grand théâtre magazine n°10 - Les nouveaux tabous

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Les nouveaux tabous

n°10

Ingela Brimberg : à l’assaut des monstres sacrés La « cancel culture » va-t-elle trop loin ? L’Amérique au cœur du débat Vienne dans le regard de Lotte de Beer


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édito

Nouveaux tabous, nouveaux horizons Des statues qu’on déboulonne. Des livres qu’on retire des bibliothèques publiques. Des artistes et des intellectuels vilipendés sur les réseaux sociaux. Des comédiens priés de s’excuser pour avoir incarné à l’écran un personnage qui n’était pas de leur origine. Des musiciens blancs qu’on ne réengage pas dans un orchestre pour faire place à des musiciens issus de minorités visibles. La liste des interdits brandis par la « cancel culture » venue des États-Unis donne parfois le vertige. Elle s’allonge comme la liste des personnes qui s’estiment appartenir à une communauté discriminée en raison de la couleur de peau, du genre, de l’orientation sexuelle, de l’apparence physique… Et l’homme blanc, institué comme le détenteur historique de tous les pouvoirs, se voit devenir le coupable en chef de toutes les offenses, de toutes les souffrances.

UN MAGAZINE PUBLIÉ AVEC LE SOUTIEN

du Cercle du Grand Théâtre de Genève, de Caroline et Éric Freymond

Pourquoi évoquer ce sujet dans notre revue ? Parce que l’opéra est lui aussi touché par cette vague puissante. Mais aussi parce qu’il est nécessaire d’y distinguer les outrances du mouvement de fond. Celui-ci signale des blessures vives et des revendications fécondes. Elles méritent mieux que les étiquettes sommaires (cancel culture, police de la pensée) auxquelles sont tentés de les réduire ceux qui ne veulent pas voir qu’une société bouge, que des sensibilités émergent, et que le monde qu’elles réclament n’est pas celui du lynchage auquel ses excès l’associent trop souvent, mais celui d’un dialogue et d’un respect nouveaux. Le monde de lyrique s’accommode d’ailleurs très bien de cette révolution qui dénonce le « blackface », qui questionne le caractère patriarcal ou le regard colonial de certains ouvrages. Comme l’explique Guy Cherqui dans notre dossier (lire en page 22), l’opéra est un art de la représentation et non de la vraisemblance. Il a quitté le mimétisme au profit de la métaphore. On n’a plus besoin de présenter Les pêcheurs de perles de Bizet, aujourd’hui, dans le décor antique du royaume de Ceylan avec des chanteurs grimés en Sri Lankais pour vibrer aux déchirements intimes des protagonistes. C’est qu’en réalité, les scènes ont déjà largement opéré leur mue, comme le rappelle Sylvain Fort dans un éclairant article du site forumopera.com*. Genre bourgeois par excellence, l’opéra a été à la fois la cible et le lieu privilégié des remises en question dès les années 70, avec comme moment emblématique le « Ring » de Wagner dans la mise en scène anti-capitaliste de Patrice Chéreau au festival de Bayreuth en 1976. Depuis, les mises en scène littérales ont peu à peu quitté les plateaux. Le regard critique les a remplacées : la dénonciation du pouvoir, quelle qu’en soit la nature, s’est imposée comme une norme, de même que la mise à jour des pulsions les plus inavouées, des névroses les plus noires. Qui choquent-elles encore ? La thèse de Sylvain Fort mérite alors attention : le monde lyrique pourrait bien avoir digéré avant l’heure les sommations du « woke », au point de les avoir rendues inoffensives auprès des publics qu’elles sont censées éveiller. Bonne lecture !

Jean-Jacques Roth

*« Cancel culture & confrontation des temps »

Jean-Jacques Roth a travaillé dans de nombreux médias romands. Il a notamment été rédacteur en chef et directeur du Temps puis directeur de l’actualité à la RTS avant de rejoindre Le Matin Dimanche, où il a dirigé le magazine Cultura. Il a entre autres consacré deux ouvrages au Grand Théâtre. Il succède cet automne à Olivier Kaeser à la rédaction en chef de ce magazine.

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« La nouvelle voix de l’opéra, elle est la soprano incontournable » VERSION FEMINA

« Une voix nette, parfaitement timbrée, d’une agilité irréprochable, à la projection sans faille » OPERA MAGAZINE

« Julie Fuchs brûle les planches, aussi capable de faire rire que de triompher des plus acrobatiques vocalises » LES ECHOS

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Riccardo Minasi, direction musicale Orchestre de chambre de Bâle Avec option de dîner de gala dans les foyers du Grand Théâtre Info et réservation sur GTG.CH

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LA CULTURE À GENÈVE C’EST

CHAQUE JEUDI À 20H

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Ingela Brimberg chantera Elektra dans la prochaine production du Grand Théâtre. La soprano suédoise pose ici sous l’œil du photographe Mats Bäcker, dont la riche carrière a traqué toutes les formes d’expression culturelle, du rock à la danse. Il a notamment été photographe de l’Opéra et du Ballet de Stockholm entre 2006 et 2016. Outre ses nombreuses expositions personnelles, il a publié plusieurs livres de photos consacrés au costume de scène, au ballet et à l’opéra, parmi lesquels Raw Power sur des icônes rock des années 80 et Opera ! The 30 best.

RUBRIQUES

Photo : Mats Bäcker pour Le Grand Théâtre Magazine

Édito 1 par Jean-Jacques Roth Mon rapport à l’opéra 6 Théophile Lacroix, à moitié convaincu Ailleurs 8 Lotte de Beer, chez elle tout revient à Vienne Portraits 14 Ingela Brimberg, ex-timide à l’assaut des monstres sacrés

Coulisses 21 Sans elle, tout s’arrête Rétroviseur 40 Kitchen lyrique 42 Ink-credible ! Mouvement culturel 44 Helsinki, sauna culturel Agenda 48

Partenaire 18 artgenève en musique

DO SSIE R L ES N OUVEAUX TAB OUS

Portrait de couverture

Quand on grimait les chanteurs d’Aïda, une pratique appelée « blackface » désormais bannie des scènes, au nom de la lutte contre l’appropriation culturelle. Lire notre dossier sur les nouveaux tabous. © AKG-Images /RIA Nowosti

Les nouveaux tabous, par Guy Cherqui 22 Aux États-Unis, les limites de la « cancel culture », par Valérie de Graffenried 32 « Le dialogue, c’est l’oxygène de l’art », par Sarah Jakubiak 36 Sur le fil du funambule, par Clara Pons 38

Éditeur Grand Théâtre de Genève, Partenariat Heidi.news, Collaboration éditoriale Le Temps

Directeur de la publication Aviel Cahn Rédacteur en chef Jean-Jacques Roth Édition Florence Perret Comité de rédaction Aviel Cahn, Karin Kotsoglou, Jean-Jacques Roth, Clara Pons Direction artistique Jérôme Bontron, Sarah Muehlheim Maquette et mise en page Simone Kaspar de Pont Images Anne Wyrsch (Le Temps) Relecture Patrick Vallon Promotion GTG Diffusion 38 000 exemplaires dans Le Temps Parution 4 fois par saison Tirage 45 000 exemplaires ISSN 2673-2114

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mon rapport à l’opéra

Théophile Lacroix, à moitié convaincu L’apprenti libraire de 26 ans n’avait mis qu’une fois les pieds à l’opéra. Les places à 17 francs proposées par le Grand Théâtre l’ont incité à y retourner. Il a éprouvé des sentiments mitigés. Par Léo Tichelli

Léo Tichelli est diplômé du Master en journalisme de l’Université de Neuchâtel. Il travaille pour le service Culture du Temps.

Quel a été ton premier contact avec l’opéra ? C’était à l’Opéra d’État de Prague lors d’un voyage d’études. J’avais 17 ans, ça date! Nos profs avaient décidé de nous emmener voir Carmen. Ça m’a marqué, car c’était une première pour quasiment toute notre classe. On pensait être totalement perdu et quand ils ont finalement joué Les Toréadors, on s’est tous rendu compte que l’air nous était familier. On sait aussi à quoi peut ressembler un voyage d’études, avec les excès que cela comporte. Se retrouver à l’opéra, dans ce décor feutré, c’était comme un arrêt sur image, un moment unique. Je me souviens aussi que la représentation était en français mais les acteurs avaient un accent tellement épouvantable que l’on avait les yeux rivés sur les sous-titres pour comprendre ce qu’ils chantaient.

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Une découverte qui ne qui ne t’a pas convaincu à rapidement y remettre les pieds ? Effectivement, j’ai toujours pensé que cet art ne m’était pas destiné. Pour reparler de Prague, nos profs avaient insisté pour qu’on emporte des habits chics. C’était presque l’une des consignes les plus importantes de ce voyage. Pour moi, c’était une preuve supplémentaire que cet art a un côté inaccessible que le cinéma ou le théâtre n’ont pas. Je ne me demande jamais si j’ai oublié ma cravate quand je vais voir un film. Est-ce que ta vision de l’opéra a évolué depuis ? Je pense déjà que je suis plus curieux aujourd’hui qu’à 17 ans. Mais une part de moi continue de voir l’opéra comme un univers guindé, fréquenté par une classe sociale riche et bourgeoise dont je ne partage pas forcément les codes. Je sais que cette


représentation est en partie fantasmée, mais pas totalement fausse non plus. J’ai pu le voir en me rendant à Guerre et Paix. La moyenne d’âge est élevée et les smokings se comptent par dizaines. Qu’est-ce qui t’a donc poussé à retenter l’aventure ? Le bouche-à-oreille. Un ami de ma colocataire lui a dit qu’il y avait des places pour presque rien à chaque représentation du Grand Théâtre. Puis, j’ai entendu parler de Guerre et Paix à la librairie où je travaille. Quelques clics plus tard, on avait réservé nos places.

Thèophile Lacroix après sa première soirée au Grand Théâtre : « J’étais bouche bée devant les dorures, les décors, l’agencement de la salle, la hauteur de plafond...» © David Wagnières pour Le Grand Théâtre Magazine

Et alors, émerveillé, déçu ? Un savant mélange des deux. Je me réjouissais vraiment de me rendre au Grand Théâtre. Déjà pour admirer la salle qui est splendide. L’opéra a ça de différent que c’est un spectacle total. C’est quand même très rare que l’on s’émerveille pour autre chose que le film projeté quand on se rend au cinéma. En allant voir Guerre et Paix, c’était presque le contraire. J’étais bouche bée devant les dorures, les décors, l’agencement de la salle, la hauteur de plafond… Il y a une esthétique « très à l’ancienne » qui te permet d’être absorbé par la pièce. Après, c’est aussi à double tranchant. Tout cet univers avec buffet, champagne et grand hall ne me fait pas me sentir très à l’aise non plus. Tu étais bien placé avec cette place à 17 francs ? Ce n’est évidemment pas la meilleure place mais je n’avais pas non plus le crâne dégarni de mon voisin en ligne de mire. En plus, on a eu un peu de chance : on a pu s’avancer de quelques rangs après le début de la représentation. Être en hauteur et à l’arrière a aussi ses bons côtés, surtout pour un profane comme moi. Cela m’a permis d’avoir une belle vue d’ensemble du Grand Théâtre. Mais pour un véritable passionné, je comprends qu’être devant les comédiens a plus de sens. Et c’est aussi normal d’être mieux placé lorsqu’on paie jusqu’à 300 francs son siège…

Et Guerre et Paix, ça t’a plu ? Là aussi, je ressors avec une impression mitigée. Mais je m’explique. Cette œuvre de Prokofiev ne m’a pas laissé indifférent, loin de là même ! C’est intense, c’est grand, c’est beau, c’est des sensations particulières. Les comédiens chantent de façon tonitruante, avec un orchestre, des décors… Bref, tous tes sens sont en éveil, c’est un spectacle monumental de chaque instant. D’un autre côté, c’est aussi une pièce complexe de près de quatre heures, en russe bien que surtitrée en français, avec des personnages par dizaines. N’ayant pas lu le pavé de Tolstoï, je ne pouvais pas non plus me baser sur des connaissances préalables. Pour être tout à fait honnête, je suis parti à l’entracte. Verdict : une brève idylle entre l’opéra et toi, ou le début d’une véritable aventure ? Je pense sincèrement y retourner avant la fin de l’année. Je sens que c’est un milieu qu’il faut que j’apprivoise petit à petit. Et c’est là que les billets à 17 francs prennent tout leur sens. Si j’avais payé ma place cent francs, je me serais forcé à rester jusqu’à la fin et, qui sait, peut-être me serais-je dégoûté de l’opéra. Est-ce que j’aime cet art ? Pour le moment, je ne le sais pas. Mais avoir à disposition des billets si bon marché me permet au moins de pouvoir essayer d’y répondre. Propos recueillis par Léo Tichelli

«Je sens que c’est un milieu qu’il faut que j’apprivoise petit à petit.»

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ailleurs

Lotte de Beer, chez elle tout revient à Vienne Par Malka Gouzer Images par Sophie Kirchner pour Le Grand Théâtre Magazine

Première femme à être nommée à la tête du Wiener Volksoper, la metteure en scène nous raconte une Vienne à venir, où elle emménagera à la rentrée prochaine. Et où son talent a explosé en 2014, avec la production des Pêcheurs de perles de Bizet que reprend le Grand Théâtre en cette fin d’année. Samedi matin, 10 h. Un ciel terne et des rues endormies. Devant l’entrée des artistes du Volksoper de Vienne, un homme fume. Excentré, l’édifice forme une curieuse masse blanche, épaisse et circulaire. Un gâteau à la crème monté aux dernières heures du XIXe siècle : pendant populaire du prestigieux Staatsoper qui règne sur le centre de la ville, il est plus grand que lui mais moins bien situé. Tout est dit. À l’angle de la Fuchsthallergasse apparaît une femme aux cheveux longs et ondulés. Une épaisse valise noire la suit comme un carrosse. La veille, elle se trouvait à Tel-Aviv, en compagnie de sa fille de 4 ans et de son mari, le chef d’orchestre Steven Sloane. Elle longe maintenant les couloirs du bâtiment.

