La poésie comme mode de
de
De l’acquisition des outils à la créa tion d’un projet personnel, j’ai pu à travers ces trois années enrichir ma vision de l’es pace tant d’un point de vue architectural que d’un point de vue social et culturel. L’ essence de cette matière apparaît maintenant devant moi. Tout n’est qu’une question de volonté. L’architecte décide de manière réfléchie de ses choix. Ces intentions doivent être claires et li sibles par tous. Son rôle premier est donc de parfaitement maîtriser les traductions qui lui permettront de faire comprendre sa volonté. Ainsi, les passages d’une idée au croquis, du croquis au projet, du concret à l’abstrait, de la pièce à la ville, de l’habitat à la culture, du privé au commun, etc ... sont au tant de métamorphoses que de traductions de l’architecte auquelles se confrontent per petuellement la société. D’une idée de recette à la naissance d’une fondation, nous sommes tous concernés par ces passages et traductions.
On nous ressasse sans cesse l’im portance du mode de représentation. Et aujourd’hui encore, il est parfois dif ficile de choisir le bon schéma, le bon croquis, la bonne coupe pour faire res sortir un aspect primordial du projet. Pourtant, savoir décomposer l’essence d’un projet est la clé d’une bonne analyse, d’une bonne composition, d’une bonne création. La coupe souligne un travail de hauteur, de lu mière, de structure. Le plan traduit l’organisa tion , la logique des usages. Le croquis sensible projète directement l’homme dans le projet en proposant un point de vue plus réaliste. La maquette permet d’explorer l’assemblage, la forme global du projet et son rapport avec son environnement. Et tant d’autres outils existent pour aider l’architecte à partager son projet.
Dans mon parcours personnel, j’ai pu tester, essayer, jouer avec différents modes de représentation. Je pense toujours aujourd’hui que ces derniers sont finalement innombrables et que c’est à chacun de s’approprier ces outils aussi différents qu’ils soient, pour former son caractère et parvenir à la meilleure efficacité. Ces études m’ ont permis de com prendre combien nos gestes, nos sentiments, nos actions, nos envies étaient connectés à toutes formes de traduction. Certaines plus complexes que d’autres, il faut bien l’avouer. Lorsqu’un problème surgit il faut bien sou vent réussir à l’évacuer d’une manière ou d’une autre pour qu’il puisse disparaître. Transcrire quelque chose de critique sur une feuille , même si dans un premier temps cela nous pa raît brouillon, permets de soulager une partie de nous puis ensuite de comprendre le pro blème. C’est un dialogue constant avec nousmême. Ma tête ne comprend pas ou ne trouve pas quelque chose et mes mains à leur manière me donnent la réponse. Le carnet de croquis devient alors un ami fidèle qui essaie petit à petit, à travers recherches, ébauches, croquis de trouver le projet jusque là caché dans notre tête.
Pour ma part, les outils primaires enseignés à l’école ne sont pas suffisants pour comprendre entièrement un projet. Cependant, au delà de ces bases nous a été donné en parallèle le goût de la nouveau té, de la création, du test, de la connaissance. A travers l’analyse de différents projets, j’ai ressenti le manque d’un élément primordial pour comprendre un site, une photo, un texte. Ce manque est la traduction du sentiment. A chaque visite, à chaque regard, à chaque état d’âmes , nos sentiments sont invoqués.
Comment comprendre et faire comprendre un projet pour un usagers sans impliquer ce qui fait que nous sommes des hommes ? Mais traduire des sentiments n’est pas chose facile. Nous touchons ici un autre domaine de complexité mais qui reste néanmoins direc tement lié à l’architecture. Car pour moi, et je ne pense pas être la seule, l’architecture est un art et l’art cherche à émotionner le spectateur. Comment alors traduire un ressen ti ? J’ai choisi d’utiliser les mots., mais pas n’importe comment. Les mots tels qu’ils me viennent à l’esprit. Je ne cherche pas à résoudre un problème en y pensant, je laisse la feuille absorber l’encre et je lis ensuite le résultat.
Voici un premier exemple d’écrit qui, à un moment particulier, m’a permis de comprendre une mélancholie liée à la ville et à ses habitants. Ce texte n’est pas directement lié à un projet particulier mais té moigne d’un aspect saturé de la ville. Avant de créer un espace urbain, il faut d’abord que je sache quels sont les usages, les détourne ments, les limites du fonctionnement d’une ville et pour cela, je reprend mon rôle d’ha bitante et je laisse mon ressenti s’exprimer.
Le sens des autres
Alors que la banalité prolifère, et trace sur nos vies des rails dont ineffaçable est leur fer, il nous arrive parfois, comme une filante au dessus des toits, de faire une exception, et de ressentir pour l’autre, quelques larmes d’émotions.
Dans le courant aérien, passe l’intrus qui soudain, détourne et retourne, notre putain de quotidien.
En quelques sortes, il sauve la mise.
La possibilité de se sentir partager, non pas nous-même mais simplement donner.
Un regard , un sourire, une bise. Le plaisir d’ouvrir à l’autre la porte qui de vant nous reste fermée.
Il est parfois difficile d’avancer.
On s’enlise, patauge et stagne, les pieds serrés, la tête baissée.
Certains se noient dans une flaque, d’autres se prennent de grandes claques, mais comment ne pas comprendre, comment ainsi prétendre que seul nous sommes assez, que moi, je suis capable d’exister.
Si on pivote notre ligne d’horizon, qui égoïstement, se projetait de haut en bas et non pas de toi vers moi. Si on élargit notre regard, pivote le miroir, enfin nous verrons !
Les drames peuvent nous choquer. Les pauvres nous faire pitié. On s’inquiète pour la vie des autres sans penser qu’elle est aussi la notre. L’arborescence humaine, la colonie du même. Nous tissons incertains, nous filons sans lendemain, la toile des relations, vraies ou non, socialement, comme des cons.
L’utilisation de mots pour leur pre mier sens ne m’interesse pas. Si c’était le cas, la poésie n’aurait besoin d’être écrite. Si quelque chose est plaisant à regarder, il n’est pas simplement beau. Il faut chercher plus loin, il ne suffit pas d’écrire ce que l’on sait déjà. Il faut comprendre et identifier chaque facette du ressenti. Et bien souvent, aucun mot ne suffit à les décrires correctement. Il faut jouer des consonnances, des rimes, des rythmes pour parvenir à un essemble qui peut paraître parfois incompréhensible mais qui à procurer malgré tout un ressen ti semblable à celui que nous cherchions à identifier. «Sacrifier le nom des choses pour gagner leur présence» sont les termes employés par le poète Roberto Juarrez.
Ecrire un poème revient à redéfinir les sentiments, rembobiner les souvenirs et re trouver une réalité parfois effacée par la vue trop subjective de notre regard conditionné. L’architecte Phillipe Madec utilise la poé sie comme outils de travail du projet. Il se prète avec autant de plaisir à la rime qu’à la théorie et dit « La poésie rapproche du réel ... Le Métier d’architecte étant hy per-complexe, j’ai beosin de tout com prendre pour comprendre cette complexité».
Y aurait-il plusieurs réels ? Impossible, la subtilité vient de la sensibilité de chacun. Des poètes et écrivains tels que Mau rice Blanchot, Henri Michaux, René Char, Pablo Néruda ou encore Francis Ponge ont saisi cette réalité sensible et proche d’une simplicité difficile à capter.
Ce deuxième exemple est un poème écrit lors d’une rencontre avec l’artiste Agnès Girard, dans son atelier. Cet entre tien avait pour but de dresser le portrait d’un atelier par la photographie. Cependant, ici encore, les clichés n’ont pas suffit à retrans crire tous les aspects de cette rencontre.

