Insécurité alimentaire

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Insécurité alimentaire, sécheresse et gestion de l’eau

L’insécurité alimentaire, si elle dépend de nombreux facteurs politiques et économiques, entretient également des liens ténus avec la sécheresse et la gestion de l’eau en Afrique de l’Est.

L’Afrique de l’Est est une région très disparate avec une région Nord (corne de l’Afrique et Kenya) très sèche et une région plus centrale (Ouganda, Rwanda) très humide. Les saisons sèches sont récurrentes en Afrique de l’Est. Mais ces dernières années, la situation s’est aggravée.

De nombreuses régions du nord du Kenya connaissent la pire sécheresse depuis des années. Certaines zones, comme le centre du Kenya, qui ont longtemps bénéfcié d’une production alimentaire excédentaire et de rendements élevés, ont vu les cultures se dessécher, les récoltes diminuer et la faim augmenter. Les pasteurs, qui dépendent du bétail, luttent pour leur survie. Les animaux qui constituaient autrefois une source de revenus peuvent désormais diffcilement être maintenus en vie.

Alors qu’elle fait face à l’une des pires sécheresses de ces dernières décennies, des millions de personnes dans la Corne de l’Afrique sont confrontées à une famine aiguë. La sécheresse ne permet en effet pas de nourrir toute la population, et la proportion de terres arables diminue d’années en années. La situation est aggravée par des années de confit et d’instabilité, l’impact de la pandémie de COVID-19 non négligeable où les terres n’étaient pas cultivées avec autant d’effcacité et les échanges internationaux largement diminués. La hausse des prix des denrées alimentaires est par ailleurs conséquente sur ces derniers mois, phénomène dû, en partie, à la guerre en Ukraine.

Événements climatiques et sécheresse

Plus de 500 000 personnes dans la région de Turkana au Kenya sont menacées de famine. Le secrétaire du comté chargé de la gestion des catastrophes et de la sécheresse, Jeremiah Namuya, attribuant cette situation à un manque de précipitations au cours des quatre dernières saisons.

Selon lui, le changement climatique a largement contribué à la sécheresse, et ce sont les populations les plus pauvres d’Afrique qui en souffrent le plus. En Somalie voisine, la sécheresse a touché 7 millions de personnes qui ont un besoin urgent d’aide.

«Je pense que c’est un appel au monde entier pour qu’il se penche sur le problème du changement climatique, car il affecte beaucoup de gens, non seulement en Afrique, mais aussi sur d’autres continents».

Les événements climatiques, disproportionnellement fréquents dans la région, ont un rôle tout particulier, en ce qu’ils détruisent les récoltes et perturbent le transport des aliments. C’est par exemple le cas des larges invasions de criquets qui ont eu lieu en Afrique de l’Est en 2019.

Les familles étant soumises à une grave insécurité alimentaire, beaucoup ont quitté leur domicile à la recherche de nourriture, d’eau et de pâturages pour les animaux. Les déplacements à grande échelle s’accompagnent souvent d’une détérioration de l’hygiène et de l’assainissement.

Alors que l’insécurité alimentaire s’accroît, les populations doivent également faire le choix impossible entre nourriture et soins de santé, alors même que les carences nutritionnelles les rendent de plus en plus vulnérables aux maladies. Ceci est particulièrement vrai pour les enfants, pour lesquels la combinaison de la malnutrition et de la maladie peut s’avérer fatale.

La désertifcation ne peut pas être discutée d’un point de vue simplement écologique : nécessité d’un contexte politico-économique plus large

Néanmoins, la désertifcation et la sécheresse globale ne seraient pas qu’une question écologique. Certains analystes estiment en effet qu’au Kenya, celles-ci seraient en partie dues à de mauvaises politiques de développement. Les politiques gouvernementales de développement s’articulent en effet autour de deux axes : la sédentarisation (pour un objectif d’unité nationale, le pays étant marqué par l’instabilité politique) et l’agriculture (pour augmenter la production de nourriture et combattre la désertifcation), plutôt que le nomadisme pastoral tel qu’il existe pour de nombreuses ethnies kényanes.

Ainsi, en termes de développement, s’il est facile de construire des routes, des écoles primaires, des dispensaires, voire des systèmes d’irrigation, il est beaucoup moins aisé de faire face à la concentration de population qui en résulte. L’établissement de services statiques dans un environnement où la mobilité est prégnante est en fn de compte destructeur des ressources locales et de l’utilisation complète et productive de la terre. Le gouvernement kényan, à ce titre, ne peut pas s’attaquer aux causes de la destruction des forêts et du surpâturage localisé s’il n’est pas prêt à réévaluer ses politiques de développement.

