche ou à la suite d’une expérience tragique ; je parle d’une dépression émotionnelle à long terme. Pourquoi nous arrive-t-il de ne pas vouloir sortir du lit ou répondre au téléphone, comme si deux tonnes de mortier étaient venues se loger au-dessus de notre tête ?
Le médecin vous aurait examiné et aurait déclaré que tout va bien et que tout est « dans la tête ». Oui, évidemment, c’est dans la tête, où cela pourrait-il être, autrement ? Si c’était mon pied qui était déprimé, je ne serais pas venu me faire diagnostiquer… !
Avant d’y répondre, j’ai une autre question. Pourquoi la modestie est-elle si importante dans le judaïsme ? Pourquoi y a-til tant de prières et de textes avec les mentions « Que mon âme 1. D’après les statistiques, les Juifs ne représentent qu’un pour cent de l’humanité. Imaginons une petite, pâle et nébuleuse poussière d’étoiles, insignifiante dans la vive lumière de la Voie lactée. Normalement, on ne devrait même pas entendre parler des Juifs. Et pourtant, on entend parler d’eux, et depuis toujours… Les Égyptiens, les Babyloniens et les Perses ont prospéré, puis ils se sont effacés comme un rêve et ont disparu. Ils furent suivis des Grecs et des Romains, qui firent grand bruit, puis se turent… Le peuple juif les a tous vus, les a tous combattus, et reste aujourd’hui comme il a toujours été. Il ne montre aucun signe de décadence, l’âge ne le rend pas infirme, ses membres ne sont pas affaiblis, son énergie ne se dissipe pas, son esprit ne s’émousse pas… Quel est le secret de son immortalité ?
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soit poussière », « De la poussière tu viens et à la poussière tu retourneras », « Je ne suis que vers et vermine », etc.2 Comment pouvons-nous prétendre être insignifiants et ensuite demander à D.ieu de nous accorder des bénédictions et des bienfaits ? Si je ne vaux rien, pourquoi mériterais-je quoi que ce soit ? Qui plus est, Maïmonide recommande de garder le juste équilibre parmi nos différents traits de caractère, mais pas en ce qui concerne la modestie pour laquelle il recommande de faire usage de manière non modérée.3 Quelle drôle d’idée ! Et qu’en diraient les psychologues ? Où est passée la confiance en soi, l’amour-propre ?
Juste avant d’y répondre, pardonnez-moi, mais j’ai encore une question. Qu’est-ce que la mort ? Comment peut-on vivre pour mourir ensuite ? Ce qui vit est vivant, et ce qui est mort est mort (voir le chapitre sur « le parcours de l’âme » pour davantage de détails). Si on ne peut pas passer de la mort à la vie, comment peut-on passer de la vie à la mort ? Et pourquoi la vie est-elle temporaire alors que la mort est éternelle ? Comment se fait-il que l’on admette la pérennité de la mort comme un fait incontestable ?
Bon, laissons la mort de côté, voici une question plus simple : comment expliquer le scénario suivant ? Si quelqu’un dégringole des escaliers, il arrive à l’hôpital couvert de blessures et de bleus, mais s’il chute des mêmes escaliers en étant ivre, il s’en sort indemne ? Comment une personne ivre peut-elle tomber, se
2. « Que mon âme soit poussière » fait partie intégrante de la Amida, « De la poussière, tu viens et à la poussière tu retourneras » (Béréchit 3, 19) ; et la Michna (Pirké Avot 3, 1) affirme : « Sache d’où tu proviens… Vers où tu vas : dans un lieu de vermine et de vers ».
3. Pour certains traits de caractère, il ne convient pas de trouver le « juste milieu », mais au contraire, il faut fuir un extrême et opter pour l’autre. Par exemple l’arrogance : il ne suffit pas d’être modeste, mais il faut être extrêmement humble (Maïmonide, Michné Torah, lois relatives à la conduite morale, chap. 2, Halakha 3)
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relever et continuer à marcher tout naturellement, puis se réveiller le lendemain et se demander d’où provient l’hématome sur sa tête ?
Poursuivons avec l’ultime question, une question si mystérieuse qu’elle attire l’attention de millions de personnes, dont des experts, qui tentent en vain d’y répondre : qu’est-ce qui ne va pas chez les adolescents ? Je veux bien admettre qu’ils traversent des changements biologiques et sociaux, qu’ils manquent un peu de confiance et qu’ils soient sensibles, mais pourquoi sont-ils si irrités ? Ils vivent chez nous sans payer un sou et obtiennent tout ce qu’ils désirent, alors pourquoi nous en veulent-ils tant ?
