Exposition nuit catalogue

Comme si le ciel embrassait doucement la terre Nuit noire – nuit lumineuse

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Table des matières

Introduction

1 Le manteau de l'invisible 2 Nuit de sommeil et de rêves 3 Nuit des inquiétudes

et angoisses

4 Le pouvoir de la nuit 5 L'espace de quête 6 Le ciel et la terre

deviennent un

6 – 7.

8 – 15.

16 – 24.

24 – 33.

34 – 41.

42 – 49.

50 – 87.

Antiquité grecque

54 – 55.

Hindouisme

56 – 59.

Boudhisme

60 – 61.

Judaïsme

62 – 65.

Christianisme

66 – 73.

Islam

74 – 77.

La foi bahá’íe

78 – 81.

Croyances populaires

82 – 87.

7 Fragilité de la nuit

88 – 95.

Nuit noire – nuit lumineuse

Comme si le ciel embrassait doucement la terre

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Nuits Nuit blanche, nuit bleue, nuit d’amour, nuit de feu, nuit noire, nuit des revenants et des morts-vivants, nuit de folie, nuit de chien, nuit de Gethsémani, nuit de mai, nuit de Musset, nuit de Walpurgis, nuit de la Saint Jean, nuit de la Saint Barthélémy, nuit d’encre, voyage au bout de la nuit, nuit de Chine, nuit de noces, nuit de tous les chats gris, nuit de cristal et des longs couteaux, nuit obscure, nuit des temps et belles nuits, douce nuit, la nuit des rois, nuit du destin, nuit d’été de Berlioz et nuit transfigurée de Schönberg, nuit des ours et des hibernants, nuit sur terre, nuit et brouillard, nuit du chasseur solitaire, nuit du loup, nuit des assassins, la notte d’Antonioni, nights in white satin, nuit qui porte conseil, nuit de pleine lune, nuit talismanique, vol de nuit, nuits saintGeorges, nuit américaine, petite musique de nuit, nocturnes de Fauré, de Chopin, de Mozart, reine de la nuit, tendre est la nuit... nuit magique, nuit étoilée, nuit infinie, nuit ésotérique, nuit exotique, nuit cauchemardesque, la grande nuit, nuit des barricades, nuit de liesse, nuit des Molières, oiseau de nuit, les noctambules, travail de nuit, veilleur de nuit, nuit totalitaire, mille et une nuit...

C’est au cœur des ténèbres que l’homme voit le mieux les étoiles.

La Nature 1836, Ralph Waldo Emerson (1803. 1882)

http://romantis.free.fr/ Musset/html/lesnuits.html consulté le 5.4.2014

Nuit de pleine lune C’était comme si le ciel, avait doucement embrassé la terre, comme si, dans la clarté des fleurs, elle ne pouvait rêver que de lui.

L’air passait à travers champs, Les blés ondoyaient gracieusement, Les forêts bruissaient paisiblement, la nuit était claire d’étoiles.

Et mon âme étendait largement ses ailes, Volait au - dessus des campagnes calmes, comme si elle revenait chez elle.

Josef von Eichendorff 1788-1857

Nuit de Musset Poème Nuit de mai (extrait) Pourquoi mon cœur bat-il si vite?

Qu’ai-je donc en moi qui s’agite Dont je me sens épouvanté?

Ne frappe-t-on pas à ma porte?

Pourquoi ma lampe à demi-morte M’éblouit - elle de clarté?

Dieu puissant! tout mon corps frissonne.

Qui vient? qui m’appelle? - Personne.

Je suis seul; c’est l’heure qui sonne ; Ô solitude! ô pauvreté!

Alfred Musset 1810-1857 1

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1. Le manteau de l'invisible

Nuit noire à nuit lumineuse

Comme si le ciel embrassait doucement la terre

Le manteau de l’invisible

Le manteau de l’invisible introduction à la poésie du cosmos Le cosmos du grec ancien veut dire parure, ordre. Dans une perception poétique, le ciel nocturne apparaît comme l’écriture des dieux et en la contemplant, le ciel et la terre semblent rétablir une cohérence perdue.

L’astronomie est la plus ancienne des sciences. C’est par elle que l’exploration du monde commence. En contemplant le ciel nocturne, on voit l’histoire de l’univers comme un livre ouvert. Jadis les humains ont cherché à comprendre le monde et à se comprendre euxmêmes. Pour eux le monde était un tout, donc forcément les astres avaient de l’importance.

Que vivons-nous en contemplant les étoiles?

A quelles réalités nous renvoient-elles?

Quelles questions cela suscite-t-il en nous?

Des millions d’années nous séparent d’elles mais leur lumière est comme un pont à travers l’espace et le temps, tel le messager d’un temps passé2. Nous observons non seulement un espace mais également le temps. Les étoiles paraissent si loin et en même temps, même si nous savons qu’elles le sont, nous pouvons percevoir leur influence sur notre vie.

Hubert Reeves, dans son livre, L’univers expliqué à mes petits-enfants raconte que, s’il n’y avait pas eu des étoiles dans le ciel avant notre naissance, nous n’existerions tout simplement pas.

Notre corps est constitué d’atomes qui sont nés dans les étoiles. C’est grâce à la température intérieure des étoiles qui atteint des millions de degrés que les réactions nucléaires nécessaires à la création de nouveaux atomes peuvent se produire. Ces nouveaux atomes s’accumulent au centre de l’étoile et à sa mort, ils se dispersent dans l’espace. Les atomes constituent notre planète avant de constituer toutes les formes de vie qui vont y apparaître, jusqu’aux êtres humains. On peut dire alors que les lumières dans le ciel préparent les éléments qui composent le corps humain ainsi que les nutriments dont nous nous nourrissons. Nous sommes littéralement faits de poussières d’étoiles, des atomes qui ont été expulsés dans l’univers.

Après notre mort, ces atomes retournent à la terre, d’où ils seront réutilisés pour constituer d’autres êtres vivants. Nous voyons par-là que ces étoiles que nous regardons dans la nuit ne sont nullement étrangères à notre vie. Au contraire, elles nous parlent de l’origine de nousmêmes... C’est une perspective passionnante!

Eine Hand voll Sternenstaub.

Was das Universun über das Glück des Daseins erzählt.

Lorenz Marti, Kreuz Verlag

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Le manteau de l’invisible

Félix Vallotton Clair de lune 1894, Paris

Nuit noire à nuit lumineuse

Comme si le ciel embrassait doucement la terre

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Les récits de création à travers les cultures et les religions 3 Toutes les cultures et religions ont leur récit de la création du monde et de toute vie. Ces histoires traduisent les réflexions des humains sur les grandes questions que chacun porte en soi : D’où venons-nous? Pourquoi vivons - nous? Quelle est notre place dans le monde? La création estelle bonne ou mauvaise? 4 Palestine Ancien Testament Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre. La Terre était informe et vide ; il y avait des ténèbres à la surface de l’abîme, et le souffle de Dieu se mouvait au-dessus des eaux.

Dieu dit : Que la lumière soit! Et la lumière fut. Dieu vit que la lumière était bonne ; et Dieu sépara la lumière d’avec les ténèbres. Dieu appela la lumière jour, et il appela les ténèbres nuit. Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin: ce fut le premier jour. Dieu dit : « Qu’il y ait un firmament au milieu des eaux et qu’il sépare les eaux d’avec les eaux ! » Dieu fit le firmament et il sépara les eaux inférieures au firmament d’avec les eaux supérieures. Il en fut ainsi. Dieu appela le firmament « ciel ». Il y eut un soir, il y eut un matin, deuxième jour. [...] Dieu dit qu’il y ait des luminaires au firmament du ciel pour séparer le jour de la nuit, qu’ils servent de signes tant pour les fêtes que pour les jours et les années, et qu’ils servent de luminaires au firmament du ciel pour illuminer la terre. » Il en fut ainsi. Dieu fit deux grands luminaires, le grand luminaire pour présider au jour, le petit pour présider à la nuit, et les étoiles Dieu les établit dans le firmament du ciel pour illuminer la terre, pour présider au jour et à la nuit et séparer la lumière de la ténèbre. Dieu vit que cela était bon. Il y eut un soit, il y eut un matin : quatrième jour. [...]

Genèse, Moïse I, 1-8 et 14-19 (en entier : Genèse 1,1-31 )

La Mésopotamie La Création du monde vue par les Sumériens Pendant que le dieu An crée le ciel, que Enlil fonde la terre, que le ciel et la terre sont séparés, que l’humanité voit le jour, Enki, le Roi de l’océan, du lointain vogue vers la terre.

Et Enki dit : « Je suis le fils de An. An m’a confié la loi.

Je veille sur les origines du ciel et de la terre.

Je suis le père des pays. Je suis l’oreille des pays.

Je fais régner la justice avec mon père An. » Et Enki dit: « Je surplombais le ciel.

Là apparut la pluie. Je m’inclinais vers la terre.

Là apparut l’eau, fluide.

Et tout se mit à verdir et à bourgeonner.

J’ai créé la charrue. J’ai ouvert les sillons.

J’ai semé les graines dans le champ. »

Le manteau de l’invisible

Die Schöpfungsmythen der Menschheit.

Düsseldorf : Patmos 2004

La Grèce La cosmogonie en Grèce antique Au début régnait Chaos et l’espace était fait de vide. Puis, il y eut Gaia, l’ancêtre de la terre. Ensuite vint Tartaros, l’abîme et Eros, la force de l’amour : Eros l’éternel. De Chaos

vint Erèbe et la noire Nuit. Et de Nuit, à son tour sortirent Ether et Lumière. Gaia enfanta le ciel (Ouranos) et développa la terre.

Ainsi fut créé le monde. Le ciel et la terre avaient une charpente solide, la mer se jetait sur la rive de la terre. Toutes sortes de créatures peuplaient la terre ; les poissons s’ébattaient dans les vagues, les oiseaux dans le ciel et des animaux de toutes les espèces se pressaient sur le sol d’un pas agile.

Mais manquait encore à cette création celui qui dominerait de son esprit ce large monde.

Alors, Prométhée arriva sur terre.

Il prit de l’argile et façonna un modèle à l’image des dieux.

Il enferma dans sa poitrine les attributs du bien comme du mal, ceux que l’on trouve dans l’âme de chaque créature vivant sur cette terre.

Ainsi forma-t-il l’âme humaine. La déesse Athéna, son amie céleste, admirant l’œuvre de Prométhée, insuffla la vie aux humains et leur donna l’esprit.

Die Schöpfungsmythen der Menschenheit.

Düsseldorf : Patmos 2004

Les Indiens L’hymne des origines selon le Rig Veda Il n’y avait alors ni le non-être ni l’être.

Il n’y avait ni air, ni firmament.

Qui portait le monde? Qu’englobait-il?

Qu’était l’eau sans fond et impénétrable?

Il n’y avait ni mort ni vie, il n’y avait alors aucune manifestation de la nuit et du jour.

Puis, l’existence apparut.

Le Un fut. Le souffle apparut.

Au tout début, les ténèbres recouvraient le monde.

Cette étendue indistincte était tout.

Là vint la vie, un grain, un germe, nés du pouvoir de l’ardeur.

Au début se développa une sorte de désir, qui fut le tout premier germe de la pensée.

Cherchant avec sagesse au plus profond d’eux-mêmes, les visionnaires découvrirent le lien entre le manifeste et le non manifeste.

Il y eut un Haut. Il y eut un Bas, séparés par un cordon.

En bas était l’Instinct, en haut la Grâce.

Les visionnaires lièrent l’être et le néant, Ainsi naquirent les premières choses.

Rig Veda X, 129 Die Schöpfungsmythen der Menschenheit.

Düsseldorf: Patmos 2004

Le manteau de l’invisible

http://www.bibliomedia.ch/fr/ offres/offres_bibliotheques/ documents/expo_mythes.pdf consulté le 13.2.2016 (Die Schöpfungsmythen der Menschenheit. Düsseldorf: Patmos 2004)

3

Création- Aux sources de la vie et du monde. ENBIRO Enseignement biblique romand, p. 16

4

Nuit noire – nuit lumineuse

Comme si le ciel embrassait doucement la terre

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Scandinavie La chanson du commencement dans les civilisations nordiques Dans les temps anciens, vint Ymir le géant du froid et de la glace.

Le monde n’existait pas encore, Il n’y avait ni ciel, ni terre.

Puis, la terre se souleva et Midgard, le pays des hommes, apparut.

Dans le ciel apparut Asgard, le monde des dieux.

Du sud vint le soleil.

Tout le monde sentit sa chaleur.

Ainsi, le pays des hommes devint vert.

Les dieux, les Ases, tinrent conseil, et se rassemblèrent autour la chaise du juge Odin.

Ils donnèrent des noms à la nuit et au jour, au matin et au midi, à l’aube et au crépuscule afin de mesurer le temps.

Ensuite, les Ases façonnèrent les hommes.

De Ask, la cendre, ils firent l’homme.

De Embla, l’orme, naquit la femme.

Mais il manquait encore à l’homme et la femme la chaleur de la vie.

Il leur manquait aussi une âme.

Le dieu Lodur leur insuffla la vie.

Le dieu Hömir leur donna une âme.

Die Schöpfungsmythen der Menschenheit.

Düsseldorf: Patmos 2004

Le Brésil Comment le soleil et la lune apparurent sur terre Au commencement, il y avait Mavutsinim, le grand esprit.

Il était seul: personne n’habitait avec lui. Il n’avait ni femme ni enfants.

A cette époque, il n’y avait ni soleil, ni lune, ni jour, ni nuit.

Fatigué de cette solitude, Mavutsinim fit apparaître une femme à l’intérieur d’une moule et l’épousa. lls eurent des enfants dont deux fils, l’un aux cheveux clairs, l’autre aux cheveux foncés.

Le ténébreux s’appelait Kuat, le soleil, et le blond Lae, la lune.

Ils apportèrent le jour et la nuit sur la terre.

Mavutsinim réveilla la vie sur la terre.

Comme il vit que les hommes pleuraient leurs morts, il alla dans la forêt, y coupa du bois dans lequel il fit Kuarup la substance, qui ressuscite le mort à la vie.

Cependant, quelques Indiens devinrent désobéissants et suivirent le grand esprit pour l’épier à son insu dans la forêt.

Cela mit Mavutsinim très en colère et depuis, il empêcha pour toujours les morts de revenir à la vie.

Le manteau de l’invisible

Märchen und Mythen der brasilianischen Indianer.

Freiburg: B à goller 1990

La Chine La création du monde par le Yin et le Yang Avant la séparation du ciel et de la terre régnaient le chaos, le vide, l’obscurité et les profondeurs insolubles de l’océan primitif.

Du chaos sortit l’œuf originel, l’œuf de l’univers.

Dans cet œuf dormait P’an Ku, le premier être vivant.

Son sommeil dura dix-huit mille ans.

P’an Ku finit par s’éveiller et brisa la coquille de l’oeuf.

Les éléments de la coquille volèrent en éclats à travers l’espace.

Les plus légers et les plus purs, le Yang, volèrent vers le haut, tandis que ceux qui étaient plus lourds, le Yin, tombèrent et créèrent la terre.

Le Yang représentait le ciel clair. Le Yin représentait la terre sombre.

P’an Ku s’étendait comme pilier sans fin du sol aux confins du ciel.

Epuisé par son labeur, il s’allongea sur la terre et mourut.

Son corps immense se métamorphosa alors.

De son corps naquit la terre. Sa respiration devint le vent et les nuages.

Sa voix donna naissance au rugissement du tonnerre. De son œil gauche brillait le soleil et de son œil droit scintillait la lune. De son corps naquirent les cinq pics sacrés, demeure des dieux. De ses larmes apparurent les fleuves, de ses veines, les routes et les chemins. De sa chair poussèrent les arbres. Ses poils furent l’herbe et les fleurs.

Ses cheveux représentèrent les étoiles.

Des parasites, punaises, puces et morpions qu’il portaient sur lui naquit le genre humain et les diverses peuplades constituant le monde.

Légende de P’an Ku

C. Flammarion, Universum, Paris 1888, Colored Heliocentric Panorama

2. Nuit de sommeil et de rĂŞves

Nuit noire – nuit lumineuse

Comme si le ciel embrassait doucement la terre

18 Nuit de sommeil et de rêves

Je crois que j’ai dormi parce que je me suis réveillé avec des étoiles sur le visage.

L’Étranger 1942, Albert Camus (1913-1960)

Introduction Depuis toujours les mères chantent à leurs enfants des berceuses ou leur racontent des histoires pour les entourer d’un espace protecteur qui leurs permet de s’endormir paisiblement. On veut leur donner confiance avant que l’obscurité transforme le contour des choses pour les rendre vivantes et menaçantes.

Le rêve est une seconde vie. Je n’ai pu percer sans frémir ces portes d’ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible.

Gérard de Nerval (1808-1855)

Une fois endormi le dormeur ou la dormeuse commence alors son voyage à travers des paysages de rêves, il ou elle rencontre des pensées et des désirs qu’en état de pleine conscience il ou elle n’aurait pas pu admettre. C’est un voyage comparable à des fouilles où l’on enlève la terre couche après couche. Lorsque nous dormons, nous plongeons dans la nuit du monde, un monde où il n’y a plus ni espace ni temps, un monde de l’infini. De cet abîme nocturne surgissent des représentations, des images de rêve qui disparaissent aussitôt.

Le sommeil et les rêves nous conduisent ainsi à la nuit que nous sommes ( l’inconnu soupçonné de notre for intérieur )1.

Le rêve, sous la protection du sommeil, se nourrit de scènes

quotidiennes qui prennent d’autres formes dans la nuit ce qui les dé-familiarisent. Le passé et le présent se mélangent et des éléments centraux perdent leur intensité et sont transposés ailleurs. Les structures hiérarchiques du jour se confondent dans le rêve mais regagnent leur place au réveil.

L’oubli des images nocturnes va éliminer des parties du rêve et rendre sa poursuite impossible. Selon Freud, l’interprétation des rêves est comme une balade nocturne, dont le but est de reconstruire les plus anciennes et les plus sombres phases du début de l’humanité. On pourrait comparer le voilement du rêve au manteau noir de Nyx qui exprime qu’il est inutile de vouloir le comprendre en état éveillé car il restera toujours une part obscure avec ses ombres et ses voiles qui défigurent2.

Le réveil est impératif pour sortir de la proximité indifférenciée des images et de la nuit, de la confusion de l’image et de l’horizon nocturne de l’esprit3.

Le rêve fait partie de l’être humain dès son enfance Dans le noir, on ouvre les sens comme « La Belle au bois dormant ».

Jacqueline Kelen

Quel parent n’a pas dû faire face aux terreurs nocturnes de son enfant? Le consoler après un cauchemar ou regarder sous son lit, pour lui assurer qu’il n’y a pas de monstre tapi dans l’ombre?

Nuit de someil et de rêves

Les rêves ne sont pourtant pas l’apanage de l’enfance, au contraire, nous rêvons tous. Même si nous ne nous en souvenons pas forcément, nos rêves occupent le vingt pour-cent de nos nuits, soit environ une heure et demie chaque nuit. Nous rêvons toute la nuit, mais nos plus longs rêves se déroulent durant une des phases de notre sommeil, appelée le sommeil paradoxal.

Celui-ci est caractérisé par une activité de notre cortex cérébral similaire à celle de l’éveil, des secousses musculaires et des mouvements rapides des globes oculaires que l’on appelle des « rapid eye movement » (REM). Les scientifiques ne savent pas exactement pourquoi nous rêvons. Une des hypothèses suppose qu’ils nous aident à trier des informations emmagasinées pendant l’éveil.

C’est un phénomène qui nous échappe complètement. Nous rêvons malgré nous, c’est comme si un autre en nous créait des scènes dans lesquelles nous pouvons cependant découvrir une voie de connaissance et de développement de nous-mêmes.

Les psychanalystes Freud et Jung ont largement écrit sur la question des rêves et de leur interprétation. Pour Freud, les rêves expriment les émotions et les pulsions que nous refoulons dans notre inconscient. Leur interprétation est la voie royale de la psychothérapie freudienne. Jung va découvrir à côté de notre inconscient individuel, un inconscient collectif peuplé de symboles communs à toute l’humanité, les archétypes. Les rêves donnent en effet des informations importantes sur les différents traits de notre personnalité.

Moins connues sont les techniques qui peuvent nous amener à être des rêveurs lucides.

Des capacités répertoriés par Patricia Garfield dans son livre : La Créativité onirique, du rêve ordinaire au rêve lucide.4 Elle écrit : Nous pouvons construire dans notre monde onirique des images amicales qui nous prêteront assistance, non seulement dans nos rêves, mais aussi dans la vie éveillée. Pour nous fournir des solutions à nos problèmes et matière à création.

La personne qui devient consciente de son état de rêve et qui arrive à maintenir cette conscience- une tâche difficile mais qui peut être apprise- est à même de réaliser dans ces rêves les désirs les plus chers à son cœur. Elle peut « consciemment » décider de faire l’amour avec le (ou la) partenaire de son choix, voyager jusqu’en de lointains pays, s’entretenir à sa guise avec n’importe quel personnage, réel ou imaginaire, mort ou vivant ; elle peut résoudre les problèmes de sa vie éveillée ou bien élaborer des œuvres artistiques.5 Le rêve dans les différentes cultures Le sommeil c’est l’oraison de quiétude, un signe d’abandon total à Dieu, on y reçoit des enseignements.

Thérèse de Avila (1515-1582)

Plusieurs civilisations ou ethnies ont développé des techniques pour utiliser les rêves.

C’est le cas dans la Grèce antique entre le VIe siècle av.

J.-C. et le Ve après, où l’on estime qu’il y avait plus de 300 temples dédiés au dieu Esculape, le dieu de la santé. Les personnes malades y allaient dans l’espoir que le dieu leur apparaîtrait en rêve et leur donnerait les conseils dont ils avaient

Cf: http://leportique.revues. org/173 Georges Leyenberger, « Pensée, parole et nuit(s) », Le Portique [En ligne], 9 | 2002, mis en ligne le 08 mars 2005, consulté le 14 mai 2016, p.10

1

Tiefer als der Tag gedacht Elisabeth Bronfen, Hanser Verlag, p. 201A

2

Op. cit.: http://leportique. revues.org/173

3

Patricia Garfield, La créativité onirique, La Table ronde, Paris, 1983, p.16

4

Ibidem, p.27

5

Artémidore d’Ephèse, au IIe siècle, à développé La clef des songes, un volume impressionnant qui ne comporte pas moins de trois mille rêves6 à son œuvre condense tout le savoir antique sur la divination par le rêve et servira durant des siècles d’ouvrage de référence sur la question.

Macrobe ( né vers 370 à env. 430 ) détecte cinq catégories de rêves : le songe proprement dit, la vision, l’oracle, le rêve et le spectre ( il s’agit du moment où l’on va céder à l’influence des vapeurs somnifères, entre l’éveil et le sommeil )7 Pour les Platoniciens et Stoïciens, l’âme, pendant que le corps est assoupi, vagabonde dans d’autres mondes d’où elle peut rapporter des images, des musiques ou des renseignements...8 Les Amérindiens accordaient une grande importance à leurs rêves, censés leur indiquer à quelles fonctions ils pouvaient prétendre dans leur tribu. Ainsi à la puberté, le garçon doit s’isoler du village où il attendra son grand rêve. Il mange à peine, l’état de jeûne favorisant sa venue. Il attend qu’un protecteur, si possible puissant comme un animal, un oiseau, la lune ou le soleil le visite et lui indique une marche à suivre codifiée. Selon la fonction qui sera la sienne, il sait exactement ce qu’il devra attendre. D’autres moments étaient également

soumis aux rêves comme l’organisation d’une expédition, dont les moindres détails devront y être révélés. Une attaque contre les ennemis était soumise aux rêves et les postulants devaient prouver par leur rêve qu’ils étaient dignes d’y participer. Souvent, ils recevaient leurs danses, leurs chants ou les motifs dont étaient décorés leurs objets par des rêves.

Les Senoï forment une grande tribu vivant dans la jungle de la Malaisie. C’est leur journée entière qui est conditionnée par leurs rêves. La plus importante question pour eux est : « Qu’as-tu rêvé cette nuit ? » Pendant tout le moment du petit déjeuner, chacun va partager ses rêves avec les autres. Les enfants aussi, dès qu’ils savent s’exprimer, sont invités à participer et sont félicités pour ce qu’ils partagent. Les parents leur donnent des conseils pour agir au mieux selon ce qui leur arrive dans leurs rêves. Il y a trois grandes règles : affronter le danger et vaincre son ennemi pour s’en faire un ami, rechercher le plaisir et faire en sorte que le rêve aboutisse à une issue positive. Puis une partie de la famille va au conseil du village où certains rêves jugés important seront partagés et discutés dans le but d’en tirer des enseignements et des décisions à prendre pour la vie communautaire. Toutes les productions artistiques de la journée sont inspirées par les rêves de la nuit.

Dans les histoires de Mille et Une Nuits, Schéhérazade doit raccourcir les heures d’insomnie du roi. Elle introduit une clarté enchanteresse et charmante dans la nuit par ses histoires magnifiques. En les arrangeant de telle façon qu’au

Nuit de someil et de rêves

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Nuit noire – nuit lumineuse

Comme si le ciel embrassait doucement la terre

besoin pour guérir. A l’origine, ces consultations avaient pour but de soigner la stérilité ou l’impuissance d’où le recours des prostituées sacrées. Puis les demandes d’aide se sont diversifiées.

Cf.: http://ekladata. com/-XILMkIBX4zdXaJJwIFzN7UQk4M/cledessonges.pdf consulté le 16.5.2016

6

Cf.: http://remacle.org/ bloodwolf/erudits/macrobe/ scipion1.htm consulté le 16.6.2016

7

La Nuit Jacqueline Kelen, Editions La Renaissance du Livre 2005, p.91

8

petit matin les contes se terminent au moment le plus prenant pour tenir le roi en haleine ; celui-ci est ainsi amené à la décision de ne pas la tuer ce qui était le sort malheureux des autres femmes avant elle. La joie de leur veillée commune à travers les mille et une nuits l’a finalement dissuadé de ses pensées de vengeance et de mort. Le pouvoir de la narration savante lui a rendu la confiance perdue.9

Nuit de someil et de rêves

Dans la Bible- que ce soit le Premier ou le Second Testament- les récits de rêves offrent des séquences d’images symboliques qui vont changer le cours de l’histoire du rêveur.