En un sens, la désertifcation, telle qu’elle est présentée dans les médias traditionnels, est une diversion par rapport au véritable problème des effets négatifs du développement. Au-delà même de la question du développement, un parallèle français est intéressant à poser avec les débats qui font rage en 2022 sur les méga bassines, problématique de gestion de l’eau qui ne se posait autrefois pas et prouve bien que tous feront un jour ou l’autre face à des contraintes similaires.

On assiste donc à une problématique d’envergure, au croisement d’externalités non souhaitées d’activités humaines réalisées en toute bonne volonté, et conséquences d’un réchauffement climatique sans frontières qui ne manquent pas de rappeler les sécheresses et incendies rencontrés massivement en Europe ces derniers mois.

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Une voie de résilience face à

l’insécurité alimentaire au Kenya ?

Alors qu’approchent à grand pas les échéances fxées pour atteindre le deuxième objectif de développement durable (Faim zéro) d’ici à 2030, la pandémie de COVID-19 est venue s’ajouter à la liste déjà longue des défs de notre siècle. Si la dégradation des sols, l’appauvrissement de la biodiversité, la diminution de la production agricole par habitant et le changement climatique avaient déjà participé à faire inverser la courbe jusqu’alors décroissante du nombre de personnes souffrant de la faim dans le monde, la crise de COVID-19 marque une rupture inédite dans la poursuite de cet objectif. Les derniers chiffres du Programme alimentaire mondial (PAM) alarment : le COVID-19 pourrait faire doubler le nombre prévisionnel de personnes risquant de souffrir d’insécurité alimentaire aiguë en 2030.

À cet égard, le continent africain, dont le pourcentage de la population consommant moins de nourriture que ce dont elle a besoin pour vivre en bonne santé a atteint 24% en

2021, constitue une source de préoccupation majeure. La protection et le développement des voies d’accès à une sécurité alimentaire en Afrique font aujourd’hui l’objet d’une réfexion éclairée par les faiblesses qu’ont pu mettre en évidence les effets de la crise de COVID-19.

La sécurité alimentaire est défnie comme une situation dans laquelle toutes les personnes ont un accès physique, social et économique durable à une nourriture suffsante, sûre et nutritive qui répond à leurs besoins diététiques et à leurs préférences alimentaires, pour mener une vie saine et active. Les leviers d’action permettant d’améliorer la sécurité alimentaire relèvent des trois maillons des chaînes d’approvisionnement alimentaires : l’agriculture, l’industrie manufacturière, et la distribution.

Or, la crise de la COVID-19 a eu des répercussions importantes sur le fonctionnement de ces systèmes. L’industrie manufacturière, y compris la production alimentaire, a subi les effets des interruptions d’activités impliquées par la pandémie, provoquant un effet domino sur les économies. La distribution interne a

quant à elle été perturbée par les restrictions de mouvements imposées pour réduire la propagation du virus.

Enfn, l’agriculture, qu’on aurait pu croire épargnée tant elle repose avant tout sur des ressources naturelles locales, s’est également révélée défaillante. Certes, la pandémie n’a pas, ou peu, impacté la récolte agricole en ellemême, mais elle a mis en évidence un constat important : l’Afrique est plus dépendante des importations de denrées alimentaires provenant de l’extérieur que de celles fabriquées localement. Dès lors, la fermeture des frontières imposée pendant la crise a lourdement pesé sur la suffsance de cette production pour nourrir la population.

Les raisons des faiblesses de la production agricole en Afrique tiennent principalement à l’accès restreint à la terre, l’eau ou la richesse, et ce d’autant plus dans les pays touchés par la fragilité, les confits et la violence. Pour inverser ces tendances, la nécessité de repenser les modèles de production alimentaire dans une logique de rupture, résolument inclusive et résiliente s’impose.

Depuis plusieurs années, de telles innovations agricoles, souvent inspirées de pratiques anciennes, sont peu à peu remises au goût du jour. Parmi ces techniques d’agricultures intelligentes face au climat, on peut identifer les techniques agricoles dites verticales (vertical farming). Ces modes d’agriculture verticale sont défnis par SharathKumar (2020) comme des « systèmes multicouches de production de plantes en intérieur dans lesquels tous les facteurs de croissance tels que la lumière, la température, l’humidité, la concentration de dioxyde de carbone, l’eau et les nutriments, sont contrôlés avec précision pour produire de grandes quantités de produits frais de haute qualité tout au long de l’année ».