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Philosophe de formation, Malka Gouzer est journaliste indépendante et passionnée de musique. Elle vit entre Salzbourg et Berlin, où elle collabore au Temps et à heidi.news

Dans l’ascenseur, une soprano lui annonce qu’elle est enrhumée. C’est avec une affection quasi maternelle qu’elle lui souhaite un bon rétablissement et du courage pour la journée à venir. Elle, c’est Lotte de Beer, metteure en scène de 40 ans qui a grandi dans un minuscule village hollandais où « il y avait plus de vaches que d’habitants ». En septembre 2022, elle reprendra la tête de l’Opéra populaire de Vienne, institution à la clientèle fidèle, qui assure près de 280 représentations par année. Elle succédera à l’homme de théâtre allemand Robert Meyer, dont la prolongation du mandat s’est vue refusée par le gouvernement. « Ce que j’apprécie tout particulièrement chez les Viennois, affirme Lotte de Beer, c’est leur connaissance musicale. Vous pouvez immédiatement échanger avec eux et lorsque vous montez un opéra, ils vous disent d’emblée : ‘Qu’avezvous fait de notre opéra’ ? » Dans un bureau étroit, Lotte de Beer raconte sa manière de travailler qui peut paraître peu orthodoxe pour le monde du théâtre. « Je ne crois pas à la domination. Je vise l’inspiration, l’amour et la connexion. On peut aller tellement plus loin en saisissant le potentiel


Construit en 1898, le Volksoper dont Lotte de Beer prendra la direction en septembre prochain contient 1200 places. Spécialisé pendant longtemps dans l’opérette, le Volksoper a enrichi sa programmation avec le temps pour présenter des opéras et des comédies musicales. Il propose environ 300 représentations par an.

Lotte de Beer à l’intérieur du Volksoper où elle a mis en scène Les Pêcheurs de perles de Bizet en 2014, à l’âge de 28 ans. Elle y adaptait l’intrigue située au Sri Lanka, dans l’Antiquité, sous forme de télé-réalité à la mode KohLanta, contournant ainsi le piège de l’appropriation culturelle.


ailleurs

Situé dans le quartier bourgeois-bohème d’Alsergrund, le Volksoper est entouré de marchés, de cafés et de parcs. S’y trouvent également la résidence de Sigmund Freud, la maison dans laquelle Franz Schubert vit le jour ainsi que l’appartement dans lequel Ludwig van Beethoven rendit son dernier souffle.

Lorsque Lotte de Beer accueille sa fille à Vienne, il lui arrive de l’emmener dans ce magasin de bonbons traditionnels qui se situe à deux minutes du Volksoper.

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« Nous vivons dans une société de plus en plus séculaire et dénuée de rituels. L’opéra est un des derniers lieux où nous pouvons réfléchir ensemble à des thèmes qui comptent, comme l’amour, la mort et la responsabilité. »


et les besoins de chacun. » La mise en scène, elle y est arrivée par défaut. « Je voulais être chanteuse d’opéra, mais malgré mes efforts, j’ai rapidement compris que je n’y arriverai pas. Je me suis tournée vers le théâtre et à nouveau, j’ai dû lutter. » De Beer lutte, songe à poursuivre une carrière d’écrivain, travaille pour subvenir à ses besoins, puis un jour l’évidence s’impose. « J’ai toujours été celle qui aidait. Lorsque mes camarades peinaient sur une scène, j’intervenais avec des suggestions. Mon professeur de théâtre m’a finalement dit : ‘Lotte, ce que tu fais là, ça s’appelle de la mise en scène et tu devrais t’y intéresser davantage.’ » A 23 ans, elle effectue un stage à l’Opéra national des Pays-Bas. « J’ai vraiment tout fait, se remémore-t-elle avec candeur. Cafés, photocopies… L’ambiance n’était pas très conviviale et je me suis juré de ne jamais travailler comme eux. Un jour, elle observe depuis un tabouret le metteur en scène allemand Peter Konwitschny monter une scène de viol. « Il nous a demandé si la scène nous paraissait plausible. Tout le monde a acquiescé, sauf moi. Un grand silence s’est installé dans la salle. J’étais stagiaire et la dernière personne en position de se prononcer. Peter Konwitschny m’a demandé mon nom et m’a dit : ‘Puisque vous semblez savoir mieux, montrez-nous donc ce que vous feriez.’ J’ai effectué quelques changements minimes, notamment dans la réaction de la chanteuse et… comment vous dire, la scène a pris. » La scène a pris et Peter Konwitschny, légende issue de l’école brechtienne, a pris Lotte de Beer sous son aile. « Il m’a dit : ‘Je vais vous apprendre tout ce que je sais’. Je suis devenue son assistante. Je lui dois énormément. » Lotte de Beer réalise ses premiers pas à Leipzig, mais c’est réellement à Vienne que sa carrière décolle. Sa mise en scène des Pêcheurs de perles de Bizet, qu’elle reprend pour le Grand Théâtre, donnée pour la première fois en 2014 au Theater an der Wien, marquera les esprits. « J’avais 28 ans, et j’étais prête à tout », se rappelle Lotte de Beer qui accepta la proposition du théâtre après que quatre metteurs en scène se furent désistés.

Les Pêcheurs de perles est en effet un opéra redoutable : musique somptueuse mais dramaturgie impossible. « Le livret est tellement mal écrit. En revanche, les émotions entre les protagonistes sont d’une puissance universelle. » De Beer résout le problème de l’exotisme cinghalais de l’histoire, propre au XIXe siècle, en l’adaptant à une émission de télé-réalité interactive. Cadre qui permet des émois réels au sein d’un récit de pacotille. Lotte s’interrompt un instant. « Je vérifie rapidement si c’est en lien avec ma fille. » Elle jette un œil sur l’écran de son téléphone et le replace immédiatement dans son sac. « C’est tout bon, nous pouvons continuer. » L’objectif de notre rencontre étant qu’elle nous fasse part de son regard sur Vienne, elle s’exclame de suite : « Ma Vienne, c’est ici. Dans ce bâtiment et dans ce quartier dans lequel je vais emménager et investir la totalité de mon énergie. » Elle prendra la direction du Volksoper en septembre 2022. Situé dans le quartier bourgeois-bohème d’Alsergrund, le Volksoper est entouré de marchés, de cafés et de parcs. S’y trouvent également la résidence de Sigmund Freud, la maison dans laquelle Franz Schubert vit le jour ainsi que l’appartement dans lequel Ludwig van Beethoven rendit son dernier souffle. Pour l’heure, le territoire de Lotte de Beer se limite au périmètre restreint du Volksoper. « Je me rends environ 5 fois par jour au Kafa pour boire un expresso. Sinon, lorsque j’ai ma fille, il m’arrive de l’emmener dans ce magasin de bonbons désuet qui se situe à deux minutes d’ici. » À l’instar d’Aviel Cahn à Genève, Lotte de Beer s’est fixé pour mission de diversifier le public de l’opéra populaire de Vienne, en y attirant notamment des jeunes. « Nous vivons dans une société de plus en plus séculaire et dénuée de rituels. L’opéra est un des derniers lieux où nous pouvons réfléchir ensemble à des thèmes qui comptent, comme l’amour, la mort et la responsabilité. Le théâtre est une affaire de communication et si vous voulez obtenir un dialogue intéressant, il est primordial que le public soit aussi diversifié que possible. »

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ailleurs

Le discours inclusif de de Beer, son refus de la domination et la façon dont elle implore l’inspiration, la compassion et la communication peuvent, du moins pour les esprits mal tournés, paraître suspects. Titillée sur son optimisme, elle rigole. « Je suis nihiliste. Une nihiliste utopiste qui ne croit pas en la bonté de l’humanité. J’estime que nous sommes faits de manière à détruire toutes nos chances de réaliser une utopie, parce que justement, contrairement aux abeilles qui œuvrent pour la communauté, nous agissons pour notre ego. » Le visage plus sérieux qu’au début de l’entretien, elle se dit influencée par Camus et Tchekhov. « Nous sommes constitués d’un matériel pourri, mais nous pouvons y trouver et y infuser de la beauté et de la poésie. Si nous renonçons à essayer de rendre ce monde meilleur, je ne souhaite plus y vivre. » Lotte de Beer se lève et quitte son bureau. Les rumeurs viennoises nous informent qu’elle travaille à rehausser la qualité musicale de la maison. Des licenciements sont-ils en cours ? De Beer opte pour la discrétion, tenant absolument à conserver ses liens cordiaux avec les habitués de la maison. En traversant l’arrière-scène du Volksoper, on observe sa démarche à la fois élégante et compas­ sionnelle. Si les révolutions s’accompagnent de sang, Lotte de Beer, contrairement à d’autres, n’y prend guère de plaisir. À la sortie du Volksoper, un homme fume. Ses mouvements sont lents, son attitude lasse. Lotte de Beer engage certes des femmes et des jeunes, mais l’âge et le sexe ne sont nullement, assure-t-elle, des critères de sélection. Dotée d’un amour invétéré pour la transcendance artistique et dès lors pour le travail bien fait, Lotte de Beer incarne surtout le visage du renouvellement. Si elle devait se réincarner, elle affirme qu’elle reviendrait en papillon. Sans venin, les papillons chérissent l’horizontalité sur la verticalité et sont surtout, comme de Beer, des créatures de métamorphose par excellence.

rdv.

Au Grand Théâtre de Genève Les Pêcheurs de perles Du 10 au 26 décembre 2021 12

Lotte de Beer se rend environ 5 fois par jour au Das Kafa tout proche de l’opéra populaire pour boire un expresso.


Vienne est encore pleine de boutiques singulières, échappant au nivellement des enseignes mondialisées. Ce lien avec le passé et la tradition rejoint celui des Viennois pour la musique et l’opéra. « Lorsque vous faites une mise en scène, remarque Lotte de Beer, les Viennois vous disent d’emblée : qu’avezvous fait de notre opéra ? »

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portraits

Ingela Brimberg,

ex-timide à l’assaut des monstres sacrés La soprano suédoise a attendu longtemps avant de découvrir la puissance de sa voix. Mais lorsqu’elle a été prête, elle s’est jetée à corps perdu dans des rôles « bigger than life ». C’est à Genève qu’elle a chanté pour la première fois une héroïne wagnérienne, Senta dans Le Vaisseau fantôme, en 2013. Elle y revient avec deux rôles de femmes fulminantes, prêtes à tuer pour venger leurs traumatismes : Elektra et Turandot. Elle nous en parle avec un drôle de calme.

Par Jean-Jacques Roth

Célébrée pour sa versatilité vocale et dramatique, Ingela Brimberg a étudié à l’Académie de Göteborg avant d’embrasser une grande carrière de soprano dramatique, qui l’a conduite à chanter les rôles les plus écrasants du répertoire : Elsa, Brünnhilde, Isolde chez Wagner, Aïda chez Verdi, Tosca chez Puccini, Jenufa et Katja Kabanova chez Janacek, Salomé et Elektra chez Richard Strauss. Sa prochaine Turandot à Genève viendra compléter cette galerie imposante.

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La Suède, Stockholm : Zoom nous y transporte d’un clic et Ingela Brimberg est dans l’écran, face à nous, chez elle. Cadrage en gros plan qui abolit la distance, élimine le décor, et désacralise aussitôt une chanteuse dont les rôles tiennent tous du sacré, là où l’incandescence vocale exprime une forme de transcendance. Brünnhilde, Tosca, Salomé, Lady Macbeth, Isolde, Leonore… Et bientôt à Genève, dans un fulminant doublé : Elektra en janvier, Turandot en juin. Est-elle « bigger than life », comme les héroïnes qu’elle chante d’une voix d’acier et de braise ? Ou plutôt une femme normale, ainsi qu’elle apparaît pour l’interview, sans apprêt, sans pose ? Ingela Brimberg n’a pas étudié la psychologie pour rien : « Je crois que personne n’est normal », élude-t-elle. Bon, empruntons une autre porte : comment fait-elle, alors, pour entrer dans un rôle comme Elektra, ce bloc de névrose, cette femme qui ne survit que pour venger son père Agamemnon et tuer ses exécuteurs, sa propre mère Clytemnestre et l’amant de celle-ci, Eghiste ? « Je ne sais pas si Elektra est névrosée, corrige Ingela Brimberg. Elle est profondément traumatisée, malheureuse, dominée par des émotions basiques. C’est une histoire très archaïque. On ne sait pas comment on vivait dans la Grèce antique. C’était sans doute très dur, il y avait peu de place pour les nuances. Peut-être que tout le monde était borderline selon nos standards actuels. En fait, il n’est pas si difficile d’entrer dans ce personnage. Pour une personne comme moi, émotive mais retenue, il est très libérateur de pouvoir exprimer des sentiments puissants sur scène. »


Pour Ingela Brimberg, la scène est un « safe space », un espace de sécurité, qui autorise l’expression des passions les plus incandescentes, même pour une femme comme elle, qui se dit plutôt introvertie. © Mats Bäcker pour Le Grand Théâtre Magazine

Comme tant d’autres chanteuses, Ingela Brimberg était une fille timide – elle a aujourd’hui cessé de l’être, se dit plutôt cash dans les relations, affrontant aisément les conflits. Son parcours n’a pas été clair, dit-elle : « Je rêvais de théâtre mais j’étais tellement réservée… Je me suis dit que l’opéra serait plus facile, qu’il y aurait moins de compétition. Je me trompais lourdement ! » Elle n’est admise à l’Académie d’opéra de Göteborg que sur le tard, une fois diplômée en psychologie. Les grandes héroïnes qu’elle domine aujourd’hui lui paraissent alors « des planètes éloignées », elle n’y songe même pas. Elle commence en effet par chanter des rôles de mezzo-soprano, mais sa carrière plafonne jusqu’à la découverte, à l’occasion d’un break lors d’une grossesse, d’un nouveau professeur qui la convainc d’élever sa tessiture et de devenir soprano. « Et là, j’ai trouvé ma maison. Ma voix s’est

développée, elle a eu le temps de trouver son chemin naturel. Et quand j’ai commencé à chanter les Aida et les Elektra, je me sentais prête. Je n’avais pas du tout peur. » Son caractère introverti n’est pas un obstacle face à ces personnages vocalement épuisants, aux prises avec des orchestres monumentaux. « L’introversion est quelque chose de curieux, explique-t-elle. On peut se sentir bien dans cet enfermement, mais on peut aussi vouloir s’en extraire. Et la volonté de s’exprimer cherche alors d’autres voies. Le théâtre est un safe space, un espace de sécurité. Il donne des droits qu’on ne s’autorise pas dans la vie courante. » On ne peut l’imaginer que féministe – la question serait trop pauvre pour être posée ainsi à une femme qui de toute évidence fait ses choix avec une indépendance farouche, sans concession à quelque pression sociale que ce soit. Mais chanter des personnages si souvent victimes, comment s’y faire ? « C’était la réalité des femmes à l’époque où ces œuvres ont été créées, et c’est encore leur réalité dans beaucoup d’endroits du monde. Grâce à des mises en scène plus libres, on peut aujourd’hui montrer que ce