Le temps du sommeil est alors un temps d’accueil et d’un éveil particulier : l’humain devient réceptif. Les rêves- contrairement à ce que dit la psychanalyse- ne sont pas des productions des humains mais ils adviennent pour qu’ils soient reçus, offerts, interprétés.10 Ces songes célèbres dans la Bible sont prémonitoires. L’être humain qui les reçoit, doit ouvrir son âme à la transcendance et à l’alliance qui lui sont offertes par cette voie. Par les songes il y a l’intrusion de l’au-delà. Dieu s’adresse à ses élu-e-s, les guide et les instruit ou leur donne ce que leur cœur désire. Ce désir exaucé est par exemple décrit dans le rêve de Salomon ( 1 Rois 3 : 4-15 ) : il souhaite en dialoguant dans son songe avec Dieu, « un cœur intelligent pour juger son peuple et pour discerner entre le bien et le mal ». Le songe de Jacob ( Gn 28, 11-19 ) met en scène son élection et son alliance, l’échelle céleste est le porte-voix divin à l’opposé de la rêverie et de l’illusion. C’est la révélation d’une présence divine insoupçonnée. Elle ouvre à quelque chose de plus grand, aux

vérités essentielles. Joseph ( Genèse 37, 40-41 et 46 ), « l’homme aux songes », retrouve sa dignité grâce à sa capacité d’écoute et d’ouverture à l’espace immense du langage divin par les songes. Le songe de Nabuchodonosor, roi de Babylone, ( Daniel 2,31-35 ) lui décrit toute sa splendeur pulvérisée, annonçant la fin de son règne. Joseph le charpentier est mis au courant dans son rêve de ce qui arrivera à sa fiancée Marie ( Mt 1, 21 ).

Les mages sont prévenus par un songe de prendre un autre chemin de retour, ainsi que Joseph ( Mt 2, 12 ) est averti de devoir fuir le pays pour aller se réfugier dans le pays voisin.

Vers la fin de l’Evangile de Matthieu, un rêve important révèle à la femme de Ponce-Pilate ( Mt 27. 19 ) l’innocence de cet homme, Jésus, arrêté dans la nuit comme malfaiteur.11 Le sommeil – un royaume de liberté ou comment faire la paix avec soi-même « La nuit quand je dors, mon corps s’envole comme un oiseau qui regagne la forêt...

Po Kiu-yi

Pour nous aussi, nos rêves sont souvent des cadeaux que nous nous faisons à nous-mêmes. Ils nous laissent des questionnements ouverts : Comment ma vie s’articule-t-elle ? Quelles sont mes orientations ? » La première étape est d’en prendre conscience et de nous donner les moyens de nous en souvenir. Il existe maintes techniques pour cela et Patricia Garfield dans son livre décrit celles

Tiefer als der Tag gedacht Elisabeth Bronfen, Hanser Verlag, p. 248

9

Das Weihnachten der Dichter Karl-Josef Kuschel, Patmos Verlag 2004, p. 18

10

La Nuit Jacqueline Kelen, Editions La Renaissance du Livre 2005, p.103

11

Nuit noire – nuit lumineuse

Comme si le ciel embrassait doucement la terre

22 Nuit de someil et de rêves

qu’elle a utilisées. Nos rêves ont des messages à nous transmettre. Ils nous révèlent des aspects inconnus de nous-mêmes que nous pouvons intégrer dans notre vie diurne et qui vont élargir notre champ de conscience. En apprenant à interagir activement avec eux, « nous pouvons développer notre personnalité, enrichir la société et donner le jour aux merveilles qui sommeillent en nous » 12 Les nuits blanches13 L’absence de sommeil est en quelque sorte un seuil dans l’attente de connaître le contenu de ce qui adviendra en dormant à il est habité par la force du souvenir et de la créativité à des désirs et des angoisses les plus intimes surviennent alors dans un langage codé pareil aux rêves même si l’insomniaque n’est pas protégé par le sommeil y L’état entre deux mondes peut être douloureux voire savoureux, les sens étant dans une attente aiguë à l’état d’insomnie atteint un haut degré de concentration pour ce qui est du déroulement du temps et de l’intensité de l’espace contrairement à ce qui se passe pendant la journée avec la distraction par la présence d’autres personnes et les affairements à dans la nuit, en état d’éveil, l’on se sent absolument seul avec ses expériences physiques, coupé des personnes endormies à nu, unique et sans protection, on est livré à l’obscurité et conduit à son propre for intérieur à on comprend alors le caractère éphémère des choses, du quotidien à en revanche les pensées du jour trouvent de la profondeur dans la nuit à ne pas dormir veut dire : se poser des questions qui ne trouvent pas de réponses.

Du côté artistique Le rêve, ses mécanismes, l’univers qu’il fait surgir, ses significations possibles, ont fasciné, bien avant les interprétations qu’en a faites la psychanalyse au XIXe siècle, les penseurs, médecins et artistes de la Renaissance. Ils ne tentent pas de peindre leurs propre rêves, mais de montrer l’ambivalence du monde onirique, ses pouvoirs de révélation ou de nuisance- selon qu’ils nous mettent, d’après eux, en contact avec le divin ou avec les forces du Malin.

Ces artistes ont aussi repoussé les frontières de l’art en se confrontant à ce défi : peindre l’irreprésentable, qu’il s’agisse de ce dédoublement de l’âme, de ce moment où passé, présent et avenir se confondent et où les morts, comme les nonencore-nés, rejoignent les vivants, ou des merveilles convoquées par le songe. Le recours à l’allégorie, fréquent à la Renaissance, procède comme le rêve de manière détournée et énigmatique, en ce sens qu’elle signifie une chose en en figurant une autre. Le rêve est d’emblée associé, ici, à la nuit.

Comme dans l’ Allégorie de la nuit (1543-1544) de Battista Dossi, où une dormeuse est environnée d’un paysage nocturne peuplé de monstres- la nuit, écrivait Ovide, est mère des Furies.14 Au loin, des maisons en flammes symbolisent elles aussi le contenu mystérieux et menaçant de certains rêves.

Mais il ne faut pas pour autant cantonner le rêve à l’obscurité et au danger : tel le hibou qui nous regarde, l’âme y veille, et les yeux de la rêveuse, sous leurs paupières closes, sont tournés vers une autre lumière, d’autres réalités. Libérée des servitudes du corps, l’âme en « vacance », comme l’écri-

vait Marsile Ficin, peut s’élever vers le divin. Le rêve peut être fertile et inspirer l’artiste, le héros ou le saint, comme en témoignent les nombreux thèmes mythologiques ou bibliques explorés par un grand nombre d’artistes.15

Patricia Garfield, La créativité onirique, La Table ronde, Paris, 1983, p.218

12

Tiefer als der Tag gedacht Elisabeth Bronfen, Hanser Verlag, p. 243 et p. 252

13

Premier Livre des Fastes, Ovide

14

Cf.: http://museeduluxembourg.fr/parcours/la-renaissance-et-le-reve-0?nid=469 consulté le 22.2.16 et http://wodka.over-blog. com/2016/01/la-nuit-en-peinture.html: La Nuit en peinture- W O D K A consulté le 22.2.16

15

Ferdinand Hodler Die Nacht 1889-1890, Bern

3. Nuit des inquiĂŠtudes et angoisses

Nuit noire à nuit lumineuse

Comme si le ciel embrassait doucement la terre

26 Nuit des inquiétudes et angoisses

A chaque coucher de soleil le monde clair et contrasté du jour et avec lui la pensée raisonnée se dissuadent dans les flots de l’obscurité.

Elisabeth Bronfen1

La nuit réveille des angoisses profondes, indéterminées et confuses. Cette crainte de l’obscurité se trouve dans toutes les cultures. Aujourd’hui encore, malgré la lumière électrique, la peur du noir déborde toute raison! Chaque société a créé et entretient les figures mythiques de la nuit aux allures et aux mœurs effrayantes : revenants, fantômes, chauve-souris, sorcières et vampires, loups garous, et bien d’autres.

Dans l’obscurité resurgit la pensée magique de l’enfance refoulée et surmontée puisque le principe de réalité de la vie adulte l’exige. Le façonnage de l’effrayant se trouve entre l’inconnu et le familier, ce qui est représenté dans la pensée mythique de l’Antiquité grecque par la divinité Nyx. Les images effrayantes réveillées par l’obscurité sont souvent liées au chaos, au déclin et à la mort et ce qu’ils ont d’insaisissables. Elles sont aussi liées à un répertoire de représentations mythiques transmises depuis la nuit des temps. Dans la mort, le début et la fin d’une vie se réunissent. En pensant à la mort, le souvenir enfoui du premier séjour dans le ventre maternel- de l’enfant en gestation- est réveillé dans l’inconscient. Le début, ainsi que la fin de la vie sont soumis à un état de nuit. Déjà par sa théogonie, Hésiode cherche à expliquer cette corrélation entre la figure de Thanatos, qui symbolise la mort, et sa mère Nyx, la mère archaïque. Thanatos vit avec elle dans la zone où se

rencontrent l’origine et la fin de la vie, là où se trouve le porteur du monde, l’Atlas, là, où aucun rayon de soleil ne pénètre.2 Les histoires mythiques se racontent non pour répondre à des questions mais pour surmonter l’angoisse suscitée par ce qui est méconnu, ce qui n’a pas été nommé. Ces mythes permettent de nommer l’inconnu. La nuit perd son côté menaçant en racontant comment la nuit a perdu son pouvoir par la victoire de la lumière.3 Nommer ce qui est incertain, nommer ce qui a perdu les contours et qui fait peur, lutter avec les forces insoupçonnées – voilà les traces que l’on peut trouver dans les récits fondateurs et mythiques qui mettent en scène une expérience humaine forte, un défi face auquel les héros ont pu trouver de nouvelles forces de vie pour surmonter les angoisses, apprivoiser la nuit et arriver au jour.

La soleille Amaterasu (Mythologie japonaise) Dans le mythe japonais traditionnel, la peur du noir est traduite par l’histoire de la déesse du soleil. Selon la cosmologie Shintô, elle est née de l’œil gauche d’Izanagi. Elle est si brillante que son père l’envoie au ciel d’où elle répand les bienfaits sur la terre. Mais son plus jeune frère Susanoo se montre toujours très provocateur à son encontre.

Un jour il saccage son jardin fleuri et s’oppose à sa puissance sacrée. Alors elle décide de se cacher dans une caverne.

Elle ferme soigneusement l’entrée d’une lourde pierre et à ce moment-là l’univers est plongé dans l’obscurité et le chaos.

Toutes les divinités se réunissent près de l’entrée de la caverne pour discuter du moyen de la faire sortir. Ils décident d’organiser une grande fête. Ama No Uzume, la déesse de la Gaieté, commence à chanter et à danser sensuellement sur un baquet renversé. Comme elle tourbillonne, ses vêtements virevoltent amplement ce qui dévoile ses jambes et sa poitrine. Les quelque huit millions de divinités assemblées devant l’entrée de la grotte se mettent à rire.

Surprise d’entendre tant de cris et de gaieté, Amaterasu jette un coup d’œil hors de la caverne. Elle sort de plus en plus pour voir ce qui se passe. Elle réalise un peu trop tard qu’elle est en train de quitter sa caverne et alors toute l’assistance la supplie de ne plus jamais se cacher. Elle obtient en contrepartie que son frère Susanoo soit banni.4 Le dieu aux yeux de soleil et de lune ( Mythologie égyptienne ) On raconte que les anciens Egyptiens n’aimaient pas la nuit, craignant que la lumière ne revienne plus le matin. Leurs mythes reflétaient alors le souci que l’ordre du monde soit équilibré pour éviter le chaos. Comme dans de nombreuses autres civilisations, l’empire du mal et du chaos est représenté par le serpent, le dieu Apophis, l’antithèse du soleil. Dans une bataille quotidienne le dieu-soleil Rê devait se libérer chaque matin temporairement. Il pouvait alors prendre sa place pour parcourir le ciel sur la « barque de millions d’années ».

Jamais la victoire de l’un ou de l’autre de ces deux adversaires ne pouvait être définitive car cela aurait rompu l’équilibre entre

Hitchcock Psychose (Janet Leigh)

les forces du bien et du mal et le monde retournerait immédiatement au chaos.

La nuit le dieu-soleil ne dormait pas. Il devait naviguer dans une barque sacrée et traverser le Nil souterrain où il y avait douze portes, une pour chaque heure de la nuit ( la nuit durait de 5h du soir à 5h du matin ). En franchissant ces portes, il s’agissait de déjouer les pièges des forces du chaos qui essayaient de renverser la barque du dieu-soleil. Chaque matin le dieu Rê renaissait, représenté par le lever du soleil. En même temps l’aurore était considérée comme la renaissance du monde et le signe que le dieu Rê avait triomphé des forces du chaos durant son périple. Ainsi le peuple égyptien pouvait se libérer de sa peur jusqu’à la tombée du jour.

A travers le temps et les époques, Horus est apparu progressivement, assimilé à Rê. Peu à peu il est détaché de Rê et devient un dieu à part entière : le fils d’Isis et d’Osiris à la tête de faucon. Son nom signifie « le Lointain », en référence au vol majestueux du rapace. Il est appelé à devenir la manifestation du pouvoir solaire sur terre, celle du pharaon sur l’Egypte. En tant que divinité cosmique, ses deux yeux représentent le soleil et la lune.5 La nomination chasse les ténèbres Selon la Bible c’est la parole divine qui donne sa vitalité à toutes les créatures. Or elle habite les réalités cosmiques et naturelles ( le jour, la nuit, le ciel, la terre et la mer ) de façon très forte puisque Dieu s’empresse de les nommer à peine émergent-elles du tohu bohu originaire. Cette nomination,

Tiefer als der Tag gedacht Elisabeth Bronfen, Hanser Verlag, p.265

1

Ibid. p. 132 et cf.: https://de. wikipedia.org/wiki/Thanatos_%28Mythologie%29 consulté le 7 mai 2016

2

Elisabeth Bronfen, op. cit. p. 14

3

Cf.: http://mythologica.fr/ japon/amaterasu.htm consulté le 18.5.2016

4

Cf.: https://fr.wikipedia.org/ wiki/Mythologie_%C3%A9gyptienne consulté le 21.2.2016

5

Nuit noire – nuit lumineuse

Comme si le ciel embrassait doucement la terre

28 Nuit des inquiétudes et angoisses

pour ce qui concerne la nuit et le jour, se fait de façon consécutive et solidaire : la première dépend du second, mais le second ne s’impose pas sans la première. L’alliance qui se dessine là, entre ces réalités cosmiques, est même la première de toutes, elle conditionne les autres possibilités d’alliance entre les vivants.6 La partie nuit dans l’être humain7 Le Romantisme a développé la figure mythique de Nyx dans la peinture comme dans les écrits poétiques et philosophiques, par exemple ceux de Johann Jakob Bachofen ( 18151887 ). Il cherche à redonner à la maternité ses droits puisqu’elle a été subjuguée par le patriarcat. Selon lui, la maternité est égale à la nuit, par contre la paternité ainsi que le jour correspondent tous les deux au principe de la lumière. Avec le jour, l’obscurité maternelle est vaincue. Mais dans l’âme de l’être humain sont à jamais gravées les traces de cette nuit primaire et abyssale, malgré la victoire du patriarcat. C’est comparable aux images floues que laisse la nuit au matin du nouveau jour.

Les représentations picturales du Romantisme ont donné à l’allégorie de la nuit un beau corps féminin. Le monde maternel, obscur et censuré, composé de rêves, d’imagination, de créativité et de passions reçoit une nouvelle place. La nuit n’est dès lors plus en retrait mais représentée comme une transition nécessaire8. Elle est un symbole du pouvoir féminin qui recouvre toute la beauté et tout l’effroyable, qui donne vie et lumière et qui se les réapproprie par la suite. Elle est une figure féminine qui protège de son manteau foncé ses deux

enfants, le sommeil et la mort qu’elle tient dans ses bras.

Le retour de la nuit dans le Romantisme Le Romantisme à développé la figure mythique de Nyx dans la peinture comme dans les écrits poétiques et philosophiques, par exemple ceux de Johann Jakob Bachofen ( 18151887 ) à il cherche à redonner à la maternité ses droits puisqu’elle. été subjuguée par le patriarcat à selon lui, la maternité est égale à la nuit, par contre la paternité ainsi que le jour correspondent tous les deux au principe de la lumière à avec le jour, l’obscurité maternelle est vaincue à mais dans l’âme de l’être humain sont à jamais gravées les traces de cette nuit primaire et abyssale, malgré la victoire du patriarcat à c’est comparable aux images floues que laisse la nuit au matin du nouveau jour.

Les représentations picturales du Romantisme ont donné à l’allégorie de la nuit un beau corps féminin à le monde maternel, obscur et censuré, composé de rêves, d’imagination, de créativité et de passions reçoit une nouvelle place à la nuit n’est dès lors plus en retrait mais représentée comme une transition nécessaire à elle est un symbole du pouvoir féminin qui recouvre toute la beauté et tout l’effroyable, qui donne vie et lumière et qui se les réapproprie par la suite à elle est une figure féminine qui protège de son manteau foncé ses deux enfants, le sommeil et la mort qu’elle tient dans ses bras.

Une traversée nocturne d’un autre ordre9 Traverser la nuit, au prix d’une lutte à l’issue incertaine, s’impose en effet à quiconque espère atteindre une aube précieuse et décisive à cette thèse à une portée anthropologique et spirituelle dans les récits mythiques de l’Antiquité, par exemple dans la culture égyptienne, voire ci-dessus, ou grecque, dans la Bible ou dans bien d’autres récits qui ont influencé également les contes de divers cultures à il s’agira de l’établir pour mieux déterminer comment et pourquoi, maintenant encore, cette thèse concerne chacun-e lors de ses propres combats avec la nuit.

Arnold Böcklin Die Toteninsel 1880, NY

Cette traversée échoue souvent car aucune lueur ne se dessine quand la nuit s’épaissit et ressemble, à s’y méprendre, à la brutalité muette de l’obscurité originaire : les êtres humains risquent alors de s’y perdre ou de s’y disloquer à la nuit de la nuit dont tant de personnes et de peuples font l’expérience, sur le plan existentiel, quand ils se trouvent broyés par le malheur et la haine, mais aussi sur le plan intellectuel et spirituel, quand ils errent dans une neutralité angoissante, n’a en effet rien à envier aux ténèbres à cette épreuve suscite l’effroi chez tous ceux qu’elle atteint à on sait qu’elle prend, au XXIe siècle encore, une allure particulièrement chaotique, pour diverses raisons. élucider à l’une d’elles, lointaine héritière d’une affirmation devenue, sans même qu’on le remarque, pur mot de passe incantatoire, paresseux et cruel, ou poncif privé de pensée, à savoir « la mort de Dieu », à des conséquences particulièrement graves à la nuit de la nuit qu’elle induit ressemble fréquemment au triomphe d’un nihilisme, paradoxalement très pesant à malgré sa force et sa raideur parfois, la nuque des hommes risque de plier sous ce poids et d’entraîner, dans sa soumission, d’impressionnantes détresses.10

La nuit, le jour au diapason de la Création Catherine Chalier, Editions Seuil, p. 16

6

Tiefer als der Tag gedacht Elisabeth Bronfen, Hanser Verlag, p. 97 et 121

7

Tiefer als der Tag gedacht Elisabeth Bronfen, Hanser Verlag p. 155 et p. 436

8

La nuit, le jour au diapason de la Création Catherine Chalier, Editions Seuil, introduction p. 19

9

Ibid. p. 20

10

Nuit noire à nuit lumineuse

Comme si le ciel embrassait doucement la terre

30 Nuit des inquiétudes et angoisses

http://feeclochette.chez.com/ Grimm/peur.htm; consulté le 25.9.2016

11

Histoire de celui qui s’en alla apprendre la peur11 Conte des Frères Grimm Un père avait deux fils ; mais si l’aîné était capable et intelligent, sachant fort bien se débrouiller en tout, le cadet, en revanche était stupide, et ne comprenait rien, n’apprenait rien, et tous les gens qui le voyaient disaient : « Celui-là, quel fardeau pour son père ! » Quand il y avait la moindre chose à faire, c’était toujours à l’aîné qui s’en chargeait ; mais quand son père l’envoyait vers le soir lui chercher quelque chose ou bien en pleine nuit, su le chemin passait le long du cimetière ou de quelque autre lieu inquiétant, il lui répondait carrément : « Oh non! père, je n’irai pas, j’ai le poil qui se hérisse! » Et en effet, il était très peureux.

Quand, à la veillée devant le feu, on racontait des histoires à donner la chair de poule, ceux qui les entendaient disaient parfois : « Ça me donne le frisson! » Le plus jeune des fils, lui, assis dans son coin, écoutait et n’arrivait pas à comprendre ce que cela voulait dire. « Ils disent toujours : «ça me donne la chair de poule! ça me fait frissonner! » Moi, jamais! Sans doute est-ce encore là un art à quoi je ne comprends rien. » Il arriva qu’un jour son père lui dit : - Écoute voir, toi, là dans ton coin! Tu deviens grand et fort.

Il est temps que tu apprennes à gagner ton pain. Tu vois comme ton frère se donne du mal. Mais avec toi, tout ce qu’on fait c’est peine perdue.

- Eh! père, répondit-il, j’apprendrais bien volontiers. Si c’était possible, je voudrais apprendre à frissonner. C’est une chose que j’ignore totalement.

L’aîné, en l’entendant, pouffa de rire en se disant : « Seigneur Dieu! quel crétin que mon frère! Il ne fera jamais rien de sa vie. » Le père réfléchit et dit : - Tu apprendras bien un jour à avoir peur. Mais ce n’est pas comme ça que tu gagneras ton pain.

Peu de temps après, le bedeau vint en visite à la maison. Le père lui conta sa peine et lui expliqua combien son fils était peu doué en toutes choses.

- Pensez voir! Quand je lui ai demandé comment il ferait pour gagner son pain, il a dit qu’il voulait apprendre à frissonner!

- Si ce n’est que ça, répondit le bedeau, je le lui apprendrai.

Confiez-le-moi.

Le père était content ; il se disait : « On va le dégourdir un peu. » Le bedeau l’amena donc chez lui et lui confia la tâche de sonner les cloches. Au bout de quelque temps, son maître le réveilla à minuit et lui demanda de se lever et de monter au clocher pour carillonner. « Tu vas voir ce que c’est que d’avoir peur », songeait-il. Il quitta secrètement la maison et quand le garçon fut arrivé en haut du clocher, comme il s’apprêtait à saisir les cordes, il vit dans l’escalier, en dessous de lui, une forme toute blanche.

- Qui va là? cria-t-il.

L’apparition ne répondit pas, ne bougea pas.

- Réponds! cria le jeune homme. Ou bien décampe! Tu n’as rien à faire ici!

Le bedeau ne bougeait toujours pas. Il voulait que le jeune homme le prit pour un fantôme. Pour la deuxième fois, celui-ci cria : - Que viens-tu faire ici? Parle si tu es honnête homme. Sinon je te jette au bas de l’escalier.

Le bedeau pensa : «Il n’en fera rien. « Il ne répondit pas et resta sans bouger. Comme s’il était de pierre. Alors le garçon l’avertit pour la troisième fois et comme le fantôme ne répondait toujours pas, il prit son élan et le précipita dans l’escalier. L’apparition dégringola d’une dizaine de marches et resta là allongée.

Le garçon fit sonner les cloches, rentra à la maison, se coucha sans souffler mot et s’endormit.

La femme du bedeau attendit longtemps son mari. Mais il ne revenait pas. Finalement, elle prit peur, réveilla le jeune homme et lui demanda : - Sais-tu où est resté mon mari? Il est monté avant toi au clocher.

Nuit des inquiétudes et angoisses

- Non, répondit-il, je ne sais pas. Mais il y avait quelqu’un dans l’escalier et comme cette personne ne répondait pas à mes questions et ne voulait pas s’en aller, je l’ai prise pour un coquin et l’ai jetée au bas du clocher.

Allez-y, vous verrez bien si c’était votre mari.

Je le regretterais.

La femme s’en fut en courant et découvrit son mari gémissant dans un coin, une jambe cassée.

Elle le ramena à la maison, puis se rendit en poussant de grands cris chez le père du jeune homme : - Votre garçon a fait des malheurs, lui dit-elle.

Il a jeté mon mari au bas de l’escalier, où il s’est cassé une jambe. Débarrassez notre maison de ce vaurien!

Le père était bien inquiet. Il alla chercher son fils et lui dit : - Quelles sont ces façons, mécréant!

C’est le diable qui te les inspire!

- Écoutez-moi, père, répondit-il. Je suis totalement innocent. Il se tenait là, dans la nuit, comme quelqu’un qui médite un mauvais coup.

Je ne savais pas qui c’était et, par trois fois, je lui ai demandé de répondre ou de partir.

- Ah! dit le père, tu ne me feras que des misères.

Disparais!

- Volontiers, père. Attendez seulement qu’il fasse jour. Je voyagerai pour apprendre à frissonner.

Comme ça, je saurai au moins faire quelque chose pour gagner mon pain.

- Apprends ce que tu veux, dit le père. Ça m’est égal! Voici cinquante talents, va par le monde et surtout ne dis à personne d’où tu viens et qui est ton père.

- Qu’il en soit fait selon votre volonté, père. Si c’est là tout ce que vous exigez, je m’y tiendrai sans peine.

Quand vint le jour, le jeune homme empocha les cinquante talents et prit la route en se disant : « Si seulement j’avais peur! si seulement je frissonnais! »Arrive un homme qui entend les paroles que le garçon se disait à lui-même. Un peu plus loin, à un endroit d’où l’on apercevait des gibets, il lui dit : - Tu vois cet arbre? Il y en a sept qui s’y sont mariés avec la fille du cordier et qui maintenant prennent des leçons de vol. Assieds-toi là et attends que tombe la nuit. Tu sauras ce que c’est que de frissonner.

- Si c’est aussi facile que ça, répondit le garçon, c’est comme si c’était déjà fait. Si j’apprends si vite à frissonner, je te donnerai mes cinquante talents.

Tu n’as qu’à revenir ici demain matin.

Le jeune homme s’installa sous la potence et attendit que vînt le soir. Et comme il avait froid, il alluma du feu. À minuit le vent était devenu si glacial que, malgré le feu, il ne parvenait pas à se réchauffer. Et les pendus s’entrechoquaient en s’agitant de-ci, de-là. Il pensa : « Moi, ici, près du feu, je gèle. Comme ils doivent avoir froid et frissonner, ceux qui sont là-haut! » Et, comme il les prenait en pitié, il appliqua l’échelle contre le gibet, l’escalada, décrocha les pendus les uns après les autres et les descendit tous les sept. Il attisa le feu, souffla sur les braises et disposa les pendus tout autour pour les réchauffer. Comme ils ne bougeaient pas et que les flammes venaient lécher leurs vêtements, il dit : - Faites donc attention! Sinon je vais vous re-

pendre là-haut!

Les morts, cependant, n’entendaient rien, se taisaient et laissaient brûler leurs loques. Le garçon finit par se mettre en colère.

- Si vous ne faites pas attention, dit-il, je n’y puis rien! je n’ai pas envie de brûler avec vous.

Et, l’un après l’autre, il les raccrocha au gibet. Il se coucha près du feu et s’endormit. Le lendemain, l’homme s’en vint et lui réclama les cinquante talents : - Alors, sais-tu maintenant ce que c’est que d’avoir le frisson? lui dit-il.

- Non, répondit le garçon. D’où le saurais-je? Ceux qui sont là-haut n’ont pas ouvert la bouche, et ils sont si bêtes qu’ils ont laissé brûler les quelques hardes qu’ils ont sur le dos.

L’homme comprit qu’il n’obtiendrait pas les cinquante talents ce jour-là et s’en alla en disant : « Je n’ai jamais vu un être comme celui-là! » Le jeune homme reprit également sa route et se dit à nouveau, parlant à haute voix .