En prévenant les pousses des intempéries climatiques par un environnement contrôlé, ces méthodes constituent une piste de développement agricole intéressante, et ce d’autant plus sur une zone où les conditions climatiques sont souvent diffciles (sécheresses, inondations,…). Trois principales techniques d’agriculture verticale sont aujourd’hui utilisées : l’hydroponie, l’aéroponie et l’aquaponie. C’est l’hydroponie, système le plus développé en Afrique car le plus abordable des trois en termes de coût et de connaissances, qui est l’objet de notre étude. Défnie comme un processus de culture dans des solutions d’eau riches en nutriments en lieu et place de la terre, cette méthode a révélé, notamment pendant la pandémie, ses atouts et potentiels de développement sur le continent. Parce qu’elle permet une économie d’eau pouvant atteindre 90% ainsi qu’une économie d’espace, tout en assurant des rendements supérieurs à l’agriculture traditionnelle et un moindre temps de travail, l’hydroponie se fraie doucement un chemin parmi les innovations agricoles prometteuses.

Pourtant, certains scientifques affchent leur scepticisme quant à l’implantation durable des systèmes hydroponiques en Afrique. Deux principales critiques ressortent d’une telle ambition. D’abord, les systèmes d’hydroponie, qui sont apparus en premier dans les pays occidentaux, sont souvent considérés comme des techniques de pointe qui requièrent des matériaux coûteux, et qui plus est, qu’il est diffcile de se procurer en Afrique de l’Est.

Ensuite, il apparaît que l’hydroponie est réservée aux agriculteurs et scientifques aguerris tant l’installation et le suivi des pousses est précis, ce qui rendrait irréaliste sa popularisation.

Depuis plusieurs années pourtant, différents projets visant à promouvoir les méthodes d’agriculture hydroponique sont nés sur le continent africain. Ces initiatives tentent de pallier les critiques pointées précédemment en proposant des systèmes accessibles et en promouvant le partage de connaissance entre agriculteurs et particuliers.

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[L’Afrique] doit améliorer ses capacités de recherche […] et renforcer ses partenariats pour exploiter les innovations concluantes afn de produire

Espoir d’une alternative durable et résiliente à l’agriculture traditionnelle

Le Kenya fait face aux enjeux d’alimentation d’une population lourdement impactée par la pandémie. A cet effet, le pays offre un cadre d’étude pertinent au potentiel d’implantation de systèmes hydroponiques en Afrique de l’Est, et plus globalement en Afrique Subsaharienne.

Quelques mois après l’apparition de la COVID-19 au Kenya, le Programme Alimentaire Mondial (PAM) s’inquiétait de son impact sur le nombre de personnes en situation de grave insécurité alimentaire : de 1,3 millions de personnes en 2019, ce nombre a atteint 3,5 en juillet 2020. Les raisons de cette augmentation sont multiples. Si la COVID-19 l’a fortement appuyée, ce sont d’abord des enjeux internes qui obstruent le développement de l’agriculture au Kenya. Les sols peu fertiles, les invasions acridiennes généralisées, les longues périodes de sécheresses accentuées par le changement climatique ou encore la rareté des intrants agricoles sont autant de facteurs à l’origine de l’insuffsance de la production agricole du pays. Or, les caractéristiques inhérentes à l’hydroponie permettent de contourner en grande partie ces obstacles. À ce titre, on note une implantation progressive de projets d’hydroponie au Kenya depuis plusieurs années, notamment dans les comtés de Turkana et Samburu au nord-est du pays, qui fgurent parmi les plus arides.

Les données relatives au système agroalimentaire, et plus particulièrement à l’agriculture, révèlent les limites de notre modèle de production actuel : le système agroalimentaire représente 30% de la consommation totale d’énergie au niveau mondial, l’agriculture étant la phase la plus énergivore. Par ailleurs, il couvre 80% de ses besoins énergétiques grâce à des combustibles fossiles quand l’agriculture utilise 70% des prélèvements d’eau douce dans le monde. Ces parts s’accroissent à mesure que les pays sont touchés par la fragi-

lité, les confits et la violence. Ce constat invite à repenser nos méthodes agricoles et met en valeur les techniques innovantes telles que l’hydroponie.

Le marché de l’hydroponie, qui valait environ 8,1 milliards de dollars en 2019, en vaudrait 16 d’ici à 2025 – un taux de croissance annuel de 12,1 %.