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portraits En Senta dans Le Vaisseau fantôme de Wagner, qu’elle chanta pour la première fois en 2013 à Genève au Bâtiment des Forces Motrices, Ingela Brimberg apparaissait en adolescente plongée dans ses fantasmes, traînant une étrange poupée noire à l’effigie du Hollandais au milieu d’un sinistre univers peuplé d’hommes sortis d’un film de Murnau. © Gregory Batardon

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sont des femmes punies pour leur force et leur courage, plutôt que de faibles victimes condamnées par essence. Cela dit, il serait bon maintenant de composer des opéras avec des femmes fortes. Après Nixon in China, pourquoi pas Angela Merkel à New York ? Aucun des personnages qu’elle incarne ne lui est proche, à proprement parler. Mais elle avoue une prédilection pour Brünnhilde, dans la tétralogie de L’Anneau du Nibelung de Wagner : « Elle développe sa personnalité au cours des opéras d’une manière fascinante, et ce développement impacte la société autour d’elle car elle est assez puissante pour provoquer un changement. De ce point de vue, c’est un personnage très inspirant. Et la musique n’est pas trop mal… » Ingela Brimberg n’a peur de rien aujourd’hui, ajoutant les rôles les plus exigeants à son palmarès. Et la voici prête à affronter un emploi réputé meurtrier, celui de Turandot dans l’opéra de Puccini, qu’elle chantera à Genève en juin pour la première fois. Comme Elektra, la princesse chinoise tirée du conte de Gozzi est une femme hantée par un traumatisme. On en ignore tout, mais il l’a conduite à renoncer à l’amour. Elle décapite ses prétendants en leur posant des énigmes insolubles, jusqu’au jour où l’un d’eux, Calaf, remporte la terrible épreuve et la main de la princesse, abandonnant au passage celle qui l’aimait à la mort. « Je rêvais de la chanter un jour, dit Ingela Brimberg, même si à mon sens l’histoire est un peu problématique. En forçant un peu le trait, je dirais que le happy end couronne l’union de deux psychopathes. Mais c’est un ouvrage incroyablement intéressant, énigmatique à tous points de vue. On peut l’approcher de multiples manières. » L’endurance vocale d’Ingela Brimberg a quelque chose de stupéfiant, comme si aucun rôle ne parvenait à épuiser ses réserves d’énergie. Elle paraît terminer la représentation aussi fraîche qu’au lever de rideau. Elle s’inscrit ainsi dans la longue lignée des sopranos suédoises aux voix

d’airain, avec Birgit Nilsson et Astrid Varnay comme figures tutélaires, et de nombreuses héritières actives aujourd’hui, de Nina Stemme à Iréne Theorin. Autant de wagnériennes légendaires. Ingela Brimberg n’explique pas ce phénomène, sinon en risquant une hypothèse physiologique : « Les femmes suédoises sont plutôt grandes en général, leur cage thoracique est donc sans doute plus volumineuse que la moyenne.» Pour ce qui la concerne, c’est le travail qui est au cœur de tout : « Si j’ai quelque chose de suédois en moi, c’est sans doute l’inclination à suivre les règles, à toujours arriver bien préparée, à être fiable en toute occasion. Je crois que les peuples du froid n’ont pas eu d’autre choix, pour survivre, que de suivre une discipline de vie très stricte. » Mais on sait aussi que sous les principes moraux que le protestantisme a scellés dans une rudesse toute septentrionale, les pulsions obscures sont toujours prêtes à surgir: ce n’est pas à Ingela Brimberg, cette timide sauvée par le feu passionnel propre à l’opéra, qu’on l’apprendra.

rdv.

Au Grand Théâtre de Genève Elektra Du 25 janvier au 6 février 2022 Turandot Du 20 juin au 3 juillet 2022


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artgenève en musique

Le salon d’art contemporain fêtera ses dix ans l’année prochaine. Partenaire du Grand Théâtre de Genève depuis 2020, sa 10e édition inaugure une nouvelle section spécialement consacrée aux œuvres sonores. Par Emmanuel Grandjean

I

l aurait dû fêter sa dixième édition cette année, sans champagne ni bougies. La pandémie a reporté les agapes à des jours meilleurs, donc à l’année prochaine. Pile pour son dixième anniversaire qu’artgenève fêtera dans son fief de Palexpo du 27 au 30 janvier 2022. Une décennie prodigieuse qui a vu la petite foire d’art faire de l’œil aux grandes. L’ambition de Thomas Hug, son directeur, n’a pourtant jamais été de rivaliser avec Art Basel. Mais de profiter de la situation de Genève, située sur la route des stations de ski, pour attirer un public de curieux et d’amateurs d’art éclairés au cœur de l’hiver. Un pari réussi, mais qui passe aussi par la participation de grandes galeries suisses et internationales et, surtout, par la capacité à les faire revenir d’édition en édition. Ce sera en janvier avec le retour des pointures du marché

Emmanuel Grandjean est journaliste, critique d’art et de design et amateur d’architecture avec un penchant pour les bâtiments de Claude Parent. Ancien rédacteur en chef de T, le magazine du Temps où il a dirigé la rubrique Culture, il gère les publications du groupe SPG-Rytz à Genève.

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Thomas Hug, le directeur d’artgenève, a suivi une double formation en musicologie et composition musicale en Allemagne avant de venir à l’art contemporain par la voie des pièces sonores qu’il exposait dans sa galerie berlinoise. © Annik Wetter

de l’art comme les Européens Kamel Mennour, Perrotin, Capitain Petzel, Continua et Almine Rech, les Genevois Mezzanin, Skopia, Laurence Bernard, Sébastien Bertrand, Lionel Latham, Joy de Rouvre, Wilde et Xippas (liste non exhaustive), les Alémaniques Francesca Pia, von Bartha et Peter Kilchmann et les supergaleries : Pace et Gagosian. Parmi les nouveaux venus, citons quatre belles prises : Thaddaeus Ropac, Chantal Crousel, Mai 36 et Van de Weghe de New York, l’un des rares marchands américains à faire le déplacement.

Art lyrique

La particularité d’artgenève est aussi d’offrir de l’espace à des lieux non commerciaux. Une trentaine de musées, centres d’art, écoles d’art et fondations de Suisse et d’ailleurs profite ainsi d’une visibilité inédite. Dont le Grand Théâtre de Genève, partenaire du salon depuis l’année dernière. Une association naturelle qui coïncide avec l’arrivée d’Aviel Cahn à la tête de l’institution lyrique. Le directeur aime l’art contemporain. Sa vision de la création actuelle va de l’invitation d’artistes sur certaines mises en scène jusqu’à la complicité artistique dans les interstices des programmes annuels avec des collaborations de John Armleder ou encore de la réalisatrice Pauline Julier. « Cette lecture des œuvres du répertoire qui s’appuie sur des artistes contemporains fait complètement sens avec l’esprit du salon », reprend Thomas Hug. « En 2020, nous présentions le projet de scénographie d’Adel Abdessemed imaginée pour Saint François d’Assise d’Olivier Messiaen. En raison de la crise sanitaire, le spectacle a dû être reporté. Pour l’édition qui vient, Prune Nourry dessinera le décor d’Atys de Lully. artgenève exposera, dans une ambiance de fumigène, certaines sculptures en bronze qui font partie de cette création. L’artiste s’est beaucoup impliquée dans ce projet. Plus qu’un simple stand d’information documentaire, ce sera une véritable installation. »


Prune Nourry sera l’invitée du Grand Théâtre sur son stand au prochain salon artgeneve en janvier avec des sculptures inspirées de sa scénographie d’Atys qui sera à l’affiche du 27 février au 6 mars. © Prune Nourry/ADAGP

Fin bec

Salon du son

Au programme de cette foire qui avance l’argument de la taille humaine – 80 galeries y exposent et pas une de plus – et son offre pléthorique d’événements annexes, Thomas Hug insiste sur une nouvelle section spécialement consacrée à la musique. « Comme un salon du son dans le salon. Il prendra la forme d’une énorme sculpture qui fait office de haut-parleur, explique le directeur. Elle diffusera à intervalles réguliers des œuvres qui seront à vendre. Des efforts particuliers ont été porté sur la spatialité, ce type de travaux nécessitant beaucoup de place afin d’éviter l’effet cacophonique inhérent au genre. » En cela, le directeur connait sa partition. Après une double formation en musicologie et composition musicale acquise en Allemagne, il est venu à l’art contemporain par la voie des pièces sonores qu’il exposait dans sa galerie berlinoise. À artgenève, la musique a donc toujours tenu une place de choix. Dès 2013, Thomas Hug organisait ainsi des concerts d’œuvres musicales d’artistes contemporains à la Philharmonie de Berlin, mais aussi au Victoria Hall à Genève, au Teatro Goldoni à Venise et à la Herkulessaal à Munich.

À cet arc déjà bien tendu, en dix ans, Thomas Hug a ajouté quelques cordes supplémentaires pour faire en sorte que son salon existe toute l’année. Depuis 2016, il l’exporte sous le soleil de Monaco et prend tous les deux ans, depuis 2018, ses quartiers d’été au parc La Grange dans le cadre de Sculpture Garden. Après Lionel Bovier, directeur du Mamco, et Balthazar Lovay, curateur indépendant, c’est Devrim Bayar, curatrice au centre d’art WIELS à Bruxelles, qui signera en 2022 la troisième édition de cette exposition biennale d’œuvres monumentales. Il était aussi prévu qu’artgenève se délocalise à Moscou avec un projet de salon curaté, entendez par là : composé par un commissaire invité avec des œuvres choisies parmi les marchands participants. La pandémie est venue perturber le calendrier. Ce sera, sans doute, pour 2023. À cela s’ajoute la gastronomie, considérée comme l’un des beaux-arts. Thomas Hug est un fin bec. En 2020, il lançait Night-Fall, concept de pop-up restaurant qui, le temps de la foire, servait dans une salle décorée par un artiste ou un designer une carte composée par ses soins et le chef de l’établissement. À l’occasion de la prochaine édition, le concept va s’exporter de Genève vers Paris, avant de conquérir d’autres capitales européennes. « Pendant cinq jours, cinq grandes tables vont servir des plats dans cinq ambiances artistiques différentes, explique le directeur. Ce genre d’événement qui allie art de la table et art contemporain sous l’égide d’artgenève est aussi une manière de mieux faire connaître Genève à l’étranger. »

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Palexpo, Genève artgenève 10 e édition du 27 au 30 janvier 2022 Au Grand Théâtre de Genève Atys du 27 février au 6 mars

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27–30.01.2022

galleries 1900-2000 | ADN | Afikaris | Almine Rech | Applicat-Prazan | AV Modern & Contemporary | Bailly | Bendana-Pinel | Capitain Petzel | Catherine Duret | Chantal Crousel | Christian Berst Art Brut | Christine König | Continua | Cortesi | Crèvecœur | Ditesheim & Maffei Fine Art | Downs & Ross | Edouard Simoens | Eva Meyer | Fabian Lang | Fabienne Levy | Francesca Pia | Franco Noero | GeorgesPhilippe et Nathalie Vallois | Gisèle Linder | Gowen | Haas | HdM | Heinzer Reszler | Herald Street | Hom Le Xuan | In Situ - fabienne leclerc | Isabelle van den Eynde | Joy de Rouvre | Juana de Aizpuru | kamel mennour | Klemm’s | lange + pult | Larkin Erdmann | Latham | Laurence Bernard | Laurent Godin | Laurentin | Le Minotaure | Lelong | Loevenbruck | M77 | Magnum | Mai 36 | Meyer Riegger | Mezzanin | Michael Hoppen | Mighela Shama | MLF|Marie-Laure Fleisch | Monad Contemporary Art | Nathalie Obadia | NoguerasBlanchard | Nosbaum Reding | P420 | Pablo’s Birthday | Pace | Pascal Lansberg | Patrick Gutknecht | Perrotin | Peter Kilchmann | Philippe Cramer | QG | Richard Saltoun | Rolando Anselmi | Rosa Turetsky | Sébastien Bertrand | Semiose | Simon Studer Art | Skopia/P.-H. Jaccaud | Tang Contemporary Art | Taste Contemporary | Templon | Thaddaeus Ropac | Thomas Brambilla | Thomas Schulte | Tim van Laere | Tornabuoni Art | Urs Meile | Van de Weghe | von Bartha | Waddington Custot | Wilde | Xippas | Zlotowski artgenève/photographie 193 Gallery | Air de Paris | Christophe Guye | Ciaccia Levi | Cibriàn | Ermes-Ermes | Gregor Staiger | Jean-Kenta Gauthier | Matèria | Podbielski Contemporary | Viasaterna artgenève/musique The Music Chamber art spaces & publishers Andata Ritorno | Art for The World | Editions Take5 | HIT | JRP|Editions | Macula | March Art | mfc-michèle didier | multipleart | Octopus Précis Artistique | Piotrowska/Szczęśniak Atelier | Provence | Sgomento Zurigo | We Do Not Work Alone institutions & special exhibitions ACT | artgenève/estates - Meg Webster | artgenève/sculptures | Biennale de Genève - Sculpture Garden | Centre d’Art Contemporain Genève | Centre d’édition contemporaine | Centre Pompidou | DESTE Foundation for Contemporary Art - Kaari Upson | ECAL | Ecole Internationale de Genève | EDHEA | Fondation Martin Bodmer | Fondation Gandur pour l’Art | Fondation Opale | Fonds cantonal d’art contemporain | Fonds d’art contemporain de la Ville de Genève (FMAC) | Grand Théâtre de Genève | HEAD | Hugo Weber | KW Institute for Contemporary Art | La Becque Résidence d’artistes | m3 Collection | MAMCO Genève | Musée d’art du Valais | Musée d’Art et d’Histoire | Musée international de la Croix-Rouge | Nouveau Musée National de Monaco | Open House | Plateforme 10 | Prix Mobilière for young Swiss artists | Prix Solo artgenève - F.P.Journe | Ringier Collection – Kai Althoff/Robert Elfgen | Serpentine Galleries | WK Archipel Collection magazines Artpassions | ArtReview | artnet | Cote Magazine | Espaces contemporains | Flash Art | Frieze | Genève.Art | Go Out ! | L’Art à Genève | Le Quotidien de l’Art | Mousse Magazine and Publishing | Nasha Gazeta | Ocula | Quartier des Bains | Spike | The Art Newspaper France | Tribune des Arts

artgeneve.ch 20


coulisses Chantal Graf pilote tout de sa console, dans les coulisses. Tout s’y joue dans des temps de réaction très courts, comme aux commandes d’un cockpit. © Carole Parodi/GTG

Sans elle, tout s’arrête Régisseuse générale du Grand Théâtre, Chantal Graf est «le chef d’orchestre de l’arrière-scène». Elle a son pupitre côté jardin, avec des écrans qui voient tout, des boutons pour appeler artistes et personnel. Sa responsabilité : « Rien ne bouge tant que je ne dis rien. » Son but : que le spectacle continue !