- Ah! si seulement j’avais peur! Si seulement je savais frissonner!

Un cocher qui marchait derrière lui l’entendit et demanda : - Qui es-tu?

- Je ne sais pas, répondit le garçon.

Le cocher reprit : - D’où viens-tu?

- Je ne sais pas, rétorqua le jeune homme.

- Qui est ton père?

- Je n’ai pas le droit de le dire.

- Que marmonnes-tu sans cesse dans ta barbe?

- Eh! répondit le garçon, je voudrais frissonner. Mais personne ne peut me dire comment j’y arriverai.

- Cesse de dire des bêtises! reprit le cocher. Viens avec moi!

Le jeune homme accompagna donc le cocher et, le soir, ils arrivèrent à une auberge avec l’intention d’y passer la nuit.

En entrant dans sa chambre, le garçon répéta à haute et intelligible voix : - Si seulement j’avais peur! Si seulement je savais frissonner!

L’aubergiste l’entendit et dit en riant : - Si vraiment ça te fait plaisir, tu en auras sûrement l’occasion chez moi.

- Tais-toi donc! dit sa femme. À être curieux, plus d’un a déjà perdu la vie , et ce serait vraiment dommage pour ses jolis yeux s’ils ne devaient plus jamais voir la lumière du jour.

Mais le garçon répondit : - Même s’il fallait en arriver là, je veux apprendre à frissonner.

C’est d’ailleurs pour ça que je voyage.

Il ne laissa à l’aubergiste ni trêve ni repos jusqu’à ce qu’il lui dévoilât son secret. Non loin de là, se trouvait un château maudit, dans lequel il pourrait certainement apprendre ce que c’était que d’avoir peur, en y passant seulement trois nuits. Le roi avait promis sa fille en mariage à qui tenterait l’expérience et cette fille était la plus belle qu’on eût jamais vue sous le soleil. Il y avait aussi au château de grands trésors gardés par de mauvais génies dont la libération pourrait rendre un pauvre très riche. Bien des gens étaient déjà entrés au château, mais personne n’en était jamais ressorti. Le lendemain, le jeune homme se rendit auprès du roi : - Si vous le permettez, je voudrais bien passer trois nuits dans le château.

Le roi l’examina, et comme il lui plaisait, il répondit : - Tu peux me demander trois choses. Mais aucune d’elles ne saurait être animée et tu pourras les emporter avec toi au château.

Le garçon lui dit alors : - Eh bien! je vous demande du feu, un tour et un banc de ciseleur avec un couteau.

Le jour même, le roi fit porter tout cela au château. À la tom-

Nuit noire à nuit lumineuse

Comme si le ciel embrassait doucement la terre

32 Nuit des inquiétudes et angoisses

bée de la nuit, le jeune homme s’y rendit, alluma un grand feu dans une chambre, installa le tabouret avec le couteau tout à côté et s’assit sur le tour.

- Ah! si seulement je pouvais frissonner! dit-il.

Mais ce n’est pas encore ici que je saurai ce que c’est.

Vers minuit, il entreprit de ranimer son feu. Et comme il soufflait dessus, une voix retentit tout à coup dans un coin de la chambre : - Hou, miaou, comme nous avons froid!

- Bande de fous! s’écria-t-il. Pourquoi hurlez-vous comme ça? Si vous avez froid, venez ici, asseyez-vous près du feu et réchauffez-vous! À peine eut-il prononcé ces paroles que deux gros chats noirs, d’un bond formidable, sautèrent vers lui et s’installèrent de part et d’autre du garçon en le regardant d’un air sauvage avec leurs yeux de braise. Quelque temps après, s’étant réchauffés, ils dirent : - Si nous jouions aux cartes, camarade?

- Pourquoi pas! répondit-il, mais montrez-moi d’abord vos pattes.

Les chats sortirent leurs griffes.

- Holà! dit-il. Que vos ongles sont longs! attendez! il faut d’abord que je vous les coupe.

Il les prit par la peau du dos, les posa sur l’étau et leur y coinça les pattes.

- J’ai vu vos doigts, dit-il, j’en ai perdu l’envie de jouer aux cartes.

Il les tua et les jeta par la fenêtre dans l’eau d’un étang . À peine s’en était-il ainsi débarrassé que de tous les coins et recoins sortirent des chats et des chiens, tous noirs, tirant des chaînes rougies au feu.

Il y en avait tant et tant qu’il ne pouvait leur échapper.

Ils criaient affreusement, dispersaient les brandons du foyer, piétinaient le feu, essayaient de l’éteindre.

Tranquillement, le garçon les regarda faire un moment. Quand il en eut assez, il prit le couteau de ciseleur et dit : - Déguerpissez, canailles!

Et il se mit à leur taper dessus. Une partie des assaillants s’enfuit ; il tua les autres et les jeta dans l’étang. Puis il revint près du feu, le ranima en soufflant sur les braises et se réchauffa. Bientôt, il sentit ses yeux se fermer et eut envie de dormir. Il regarda autour de lui et vit un grand lit, dans un coin.

- Voilà ce qu’il me faut, dit-il.

Et il se coucha. Comme il allait s’endormir, le lit se mit de lui-même à se déplacer et à le promener par tout le château.

- Très bien! dit-il. Plus vite!

Le lit partit derechef comme si une demi-douzaine de chevaux y étaient attelés, passant les portes, montant et descendant les escaliers. Et tout à coup, il versa sens dessus dessous hop! et le garçon se retrouva par terre avec comme une montagne par-dessus lui. Il se débarrassa des couvertures et des oreillers, se faufila de dessous le lit et dit : - Que ceux qui veulent se promener se promènent.

Et il se coucha auprès du feu et dormit jusqu’au matin.

Le lendemain, le roi s’en vint au château. Quand il vit le garçon étendu sur le sol, il pensa que les fantômes l’avaient tué. Il murmura : - Quel dommage pour un si bel homme!

Le garçon l’entendit, se leva, et dit : - Je n’en suis pas encore là!

Le roi s’étonna, se réjouit et lui demanda com-

ment les choses s’étaient passées.

- Très bien. Voilà une nuit d’écoulée, les autres se passeront bien aussi.

Quand il arriva chez l’aubergiste, celui-ci ouvrit de grands yeux.

- Je n’aurais jamais pensé, dit-il, que je te reverrais vivant.

As- tu enfin appris à frissonner?

- Non! répondit-il ; tout reste sans effet. Si seulement quelqu’un pouvait me dire comment faire!

Pour la deuxième nuit, il se rendit à nouveau au château, s’assit auprès du feu et reprit sa vieille chanson : « Ah! si seulement je pouvais frissonner. » À minuit on entendit des bruits étranges. D’abord doucement, puis toujours plus fort, puis après un court silence, un grand cri. Et la moitié d’un homme arrivant par la cheminée tomba devant lui.

- Holà! cria-t-il. Il en manqua une moitié. Ça ne suffit pas comme ça!

Le vacarme reprit. On tempêtait, on criait. Et la seconde moitié tomba à son tour de la cheminée.

- Attends, dit le garçon ; je vais d’abord ranimer le feu pour toi.

Quand il l’eut fait, il regarda à nouveau autour de lui : les deux moitiés s’étaient rassemblées et un homme d’affreuse mine s’était assis à la place qu’occupait le jeune homme auparavant.

- Ce n’est pas ce que nous avions convenu, dit-il.

Ce tour est à moi!

L’homme voulut l’empêcher de s’y asseoir mais il ne s’en laissa pas conter. Il le repoussa avec violence et reprit sa place.

Beaucoup d’autres hommes se mirent alors à dégringoler de la cheminée les uns après les autres et ils apportaient neuf tibias et neuf têtes de mort avec lesquels ils se mirent à jouer aux quilles. Le garçon eut envie d’en faire autant.

- Dites, pourrais-je jouer aussi?

- Oui, si tu as de l’argent.

- J’en ai bien assez, répondit-il ; mais vos boules ne sont pas rondes.

Il prit les têtes de mort, s’installa à son tour et en fit de vraies boules.

- Comme ça elles rouleront mieux, dit-il. En avant! on va rire!

Il joua et perdit un peu de son argent. Quand sonna une heure, tout avait disparu. Au matin, le roi vint aux renseignements.

- Que t’est-il arrivé cette fois-ci? demanda-t-il.

- J’ai joué aux quilles, répondit le garçon, et j’ai perdu quelques deniers.

- Tu n’as donc pas eu peur?

- Eh! non! dit-il, je me suis amusé! Si seulement je savais frissonner!

La troisième nuit, il s’assit à nouveau sur son tour et dit tristement : - Si seulement je pouvais frissonner!

Quand il commença à se faire tard, six hommes immenses entrèrent dans la pièce portant un cercueil.

- Hi! Hi! Hi! dit le garçon, voilà sûrement mon petit cousin qui est mort il y a quelques jours seulement.

Du doigt, il fit signe au cercueil et s’écria : - Viens, petit cousin, viens!

Les hommes posèrent la bière sur le sol ; il s’en approcha et souleva le couvercle. Un mort y était allongé. Il lui toucha le visage.

Il était froid comme de la glace.

- Attends, dit-il, je vais te réchauffer un peu. Il alla près du feu, s’y réchauffa la main et la posa sur la figure du mort. Mais celui-ci restait tout froid. Alors il le sortit du cercueil, s’assit près du feu et l’installa sur ses genoux en lui frictionnant les bras pour rétablir la circulation du sang. Comme cela ne servait à rien, il songea tout à coup qu’il suffit d’être deux dans un lit pour avoir chaud. Il porta le cadavre sur le lit, le recouvrit et s’allongea à ses côtés. Au bout d’un certain temps, le mort se réchauffa et commença à bouger.

Nuit des inquiétudes et angoisses

- Tu vois, petit cousin, dit le jeune homme, ne t’ai-je pas bien réchauffé?

Mais le mort, alors, se leva et s’écria: - Maintenant, je vais t’étrangler!

- De quoi! dit le garçon, c’est comme ça que tu me remercies? retourne au cercueil!

Il le ceintura, et le jeta dans la bière en refermant le couvercle.

Les six hommes arrivèrent alors et l’emportèrent.

- Je ne réussis pas à frissonner, dit-il. Ce n’est décidément pas ici que je l’apprendrai. À ce moment précis entra un homme plus grand que tous les autres et qui avait une mine effrayante. Il était vieux et portait une longue barbe blanche.

- Pauvre diable, lui dit-il, tu ne tarderas pas à savoir ce que c’est que de frissonner : tu vas mourir!

- Pas si vite! répondit le garçon. Pour que je meure, il faudrait d’abord que vous me teniez.

- Je finirai bien par t’avoir! dit le monstrueux bonhomme.

- Tout doux, tout doux! ne te gonfle pas comme ça! je suis aussi fort que toi. Et même bien plus fort!

- C’est ce qu’on verra, dit le vieux. Si tu es plus fort que moi, je te laisserai partir. Viens, essayons!

Il le conduisit par un sombre passage dans une forge, prit une hache et d’un seul coup, enfonça une enclume dans le sol.

- Je ferai mieux, dit le jeune homme en s’approchant d’une autre enclume.

Le vieux se plaça à côté de lui, laissant pendre sa barbe blanche. Le garçon prit la hache, fendit l’enclume d’un seul coup et y coinça la barbe du vieux.

- Et voilà! je te tiens! dit-il, à toi de mourir maintenant!

Il saisit une barre de fer et se mit à rouer de coups le vieux jusqu’à ce que celui-ci éclatât en lamentations et le suppliât de s’arrêter en lui promettant mille trésors. Le jeune homme débloqua la hache et libéra le vieux qui le reconduisit au château et lui montra, dans une cave, trois caisses pleines d’or.

- Il y en a une pour les pauvres, une pour le roi et la troisième sera pour toi, lui dit-il.

Sur quoi, une heure sonna et le méchant esprit disparut. Le garçon se trouvait au milieu d’une profonde obscurité.

- Il faudra bien que je m’en sorte, dit-il. Il tâtonna autour de lui, retrouva le chemin de sa chambre et s’endormit auprès de son feu. Au matin, le roi arriva et dit : - Alors, as-tu appris à frissonner?

- Non, répondit le garçon, je ne sais toujours pas. J’ai vu mon cousin mort et un homme barbu est venu qui m’a montré beaucoup d’or. Mais personne ne m’a dit ce que signifie frissonner.

Le roi dit alors : - Tu as libéré le château de ses fantômes et tu épouseras ma fille.

- Bonne chose! répondit-il, mais je ne sais toujours pas frissonner.

On alla chercher l’or et les noces furent célébrées. Mais le jeune roi continuait à dire : « Si seulement j’avais peur, si seulement je pouvais frissonner! » La reine finit par en être contrariée.

Sa camériste dit : - Je vais l’aider à frissonner.

Elle se rendit sur les bords du ruisseau qui coulait dans le jardin et se fit donner un plein seau de goujons. Durant la nuit, alors que son époux dormait, la princesse retira les couvertures et versa sur lui l’eau et les goujons, si bien que les petits poissons frétillaient tout autour de lui. Il s’éveilla et cria : - Ah! comme je frissonne, chère femme! Ah! Oui, maintenant je sais ce que c’est que de frissonner.

Antoine-Jean Gros Sappho at Leucate 1801

4. Le pouvoir de la nuit

Dans la nuit se tiennent nos apprentissages.

René Char 1907-1988

A minuit quelque chose fait battre le cœur. A minuit commence la « vita nuova », le chaos dans la nature et le chaos dans la conscience ; en même temps se célèbre aussi la fête de la nature et de la conscience1. La nuit ramène à un stade élémentaire où les sentiments sont encore indifférenciés.

Il y a dans la vieille nature un principe de tragédie mal refoulé qui menace perpétuellement notre civilisation intérieure2. Ce principe sauvage est activé à minuit quand la force vigilante commence à se relâcher. Alors la nuit devient le lieu du combat pour le bien ou le mal3. S’exposer à l’étrangeté de la nuit veut dire se confronter à son propre inconnu intérieur. En se promenant la nuit dans une grande ville, on expérimente une libération menaçante due à la décomposition de toute sécurité qui structure le quotidien ce qui peut réveiller de grands doutes de jamais retrouver le jour (comme dans La nuit de Guy de Maupassant4, 1887).

La nuit offre l’opportunité d’oser se risquer. L’envie de vivre des choses interdites peut soit mener à la sociabilité soit à la solitude totale. La nuit met à disposition une scène où l’on peut expérimenter des possibilités, façonner des désirs, mener à bien des expériences morales, marchander des conditions et prendre des décisions pour acquérir à la fin de la nuit une nouvelle clarté. Dans la nuit peut se dessiner une mise en forme du monde diurne5.

Le pouvoir de la nuit

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Nuit noire – nuit lumineuse

Comme si le ciel embrassait doucement la terre

http://sophia.free-h.net/spip. php?article415, consulté le 7.2.2016, p. 7

1

Ibid. p. 6

2

Tiefer als der Tag gedacht Elisabeth Bronfen, Hanser Verlag, p. 383

3

https://fr.wikisource.org/wiki/ La_Nuit_%28Maupassant%29

4

Elisabeth Bronfen, op.cit. : p. 504

5

Ibid. p. 82

6

Cf.: http://sophia.free-h.net/ spip.php?article415, consulté le 7.2.2016, p. 2

7

Tiefer als der Tag gedacht Elisabeth Bronfen, Hanser Verlag, p. 145

8

Frank Noulin, « Alain Cabantous, Histoire de la nuit (XVIIe-XVIIIe siècles) », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique [En ligne], 108 | 2009, mis en ligne le 28 novembre 2009, consulté le 04 février 2016. URL : http:// chrhc.revues.org/1829

9

La compréhension de la nuit à travers les époques Dans la philosophie et la littérature antiques et médiévales, la nuit est vue comme un lieu d'inquiétude, d'aveuglement, de confusion ou d'illusions. C'est le lieu des puissances infernales qui jugent les morts. L'évolution du XVIIIe siècle européen, dit des Lumières a mis en avant la métaphore de la clarté.

C'est une lumière orgueilleuse, présomptueuse et arrogante.

Elle est la lumière de la connaissance qui se détache de l'obscurité de l'ignorance. La raison vainc la superstition païenne.

Dès lors les sciences qui ne suivent pas les lois de la rationalité ne font plus partie de l'ordre des choses. La vraie connaissance n'est atteignable qu'en dépassant deux différents domaines des ténèbres: l'un concerne ce que je croyais depuis toujours et l'autre est l’impénétrable obscurité du doute qui déconstruit le monde connu6.

L'époque suivante finit avec l'illusion de la pleine lumière, elle rend la dignité à la nuit en tant que référence première.

Quand l'éclairage au gaz- à partir de 1785- fait reculer l'obscurité, lieu privilégié de l’esthétique du nocturne, d'autres contrastes influencent l'imaginaire donnant un espace aux monstres et aux spectres mais aussi aux elfes et aux anges.

Ainsi le Romantisme (XIXe siècle) permet une conversion de la nuit en une puissance créatrice. Il lui découvre des vertus positives, il se plaît dans le noir qui offre une intimité nécessaire à la créativité. Malgré toutes les ambivalences dont l'être humain est composé, le Romantisme recherche passionnément l'indivision du bien et du mal, de la liberté et de la nécessité, de la conscience et de la nature. Il veut redonner

une place à la nuit comme lieu d'épiphanie, d'une lucidité nouvelle7. Il retrouve la force initiale de la nuit et va l'exploiter par des représentations allégoriques. Une allégorie est comme la face obscure d'une vie, elle fait le détour par une formule imagée pour visualiser ce qui ne peut être dit. Les représentations de Nyx en sont des exemples très parlants : la déesse de la nuit est souvent mise en scène avec un voile noir qui protège son secret et rend attentif à la limite du connaissable.

Parfois elle est habillée d'un manteau bleu parsemé d'étoiles.

Souvent elle tient dans ses bras deux garçons, l'un de couleur blanche en train de dormir, le sommeil, le second noir, la mort.

Cette personnification allégorique de la nuit montre qu'il existe un autre temps en-dehors du temps quotidien. C'est le temps du destin où le sommeil et la mort sont entrelacés. La nuit accouche du jour et le reprend de nouveau. Le voile maternel enveloppe et révèle que la tombe et la naissance forment ensemble un seul lieu.8 La nuit apprivoisée La culture urbaine investit le temps nocturne dans de nouvelles formes de sociabilité et de pratiques qui jouent un rôle important dans le changement de civilisation. Le rythme de vie se modifie peu à peu. Durant le XVIIe siècle déjà, les jeux de société ou de billard en soirée acquièrent de l'intérêt, ainsi que des spectacles. Au XVIIIe s'ajoutent une privatisation de la sociabilité vespérale. C'est une étape décisive dans l'apprivoisement du nocturne jusqu'alors hostile, qui a modifié radicalement le mode de vie. La sécurisation des villes contribue

à un investissement plus ludique de la nuit. Les espaces de consommation ou de cabarets, théâtres et concerts se multiplient et les horaires reculent dans la nuit. La culture juvénile se saisit de la nuit et en fait un temps d'apprentissage particulier, fondé sur la transgression consciente des normes et l'incivilité. Il s'y exprime un rejet collectif de l'encadrement social ou moral.9 Deux pouvoirs artistiques dualistes dans la nuit : dionysiaque et apollinien Il y a dans la nuit une partie, dont je dis « ici le temps s’arrête » à nietzsche s’exprime ainsi dans ses écrits en 1881 à on a un drôle de sentiment lorsqu’on veille la nuit surtout pendant des trajets nocturnes : soit qu’ils étaient toujours trop longs ou trop courts, notre notion du temps se ressent comme une anomalie.

Il y a dans la nuit une partie, dont je dis « ci le temps s'arrête ».

Nietzsche s'exprime ainsi dans ses écrits en 1881. On a un drôle de sentiment lorsqu'on veille la nuit surtout pendant des trajets nocturnes : soit qu'ils étaient toujours trop longs ou trop courts, notre notion du temps se ressent comme une anomalie.

Quand on est loin du chaos des rêves mais que l'on est en état d'éveil entre une heure et trois heures du matin, c'est comme si on se trouvait dans un lieu spirituel en dehors de l'espace-temps, observe Nietzsche. De même, selon lui, au zénith du plein jour, l'être humain expérimente une sensation semblable à celle éprouvée dans la nuit : il y a comme une dissolution du monde. Son cœur s'arrête, seul son oeil vit. Ce moment ressemble au sentiment d'être coupé du monde

Georges de La Tour La Madeleine à la veilleuse 1640, Louvre

Quand il n’yà pas d’équilibre entre les deux pouvoirs artistiques Quand la nuit n'est plus qu'un prétexte pour commettre sous son couvert des déprédations, des griseries, des méchancetés, quand elle devient un lieu de confusion et de désordre pour faire la fête en se permettant des comportements excessifs ou subversifs, alors il y a un déséquilibre dans la créativité des heures nocturnes. Le désir de la transgression naît parfois de forces intérieures limitées pour être conformes

Le pouvoir de la nuit

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Nuit noire – nuit lumineuse

Comme si le ciel embrassait doucement la terre

comme au plus profond de la nuit. Nietzsche compare ces deux moments similaires pour expliquer l'origine de son œuvre Naissance d'une tragédie. Il met en scène deux pouvoirs artistiques dualistes, dionysiaque et apollinien, dont le premier représente la nuit comme un état d'ivresse, proche du traumatisme, et le second les mondes de rêves magnifiés, le réconfort qu'une limitation modérée peut procurer. C'est une manière de comprendre l'ambivalence du pouvoir de la nuit.

L'expression artistique puise dans cette base archaïque et la met en scène comme une unité. En effet, l'être humain a besoin d'une part de pouvoir de se laisser enthousiasmer par le côté dionysiaque qui réveille toute une sensualité, d'autre part d'être apaisé par le côté apollinien qui redonne toute la sérénité. Le devoir de l'art est en même temps un moyen de protection et de guérison pour supporter inconsciemment les ténèbres mystérieuses de l'origine de la vie ainsi que la fin de la vie, deux moments limitant toute vie et qui dépassent la connaissance humaine.10

Elisabeth Bronfen, op.cit. : p. 360 et 363

10

Ibid. p 331

11

Cf.: http://fleursdumal.org/ poem/166 consulté le 14 mai 2016

12

Cf.: https://fr.wikipedia.org/ wiki/Nuit_debout consulté le 1er juin 2016

13

au plein jour. Ces forces sublimées reviennent à la surface dans la nuit pour s'opposer aux lois paternelles à subir durant le jour. Cela peut poser des problèmes pour le développement harmonieux d'une personne, elle va se construire un sosie pour vivre la nuit et elle ne se sentira pas responsable de certains actes commis sous la protection de l'obscurité. C'est comme si un autre moi s'adonnait aux désirs répréhensibles.

Dans la nuit, on ne reconnaît plus les choses dans leurs vraies dimensions, leurs contours se confondent, on en perd le contrôle. Toute la poésie mythique décrit la nuit comme un passage ou une étape de transition. En revanche, s'imaginer la nuit comme un voyage relève d'une ambivalence supplémentaire.

Ou bien cette comparaison peut être comprise comme un voyage dont le but est le jour ou alors on peut la comprendre comme un voyage qui conduit au vide abyssal, au néant absolu. Il est donc décisif de garder un équilibre dans l'alternance nuit-jour.11

Le Crépuscule du soir Voici le soir charmant, ami du criminel ; II vient comme un complice, à pas de loup; le ciel Se ferme lentement comme une grande alcôve, Et l'homme impatient se change en bête fauve. Ô soir, aimable soir, désiré par celui Dont les bras, sans mentir, peuvent dire: Aujourd'hui Nous avons travaillé! — C'est le soir qui soulage Les esprits que dévore une douleur sauvage, Le savant obstiné dont le front s'alourdit, Et l'ouvrier courbé qui regagne son lit.

Cependant des démons malsains dans l'atmosphère S'éveillent lourdement, comme des gens d'affaire, Et cognent en volant les volets et l'auvent. À travers les lueurs que tourmente le vent La Prostitution s'allume dans les rues; Comme une fourmilière elle ouvre ses issues; Partout elle se fraye un occulte chemin, Ainsi que l'ennemi qui tente un coup de main; Elle remue au sein de la cité de fange Comme un ver qui dérobe à l'Homme ce qu'il mange.

On entend çà et là les cuisines siffler, Les théâtres glapir, les orchestres ronfler; Les tables d'hôte, dont le jeu fait les délices, S'emplissent de catins et d'escrocs, leurs complices, Et les voleurs, qui n'ont ni trêve ni merci, Vont bientôt commencer leur travail, eux aussi, Et forcer doucement les portes et les caisses Pour vivre quelques jours et vêtir leurs maîtresses.

Recueille-toi, mon âme, en ce grave moment, Et ferme ton oreille à ce rugissement.

C'est l'heure où les douleurs des malades s'aigrissent!

La sombre Nuit les prend à la gorge; ils finissent Leur destinée et vont vers le gouffre commun; L'hôpital se remplit de leurs soupirs. — Plus d'un Ne viendra plus chercher la soupe parfumée, Au coin du feu, le soir, auprès d'une âme aimée.

Encore la plupart n'ont-ils jamais connu La douceur du foyer et n'ont jamais vécu!

Charles Baudelaire les Fleurs du mal12

la grève générale. La volonté du noyau dur des militants de 2016 de reproduire Mai 68 est donc manifeste, toujours selon le politologue cité ci-dessus.

Pour un autre politologue, Gaël Brustier, « Le mouvement représente [...] cette jeunesse des métropoles connectées à la globalisation, là où se trouve désormais la production de richesses mais là aussi où se constatent les inégalités les plus criantes [...]

Les participants ressemblent pour beaucoup aux « intellos précaires » [...]. Toutefois il rejette la comparaison avec Mai 68, du fait des grandes différences économiques entre 1968 et 2016 et du poids affaibli des structures politiques et syndicales. »

C’est la nuit et il est beau de croire à la lumière Edmond Rostand 1868-1918

Pourquoi choisir la nuit pour ce genre de mouvement?

Depuis des années la nuit est remise sur le devant de la scène. Elle offre un pouvoir d’attraction. Elle est utilisée comme un objet de marketing, avec l'objectif de divertir et de donner de la nourriture culturelle. La nuit est devenue tendance. Auparavant la nuit était réservée au territoire familial. Cette valeur est récupérée par les entreprises pour fabriquer l'événementiel. Des activités diurnes ont grignoté et colonisé le temps du repos. Par la conquête de la nuit, les collectivités en ont fait un espace d'innovation. L'idée d'investir l'espace public pendant la nuit avec des revendications politiques porte déjà en soi l'opposition à certaines normes. Elle est une forme de lâcher prise pour faire réfléchir différemment.

Le pouvoir de la nuit

Les nuits debout13 Depuis le 31 mars 2016 un nouveau mouvement s'est formé qui porte le nom de « Nuit debout ». Il s'agit d'un mouvement social et pluriel qui investit la nuit. Des manifestations régulières se déroulent sur des places publiques en France d'abord, puis dans différents pays.