Il est diffcile de défnir l’hydroponie avec précision tant l’utilisation de ce terme est large. A minima, cette technique peut être défnie grâce à son étymologie : du grec, hydro, l’eau et ponos, labeur. Elle qualiferait alors toute technique agricole assurant une production végétale hors-sol, dans laquelle l’apport d’eau et de minéraux s’effectue dans des solutions nutritives par l’intermédiaire d’un substrat neutre. Une multitude de techniques hydroponiques se déclinent selon le système, le substrat, les nutriments, et le revêtement utilisés, desquels dépendent les couts de la culture ainsi que son effcacité. Le schéma qui suit tentera de résumer ces méthodes.

L’hydroponie ouverte est la solution la plus utilisée par les producteurs commerciaux. Les plantes y sont arrosées régulièrement par une solution nutritive sans que celle-ci ne soit récupérée. Cette technique présente l’avantage d’être peu coûteuse en installation mais engendre du gaspillage en engrais comme en eau.

L’hydroponie fermée consiste à faire circuler la solution nutritive du réservoir à la plante avant de revenir au réservoir. De cette façon, toute l’eau est absorbée par la plante ce qui diminue grandement le gaspillage et réduit l’impact environnemental associé au rejet de la solution usée et/ou superfue dans les sols. Toutefois, cette méthode requiert un système de désinfection de l’eau pouvant être couteux.

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Un système d’agriculture circulaire économe

L’espoir porté par l’hydroponie tient à l’adéquation de ses caractéristiques aux conditions agricoles des terres africaines ainsi qu’à son potentiel en termes d’agriculture durable et respectueuse de l’environnement. Ces deux atouts reposent toutefois sur une certaine maîtrise de la technique dont le défaut laisse ressortir ses limites.

Pallier les carences caractéristiques des sols africains

Caractérisée de « point chaud d’exposition et de vulnérabilité aux impacts de la variabilité et du changement climatique », l’Afrique voit ses capacités de développement agricole défées à mesure que sonnent les alertes environnementales. Les symptômes d’un tel réchauffement se traduisent notamment par un accroissement général de l’état de sécheresse sur le continent, quand certaines zones cibles – notamment sur la Corne de l’Afrique – subissent des inondations et des glissements de terrain associés à de fortes précipitations.

Face à ces enjeux, l’hydroponie dispose de qualités résilientes. D’abord, étant une agriculture dite hors-sol, l’hydroponie présente l’avantage de ne pas dépendre de la fertilité des terres. Ainsi, cette technique permet elle de produire dans des zones atteintes par la sécheresse ou des inondations récurrentes, voire dans les milieux urbains dans lesquels l’espace est limité. Le second avantage de cette technique repose sur sa faible consommation d’eau. Le peu de perte d’eau par évaporation ou dans les sols et l’éventuel recyclage de l’eau dans le cas des circuits fermés permettent de

faire d’importantes économies tout en préservant les plantes de tout stress hydrique.

Par ailleurs, les paramètres environnementaux (température, humidité) étant relativement contrôlés et les apports en solution nutritive ciblés, l’hydroponie s’assure d’une productivité accrue ainsi que d’une meilleure qualité des produits.

Une voie d’agriculture au potentiel durable et écologique

Le succès de l’hydroponie s’explique également par son potentiel en matière de durabilité et de respect de l’environnement. Certes, les cultures issues d’un processus hydroponique échappent à la qualifcation « biologique », celle-ci étant réservée aux plantations « en terre » dans lesquelles les plantes sont directement nourries par l‘écosystème du sol. Pourtant, l’hydroponie présente indéniablement des propriétés durables.

Une fois de plus, l’exposition des atouts environnementaux de l’hydroponie se heurte à la diversité des systèmes employés. De manière générale, l’économie d’eau associée à cette méthode lui confère un caractère écologique. Ensuite, ces atouts relèvent de la proportion de matériaux recyclés utilisés pour fabriquer les structures ainsi qu’à la recirculation de la solution nutritive et à la réutilisation des substrats.

L’installation hydroponique optimisant au mieux ces ressources est le système en circuit fermé. Un tel système offre l’avantage d’éviter le schéma de l’économie alimentaire dite linéaire suivant un modèle « extraction-fabrication-déchet », en se rapprochant de son

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pendant circulaire, qui présente par défnition un caractère régénérateur. Ce dernier vise à se détacher d’une production fondée sur la consommation de ressources fnies, en réintégrant les déchets dans le processus de production et s’en servant comme intrant. Il permet ainsi de limiter les déchets organiques tout en réduisant, dans les opérations à petite échelle,

légumes destinés à la consommation humaine, et des protéines, micronutriments et biofertilisants utilisés pour des productions végétales futures. Elle s’insère alors dans un schéma circulaire tel que décrit ci-dessus.