Par Aude Seigne

Chantal Graf est la seule qui dispose de la vue d’ensemble. Elle donne les tops, travaille avec un-e assistant-e qui se déplace sur le plateau, réalise des dessins pour les machinistes ainsi que la partition de régie, sorte de bible du spectacle qui comprend toutes les entrées, tous les changements de costume, de décor ou de lumière. Quand je l’interroge sur les types de problèmes qu’elle rencontre, elle évoque les chanteurs en retard ou un décor qui se bloque, comme c’est arrivé pour Parsifal il y a quelques années. Elle a eu moins de 2 minutes pour décider de déplacer le chœur après avoir consulté tout le monde, et à l’écouter, je me dis que son métier entretient une étrange parenté avec celui des pilotes de ligne : le travail en tandem, le temps de réaction très court, la console où tout se joue.

Face au poids de cette responsabilité, Chantal Graf se dit pourtant d’un trac maladif. À chaque nouvelle production, elle se dit qu’elle n’y arrivera pas, mais elle a la faculté de le cacher. « Tout est dans la voix » et la sienne est ferme, calme, confiante, il le faut puisque c’est par casque qu’elle communique avec les autres. Quand le spectacle commence, le stress a tendance à diminuer. Elle confie qu’il lui arrive de s’énerver mais qu’elle peut aussi aller boire une bière avec la même personne juste après car elle ne laisse jamais un malentendu s’installer. Son autre force, qui impressionne, c’est que son parcours colle intimement à celui de la scène. Originaire d’Anvers, elle suit une formation de danseuse néo-classique, avant d’être déçue par un premier contrat, à 19 ans, à l’Opéra de Lille. Elle baisse les bras pour la danse, mais a « un choc de beauté et d’admiration pour les chanteurs ». Une régisseuse, elle-même ancienne danseuse et assistante à la mise en scène, la prend sous son aile, la pousse à faire de la figuration, avant une autre rencontre décisive. En 1980, Chantal Graf écrit à Renée Auphan qui lui répond, elles se rencontrent, deviennent amies. Chantal Graf fait encore de l’opérette à Paris, du cabaret en Égypte et en Italie, avant que Renée Auphan, alors directrice de l’Opéra de Lausanne, lui propose d’essayer la régie. Après un premier Faust, le verdict tombe : « Tu devrais arrêter de danser et te lancer dans ce métier. » Dans trois ans et demi, Chantal Graf sera à la retraite. Elle se voit la prendre en Corse, où elle se rend depuis trente ans et qu’elle perçoit comme hors du temps. Elle y restera proche de Marseille, de Nice, de Bastia où elle a gardé beaucoup d’amis.

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LES NOUVEAUX

TABOUS Par Guy Cherqui

Appropriation culturelle, « cancel culture », wokisme : la lutte contre les discriminations dont de nombreuses minorités s’estiment victimes touche tous les domaines artistiques. L’opéra n’y échappe pas, avec ses ouvrages où, de Mozart à Bizet, pèse le regard « colonial » du « patriarcat blanc » que les nouveaux mouvements contestataires désignent comme l’origine de toutes les violences sociales. Les tabous d’hier sont tombés. Place aux nouveaux tabous !

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Agrégé de lettres, Guy Cherqui se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens. Fondateur avec Daniel Verdier du site Wanderer.com, où il défend avec ardeur les mises en scène qui donnent au spectacle lyrique une plus-value, il travaille aussi pour les revues Amadeus à Milan, Platea Magazine à Madrid et Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec Daniel Verdier de Castorf-Ring-Bayreuth 2013-2017, paru aux éditions La Pommerie.


La « cancel culture » dénonce en particulier les personnages hier glorifiés, aujourd’hui honnis, en particulier pour leur racisme. Le mouvement s’est élargi à toute figure ou tout propos jugé coupable de discrimination envers les minorités qui s’estiment opprimées, en raison de leur couleur de peau, de leur genre, de leur apparence physique ou de leur orientation sexuelle. Le déboulonnage ou la vandalisation de statues en est la manifestation la plus spectaculaire. Ici, celle du grand journaliste et éditeur italien Indro Montanelli, dans le parc qui porte son nom à Milan, vandalisée en 2020 par des inconnus l’accusant de racisme – le journaliste devenu plus tard anti-fasciste avait adhéré au parti mussolinien dans les années 30 et participé à l’expédition coloniale italienne en Éthiopie, où il avait acheté pour femme une fillette de 12 ans. © Miguel Medina/AFP

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dossier nouveaux tabous

À

la fin du Don Giovanni de Mozart, version de Vienne, la disparition de Don Giovanni dans les flammes de l’Enfer est suivie d’un épilogue où les personnages évoquent un avenir qui n’est pas radieux pour tous, loin de là. À la fin du Dom Juan de Molière, on lit dans la bouche de Sganarelle cette morale : « Voilà par sa mort un chacun satisfait, Ciel offensé, lois violées, filles séduites, familles déshonorées, parents outragés, femmes mises à mal, maris poussés à bout, tout le monde est content ». La mort de Dom Juan sert la morale de son époque. Mais son « annulation » a-t-elle changé les situations, le viol est-il effacé, l’outrage évaporé, l’honneur retrouvé ? Évidemment non, la disparition de l’objet honni n’efface rien. Annuler (« cancel ») ne fait rien disparaître des faits et des blessures : le mal reste. Au-delà de la satisfaction immédiate, le symbole est creux, ou pire, assimilable aux efforts des régimes totalitaires pour effacer les faits de l’histoire, ou brûler les livres, voire effacer des compositeurs d’opéra, comme ce fut le cas de l’entartete Musik sous le régime nazi. En cette matière, il se crée la plupart du temps de faux débats où effacer les « turpitudes » du passé relève plus de la communication que d’un sentiment réel de repentance intellectuellement fondé. Le récent débat très français sur l’opportunité de débaptiser la Salle Colbert (à l’Assemblée nationale), au nom de son Code noir , en est l’indice. Mais si le Code noir est aujourd’hui pointé du doigt, il était tenu à l’époque pour un instrument de régulation du trafic d’esclaves, pour les « protéger ». On ne voit pas les choses au XVIIe siècle comme au XXIe. En effet, la « cancel culture », concept inventé outre-Atlantique pour effacer notamment les méfaits et les drames de l’esclavage et empêcher la glorification de certains marchands d’esclaves ou généraux sudistes de la guerre de Sécession, juge les actes du passé à l’aune de nos concepts modernes. Cela s’appelle un anachronisme et fait fi de toutes les complexités.

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La « cancel culture », concept inventé outreAtlantique pour effacer notamment les méfaits et les drames de l’esclavage et empêcher la glorification de certains marchands d’esclaves ou généraux sudistes de la guerre de Sécession, juge les actes du passé à l’aune de nos concepts modernes.


Les Pêcheurs de perles dans une représentation ancienne, fidèle à la littéralité de l’ouvrage que Bizet a situé au Ceylan, dans l’Antiquité. © theatrepix / Alamy

Le jeu avec les masques et les détournements parodiques sont des procédés usuels dans les mises en scène contemporaines d’opéras problématiques sous l’angle de l’appropriation culturelle. Ici, Les Pêcheurs de perles de Bizet dans la production de Penny Woolcock pour l’English National Opera en 2016. © theatrepix / Alamy

Depuis, les luttes contre toutes les formes de discrimination non seulement liées à la couleur de peau, mais aussi aux orientations sexuelles, aux genres, aux origines sociales ou aux apparences physiques, réunies dans un combat « intersectionnel » destiné à déconstruire les rapports de domination, ont largement étendu le champ de la remise en question des créations artistiques, littéraires et intellectuelles. Notamment aux États-Unis, où le débat fait désormais rage (lire en pages 32 à 35)

Loin de nous l’idée de vouloir nier les erreurs et les ignominies du passé, ni de glorifier leurs (f) auteurs : mais nous savons bien que l’Histoire Officielle (ou ce qu’on appelle le « roman national ») masque souvent un système de propagande qui ne dit pas son nom. En France, on glorifie Louis XIV et son général vainqueur Turenne, pourtant fauteur de massacres épouvantables dans les guerres du Palatinat qu’on se garde bien d’évoquer. La « cancel culture » n’est pas toujours là où on le pense. La « cancel culture » n’est pas une invention récente, woke ou #MeToo : les propagandes politiques ne se sont jamais privées d’effacer ou d’annuler ce qui les gênait. Mais le vaste mouvement de ces dernières années crée un basculement culturel, une sorte de révolution qui entraîne forcément des excès. Dans le domaine musical, cela se manifeste fréquemment désormais : le metteur en scène Terry Gilliam, ex-Monty Python, vient d’en faire les frais pour des déclarations « non conformes » qui ont conduit à l’annulation d’un prochain spectacle à Old Vic de Londres.

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Les évolutions de la mise en scène ont battu en brèche la notion classique de vraisemblable au profit de celle de représentation, où la couleur de peau importe beaucoup moins. Nous ne cherchons plus à la scène, par un Otello ou une Aïda grimés en noir, le mimétisme, mais la métaphore, ce qui devrait autoriser toutes les configurations.

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Otello, que ce soit chez Shakespeare (comme dans ce dessin de 1829 dû à Thomas McLean) ou dans l’opéra qu’il a inspiré à Verdi, a longtemps été interprété par des comédiens ou des chanteurs blancs grimés en noir, couleur de peau du personnage. Cette pratique du « blackface » est aujourd’hui dénoncée au nom de la lutte contre l’appropriation culturelle et n’a généralement plus cours. © Artokoloro / Alamy

Les mondes lointains évoqués dans Les Indes galantes de Rameau tels que les mettait en scène Hans Schavernoch à l’Opéra de Zurich en 2003. Depuis, cet opéra a fait l’objet de multiples relectures évacuant l’imagerie exotique liée aux goûts du XVIIIe siècle. © Eddy Risch/Keystone

Le chef d’orchestre James Levine, récemment disparu, en a fait les frais aussi pour ses actes pédophiles, qui ont conduit le Metropolitan Opera de New York, dont James Levine a été le directeur musical pendant plus de 45 ans, à en effacer l’effigie et à interdire à la vente ses enregistrements qui jusque-là remplissaient les bacs de la boutique du théâtre. Supprimer la réalité de 45 ans de présence continue, notamment dans les archives sonores, dans les souvenirs, dans la réalité historique est une gageure. Si nous entreprenions d’ostraciser les artistes qui, dans l’histoire, ont eu des comportements problématiques, nous devrions en effacer pas mal dont Caravage, Sodoma, Borromini, et peut-être Léonard de Vinci, Michel-Ange et d’autres. Sur le théâtre, les évolutions de la mise en scène ont battu en brèche la notion classique de vraisemblable, au profit de celle de représentation, pour les besoins d’une lecture, où la couleur de peau importe beaucoup moins. Nous ne cherchons plus à la scène, par un Otello ou une Aïda grimés en noir, le mimétisme, mais la métaphore, ce qui devrait autoriser ainsi toutes les configurations. Et même si des réticences existent encore notamment dans le ballet

classique (le récent rapport sur la diversité à l’Opéra de Paris l’a souligné), on peut dire que la normalisation est en route et l’opéra a même un peu d’avance, parce que la diversité commence vraiment à exister parmi les chanteurs… Mais une autre discrimination plus subreptice est justement la conséquence de l’importance récente des mises en scène, c’est celle du corps des femmes : certaines chanteuses magnifiques mais opulentes sont discriminées parce qu’elles ne correspondent pas scéniquement aux canons du moment. Deux exemples : Angela Meade, l’une des plus grandes verdiennes actuelles, chante peu dans les grands théâtres, et Heidi Melton, belle voix wagnérienne, a elle aussi bien du mal à s’imposer. Autre forme de « cancel », plus hypocrite et moins montée en épingle. Enfin, certaines œuvres ont alerté les censeurs de la woke-culture, Les Indes galantes, par exemple, avec sa représentation « coloniale » des espaces exotiques, ou Les Pêcheurs de perles, qui offre une représentation de Ceylan pour le moins problématique, que Lotte de Beer a superbement détournée dans la production viennoise qu’elle reprend cette fin d’année au Grand Théâtre.

