WHO, Mobile Money and Polio

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La monnaie mobile en appui à la lutte contre la poliomyélite en Afrique subsaharienne

En 2020, le Bureau régional de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour l’Afrique a été le premier à mettre en place un système de transfert d’argent par téléphone mobile dans le cadre du programme de l’Initiative pour l’éradication de la poliomyélite, essentiellement pour payer les agents des campagnes de vaccination. Huit pays africains ont depuis adopté le système de paiement, et d’autres travaillent au déploiement de transferts monétaires mobiles dans les programmes de santé au-delà de la polio.

Quel est votre ‘Till number’ ? entendrez vous régulièrement dans les rues de Nairobi et partout ailleurs au Kenya. Ce nom donné au numéro à 7 chifres afché sur la devanture des commerces permet à tout un chacun, via n’importe quel téléphone, de payer sa bière, ses courses, son hôtel, ses chaussures, et même ses médicaments.

Utilisez la fonctionnalité « envoyer de l’argent » et vous pourrez faire de même avec n’importe quel particulier – et surtout n’importe quel commerce informel - via son numéro de téléphone mobile. Passant par le système M-Pesa, ce dispositif n’est pas exclusif au Kenya : il est bien au contraire répandu dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne. Il est depuis 2020 investi par l’Organisation Mondiale de la Santé dans le cadre de la lutte contre la polio.

Le transfert de monnaie mobile, un moyen de paiement répandu en Afrique subsaharienne

En Afrique subsaharienne, les transferts réalisés par la monnaie mobile représentent près de la moitié du total mondial de trans-

ferts mobiles, avec 469 millions de comptes actifs et 1,3 milliard de dollars de transactions quotidiennes selon le rapport 2019 sur l’état de l’industrie du mobile money de GSMA, un organisme mondial d’opérateurs mobiles. Au-delà du transfert de liquidités d’un terminal à un autre, la monnaie mobile est utilisée pour tout type de paiements, de nombreux commerces l’acceptant, sous des noms différents : M-Pesa pour le Kenya, MoMo pour l’Ouganda… via des accords passés avec les principaux opérateurs de téléphonie mobile des pays.

Cela présente des avantages certains : d’abord, les transferts de monnaie peuvent être réalisés très aisément avec n’importe quel téléphone grâce à la technologie USSD, qui permet au plus basique des téléphones d’exécuter une tâche sans avoir à se connecter à internet. L’inclusion fnancière des personnes en zones rurales ou aux revenus les plus faibles est favorisée par ce genre de dispositif. Ensuite, la monnaie mobile ofre un moyen sécurisé de transport de monnaie, les liquidités étant plutôt rares en fonction des pays.

C’est au vu de l’ampleur de l’utilisation de la monnaie mobile en Afrique subsaharienne que le bureau régional de l’OMS en Afrique a souhaité introduire les paiements numériques comme soutien opérationnel aux 47 pays de la région, avec le soutien fnancier de la Fondation Bill et Melinda Gates.

Payer plus rapidement les travailleurs de la santé en cas de pic épidémique

Sur le bord de plage de Kilif, Idil se repose. Pourtant, elle n’est pas en vacances, mais bien dans une période de creux. Elle revient de Gambie (source) lorsque nous la rencontrons, où elle a travaillé pendant plus de deux mois en lien étroit avec le ministère de la santé à l’implémentation d’un système de paiement des agents de santé par monnaie mobile.

Si la somalo-canadienne de 29 ans se délecte alors d’un vin blanc sud-africain, elle n’en reste pas moins sérieuse et lucide quant à la tâche qui l’incombe. Lors des pics épidémiques, elle est la première à agir sur le terrain. Dans ces moments, il est primordial de réagir extrêmement vite pour contenir la maladie avant que celle-ci ne se répande parmi la population d’un pays ou d’une zone.

Idil nous explique pourtant : “on observe que les nombreux agents de santé employés lors des campagnes de vaccination massives ne sont pas payés ou payés très en retard. Outre les problèmes moraux et légaux posés par de tels retards et défauts de paiements, ceux-ci

ont tendance à impulser un phénomène de démobilisation du personnel pour les campagnes de vaccination suivantes”, qui n’est plus assuré de percevoir son salaire. L’utilisation de la monnaie mobile permet un versement du salaire rapide, sûr, y compris dans les zones les plus reculées.