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manque de moyens et connaissances

Toutefois, il semble que ces avantages reposent sur une certaine maîtrise des différentes infrastructures hydroponiques, afn d’en assurer le fonctionnement effectif et écologique tout en contrôlant les coûts des infrastructures et les coûts de production au long du cycle agricole.

D’abord, un manque de connaissances peut empêcher le fonctionnement effcace des cultures hydroponiques. Non seulement le mauvais ajustement de la solution nutritive peut empêcher les plantes de pousser activement et de produire des fruits et légumes goûteux, mais une surveillance non assidue du système peut aussi entraîner la multiplication des champignons et bactéries. Le milieu chaud et humide dans lequel évoluent les plantations est en effet propice à la propagation de bactéries pouvant occasionner, en cas de contamination accidentelle, d’importantes pertes de récoltes.

Ensuite, le caractère écologique de l’hydroponie dépend grandement du système employé. L’hydroponie est parfois fustigée à cause de la pollution qu’elle génère. Cela est vrai dans certains modèles, notamment les infrastructures sous serre dans lesquelles le contrôle de la température et de l’humidité peut générer de fortes dépenses énergétiques. C’est également le cas des systèmes en circuit ouvert, qui nécessitent un plus grand apport en eau et provoquent le rejet d’eau chargée en sels minéraux et oligo-éléments parfois néfastes aux écosystèmes.

Enfn, les coûts de construction et d’installation varient amplement, de sorte que l’optimisation de son installation en termes de coût et d’effcacité repose sur une bonne connaissance des modèles existants et des reproductions possibles de ces modèles avec des matériaux abordables et disponibles. Ainsi, l’installation et le suivi d’un système hydroponique garantissant effcacité, accessibilité et respect de l’environnement ne sont pas évidents, et ce d’autant plus dans une région qui est marquée par la pauvreté et fait face à une diffculté de diffusion des connaissances.

C’est pourtant le déf que se sont donnés plusieurs agronomes et scientifques du continent Africain, notamment au Kenya, où l’on compte de plus en plus d’initiatives promouvant la culture hydroponique. Ceux-ci présentent des diffcultés pour asseoir l’hydroponie comme solution pérenne, à même de remplir son objectif de réduction de l’insécurité alimentaire.

Grands bénéfces contre

Pallier les contraintes fnancières des agriculteurs

Peter Nyateng, président de l’Association Africaine pour l’Agriculture Verticale (African Association for Vertical Farming - AAVF) nous indique ainsi que les principaux marchés de l’hydroponie se situent aux États-Unis et en Chine. Ces marchés proposent des structures coûteuses et peu adaptées à l’Afrique car elles utilisent des matériaux qui n’y sont pas ou peu disponibles.

L’enjeu est d’adapter ces structures pour les rendre plus abordables. Ceci inclut l’utilisation du PVC pour construire les étagères hydroponiques plutôt que du HDPE / NFT channels (du polyéthylène à haute densité), classiquement utilisé aux Etats-Unis. L’emploi d’engrais naturels et biologiques provenant des feuilles, du sol, ou d’une fabrication artisanale de compost est également moins coûteux.

Il s’agit de réinventer toute la chaîne de fournitures de matériaux de l’hydroponie, un système qui doit apprendre à s’appuyer sur des partenariats locaux entre fermiers, agriculteurs et industriels afn de diminuer les coûts et se passer d’un marché international qui, s’il semble plus développé, est pour l’heure porté sur des matériaux d’une gamme trop élevée.

Pour s’assurer de la pérennité et de l’effcacité de ces projets, des voies d’adaptation de cette technique aux caractéristiques propres du pays semblent pouvoir être approfondies. Deux grands axes d’amélioration vers une meilleure accessibilité des technologies hydroponiques ressortent de l’observation des obstacles rencontrés par les agriculteurs kenyans.

Une deuxième piste vise à renforcer l’accès au crédit. Comme nous l’avons déjà présenté, l’i clusion fnancière est un enjeu important pour l’Afrique de l’Est. Elle l’est particulièrement pour les agriculteurs, qui sont souvent de petits exploitants et n’ont pas un accès au crédit suffsant. L’un des blocages inhérent à cet accès au crédit réside par ailleurs dans les aléas climatiques qui posent des soucis de stabilité dans la production des exploitations.

Un meilleur accès aux connaissan ces liées aux systèmes hydroponiques

Il est nécessaire de développer les réseaux de diffusion et de promotion de la culture hydroponique, trop peu connue, et surtout peu maîtrisée. Plus d’exploitants y auront accès et travailleront dessus, plus les coûts auront de chance d’être diminués en trouvant des possibilités de substitution de matériaux, ou de nouvelles façons de créer qui seraient moins gourmandes en ressources.