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Ces œuvres sont nées en un temps où les représentations de l’espace et au temps n’avaient rien à voir avec celles d’aujourd’hui. Au temps des Indes galantes, il fallait 11 jours pour aller de Paris à Marseille, deux jours de Genève à Berne. Aujourd’hui en train, moins de deux heures pour Berne et 3 h pour Marseille. 11 jours, c’est la distance par voie ferroviaire de Genève à Pékin, qu’on peut aussi atteindre en 12 ou 13 h en avion. Ce sont là des faits qui déterminent une relation à l’espace complètement différente, qui n’a rien à voir avec ce que nous connaissons aujourd’hui : nous sommes à 12 ou 13 h de ces Indes si galantes de Rameau, à 8h du Ceylan (Sri Lanka désormais) des Pêcheurs de Perles, c’est-à-dire dans un voisinage relatif qui n’a rien à voir avec ce que les hommes du XVIIIe, voire du XIXe siècle pouvaient connaître. Il y avait une relation de totale étrangeté pour la majorité des populations qui voyageaient peu et il ne faut pas s’étonner, même si cela choque aujourd’hui, de voir des Indiens ramenés à Paris comme des bêtes curieuses exposées dans les foires. Un spectacle d’une rare intelligence a parfaitement montré ces différences de point de vue, c’est Vasco da Gama (L’Africaine) de Meyerbeer, dans la mise en scène de Tobias Kratzer à l’Opéra de Francfort en 2018. Il suffit à Kratzer de transformer Vasco de Gama en voyageur de l’espace, en explorateur de galaxies inconnues, et Selika et Nelusko en « extraterrestres » pour donner l’exact rapport que pouvaient entretenir il y a quelques siècles des populations ou des spectateurs ignorants avec les terres lointaines et à peine explorées. Comment pourrions-nous montrer des extra-terrestres ramenés sur notre planète ? Se poser la question c’est déjà y répondre. Et ce n’est pas le moindre mérite de Tobias Kratzer que de poser la question de notre rapport à l’autre en passant par cette métaphore.

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Le texte de Jean-Claude Carrière, La Controverse de Valladolid, a posé avec acuité la question du statut des populations d’Amérique du Sud colonisées, de leur rapport à Dieu, de leur rapport même à l’humanité (ont-ils une âme ?). Ces questions mêmes indiquent les débats qui durent agiter le monde européen dans ses rapports aux populations autochtones, et les esprits comme Montaigne sont rarissimes, hier comme aujourd’hui. Il est clair que le monde de l’opéra naissant, fondé notamment au XVIIIe siècle sur le « grand » spectacle, utilisait ces mondes encore largement inconnus pour alimenter l’imaginaire et les rêves d’exotisme. De fait, dès que les transports se développèrent, et déjà à la fin du XIXe avec le chemin de fer, ce type de fantasmagorie exotique disparaît. Lakmé de Delibes, créé en 1883, pose déjà la question de la relation colonisateurcolonisé en Inde. Bizet avec Djamileh, Les Pêcheurs de perles et même Carmen, est l’un des derniers compositeurs à chercher dans l’exotisme des sujets possibles. Carmen est un exemple du regard porté sur les gitans et les bohémiens (que les sociétés continuent aujourd’hui à mépriser sous le vocable « roms »), et que dans l’art et l’opéra, on a souvent considéré comme des marginaux inquiétants ou des suppôts diaboliques : Azucena et les bohémiens du Trovatore, ou la Zingara de Donizetti sauvée parce que reconnue non bohémienne ; quant à la mage Ulrica de Un ballo in maschera, c’est encore pire, elle est noire… Faut-il supprimer ces titres des programmes? Il ne sert à rien d’instrumentaliser les sujets d’opéra et de les rendre « coupables ». Il est clair que la revendication des populations issues de la diversité de reconquérir un statut qui rende à leur histoire la noblesse que mérite tout homme est légitime et doit être défendue, mais comme tout art, l’art lyrique ne saurait être lesté de ses œuvres « discutables ». Car celles-là ont correspondu à des attentes, un savoir, des ignorances qui ne peuvent être jugés en fonction de critères d’aujourd’hui, sans recul historique.


Aida de Verdi incarnée par la soprano ukrainienne Oksana Dyka à l’Opéra Bastille en 2013 : la mise en scène d’Olivier Py avait évacué l’Egypte, ses décors et ses couleurs de peau au profit d’une actualisation qui universalise le propos de l’ouvrage. © Victor/ArtComPress via Leemage

Dans la mise en scène de Sonja Frisell datée de 1988, ici reprise en 2018 avec Anna Netrebko dans le rôle titre et Quinn Kelsey dans celui du roi éthiopien Amonasro, la pratique du grimage était encore la règle, accompagnant une production très fidèle au livret. © Jack Vartoogian/ Getty Images via Leemage

On doit pouvoir montrer les ouvrages contestables, mais les faire mettre en question par des metteurs en scène qui en soulignent les ambiguïtés, le contexte, ou qui les tournent en dérision.

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Dans sa mise en scène des Pêcheurs de perles présentée au Grand Théâtre, Lotte de Beer transforme l’intrigue en une émission de télé-réalité de type Koh-Lanta, mettant aux prises des participants occidentaux avec les habitants d’un pays lointain – l’opéra de Bizet se déroule à l’origine dans l’antique royaume de Ceylan. © Werner Kmetitsch

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La question ne concerne pas seulement la diversité, mais tous les mouvements de reconnaissance de minorités. La grande question de la femme à l’opéra a été assez tôt si brillamment traitée par Catherine Clément dans L’Opéra ou la défaite des femmes paru en 1979 1, où à travers des exemples des grands opéras, la philosophe essayiste médite sur le destin des femmes sur la scène lyrique, entre suicides, assassinats, exécutions. Rien que dans le bel canto et les opéras de Donizetti, mis à l’honneur dès cette année par le Grand Théâtre, ce n’est qu’un défilé de morts violentes, de trahisons et de scènes de folies d’ailleurs assez proches des terribles études de Charcot sur l’hystérie féminine dénoncées aujourd’hui.

Il est clair que le monde de l’opéra naissant, fondé notamment au XVIIIe siècle sur le « grand » spectacle, utilisait des mondes encore largement inconnus pour alimenter l’imaginaire et les rêves d’exotisme.

Effacer le répertoire aujourd’hui risqué, c’est aussi renoncer à L’Enlèvement au sérail de Mozart, voire à L’Italienne à Alger de Rossini et à tant d’autres titres politiquement pas tout à fait corrects. Il vaut bien mieux les monter et les faire mettre en question par des metteurs en scène qui en soulignent les ambiguïtés, le contexte, ou qui les tournent en dérision. C’est à ce type de travail que Lotte de Beer s’est livrée en 2014 dans ses Pêcheurs de perles, mais encore plus récemment pour Aïda à Paris, ou Les Noces de Figaro si « intergenres » au dernier festival d’Aix-enProvence. L’œuvre d’art est une question posée au monde, la réponse ne saurait être son effacement. 1 Catherine Clément, L’Opéra ou la défaite des femmes, Paris, Grasset, 1979.

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Au Grand Théâtre de Genève Les Pêcheurs de perles Du 10 au 26 décembre 2021


Un musée Ville de Genève www.meg-geneve.ch


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Aux États-Unis, les limites de la

« CANCEL CULTURE » La « culture de l’annulation » va-t-elle trop loin ? Les milieux conservateurs, qui la honnissent, ne sont plus seuls à le penser. Dans les cercles intellectuels américains de gauche, des voix pourtant acquises à la lutte contre les discriminations s’élèvent pour dénoncer les menaces qu’elle fait peser sur la liberté d’expression. Par Valérie de Graffenried (LT)

L’

humoriste Dave Chappelle épinglé par la communauté LGBTQ+ pour des blagues jugées « transphobes ». Des universités et équipes de sport débaptisées. Des professeurs licenciés. Des directeurs de musées congédiés. Des livres pour enfants brûlés. Des cours universitaires de musicologie revus pour y questionner le « canon colonial » associé à la « suprématie blanche » du cursus.

Et combien de statues d’esclavagistes tombées de leur piédestal ?

Aux États-Unis, pas un jour ne se passe sans que « wokisme » et « cancel culture » ne fassent de nouvelles victimes. Les phénomènes, omniprésents, se propagent comme un jeu de dominos que plus rien n’arrêterait. Mais ceux qui s’en agacent ne sont pas forcément toujours ceux à qui l’on pense.

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Les cicatrices de l’esclavagisme

Arrivée aux Etats-Unis en 2016, deux semaines avant l’élection de Donald Trump, Valérie de Graffenried est basée à New York, où elle travaille comme correspondante pour Le Temps. Elle a auparavant travaillé à La Liberté, avant de rejoindre Le Temps en 2001, où elle a couvert la politique nationale jusqu’à son établissement aux Etats-Unis.

Face aux progressistes, qui au nom de la défense des minorités raciales ou sexuelles, de la justice sociale et de l’inclusion, se montrent de plus en plus pugnaces pour dénoncer des discriminations, exiger excuses et réparations, fuse la réponse de ceux que cette culture de l’offense et de l’annulation inquiète ou fait sortir de leurs gonds. Le débat s’invite jusque dans les écoles, autour de la critical race theory (CRT). Ses partisans militent en faveur d’un enseignement de l’histoire américaine qui tienne compte des conséquences de l’esclavagisme et mentionne le racisme institutionnel du pays. Ils espèrent sensibiliser davantage les écoliers aux discriminations raciales. Mais du côté de la droite conservatrice américaine, la réaction est vive. Et la démarche mal vue. Ils accusent la gauche d’endoctrinement et de vouloir diviser la société, en instillant un sentiment de honte et de culpabilité aux enfants blancs. Des divisions sur lesquelles ils comptent d’ailleurs capitaliser : la CRT s’invite dans plusieurs campagnes électorales. Et des Républicains s’empressent d’édicter des projets de loi pour la neutraliser.

Richmond (Virginie), Etats-Unis, 14 juin 2020 : depuis la mort de George Floyd assassiné par un policier lors de son arrestation, la tension ne cesse de monter entre manifestants noirs, antiracistes et suprémacistes blancs. Désormais, les deux camps sortent les armes. À Richmond, ancienne capitale sudiste, deux Amériques se déchirent au pied des symboles d’un passé controversé : les statues à la gloire des confédérés, comme ici, la statue du général sudiste Robert Lee, transformée en monument aux morts des Noirs victimes de violence. © Robin Pueyo/Hans Lucas


Autour de cette querelle, on trouve notamment le « 1619 Project » du New York Times, piloté par la journaliste Nikole Hannah-Jones. 1619, comme l’année où les vingt premiers esclaves venus d’Angola ont débarqué sur une côte de Virginie. Une manière de raconter l’histoire américaine autrement, d’un autre point de vue, sans se cramponner à 1776, l’année de la proclamation d’indépendance par les Pères fondateurs. Inévitablement, un tel projet, ambitieux et potentiellement riche d’enseignements, a provoqué de nombreux grincements de dents.

« Nouveau fascisme d’extrême gauche »

Dans une société hautement polarisée, encore ébranlée par le chaos qui a entouré l’élection présidentielle de 2020, le « débat » ne peut pas être serein. Ces guerres culturelles ne sont pas innocentes. Elles contribuent à diviser davantage le pays. L’évolution démographique joue un rôle. Les conservateurs s’inquiètent de voir une Amérique de moins en moins blanche. Avec une conséquence directe puisque les minorités votent traditionnellement plutôt démocrate. Donald Trump lui-même, en pleine campagne pour sa réélection à la Maison-Blanche, avait fustigé cette nouvelle tendance à « effacer notre histoire, diffamer nos héros, supprimer nos valeurs et endoctriner nos enfants », en parlant de « nouveau fascisme d’extrême gauche ». « Si vous ne parlez pas sa langue, n’exécutez pas ses rituels, ne récitez pas ses mantras et ne suivez pas ses injonctions, vous serez alors censuré, banni, inscrit sur une liste noire, persécuté et puni », avait-il martelé l’an dernier, le jour de la Fête nationale, devant le mont Rushmore (Dakota du Sud), où les visages de quatre présidents américains sont sculptés dans la falaise. Avec cet avertissement, en se tournant vers ses prédécesseurs : « Ce monument ne sera jamais profané, ces héros ne seront jamais défigurés ! ».

Thomas Jefferson banni

D’où viennent ces mouvements ? Le « wokisme » (de « woke », éveillé) puise ses racines dans l’expression « stay woke », échangée parmi les Afro-Américains dès la fin du XIXe siècle, comme un signal d’alerte au cœur d’une Amérique ségrégationniste. Aujourd’hui, le terme est associé à une culture de militantisme dénonciateur, qui s’est développée sur les campus américains dans

« Si vous ne parlez pas sa langue, n’exécutez pas ses rituels, ne récitez pas ses mantras et ne suivez pas ses injonctions, vous serez alors censuré, banni, inscrit sur une liste noire, persécuté et puni » les années 1960 avec les mouvements des droits civiques. Le « wokisme » a surtout repris de l’essor avec le mouvement Black Lives Matter et la vive émotion provoquée par la mort, le 25 mai 2020, de l’Afro-Américain George Floyd sous le genou d’un policier blanc. Mais qui s’en revendique vraiment ? Le mot est en fait surtout détourné par les militants de l’alt-right américaine pour caricaturer les « obsessions idéologiques » de leurs adversaires. Et la « cancel culture » ? Ces termes un peu fourre-tout, souvent avec une connotation péjorative, ont des origines peu claires.

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On les relie tour à tour à une chanson (Your Love Is Cancelled, de Chic, 1981), un film (New Jack City de 1991) ou encore à des propos fumeux du rappeur Kanye West pour défendre son soutien à Donald Trump. Un seul consensus : ils se rapportent à ceux qui veulent « annuler » des discours, représentations ou personnes considérés comme offensant des minorités. Et les exagérations se retrouvent dans les deux camps. Il n’est d’ailleurs pas toujours évident de déceler qui annule qui, les dénonciateurs étant souvent eux-mêmes dénoncés. Les exemples sont nombreux. La mairie de New York vient par exemple, le 19 octobre dernier, de décider de retirer d’une de ses salles la statue de Thomas Jefferson, un des Pères fondateurs de la nation, en raison de son passé d’esclavagiste. Des conseillers municipaux afro-américains et latinos en faisaient la demande depuis plusieurs années.