travers ses mains
N’ a-t-on jamais entendu dire que l’art est une thérapie ?
Je soutiens ces propos qui à leur façon m’ont permis, de parler de mes maux à travers mon pin ceau. De même qu’après un effort exigeant, c’est vidée qu’en bas à droite, je signe la confession de l’instant. J’invente alors le dialecte, si personnel et altruiste, la caresse déposée qu’est la patte de l’artiste.
Lorsque l’on crée l’univers qui dans nos têtes opère à l’imagination des couleurs, des mélanges, des textures, on ne pense pas au prix, aux critiques, aux ratures.
Car on comprend finalement, que chaque essai incertain, est un plus qui soudain révèle l’ensemble au dernier temps.
Dans ses mouvements manuels, dans sa subtile gestuelle,
on apprend à connaître l’énergie qui fît naître les toiles accrochées et les silhouettes accoudées.
Partout dans l’espace, flottent les courbes corporelles de ces femmes charnues, immobiles et si belles.
Elles semblent papoter, rire, se reposer. Mais ce n’ est qu’ une fois nos paupières baissées, que doucement, elles osent bouger.
N’est-il pas fantastique de séduire les pu pilles, autrement que par l’argent et autres papiers qui brillent ? Admirer les couleurs qui composent le tableau. Comprendre une valeur à travers son pro pos. Il faut bien regarder pour arriver à voir. Aller à l’essentiel, se regarder en face, traverser la pièce puis devant le miroir, saisir l’instant.
Il est un endroit précis, où chaque seconde d’une vie compte le décompte de l’immersion du parvis.