A titre d’exemple, Peter nous explique qu’il est originaire de Kano Plain, une localité de Kisumu, troisième plus grande ville du Kenya. La zone, enclavée, est régulièrement soumise à des inondations lors des fortes pluies soudaines qui suivent les longues périodes de sécheresse. Résultats : fuite des animaux, écoles inondées et cultures détruites qui causent une insécurité alimentaire récurrente. C’est en réponse à ce genre de situations que l’AAVF travaille avec diverses communautés pour former, concevoir et gérer des cultures hydroponiques afn de pérenniser un apport en nourriture riche en nutriments aux populations ciblées.

Si ce type d’association existe et rencontre un certain succès, il est important de pouvoir s’appuyer sur d’autres moyens ouvrant la voie du crédit aux agriculteurs. C’est ainsi que certaines des organisations que nous avons rencontrés offrent des possibilités d’accès aux emprunts facilitées : Gravity par exemple, qui fait l’objet d’un article dans la partie “Communautés marginalisées”, développe un système de certifcation des chiffres d’affaires de petites entreprises pour permettre d’accéder à des crédits bancaires.

HiveOnline, solution de fnancement décentralisé pour les agriculteurs africains, les aide à s’agréger et augmenter ainsi leurs revenus, en leur donnant accès à une plateforme qui centralise les moyens d’accès au crédit grâce à une mise en commun de leurs garanties de revenus. La plateforme permet ainsi un accès simplifé aux marchés, aux intrants agricoles et propose une solution de comptabilité facile à utiliser.

A la manière de Grassroots Economics dont nous avons conté le récit dans le chapitre Inclusion fnancière, HiveOnline propose également de faire transiter des fonds d’organisations de développement et humanitaire via une blockchain. Celle-ci facilite une distribution effcace, sécurisée et à faible coût des intrants agricoles et de l’aide, en se passant notamment des intermédiaires fnanciers qui, en grand nombre, découpent la distribution d’argent et diminuent la part reversée aux agriculteurs.

Il convient donc de promouvoir l’hydroponie, et de l’enseigner : une tâche à laquelle sont attachés l’AAVF et Peter Nyateng, qui organisent des formations dans des lieux reculés comme dans la capitale du Kenya pour s’assurer que les connaissances du secteur sont bien déployées.

Le Programme Alimentaire Mondial mène par ailleurs une initiative intitulée H2Grow qui vise à connecter les différents agriculteurs entre eux via une plateforme web pour faire avancer l’état des connaissances sur l’hydroponie et permettre peut-être, demain, que l’hydroponie soit aussi accessible à des particuliers.

Jade Payan pour Econogy

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Partout, l’accès à l’eau se complique. Les sécheresses à répétition, la dégradation des sols et des nappes phréatiques et l’augmentation du niveau général des températures à la surface du globe imposent des contraintes physiques aux populations qui se situent dans des zones sensibles. Le Nord du Kenya est marqué par de grandes sécheresses et une crise de l’eau depuis une dizaine d’années. Cet article résume la situation du Kenya, via un focus sur l’accès à l’eau à Lamu, île connue pour ses paysages hors du temps et ses plages paradisiaques - qui est pourtant confrontée à une augmentation des confits liés à l’eau.

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La rareté de l’eau est un problème persistant au Kenya depuis des dizaines d’années. La situation actuelle de l’eau au Kenya est le résultat d’une répartition inéquitable de la ressource entre régions et d’une mauvaise desserte des bassins d’eau potable à travers le pays. Dès lors, près de 20.5 millions de Kenyans n’ont pas accès à l’eau potable. Par ailleurs, le changement climatique perturbe le cycle de l’eau tant en quantité, en intensité, en forme des ux qu’en saisonnalité. L’une des premières conséquences anthropiques se fait sentir sur l’agriculture qui emploie 70% de la population rurale et représente 53% du PIB du pays (FAO, 2022).

Pour autant, l’agriculture est elle-même responsable de certaines perturbations du cycle de l’eau à l’échelle régionale, du fait des captations d’eau pour l’irrigation. Lorsque le cycle de l’eau est modi é, le climat l’est aussi : est alors déclenché un cycle d’e ets en chaîne pouvant avoir comme conséquence jusqu’à la déserti cation de certaines zones d’habitation. C’est par exemple ce que l’équipe des Routes de l’Innovation a pu constater au pied du Mont Kenya, où les habitants étaient confrontés à une sécheresse alors même que la région était connue pour ses terres particulièrement fertiles quelques dizaines d’années auparavant.