Un nouveau consensus

Mais la « cancel culture » ne s’en prend pas qu’à des figures historiques. Elle fait aussi des ravages parmi le corps professoral dans les universités, surtout quand les réseaux sociaux font office de porte-voix aux dénonciateurs. Et prend parfois la forme d’une « chasse aux sorcières ». En février, Sandra Sellers, une professeure de l’Université de Georgetown, à Washington DC, a été licenciée pour avoir tenu des propos sur Zoom sans savoir qu’elle était enregistrée. Elle a osé déplorer auprès d’un de ses collègues que les étudiants noirs de sa classe avaient les plus mauvaises notes. Scandale. La pression de ses élèves lui a valu la porte. La « cancel culture » gagne aussi les musées. Un exemple, qui remonte à juillet 2020 : Gary Garrels, directeur du MoMa de San Francisco, se voit contraint de quitter son poste. Son tort ? Avoir osé dire qu’il continuerait à acheter les œuvres

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d’artistes blancs, pour ne pas faire de « discrimination inversée ». L’épidémie atteint également les médias. En juillet 2020 toujours, la chroniqueuse Bari Weiss décide de quitter le New York Times, ne supportant plus les intimidations subies lorsqu’elle se penche sur des thèmes polarisants. Elle préfère partir plutôt que de sentir le vent de la censure. Sur son site, elle dénonce : « Un nouveau consensus est apparu dans la presse, mais peut-être surtout dans ce journal : que la vérité n’est pas un processus de découverte collective, mais une orthodoxie déjà connue de quelques éclairés dont le travail est d’informer tout le monde ». Elle parle de « nouveau maccarthysme ». Désormais, déplore-t-elle, si un article promet de vives réactions à l’interne ou sur les réseaux sociaux, « on évite de le proposer ».

« Dogmatisme et coercition »

Comment dissocier les bienfaits de la « cancel culture » de ses dérapages ? Vouloir résumer le débat à un combat entre « nouvelle gauche », née des mouvements #MeToo et #BlackLivesMatter, et conservateurs réacs serait simpliste. Et aux


« Facile à faire »

L’assassinat de George Floyd par un policier blanc, en 2020, avait suscité une vague internationale d’indignation à l’enseigne de #blacklivematters et de nombreuses manifestations aux Etats-Unis, comme ici à Richmond (Virginie) où la statue du général sudiste Robert Lee a été transformée en monument aux morts noirs victimes de violences raciales. © Sébastien Micke/Paris Match/Scoop

États-Unis, une certaine fatigue prend forme. Des intellectuels libéraux (au sens américain), anti-racistes et acquis aux combats féministes depuis toujours, s’élèvent désormais contre les dérives de mouvements dont ils ont pu se sentir proches, mais qui ont pour effet de disqualifier toute confrontation d’idées sur des thèmes qui dérangent, au nom d’un politiquement correct devenu totalitaire. Ils dénoncent les menaces qui pèsent sur la sacro-sainte liberté d’expression, pilier de la Constitution américaine, et s’inquiètent de voir le débat public s’aseptiser. Fin juin 2020, plus de 150 écrivains, artistes et journalistes, dont de grandes figures de la gauche américaine comme l’avocate féministe Gloria Steinem, qui défend de nombreuses victimes de l’ère #MeToo, ou le linguiste Noam Chomsky, anarcho-syndicaliste réputé, ont signé une lettre ouverte publiée dans le Harper’s Magazine intitulée « Notre résistance à Donald Trump ne doit pas conduire au dogmatisme ou à la coercition ». Ils épinglent l’« atmosphère étouffante » que répandent les menaces et dénonciations induites par la « cancel culture ». « Cette nécessaire prise en compte a aussi renforcé tout un ensemble de postures morales et d’engagements politiques qui risquent d’affaiblir les règles du débat public et l’acceptation des différences au profit d’un conformisme idéologique », dénonce la tribune. « La censure, que l’on s’attendait plutôt à voir surgir du côté de la droite radicale, se répand largement aussi dans notre culture : intolérance à l’égard des opinions divergentes, goût pour l’humiliation publique et l’ostracisme, tendance à dissoudre des questions politiques complexes dans une certitude morale aveuglante. » « Les appels à sanctionner rapidement et sévèrement tout ce qui est perçu comme une transgression langagière et idéologique sont devenus monnaie courante », dénoncent encore les signataires. « Plus inquiétant encore, des dirigeants institutionnels, ne sachant plus où donner de la tête pour limiter les dégâts, optent pour des sanctions hâtives et disproportionnées plutôt que pour des réformes réfléchies. » Tout le problème est là.

En 2019 déjà, l’ancien président démocrate Barack Obama avertissait : « La cancel culture n’est pas de l’activisme . (...) Si tout ce que vous faites, c’est jeter des pierres, vous n’irez probablement pas très loin. C’est facile à faire. Cette idée de pureté, d’absence de compromission, d’éveil politique perpétuel, vous devriez vous en débarrasser rapidement », a-t-il déclaré devant de jeunes leaders, lors d’un événement organisé par sa fondation. Dans une récente tribune publiée dans Newsweek, Samuel Abrams, professeur de sciences politiques au Sarah Lawrence College (New York), insiste sur le caractère paralysant de la « cancel culture ». « Les foules qui s’en prennent aux professeurs sont devenues si banales que ce phénomène a également pétrifié et réduit au silence de nombreux étudiants, des étudiants qui déclarent régulièrement vouloir entendre un ensemble diversifié d’idées mais qui ont peur de s’exprimer (...) », écrit-il. Il évoque une « mentalité tribale » sur les campus, construite autour des appels progressistes à la réforme : « Les étudiants et professeurs qui repoussent ces idées gauchistes sont essentiellement ‘annulés’, ce qui les expose à l’ostracisme, à l’intimidation et à des menaces lourdes de conséquences ». Une dynamique qu’il qualifie de « dangereuse pour la démocratie. » En tombant dans des excès que ses tenants les plus radicaux revendiquent pourtant, au nom des excès de discrimination et d’invisibilisation qu’ils ont si longtemps subis, la « cancel culture » pourrait donc bien donner ses premiers signes d’essoufflement aux États-Unis. Mais on verra encore, sans nul doute, quelques statues se faire déboulonner et des professeurs, metteurs en scène, artistes, écrivains, humoristes, journalistes ou directeurs d’institutions culturelles et universitaires cloués au pilori pour un ancien tweet ou un mot de travers.

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« Le dialogue, c’est l’oxygène de l’art » Hier, un chanteur nu sur une scène d’opéra provoquait un scandale. Aujourd’hui, c’est un chanteur blanc maquillé en noir qui n’est plus toléré. À chaque époque ses tabous. Prochaine Chrysothémis, dans Elektra au Grand Théâtre, Sarah Jakubiak s’était dénudée dans une production créée à Berlin en 2018. Elle examine ces basculements. Par Jean-Jacques Roth

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Originaire du Michigan, diplômée de Yale et de l’Institute of Music de Cleveland, la soprano Sarah Jakubiak se produit aujourd’hui sur les plus grandes scènes, partageant sa vie entre New York et Berlin. Son incarnation dans Das Wunder der Heliane de Korngold, au Deutsche Oper de Berlin, lui a valu un Opus Klassik Award.

a carrière de Sarah Jakubiak est désormais au zénith. La soprano américaine, qui chantera Chrysothémis dans la prochaine production d’Elektra de Richard Strauss, y fera valoir les aigus de lumière et la puissance de jeu qui ont assis sa réputation et lui ont valu, en 2020, un Opus Klassik Award pour sa prestation dans le rôle-titre de l’opéra d’Erich Korngold, Das Wunder der Heliane, à la Deutsche Oper de Berlin. Cette production, dont la première a eu lieu en 2018, a créé le buzz car Sarah Jakubiak s’y dénudait intégralement dans une scène-clé. Sans pour autant provoquer le scandale qu’une telle audace aurait soulevé il n’y a pas si longtemps – et qu’elle soulèverait encore dans des régions moins ouvertes à la modernité scénique que la capitale allemande. Sarah Jakubiak, qui vit entre Berlin et New York et chante sur les deux continents, est donc bien placée pour observer la géographie toujours changeante des tabous dans le domaine lyrique, selon les époques et selon les lieux.

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Lutte contre l’appropriation culturelle, contre la domination blanche et patriarcale : ces mouvements touchent aussi le monde lyrique. Comment les vivez-vous ? Ces mouvements sont plus actifs aux États-Unis qu’en Europe. Je sens une réelle différence entre les deux continents. Personnellement, je n’ai jamais participé à une production remise en question au nom de ces problématiques. Mais il est clair que je fais attention à ce que je dis désormais, y compris pendant les répétitions, comme tous mes collègues. Et c’est dommage. Je comprends tout à fait les préoccupations liées à l’appropriation culturelle, aux combats contre les discriminations, et il est salutaire que les metteurs en scène et les protagonistes d’une production les intègrent dans leurs réflexions. Mais l’espace de répétition devrait rester un espace de recherche et de liberté. La prise en compte de la sensibilité des minorités et la « cancel culture », qui disqualifie et annule, ce sont deux choses différentes. Tout à fait, et il est important d’avoir cette différence en tête. Lorsque la « cancel culture » s’en mêle, c’est la possibilité du dialogue qui disparaît. Si quelqu’un disqualifie l’autre d’office, sans laisser d’espace à la discussion, c’est la mort de l’esprit critique, c’est la mort de l’esprit démocratique. Le dialogue est essentiel à l’art vivant, c’est son oxygène. L’art, ce sont des points d’interrogation, on doit toujours pouvoir en discuter. La capacité de dialogue semble aujourd’hui très mal en point dans votre pays. Oui, la société est très polarisée. Il est devenu difficile de débattre. Je viens du Midwest. Adolescente, j’avais un professeur de littérature anglaise qui, en classe, prenait systématiquement le contre-pied de nos arguments liés à nos lectures. Certains élèves en étaient découragés. Moi j’ai beaucoup appris de cette manière de toujours ouvrir le débat et de nous apprendre ainsi l’art de la controverse, puisque c’était bien sûr le but de ces interventions. Mais aujourd’hui, aux États-Unis, il est devenu très difficile de débattre. La société est trop polarisée.


Le mouvement #MeToo a-t-il apporté quelque chose de positif au monde lyrique ? Encore une fois, ces mouvements sont positifs lorsqu’ils sont intégrés par des metteurs en scène intelligents, qu’ils font partie d’un processus artistiquement légitime. Mais on assiste aussi à des excès. Dans une production, un de mes collègues, d’origine américaine, me prévenait de ce qu’il allait faire avant chaque contact physique avec moi. Je vais te toucher le bras. Je vais t’embrasser. Etc. Il le faisait aux répétitions puis pendant toutes les représentations. Un tel comportement, selon moi, va trop loin. Comment avez-vous accepté la proposition du metteur en scène Christof Loy de vous dénuder complètement dans Das Wunder der Heliane à la Deutsche Oper ? Je lui ai dit que je me sentais plus nue en chantant un contre-ut qu’en me déshabillant ! Je ne plaisante pas : il y a dans le chant une mise à nu émotionnelle qui engage tout votre être, qui révèle vos vulnérabilités de manière bien plus profonde qu’une simple exposition de votre corps.

Et les choses se sont faites tout naturellement : cette mise à nu avait un sens dramaturgique très fort et tout à fait fidèle à l’esprit de l’ouvrage. Y a-t-il des choses que vous refusez de faire par principe sur une scène ? Des tabous personnels ? Non, j’ai toujours envie d’essayer des choses nouvelles, d’apprendre par les idées des autres, les metteurs en scène, les collègues. La seule chose que je n’arrive pas à faire, malgré mes tentatives, c’est chanter la tête en bas !

Comme Sarah Jakubiak l’a fait à Berlin dans Das Wunder der Heliane (sans vouloir que les photos soient diffusées), Karita Mattila avait pris le risque de se dénuder pour la Danse des sept voiles de Salomé dans l’opéra de Richard Strauss mis en scène par Jürgen Flimm au Metropolitan Opera de New York en 2004, signant une performance devenue légendaire. © Don Emmert/AFP

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Au Grand Théâtre de Genève Elektra Du 25 janvier au 6 février 2022

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« Que fais-tu là?, dit le funambule, je savais depuis longtemps que le diable me mettrait le pied en travers. Maintenant il me traîne en enfer : veux-tu l’en empêcher? » « Sur mon honneur, ami, répondit Zarathoustra, tout ce dont tu parles n’existe pas : il n’y a ni diable, ni enfer. Ton âme sera morte plus vite encore que ton corps : ne crains donc plus rien !…» „Was machst du da? sagte er endlich, ich wusste es lange, dass mir der Teufel ein Bein stellen werde. Nun schleppt er mich zur Hölle: willst du’s ihm wehren?“ „Bei meiner Ehre, Freund, antwortete Zarathustra, das gibt es Alles nicht, wovon du sprichst: es gibt keinen Teufel und keine Hölle. Deine Seele wird noch schneller todt sein als dein Leib: fürchte nun Nichts mehr!“ Prologue de Zarathoustra,dans Ainsi parlait Zarathoustra, Friedrich Nietzsche, 1883

SUR LE FIL DU FUNAMBULE N’entendons-nous pas résonner dans la voix d’Elektra cette génération qui demande le sang des statues ? Une génération de funambules, sur le fil entre l’abîme de la reconnaissance et celui de la haine, le fil fin entre les droits et les devoirs de soi et de l’autre ? Et, encore plus lointain, l’écho de la pensée mythique, qui nous rappelle que les statues meurent aussi ?

Par Clara Pons

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Clara Pons est metteuse en scène et réalisatrice. Elle travaille à l’intersection entre texte, musique et image. Parmi ses projets récents, un film sur le cycle Harawi d’Olivier Messiaen (2017) ou Lebenslicht (2019) avec la musique de J.S. Bach portée par Philippe Herreweghe et le Collegium Vocale Gent. Elle est actuellement dramaturge au Grand Théâtre.