De retour au judaïsme, quelle est donc l’importance et la grandeur du Chabbath ? Quelle est la logique qui se cache derrière toutes ces interdictions ? Pourquoi le simple fait de mettre le four en marche ou d’appuyer sur l’interrupteur est-il considéré comme une transgression si grave ? Nous ne sommes plus au moyen âge où la mise en marche d’un four représentait une véritable corvée. D’ailleurs, s’il vous venait à l’esprit de dévaler la rue d’un bout à l’autre tout le Chabbath avec des matelas sur le dos –techniquement, rien ne vous en empêche. Mais appuyer sur un bouton, ça non ! C’est proscrit.4
Et puisque l’on aborde l’un des dix Commandements, parlons du respect des parents. Pourquoi cette Mitsva fait-elle partie des dix Commandements ? La Torah contient 613 Mitsvot, pourtant, ni Kippour, ni la Cacheroute, ni l’immersion dans le Mikvé ne font partie des dix Commandements. Cela vous semble-t-il logique ? S’il y a bien une Mitsva qu’il n’est pas nécessaire de graver sur la
4. La Torah ordonne « Tu n’y feras point de travail » sans détailler la nature exacte de ces travaux. La Torah orale nous révèle qu’il s’agit des 39 travaux pratiqués au sein du Tabernacle, et non le transport de pierres ou de lourdes poutres, bien que ces tâches puissent être plus difficiles à exécuter que les travaux proscrits (Iguérot Kodech de l’Admour Hazaken, L. 39).
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pierre, c’est le respect des parents. Savez-vous pourquoi ? Parce qu’ils nous le rappellent sans arrêt !
Dernière question : Vous êtes-vous déjà interrogé sur le choix des mots dans la bénédiction de Chéhé'héyanou, « [béni soit D.ieu] Qui nous a fait vivre, exister et parvenir jusqu’à cet instant » ? Nous commençons par mentionner la vie et seulement ensuite l’existence. Pourquoi la vie a-t-elle sa place avant l’existence ? Ne serait-il pas plus adapté de mentionner d’abord l’existence, étant donné qu’elle précède à la vie ? Nous retrouvons cette tournure de phrase à plusieurs reprises. Par exemple, nous chantons « David, roi d’Israël, qui vit et existe ». Ne doit-on pas d’abord exister avant de vivre ? Et pour quelle raison disons-nous chaque matin, « Je te remercie, Roi vivant et existant », l’existence de D.ieu ne devraitelle pas précéder à Sa vie ?
Bon, ça suffit ! Assez avec les questions. À présent, place aux réponses tant attendues. Êtes-vous prêts ?
Exister ou vivre – là est la question !
Avant la création du monde, rien n’existait encore, il fallait donc commencer par mettre en place la possibilité d’exister ou non (nous le verrons plus en détail dans le chapitre « Comment et pourquoi le monde fut-il créé ? La preuve scientifique de l’existence de D.ieu »). Donc, d’un point de vue chronologique, D.ieu donna d’abord l’existence des créatures et c’est seulement ensuite qui leur accorda la vie. Qu’est-ce que l’existence et qu’est-ce que la vie ?
L’existence, tant selon la Kabbale que d’après la science, définit toute chose qui occupe de l’espace.5 Ce qui ne prend pas de place
5. Ce sujet est largement débattu dans la philosophie, la physique et la psychologie. Par exemple, le conatus prétend que chaque être s’efforce de conserver son existence,
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n’existe pas. Ce concept s’applique pour chaque élément présent dans l’univers physique. Même l’air occupe de l’espace. Si l’on venait à compacter des molécules d’air là où il y en a déjà, cela créerait une détonation énorme. Même une pensée occupe de la place dans notre cerveau, c’est la raison pour laquelle on ne peut pas penser à deux choses simultanément. Les émotions occupent aussi un espace dans notre cœur, c’est pourquoi notre cœur se « remplit » d’amour, de colère ou de peur. Un livre sur une étagère, les pierres, l’eau, le feu, et nous-mêmes – toute chose occupe un certain espace et empêche d’autres éléments d’y pénétrer.
L’existence, au premier abord, ne nous livre pas un aperçu très harmonieux d’elle-même. Si ma présence au niveau physique, sentimentale et mentale, consiste à occuper de l’espace, cela signifie que mon existence empiète toujours sur celle de quelqu’un d’autre. Si je suis assis sur une chaise, personne d’autre ne peut s’y asseoir.
Si je gagne de l’argent, quelqu’un d’autre en perd nécessairement. Si je me trouve au centre, quelqu’un doit être mis de côté. Qu’il s’agisse de mon espace privé, de mes ressources quotidiennes, de mon corps ou de mon ego – tout reflète l’existence humaine qui est synonyme de lutte de survie constante.
C’est pourquoi notre existence s’accompagne de tant de contraintes. Il me faut une maison, un travail, de l’argent, des habits, de l’amour, un nouveau téléphone, un corps élégant, etc.
Et quand bien même nous parvenons à satisfaire ces besoins, qu’avons-nous réellement obtenu, si ce n’est la possibilité d’en réclamer d’autres et d’occuper encore plus d’espace ? Ainsi, jour après jour, nous répondons présents aux besoins de notre existence et à nos exigences du moment.6 et d’augmenter sa puissance. D’où la fameuse citation de Baruch Spinoza : « Toute chose aspire à persévérer dans son être » (Spinoza, Éthique, III 6, 1677).