Les communes étant dépourvues d’infrastructures, les populations locales font face à la pauvreté et dépendent entièrement de leur environnement direct, et donc de l’eau, pour pouvoir vivre. Aussi on sait que, plus longue est l’exposition des populations à un manque d’eau, plus la propension qu’un con it éclate s’accroît (Delvin et Hendrix, 2014). C’est ainsi que des con its agro-pastoraux sont en cours dans le Nord Kenya. L’eau tendant à s’y raré er, les tribus élevant du bétail cherchent à accéder à l’eau pour leurs survies et celle de leurs bétails ; se confrontant alors aux agriculteurs. Ces rencontres sont souvent impressionnantes car

très violentes, et accroissent par ailleurs le niveau de dangerosité du Nord Kenya selon les autorités.

Au-delà du simple cas agro-pastoral, les con its sont aggravés par les inégalités sociales, la marginalisation économique et la dépendance au quotidien à un accès à l’eau (Patrick, 2020). En e et, les individus dépourvus de la ressource n’ont bien souvent que peu de pouvoir de décision dans les communautés auxquelles ils appartiennent. Lors des épisodes de sécheresse, ils sont rendus impuissants et manifestent également leur désaccord par la violence.

De toutes les communautés, ce sont celles des bords de mer qui sont les plus affectées par le changement climatique notamment du fait de ses conséquences sur l’accès à l’eau. Le risque est particulièrement élevé pour ces communautés dans la mesure où la montée des eaux peut provoquer une intrusion d’eau salée dans les réserves d’eau potable, en plus des inondations dans les zones marécageuses.
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Mais les conséquences ne sont pas simplement liées au cycle de l’eau : la hausse de la concentration en CO2 de l’atmosphère acidi e les océans, ce qui a ecte les écosystèmes marins, et avec eux, la pêche. La violence des évènements climatiques est ampli ée du fait de la modi cation du climat.

L’accès à l’eau à Lamu : une répartition inégale des ressources

La région de Lamu sou re de stress hydrique depuis plusieurs années maintenant. Situé le long de la côte Nord-Est, Lamu est l’un des 47 comtés du Kenya. La région est marquée par des infrastructures peu développées qui la rendent fortement dépendante du stock d’eau souterrain. Or ce dernier s’épuise, alors même que la région est en pleine croissance démographique. Il est ainsi estimé que la population sera multipliée par douze à l’horizon 2030 (1,25 millions d’habitants prévus).

180 personnes. Pour accéder au système de distribution il faut s’acquitter d’une taxe qui constitue une barrière à l’entrée puisque très peu ont les moyens de payer pour accéder à de l’eau. La demande d’eau segmente donc ménages vulnérables et ménages plus aisés. De nombreux agriculteurs dépendent ainsi de la quantité d’eau disponible dans les puits creusés par les communautés pour vivre. Environ 83% des femmes puisent leur eau dans des puits et la population de Lamu compte 76% de sans-emploi, donc sans revenu qui permet de payer pour un accès à l’eau.

Dans l’étude menée par Yvonne Maingey et. al, 86,21% des personnes interrogées expliquent parcourir plus de deux kilomètres pour se fournir en eau.

L’archipel de Lamu, en tension croissante liée à l’eau dans le Nord Kenya

En 2016/2017, 41,5% des habitants trouvent leur eau au fond de puits creusés à la main directement dans le sol, 43,5% la trouvent au fond de puits creusés par des machines et seul 6,9% de la population dépend du système d’approvisionnement d’eau local. L’eau de pluie fournit 5,8% des besoins en eau de la population et on la récolte par le biais de « djabias » répartis dans les villages.

Chaque djabias peut contenir 200 m3 d’eau, soit l’équivalent de la consommation annuelle de 150 à

Histoire de l’eau à Takwa, entre légende et faits réels

Les anciens de la région racontent qu’autrefois Lamu était partagé entre trois villages, Lamu ville, Takwa et Manda. La compétition pour le commerce étant très importante, beaucoup de jalousie et d’hostilité se faisaient sentir, à tel point que les trois villages ne pouvaient se réunir pour la prière. Le sultan qui résidait alors à Lamu ville prit la décision de déménager le village de Takwa vers Shella, une presqu’île plus avancée sur la mer.

Shella est un désert de sable blanc où la terre est di cilement cultivable. Les habitants de Takwa s’en accommodèrent, puisqu’ils étaient seulement désireux de trouver une terre où prier. La légende raconte qu’alors, Allah les récompensa en leur donnant accès à l’eau de la meilleure qualité - ressource

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inestimable à l’heure actuelle.