Un contrebalancement aux problèmes opérationnels du terrain

Habituellement, les paiements en espèces posent de lourds problèmes opérationnels. On dénote un risque de détournement et de fraude, fréquent dans des pays où les taux de corruption sont parmi les plus élevés d’Afrique.

De plus, de hauts risques de sécurité sont liés au transport physique de sommes importantes, notamment dans les régions instables, caractérisées par de lourds confits armés. Le transport de ces liquidités est alors accompagné de coûts administratifs élevés pour les gouvernements et les agences de santé, notamment en ce qui concerne les coûts d’acheminement des fonds sur le terrain, la protection nécessaire qui y est associée et les processus de justifcation des dépenses.

Un travail prenant, en fort lien avec les ministères de la santé

Initiative de l’OMS oblige, les bureaux régionaux de l’Organisation doivent fortement plaider auprès des ministères de santé des diférents pays afn d’inclure les transferts d’argent mobile dans les systèmes de paiement existants.

Et le changement n’est jamais facile. L’efcacité, la rapidité des paiements et l’impact positif sur la motivation des travailleurs doivent être mis en lumière, tout comme les questions de transparence des versements.

Mais également, les bases de données regroupant les agents de santé ne sont pas complètes dans tous les pays. “L’une des parties du job, c’est d’aller discuter avec les ministères de la santé et comprendre le fonctionnement exact de leur système. A partir de cela, il faut établir une stratégie visant à recenser tous les agents de santé du pays, qui peut prendre jusqu’à 3 mois”. Une fois ce travail de fond réalisé, le recensement peut être réalisé en moins d’une semaine, sous réserve d’avoir identifé et réparti correctement les partenaires sur le terrain, alors à même d’être disséminé dans les diférentes régions. Un double efet donc, au-delà du versement des salaires des travailleurs, qui permet d’établir des informations précises sur les agents de santé.

“Dans les pays pilotes, il existe désormais des bases de données pour tous les agents des campagnes de vaccination, avec des informations essentielles telles que le nom, le sexe, la désignation de l’agent dans la campagne, le district sanitaire, le numéro de téléphone mobile et le montant payé”.

Une fois le paiement efectué, un rapport peut être extrait du portail de paiement et partagé avec tous les partenaires.

Des économies évidentes ont par ailleurs été mises en lumière par un rapport des Nations unies après l’épidémie d’Ebola de 2014-2016 en Afrique de l’Ouest. Celui-ci a révélé que les transferts d’argent mobile étaient très nettement rentables en Sierra Leone en termes d’argent, de temps et de vies sauvées. Par exemple, “les assistants de programme n’ont désormais plus besoin de se rendre dans des districts éloignés pour remettre de l’argent liquide pour le paiement des agents de santé”, ce qui permet d’économiser des frais de déplacement et des indemnités journalières.

Des obstacles persistants

Idil reste lucide face aux nombreux obstacles à sa tâche. “Le plus dur, c’est de convaincre. Quand on vient de l’OMS, on donne parfois l’impression d’être au-dessus des Etats et des gouvernements : c’est absolument ce qu’il faut éviter, au risque de tomber dans l’écueil de sembler vouloir leur imposer une solution.”

Une solution qui n’est pas imposée donc, mais plutôt une proposition d’outils et d’accompagnement pour mener à bien la politique de santé d’un pays.

Même si certains pays font de la résistance, due à une “mauvaise vision de l’OMS et une volonté d’asseoir la légitimité du gouvernement en refusant toute aide extérieure”, Idil reste fère de son travail et de ce que l’OMS arrive à mettre en place.

La taille restreinte de l’équipe en charge du projet et le caractère innovant de la solution permettent de passer à côté de certaines formalités administratives inhérentes à l’institution. C’est ainsi que des négociations sont menées, par exemple, avec les fournisseurs de téléphonie mobile de certains pays pour délivrer des cartes SIM gratuites aux agents de santé communautaires les plus démunis

qui participent aux campagnes de vaccination et seront, demain, payés plus aisément en monnaie mobile.

Surtout, avec l’arrivée du COVID-19, la solution a pris son sens pour les ministères de la santé. Toute mesure visant à prévenir l’infection permet de sauver des vies. L’utilisation de paiements numériques sans contact joue un rôle important pour garantir la sécurité des agents de santé et des travailleurs qui risquent leur vie pour fournir des vaccins et des traitements vitaux.

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