Il se propose de construire une « convergence des luttes ».

Sa revendication initiale, le refus de la Loi sur le travail adoptée par l’Assemblée nationale, s'élargit à la contestation globale des institutions politiques et du système économique portée par la volonté de dénoncer «le manque de perspectives offertes par les politiques ». « Nuit debout » est organisé en commissions sans leader, les prises de décisions se font par consensus lors d'assemblées générales.

Ces occupations de places publiques peuvent évoquer, selon certaines analyses, l'Agora grecque. Elles rappellent aussi celles du Mouvement des Indignés en 2011 de par leur organisation horizontale qui semble être leur force..

Selon le politologue Thomas Guénolé, ce mouvement ne veut pas créer un dogme politique. Il se situe plus dans le domaine de l'anarchie et applique les méthodes de l’échange discursif entre les citoyens pour permettre le partage des conceptions du bien commun. Cela peut rappeler Mai 68 : « D’abord une mobilisation de jeunes et d’étudiants, sans programme précis mais très politisés, arborant des slogans antisystème de gauche. Ensuite une tentative de susciter une convergence avec les syndicats ouvriers.

Et comme en mai et juin 1968, l’objectif stratégique est clairement

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Nuit noire à nuit lumineuse

Comme si le ciel embrassait doucement la terre

40 Le pouvoir de la nuit

La Nuit14 Cauchemar J'aime la nuit avec passion. Je l'aime comme on aime son pays ou sa maîtresse, d'un amour instinctif, profond, invincible. Je l'aime avec tous mes sens, avec mes yeux qui la voient, avec mon odorat qui la respire, avec mes oreilles qui en écoutent le silence, avec toute ma chair que les ténèbres caressent. Les alouettes chantent dans le soleil, dans l'air bleu, dans l'air chaud, dans l'air léger des matinées claires. Le hibou fuit dans la nuit, tache noire qui passe à travers l'espace noir, et, réjoui, grisé par la noire immensité, il pousse son cri vibrant et sinistre.

Le jour me fatigue et m'ennuie. Il est brutal et bruyant. Je me lève avec peine, je m'habille avec lassitude, je sors avec regret, et chaque pas, chaque mouvement, chaque geste, chaque parole, chaque pensée me fatigue comme si je soulevais un écrasant fardeau.

Mais quand le soleil baisse, une joie confuse, une joie de tout mon corps m'envahit. Je m'éveille, je m'anime. A mesure que l'ombre grandit, je me sens tout autre, plus jeune, plus fort, plus alerte, plus heureux. Je la regarde s'épaissir la grande ombre douce tombée du ciel : elle noie la ville, comme une onde insaisissable et impénétrable, elle cache, efface, détruit les couleurs, les formes, étreint les maisons, les êtres, les monuments de son imperceptible toucher.

Alors j'ai envie de crier de plaisir comme les chouettes, de courir sur les toits comme les chats ; et un impétueux, un invincible désir d'aimer s'allume dans mes veines.

Je vais, je marche, tantôt dans les faubourgs assombris, tantôt dans les bois voisins de Paris, où j'entends rôder mes soeurs les bêtes et mes frères les braconniers.

Ce qu'on aime avec violence finit toujours par vous tuer. Mais comment expliquer ce qui m'arrive ?

Comment même faire comprendre que je puisse le raconter ? Je ne sais pas, je ne sais plus, je sais seulement que cela est.- Voilà.

Donc hier- était-ce hier ?- oui, sans doute, à moins que ce ne soit auparavant, un autre jour, un autre mois, une autre année,- je ne sais pas. Ce doit être hier pourtant, puisque le jour ne s'est plus levé, puisque le soleil n'a pas reparu. Mais depuis quand la nuit dure-t-elle ? Depuis quand ?... Qui le dira ? qui le saura jamais ?

Donc hier, je sortis comme je fais tous les soirs, après mon dîner. Il faisait très beau, très doux, très chaud. En descendant vers les boulevards, je regardais au-dessus de ma tête le fleuve noir et plein d'étoiles découpé dans le ciel par les toits de la rue qui tournait et faisait onduler comme une vraie rivière ce ruisseau roulant des astres.

Tout était clair dans l'air léger, depuis les planètes jusqu'aux becs de gaz. Tant de feux brillaient là-haut et dans la ville que les ténèbres en semblaient lumineuses. Les nuits luisantes sont plus joyeuses que les grands jours de soleil.

Sur le boulevard, les cafés flamboyaient ; on riait, on passait, on buvait. J'entrai au théâtre, quelques instants, dans quel théâtre ? je ne sais plus. Il y faisait si clair que cela m'attrista et je ressortis le coeur un peu assombri par ce choc de lumière brutale sur les ors du balcon, par le scin-

tillement factice du lustre énorme de cristal, par la barrière du feu de la rampe, par la mélancolie de cette clarté fausse et crue. Je gagnai les Champs-Élysées ou les cafés-concerts semblaient des foyers d'incendie dans les feuillages. Les marronniers frottés de lumière jaune avaient l'air peints, un air d'arbres phosphorescents. Et les globes électriques, pareils à des lunes éclatantes et pâles, à des oeufs de lune tombés du ciel, à des perles monstrueuses, vivantes, faisaient pâlir sous leur clarté nacrée, mystérieuse et royale, les filets de gaz, de vilain gaz sale, et les guirlandes de verres de couleur.

Je m'arrêtai sous l'Arc de Triomphe pour regarder l'avenue, la longue et admirable avenue étoilée, allant vers Paris entre deux lignes de feux, et les astres ! Les astres là-haut, les astres inconnus jetés au hasard dans l'immensité où ils dessinent ces figures bizarres, qui font tant rêver, qui font tant songer.

J'entrai dans le bois de Boulogne et j'y restai longtemps, longtemps. Un frisson singulier m'avait saisi, une émotion imprévue et puissante, une exaltation de ma pensée qui touchait à la folie.

Je marchai longtemps, longtemps. Puis je revins.

Quelle heure était-il quand je repassai sous l'Arc de Triomphe ? Je ne sais pas. La ville s'endormait, et des nuages, de gros nuages noirs s'étendaient lentement sur le ciel.

Pour la première fois je sentis qu'il allait arriver quelque chose d'étrange, de nouveau. Il me sembla qu'il faisait froid, que l'air s'épaississait, que la nuit, que ma nuit bien-aimée, devenait lourde sur mon coeur. L'avenue était déserte, maintenant. Seuls, deux sergents de ville se promenaient auprès de la station des fiacres, et, sur la chaussée à peine éclairée par les becs de gaz qui paraissaient mourants, une file de voitures de légumes allait aux Halles. Elles allaient lentement, chargées de carottes, de navets et de choux. Les conducteurs dormaient, invisibles ; les chevaux marchaient d'un pas égal, suivant la voiture précédente, sans bruit, sur le pavé de bois.

Devant chaque lumière du trottoir, les carottes s'éclairaient en rouge, les navets s'éclairaient en blanc, les choux s'éclairaient en vert ; et elles passaient l'une derrière l'autre, ces voitures, rouges d'un rouge de feu, blanches d'un blanc d'argent, vertes d'un vert d'émeraude. Je les suivis, puis je tournai par la rue Royale et revins sur les boulevards. Plus personne, plus de cafés éclairés, quelques attardés seulement qui se hâtaient.

Je n'avais jamais vu Paris aussi mort, aussi désert. Je tirai ma montre, il était deux heures.

Une force me poussait, un besoin de marcher. J'allai donc jusqu'à la Bastille. Là, je m'aperçus que je n'avais jamais vu une nuit si sombre, car je ne distinguais pas même la colonne de Juillet, dont le Génie d'or était perdu dans l'impénétrable obscurité Une voûte de nuages, épaisse comme l'immensité, avait noyé les étoiles, et semblait s'abaisser sur la terre pour l'anéantir.

Je revins. Il n'y avait plus personne autour de moi. Place du Château-d'Eau, pourtant, un ivrogne faillit me heurter, puis il disparut. J'entendis quelque temps son pas inégal et sonore.

J'allais. A la hauteur du faubourg Montmartre un fiacre passa, descendant vers la Seine. Je l'appelai. Le cocher ne répondit pas. Une femme rôdait près de la rue Drouot : "Monsieur, écoutez donc." Je hâtai le pas pour éviter sa main tendue. Puis plus rien. Devant le Vaudeville, un chiffonnier fouillait le ruisseau.

Sa petite lanterne flottait au ras du sol. Je lui demandai : "Quelle heure est-il, mon brave ?"

Il grogna : "Est-ce que je sais ! J'ai pas de montre."

Alors je m'aperçus tout à coup que les becs de gaz étaient éteints. Je sais qu'on les supprime de bonne heure, avant le jour, en cette saison, par économie ; mais le jour était encore loin, si loin de paraître !

"Allons aux Halles, pensai-je, là au moins je trouverai la vie."

Je me mis en route, mais je n'y voyais même pas pour me conduire. J'avançais lentement, comme on fait dans un

Le pouvoir de la nuit

bois, reconnaissant les rues en les comptant.

Devant le Crédit Lyonnais, un chien grogna.

Je tournai par la rue de Grammont, je me perdis ; j'errai, puis je reconnus la Bourse aux grilles de fer qui l'entourent. Paris entier dormait, d'un sommeil profond, effrayant. Au loin pourtant un fiacre roulait, un seul fiacre, celui peut-être qui avait passé devant moi tout à l'heure. Je cherchais à le joindre, allant vers le bruit de ses roues, à travers les rues solitaires et noires, noires, noires comme la mort.

Je me perdis encore. Où étais-je ? Quelle folie d'éteindre sitôt le gaz ! Pas un passant, pas un attardé, pas un rôdeur, pas un miaulement de chat amoureux. Rien.

Où donc étaient les sergents de ville ? Je me dis : "Je vais crier, ils viendront." Je criai. Personne ne répondit.

J'appelai plus fort. Ma voix s'envola, sans écho, faible, étouffée, écrasée par la nuit, par cette nuit impénétrable.

Je hurlai : "Au secours ! au secours ! au secours !"

Mon appel désespéré resta sans réponse.

Quelle heure était-il donc? Je tirai ma montre, mais je n'avais point d'allumettes. J'écoutai le tic-tac léger de la petite mécanique avec une joie inconnue et bizarre. Elle semblait vivre. J'étais moins seul. Quel mystère ! Je me remis en marche comme un aveugle, en tâtant les murs de ma canne, et je levais à tout moment mes yeux vers le ciel, espérant que le jour allait enfin paraître ; mais l'espace était noir, tout noir, plus profondément noir que la ville.

Quelle heure pouvait-il être? Je marchais, me semblait-il, depuis un temps infini, car mes jambes fléchissaient sous moi, ma poitrine haletait, et je souffrais de la faim horriblement.

Je me décidai à sonner à la première porte cochère. Je tirai le bouton de cuivre, et le timbre tinta dans la maison sonore ; il tinta étrangement comme si ce bruit vibrant eût été seul dans cette maison.

J'attendis, on ne répondit pas, on n'ouvrit point la porte. Je sommai de nouveau ; j'attendis encore,- rien.

J'eus peur ! Je courus à la demeure suivante, et vingt fois de suite je fis résonner la sonnerie dans le couloir obscur où devait dormir le concierge. Mais il ne s'éveilla pas,- et j'allai plus loin, tirant de toutes mes forces les anneaux ou les boutons, heurtant de mes pieds, de ma canne et de mes mains les portes obstinément closes.

Et tout à coup, je m'aperçus que j'arrivais aux Halles. Les Halles étaient désertes, sans un bruit, sans un mouvement, sans une voiture, sans un homme, sans une botte de légumes ou de fleurs.- Elles étaient vides, immobiles, abandonnées, mortes!

Une épouvante me saisit,- horrible. Que se passait-il? Oh ! mon Dieu ! que se passait-il ?

Je repartis. Mais l'heure ? l'heure ? qui me dirait l'heure ? Aucune horloge ne sonnait dans les clochers ou dans les monuments. Je pensai : "Je vais ouvrir le verre de ma montre et tâter l'aiguille avec mes doigts." Je tirai ma montre... elle ne battait plus... elle était arrêtée. Plus rien, plus rien, plus un frisson dans la ville, pas une lueur,

pas un frôlement de son dans l'air. Rien ! plus rien ! plus même le roulement lointain du fiacre,- plus rien !

J'étais aux quais, et une fraîcheur glaciale montait de la rivière.

La Seine coulait-elle encore?

Je voulus savoir, je trouvai l'escalier, je descendis... Je n'entendais pas le courant bouillonner sous les arches du pont...

Des marches encore... puis du sable... de la vase... puis de l'eau... j'y trempai mon bras... elle coulait... elle coulait... froide... froide... froide... presque gelée... presque tarie... presque morte.

Et je sentais bien que je n'aurais plus jamais la force de remonter... et que j'allais mourir là... moi aussi, de faim- de fatigue- et de froid.

Guy de Maupassant : La nuit.

Texte publié dans Gil Blas du 14 juin 1887, puis publié dans le recueil Clair de lune (Édition Ollendorf, 1888).

Numérisation : Rémi Charest (charemi@nbnet.nb.ca) Mise en forme HTML (20 septembre 1998) : Thierry Selva (maupassant@free.fr)

14

5. L'espace de quĂŞte

G.W.F à hegel 1770-1831

On doit avoir vu la nuit pour comprendre le jour Anne Sexton, poète 1928-1974

Mais que veut dire « voir la nuit » ? Dans notre imagination culturelle, la nuit a toujours représenté davantage que juste l'espace d'un temps qui commence avec le crépuscule et se termine avec l'aurore. Depuis l'Antiquité, elle est la scène de rencontres, de découvertes. Puisque dans la nuit les contours, les distances se brouillent, elle peut devenir par le jeu des ombres et des lumières tamisées le lieu de métamorphoses.

Il y a l'expérience d'un déracinement qui amène à un isolement.

La vision réduite, elle accentue la vision spirituelle. L'insécurité provoquée par la difficulté de s'orienter ouvre à une nouvelle orientation de l'existence, de l'être (das Sein). Le brouillage des transitions entre réalité et imagination fait de la nuit un lieu d'insomnie, de souffrance et de pénible mélancolie, lieu de sorcelleries comme de fascination. La magie de l'ambiance nocturne peut faire naître un désir ardent qui tend vers un autre état de conscience. La concentration sur l'essentiel permet l'union avec le divin. La nuit devient ainsi plus claire que le jour car on y devine la nuit éternelle qui élève à la délivrance.1

Un même destin Toute naissance est une naissance de l'obscurité à la lumière (Friedrich Wilhelm Schelling 1775-1854, philosophe de la nature). La graine doit être mise dans la terre et mourir dans la nuit pour pouvoir aboutir dans une nouvelle germination qui s'élèvera vers la lumière. Le petit être humain naît également de la nuit à la lumière. Dans la nuit seulement l'être humain peut recevoir son devenir2. Le fruit ne peut que pousser dans une terre qui voile toute source de lumière. C'est pour cela que les nuits sont plus sacrées que le jour. L'obscurité abritante est la condition d'une nouvelle vie possible.

Et puis le petit humain se dresse peu à peu en grandissant.

L'horizon s'ouvre. Le cosmos peut être une école d'apprentissage pour aiguiser la vue en profondeur. Avec lui une plus grande réalité s'ouvre qui fait respirer l'âme.

Je vis des jours pleins de foi et de courage Et je meurs pendant les nuits dans un embrasement sacré.

Novalis 1772-1801, Hymnes à la nuit

La nuit des révélations Novalis appelle la nuit « lieu de révélations ». La nuit provoque dans l'humain un mouvement d'expansion centrifuge. Les émotions qu'elle fait naître dans une âme romantique sont en général des émotions indéterminées et qui n'ont d'autres causes qu'elles-mêmes, une religiosité sensible, un érotisme mystique ou une jubilation désespérée. Dans les récits poétiques ou mystiques comme les Hymnes à la nuit de Novalis, on ne sait plus

L’espace de quête

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Nuit noire – nuit lumineuse

Comme si le ciel embrassait doucement la terre

Elle (la nuit) est la mère, le demeurer, la nourriture de tout, et la lumière la pure forme, qui seulement est, a un être, dans son unité avec la nuit.

Tiefer als der Tag gedacht Elisabeth Bronfen, Hanser Verlag, p.167

1

Ibid. p. 149

2

http://sophia.free-h.net/spip. php?article415, consulté le 7.2.2016, p. 3 et 5

3

Op.cit.: Tiefer als der Tag gedacht, p.114

4

La nuit Jacqueline Kelen, Editions La Renaissance du Livre 2005, p.46

5

Le projet spirituel Charles André Bernard Gregorian Biblical BookShop, p. 57

6

Op.cit. : La Nuit, p. 46

7

l'acte mystique. Mais ce sentiment de présence comble toutefois une attente, il réalise une plénitude. Dans cette plénitude les capacités spirituelles s'épanouissent et c'est comme si la lumière devenait « ténébreuse » selon Grégoire de Nysse (né entre 331 et 341, mort en 394, théologien et mystique, Turquie). C'est un mouvement de tension profonde, tourné vers Dieu. Grégoire de Nysse renouvelle sans cesse cet élan. Seule la mort peut mettre un terme à la tension bienheureuse, révélant ainsi cette imperfection – mentionnée plus haut – d'une union de la communication de vie. L'âme ne se reposera dans la plénitude qu'après être allée à la rencontre du Seigneur.

Dans la mystique il s'agit d'expériences subjectives ce qui n'enlève rien à leur force, bien au contraire : elles s'acquièrent souvent à la fin d'un long voyage intérieur, que l'on ne peut comprendre comme un fait en-dehors de ce vécu.6 Saisie d’une sainte et sobre ivresse, l’âme purifiée pressent dans les ténèbres lumineuses de la nuit divine l’approche et la beauté de son époux, quoique à ou plutôt à cause même de cette gloire à elle ne puisse jamais le voir, le saisir, le connaître dans sa plénitude.

Grégoire de Nysse

La nuit appartient aux dieux, le jour aux mortels7 Pour la mystique, la nuit est un lieu de vision à sa quête est de répondre à la question : comment sortir de la nuit de l’ignorance et de la douleur à ce n’est pas en l’évitant que l’on peut atteindre le stade de la connaissance et de la joie mais en la transfigurant à dans la nuit, l’être humain s’éveille à son

L’espace de quête

trop à qui l'auteur s'adresse, à une femme, à Dieu ou au Christ... ce vertige qui ravit l'âme romantique à l'approche de la nuit, est-ce seulement une idée ou de la joie?3 Pour Novalis, la nuit est le lieu de la fusion réussie de tous les opposés, l'effacement de toute division et de toute différence. La nuit est en même temps le point de fuite et l'accomplissement de son ardent désir poétique : les entrailles maternelles de la tombe et le royaume du ciel paternel de l'avènement ultime.4 Que se passe-t-il dans la nuit des mystiques (mystikos, grec : ce qui est relatif aux mystères, aussi secret, caché)?

La nuit rapproche de l'autre monde où peut passer le souffle de Dieu. Elle renvoie chacun à sa solitude. Elle fait chavirer raisons et étroitesses des désirs (les prisons de l'être humain)5 On peut observer à travers les siècles que les nuits des mystiques se ressemblent. Il y a ce feu ardent qui brûle dans l'âme, l'union de l'âme avec Dieu comparable à l'union de deux amants. Les émotions décrites sont lumineuses comme le jour ou alors confuses et exaltantes comme dans les écrits du Romantisme, elles aspirent vers un seul but : l'accomplissement de cet élan indicible, la joie parfaite.

Les études concernant la psychologie des mystiques tentent de montrer que l'acte propre de la conscience mystique relève d'une « intuition intellectuelle » de Dieu. On ne peut pas réduire cet expérience à l'ordre de l'imaginaire. Il surgit un sentiment de présence d'un « être » qui se dévoile et que l'on semble même pouvoir toucher mais qui s'évanouit à l'instant même ; on ne peut alors que reconnaître l'imperfection radicale de

William Turner Un matin après le déluge 1843, Tate London

La nuit ouvre à plus vaste que soi... mais elle est d'abord lieu de perte.

Jacqueline Kelen

Pour plusieurs religions la nuit est un moment privilégié de la prière. Ainsi les premiers chrétiens passent toute la nuit de Pâques en chants, lectures et oraisons avant de célébrer le repas saint. C'est aussi le moment choisi où l'on veille dans l'obscurité, parfois par un office des Ténèbres du Triduum pascal, les Jeudi, Vendredi, et Samedi Saints. Ici, la nuit devient aussi symbole de la nuit intérieure de l'humain où il vit l'expérience de la suprême solitude et du suprême abandon.8 Mieux que belle, la nuit est sublime. Sa contemplation élève l'âme, ouvrant à une humanité en nous. La nuit est l'expérience la plus intense pour accéder à l'infini.

Corinne Bayle 9

Quelques quêtes mystiques dans la nuit Pseudo-Denys l’Aréopagite est l'une des sources majeures de la spiritualité mystique chrétienne. On suppose qu'il fut un moine syrien vivant vers l'an 500. Il a introduit la distinction entre les différentes dimensions de la théologie; la théologie mystique (le sommet de la théologie), la théologie symbolique et la théologie spéculative.

La théologie mystique correspond à une révélation secrète.

C'est le degré suprême de la connaissance de Dieu au-delà de tout langage, de tout concept, de toute idée, de toute image et de tout symbole. Plus la connaissance est élevée moins il est possible de l'exprimer par des mots, la montée vers Dieu est donc une montée dans le silence et l'obscurité : « Plongés dans l'obscurité au-delà de tout entendement, nous allons rencontrer non seulement la pauvreté des mots, mais l'absence totale de parole et de compréhension » 10.

Dans la nuit, les âmes sont unies à Dieu, les buts sont atteints : Celui qui a pénétré les mystères de la nuit a le cœur lumineux comme le jour.

Djalàl al-dìn Rûmi

Djalàl al-dîn Rûmi (poète mystique persan, influencé par le soufisme 1207-1273) est à l'origine d'une des plus grandes confréries soufies du monde musulman. Ses disciples sont connus, en Occident, sous le nom de « derviches tourneur ».

L'originalité de son enseignement est d'avoir conjugué la poésie avec la musique, écho terrestre des « harmonies de la sphère céleste », et la danse. Il en a fait une véritable pratique spirituelle, le sama, « aliment des amants de Dieu » conduisant à « l'union avec le Bien-Aimé »11.

Angèle de Foligno12 (née en 1248 à Foligno, près d'Assise en Ombrie- morte en 1309) est une religieuse franciscaine.

La participation de l’humain à la Vie Trinitaire s’accompagne d’une « vision » de l’obscurité supérieure, la Grande Ténèbre,

L’espace de quête

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Nuit noire à nuit lumineuse

Comme si le ciel embrassait doucement la terre

intériorité, à ce lieu qui est enfoui au plus profond de lui et en même temps à l’univers.

Alexandre Traube dans Office des Ténèbres de Vendredi Saint

8

L'Atelier du XIXe s. : La nuit dans la littérature européenne du XIXe s., Corinne Bayle, Ecole normale sup. de Lyon

9

Cf.: https://fr.wikipedia.org/ wikiPseudo-Denys_l'Ar%C3%A9opagite, consulté le 4.6.2016

10

En quête d'absolu, moines moniales ascètes et mastiques Calendrier interreligieux septembre 2009-décembre 2010 (éditions agora)

11

Cf.: http://www.cmchr.net/ La-Grande-Tenebre-684.html, consulté le 4.6.2016

12

Cf.: http://www.lumiere-et-vie. fr/resources/cariboost_files/ LV_297_pages_77-89.pdf, consulté le 4.6.2016

13

inénarrables, et ses douceurs et ses dons, et ses paroles et ses actions, tout cela est petit à côté de Celui que je vois dans l’immense ténèbre ; et si tout me trompait, il me resterait la paix suprême, à cause de l’immense ténèbre où repose le tout bien ».

Marguerite Porète (vers 1250 et morte brûlée vive à Paris en 1310) Il s'agit d'une femme instruite ayant reçu sans doute une formation de clerc. Elle s'engage pour une liberté inconditionnelle et paisible dégagée de tout respect de la hiérarchie tant cléricale que féodale. Elle utilise le langage apophatique (du grec : nier), c'est à dire qu'elle se sert de la théologie négative pour décrire Dieu dans ce qu'il n'est pas, par le côté Néant ou Nuit, dans le sillon de Pseudo-Denys l'Aréopagite. Dans la même lignée on trouve non seulement Maître Eckhart, mais également des philosophes-théologiens de l'Antiquité, du judaïsme et du soufisme.

Cela pose problème à Marguerite Porète dans une époque où les femmes sont de plus en plus réduites au silence et à la soumission. Elle est alors déclarée hérétique pour avoir écrit vers 1290 en langue picarde un livre, le « Mirouer des simples ames anienties et qui seulement demourent en vouloir et desir d’amour » (Le Miroir des âmes simples et anéanties et qui seulement demeurent en vouloir et désir d’amour).

Pour elle la divinité de l’âme résulte d’une pédagogie, d’une conversion dont le Miroir s’efforce de définir l’anéantissement de l’âme, que l’on peut qualifier de mystique du feu : « Amour: [...] Celui qui brûle de ce feu d’amour sans chercher de matière, sans en avoir et sans vouloir en avoir, celui-là voit si clairement

L’espace de quête

qui est la lumière inaccessible où Dieu habite. Là, au-delà de tous les noms et de toutes les formes, Dieu lui-même est vu dépouillé de tous ses attributs.

Cette Grande Ténèbre dans laquelle pénètre le mystique est le symbole du Néant qui est Dieu lui-même, symbole repris par de nombreux mystiques chrétiens (en particulier par Jean de la Croix ou encore Maître Eckhart).

Tout ce qui a fait la lumière de nos yeux n’est plus avec nous.

Il faut renoncer aux procédés naturels de notre esprit, à l’évidence ; il faut comme anéantir l’acte de l’esprit qui se complaît dans ce qu’il voit : la jouissance de l’expérience. C’est douloureux, mais cette douleur engendre une grande joie. Cette docilité totale, allant jusqu’au bout du renoncement et des forces de l’esprit, rend à Dieu le seul hommage égal à sa majesté.

Angèle de Foligno relate ainsi son vécu de la grande Ténèbre : « Un jour mon âme fut ravie et je vis Dieu dans une clarté supérieure à toute clarté connue, et dans une plénitude supérieure à toute plénitude. Au lieu où j’étais, je cherchai l’amour, et ne le trouvai plus. Je perdis même Celui que j’avais traîné jusqu’à ce moment, et je fus faite le non-amour. Alors je vis Dieu dans une ténèbre, et nécessairement dans une ténèbre, parce qu’il est situé trop haut au-dessus de l’esprit, et tout ce qui peut devenir l’objet d’une pensée est sans proportion avec lui.

Mais quand Dieu paraît dans la ténèbre, il n'y a ni rire, ni ardeur, ni dévotion, ni amour, rien sur la face, rien dans le cœur, pas un tremblement, pas un mouvement. Le corps ne voit rien, les yeux de l’âme sont ouverts. Le corps repose et dort, la langue coupée et immobile : toutes les amitiés que Dieu m’a faites, nombreuses et

Georges de La Tour Le nouveau né, 1648, Rennes

Pendant cette heureuse nuit, je suis sortie en ce lieu secret, où personne ne me voyait, et où je ne voyais rien, sans autre guide et sans autre lumière que celle qui luisait dans mon cœur.