6. L’un des disciples de l’Admour Hazaken (fondateur du mouvement 'Habad) lui fit part, lors d’une entrevue privée, de ses difficultés financières et de ses
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La vie, en revanche, représente la contribution et l’objectif de toute existence. L’eau trouve sa vie en faisant pousser des plantes et en hydratant les personnes assoiffées, le feu en chauffant et en éclairant, la pierre en servant de mur d’habitation et l’homme trouve sa vie dans sa contribution pour son entourage, pour D.ieu ou pour l’environnement. Contrairement à l’existence, qui implique une multitude de besoins, la vie ne se définit ni par des exigences ni par des attentes existentielles, mais uniquement par son sens et son niveau de contribution. Dès lors qu’un homme se sent nécessaire et utile, il se dit vivant, et cette sensation ne réclame aucune condition préalable.7
Il arrive parfois que notre existence s’oppose à notre vie, ce qui provoque un conflit intérieur.8 Par exemple, lorsque l’on m’invite à donner une conférence et que j’arrive avant l’horaire indiqué, je me retrouve seul dans la salle de conférence. Parfait, j’ai tout l’espace de la pièce pour moi, personne ne menace mon existence. Mais une fois le public entré en salle, me voici contraint de partager cet espace qui m’était exclusivement réservé avec des centaines voire des milliers de personnes ; quelque chose en moi s’y oppose et nombreuses dettes qui l’empêchaient de subvenir aux besoins de sa famille. « Je ne demande qu’une chose, dit-il, c’est que D.ieu me donne la possibilité d’assumer mes responsabilités envers les autres ! » Le Rav lui répondit : « Tu es tellement préoccupé par ce dont tu as besoin, que tu ne parles pas de ce que l’on attend de toi ! »
7. Le Ba'al Chem Tov disait : « Une âme descend dans ce monde et y vit 70 ou 80 ans pour faire une faveur à un juif, matérielle et surtout spirituelle. » (Hayom Yom, 5 Iyar) Autrement dit, une âme peut parfois descendre sur terre juste pour faire une seule faveur à un autre juif.
8. L’Admour Hazaken explique dans le Tanya qu’en chaque juif, il y a un combat constant entre l’âme divine – dont l’objectif est de mener à bien la volonté de D.ieu, la vie ; et l’âme animale, attirée par les plaisirs matériels et égocentriques, l’existence. Ce discernement entre la vie et l’existence tient sa source de la divergence entre nos deux âmes et leur manière de percevoir la réalité.
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j’éprouve même un peu de haine envers ces personnes du simple fait de leur présence.
Ceci dit, présenter une conférence, seul dans une salle, ne me rapportera pas de vie (on risque même de me diagnostiquer une certaine instabilité mentale). Si mon objectif, lors de cette conférence, est de véhiculer un message, la présence de ces personnes est indispensable afin de mettre mon savoir à profit.
J’éprouve donc de l’amour et de la reconnaissance envers chacune des personnes présentes, pour m’être procuré de la vie.
À chaque fois que la tension interne entre l’existence et la vie fait irruption, il est préférable de renoncer à l’existence au profit de la vie.
À présent, nous allons enfin pouvoir répondre à nos questions.
Le secret du peuple juif : la vie et non l’existence
Quel est le secret de la survie du peuple juif ? Tout simplement : Nous savons, à présent, faire la différence entre vie et existence. Tous les peuples mentionnés précédemment, qui ont actuellement disparu, concentrèrent leur énergie dans la prolongation de leur existence. Ils construisirent des forteresses, bâtirent des empires, récoltèrent un large capital financier, démographique et immobilier et décimèrent les peuples voisins. Par l’ironie du sort, malgré tous ces exploits, nous ignorons où ces peuples se trouvent à ce jour. Les juifs, à l’inverse, investirent leurs efforts dans autre chose : la vie.
À la suite de notre passage au mont Sinaï, Moïse nous raconta comment notre existence s’apprêtait à être difficile, pour ne pas dire insoutenable. Nous errerons en exil, nous subirons la souveraineté
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de peuples étrangers et cruels, nous vagabonderons tels de pauvres nomades tout le long du globe et nous serons systématiquement sujets à la terreur et aux violences.9 Le message de Moïse était le suivant ; notre existence n’allait pas du tout être paisible dans les années à venir, car nous avions absolument besoin de nous concentrer sur notre rôle essentiel – la vie.
Paradoxalement, dans les périodes de l’histoire où les Juifs furent sous les plus grandes menaces existentielles, leur apport en vie, en sainteté et en avancée mondiale fut des plus remarquables. C’est précisément lorsque la vie est le point central de notre conscience collective que notre existence trouve les moyens de survivre, contre toute attente.10 Imaginez un médecin soignant des milliers de malades en période d’épidémie : tout le monde est alité et il circule parmi eux (sans savoir s’il est lui-même contaminé) plus attentif et scrupuleux qu’il ne l’a jamais été. Ses efforts se focalisent sur le sauvetage des autres au point qu’il en oublie même de manger ou de dormir. Il a beau s’exposer à des virus qui peuvent lui être mortels, il n’a pas le temps de s’occuper de lui-même. Il vit une vie si accomplie, si vraie et si objective que son existence cesse de jouer son rôle. Voici donc le secret de la survie du peuple juif, mais il n’est pas nécessaire de le garder secret… Si l’individu cesse de se concentrer sur son existence et qu’il se focalise sur l’objectif, à savoir sur sa contribution pour le monde, il sera plein de vie, et ce, en permanence.