De la pensée mythologique au désir mimétique

Néron couronnant la tête de Poppée, Henri VIII décapitant son Anne Boleyn, tant de grandeurs et de crimes qui s’amalgament dans le genre de l’opéra jusqu’au jour où le public, lassé du catalogue mythologique et historique, se languit d’autres rivages, encore inaccessibles, à peine explorés. Non, (hélas) pas ceux de la musique contemporaine et/ou expérimentale mais bien ceux d’un présent de carte postale. En 1863, la musique contemporaine, c’est Georges Bizet et ses Pêcheurs de perles qui gardent les conventions du genre mais les déplacent dans un univers exotique et des paysages clichés, images d’un ailleurs fabriquées par un imaginaire impérialiste bourgeois. Au centre du récit cependant, un triangle amoureux basé sur le désir mimétique. Zurga, l’étranger venu dans la nuit, assimilé et devenu chef de la communauté, sacrifie son amour pour Leïla, celle qui le recueillit alors, à son ami de jeunesse Nadir. Il échange son désir amoureux pour son désir d’intégration. Être « blanchi » et accepté vaut bien le sacrifice.


L’imposante structure d’acier qui accueillera la production d’Elektra au Grand Théâtre conçue par Ulrich Rasche, qu’il a déjà utilisée pour sa mise en scène de la pièce de Hugo von Hofmannstahl au Residenztheater de Munich en 2019. © Thomas Aurin

identitaires qui secouent le monde du dehors, pour laisser la place à un récit hanté par les paradoxes fantomatiques d’une société sourde et cruelle. Car on pourrait en effet voir dans le faux débat de ce qui est regroupé a posteriori sous le terme de « cancel culture » l’utilisation et la récupération de thématiques légitimes dans le but d’aggraver un clivage social présent. Entretenant la confusion entre culture et identité née dans la construction des États nationalistes modernes, la « cancel culture » divise le débat et accentue la fragmentation de la société en communautés identitaires au profit d’un nouvel idéal nationaliste populiste, fictif et souvent passéiste.

Identités meurtrières

Au XIXe siècle, cet achat d’une position sociale paraît en effet essentielle, on pense à Zola et Flaubert. Mais qu’en est-il de la situation d’aujourd’hui? Voit-on encore ce fil invisible du collier que Zurga offrit par reconnaissance à Leïla ?

Du désir mimétique à la culture identitaire

Qu’ont en commun un dépanneur, deux hôtesses de l’air, un restaurant asiatique, une cigale et une fourmi ? Cela paraît plus amusant que ce n’est : la pièce de l’auteur contemporain Roland Schimmelpfennig adaptée pour le compositeur Péter Eötvös balance entre la fable et le quotidien sur un fil que l’on pourrait dire dentaire. Illégal, le jeune commis en cuisine du restaurant asiatique se meurt vidé de son sang après que son collègue lui arrache une dent avec les moyens du bord. Virtuose dans l’écriture, la pièce l’est aussi dans la pratique, dans laquelle chaque chanteur saute d’un personnage à un autre, du serveur chinois à la grand-mère, de la femme enceinte à la femme exploitée, faisant fi sur scène des combats

Loin des communautarismes et de la fragmentation identitaire, Elektra marche elle aussi pourtant sur la corde raide. Elle aussi se retrouve chez Hugo von Hofmannsthal et Richard Strauss à se sacrifier pour mettre fin aux mécanismes de vengeance. Incarnation d’une mémoire accusatrice, prise entre sa volonté de pureté et son incapacité à pardonner, elle se consume dans une danse de mort toute dionysiaque qui ne manque pas de rappeler celle, provocatrice et érotique, de sa prédécesseure Salomé. Incapable de se projeter dans l’avenir, Elektra vit sans vivre. Elle incarne certainement aussi la montée de la barbarie et de la violence dans un monde viennois en déliquescence qui ne faisait que découvrir l’inconscient et regrettait déjà d’avoir ouvert la boîte de Pandore. Mais n’entendons-nous pas résonner dans la voix d’Elektra cette génération qui demande le sang des statues ? Une génération de funambules, sur le fil entre l’abîme de la reconnaissance et celui de la haine, le fin fil entre les droits et les devoirs de soi et de l’autre ? Et, encore plus lointain, l’écho de la pensée mythique, qui nous rappelle que les statues meurent aussi ? Et peut-être plus important : quand les statues sont mortes, elles rentrent dans l’art.* * extrait de Les statues meurent aussi (1953), Alain Resnais et Chris Marker

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A la Comédie de Genève Le Dragon d’or Du 20 au 23 janvier 2022 Au Grand Théâtre de Genève Elektra Du 25 janvier au 6 février 2022 39


rétroviseur

Guerre et paix de Prokoviev dans la mise en scène monumentale de Calixto Bieito et la scénographie de Rebecca Ringst (septembre). © Carole Parodi

Huit Minutes (nous y étions presque), projet collaboratif inédit d’OperaLab créé au Cube de la Head. © Carole Parodi

Aventures et Nouvelles Aventures de Gyorgy Ligeti, donné avec l’Ensemble Contrechamps à la salle du Lignon (septembre). Une expérience immersive pour un public de toute génération. DR

La vie a repris ses droits cet automne sur la scène du Grand Théâtre après l’interruption pandémique. Spectaculaire prologue de saison avec Guerre et Paix de Prokofiev mis en scène par Calixto Bieito, suivi du Couronnement de Poppée de Monteverdi et d’Anna Bolena de Donizetti, alors que le ballet du Grand Théâtre éblouissait avec la reprise de Casse-Noisette dans la chorégraphie Jeroen Verbruggen, un joyau de la compagnie créé en 2014 et qui a fait le tour d’Europe depuis. Sans oublier Huit Minutes, le projet collaboratif d’OperaLab, et Aventures et Nouvelles Aventures de Ligeti, qui ont porté le Grand Théâtre hors ses murs. 40


La soprano Elsa Dreisig a chanté sa première Anna Bolena dans l’opéra éponyme de Donizetti dans une mise en scène de Mariame Clément, premier volet de la trilogie Tudor du compositeur, qui se prolongera les saisons prochaines (octobre-novembre). © Monika Rittershaus

Le sabbat baroque du Casse-Noisette revisité par le chorégraphe belge Jeroen Verbruggen et le Ballet du Grand Théâtre (novembre). © Gregory Batardon

L’éclatante Poppée de Jeanine De Bique dans Le Couronnement de Poppée de Monteverdi dirigé par Ivan Fischer (septembre-octobre). ©  Cornland

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kitchen lyrique

La customisation de la sneaker unisexe de la marque Camper a été confiée à l’artiste Fichtre, alias Mathias Forbach. Né en 1983, à Vevey, diplômé de l’ECAL puis de la HEAD genevoise, Fichtre est un fidèle de l’illustration qu’il module en variant les supports et les textures. DR

Ink-

credible! Stéphane Bonvin, journaliste de mode

Voici la sneaker lancée et créée par le GTG. Urbaine et artisanale. Cool et singulière. Portée par le personnel d’accueil et disponible à la vente. Blanche comme les pages sur lesquelles s’écrivent les histoires incroyables.

DR

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On pense à Serge Gainsbourg, avec ses chaussures Repetto, modèle Zizi qu’il portait sans chaussettes. Et blanches, évidemment. On pense à Mick Jagger, épousant Bianca à Saint-Tropez, en costume Yves Saint Laurent mais chaussé de Converse dont la blancheur n’était plus qu’un souvenir. On pense à Gene Kelly en vacances, pull noué sur les épaules, sourire insouciant palpitant sur pellicule Super 8, et tennis immaculées aux pieds. La chaussure de sport blanche. Son héritage est illustre. Et son présent impérial. Aujourd’hui, s’il fallait garder une pièce de vêtement qui signât à la fois notre époque, son attitude fluide et ses styles infinis, ce serait elle. Venue du sport, récupérée par les premiers rappers new-yorkais dans les années 80, elle est revenue en vogue depuis les années 2010 à la faveur des rééditions Nike ou Adidas. Désormais, la sneaker blanche chausse tout le monde sur tous les continents. Elle habille la graphiste pointue, le jeune skater, son grand-père fan de Nirvana, la collégienne punk en pleine rébellion vestimentaire, le violoncelliste entre deux avions, l’ingénieur normcore, la dogsitter fan de Beyoncé comme les personnages de la série Squid Game. Sans oublier le banquier suisse – oui, certains établissements bancaires autorisent désormais leur personnel à venir travailler en baskets à condition que celles-ci soient immaculées et impeccables. En 2021, la basket immaculée est plus qu’une chaussure.


C’est la pièce blanche du Scrabble. Un support où écrire et afficher ses identités. C’est tout cela, ce melting-pot d’influences urbaines sans castes ni barrières qui peut se lire derrière le fait que le Grand Théâtre ait créé et lancé sa propre sneaker blanche. L’idée que les cultures classiques et contemporaines s’arpentent d’un même pas et se franchissent d’un même élan démocratique. Son nom : Ink-credible – nous verrons bientôt pourquoi. Commençons par zoomer sur l’objet qui chausse le personnel d’accueil et dont un petit nombre sera disponible à l’achat. Le Grand Théâtre a choisi de travailler et de customiser un modèle de sneaker unisexe de la marque Camper, doté une semelle bien ancrée – ce qui lui confère une touche contemporaine. La maison Camper

est née en 1975 d’une cordonnerie familiale. Elle vaut mieux que ses sneakers à picots que l’on voyait partout dans les années 2000. Elle colle à l’air du temps, avec un pas de côté ou d’avance. Son ADN colle aux ateliers de l’opéra de Genève où règne, aussi, la main de l’artisan. Surtout, Camper collabore avec des artistes qui n’ont cessé de renouveler son identité visuelle. La customisation du chausson a été confiée à l’artiste Fichtre, alias Mathias Forbach. Né en 1983, à Vevey, diplômé de l’ECAL puis de la HEAD genevoise, Fichtre est un fidèle de l’illustration qu’il module en variant les supports et les textures. Pour singulariser la basket Ink-credible, en plus du formidable logo du Grand Théâtre placé à l’intérieur de la sneaker, Fichtre a repris un de ses personnages fétiches, une silhouette souvent noire qui l’accompagne depuis l’adolescence un peu comme un jumeau et qu’il module. « On peut y voir une femme ou un homme, un être hors du temps ou totalement contemporain. J’en ai esquissé des dizaines en relation avec les opéras au programme de la saison. Celui qui a été retenu flotte sur une sorte de nuage, ou voyage porté par explosion de couleurs. Il est à la fois hors du temps ou en plein flux contemporain. » Et ce nom, Ink-credible, alors ? Il vient des encres concoctées sur-mesure pour la sneaker. Fichtre et les ateliers du GTG se sont servi des teintures produites à partir du cœur des métiers d’opéra (scène, décors, costumes, tissus) pour créer des encres singulières. Celles-ci ont notamment été utilisées pour customiser les boîtes et les tote bags de l’Ink-credible. Des encres comme des tatouages, en somme, qui rendent visible l’âme de la maison. Aujourd’hui, tout vêtement est un support de récit. La basket plus que toute autre est une pièce où chaque détail parle. Dans ce brouhaha narratif, l’Ink-credible fonctionne comme un manifeste. Celui d’une culture ouverte à toutes, à tous et à tout.

→ Prenez part au Calendrier de l’Avent du Grand Théâtre et tentez de remporter l’une de nos paires de basket GTG édition spéciale illustrée Fichtre. À vous de jouer ! #aventgtg www.gtg.ch/avent 43


mouvement culturel

Helsinki,

sauna culturel

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Avec sa structure de verre, d’acier et de bois d’épicéa finlandais, la bibliothèque Oodi dessinée par le célèbre cabinet d’architecture ALA Architects a été inaugurée en 2018. Conçu dans le cadre d’un programme intitulé « Le cœur battant de la métropole » et destiné à devenir un lieu de rencontre pour les habitants de la capitale, qui l’ont aussitôt adopté, l’édifice abrite, outre la bibliothèque proprement dite, un cinéma, une salle d’exposition, un café, un restaurant, des salles de travail, de musique et de loisirs créatifs. © Helsinki Marketing


La capitale offre un concentré de la passion des Finlandais pour la musique, l’architecture, le design et les arts. Un séjour à Helsinki, c’est la culture à haute température. Par Pauliina Ranta

Née et élevée en Finlande, Pauliina Ranta a habité longtemps Helsinki avant de s’installer en Suisse romande. Journaliste et copywriter, elle retourne régulièrement dans son pays pour prendre le pouls des mouvements culturels qui y bouillonnent, en particulier dans la capitale dont elle connaît les meilleures adresses.