Jean de la Croix 1542-1591, Espagne

La Nuit, pour Jean de la Croix, est le grand symbole de la vie mystique. Pour lui la nuit de la contemplation passe par la mortification que l'âme a pratiquée en contemplant les choses divines.

Elle a étouffé toutes ses passions et tous leurs mouvements. (...) pendant cette heureuse nuit, je suis sortie en ce lieu secret, où personne ne me voyait, et où je ne voyais rien, sans autre guide et sans autre lumière que celle qui luisait dans mon coeur. Elle me conduisait plus sûrement que la lumière du midi au lieu où celui qui me connaît très-bien m'attendait, et où personne ne paraissait. O nuit qui m'as conduite ! Ô nuit plus

aimable que l'aurore ! Ô nuit qui a uni le bien-aimé avec la bien-aimée, en transformant l'amante en son bien-aimé!(...) En me délaissant et en m'oubliant moi-même, j'ai penché mon visage sur mon bien-aimé. Toutes choses étant perdues pour moi, je me suis quitté et abandonnée moi-même en me délivrant de tout soin, entre les lis blancs.

Pendant son incarcération de neuf mois, Juan de la Cruz ou Jean de la Croix, a fait des expériences déterminantes qui ont inspiré ses réflexions sur la nuit noire de la foi, l'assombrissement des sens et de l'esprit. Elles précèdent ce poème Noche oscura (nuit noire). Il traite de la nuit des sens. C'est l'âme qui parle de la transformation mystique de l'être humain qui signifie en même temps l'union avec Dieu. La nuit des mystiques ouvre à des espaces infinis. Il s'agit de s'abandonner au repos et à la tranquillité malgré les scrupules qui pourraient survenir quant au temps perdu en oraison. Le but est de fortifier l'esprit et non pas de satisfaire les sens. Il faut dilater le cœur et relever le courage pour conserver le calme intérieur dans ce grand dépouillement. La nuit ou la purgation des sens procurent de grands biens à l'âme car elle prend connaissance d'elle-même et de ses manques et « prisons ». Jean de la Croix décrit comme suit sa contemplation : elle est une proximité paisible et aimante avec Dieu comme un effleurement et une visitation qui donne de la force, elle est aussi une imprégnation de cette paix et de l'amour de Dieu qui embrase l'âme et la met en feu...14 Angelus Silésius (théologien et poète allemand 1624-1677

L’espace de quête

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Nuit noire – nuit lumineuse

Comme si le ciel embrassait doucement la terre

en toutes choses qu’il les apprécie à leur juste prix » (chap. 25).

Ses écrits d'une superbe intelligence peuvent apprendre aux lecteurs, lectrices de tous les temps comment transcender tout asservissement pour renaître au monde, investir de nouvelles zones d’intérêt, être libre dans le silence et dans la joie13. Pour Marguerite Porète la mystique vient combler la théologie. L’âme possédée d’amour est inspirée par la divinité ; elle est une avec l’un. Dieu qui fait écrire et parler est celui qui fait chanter et se taire. « Penser ne vaut ici plus rien, / Ni œuvrer ni parler. / Amour me tire si haut / -Penser ici ne vaut plus rien- / Par ses divins regards, / Que je n’ai nul désir. / Penser ne vaut ici plus rien, / Ni œuvrer, ni parler » (chap. 122).

Mystik. Die Sehnsucht nach dem Absoluten, Museum Rietberg, Zürich, Editions Scheidegger & Spiess, p. 100

14

Cf. : http://www.jdarriulat.net/ Auteurs/Pascal/PascalIntrod5.html consulté le 5.6.2016

15

Calvin Mystique Carl-A. Keller, p. 186

16

Voyage en Dieu Carl-A. Keller, p. 94

17

très influencé par les mystiques du Moyen-âge. Son œuvre principale, le Pèlerin chérubinique, 1675) Qui a ramené ses sens à son intériorité entend l'indicible et voit dans la nuit.

Blaise Pascal (1623 Clairmont-1662 Paris) Mathématicien de premier ordre et grand savant, il vit une expérience mystique en 1654 après un accident de carrosse.

C'est entre « dix heures et demie du soir jusqu'environs minuit et demie » qu'il a son illumination de la connaissance. Il se sent comme transporté hors du temps. Il est en communion avec toute l'histoire de l'Eglise rassemblée. Il est aux côtés de saint Clément, saint Chrysogone et tous les témoins du règne de la grâce. Tout de suite après l'événement, il rédige son Mémorial, une fois que le feu commence de s'éloigner et de s'éteindre pour en conserver une trace. Il l'écrit comme une leçon d'une révélation passée.

Après cette expérience profonde et bouleversante il va se consacrer à la réflexion philosophique et religieuse.15

Un mystique contemporain, Carl-Albert Keller (1920-2008), a écrit: « Rappelons que la métaphore de la Ténèbre plus que lumineuse du Silence est empruntée au récit de Moïse gravissant le Mont Sinaï. D'après le récit de l'Exode (cf. Ex. chap.

19-20 et 24), la montagne était en effet recouverte d'une épaisse Ténèbre au sein de laquelle resplendissait la splendeur divine.

C'est au milieu de cette Ténèbre plus que lumineuse, Silence absolu, Secret initiatique, que Moïse est initié aux mystères de Dieu. Dans la tradition de la spiritualité chrétienne, la Ténèbre représente l'indispensable renoncement à toute connaissance discursive se rapportant au monde sensible ou au monde spirituel. La Ténèbre au sein de laquelle resplendit la Lumière divine est la totale inconnaissance, le non-savoir, le non-penser, le dépassement par excellence. C'est, au-delà même de l'inconnaissance, l'intimité en Dieu ».16 Carl-A. Keller écrit aussi: « L'ignorance, l'absence de tout savoir et de toute connaissance, est la porte d'entrée de la Sainte Trinité. Le dépassement des deux mondes et la réalisation de l'inconnaissance est le cheminement de tous les mystiques chrétiens. Saint Jean de la Croix ( 1542-1591 ), pour ne citer que lui, appelle le premier dépassement la nuit des sens et le deuxième la nuit de l'esprit. Les deux nuits signifient suppression, abandon17. »

L’espace de quête

La nuit mystique C'est dans la nuit que le mystique chrétien entre et s'enfonce pour être transformé par la présence divine.

Cette présence divine, qui est la Sainte Trinité, est une. Elle est toute proche de nous et, aussi, très loin de nous, au-delà de tout ce que nous pouvons imaginer.

C'est donc dans une nuit sans aucun repère qu'il faut s'engager pour entrer dans la Ténèbre plus que lumineuse du

Silence, selon l'expression du Pseudo-Denys l'Aréopagite, un moine ayant vécu à la fin du Ve siècle et au début du VIe, dans son opuscule : « La théologie mystique ».

Arnold Böcklin Die Nacht 1870

6. Le ciel et la terre deviennent un

Nuit noire – nuit lumineuse

Comme si le ciel embrassait doucement la terre

52 Le ciel et la terre deviennent un

Introduction Les choses capitales se passent au cœur de la nuit : songes, visions, unions ineffables, les présences angéliques et les grâces célestes.

mais les vivre librement – ne contribue-t-elle pas à la coexistence harmonieuse de l’humanité? Ou la disparition de rites exclusifs pourrait-elle ouvrir l’espace à la création de nouveaux rites, de rites modernes et inclusifs?

Jacqueline Kelen

Est-ce un hasard si la nuit joue un rôle majeur dans les différentes religions du monde? Quelle symbolique et quel message y sont-ils liés? Dans la clarté du jour, on distingue le haut et le bas. Le ciel et la terre sont clairement séparés. Dans la nuit le haut et le bas fusionnent. L'espace est ressenti comme une unité. C'est le moment qui correspond à une expérience religieuse. Dieu se penche sur le monde, comparable au crépuscule où le ciel semble s'approcher de la terre. Dieu et l'humain se touchent, il y a l'expérience d'une transcendance. Ce n'est donc pas un hasard si certaines nuits deviennent des Nuits Saintes, des moments de présence intense de l'énergie divine. C'est un message de consolation et une espérance pour faire face à l'inquiétude que provoque la nuit et pour libérer l'âme de l'humain.

Nous allons explorer les nuits saintes dans l'Antiquité, dans le Bouddhisme, l'Hindouisme, le Judaïsme, le Christianisme, l'Islam, la foi bahá’íe et les traditions populaires.

Faut-il des rituels et des fêtes?

En participant aux différentes fêtes, on peut observer que le christianisme se distingue des religions rituelles que sont le judaïsme et l’islam. Dans ces derniers, les rites se manifestent par des règles propres à la vie quotidienne, qu’il s’agisse d’interdits alimentaires, de règles vestimentaires ou de pèlerinages obligatoires.

En morale chrétienne, l'accent est mis sur la liberté de suivre Jésus, le Christ, lui qui a vécu et manifesté une parfaite cohérence entre son enseignement et ses comportements, entre ses paroles et ses actes. En cela il est reconnu par ses fidèles comme Parole de Dieu et Sagesse de Dieu.

La soumission à diverses exigences rituelles maintient un lien fort avec Dieu et entre les croyants.

L’intimité de la prière renforcée par le jeûne, la participation à un pèlerinage, l’ascension d’un chemin de croix constituent des moments exceptionnels de rencontre avec Dieu. Et on peut voir dans le déclin du christianisme, tout particulièrement de la tradition réformée, la conséquence directe de la diminution de règles strictes et de rituels.

Inversement, il convient de relever à quel point les rites religieux sont diviseurs. Les grandes religions monothéistes se rencontrent assez aisément sur les principes fondamentaux: la nécessité de confier sa vie à Dieu, l’importance de la prière, l’appel à la charité et à l’amour de l’autre. Mais les rites les séparent. Abattage rituel, respect du jour du repos, port de voiles dissimulant les cheveux, séparation entre hommes et femmes, inhumation séparée, etc.: ce sont ces rites et les doctrines fondamentales qui s’opposent à une unité des fidèles de religions diverses. C’est autour de rites religieux que se cristallisent les conflits culturels.

On peut regretter que les Eglises protestantes aient abandonné la pratique d'un grand nombre de rituels. Par contre une religion « libérée » des rites- ce qui ne veut pourtant pas dire les abandonner tous

Quelques considérations à propos de l'institution religieuse, les rites et le spirituel de Carl-A. Keller Chaque religion connaît et vénère son propre monde spirituel, et pour chaque religion, le monde spirituel qu'elle connaît et qu'elle affectionne est l'image véridique de la réalité intermédiaire ; cette image est donc – "subjectivement" – vraie.

Concernant l'institution religieuse avec ses rites, l'organisation sociale, quelle soit juive, chrétienne, islamique ou bouddhiste une diversité irréductible des religions saute aux yeux. Les institutions religieuses de chaque grande tradition sont inconciliables avec toutes les autres. On ne peut pas être simultanément chrétien et musulman, ou bouddhiste. L'existence de toute personne religieuse s'inscrit dans un cadre religieux particulier.

D'un côté, c'est le besoin parfaitement légitime de rester fidèle à ce qui a été légué par les anciens. Personne n'aime à détruire ce que ses aînés ont construit.

On ne saurait sous-estimer l'importance des rites, car ce sont eux qui encouragent les fidèles à passer au-delà du sensible.

Mais à ce niveau-là, au niveau du sensible, de la pratique extérieure et de l'institution religieuse, aucune religion n'est intégralement vraie. Sa vérité est toujours assombrie par des erreurs et des faiblesses humaines. L'institution religieuse accuse assurément quelques ambiguïtés. Elle est néanmoins indispensable.

La vie religieuse ne s'épanouit qu'au sein d'une communauté, de ses rites, de son enseignement communautaire, des liens d'amitié et de soutien réciproque qui unissent ses membres.

Le domaine du spirituel et de la spiritualité est illimité. Il ne se confine pas dans le cadre bien circonscrit d'une tradition particulière. La personne de spiritualité qui s'y meut librement peut s'ouvrir à d'autres formes de spiritualité, islamique, hindouiste ou bouddhiste etc. Approfondissant de plus en plus la spiritualité de sa propre tradition, il rencontre ses autres traditions, fraternise avec elles, commence à les aimer. En son esprit, les traditions de spiritualité se fécondent mutuellement, et s'il rencontre des êtres de spiritualité d'autres traditions, il cherche l'échange avec eux. L'exploration du domaine du spirituel est un travail sans terme qui s'accompagne toujours d'une joie divine.

La religion, une contribution à l'intégration Quel est le potentiel de division des religions et quelles sont leurs forces d'intégration et de réconciliation?

A partir des discussions actuelles, on peut constater que les religions sont souvent thématisées quand il s'agit de l'aggravation d'un conflit. De ce fait leurs partisans sont vus comme un danger pour la société. La radicalisation actuelle et son auto-légitimation immunisante peut pourtant compter ses partisans dans différentes dénominations, également non religieux.

Dans cette situation, il est de première importance de dispenser une éducation pacificatrice qui familiarise avec les traditions et symboles des différentes religions. On ne peut uniquement se concentrer sur sa propre culture si on fait partie d'une société pluriculturelle. Connaître ses racines sert à s'orienter et non à se limiter. Tout exclusivisme est problématique. Une sensibilité intégrative fait partie de l'apprentissage et de la compréhension de sa propre culture. Il n'y a pas de contradiction entre une identité religieuse et l'ouverture aux autres. La connaissance des religions contribue à un meilleur discernement et ouvre à une vraie base de discussion.

Le ciel et la terre deviennent un

Die Heiligen Nächte der Weltreligionen Professeur Karl-Josef Kuschel, émission Perspektiven DRS2, 25.12.2009

1

Cf. : Protestinfo 1.4.16 A propos du carême et des rites religieux

2

Cf. : Site: www.carl-a-keller.ch / page: verite_des_religions.php

3

Cf. : Religion als Beitrag zur Integration, Thomas Schlag, « fakultativ », Frühling 2016, p. 6

4

Nuit noire – nuit lumineuse

Comme si le ciel embrassait doucement la terre

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Misère (Oizys), les Nymphes du Couchant (Hespérides) , la Déception (Apate), la Vengeance (Mnèmosyne), la Discorde (Eris), la Folie (Atè), l'Amour/Amitié (Philotès), la Mémoire, la Vieillesse (Geras), la Raillerie/Sarcasme (Momos)4. Ces enfants décrivent la vie psychique des humains, leurs désirs, leurs délits ou leurs manquements ainsi que les lois qui règlent leurs rêves. Ils signifient les désirs de transgression que la nuit déclenche dans l'humain , mais aussi la peur d'être puni par le destin.

Nyx est également à l'origine de l'exigence d'une connaissance morale. Le soir venu, elle part recouvrir la terre (Gaïa) de son voile d'obscurité pour apporter la nuit aux hommes. Le matin, Héméra disperse ce voile, révélant ainsi l'Éther (le Ciel supérieur, partie la plus brillante de la haute atmosphère), le jour bleu et brillant.

Dans les cosmogonies antiques, la Nuit et le Jour sont considérés comme indépendants du Soleil.5 En tant que génitrice de la lumière et du destin, Nyx incarne une règle irrévocable : nuit et jour alternent comme la vie et la mort à l’une ne peut faire abstraction de l’autre.

On construit des temples en divers lieux de Grèce pour cette déesse et on lui consacre le hibou à selon les coutumes, on lui sacrifie des brebis noires et des coqs à homère (poète de la Grèce antique du VIIIe s à av à j.-C.) chante sa puissance qui dompte par le sommeil les humains et les dieux.

Elle aurait été représentée avec le Sommeil et la Mort dans ses bras sur le fameux coffret dans lequel la mère de Kypselos (Cypselus), premier tyran de Corinthe (627 av à j.-C.), aurait dissimulé son fils pour le protéger de ses meurtriers à on avait pris l’habitude de peindre Nyx la face voilée de noir, vêtue d’une longue robe noire semée d’étoiles.

Antiquité grecque

Le ciel et la terre deviennent un

Antiquité grecque Dans sa Théogonie, Hésiode, poète et théologien grec (700 av JC), élabore un récit de l’origine des dieux transmis par les premiers philosophes grecs. Il tente de mettre de l'ordre dans le chaos des phénomènes perçus par les sens1. Il prétend recevoir un pouvoir prophétique par une voix qui lui inspire ce qui était et ce qui sera.

Le prélude à la Théogonie met en scène les Muses (déesses d'une beauté charmante et d'une allure céleste apportant la joie) qui chantent sans fin des chants divins dans la nuit. Ce prélude très détaillé, profond et exigeant, évoque la nuit comme une invention esthétique d'Hésiode devenant représentative pour tout ce qui est archaïque. Les muses chantent et énumèrent les dieux et s'arrêtent auprès de Nyx, la déesse obscure2.

Elle est la déesse archaïque de la Grèce antique qui symbolise la nuit. Sœur d'Erèbe qui symbolise les ténèbres, elle est créée à partir du chaos. Au début il n'y a aucune divinité, seulement un chaos obscur duquel sort Gaïa, la terre-mère, l'abîme sombre nommé Tartare ainsi qu'Eros, le plus beau des dieux éternels3. Nyx, mentionnée en dernier dans cette énumération, en fait partie.

Selon Hésiode, Nyx habite une maison sombre dans les profondeurs de l'abîme Tartare cachée par des brumes bleunoir. Elle vit avec sa fille Héméra, qui symbolise le jour, mais les deux ne se rencontrent pas vraiment, juste peut-être au crépuscule quand la mère part avec son voile noir et quand Héméra rentre. Toute la journée Nyx reste dans sa maison, s'occupant de ses quinze enfants pleins de tempérament qui incarnent les divinités de la destinée et de la nuit intérieure : la Ruine (Kères) et le Destin (Moïra), la Mort (Thanatos), le Sommeil (Hypnos), les Songes (Oneiroi), la Désolation (Moros), la

Karl Friedrich Schinkel Die Nacht in ein weites Tuch gehüllt über dem Golf von Neapel schwebend, 1834

Die Ästethik der Nacht Heinz-Gerhard Friese, Rowohlt-Verlag, p. 118

1

bid pp. 107 et 109 (et 132)

2

Tiefer als der Tag gedacht Elisabeth Bronfen, Hanser Verlag, pp. 37-38

3

Heinz-Gerhard Friese, op.cit. p. 194

4

Cf.: https://fr.wikipedia.org/ wiki/H%C3%A9m%C3%A9ra consulté le 4.3.16

5

Karl Friedrich Schinkel Die Nacht in ein weites Tuch gehüllt über dem Golf von Neapel schwebend, 1834

Karl Friedrich Schinkel Die Nacht in ein weites Tuch gehüllt über dem Golf von Neapel schwebend, 1834

Mahashivaratri (en février-mars) C'est la nuit du Grand Shiva. Sa danse cosmique crée, maintient et détruit l’univers de manière cyclique. Cette nuit 1

est considérée comme l'une des plus saintes de toutes les nuits. Les hindous croient que le dieu Shiva a sauvé l'univers des ténèbres et de l'ignorance. Shiva a une position particulière dans le monde des dieux hindous. Son devoir de détruire ce que Brahma crée et ce que Vishnou maintient signifie que tout est passager sur cette terre. Shiva qui, selon le Veda est représenté sous diverses formes, est généralement accompagné d'un trident, symbole déjà vénéré à l'époque préhistorique.

Il est défini comme le pur symbole de l'absolu. Ce symbole ou signe est produit naturellement sous diverses formes. Un exemple connu est une grotte glacière dans l'Himalaya. Pour la fête de Mahashivaratri de longs et difficiles pèlerinages sont entrepris pour aller vers ces lieux où l'on trouve des symboles naturels. Dans la vénération du Grand Shiva on souligne avant tout son caractère divin, car il a le pouvoir de sauver et délivrer des péchés.

Les hindous de toutes traditions célèbrent la nuit de Mahashivaratri en jeûnant et veillant tout au long de la nuit et en priant. Les croyants qui ne peuvent participer à un pèlerinage célèbrent au temple ou à la maison. On arrose les symboles avec de l'eau et du lait, du yaourt, du beurre, du miel et on les décore avec des feuilles d'un arbre sacré.

Divali/Dipavali2 (en octobre-novembre pour la nouvelle lune) La fête de la lumière et de la déesse de la prospérité Lakshmi dure plusieurs jours. C'est une fête majeure dans l'hindouisme. Elle ne peut pas être séparée de la fête Navaratri/

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Nuit noire – nuit lumineuse

Comme si le ciel embrassait doucement la terre

Hindouisme L'hindouisme est apparu en Inde il y a plus de cinq mille ans. Il se compose d'un ensemble de traditions religieuses.

La base de la foi hindoue est l'acceptation respectueuse des Vedas en tant que plus Haute Autorité sur les sujets religieux et philosophiques. Les hindous croient que leurs dieux sont partout et dans toutes choses. L'une des révélations est un trio de divinités, le trimurti, un concept de l'hindouisme qui représente l'union des trois fonctions cosmiques que sont la création, la conservation et la destruction/dissolution, c'està-dire la transformation. Ces trois divinités sont Brahma qui crée le monde, Shiva qui le détruit périodiquement et Vishnou qui le conserve. Le trimurti symbolise l'origine de toute action divine puisque les trois aspects se conditionnent les uns les autres et se complètent.

Le calendrier hindou est basé sur le cycle « luni-solaire ».

L'année lunaire qui compte moins de jours est périodiquement ajustée à l'année solaire en ajoutant un mois lunaire tous les trois ans. Ainsi les fêtes hindoues sont mobiles.

Plusieurs fêtes sont célébrées dans la nuit, commençant au crépuscule, voire à l'aube ; parfois elles durent plusieurs jours, comme Divali, la fête des lumières, ou s'étendent sur une période de neuf jours, comme Navaratri/Durga Puja.

Hindouisme

Le ciel et la terre deviennent un

Lanternes pour Dhanteras pooja, premier jour de Divali, Inde du sud

Lampes à huile pour la fête des lumières Divali, Inde

Kurma (Vishnu s’incarne dans une tortue) Illustration pour ‘Vishnu Avatara’, 1860-1870

Durga Puja qui est célébrée vingt jours avant.

Nous allons nous concentrer uniquement sur Divali qui veut dire « rangée de lampes ». Durant cette fête on s'offre des cadeaux et on tire des feux d'artifice. De nombreux mythes sont à l'origine de cette fête. Au centre sont les divinités Vishnou et Lakshmi, son épouse. Divali célèbre le retour du dieu de la culture, Rama, et de son épouse, Sita, déesse de la nature, dans la cité antique d'Ayodhya, qu'il a reconquise de haute lutte sur le démon Ravana. Cet épisode est raconté dans le Ramayana (le parcours de Rama). Divali (ou Dipavali) rappelle le chemin de lampes fait à Rama par les habitants d'Ayodhya pour éclairer son retour. Le démon Ravana, personnifié par de gigantesques effigies, est brûlé en signe de victoire du dieu Rama lors des festivités qui ont donc lieu vingt jours auparavant.

Le moment le plus important de la fête Divali est le jour de la nouvelle lune consacré à l'adoration de la déesse Lakshmi, la déesse de la prospérité. Pour l'attirer dans les foyers, les femmes décorent le seuil des portes avec des dessins géométriques colorés. La nuit tombée on allume les petites lampes à huile que l'on dépose au bord des fenêtres. Cette lumière représente la présence de la divinité. Les feux d'artifice et les pétards ont pour fonction de chasser les esprits malveillants.

Ces festivités s'étendent sur cinq jours complets selon une suite à observer: chaque jour ou nuit se célèbre de manière différente, et selon un cérémonial approprié, avec toute une série de légendes et de traditions.

Outre Lakshmi et les deux incarnations divines de Vishnou que sont Krishna et Rama, Divali célèbre également Ganesh,

le dieu à tête d'éléphant, fils de Shiva et de Parvati, qui est « celui qui écarte les obstacles de l'égo ».

Plus généralement Divali célèbre la victoire de la lumière sur l'obscurité ou, en d'autres termes : du bien sur le mal.3 La sonorité du monde (ou le chant des mantras) Plusieurs traditions de l’hindouisme transmettent les chants védiques (le Veda signifie le savoir) à le noyau des Vedas consiste en une transmission orale par des sages mythiques qui entendent le rythme du cosmos à selon de très anciennes traditions écrites, de tout le cosmos émanent des sons et des vibrations à une signification particulière est donnée au son sacré « OM » car, à ce chant, ciel et terre se rencontrent.

A la suite de cette ancienne tradition on pourrait dire que les étoiles chantent puisque des scientifiques ont enregistré le « chant » de Saturne : des sons se produisent par la rotation autour de son propre axe.4

Shiva, dieu hindou, membre de la Trimūrti avec Brahmā et Vishnou

Cf.: https://de.wikipedia.org/ wiki/Shivaratri, consulté le 27 juin 2016

1

Cf.: https://fr.wikipedia.org/ wiki/Divali consulté le 27 juin 2016

2

Cf. : Dossier Un monde en fête, édition Agora, p. 38

3

Eine Hand voll Sternenstaub, Lorenz Marti, Kreuz Verlag 2013, p. 152

4

Hindouisme

Le ciel et la terre deviennent un 58 Nuit noire – nuit lumineuse

Comme si le ciel embrassait doucement la terre

Des vaches décorées pour la fête de Divali, Inde

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La nuit de l’illumination : Bouddha Gautama1 Vesak est la fête la plus importante du bouddhisme theravada (dès le IIIe s. av. J.-C). Elle a lieu à la première pleine lune du mois de mai. On l'appelle trois fois sainte car on célèbre trois moments importants de la vie de Bouddha : sa naissance, son éveil et son entrée dans le nirvana (ce qui veut dire qu'il quitte son état de présence active au profit d'un état de quiétude).

Dans le bouddhisme mahayana (entre le Ier et Ve s.), ces trois événements sont célébrés à des jours différents. La naissance est célébrée le 8 avril et l'éveil le 8 décembre. L'événement central de la vie de Bouddha n'est pas la naissance physique mais sa nouvelle naissance. Comme le prince Siddharta Gautama (450-370 av. J.-Ch.) deviendra l'éveillé tout court, la tradition bouddhique a placé rétroactivement sa naissance sous un signe merveilleux. Différentes légendes ont contribué à magnifier la venue du petit Bouddha. Une origine mythique au-delà de l'historicité contribue à souligner son importance universelle.

Des traditions plus tardives situées au IIe s. après J.-C. ont ajouté aux récits initiaux des représentations d'une conception surnaturelle, une sorte de procréation spirituelle. Bouddha prend la forme d'un éléphant blanc et entre dans le corps de sa mère qui est dans un état d'éveil ou de rêve. Puis il la quitte de nouveau par le côté. Cet événement est accompagné d'apparitions lumineuses d'une clarté éblouissante : c'est le signe qu'il a une dimension cosmique. Pourquoi un éléphant? Il est le symbole de la force et de la sagesse du nouveau-né. Pourquoi faut-il une procréation surnaturelle sans père terrestre? C'est le symbole de la pureté spirituelle et intacte que Bouddha aurait reçue dès le tout début de son existence. Il est au-delà des souillures, des envies ou concupiscences humaines qui sont pour le bouddhisme à l'origine de toute souffrance

Bouddhisme

Le ciel et la terre deviennent un

Nuit noire – nuit lumineuse

Comme si le ciel embrassait doucement la terre

Bouddhisme Allez, allez, allez au-delà, allez complètement au-delà, l'Éveil (Bodhi) soit réalisé (svāhā)!