Le belvédère nourricier régule les courants et l’horloge solennelle attend patiemment. Ici pas de place pour ceux qui s’enlacent dans les sables happants du sommeil éveillé, ou dans les bras si charmant d’une mère attention née.
L’accord marmonné et le pacte gribouillé, ils tombent dans cette mer qui secoue les liaisons, nettoie leur intérieur. Initialisation.
La recette du quotidien, répétitive intuition est le fruit des actions qu’un certain automate, simple et petite fourmi à cravate, a promis de produire à travers son juron. La cuisine économique s’active et s’affaire à la gourmande production d’un précieux mets vert.
Ainsi ils machouillent cette pâte à papier, si difficile à compter et surtout partager.
Ils sont rangés à leurs places, dans des boites. Empilées les unes sur les autres,

c’est à celle qui sera la plus haute de recevoir les applaudissements du public ébahis, resté en bas, stagnant, naif et impuissant.
Le ronronnement du réseau fait dès l’aurore échos. Un trafic continu s’opère alors sous nos rues. Et c’est aveugle et sourd que nous traversons insouciant le boulevard établis par l’architecte de nos vies. Grâce à la lumière naît l’obscurité et je vois à présent l’intrus dans la banalité. Tout comme le tourbillon qui révèle à son tour les duos immobiles figés par l’amour.
Inondé de petites piles, le parvis devient la scène d’une bien connue contine et dont l’issue est celle de monter quelques marches juste là, vers l’Arche.
Il est un endroit précis, où chaque seconde d’une vie compte le décompte de l’immersion du parvis. Les pensées dans les airs, on assiste au spectacle des flux imaginaires pour qui rien n’est obstacle. Ils s’écoulent vers le sol et s’épuisent peu à peu. Comme si à travers les fissures du béton naturel, se créait finalement des entonnoirs à notre échelle.
Ce troisième poème a été écris pour le rendu d’intensif de ce dernier semestre. Nous avons étu dier le parvis de la défense d’un point de vue socio logique. La découverte fût pour moi totale. N’ayant jamais été entre ces tours, c’est intriguée et per plexe que j’ai découvert ce monde à part entière.
La poésie permet une liberté d’ ex pression difficile à acquérir par d’autres modes de représentation. Je cherche principalement à recréer une ambiance en lisant le poème. Des mots de la même famille répartis dans le texte permettent de poser un contexte. In consciemment, notre imaginaire se sert de tous ce qu’il entend pour imager le poème et ainsi avoir une idée de la réalité transcrite.
Pour sous-entendre quelque chose de paradoxal dans cette réalité, il suffit par fois d’associer deux mots de sens oppo sés pour que le cerveau signale un anta gonisme. Ainsi, même si on n’identifie pas les deux formes qui se confrontent réelle ment, on ressent leur opposition. De même que l’oxymore, plusieurs figures de styles provoquent des sensations spécifiques.
Sans pour autant y préter grande at tention, j’ essaie de garder un rythme de lec ture soutenu. Tout comme la figure de style, le rythme du poème est encore un indice de sensation. Le nombre de syllabes joue avec la phonétique et crée selon l’humeur la co lère, la gène ou le bien-être et la douceur. La rime vient souligner le tout en appor tant une logique. Un enchainement par faitement coordoné révèle la sensation d’accomplissement dès qu’il se termine.
Ce texte est un doute naissant face à l’avenir du métier d’architecte. C’est au milieu de la troisième année que des acteurs ont com mencés à nous parler de la réalité profession nelle, et ce, sans grand enthousiasme. En dé couvrant aussi des architectures alternatives, des fonctionnements différents, on se rend compte que ce que nous faisons à l’école est une acquisition de base mais que lacher dans la nature, il faudra faire preuve d’innovation pour survivre.
Penser autrementQui sommes nous ? Que faisons nous ?
Les questions éternelles stagnent et pétillent dans nos boîtes crâniennes souillées de discours. Etonnement efficaces, ils arrivent à porter les jeunes pousses pleines d’audace inaptes encore à juger.
De maisons en maisons, d’une foulée presque hâtive, nous cherchons l’héritier et lisons les mémoires d’ une mère adoptive qui jusque-là mentait.
Pourquoi surprendre lorsqu’on peut prévenir ?
Et décevoir quand on peut faire plaisir ?
L’ histoire du métier, charabia enseigné, devient la promesse impossible à tenir, devient le passé des temps à venir.