1 • Musique, danse et opéra

Là-bas, Sibelius est honoré comme un héros, les compositeurs et les chefs d’orchestre semblent pousser comme des champignons, et l’opéra peut produire n’importe quel chef-d’œuvre avec des chanteurs du cru. L’incroyable richesse musicale finlandaise ne se résume pas à Helsinki, mais la ville en est bien la capitale, avec ses deux palais : l’Opéra national, construit en 1993 entre la maison Finlandia et le stade olympique, qui présente en moyenne 9 opéras et 15 ballets par saison, et la Maison de la musique, vaste parallélipidède de vitres et de pierres de couleur lichen, construite en 2011 entre la gare centrale et le Parlement. C’est la Cité de la musique dont les Genevois n’ont pas voulu, avec ses 6 salles de concert dont le grand auditorium en gradins qui entourent la scène, comme à la Philharmonie de Berlin. MÄLKKI SUPERSTAR

Deux formations rivalisent, l’Orchestre symphonique de la radio et le Philharmonique d’Helsinki, dirigé par Susanna Mälkki, grande baguette experte en musique contemporaine qui a créé l’été dernier le superbe opéra de sa compatriote, Innocence de Kaija Saariaho. Un séjour dans la ville a donc les allures d’un marathon musical. Avec à suivre, ces prochaines semaines, par l’une ou l’autre des grandes formations : Oedipus Rex de Stravinsky dirigé par le compositeur et chef Esa-Pekka Salonen (15 et 16 déc.), Boulez et Mahler par la jeune comète Klaus Mäkelä, déjà directeur musical de l’Orchestre de Paris à l’âge de 25 ans (22 déc.), une 5e Symphonie de

Bruckner dirigée par une autre gloire finlandaise des podiums, Jukka-Pekka Saraste (12 janvier), puis deux concerts aux mains de Susanna Mälkki, pour les Tableaux d’une exposition de Moussorgski (14 janvier) et la 4e Symphonie de Tchaïkovski (22 février). Maison de la musique, Mannerheimintie 13. musiikkitalo.fi LAC DES CYGNES ET SALOMÉ

À l’opéra, le Ballet national ouvre les célébrations de son centenaire avec une nouvelle chorégraphie du Lac des Cygnes de Tchaïkovski signée David McAllister (dès le 15 janvier). Toujours en début d’année, Hannu Lintu dirige Billy Budd de Britten avec une galaxie de chanteurs finlandais (dès le 28 janvier), puis Christof Loy présente dès le 17 mars sa mise en scène de Salomé de Richard Strauss, dont le rôle-titre sera chanté par Sarah Jakubiak, qui aura auparavant été Chrysothémis dans Elektra du même Strauss sur la scène du Grand Théâtre (lire en pages 36-37). Opéra national, Helsinginkatu 58. Oopperabaletti.fi

2. Tour d’architecture scandinave LE GRAND HÔTEL DE SAARINEN

L’héritage du célèbre architecte Eliel Saarinen est toujours vivant dans la capitale. On lui doit notamment un des bâtiments les plus connus de la ville, la gare principale, pur bijou Art nouveau inauguré en 1919 qui figure parmi les plus belles gares du monde. Elle abritait aussi le siège des VR, les CFF finlandais, désormais transformé en un hôtel de luxe avec son extension moderne, le Scandic Grand Central. Le style Art nouveau édifié par Eliel Saarinen est bien visible dans les éléments de décoration. Vilhonkatu 13, +358 9 68291700, scandichotels.com

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mouvement culturel

ALVAR AALTO

Autre pape de l’architecture finlandaise, Alvar Aalto a notamment édifié la Maison Finlandia en 1962, devenu palais des congrès, dont l’énorme masse de marbre blanc déploie des trésors d’élégance moderniste. On peut aussi visiter la maison qu’il s’était construite en 1936, à la fois atelier et lieu de vie. Riihitie 20, +358 9 481 350, alvaraalto.fi BIBLIOTHÈQUE OODI

Aussi impressionnante que la gare principale et son hôtel, la nouvelle bibliothèque Oodi a été construite en 2018 par le célèbre cabinet d’architecture ALA Architects. Conçue pour être un lieu de rencontre pour tous les citadins, les Helsinkiens ont adopté la bibliothèque et son long gabarit doré. Töölönlahdenkatu 4, +358 9 310 85000, oodihelsinki.fi QUARTIER STYLE ART NOUVEAU

Quand les touristes demandent où se situe la vieille ville de Helsinki, la réponse n’est pas simple. Contrairement à la plupart des villes européennes, Helsinki manque d’un centre historique, d’une vieille ville proprement dite. Pour l’ambiance et la beauté des temps anciens, il faut se diriger au sud du centre ville, où se trouvent les quartiers du style Art nouveau.

L’Opéra national d’Helsinki présente en moyenne 24 spectacles d’opéras et ballets par saison. © Kuvio

L’île de Suomenlinna, avec sa forteresse, est un lieu de promenade à 15 minutes de ferry d’Helsinki, où se tiennent plusieurs manifestations culturelles liées aux anciennes traditions finlandaises. © Arttu Kokkonen/Gouvernement de Suomenlinna

DESIGN MUSEUM

L’hôtel Scandic Grand Central offre un bel exemple du style art nouveau de l’architecte Eliel Saarinen, auteur de la magnifique gare centrale adjacente. DR

3 • De l’art à pleins poumons BILL VIOLA SOUS UN PALAIS DE VERRE

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De l’art partout : ancien et finlandais à l’Ateneum, contemporain au Helsinki Art Museum (expo de l’artiste allemande Katharina Grosse jusqu’au 23 janvier), mais aussi dans le très populaire Amos Rex Museum enterré dans le sous-sol du célèbre « Palais de verre » et de sa

salle de cinéma datés de 1936, où se déploie actuellement une exposition du vidéaste Bill Viola, dont les sublimes images avaient accompagné une légendaire production de Tristan et Isolde de Wagner (jusqu’au 27 février). Helsinki Art Museum, Eteläinen Rautatiekatu 8. hamhelsinki.fi Amos Rex Art Museum, Mannerheimintie 22-24. amosrex.fi

L’entrée du Design Museum, situé au cœur du « design district », dont la collection permanente propose une vue fascinante sur les géants du design finlandais. © Susanna Lönnrot/Helsinki Design

Une belle promenade parmi les quartiers art nouveau permet de profiter à plein des expériences design – sous la forme d’un musée et dans les boutiques du « Design district ». Si vous n’avez du temps que pour un musée, le choix devrait se porter sur Design Museum, bâtiment de style néogothique conçu en 1894 par l’architecte Gustaf Nyström. La collection permanente propose une vue fascinante sur les géants du design finlandais, et la collection temporaire Intimacy couvre l’impact de la disruption digitale sur la mode. Korkeavuorenkatu 23. www.designmuseum.fi


LOKAL

Pour profiter du design finlandais dans le quotidien, passer à Lokal, une galerie et une boutique présentant les triomphes du design scandinave. Il n’y a pas un meilleur endroit pour dénicher les cadeaux finlandais garantis. Galerie : Annankatu 9, Boutique : Aleksanterinkatu 13, +358 44 9821 876, lokalhelsinki.com KAIVARIN KANUUNA

Helsinki n’est pas une mauvaise destination pour les brocantes et les marchés aux puces en général, mais une adresse dépasse les autres : Kaivarin Kanuuna à Kaivopuisto, au bord de la mer au sud du Design District. De la haute couture, des robes de soirée et autres raretés vous attendent. ​​Vuorimiehenkatu 27, +358 400 388 400, kaivarinkanuuna.fi

4 • Le sauna comme nulle part ailleurs

Visiter la Finlande et ne pas faire de sauna – inimaginable ! Même si les saunas traditionnels finlandais sont souvent petits, sombres et assez banals, Helsinki jumelle la tradition au luxe. De la chaleur douce du sauna, une flûte de champagne et la vue sur l’archipel interminable, ça vous tente? LÖYLY

Löyly étend ses terrasses en bois interminables au bord de la mer Baltique au sud de la ville. Mais attention, ce n’est pas qu’un sauna, c’est aussi un restaurant de qualité. À goûter impérativement : la soupe au saumon et saaristolaisleipä – le pain de l’archipel, littéralement traduit –, une délicatesse moelleuse, douce, et inimitablement finlandaise. Hernesaarenranta 4, +358 9 6128 6550, loylyhelsinki.fi

ALLAS SEA POOL

Une autre occasion de profiter de la piscine, des saunas et de la restauration de qualité : Allas Sea Pool, un complexe de piscines extérieures, ouvertes toute l’année à Kauppatori, place du marché d’Helsinki. Profitez de la piscine chauffée, de la piscine à l’eau marine et des saunas avec vue inoubliable sur la mer et l’archipel d’Helsinki. Katajanokanlaituri 2a, +358 40 565 6582, allasseapool.fi

5 • Un ancien abattoir qui dorlote les papilles gustatives

Directs, les Finlandais disent les choses comme elles sont. Ainsi, le rassemblement des restaurants et des boutiques gastronomiques Teurastamo – abattoir en finnois – qui est en effet un ancien abattoir transformé en hub de la gastronomie chic et urbaine. Ne soyez toutefois pas surpris si les gens locaux dînent à l’heure où les autres Européens prennent l’apéro – on mange tôt dans le Nord. B-SMOKERY

Les Finlandais aiment bien fumer leur repas : les poissons, la viande, les fromages… Dans le B-Smokery, la fumée est une forme d’art. Työpajankatu 2, +358 40 777 5959, bsmokery.fi JÄDELINO

Le froid n’arrête ni ne ralentit les Scandinaves qui aiment leur boules de glace même en milieu d’hiver. Jädelino propose une sélection de 60 parfums de glace, fabriqués à l’italienne. Työpajankatu 2, +358 40 350 3773, jadelino.fi

THE HELSINKI DISTILLING COMPANY

Un dernier verre avant de rentrer ? The Helsinki Distilling Company Helsinki Long Drink en vaut la peine. Un tour de distillerie est également disponible sur réservation. Työpajankatu 2a, +358 40 648 4534, hdco.fi

6 • Island hopping sans quitter la ville

Ce qui rend les villes scandinaves vraiment uniques est la proximité de la nature de la ville. Les petites îles devant Helsinki ne sont qu’à quelques minutes de la ville mais présentent un autre monde, calme et apaisant. SUOMENLINNA

La forteresse de Suomenlinna est une île historique, un endroit de pique-nique très populaire populaire mais aussi un quartier résidentiel pour 800 habitants. Un tour de l’île illustre l’histoire finlandaise entre la Suède et la Russie et donne la vie aux anciennes traditions sous la forme de plusieurs événements annuels. Un ferry transporte les visiteurs à l’île en 15 minutes depuis la place du marché. +358 295 338 410, suomenlinna.fi VALLISAARI

Continuez l’excursion historique à l’île voisine, Vallisaari, un parc national ouvert au public depuis 2016. Un lieu à ne pas manquer pour les enthousiastes de randonnée ! Le sentier le plus court (2,5 kilomètres) est accessible à tous ceux souhaitant profiter de la nature nordique unique. +358 40 163 6200, nationalparks.fi/vallisaari

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agenda

2021 se terminera avec Les Pêcheurs de perles de Bizet en mode téléréalité et 2022 commencera dans les sombres déchirements des Atrides, avec Elektra de Richard Strauss. Mais le Grand Théâtre vit de mille autres manières. Il célèbre cette fin d’année avec Julie Fuchs avant de proposer en janvier, en partenariat avec la Comédie, Le dragon d’or de Peter Eötvös.

Afrique subsaharienne, il n’y a que très peu d’artistes de cette partie du monde qui arrivent à faire carrière en musique classique. Pretty Yende est l’une des brillantes exceptions à cette exclusion économique et culturelle de ce qui devrait être l’héritage musical de l’humanité tout entière. Grand Théâtre de Genève 10 février à 20h

JULIE FUCHS EN CONCERT DU NOUVEL AN Avec un timbre clair éclatant et une colorature virtuose, Julie Fuchs s’est imposée comme l’une des chanteuses d’opéra les plus passionnantes de sa génération, éblouissant les publics dans les plus grandes maisons d’opéra et salles de concert du monde. Lauréate de trois Victoires de la Musique (dont celle de l’interprète lyrique de l’année en 2021) et du deuxième prix à Operalia, son répertoire s’étend de la musique baroque à la musique contemporaine, avec une emphase sur Mozart et les héroïnes du bel canto. Rossini, Mozart et Händel tiendront le haut de son programme pour franchir le pas de la nouvelle année en compagnie de l’Orchestre de chambre de Bâle dirigé par Riccardo Minasi. Grand Théâtre de Genève 31 décembre à 20h

LE DRAGON D’OR Le Dragon d’Or est un poème polyphonique sur la comédie humaine et l’inévitable catastrophe qui l’attend. De la salle à la cuisine d’un restaurant asiatique éponyme, en passant par les étages de l’immeuble et leurs occupants, l’ouvrage de Roland Schimmelpfennig, mis en musique par le grand compositeur Péter Eötvös, invente un langage insolite qui dresse le tableau d’un monde occidental banalement cruel. Une coproduction, donnée hors murs, qui sert de prélude à un mini-festival autour du compositeur hongrois. Comédie de Genève

Par Karin Kotsoglou

20 janvier à 20h, 21 janvier à 20h30, 22 janvier à 18h30, 23 janvier à 15h30

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PRETTY YENDE Après le succès retentissant de son récital en live-stream en 2021, nous espérons que cette fois sera la bonne et que la jeune belcantiste pourra être vue en présentiel par son public toujours plus enthousiaste et nombreux. Pretty Yende nous prépare quelques surprises, susceptibles de faire battre les semelles ou claquer les doigts, avec au piano Michele d’Elia. Malgré la richesse du talent musical et la noblesse des traditions vocales en

MON PREMIER RÉCITAL Julien, le ténor tête en l’air, arrive en retard pour le récital qu’il doit donner au Grand Théâtre avec Jean-Paul, le pianiste pointilleux. Mais ce n’est pas sa faute : une marmotte malicieuse lui a volé sa voiture ! Le récit de sa drôle d’aventure est-il vrai, est-il un mensonge ? Peu importe, car il nous permet avant tout de nous balader ensemble à travers les mélodies de Schumann, Schubert et Beethoven, depuis le bord du lac jusqu’au château du Roi de la forêt. Foyer du Grand Théâtre de Genève 10 janvier à 17h, 12 janvier à 15h, 15 janvier à 10h et 15h

VOUS PRENDREZ BIEN UN APÉROPÉRA Une tranche de vie, une tranche de rire, une tranche de musique : voici le canapé qui accompagnera notre apéro urbain. Venez siroter votre vermouth ou spritz en compagnie de drôles de personnages. L’occasion de (re)découvrir un·e composit·eur·rice, une œuvre, une thématique sous un angle frais et contemporain loin de l’énumération des dates historiques. Un format riche en anecdotes d’hier et surtout d’aujourd’hui. L’occasion en plus d’entendre un·e soliste ou l’autre, dans un répertoire cousin de la production ! Foyer du Grand Théâtre 20 janvier à 18h30 autour d’Elektra 17 février à 18h30 autour d’Atys

DUEL #2 Dans la pénombre de la salle, deux personnalités, deux opinions s’affrontent. Les grands penseurs et les plus grands courants de pensée actuelle viennent nous convaincre de la situation intenable et de leur contraire sur les sujets les plus brûlants du moment : intelligence artificielle, révolution biologique, migrations économiques, collectifs individualistes, guerres d’irréligions, arts asociaux et sociétés abêties, autant de sujets qui mettent le feu au lac. De quoi aiguiser les couteaux… L’occasion pour le Grand Théâtre d’explorer le monde contemporain et de s’ancrer dans le débat citoyen et les affaires actuelles. Grande Scène du Grand Théâtre 3 février à 20h


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