Sūtra du Cœur de la Perfection de Connaissance Transcendante

Siddharta Gautama les moments clef de sa vie Les légendes populaires évoquent sa naissance virginale lors d'une nuit de pleine lune. Puis, à l'âge adulte, la nuit sous le figuier changera entièrement sa vie. Il fait le chemin vers le dépassement, c'est la nuit de sa pleine illumination.

La nuit correspond à un éveil conscient, une préparation à recevoir la vérité, l'apprentissage d'une nouvelle écoute qui conduit à une attitude mystique, la capacité de lire des signes, une attention particulière et un chemin pour sortir de la crise par la connaissance de la nature profonde de la souffrance.

La souffrance naît de l'attachement à la vie.

Celui qui veut sortir de cette soif de vivre, doit se donner à la méditation.

Quelles sont les signes de l'illumination ?

Il faut tout un temps pour sortir du chemin des souffrances. Par l'état d'éveil des sens et par les rêves, l'être humain va pouvoir entrer dans les profondeurs de la vie, ce qui permet de prendre distance par rapport à l'attachement à ses désirs, à soi-même et à tout artifice superflu.

Buddha’s first sermon in the Deer Park from Wat Chedi Liem in Thailand, commons.wikimedia.org

Bouddhisme

Le ciel et la terre deviennent un

humaine. Bouddha par ailleurs réside déjà entièrement développé dans le corps de sa mère assis dans une châsse décorée de pierres précieuses et portée par des colonnes. En conséquence Bouddha naît avec la conscience pleinement développée et la connaissance parfaite du monde. Les légendes autour de sa naissance se racontent comme un bouquet d'événements cosmiques et de miracles de la nature. Qu'en est-il de son corps terrestre? Ce n'est qu'un corps fantasmagorique et ses phases d'apprentissage jusqu'à l'éveil sont racontées comme un moyen pédagogique aux personnes mortelles pour trouver le chemin et pouvoir se libérer de la spirale des réincarnations.

Selon les traditions, l'illumination de Bouddha a lieu de nuit à Bodh Gaya sous un figuier. Il veille trois nuits de suite plongé dans une méditation profonde et reçoit la plus haute illumination avec un triple savoir : le souvenir des naissances antérieures, la vision de l'avenir et la connaissance de l'origine de la souffrance et son élimination. À la tombée de la nuit, après avoir passé par les quatre états de Dhyana ou d’intense méditation, il atteint le premier degré: indifférence des sentiments, ensuite, le deuxième degré qui se distingue par une complète concentration du mental et une sensation de joie. Au troisième degré, il se sent submergé dans la paix et la sérénité sans limites et au quatrième degré, il atteint un état de suprême pureté, au-delà de toute souffrance et de tout plaisir, de toute peine ou de joie.

Après avoir réussi une complète domination des quatre degrés de Dhyana, il va à la découverte de l’origine de toute souffrance.

Ensuite, dans la deuxième partie de la nuit, il voit le monde

entier et il voit la mort et la renaissance de toutes les créatures qui naissent et meurent selon leurs actions accumulées ou karma. Les êtres dont les actes sont condamnables passent par une période de misère, ceux dont les actions sont bonnes, gagnent un lieu au troisième ciel. À ce moment, il comprend la loi du karma qui gouverne l’univers.

Dans la troisième partie de la nuit, arrive la vérité ultime: Les douze causes de l’Éternel retour, qui sont la véritable cause de l’origine de toute souffrance dont le dernier chaînon est l'ignorance.2 Ainsi la tradition bouddhique a donné une importance particulière à la nuit. Elle est devenue le temps d'une profonde connaissance des conditions fondamentales de la vie humaine et d'une ouverture particulière à la révélation, voire à l'illumination. La nuit devient un temps décisif dans la découverte de la véritable essence du monde.

Les bouddhistes célèbrent la nuit - qu'elle soit en mai ou en décembre- dans la reconnaissance pour la voie que Bouddha leur a enseignée. Pour cette raison la fête de Vesak ou de Bodhi (l'arbre saint) est aussi une occasion de se donner des cadeaux. On offre des cadeaux aux nécessiteux, on soigne particulièrement les pèlerins et on organise des processions de lumières. Pour symboliser la libération de la spirale des réincarnations, on libère des oiseaux en cage. C'est le jour où l'on s'échange des cartes de vœux et des bénédictions en souvenir de la venue de Bouddha.

Les grottes Mogao de Dunhuang (grotte 328) Bouddha Sâkyamuni entouré d’Ananada et Mahâkasyapa et de deux bodhisattva, VIe – VIIIe s.

Das Weihnachten der Dichter Karl-Josef Kuschel, Patmos Verlag p. 13

1

Cf: http://www.vopus.org/fr/ gnose/mystique-religion/ les-4-saintes-verites.html, consulté le 15.4.2016 et cf: http://www.vopus.org/fr/ gnose/mystique-religion/ la-vie-du-bouddha-siddhartagautama.html, consulté 7-4-14

2

Exode 13,8

La nuit de Pessa’h Une des nuits les plus importantes dans le judaïsme est le souvenir de l'Exode. Dieu conduit son peuple hors de l'esclavage. La religion donne la force contre ce qui est menaçant. A travers cette fête, les communautés juives vivent la simultanéité de l'événement avec la vie d'aujourd'hui en récitant l'histoire fondatrice. Dieu est là pour que l'humain se libère de toute sorte de servitudes ou d’esclavages.

Moïse, qui a conduit les Hébreux hors d’Egypte, est un homme imbriqué dans la vie concrète. Selon les récits du livre de l'Exode, il est issu d'une famille vivant en Egypte à une époque où les dirigeants de l'Egypte utilisent des méthodes brutales envers leurs sujets israélites. Ils craignent une forte prolifération de ce peuple. En leur infligeant une tâche extrêmement dure, ils pensent assurer leur soumission.

La nuit avant l'Exode, la nuit de Pessa'h, est marquée par la préparation du départ des Hébreux. C'est la nuit d'une naissance : Israël devient un peuple. C'est un événement décisif pour les Juifs. Jusqu'à aujourd'hui, partout dans le monde, un rituel très particulier se répète d'année en année. En effet, le Séder, la soirée de Pessa’h, commémore cette nuit si importante dans le vécu juif, où le peuple d'Israël est sorti d'Egypte. Tous les symboles et aliments de la soirée, comme le pain azyme

(Matsa), racontent le passage de l'esclavage à la liberté. Pessa’h, appelée fête du printemps dans la Bible, est à l'image de la création où la nuit précède le jour. "Et ce fut le soir et ce fut le matin, jour un". C'est une perpétuelle naissance, et durant cette soirée, la discussion entre le père et ses enfants précise que la lumière de cette nuit-là était décisive et que le peuple juif continue de la vivre au quotidien.

Dans la fête actuelle, l'événement d'autrefois est ainsi actualisé et devient un apprentissage de la simultanéité et de l'humilité . Selon le rituel, le père bénit la table et ensuite son plus jeune fils pose les quatre questions traditionnelles qui se résument en celle-ci : qu'est-ce qui différencie cette nuit des autres nuits ? Le père répond en récitant l'histoire du départ de l'Egypte pour rappeler à l'assistance: Nous étions esclaves en Egypte et l’Eternel, notre Dieu, nous a fait sortir de là par Sa main puissante et son Bras étendu. Au cours de la lecture de la Haggadah, livre utilisé pour la célébration du Séder, il est de tradition d’encourager l’assistance à poser des questions, à proposer des réponses et à susciter des discussions au sujet des textes lus. Le message de Pessa’h traverse d’ailleurs toute la Torah, comme par exemple dans ces versets du Lévitique : « Quand un étranger viendra s’installer chez toi, dans votre pays, vous le traiterez comme un indigène, comme l’un de vous ; tu l’aimeras comme toi-même, car vous-mêmes avez été étrangers au pays d’Egypte ».

La nuit de Chavouot Quarante-neuf jours après Pessa’h c'est une autre nuit, la

Judaïsme

Le ciel et la terre deviennent un

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Nuit noire – nuit lumineuse

Comme si le ciel embrassait doucement la terre

Judaïsme Tu diras alors à ton fils : C'est en mémoire de ce que l'Éternel a fait pour moi, lorsque je suis sorti d'Égypte.

Hanouccia (chandelier)

veillée d'études de Chavouot (fête du don de la Torah), qui rappelle que la valeur de la liberté dépend de l'idéal qui l'accompagne.

La nuit de Hanucca (Inauguration, Dédicace) En plein hiver, alors que les nuits sont longues et les journées courtes, les lumières de Hanucca rappellent qu'après la profanation du Temple de Jérusalem par Antiochus IV Epiphane (entre 165 et 163 av. J.-C.), Dieu a permis la victoire d'Israël et le rétablissement du culte.

Alors que l'on s'apprête à la réinauguration du Temple, on ne retrouve plus qu'un petit flacon d'huile pour la lampe à sept branches (menorah), juste suffisant pour une journée. Or il faut huit jours pour en fabriquer. Par miracle l'huile brûle huit jours.

Le rite central est l'allumage des lumières sur le chandelier à huit branches. Après une bénédiction, on allume le « serviteur », c'est la neuvième bougie qui sert à allumer les autres. Puis on les allume au rythme d'une de plus par soir en commençant par la gauche, ainsi le huitième soir elles sont toutes allumées.

Avec le chant Maoz tsour (puissant rocher) on va célébrer la nouvelle dédicace du Temple.

En allumant la hanouccia (chandelier) tous les soirs pendant huit jours, les familles juives rappellent l'espoir qui les anime. Illuminées par les valeurs essentielles de la Thora, la lumière vaincra l'obscurité, la pureté surmontera l'altération et la spiritualité permettra à l'ensemble de la création de prendre toute sa valeur.

Extrait de la Haggadah de Sarajevo, réalisé en Espagne XIVe s., Bosnie-Herzégovine

Judaïsme

Le ciel et la terre deviennent un

Illustration Brockhaus et Efron, Encyclopédie juive (1906—1913)

Menorah géante, installée pour la Hanucca

JudaĂŻsme

Le ciel et la terre deviennent un 64 Nuit noire – nuit lumineuse

Comme si le ciel embrassait doucement la terre

Récolte de blé pour le pain azyme du repas de Séder

Nuit noire – nuit lumineuse

Comme si le ciel embrassait doucement la terre

Christianisme Les ténèbres couvraient l’abîme à dieu sépara la lumière et les ténèbres à dieu appela la lumière jour et les ténèbres nuit.

Genèse 1,11

Introduction Avec le fait que la nuit est le pendant du jour dans un monde ordonné, les ténèbres inquiétantes restent à proximité des humains et provoquent leurs angoisses. Paradoxalement, c'est dans la nuit que Dieu noue ses alliances soit avec les pères des croyants comme Abraham (Gn 15,5. 12.17) ou Jacob (Gn 32, 23-33) ou alors avec l'humanité tout court dans le récit de Noël ou de Pâques.

D'autres récits du Premier Testament et des évangiles montrent que la nuit dévoile aux humains les désirs et les angoisses qui les habitent. La Bible montre les songes comme un lieu de révélation de Dieu aux fidèles réceptifs, promesses ou ordres de mission.

Noël, une fête inattendu2 L'ange leur dit : « Voici le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire » Evangile selon Matthieu 2,12

Christianisme

Le ciel et la terre deviennent un

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Jusqu'au milieu du IIe siècle, le dimanche est la seule fête chrétienne. Il représente alors la fête de Pâques hebdomadaire.

Commémoration annuelle de la passion et de la résurrection

de Jésus Christ, le Triduum pascal (du soir du Jeudi Saint au jour de Pâques) est mentionné au IVe s. par Ambroise de Milan, Père de l’Eglise. La résurrection de Jésus le Christ est la source et le cœur de la foi chrétienne. C’est elle que l’on célèbre chaque dimanche (« le premier jour de la semaine [juive] ») dès les premiers temps de l’Eglise. C’est d’elle que procède la rédaction des évangiles. Ceux-ci ne sont pas des biographies de Jésus au sens moderne du terme, mais avant tout un ensemble de témoignages rendus au Crucifié Ressuscité. Au nom de leur foi pascale et à l’aide de diverses sources orales ou écrites, les évangélistes ont rapporté les paroles et les actes du Maître.

Avant de vivre la fête de Noël en tant que telle, on a commencé par célébrer le baptême de Jésus adulte fixé au 6 janvier (cette fête est maintenue dans les Eglises orthodoxes et orientales : la fête de la Théophanie). Il sera le centre de ce qu'on appelle l'Epiphanie, la manifestation publique de Jésus en tant que fils de Dieu. Le récit de la naissance de Jésus ne se trouve que dans deux évangiles : Matthieu et Luc. Ni Marc ni Jean ni les lettres de l'apôtre Paul n'en parlent. Le choix du 25 décembre pour la fête de Noël distincte de l'Epiphanie s'inscrit dans l'histoire plurielle du christianisme primitif. L'Occident et Rome adopte cette nouvelle date dans la première moitié du IVe siècle, la Palestine et Jérusalem au Ve siècle et à la fin du VIe s. Justin II ordonne que le 25 décembre soit la date officielle de la fête de Noël dans tout l'empire. Malgré cela plusieurs Eglises, dont celles des Arméniens, gardent la date du 6 janvier pour fêter Noël.

Plusieurs hypothèses sont avancées pour expliquer le choix

Cf : La nuit dans la Bible, Christophe Chaland, résumé de son livre Ce que dit la Bible sur... la Nuit, article consulté le 27.6.2015

1

Revue Evangile et Liberté No 284, décembre 2014, cf : l'article : Noël, une fête inattendue par Laurent Gagnebin, p. 10

2

Les origines de l'année liturgique, Thomas J. Talley, New York 1986 et Pris, Cerf 1990

3

Das Weihnachten der Dichter Karl-Josef Kuschel, Patmos Verlag, pp. 50 et 56

4

de la date du 25 décembre. Les deux évangiles qui parlent d'une manière légendaire de la naissance de Jésus ne donnent aucune indication. D'une part il est dit que la christianisation s'est appropriée des fêtes païennes comme les saturnales célébrées dans l'Antiquité romaine au solstice d'hiver. D'autre part en l'année 274 toujours dans l'empire romain une fête est instituée également au solstice d'hiver : « le jour de la naissance du soleil invaincu ». Constantin le Grand aurait alors utilisé la symbolique de Jésus, lumière du monde (Jn 8,12) pour lutter contre cette fête très populaire. Une autre explication est avancée par Thomas J. Talley3.Selon une tradition transmise de l'Antiquité, les héros devaient mourir le même jour que leur conception. La mort de Jésus étant supposée le 25 mars et en y additionnant les neuf mois de grossesse de Marie, on arrive au 25 décembre.

La provenance de l’arbre de Noël On peut la trouver dans les mystères qui sont des représentations théâtrales de la Passion au Moyen-Âge. Un rapprochement est alors fait entre l'arbre de la croix et l'arbre de vie (Gn 2,9) donc il devait s'agir d'un arbre toujours vert.

La nuit devient perméable4 Un ciel devenant perméable permet la rencontre entre l'humain et le divin dans les rêves et dans la nuit. Des anges apparaissent (dans la naissance de Jésus par exemple) en tant que messagers de Dieu. Ce sont des figures qui aident à interpréter et diriger les événements. Les humains sont rendus attentifs aux signes cosmiques (l'étoile de Bethléem) qui indiquent souvent le début d'une ère nouvelle : une nouvelle tranche d'histoire, un signe qui donne de l'espérance.

Le déroulement exceptionnel de la naissance de Jésus montre qu'il s'agit ici d'une initiative de Dieu. Les deux évangélistes Luc et Matthieu insistent sur une procréation divine.

La puissance divine est à l'œuvre. Ainsi l'événement symbolise une césure pour montrer que la puissance de Dieu est

Christianisme

Le ciel et la terre deviennent un

Pourquoi ce grand succès de Noël?

Noël est une fête à plusieurs dimensions. Il est une fête de passage qui célèbre la naissance, l'étape initiale de notre existence. En quelque sorte, il est la fête de l'enfance par la féérie qui habille la célébration. Il y a une dynamique dans le passage du 24 au 25 décembre qui va de la nuit à la

lumière. En même temps ce passage a lieu dans la nature, dans la réalité du solstice : les jours vont se rallonger et le soleil triomphera enfin de la nuit, on peut se tourner vers des mois prometteurs. Cette symbolique est évidemment propre à l'hémisphère Nord.

La Réforme du XVIe siècle a voulu recentrer certaines fêtes chrétiennes. Ainsi Noël est supprimé temporairement à certains endroits ou alors célébré le dimanche suivant le 25 décembre.

Il faut avant tout se concentrer sur le Christ, sur le dimanche et sur le culte. Aujourd'hui Noël est la fête chrétienne la plus populaire, toutefois son attrait commercial et folklorique la vide de son sens premier. Où est donc le mystère, l'émerveillement, l'unicité de l'événement, l'irruption de l'inattendu ?

Jacopo Robusti, Il Tintoretto Ultima cena, 1592-1594, Venezia

Nuit noire – nuit lumineuse

Comme si le ciel embrassait doucement la terre

68 Christianisme

Le ciel et la terre deviennent un

salvatrice pour le peuple et renouvelle le monde. Cette initiative œuvre pour le bien du peuple d'Israël mais aussi pour les peuples païens. Les évangélistes citent des versets prophétiques du Premier Testament tout au long du récit de la naissance de Jésus pour souligner l'exaucement d'une longue espérance.

Dans les deux évangiles l'accent est mis sur l'humilité de ce nouveau-né qui est aussi Fils de Dieu, contrairement à ce que l'on peut trouver dans les naissances des dieux des peuples païens où sont loué leur puissance et leur majesté. Le récit de la naissance de Jésus procède par d'autres moyens : il s'adresse aux démunis et aux exclus de la société en décrivant que le fils de Dieu est né dans une étable et visité par des bergers, un métier méprisé par le peuple. Il s'agit d'une narration d'un art exceptionnel. Le message véhiculé par ce récit invite à considérer non pas un mythe au-delà du temps et des lieux, mais une histoire enracinée dans un espace et dans une époque.

Ce qui se joue cette nuit-là doit concerner le monde entier.

Les récits fondateurs d'autres grandes religions du monde n'ont pas cette même intention. Par exemple pour l’hindouisme il est sans intérêt d'indiquer une époque pour la naissance de Krishna vu le cycle du cosmos dans son immensité (destruction et reconstruction) qui se répète éternellement (le principe de l'Eternel retour). De même l'enseignement de Bouddha est hors du temps. L'historicité n'est pas importante pour la pensée cosmique.

C'est tout autrement pour les religions prophétiques, Dieu ayant un rôle constitutif dans un lieu et dans un temps, elles ont un enracinement dans l'histoire.

Dans le récit de la naissance de Jésus, il y a un mouvement du haut vers le bas et du bas vers le haut. De la mangeoire, le lieu le plus bas, le lecteur est mené vers le haut avec l'apparition des anges. Au même moment, ils diffusent le message qu'il ne faut pas avoir peur et qu'une grande joie est offerte à l'humanité. Dans l'évangile de Matthieu, la scène introduit un contraste dramatique : les mages venant de l'Orient arrivent à Jérusalem où le climat politico-religieux est chargé. Malgré les prophéties affirmées par les scribes, le peuple du lieu ne montre que désintérêt et hostilité face au nouveau-né. Cela est différent pour les représentants de la sagesse orientale, les mages, qui arrivent d'un monde païen lointain en tant qu'élite spirituelle.

Un des mots clef du récit est la paix pour le monde ; Dieu va instaurer la paix pour tous ceux et celles qu'il aime. Le sens profond de la naissance de Jésus cherche à faire réfléchir sur l'état du monde à la lumière d'une justice mondiale.

Et qu'en est-il resté aujourd'hui de ce grand hymne à la justice et du message de paix ?

La fête de Noël et le Coran5 La fête de Noël révèle des relations proches entre le christianisme et l’islam à elle n’est pas uniquement basée sur des processus historiques de voisinage mais elle est ancrée dans le Coran.

En quoi le Coran est-il lié à noël? i on compare le Coran et la Bible, on peut faire des découvertes surprenantes. Il y a des différences fondamentales, mais aussi des parallèles étonnants. Avec la distanciation

entre l'Orient et l'Occident, on ne sait plus aujourd'hui que le Coran a repris une grande richesse des traditions bibliques.

Le Coran avait pour mission première de restaurer une très ancienne religion, celle d'un monothéisme strict porté par le patriarche Abraham, père également de la foi judaïque et chrétienne. Pour cette raison l'islam est aussi appelé la « religion d'Abraham ». Le judaïsme et le christianisme auraient mal compris, voire falsifié, le message d'origine, en partie du moins. C'est la raison de la nécessite d'une nouvelle révélation de Dieu, cette fois-ci en arabe, après celle en hébreu faite aux juifs et celle en grec faite aux chrétiens.

Le Coran affirme qu'il ne devrait pas y avoir de scission entre ce que Dieu a ordonné à Noé, à Abraham, à Moïse et cela jusqu'à Jésus (Sourate 42, 13). Plus on étudie les traditions du Coran, mieux on prend connaissance de la parenté entre les trois religions monothéistes, sans ignorer bien sûr les différences.

Juifs, chrétiens et musulmans forment une communauté croyante chacune avec un profil distinct qui se différencie d'une manière signifiante des religions d'origine indienne ou chinoise.

Le Coran connaît deux récits de la naissance de Jésus, l'un dans la Sourate 19 et l'autre dans la Sourate 3, qui est la plus ancienne version. Si un chrétien les lit, il est frappé par les parallèles avec la version de l'Evangile de Luc en particulier. Les deux versions connaissent l'annonce faite par l'ange Gabriel (Evangile de Luc 1, 35) ou par l'esprit de Dieu, représenté par un bel homme (Sourate 19, 17). Les deux parlent d'une conception virginale. Une autre conviction de base est la désignation de Jésus en tant que le béni de Dieu ; il est

décrit comme un homme de la paix du début à la fin des récits le nommant, en se référant à la tradition vécue dès les débuts du Christianisme.

Pour les fondements du christianisme, la naissance de Jésus est intégrée dans l'histoire du peuple d'Israël, peuple élu de Dieu. La venue de Jésus est l'accomplissement ultime d'une longue attente de son peuple. Elle est le signe d'une conversion des peuples. Ce début est inscrit dans une historicité puisque le récit évoque la situation politique et nomme les dirigeants. Par la naissance de Jésus, la Parole de Dieu se fait chair. Dans l'islam, la Parole de Dieu se fait livre, le Coran.

La Bible et le Coran Les ressemblances: Dieu rend possible ce qui semble impossible pour l'être humain. Dieu est libre dans son agir et franchit toutes les limites du possible.

Le Coran affirme le pouvoir créateur de Dieu. La confiance en ce pouvoir créateur relie les deux récits, dans le Coran, Sourate 3 et 19, et dans la Bible, les évangiles Matthieu et Luc. De plus, dans le Coran comme dans la Bible, Jésus est une créature spirituelle. Il n'est pas le produit d'une histoire entre deux êtres humains. Cela correspond également à la conception de Bouddha.

Une autre ressemblance : les textes dans le Coran et dans la Bible sont unanimes concernant la qualification de Jésus.

Il est le béni de Dieu, il est un homme de paix et cela du début à la fin, de la naissance à la mort.

Les dissemblances: le Coran n'est pas intéressé à la lo-

Fresken in Sant’ Angelo, Formis (Capua), Das Abendmahl Italo-Byzantinischer Meister um 1100

Pâques Une traversée de plusieurs nuits avant d'arriver à la lumière de Pâques Dans le christianisme de nombreuses nuits sont porteuses d'une expérience lumineuse et de profonds changements à plusieurs niveaux, tel que spirituel, humain, voire sociopolitique.

Une seule fête par contre, composée d'une série d'expériences au cours de plusieurs nuits est considérée comme mémorial de l'événement fondateur du christianisme. Nous l'avons déjà mentionné plus haut : il s'agit de la fête de Pâques commémorant la mort et la résurrection du Christ, qui, pendant

les trois premiers siècles est la seule fête chrétienne.

Et pourtant la fête de la naissance de Jésus – Noël – a gagné avec le temps beaucoup plus de popularité. Il est en effet plus facile de comprendre la naissance d'un enfant que la mort et la résurrection d'un homme, dont on discute jusqu'à aujourd'hui la vraie nature.

Les événements de Pâques se situent autour de l’équinoxe du printemps. En l'an 325 le concile de Nicée a fixé le dimanche de Pâques pour les Eglises d'Occident. Cela devait dorénavant être le dimanche après la première pleine lune qui suit l'équinoxe de printemps. Comme déjà mentionné, dans la tradition du christianisme ancien la date de la mort de Jésus correspond au 25 mars, date également de son engendrement selon cette même tradition. Dans la tradition des Eglises orthodoxes par contre qui s'orientent d'après le calendrier julien, la fête de Pâques est souvent célébrée à une autre date.

Très tôt les traits de Jésus de Nazareth, l'homme historique, dont on a quelques traces et les traits de Jésus, le Christ, qui est à l'origine de la foi des chrétiens, se sont confondus. Son vécu prophétique est raconté au travers des quatre évangiles dans la deuxième partie de la Bible, dont l'intérêt est avant tout de relayer l'histoire avec Jésus, une histoire de foi vécue dans les nouvelles communautés qui se sont formées depuis l'annonce de sa résurrection. Les transmissions des événements par la première et la deuxième génération sont donc teintées clairement de leur compréhension et de leur intérêt.

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calisation précise du récit, ni à son historicité. Les scènes sont stylisées avec art et se situent comme détachée du monde, tout en menant un dialogue réaliste.

Le Coran travaille avec des contrastes, par exemple : Jésus naît dans le désert, lieu du vide mais qui est en même temps le lieu de la plénitude de Dieu. Puis il y a le désir de mourir de Marie et en même temps l'eau de la source vivante qui jaillit ; il y a les douleurs de son accouchement et les dattes sucrées qui la nourrissent ; le vœu de silence qu'elle adresse aux adultes et la prise de parole du nouveau-né.

Marie dans le Coran: dans la Sourate 19, 16 on peut lire : Rappelle aussi l’histoire de Marie ... Ce n'est pas seulement une formule mais une qualification théologique, Marie est mémorable. Elle n'est pas seulement la seule femme qui est nommée dans le Coran mais elle fait partie des personnes auxquelles le message de Dieu a été directement adressé.