La définition du mot, la quête du renouveau s’immisce à présent dans certains réceptacles. On change alors de lunettes, voyant enfin clairement tous nos futurs obstacles.
Prendre du recul révèle toujours une valeur Qu’elle soit solution ou non, pensons à deux fois ce que nous faisons là.
Ce dernier poème présenté est un ré cit qui tente de faire partager le ressenti d’une visite de site et le questionnement qui s’en suit. Faire projet ? Comment ? Pourquoi ?
La ballade du sourire
Nous aurions pu commencer par un « Il était une fois»
Mais l’automatique échos n’aurait permis qu’un émoi accroché au radeau de l’imaginaire infini qu’est celui d’une folle histoire et non de ce récit.
Comment connaître et reconnaître les faits et leurs effets du temps et du courant qui ont modelé cet instant ?
Lorsque le manque s’impose au discours et que ni croquis ni clichés ne saisissent l’envolée, il devient difficile de faire demi tour pour comprendre nos erreurs et surtout son passé.
Prendre le temps de sentir sa chaleur, chaleur du sol, de la pierre, du cœur. Affûter notre vision. Inspiration. Paupières baissées. Ecouter puis enfin voir le réel insaisi qui est finalement celui qui englobe nos vies.
Lorsque le manque s’impose au discours et que ni croquis ni clichés ne saisissent l’envolée, il devient difficile de faire demi tour pour comprendre nos erreurs et surtout son passé.
Prendre le temps de sentir sa chaleur, chaleur du sol, de la pierre, du cœur. Affûter notre vision. Inspiration. Paupières baissées. Ecouter puis enfin voir le réel insaisi qui est finalement celui qui englobe nos vies. Comprendre et sourire que tout comme un fait concret l’atmosphère d’un site mérite tout autant l’intérêt.
Ainsi, l’île urbaine raconte son histoire qui est celle d’une pause doucement annotée entre un cours d’eau, un parc et un quai. Elle procure à l’ensemble une note particu lière,

un vide dans un vide, un graal de lumière. Isolée dans une foule végétale et mouvante, l’île dialogue, sourit et chante le refrain de son vécu à son ami l’urbain de l’autre côté de la rue. Ses manques, ses envies, ses anecdotes … Tout autant de ballades dont il faut prendre note.
Le profil dentelé surveille autour de lui l’arbre, l’homme, le moindre bruit. L’ age étant parfois synonyme de sagesse, la ruine assise et droite évoque en nous respect, silence, justesse.
A prétendre aider, l’architecte parfois se perd entre son propre intérêt et ce qu’il devrait faire.


L’île inspire discrétion. Ne faut-il pas alors simplement l’aider dans sa démarche d’intégration ? Faire en sorte pour cette fois, que le crayon ne se voit.
Souligner le passage rester alors secret, entre la ville, le jardin, l’activité.
Jouer enfin la partition du petit plaisir. Succession de pas ensoleillés, interminable et déterminés, c’est la ballade du sourire, du conservatoire jusqu’au quai.
Enfin, partager le souvenir idyllique de cet entretien utopique, traduction d’une pensée entre l’architecte et son site.

Au cours de voyages, j’ai pu visiter des lieux chargés de poésie sans avoir ac quis à l’époque l’outil adequate pour les re présenter. Je retournerai alors écrire sur le Palais de la Musique à Barcelone, l’ église de Bagsvaerd, le musée Louisiana au Danemark, l’église Saint-joseph au Havre ... Et tant d’autre.




« L’architecture est la fondation de l’être par la matière comme la poésie est la fondation de l’être par la parole ».