L’utilisation de l’eau à Lamu

La majorité de l’eau à Lamu est directement consommée pour boire (47,4%), elle sert aussi à cuisiner, à laver et à se laver (34,4%), seuls 4,7% de l’eau sert à produire un revenu. Dans les communautés musulmanes (majoritaires dans la région), la collecte d’eau est une a aire d’hommes bien que de plus en plus d’enfants en prennent la responsabilité. L’homme s’occupe de la collecte, de la maintenance des canalisations ainsi que de la recherche de nouveaux points d’eau lorsqu’une pénurie survient. Dans les communautés non musulmanes, elle est l’a aire de la femme.

L’usage de l’eau pour la prière par les musulmans est controversé par les chrétiens qui s’en servent pour manger et boire principalement, alimentant les tensions.
Dans le district de Shella, bien que des contestations se font entendre, la gouvernance de l’eau est régie par les anciens de la communauté musulmane, qui, du fait de l’histoire de la localité, imposent comme ordre de priorité la prière avant la consommation directe.

A Lamu, on cultive surtout la coco, la mangue, le coton, et la noix de cajou qui servent pour l’agriculture commerciale. Les habitants de la région cultivent le maïs, le sorgho et le manioc pour leur propre consommation. L’eau est aussi utilisée lors des rites religieux comme les ablutions avant la prière, elle doit alors être propre et claire.

Contraste certain entre la vie des communautés locales et le tourisme sur l’île de Lamu : il est courant de voir des piscines dans les hôtels recevant des touristes. Ces dernières sont vidées après chaque saison, ce qui est évidemment considéré comme du gaspillage par les locaux.

Les usages se sont modi és avec la raréfaction de la ressource puisque l’agriculture de subsistance est venu récupérer des parts de l’agriculture commerciale. Sur la période 1996-2016, 47,8% de la population déclare avoir changé son mode d’approvisionnement à cause de l’épuisement du précédent. Cette situation est certes le résultat de causes naturelles, mais certaines pénuries sont dues au vieillissement des canalisations qui sautent et ne sont pas réparées, comme nous le notions en introduction. Il y a un manque d’action politique certain mais puisque le gouvernement considère le comté comme touristique, et donc riche, il n’a pas vocation à y rediriger des capitaux pour les communautés locales.

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Quelles solutions peuvent être envisagées ?

La situation sur place est critique, la région est au bord d’une crise qui s’accompagne d’actes de violence. En 2014, une attaque terroriste à Mpeketoni fait 68 morts et divise majorité musulmane et minorité chrétienne.

Aux con its d’intérêts entre locaux s’ajoutent les migrations inter et intra-régionales. Des bergers de la région de Garissa (au nord de Lamu) traversent la frontière en quête d’eau puisqu’euxmême font face à des pénuries. Seul le district de Shella régule l’accès à l’eau, ce qui le prémunit en quelque sorte. Dans les autres districts, le partage de l’eau entre migrants et locaux donne lieu à des tensions lorsque la ressource vient à manquer. D’une part les migrants revendiquent leur droit d’accès à l’eau - bien commun -, d’autre part les locaux deviennent de plus en plus réticents à la partager lorsqu’elle manque. Une solution pour parvenir à des interactions plus apaisées pourrait être de créer des conseils de discussion traitant du partage des quantités disponibles.

Il existe également des migrations économiques entraînées par les projets d’investissements,

comme le projet LAPSSET. Ce projet massif d’investissements amènerait à Lamu un port avec 32 postes d’amarrages, un aéroport international, des autoroutes, des lignes de chemin de fer ainsi que des oléoducs transportant du pétrole. Par conséquent, de nombreuses populations migrent a n de s’établir dans les villes du comté et la pression sur le système de distribution local s’intensi e.

Le prix de l’eau étant une barrière à son accès, du fait qu’il augmente lors de pénuries, on peut imaginer qu’il soit un jour un bien de consommation exclusif à certaines populations avec des hauts revenus malgré le fait qu’il soit un bien de subsistance par essence. Compter sur le réseau de distribution n’est pas une option très able du fait des pannes et acheter de l’eau à des revendeurs coûte très cher.

La meilleure solution revient donc à creuser des puits, simplement pour le faire, encore faut-il posséder des terres. On comprend donc la nature du con it en suspens qui, au-delà de l’eau, révèle une situation de mauvaise allocations des ressources. Un jour peut-être les habitants de Lamu auront-ils plus de pétrole à boire que d’eau.

Matteo Cassoret

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