Ibid. pp. 22-34

5

Der Glaube erschlossen und kommentiert von Hubertus Halbfas, Patmos Verlag, p. 297

6

Die Ästethik der Nacht Heinz-Gerhard Friese, Rowohlt-Verlag, p. 1144

7

En lisant les récits concernant Jésus, on s'aperçoit qu'il est pleinement ancré dans la tradition juive et lié aux fêtes de sa communauté.6 Et alors la résurrection?

Elle est une expérience bien particulière qui n'apparaît qu'aux personnes croyantes. Le christianisme n'est pas une nouvelle religion qui tombe du ciel. Toutes les religions se greffent sur des traditions antérieures, elles naissent dans un environnement habité de différentes cultures qui ont, elles aussi, leurs traditions et leurs fêtes. Ainsi on peut trouver dans les mythes des religions antiques sumérienne, grecque ou romaine des rites de résurrections, parfois correspondant à l'époque de l'année où il y a l'éclosion de la nature. Le verbe « ressusciter » veut dire se relever, se réveiller, être ramené à la vie. Ce concept prend ses racines dans la naissance et la renaissance (à ne pas confondre avec réincarnation) du cycle de la vie à travers le déroulement des saisons. Sa croyance est liée à la question de la fragilité de la vie humaine.

Et pourquoi les quatre Evangiles situent justement la trahison et l’arrestation de Jésus dans la nuit de la fête de la Pâque?

La fête de Pessa'h est liée à des offrandes sanglantes, dont on fait mémoire. L'offrande d'un sacrifice d'expiation était une tradition religieuse généralisée dans les anciennes cultures et vieille de plusieurs milliers d'années. Cette pratique est pourtant déjà critiquée au 8e et 7e siècle av. J.C. par les prophètes Amos, Osée et Isaïe comme étant indigne de Dieu.

Dans le désarroi face à la mise à mort de Jésus comme un malfaiteur, ses disciples comprennent l'acte comme une superposition des deux événements : la mise à mort de Jésus devient le sacrifice de la fête de la Pâque. En relisant les prophètes cités ci-dessus, cette interprétation du sacrifice peut être comprise comme un pas en arrière du point de vue de l'Histoire des Religions.8 Cette nuit lie les juifs et les chrétiens. En effet, c'est au cours de cette nuit que Jésus prit son dernier repas en célé-

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Avant la résurrection, il y a la traversée de la nuit, des nuits.

Et quelles sont ces nuits? Il y a un flux d'événements qui vont du chaos à la recréation.

Le premier soir- devenu le soir du Jeudi Saint- Jésus s'apprête à vivre la Pâque juive, la grande fête de la libération de son peuple. On commémore la nuit très ancienne d'un passé lointain où il y a eu le massacre de tous les premiers nés mâle égyptiens pour permettre au peuple esclave de partir incogni-

to. Moïse, le prophète, qui conduit son peuple dans la liberté avait lui-même échappé à ce destin de massacre dirigé alors contre le peuple des Hébreux qui proliféraient trop rapidement selon le pharaon. Jésus, lui-aussi, rapporte l'évangéliste Matthieu (chap. 2, versets 16-18), a échappé à une nuit de massacre de petits garçons, ses parents fuyant avec lui vers l'Egypte.7 Certains parlent de lui comme du nouveau libérateur de ce peuple opprimé, réprimé par l'occupation romaine. C'est l'attente d'une partie du peuple comme le confirment certains passages.

Michelangelo Merisi da Caravaggio L’Incrédulité de saint Thomas, vers 1601- 1603, Potsdam.

Les heures noires de la déréliction (le sentiment d’abandon et de solitude morale) Il devait descendre tout au fond de la fosse ténébreuse avant qu'une recréation vers une libération soit possible – une libération d'un autre ordre que politique, bien entendu.

Les six étapes les plus essentielles de la passion du Christ se déroulent dans la nuit ou à la pénombre: d'abord le repas, la cène et après cette expérience partagée, Jésus doit sortir dans la nuit. Cette cène deviendra par la suite le dernier repas et le cœur de la vie des communautés chrétiennes (célébré le soir du Jeudi Saint, voir ci-dessus « avant la résurrection »).

Ensuite la prière dans le jardin de Gethsémani – puis l’arrestation de Jésus – le reniement de Pierre – et la mort de Jésus sur la croix et avec elle, une nuit opaque tombe sur le monde ignorant (le Vendredi Saint au milieu de l'après-midi) – puis enfin : la résurrection nocturne (dans la nuit du samedi à dimanche de Pâques). Ces nuits extérieures deviennent des nuits intérieures, pleines de contradictions, de peurs, d'isolement, de faiblesses (tremblement, endormissement), de prières, de trahison, de souffrances, de reniements et de regrets.9

Cela exprime le vécu le plus élémentaire et le plus dramatique d'un être humain avant de pouvoir épouser l'être de lumière, la sérénité, la Vie. La déstabilisation suite à l'atrocité de la mort peut se transformer en en nouvelle histoire de vie possible. Une nouvelle espérance peut naître. L'être humain est fait pour la vie. Dans le chaos il y a la possibilité de recréation et il y a des événements avec une puissance de transformation qui dépasse la compréhension humaine.10 Des coutumes autour de Pâques L'histoire païenne qui entoure les fêtes de Pâques a mis à distance cette histoire de la traversée de la nuit, du silence, de la mort et la transformation dynamique en nouvelle création. Les lapins, les œufs, les symboles du printemps, de la vie qui rejaillit, tout y est lié et exprime la renaissance de la vie et la joie de la découverte que tout se relève de la sombre nuit d'hiver. Mais la fête de Pâques chrétienne va plus loin dans sa signification : après la traversée difficile des ténèbres, il y a le choix d'un chemin pour tous les humains qui ouvre à une vie abondante, une vie de paix et de justice. Il est précédé de Jésus le Christ.11

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brant Pessa'h, fête de la libération de son peuple de l'esclavage d'Egypte, fête de la liberté et de la fin de toute servitude. A la veille de son supplice, Jésus donne à ce repas le sens de la victoire de Dieu sur la mort. On ne peut comprendre l'histoire de Jésus sans connaître l'histoire d'Israël. Depuis lors, ses disciples célèbrent la Cène autour du Crucifié ressuscité, leur espérance en personne.

Hubertus Halbfas, op.cit. p. 279

8

Heinz-Gerhard Friese, op.cit. pp. 1159 + 1163

9

Revue Evangile & Liberté No 290, juin-juillet 2015, La Résurrection autrement, Jean-Marie de Bourqueney, p. 18

10

ibidem

11

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Michelangelo Merisi da Caravaggio Il riposo durante la fuga in Egitto, 1596, Rome

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Islam Introduction Il y a cinq nuits saintes dans l'islam : la naissance du Prophète, la nuit de la conception, la nuit du Voyage nocturne, la nuit de la libération, la nuit du destin "Lailatu l-Qadr". Cette dernière est la plus importante.

La nuit du destin est meilleure que mille mois.

Sourate 97,3

La nuit du destin ou la nuit de la révélation et de la naissance de Mohammed1 La 27e nuit du Ramadan rappelle la révélation du Coran au Prophète. Sourate 2,185 : (Ces jours sont) le mois de Ramadan au cours duquel le Coran a été descendu comme guide pour les gens, et preuves claires de la bonne direction et du discernement. Donc quiconque d'entre vous est présent en ce mois, qu'il jeûne! (...)2 Mais ce n'était tout d'abord pas un événement grandiose puisque Mohammed est torturé de doutes sur lui-même. Dans un premier temps lorsqu'il partage son vécu de cette nuit, on se moque de lui. C'est la nuit de crise (grec krisis : jugement, discernement).

La nuit sainte des musulmans n'est pas liée à la naissance du prophète. Elle est liée à la « descente » du Coran. Les révélations faites au Prophète ont commencé dans cette nuit et s'étendront sur une durée de vingt-deux ans. Selon la tradition musulmane ce début est retenu dans la Sourate 96, 1-5 : Lis, au nom de ton Seigneur qui a créé, qui a créé l'homme d'une adhérence. Lis! Ton Seigneur est le Très Noble, qui a enseigné par la plume [le calame], a enseigné à l'homme ce qu'il ne savait pas.

On se souvient de ces versets Al-Alaq (l’adhérence) dans les derniers jours du Ramadan. Cette fête est une des plus grandes dans le monde de l'islam à comparer avec la fête du sacrifice qui est célébrée lors du mois du pèlerinage en souvenir du sacrifice d'Abraham.

La nuit est appelée la nuit du destin, c'est la nuit de l'engagement pour la paix. C'est ainsi qu'il est écrit dans la sourate 97, 1-5 : Nous l’avons certes, fait descendre (le Coran) pendant la nuit d’Al-Qadr (la destinée). Et qui te dira ce qu’est la nuit d’AlQadr? La nuit d’Al-Qadr est meilleure que mille mois.

Durant celle-ci descendent les Anges ainsi que l’Esprit (l'Ange Gabriel), par permission de leur Seigneur pour tout ordre. Elle est paix et salut jusqu’à l’apparition de l’aube.

La nuit devient alors le temps de la révélation de Dieu aux humains. La nuit devient un temps d'attention particulière des humains à la venue du divin.

La place importante que la nuit du destin a prise dans la tradition musulmane explique que la naissance du Prophète n'ait qu'une moindre portée. Le Coran n'en parle pas, il est seulement dit qu'il a perdu père et mère à un jeune âge et qu'il a grandi d'abord chez son grand-père et ensuite chez son oncle Abu Talib. Ce n'est pas la naissance physique qui importe mais la naissance spirituelle comme pour Bouddha.

La vocation est décisive, elle devient une nouvelle naissance. Le Coran insiste dès le début sur la pure humanité du Prophète.

D'autres récits plus tardifs racontent la naissance de Mohammed en y ajoutant des signes surnaturels qui donnent déjà au nouveau-né le statut d'élu. Il est procréé de manière naturelle mais sa mère Amina accouche de lui la nuit et au même moment des trônes de grands dirigeants sont renversés et les animaux répandent la nouvelle joyeuse de sa naissance. L'enfant lui-même est né dans une position particulière : les mains en avant et la tête dirigée vers le ciel selon le témoignage de sa mère.

Le Prophète lui-même raconte l'histoire de son cœur qui est arraché de son corps, lavé avec de la neige pour enlever une boule de sang noir ; ainsi nettoyé, son cœur est réimplanté dans son corps.

Ces histoires affirment que quelque chose de nouveau a commencé. Le temps de l'aveuglement, de l'ignorance, de la servitude est révolu.

Aujourd'hui la fête de la naissance du Prophète al-mawlid an-nabawîy est célébré dans plusieurs pays avec des expressions diverses.

Le Voyage nocturne du Prophète lailatul-mi’râj Il se fonde sur le verset 1 de la sourate « Le Voyage nocturne », XVII du Coran, intitulée al-Isra : Gloire à celui qui a fait voyager de nuit son serviteur de la Mosquée sacrée à la Mosquée très éloignée dont nous avons béni l'enceinte, et ceci pour lui montrer certains de nos Signes. Dieu est celui qui entend et qui voit parfaitement. (Coran, XVII, 1, Traduction D. Masson)3 La tradition islamique place ce Voyage nocturne dans la nuit du 27e jour du mois lunaire rajab. Les récits plus tardifs relatant ce voyage soulignent que Dieu a discerné ce voyage de nuit de la Mecque à Jérusalem accordé au Prophète Mohamed comme étant la faveur par excellence parmi une multitude d'autres faveurs. Le Prophète Mohamed a ainsi fait la plus merveilleuse expérience qu'un être humain puisse faire, le mi'râj (échelle, ascension), l'expression utilisée pour désigner le voyage spirituel des humains vers Dieu. D'après la tradition, le Prophète lui-même aurait utilisé ce terme pour caractériser communément la prière du croyant « la prière du mi'râj du croyant ». Le voyage spirituel vers Dieu se différencie d'une personne à une autre selon les capacités personnelles. Il contient différentes phases que l'on traverse peu à peu.

Une variante du récit Le Voyage nocturne racontée par la tradition Mohamed, qui dort à la Mecque près de la Ka'bah, est réveillé par l’ange Gabriel. Il accomplit le voyage vers Jérusalem sur Bouraq, une créature surnaturelle. En route, ils rencontrent des puissances bonnes et mauvaises, visitent Hébron et Bethléem. Arrivé à Jérusalem, il rencontre les Prophètes Abraham, Moïse et Jésus, et dirige leur prière. Il monte dans les sept cieux par une « échelle ». Il visite les sept cieux. Au ciel inférieur, il rencontre Adam, au second Jésus ('Issa) et Jean le Baptiste (Yahya), au troisième il vit Joseph, fils de Jacob (Yusuf), au quatrième, Hénoch (Idris), au cinquième, Aaron (Haroun), au sixième, Moïse (Moussa) et enfin, au septième ciel, c'est au tour d'Abraham (Ibrahim). Il atteint ensuite un lieu où il entend le bruit des calames qui écrivent la destinée. Il rencontre Dieu et discute avec Lui le nombre de prières quotidiennes.

Moïse participe à la discussion et encourage Mohammed à demander une réduction du nombre de prières de cinquante à cinq. Il revient à la Mecque, où son récit est accueilli avec scepticisme par ses proches, hormis Abu Bakr.

Islam

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Das Weihnachten der Dichter Karl-Josef Kuschel, Patmos Verlag, p. 17

1

http://islamfrance.free.fr/doc/ coran/sourate/2.html

2

Selon: https://fr.wikipedia.org/ wiki/Isra_et_Miraj, consultĂŠ le 25.4. 2016

3

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Mohammeds Aufstieg in den Himmel, Persische Miniaturmalerei aus dem 16. Jhdt

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La foi bahá’íe La nuit peut-elle survivre alors que le soleil brille?

Baha’u’llah, Joyaux des mystères divins

Le calendrier Bahá’í • Type de calendrier: solaire, c'est-à-dire calé sur l'année solaire par l'ajout d'un jour supplémentaire les années bisextiles.

• Début du calendrier: le 21 mars 1844 après J.C. • Début du jour: commence la veille au soir (au coucher du soleil) • Les noms des mois et des jours correspondent à un attribut de Dieu (Lumière, Gloire, Miséricorde...)

• Le calendrier Bahá’í comporte 19 mois de 19 jours, plus 4 jours intercalaires (Ayyam-i-Ha), voire 5 jours les années bisextiles. Les jours intercalaires précèdent le 19ème mois juste avant le jeûne, et sont consacrés à la générosité, la fête et l'hospitalité.

Le nouvel an Bahá’í (Naw Ruz) marque le commencement de l'année bahá’íe, et a lieu à l'équinoxe de printemps le 21 mars. A chaque premier jour de chaque mois (qui commence la veille au soir du début du mois) a lieu la "Fête des 19 jours" comprenant une partie spirituelle, consultative et sociale.

Quelques jours saints bahá’ís qui sont commémorés au cours de la nuit (à la même heure que l’événement originel): L'anniversaire de la déclaration du Báb, le 22 mai à environ deux heures après le coucher du soleil L'anniversaire de l'ascension de Bahá’u’lláh le 29 mai à 3 heures du matin

Extrait de l’histoire bahá’íe histoire de la déclaration du Báb à Son premier disciple « La scène d'ouverture du premier acte de ce grand drame se déroula à Shiraz, au premier étage de la modeste demeure du fils d'un drapier, située dans un quartier pauvre. Elle eut lieu à l'heure précédant le coucher du soleil, le 22 mai 1844.

Les personnages qui y prirent part sont: le Bab, un siyyid* de pure et sainte lignée, âgé de vingt-cinq ans, et le jeune Mullà Husayn qui, le premier, crut en lui. Leur rencontre, qui précéda immédiatement cet entretien, a semblé purement accidentelle. L'entrevue elle-même se prolongea jusqu'à l'aube.

L'hôte demeura enfermé, seul avec son invité, et la ville endormie fut loin de se douter de l'importance de la conversation qu'ils eurent ensemble. Nul récit de cette nuit unique n'est passé à la postérité, sauf le compte rendu fragmentaire mais hautement édifiant qui tomba des lèvres de Mulla Husayn : Je restai assis, retenu par le charme de sa parole, oublieux du temps…Toutes les délices, toutes les gloires ineffables énumérées par le Tout-Puissant dans son livre comme étant les possessions inestimables des habitants du paradis, je pensai les ressentir cette nuit-là. Il me sembla que j'étais dans un endroit dont on pourrait dire à juste titre: "Ici, aucune peine ne peut nous atteindre, aucune lassitude ne peut nous toucher; on n'entendra ici ni vains discours ni mensonges, mais seulement cette exclamation: Paix! Paix! Là, retentira leur cri: Gloire à toi, ô Dieu, leur salutation: Paix!" et la fin de leur cri: "Loué soit Dieu, le Seigneur de toutes les créatures." Le sommeil m'avait fui cette nuit-là. J'étais captivé par la musique de cette voix dont le chant s'élevait et s'abaissait tour à tour; tantôt elle s'amplifiait pour révéler des versets sacrés, tantôt elle revenait à de célestes et subtiles harmonies pour chanter des prières inconnues. A la fin de chaque invocation, il répétait ce verset: 'Loin de la gloire de ton Seigneur, le très- Glorieux, sois ce que ses créatures affirment de Lui! Et que la paix soit sur ses messagers! Loué soit Dieu, le Seigneur de tous les êtres…L'univers ne me paraissait plus qu'une poignée de poussière dans la main. Je semblais être la voix de Gabriel personnifié, lançant un appel à l'humanité entière: " Eveillez-vous, car voici que la lumière du matin a paru. Levez-vous, car sa cause est rendue manifeste. Les portiques de sa grâce sont grand ouverts; franchissez-les, ô peuples du monde! Car celui qui est votre Promis est arrivé!"

La foi bahá’íe

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Dieu passe près de nous, p. 5-6

Le Festival de Ridván Paradis Extrait de l’histoire du festival de Ridván (Paradis) -- le "plus grand festival', le "roi des festivals" – qui commémore la période de 12 jours passés par Bahá’u’lláh au jardin de Ridván où Il proclama Sa prophétie : « Une nuit », raconte Nabil, « je vis Bahá’u’lláh sortir de sa tente, passer près de quelques-uns de ses compagnons endormis, et commencer à faire les cent pas dans les allées bordées de fleurs du jardin, sous le clair de lune. De tous côtés, le chant des rossignols était si fort que, seuls, ceux qui étaient proches de lui pouvaient entendre distinctement sa voix. Il continua de marcher jusqu'à ce que, s'arrêtant au milieu de l'une des avenues, il observe: 'Voyez ces rossignols. Leur amour pour ces roses est si fort que, veillant du crépuscule jusqu'à l'aube, ils gazouillent leurs mélodies et, dans une passion brûlante, communient avec l'objet de leur adoration. Comment ceux qui se prétendent embrasés d'amour pour la beauté du Bien-Aimé- celle de la rose même- peuvent-ils se résoudre à dormir? » Dieu passe près de nous, p. 145

Ecrits sacrés bahá’ís « Le Verbe divin enflamme le coeur du monde ; quel regret si vous n'étiez pas embrasés par sa flamme! Plaise à Dieu!

Regardez cette nuit bénie comme la nuit de l'unité, unissez étroitement vos âmes, et prenez la détermination de vous parer des attributs d'une nature bonne et méritoire. Que votre principal souci soit de sauver l'être déchu du marécage de l'extinction imminente et de l'amener à embrasser l'ancienne foi de Dieu. Votre conduite envers votre prochain doit être telle qu'elle manifeste clairement les signes du seul vrai Dieu. Car, parmi les hommes, vous êtes les premiers à être recréés par son Esprit, les premiers à l'adorer, à plier le genou devant lui et à graviter autour de son trône de gloire. Je le jure par celui qui m'a amené à révéler ce qui lui semble bon! » Florilege des écrits de Bahá’u’lláh, 147.2

« Comment l’amoureux sincère pourrait-il continuer à vivre alors que la gloire écaltante du Bien-Aimé est manifeste? La nuit peut-elle survivre alors que le soleil brille? Un coeur épris peut-il exister face à l’objet de son amour? Non, par celui qui tient mon âme en sa main! Dans cette étape, le chercheur s’abandonne et disparaît si complètement devant son créateur qu’il ne trouve plus trace de lui-même ni d’aucune autre âme, devrait-il chercher à l’Orient comme à l’Occident et traverser terres, mers, montagnes et plaines. » Baha’u’llah, Joyaux des mystères divins, p. 103

Comment prier « Comment prier? Crois en la faveur de ton Seigneur; implore-le, supplie-le, au milieu de la nuit et au lever du jour, comme implorent et supplient un mendiant et un prisonnier.

Il convient de te tourner vers le Royaume de Dieu, de Le supplier et de L'implorer en tous temps. C'est, pour ton âme, le moyen d'atteindre le plus haut degré de Sa générosité.

Sache que rien n'est profitable en cette vie, si ce n'est invoquer Dieu, oeuvrer à Son vignoble, et, se soumettre constamment à Sa Volonté en gardant un coeur plein d'amour. »

La foi bahá’íe

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Abdu’l-Baha, L’art divin de vivre, chapitre IV

Prière de nuit « Ô toi, chercheur de vérité, si tu désires que Dieu t’ouvre les yeux, tu dois, au coeur de la nuit, le supplier, le prier et communier avec lui par ces mots : Ô Seigneur, le visage tourné vers ton royaume d’unité, je me plonge dans l’océan de ta miséricorde. Ô Seigneur, que la contemplation de tes lumières éclaire ma vue en cette sombre nuit et que le vin de ton amour m’emplisse de joie en cet âge merveilleux! Ô Seigneur, fais-moi entendre ton appel et ouvre devant moi les portes de ton ciel afin que je voie la lumière de ta gloire et que je sois attiré par ta beauté.

En vérité, tu es le Bienfaisant, le Généreux, le Miséricordieux, l’Indulgent. » ‘Abdu’l-Bahá

« L'état de prière est la meilleure des conditions, car l'homme est alors associé à Dieu. En vérité, la prière confère la vie, surtout lorsqu'elle est offerte en privé, par exemple à minuit, alors que l'âme est libérée des soucis quotidiens. » Sélections des écrits de Abdu’l-Baha, 172.2

Nuit sainte des Baha’i : veillée de prière

La foi bahá’íe

Le ciel et la terre deviennent un 80 Nuit noire – nuit lumineuse

Comme si le ciel embrassait doucement la terre

La foi bahá’íe

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Shrine (lieu saint) of Bahá’u’lláh, Bahjí, Israël

Des nuits de fêtes populaires Les fêtes de la mort Dans beaucoup de cultures existe la croyance qu'à un moment de l'année, le monde souterrain s'ouvre pour laisser s'échapper les défunts et les « âmes perdues » pendant un temps limité. Le monde leur appartient pendant quelques jours définis, ce qui provoque l'épouvante parmi les survivants ; à eux le droit de venir venger l'injustice, d'errer de lieu en lieu et chercher vénération, sacrifice ou pénitence. Les survivants acceptent ce tribunal fantasmagorique avec crainte et humilité (car qui peut donc se sentir libre de toute culpabilité ?).

Les vivants cherchent à apaiser les revenants en colère avec

des repas sacrificiels. Quand la « tempête » a passé et que les revenants rassasiés sont retournés dans leur « royaume », bonheur et bénédiction reviennent dans les maisons.2 Cette croyance est très ancienne et très répandue. La visite plutôt effrayante correspond à une fête qui est célébrée lors des transitions dans la nature (équinoxe, solstice) ou lors de la nuit de Sylvestre, d'une naissance, d'une initiation à devenir un homme, d'un mariage ou d'un décès. Ce sont des moments où l'on est visité par ces fantômes ou alors que les fantômes sont convoqués pour bénir ou punir. A l'origine, avant les fêtes de mariage, les soirées pour enterrer la vie de garçon étaient des fêtes de revenants qui devaient bénir la nouvelle alliance. Il s'agissait d'une sorte de purification et d'expiation.

Aujourd'hui on a perdu ce sens.

Des fêtes masquées Les Saturnales, fêtées dans l'ancienne Rome en l'honneur du dieu Saturne, dieu entre autres du monde inférieur, sont comparables aux Anthestéries (Grèce antique) et au carnaval.

Ces fêtes se ressemblent fondamentalement : Il s'agit de la visite des défunts. Aujourd'hui cette origine est devenue méconnaissable. Les Anthestéries de la Grèce antique sont une fête printanière liée à la fête de Dionysos à Athènes. La tragédie et la comédie font alors partie du volet artistique de la fête.

Dans la tragédie on appelle les esprits, il y a la rencontre entre la vie et la mort. La comédie est une fête de déambulation, une sorte de cortège. Elle est en même temps la fête de l'épouvante et d'un immense entrain joyeux où la peur des morts se

82

Nuit noire – nuit lumineuse

Comme si le ciel embrassait doucement la terre

Croyances populaires Introduction Dans les croyances populaires, l'obscurité de la nuit est souvent liée à l'apparition de pouvoirs maléfiques des dieux païens ou de tentations diaboliques, de transgressions humaines ou de punitions et colère de Dieu. Beaucoup de rituels cherchent à surmonter ce côté négatif de la nuit ; les religions en ont fait un temps de révélation et d'illumination. La nuit est habitée par une ambivalence irréductible, comme déjà mentionné. Elle peut en même temps provoquer des sentiments de peur et aussi de consolation. Elle est un aveuglement et le lieu d'une vision aiguisée. Elle peut aboutir à un échec humain comme à une maîtrise du destin. Une menace de mort désastreuse peut se transformer en un réveil de guérison complète.1

Tiefer als der Tag gedacht Elisabeth Bronfen, Hanser Verlag, p. 170

1

Cf. : Meuli GS, Bd. 1, 210

2 3

Croyances populaires

Le ciel et la terre deviennent un

Cf. : Die Masken des Dionysos, Vorlesungen zu Philosophie und Mythologie, Stephan Grätzel (beruft sich auf Meuli) consulté le 20.2.16

Johannes Praetorius Bloks Bergs Verrichtung, Leipzig 1668

Calendrier interreligieux D'eau et de feu sept. 2011-déc. 2012, Editions Agora

4

Selon: https://fr.wikipedia.org/ wiki/Nuit_de_Walpurgis consulté 9-5-2016

5

Elisabeth Bronfen, op.cit. p. 296

6

lie à des comportements hilarants derrière les masques. En fait partie également l'échange de cadeaux qui représentent la bénédiction tandis que les déambulations masquées sont à comprendre comme l'errance des âmes insatisfaites. Les gâteaux spécifiques pour le carnaval sont à l'origine la nourriture pour les revenants. L'anarchie pendant ces fêtes est autorisée, on la retrouve dans des lois anciennes de l'empire romain (comme les farces rustique lors de la nuit de Walpurgis). Ces fêtes de visitation et d'union limitée avec le séjour des morts symbolise le renouvellement de la vie. Cette symbolique s'est perdue mais malgré ce vide le carnaval conserve son effet de purification complète et le souvenir du renouvellement.3 Nuit de la St-Jean Les feux de la St-Jean sont la survivance d'un rite païen célébrant les grands cycles de la nature dans les cultures agraires. Allumés à l'orée de la saison des moissons, ils étaient censés purifier l'assistance et protéger les récoltes à venir.