9. « Et l’Éternel te dispersera parmi tous les peuples, d’une extrémité de la terre à l’autre ; et là, tu serviras des dieux étrangers, jadis inconnus à toi comme à tes pères, faits de bois et de pierre. Et parmi ces nations même, tu ne trouveras pas de repos, pas un point d’appui pour la plante de ton pied ; là, l’Éternel te donnera un cœur effaré, mettra la défaillance dans tes yeux, l’angoisse dans ton âme. » (Dévarim 28, 64-65)
10. « Mais, plus on l’opprimait, plus sa population grandissait jusqu’à déborder » (Chémot 1, 12). Plus les Égyptiens tentaient d’opprimer et d’asservir le peuple juif, plus celui-ci prenait de l’ampleur et s’intensifiait.
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Le rôle de la vie : justi fi er notre existence
Après 5000 ans d’existence, l’être humain cherche toujours à comprendre le but de la vie et pose toujours la même question : « Pourquoi sommes-nous ici ? ». C’est loin d’être une simple question philosophique, il s’agit d’une frustration existentielle qui, à défaut de s’estomper avec le temps, nécessite un remède immédiat. Que signifie cette question ? À ce que je sache, personne ne s’est jamais rendu ailleurs que dans ce monde-ci, n’est-ce pas ? Pourtant, certaines personnes se posent la question avec intérêt et en viennent à déprimer ou à souffrir d’angoisses s’ils ne parviennent pas à y répondre.
Il y a quelques années, une ancienne élève de l’école Beth Hanna me fit part de ses intentions suicidaires. Je l’interrogeai sur ce choix, et elle répondit que la vie n’avait aucun but, que tout était insignifiant, vide de sens et ne menait strictement à rien.
Je lui répondis avec la naïveté d’un jeune Chalia'h faisant ses débuts : « Si la vie n’a aucun sens, pourquoi prenez-vous la peine de vous suicider ? Il n’y a pas d’urgence… Prenez plutôt le temps de vous reposer, la mort viendra à vous en temps voulu ».
La question de départ doit être reformulée. Il ne faut pas se demander « Pourquoi sommes-nous ici ? », mais « Comment justifier notre existence ? » Tant que nous confondons ces deux questions, nous sommes sujets à un dysfonctionnement de la logique. Car, en effet, la vie ne nécessite aucun objectif – elle est l’objectif même. L’existence, quant à elle, exige constamment qu’on lui donne un sens. C’est embarrassant d’occuper de l’espace, de consommer des ressources, de dépenser de l’argent et de profiter des services d’autrui sans avoir une cause justifiée. Si la question est « Qu’est-ce qui justifie notre existence ? », la réponse est claire ; notre vie. Dès lors que notre existence contribuera et participera
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à améliorer le monde qui nous entoure, nous mettrons fin à toute confusion. La réponse à la dépression : procurez-vous de la vie !
Cette théorie, détaillée précédemment, saurait expliquer pourquoi tant de gens souffrent de dépression. Dire « Je suis déprimé » reviendrait à dire « J’existe ; or, exister sans raison est embarrassant et démoralisant ».
Si j’investis trop d’énergie pour faire, à tout prix, évoluer, grandir et prolonger mon existence, je risque, à force, de crouler sous la charge de son poids. Mon existence pourrait se faire si lourde et pesante qu’elle deviendrait insupportable. Si chaque chant à la radio vous semble décrire votre vie, cela prouve que vous prenez trop de place. Si chaque conversation vous concerne et vous affecte, c’est que vous occupez trop d’espace. Essayez de vous mettre un peu de côté.
Lorsqu’une personne se sent déprimée, vide de sens, indifférente à ce qui l’entoure, ou qu’elle se demande ce qu’elle est venue faire sur terre, c’est sans doute qu’elle se concentre beaucoup trop sur son existence. Lors de nombreuses rencontres effectuées avec des personnes prospères, riches et populaires, je fus surpris de voir qu’elles souffraient de dépression, souvent au-delà de la moyenne. A contrario, si vous questionnez un anthropologue, il pourra vous dire que la dépression est beaucoup moins courante dans les pays du tiers-monde, car les personnes qui y vivent jouent un rôle indispensable pour leur communauté et se sentent responsables de l’avenir de leur famille. En d’autres termes, ils ont une vie.11 La vie 11. Je recommande d’examiner l’étude menée par le psychiatre et anthropologue Ori Schwartzman, qui compare le nombre de cas de dépressions en Afrique par
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est le but de l’existence, donc s’il vous arrive de déprimer, cessez de penser à vous-même et recherchez une personne qui aurait besoin de vous. Votre vie prendra alors un sens.
Prenons l’exemple de Yossef Hatsadik. Il fut vendu en tant qu’esclave en Égypte et se retrouva incarcéré dans un cachot pour une durée indéterminée. Dans cet état déplorable de précarité existentielle, il trouva deux personnes qui lui paraissaient anxieuses, leur demanda ce qui leur était arrivé et tenta de leur apporter son aide. Ces individus étaient des gardes haut placés de Pharaon, et ils venaient de faire des rêves extrêmement troublants. En interprétant leurs songes, Yossef leur apporta son aide et se procura de la vie même dans les conditions les plus précoces.12 Cela prouve que l’on peut vivre une vie pleine de sens même lorsque notre existence est malheureuse.
La vraie modestie – minorer l’existence
Tout cela nous permet de comprendre le sens de la modestie. Lorsque l’on souligne l’importance de la modestie dans le judaïsme, il ne s’agit pas de dévaloriser la vie ni les valeurs qui l’accompagnent. C’est notre existence et la place qu’elle occupe, qui doivent être modérées.
Si quelqu’un dit, par exemple : « Je ne suis qu’un échec, un idiot, un perdant, je suis moche, j’ai deux mains gauches, etc. », est-il rapport à l’Europe. En Europe, les personnes disposent de bonnes conditions matérielles et d’aides médicales, et pourtant il est plus fréquent de voir des cas de dépression chronique. En revanche, les peuples africains vivent dans les conditions les plus modestes, mais l’appartenance au monde environnant et la responsabilité collective y est bien plus importante, ce qui permet de diminuer considérablement le taux de maladies mentales (2007
).
12. Béréchit 40, 6-11.
Quel est le sens de la vie ?
humble ? Non. Il a beau se dévaloriser, mais en réalité, il continue d’être le centre du monde. J’ajoute ce dicton, que j’aime bien : « Ne sois pas trop modeste, tu n’es pas assez éminent. » Qu’est-ce qu’il signifie ? Si nous ressentons le besoin d’être humble, nous nous accordons déjà trop de crédit. La vraie modestie consiste à ne pas prendre son existence au sérieux et à ne pas s’enorgueillir. En effet, qu’avons-nous accompli, qu’avons-nous obtenu ? D’occuper plus de place que les autres ? Si l’on s’enorgueillit trop de son existence (c’est-à-dire de ses accomplissements ou de ses échecs matériels, c’est signe qu’il convient de la minimiser.
La vie, quant à elle, ne doit en aucun cas être dissimulée. Les compétences, les connaissances et la capacité à contribuer au monde sont des éléments qu’il ne faut pas garder pour soi. Vous pouvez, à tout moment, apporter votre contribution au monde environnant, accomplir la volonté divine, alors n’hésitez pas à exprimer pleinement la force de vie qui est en vous.
Qu’est-ce qui « coince » chez les adolescents ?
Nous allons enfin pouvoir comprendre quel est le problème de notre jeunesse. Pourquoi tant d’adolescents, dans le monde entier, sont-ils en colère contre leur vie ? D’où leur vient cette rancœur ?
De manière générale, si vous leur posez la question, ils répondront tous : « Ma mère m’a pourri la vie ». Prétendre qu’une mère a ruiné la vie de son enfant est une grave accusation, et elle est évidemment fausse. À la rigueur, notre mère peut ruiner notre existence en nous imposant trop de règles ou en nous sollicitant un peu trop. Ou alors, du simple fait qu’elle est la mère, ce qui revient à dire que c’est elle qui est à l’origine de notre succès. Mais une mère ne ruine pas une vie.
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De plus, une mère ne peut pas détruire la vie de son adolescent, car les adolescents n’ont pas de vie ! Ils ont juste un peu trop d’existence. Ils vous demandent « Que penses-tu de mes nouvelles baskets ? », ce qui m’intrigue ; « Tes baskets ?! » Parfois, ils disent : « Tu as vu comme j’ai bien rangé ma chambre ? » Ta chambre ?! Dis-moi, as-tu déjà travaillé dans ta vie ? Il est arrivé que mes enfants se disputent et hurlent : « C’est mon lit ! », « Non c’est le mien ! » Comme tout bon parent ne cherchant pas à appliquer la justice sociale, mais simplement à rétablir le calme, je leur ai expliqué que c’était mon lit et que s’ils se tenaient bien, j’envisagerai de le leur prêter pour ce soir.
Mais la raison essentielle pour laquelle une mère ne peut pas détruire la vie de son enfant est que personne ne peut détruire une vie. La vie est une opportunité de s’instruire, de grandir et d’avancer. La vie est notre capacité à contribuer et à apporter du soutien autour de nous, et ce ne sont pas des choses que l’on peut détruire.
J’ai discuté avec une jeune fille qui me racontait qu’elle trouvait sa mère affreuse, agaçante, repoussante et odieuse. Elle a ensuite dit qu’elle ne comptait pas laisser sa mère détruire sa vie et qu’elle s’apprêtait à quitter la maison pour faire tout ce que sa mère détestait qu’elle fasse.