Ces feux de joie sont encore traditionnels dans nombre de régions européennes.4 Pour les Eglises catholiques et orthodoxes, la fête du 24 juin, six mois avant Noël, célèbre la Nativité de Jean Baptiste, cousin de Jésus le Christ..

Nuit de Walpurgis Cette nuit est nommée en l'honneur de Sainte Walburge (710-779). Elle est une fête néo-païenne qui a lieu dans la nuit du 30 avril au 1er mai. Célébrée clandestinement dans toute

l'Europe depuis des temps reculés, malgré les interdits et les excommunications de l'Église qui l'a identifiée au sabbat des sorcières, elle est surtout le symbole de la fin de l'hiver, parfois associée à la plantation de l'arbre de mai ou à l'embrasement de grands feux.5 Dans l'ancienne Germanie, on croit qu'à cette date les divinités païennes du printemps (dieux et déesses de la fécondité) se répandent dans la nature pour mettre fin à l'hiver.

L'Église cherchera à discréditer cette fête en transformant les divinités en « diables » et en sorcières. De là procède le caractère « magique » et « sulfureux » de la Walpurgisnacht- utilisé et renforcé par de nombreux écrivains, telle la danse de la nuit de Walpurgis dans le Faust de Goethe. On la retrouve aussi dans la musique, comme chez Felix Mendelssohn dans « Die Erste Walpurgisnacht », Op.60. Les joyeuses activités auxquelles des personnages de la nuit, ces divinités païennes ou sorcières, s'adonnent à la nuit de Walpurgis avec toute leur sensualité correspondant à la face nocturne de la moralité.6 Aujourd'hui, la fête a surtout survécu en Suède sous une forme altérée et inoffensive. Dans la journée du 30 avril, jour de la Valborgsmässoafton, les étudiants de l'université d'Uppsala se réunissent devant la rivière Fyris, qui traverse la ville, et procèdent à la destruction (simulée) de leurs vieilles casquettes de l'hiver.

En France, elle est connue sous le nom de « Nuit des Sorcières ». A la fin du XIXe siècle et au XXe siècle, il s'agissait de déplacer des objets plus ou moins gros, de faire des farces parfois rustiques (poutre posée contre la porte d'entrée, fumier

Edward Burne-Jones Héro allume le feu pour faire signe à Léandre 1875-77

Croyances populaires

Le ciel et la terre deviennent un 84 Nuit noire – nuit lumineuse

Comme si le ciel embrassait doucement la terre

Cf. : http://de.wikipedia.org/ wiki/Rauhnacht consulté le 13-2-2014 7

amassé devant une porte, etc.). De nos jours, les enfants sortent dans les rues et font des farces, par exemple envelopper les arbres de papier toilette ou jeter des œufs contre les façades (nouvelles traditions influencées par la culture populaire américaine contemporaine de Halloween, pendant automnal de la nuit des sorcières).

Les douze saintes nuits du solstice d’hiver (Rauhnächte7) En général il s'agit des douze nuits entre Noël (la venue du Christ) et le 6 janvier (Epiphanie : la prise de conscience de la nature lumineuse de Jésus par les Rois ) ou alors entre la nuit de Thomas (nuit du solstice du 21 au 22 décembre) et le Nouvel An. Ces douze jours sont choisis car ils comptent comme les « jours morts », hors du temps, puisqu'ils sont en dehors du calcul des mois lunaires. Selon les traditions mythologiques, on pense que durant cette période les lois de la nature cessent d'agir et qu'il n'y a plus de frontières entre le monde souterrain et le monde habituel. Pour s'en protéger, diverses traditions populaires plutôt mythiques ou magiques sont développées, parfois conservées jusqu'aujourd'hui.

Dans les régions montagneuses, ces douze nuits sont souvent très dures à cause du froid et du gel, des tempêtes et de l'enneigement ce qui confirmerait le temps « hors temps ».

La nuit de St-Sylvestre serait particulièrement dangereuse car selon la croyance c'est le moment où le monde des esprits s'ouvrirait et alors les défunts se promèneraient (voir plus haut les fêtes de la mort). Et pas seulement les morts mais on croit également que des personnes connaissant des rites de magie

auraient conclu un pacte avec le diable, se transformeraient en loups garous et viendraient menacer bétail et humains. On cherche à les dominer en faisant beaucoup de bruit à l'aide, entre autres, de feux d'artifice.

Déjà durant toute la période des douze jours, on cherche à se protéger des menaces : Il est coutume de chanter et de prier quand la nuit tombe et d’encenser les maisons et les étables.

Des chanteurs à l'étoile (de Bethléem) s'arrêtent devant chaque demeure pour introduire à la bénédiction et à la protection du lieu. Ensuite le cortège des habitants traverse maisons et écuries en priant avec l'encenseur pour que les prières puissent monter au ciel et être entendues de Dieu portées par la fumée bénie.

Après le cérémoniel, on inscrit au-dessus de la porte avec une craie bénie les trois lettres C+M+B (Caspar, Melchior, Balthasar, les noms des Rois mais cela correspond également à Christum mansionem benedicat : que le Christ bénisse cette maison). C'est une manière de conjurer les peurs de ces nuits noires et sauvages.

Apparemment ces nuits saintes sont également appropriées pour demander des oracles. Les bêtes dans l'étable semblent savoir parler à minuit avec des voix humaines et raconter l'avenir.

Mais celui qui les entend parler mourra aussitôt.

Les quatre plus importantes nuits sont considérées comme tellement dangereuses qu'on les consacre au jeûne et à la prière.

On n'a pas le droit d'avoir du désordre dans la maison et il ne faut pas suspendre des cordes à lessive car les errants pourraient s'y prendre.

Jules Breton La fête de la Saint Jean 1875

Nuit noire – nuit lumineuse

Comme si le ciel embrassait doucement la terre

86 Croyances populaires

Le ciel et la terre deviennent un

Djinns C’est dans le désert blanc immaculé et inhabité, qu’à la nuit tombée, apparaissent les êtres de feu; étincelles divines ou enfants d’Iblis, leurs manifestations métamorphes défient l’image de l’Unité, essaimant l’infinie contraste des forces en jeu à absorbés par les rayons lunaires polarisés, fracassants les principes religieux monolithiques, les éfrits renvoient aux compositions identitaires hybrides et à la recréation des traditions en miettes; sous une nouvelle lune, incohérente, mais résistante aux éruptions solaires exsangues, bien que sous son influence à la multiplicité des formes sélénites, entre l’organique et le mythique, rompt avec l’image d’un paradis perdu, intacte et indivisible à l’univers sémitique de l’œuvre de Mandril nous rappelle le poids de la réductibilité et du relativisme spirituel dans notre monde post-séculier en quête d’itinérance et d’animisme primitif à les miniatures surnaturelles aux couleurs tribales, polarisent l’image du va-et-vient entre le passé démystifié et le présent composite, le monde invisible et ses manifestations physiques nocturnes.

Mandril 2016 Digital Painting 100/150cm

7. FragilitĂŠ de la nuit

Nuit noire à nuit lumineuse

Comme si le ciel embrassait doucement la terre

90 Fragilité de la nuit

Fragilité de la nuit ou le besoin fondamental de fortifier l’âme Le ciel étoilé fait partie intégrante du patrimoine mondial à préserver 1 Unesco 1992

La lune « consolatrice »2 Sans lune la vie serait difficile. Elle est le miroir de la lumière.

Elle incarne l'alternance entre le devenir et le passé, entre la naissance et la mort. Selon une symbolique ancienne, l'Eglise chrétienne primitive aurait compris le soleil comme symbole du Christ et la lune comme symbole de l'humain qui reçoit la lumière divine. La lune doit se vider complètement avant d'accueillir la lumière. Ni la lune noire, ni la pleine lune ne durent éternellement, c'est une alternance constante. Cela correspond également à l'expérience élémentaire des marées. Grâce au magnétisme de la lune, la mer reste en mouvement. Ainsi vont les rythmes de vie des êtres humains. Et malgré les mouvements que la lune génère, d'elle émane d'un grand silence bienfaisant. Elle ralentit la rotation de la terre mais aussi le cœur des humains quand ils dorment.

Besoin de la nuit Nous avons besoin de la nuit pour expérimenter des mondes cachés, défendus ou oubliés et pour en parler. Grâce aux rêves qui naissent la nuit, les aspects secrets de notre moi peuvent se déployer. Et parce que la nuit rappelle toujours à nouveau

le début et la fin de la vie, il nous est possible de développer une conscience et une attention à ce qui donne sens à cette vie. La nuit peut être le lieu de l’extase érotique ou spirituelle et devenir l'expression d'un bonheur profond dans la rencontre avec l'Autre. La nuit peut être le lieu de la protection, de l'aventure, de la transgression, un lieu privilégié face au quotidien.

Elle peut devenir un lieu de passage pour les sentiments, les désirs, les imaginations et rendre possibles des actes et des découvertes. Nous avons besoin du savoir gardé par la nuit, plus profond que le jour. Et nous devons traverser la nuit pour nous réveiller autrement, enrichis de cette expérience.3 Du feu à la pollution lumineuse Les lampadaires ont éteint le ciel et rompu notre lien millénaire avec la voûte céleste. Aujourd'hui les étoiles sont devenues des objets virtuels.

Hubert Reeves, astrophysicien, *1932

Dans le courant de l'histoire humaine, des sources de lumière sont développées pour éclairer la nuit. Au début on utilise le feu puis des torches, des lampes à huile et ensuite des bougies et des lanternes à pétrole.

Au XVIIe siècle, l’éclairage public apparaît avec la création des « compagnies de lanterniers » pour éclairer certaines rues de Paris en particulier, puis des capitales de provinces. En 1667, Louis XIV impose l’éclairage de toutes les rues de la capitale pour lutter contre les vols et les crimes, pour donner un sentiment de sécurité aux habitants et parfois aussi pour des raisons décoratives.

Avec l’invention, au début du 19e siècle, des lanternes à gaz produit par les usines à gaz, l’éclairage s’est étendu et a développé ses premiers impacts écologiques, signalés par quelques chroniqueurs de l’époque (nuages de douzaines de papillons s'épuisant à tournoyer autour des becs de gaz et venant pondre par dizaines, voire par centaines sur certains fûts des lanternes).

C’est avec l’apparition et la diffusion rapide de l’ampoule électrique et du réseau électrique, que l’éclairage public s’est répandu dans le monde, produisant dès les années 1940 un début de halo lumineux déjà signalé par les astronomes comme étant une gêne pour leur travail.4 Entre temps l'être humain a transformé la nuit en jour dans un grand nombre de lieux et régions d'une forte densité de population et d'industrie. Notre planète ressemble aujourd'hui à un océan de points lumineux. A Hongkong en particulier, on mesure une luminosité mille fois supérieure à celle d'une nuit normale. Dans des quartiers populaires, les illuminations à but généralement commercial et esthétique sont particulièrement perturbantes et agressives. Le gaspillage d'énergie est immense et ont une influence directe sur la santé humaine.

Quelle est l’influence nocive de la pollution lumineuse sur l’être humain?

La lumière du soleil permet la croissance des plantes. Elle est le moteur de la photosynthèse qui produit l'oxygène indispensable à la respiration de tout être sauf aux animaux microscopiques anaérobies. La lumière règle également le

Earthlights, NASA, 1994-1995

rythme circadien qui cadence la vie humaine. Généralement le jour, l'être humain est actif, productif et concentré (à l'exception des métiers nocturnes qui sont apparus en particulier avec l'industrialisation). Avec l'obscurité, l'horloge interne change de tempo, l'organisme est fatigué ; il a besoin de se reposer et se régénérer. Si la lumière durant la nuit est trop forte, elle peut empêcher les personnes vivant à proximité de trouver leur sommeil, ou d'avoir un sommeil profond et régénératif. Cela peut mener à des maux de tête ou autre problème de santé plus grave comme le risque de déclencher des cancers spécifiques selon les occupations des gens qui vivent ou travaillent la nuit. La perturbation de l'horloge biologique interne n'est pas à négliger.

Par de nombreuses expériences, on a découvert le rôle important de la mélatonine (parfois dénommé hormone du sommeil) et de la glande pinéale sur le cycle du sommeil et les autres rythmes circadiens. En temps normal, la mélatonine est sécrétée la nuit uniquement (avec un pic de sécrétion à cinq heures du matin chez l'humain, et en moyenne, car sa production est inhibée par la lumière). Le profil de la mélatonine est affecté par la différence de la longueur de la nuit de l'été par rapport à l'hiver.5 Pour produire de la mélatonine, la personne doit percevoir une nette différence de luminosité.

Souvent les conditions de travail ne tiennent pas compte du biorythme naturel humain ; le cerveau devrait être exposé au bon moment de la journée à la bonne lumière ce qui favorise un bon endormissement la nuit. Il faudrait alors s'efforcer de reproduire toutes les caractéristiques d'une lumière naturelle

Cf.: http://www.ascen.be/ consulté le 6.2.2016

1

Eine Hand voll Sternenstaub, Lorenz Marti, Kreuz Verlag 2013, p. 148

2

Tiefer als der Tag gedacht Elisabeth Bronfen, Hanser Verlag, p. 175

3

Cf.: https://fr.wikipedia.org/ wiki/Pollution_lumineuse, consulté le 18.6.2016

4

https://fr.wikipedia.org/ wiki/M%C3%A9latonine consulté le 19.6.2016

5

Nuit noire à nuit lumineuse

Comme si le ciel embrassait doucement la terre

92 Fragilité de la nuit

extérieure. Des techniques comme virtual sky (une reproduction de la luminosité du ciel naturel) vont dans ce sens et les résultats des expériences montrent que les gens se sentent moins fatigués à la fin de la journée. D'autres perturbateurs du sommeil sont les écrans des ordinateurs qui stimulent l'organisme avec leur lumière bleutée ou les lumières fortes des salles de bains.

L'augmentation de la durée d'éclairement, la perte de nos repères diurnes et nocturnes se traduit par une désynchronisation de notre horloge biologique, qui peut avoir des conséquences sur le rythme cardiaque et la tension artérielle, les fonctions rénales et respiratoires, et enfin la sécrétion de nombreuses hormones, dont la bienfaitrice mélatonine, aux effets antioxydants et anticancéreux. Ces dérèglements physiologiques pourraient encore s'aggraver. Surtout la libération de la mélatonine est particulièrement affectée par les longueurs d'ondes bleutées.6 Les fameuses LED, bien qu'écologiques par leur consommation économique, font partie de cette gamme mais on ne mesure pas encore entièrement son impact environnemental.

Un impact multiple L'éclairage urbain produit des halos lumineux visibles à des dizaines de kilomètres, voir une centaine lorsqu'ils sont amplifiés par la pollution de l'air ou la couverture nuageuse.

Les astronomes se font rattraper même dans des coins reculés par la pollution lumineuse. Ce n'est que dans les grands déserts ou en Antarctique que l'eldorado des étoiles est encore

préservé. En Europe, le ciel nocturne disparaît de plus en plus.

Pour beaucoup de personnes cela représente la modernité, la sécurité et la vie urbaine. En revanche le gaspillage d'énergie est énorme et l'impact sur l'écosystème inquiétant. L'éclairage artificiel représente un cinquième de l'énergie produite sur notre planète. Des économies importantes pourraient être faites en changeant les habitudes, ce qui diminuerait la consommation d'énergie et les nuisances par rapport au sommeil.

Les éclairages urbains n'ont pas seulement un impact sur les humains et le climat mais également sur la faune, les insectes et les poissons. Toutes les espèces n'arriveront pas à s'adapter.

Concernant les insectes, la lumière des lampadaires les désoriente puisqu'ils en sont attirés irrésistiblement et ils finissent calcinés par la trop forte chaleur. Des chercheurs scientifiques estiment que rien qu'en Allemagne chaque nuit un milliard d'insectes environ sont désorientés et la plupart meurent. De plus les lampadaires dérèglent la chaîne alimentaire naturelle, ils attirent les insectes de biotopes voisins ainsi les poissons ou des oiseaux insectivores manquent de nourriture. Les papillons de nuit qui d'habitude profitent de la nuit pour polliniser les arbres fruitiers et assurer leur propre reproduction sont interrompus dans leur mission biologique.

Les araignées par contre profitent de la situation et leurs espèces croissent exagérément.

La pollution lumineuse affecte aussi lourdement les capacités de vision et d'orientation. Ainsi certains espèces d'oiseaux migrateurs qui se dirigent notamment grâce aux étoiles perdent leur chemin. Les tortues maritimes, recherchant dès

leur éclosion la clarté naturelle de la mer pour y trouver refuge, rampent dans la mauvaise direction, trompées par les lumières du littoral, et finissent par mourir sur la plage exposées aux prédateurs du jour. L'influence sur les poissons des rivières traversant les agglomérations bien éclairées n'est pas négligeable non plus : leur quotidien est bouleversé par le taux d'hormones de mélatonine perturbés.

Une simple ampoule mal placée sur un clocher fera fuir toute une colonie de chauves-souris qui nichent souvent dans les édifices publics, avertit un observateur de ces phénomènes.

pas de plonger les villes dans l'obscurité, mais de mettre fin à la pollution lumineuse et d'éclairer d'une manière raisonnable et limitée. Il est temps de bénéficier d'un éclairage de nuit plus intelligent en fonction des lieux, des heures et avec une composition colorimétrique adaptée aux besoins.

Il faut que l'être humain retrouve les nuits étoilées, la voie lactée étant sa patrie cosmique. Depuis la nuit des temps, le ciel étoilé a accompagné l'évolution de la vie terrestre. L'être humain vient de la nuit, son histoire a commencé dans l'obscurité originelle.

Quelles solutions?

Pour retrouver notre lien millénaire avec la nuit, il faudra non seulement éclairer mieux, mais surtout éclairer moins.

Le Jour de la Nuit7 Le Jour de la Nuit est une opération de sensibilisation à la pollution lumineuse, à la protection de la biodiversité nocturne et du ciel étoilé.

L'idée est née en France, en hiver 2008 où Agir pour l’Environnement a lancé un partenariat avec le Réseau Action Climat, le Réseau Sortir du Nucléaire et l’ANPCEN (Association Nationale pour la Protection du Ciel et de l’Environnement Nocturnes) pour l’Alerte n°6 : « Illuminations de Noël : le grand gaspillage ».

Les conséquences d’un éclairage de Noël excessif et inadapté (24h/24 et 7jours/7 pendant plusieurs mois à certains endroits) pèsent chaque année sur les factures et l'environnement. La période hivernale appelle à poursuivre la réflexion afin de concilier magie de Noël et consommation énergétique raisonnée. Au-delà des fêtes de fin d’année, la problématique de la pollution lumineuse et de ses conséquences sévissent nuit après nuit tout au long de l’année.

Science à vie

La meilleure solution est sans doute d'éteindre les lumières autant que possible, tout en cherchant des solutions techniques pour l'optimisation de l'éclairage. Il faut se poser la question de la nécessité de l'éclairage, à quel endroit et sur quelle durée.

La société n'est pas encore prête à mener cette réflexion, les répercussions néfastes étant encore trop méconnues.

Il y a pourtant déjà quelques exemples réussis ou l'on a remplacé les lampadaires ordinaires par des lampadaires qui orientent la lumière vers le bas et qui peuvent être pilotés à distance pour moduler leur lumière en fonction des saisons et des heures. Il existent des lampadaire qui ne se mettent en marche que lorsque les piétons passent à proximité. Il ne s'agit

Vincent van Gogh La nuit étoilée 1889, NY

Science &Vie, hors série La Nuit, pp. 107 et 108

6

http://www.jourdelanuit.fr/ consulté le 19.6.2016 (jour de la nuit en 2016 : le 8 octobre)

7

Nuit noire à nuit lumineuse

Comme si le ciel embrassait doucement la terre

En effet, on peut constater que, depuis l'Alerte n°6, le nombre de points lumineux en France est passé de 8.7 à 11 millions ; l’éclairage public mondial représente aujourd’hui 6 % des émissions de gaz à effet de serre. Il est devenu urgent d’étudier et d'engager des mesures de rénovation dans cet éclairage pour limiter le gaspillage énergétique et économique tout en considérant les besoins réels et la préservation de la biodiversité nocturne.

L’événement du Jour de la Nuit entend rappeler chaque année le temps d’un soir la présence excessive et les méfaits de la pollution lumineuse. Le Jour de la Nuit a pour double objectif d’informer et de sensibiliser les citoyens et les élus. De nombreuses animations sont ainsi organisées partout (en France) afin de fêter la nuit noire : observations du ciel étoilé et de la biodiversité nocturne ; extinctions de l’éclairage public et de monuments symboliques ; conférences et débats, et autres.

Au fil des éditions, le succès du Jour de la Nuit se confirme et devient l’un des rendez-vous incontournables de l’agenda environnemental. Localement, les organisateurs de terrain apprécient cette opération et nous encouragent à poursuivre l’animation ; médiatiquement la problématique de la pollution lumineuse a de plus en plus de résonance ; juridiquement des avancées ont été réalisées mais doivent se poursuivre.

Accepter le destin L'absolu est la nuit, et la lumière est plus jeune qu'elle. ...la vérité est l'unité des deux – la lumière, qui ne brille pas dans l'obscurité, mais au contraire avec elle...

La pensée hégélienne conduit à un autre rapport entre la nuit et le jour qu’un rapport d’opposition et de négation à il n’y à dès lors plus de dualisme mais l’unité des deux, l’être ensemble, l’être avec.8 Nuit et jour sont intimement liés mais la société semble perdre la nuit de plus en plus. Dans l'être humain persiste pourtant le besoin de l'obscurité, de s'asseoir tranquillement dans le silence de la nuit, d'allumer peut-être une bougie : on y trouve l'accomplissement de l'âme.

Pour toutes les personnes, il y a des nuits significatives, des nuits dans lesquelles elles ont vécu quelque chose de particulier – avant ou après, mais la nuit en fait partie.

Nous l'aurons constaté : il y a maintes manières de retrouver l'équilibre entre la nuit et le jour, l'équilibre en nous-mêmes.

Et en premier il y a l'acceptation, un « Oui sacré » au destin, comme le dit Nietzsche. C'est d'accepter le destin et aimer le monde dans toute son imperfection. Cela ne veut pas dire l'accepter aveuglement et hocher béatement la tête en voyant toutes les injustices et les catastrophes qui se multiplient. Mais avec de la colère on ne changera rien au destin, le changement peut s'opérer par une acceptation bienveillante. Un « Oui sacré » qui unit la beauté et les horreurs pour qu'ils deviennent un. Il permet une attention à des choses et à des événements desquelles nous préférerions nous détourner, il permet la lutte contre les injustices. Il est la source d'une confiance qui se base sur une perception des liens d'origine profonds.9

Fragilité de la nuit

94

Georg Wilhelm Friedrich Hegel 1770 - 1831

Cf. : Le Portique, revue en ligne : Pensée, parole et nuit(s), Georges Leyenberger, consulté le 15.2.2014

8

Op.cit. : Lorenz Marti, p. 183

9

Cf. : http://www.psychotherapie-integrative.com/ esprit-integratif/nietzsche. htm consulté le 3 juin 2014

10

Le chant de la nuit10 Friedrich Nietzsche 1844-1900

Il fait nuit : voici que s'élève plus haut la voix des fontaines jaillissantes. Et mon âme, elle aussi, est une fontaine jaillissante.

Il fait nuit : voici que s'éveillent tous les chants des amoureux. Et mon âme, elle aussi, est un chant d'amoureux.

Il y a en moi quelque chose d'inapaisé et d'inapaisable qui veut élever la voix. Il y a en moi un désir d'amour qui parle lui-même le langage de l'amour.

Je suis lumière : ah! si j'étais nuit! Mais ceci est ma solitude d'être enveloppé de lumière.

Hélas! que ne suis-je ombre et ténèbres!

Comme j'étancherais ma soif aux mamelles de la lumière!

Et vous-mêmes, je vous bénirais, petits astres scintillants, vers luisants du ciel! et je me réjouirais de la lumière que vous me donneriez.

Mais je vis de ma propre lumière, j'absorbe en moi-même les flammes qui jaillissent de moi.

Je ne connais pas la joie de ceux qui prennent ; et souvent j'ai rêvé que voler était une volupté plus grande encore que prendre.

Ma pauvreté, c'est que ma main ne se repose jamais de donner ; ma jalousie, c'est de voir des

yeux pleins d'attente et des nuits illuminées de désir.

Misère de tous ceux qui donnent! Ô obscurcissement de mon soleil! Ô désir de désirer! Ô faim dévorante dans la satiété!

Ils prennent ce que je leur donne : mais suis-je encore en contact avec leurs âmes? Il y a un abîme entre donner et prendre ; et le plus petit abîme est le plus difficile à combler.

Une faim naît de ma beauté : je voudrais faire du mal à ceux que j'éclaire ; je voudrais dépouiller ceux que je comble de mes présents : — c'est ainsi que j'ai soif de méchanceté.

Retirant la main, lorsque déjà la main se tend ; hésitant comme la cascade qui dans sa chute hésite encore : — c'est ainsi que j'ai soif de méchanceté.

Mon opulence médite de telles vengeances : de telles malices naissent de ma solitude.

Mon bonheur de donner est mort à force de donner, ma vertu s'est fatiguée d'elle-même et de son abondance!

Celui qui donne toujours court le danger de perdre la pudeur ; celui qui toujours distribue, à force de distribuer, finit par avoir des callosités à la main et au cœur.

Mes yeux ne fondent plus en larmes sur la honte des suppliants ; ma main est devenue trop dure pour sentir le tremblement des mains pleines.

Que sont devenus les larmes de mes yeux et le duvet de mon cœur? O solitude de tous ceux qui donnent! O silence de tous ceux qui luisent!

Bien des soleils gravitent dans l'espace désert : leur lumière parle à tout ce qui est ténèbres, — c'est pour moi seul qu'ils se taisent.

Hélas! telle est l'inimitié de la lumière pour ce qui est lumineux! Impitoyablement, elle poursuit sa course.

Injustes au fond du cœur contre tout ce qui est lumineux, froids envers les soleils — ainsi tous les soleils poursuivent leur course.

Pareils à l'ouragan, les soleils volent le long de leur voie ; c'est là leur route. Ils suivent leur volonté inexorable ; c'est là leur froideur.

Oh! c'est vous seuls, êtres obscurs et nocturnes qui créez la chaleur par la lumière! Oh! c'est vous seuls qui buvez un lait réconfortant aux mamelles de la lumière!

Hélas! la glace m'environne, ma main se brûle à des contacts glacés! Hélas la soif est en moi, une soif altérée de votre soif!

Il fait nuit : hélas! pourquoi me faut-il être lumière! et soif de ténèbres! et solitude!

Il fait nuit : voici que mon désir jaillit comme une source, — mon désir veut élever la voix.

Il fait nuit : voici que s'élève plus haut la voix des fontaines jaillissantes. Et mon âme, elle aussi, est une fontaine jaillissante.

Il fait nuit : voici que s'éveillent tous les chants des amoureux. Et mon âme, elle aussi, est un chant d'amoureux.

Ainsi parlait Zarathoustra II.

Nuit noire – nuit lumineuse

Comme si le ciel embrassait doucement la terre