Je lui ai dit : « Tu as entièrement raison ! Tu ne dois pas laisser ta mère saccager ta vie ! Peu importe ce qu’elle te dit ou te fait, continue de la respecter, comme on respecte une mère irritée ». Elle se plut à l’idée qu’elle n’avait pas besoin de quitter la ville et qu’elle pouvait se rebeller en restant chez elle [elle ferait ainsi l’inverse de ce qu’elle pensait que sa mère voulait qu’elle fasse].13
13. Le Ramban demande pourquoi ce commandement fait partie des cinq Commandements qui lient l’homme à D.ieu, et non des lois qui relèvent des rapports humains. Il explique qu’honorer ses parents revient à honorer le Créateur.
Quel est le sens de la vie ?
Comment faut-il honorer ses parents ? En accomplissant de simples tâches journalières, pas forcément très plaisantes, mais qui faciliteront leur existence. Leur laisser votre chaise, faire les courses, descendre la poubelle, les emmener chez le médecin, de quoi dédier un peu de votre existence pour alléger la leur. Pas besoin d’aimer ça ni d’en tirer du plaisir – l’essentiel est de le faire.
Nous comprenons mieux à présent pourquoi l’un des dix Commandements nous enjoint : « Honore ton père et ta mère, afin que tes jours se prolongent, dans le pays que l’éternel, ton D.ieu, te donne »14. Le respect des parents n’a pas pour unique but de prolonger notre existence, mais également de nous procurer de la vie. La Torah nous enseigne qu’en nous préoccupant uniquement de notre existence, nous n’obtenons rien de significatif. Par contre, si nous nous investissons pour améliorer l’existence de nos parents, nous vivrons une vie pleine de sens.
Le sens du Chabbath – trêve d’existence
Alors qu’est-ce que le Chabbath et pourquoi ses lois nous semblent parfois si banales ?
Durant les six jours de la semaine, nous entretenons et améliorons notre existence. Nous cuisinons quand nous avons faim, réparons ce qui s’est brisé, achetons ce qu’il nous manque et cousons ce qui se déchire – tous nos efforts sont mis au service de notre existence. Pendant le Chabbath, D.ieu nous demande de tout arrêter et de
En effet, c’est Lui qui souhaite que nous les respections, parce qu’ils ont contribué à notre conception. Autrement dit, en honorant nos parents, nous honorons D.ieu qui est leur associé dans cette conception, conformément à l’enseignement de nos Sages : « Il y a trois associés dans la conception de l’homme : D.ieu, le père et la mère. » (Kidouchin 30b)
14. Chémot 20, 11.
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vivre. Rappelons-le, en tant que Juifs, notre survie dépend de notre capacité à nous connecter à la vie.
Lorsque nous prenons l’habitude, chaque semaine, de mettre notre existence à l’arrêt pour se pencher uniquement sur notre vie, nous parvenons à diffuser l’atmosphère du Chabbath dans la semaine à venir, bien qu’étant happés par la quête de subsistance, la paperasserie, la politique et la consommation de ressources. Animer notre semaine par « l’atmosphère » du Chabbath signifie que toutes les tâches profanes que nous réaliserons – boire, manger, se vêtir, travailler, etc. seront faites « Léchem Chamaïm » (dans le but d’honorer D.ieu), c’est-à-dire animées par l’ultime conviction de servir notre Créateur. Si nous servons le Créateur tout en prenant soin de notre existence, nous donnons une vie à cette existence.
C’est la différence fondamentale que nous trouvons entre le corps et l’âme. Même en étant préoccupés par nos besoins corporels, nous pouvons joindre un peu de notre âme à cette tâche. Même lorsque nous agissons pour notre intérêt personnel, nous pouvons prendre en considération l’intérêt d’autrui.
Le Rabbi de Loubavitch, comme on le sait, avait l’habitude de donner des dollars à toutes les personnes venant lui rendre visite, le dimanche matin au 770 Eastern Parkway à Brooklyn, afin que ceux-ci pratiquent la charité. Lorsqu’on lui demanda pourquoi il agissait de la sorte, il répondit : « Quand deux personnes se rencontrent, elles doivent s’assurer qu’une troisième personne puisse en bénéficier ». Ce qui revient à dire : lorsque vous vous préoccupez de votre existence, assurez-vous d’y ajouter aussi de la vie.
Quel est le sens de la vie ?
J’ai tout ce qu’il me faut, que faire maintenant ?
La crise de la quarantaine
L’existence peut se présenter sous plusieurs formes. Certaines personnes possèdent une existence quasiment parfaite : ils sont au sommet de l’échelle sociale, en bonne santé, économisent de l’argent, bénéficient d’honneur, mènent une belle carrière – en bref, ils ont « tout ». Certaines personnes, en revanche, ont une existence très misérable. Ils parviennent à peine à survivre. La vie, quant à elle, n’existe que sous une forme unique : la mise à contribution et le sens. De plus, l’absence d’existence peut parfois générer davantage de vie, tout comme son excès peut en causer la diminution.
C’est exactement ce qui survient lors de la crise de la quarantaine. Après s’être marié et avoir fondé une famille, étudié à l’université, obtenu un emploi, acheté une maison et remboursé son crédit, élevé des enfants et s’être stabilisé financièrement, l’homme reste avec la question existentielle : « Et que faire à présent ? » À cet âge, il sait qu’il a exploité au maximum les capacités de son existence, et dès lors, il n’est plus censé avoir de grandes surprises ou des changements radicaux. S’il n’est pas devenu milliardaire, célèbre, mannequin ou pilote de chasse, cela a très peu de chances de se produire à l’avenir. À l’âge de la quarantaine, l’existence cesse de défier ou de préoccuper la personne, parce qu’elle comprend qu’elle ne changera pas. C’est à ce moment qu’il comprend qu’il n’a pas de vie. Et là, c’est la crise, inévitablement !
Lorsqu’une personne a tout ce qu’elle désire, possède tout ce dont elle a toujours rêvé, et qu’il ne lui reste plus rien à obtenir, elle se retrouve forcée de se pencher vers sa vie. Se pencher sur le sens de sa vie. Elle se demande : « En quoi suis-je utile ? Comment puisje apporter mon l’aide, là où je me trouve actuellement ? » S’ils
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ne trouvent pas la réponse, certains individus peuvent en perdre la raison. C’est pourquoi les millionnaires aiment tant les œuvres caritatives et philanthropiques, cela leur permet de justifier leur existence en y ajoutant de la vie, sous forme de charité.
À l’aide de cette théorie, nous pourrons répondre à notre question concernant la vie et la mort. La vie ne meurt jamais, car la vie ne peut que vivre. La mort, en revanche, signifie le terme d’une l’existence. Nous n’occupons plus d’espace et n’avons plus besoin de manger, de dormir, de consommer des ressources et de maintenir notre matérialité. La mort peut également être le symbole d’une vie qui n’a pas d’objectif ou qui est vide de sens, comme l’enseignent nos sages : « Les impies sont considérés comme morts, même de leur vivant. »15 Tout compte fait, l’existence est temporaire, mais la vie est éternelle. Lorsque l’existence physique arrive à son terme, nous sommes livrés au conflit perpétuel entre l’existence et la vie, et n’avons plus besoin de départager notre énergie entre les deux camps – nous pouvons vivre pleinement (simplement autre part).
Tant que nous sommes sur terre, notre existence occupe une place prépondérante. Mais une fois au paradis, notre seul centre d’intérêt est la vie : l’aide apportée à nos proches, l’impact de nos actions sur terres, et bien sûr, l’attente de la venue du Machia'h. Les âmes l’attendent afin de pouvoir revenir dans leur corps et exister à nouveau.16 Car, en effet, ce n’est que dans la dimension corporelle, au sein d’un corps matériel, que nous pouvons accomplir les Mitsvot et réaliser notre objectif.
15. Bérakhot, 18b.
16. Cela fait objet d’une divergence d’avis entre le Rambam qui estime que les âmes résideront dans le paradis pour jouir de la proximité divine, et le Ramban qui pense que l’objectif du monde futur et de la venue du Machia'h est la résurrection. On s’y attardera dans le chapitre « Le parcours de l’âme ».
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Lé'haïm ! Pourquoi les personnes ivres sontelles inconscientes de leur corps ?
Vous avez certainement remarqué qu’avant de boire du vin ou de l’alcool, on se souhaite « Lé'haïm (à la vie) ». Dans d’autres langues, on dit « À ta santé », ou « Que l’on soit joyeux », « Tchin » ou encore « Cul sec ». Mais alors, pourquoi dit-on « Lé'haïm » ? Tout laisse à croire que nous craignons la mort à la suite de cette gorgée. Allons, ce n’est pas si dangereux de boire ! D’ailleurs, avant de faire quelque chose de réellement dangereux, on ne dit pas « Lé'haïm ! » Avez-vous déjà vu quelqu’un dire « À la vie » avant de faire du saut à l’élastique ou de prendre l’avion ? En réalité, peut-être devrionsnous commencer à le faire… Quoi qu’il en soit, cette expression n’est pas réservée à des situations risquées.17 Alors pourquoi le diton avant de boire du vin ?
Lorsqu’une personne est atteinte d’ivresse, elle se sent immédiatement moins timide et moins lucide. Aussi, sa conception de la distance et de l’espace est altérée. Elle a l’impression d’occuper beaucoup moins d’espace. Dans les termes que nous connaissons : son existence s’apaise. L’un des signes distinctifs d’une personne ivre est son inconscience de l’espace qui l’entoure et sa tendance à s’adresser à son interlocuteur de très près.
C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles on ne doit pas boire de l’alcool si l’on n’est pas joyeux. Si, au lieu de nous sentir vivants, nous sommes obstrués par notre existence, nous risquons de noyer notre chagrin dans l’alcool. C’est une erreur de lâcher
17. La coutume européenne est de lever son verre et de l’entrechoquer à celui de son interlocuteur afin de créer un mélange entre les gouttes, ou bien certains croisent les bras et boivent chacun du verre de l’autre. Cette tradition remonte à la période où il existait un risque de se faire empoisonner. Chez les ’Hassidim, la coutume veut que l’on se serve l’un à l’autre (et non-pas seul), afin de montrer que l’on boit toujours dans l’union et la fraternité.
Je n'ai pas demandé à venir au monde
prise de notre existence lorsqu’elle est la dernière chose qui nous maintient en état de lucidité et d’équilibre mental. Vous pouvez néanmoins vous libérer de votre existence à l’occasion d’un mariage, à Pourim ou Sim'hat Torah, la vie étant plus intense à ces occasions. Alors, pourquoi dit-on « Lé'haïm » ? Car avant de nous déconnecter de l’existence, nous souhaitons que cet acte mène « à la vie », c’est-à-dire, à un but bien précis, et non pas uniquement à une simple existence.
Une bonne fois pour toutes : pourquoi D.ieu a-t-il créé le monde ?
Il ne nous reste plus qu’une seule question, la première : pourquoi D.ieu a-t-il créé le monde ?
Lorsqu’un homme fait une demande en mariage et qu’il dit « Veux-tu m’épouser ? Je ne peux vivre sans toi », c’est quelque peu angoissant, ne trouvez-vous pas ? On aurait envie de répondre : « Es-tu vraiment désemparé au point de ne plus pouvoir vivre sans moi ? Je ne suis pas sûre de pouvoir endosser une telle responsabilité ». Quelque chose dans cette déclaration nous donne envie de fuir. D’autre part, s’il dit : « Veux-tu m’épouser ? Quand bien même je pourrais me débrouiller sans toi… », ça ne donnera rien non plus. Mais alors que doit-il dire ? Tout simplement : « Veux-tu m’épouser ? Je pourrais continuer d’exister sans toi, mais je ne pourrai pas vivre sans toi ».
Notre existence individuelle en tant que célibataires pourrait très bien poursuivre son cours. Cela nous éviterait même les responsabilités et les engagements qu’impose un mariage, mais sans ce dernier, cette existence manquerait de sens (plus de détails seront donnés dans le chapitre sur l’amour, le mariage et les relations au sein du couple). Le mariage devient d’autant plus vital lorsque
Quel est le sens de la vie ?
notre existence a exercé son potentiel maximal et qu’on possède tout ce que l’on désire ; il est alors plus nécessaire d’ajouter un sens à notre existence. Cela explique d’ailleurs pourquoi j’ai rencontré tant de couples qui possédaient « tout », mais qui n’avaient pas d’enfants, et en éprouvaient énormément de douleur. Qu’est-ce qui les dérange tellement ?
Si vous leur posez la question, ils vous diront sûrement que le fait de ne pas avoir d’enfants avec qui partager leurs talents, leurs biens et leurs connaissances leur donne l’impression d’avoir manqué quelque chose dans leur vie. Il ne s’agit pas d’un sentiment d’imperfection ou d’impuissance. Au contraire, ils se sentent comblés et pleins d’amour, mais n’ont pas à qui dédier cette ressource, cette énergie. En d’autres termes, plus une personne se sent parfaite, plus elle éprouve le besoin de se dévouer pour quelqu’un d’autre.
Pouvez-vous alors comprendre enfin pourquoi D.ieu a créé le monde ? D.ieu est, et Il a toujours été parfait, mais Il a quand même pris la peine de créer un monde si disparate, confus et imparfait. Quelle est la clé de ce mystère existentiel ? D.ieu désirait aboutir à un objectif et établir une relation avec nous. Il a créé le monde justement parce qu’Il est parfait, et si vous l’étiez également, vous en auriez fait de même. Si quelqu’un est parfait, infini, omniscient et tout-puissant, il lui faut de la vie.
De ce fait, lorsque nous nous tenons devant D.ieu et l’implorons pour vivre un jour de plus, nous ne demandons pas à intensifier notre existence – Il continuera probablement de nous faire exister même si nous ne prions pas. Nous prions pour qu’il nous accorde la vie tant que nous existons encore – qu’il nous donne la chance de Lui offrir quelque chose de nous-mêmes (vous en lirez davantage dans le chapitre : « Joyeux Kippour ! Non, D.ieu n’est pas en colère contre toi »).
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Il faut toujours garder en tête la phrase suivante. Vous pouvez, à tout moment, choisir d’être dans le besoin ou de vous rendre utile. La différence entre ces deux approches peut changer le cours de votre vie, du tout au tout. Voulez-vous exister et vous soucier de vos besoins, ou vivre et partager ce que vous détenez avec d’autres ?
À présent, vous comprendrez peut-être mieux pourquoi les trois mots emblématiques du peuple juif sont « Am Israël 'Haï – Le peuple d’Israël est vivant »… Lé'haïm !