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Sommaire Vengeance en direct de Barbara Castello et Pascal Deloche illustré par Dominique Rousseau

Le Derby de Bruno Muscat illustré par Bruno Bazile

Un grand malheur… d’Emmanuel Viau illustré par Michel Blanc-Dumont

Salif, esclave du foot d’Olivier Cognasse illustré par André Benn

Une victoire aveugle de Patrick Cappelli illustré par Christophe Quet

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Une victoire aveugle de Patrick Cappelli illustré par Christophe Quet

ur Proxima 22, en cette année 98 de l’ère de la Fédération galactique, les préparatifs de la Super Coupe allaient bon train. Ce tournoi s’annonçait encore plus fou que les précédents. Toutes les planètes de la Fédération avaient envoyé une délégation composée de leurs meilleurs éléments, et les deux cents équipes sélectionnées s’entraînaient activement. Proxima 22 avait été choisie par la FUFA (la Fédération Universelle de Football Association) pour son

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climat agréable et ses pelouses parfaites. Son public était totalement acquis à la cause du foot. La Super Coupe avait lieu tous les cinquante ans et représentait sans conteste l’événement sportif majeur de l’Univers. La Fédération vibrait d’excitation dans l’attente de ces matchs. La compétition allait durer plusieurs semaines, au cours desquelles la ferveur des supporters ne faiblirait jamais. L’équipe de Sol 3, l’Ancienne Terre, partait favorite. Les humains avaient inventé le foot et continuaient d’exceller dans ce sport. Les Zirks de Kos avaient presque réussi à les battre lors de la précédente compétition, mais ils avaient échoué en finale devant une équipe terrienne composée des Clones1 les plus performants de l’Ancien Temps. Les Zirks en avaient conçu une profonde amertume. Leur coach avait fait appel, remettant en cause le principe même des joueurs clonés. Mais, comme d’habitude, la FUFA n’avait pas donné suite à ce recours. Grâce à la technologie parfaitement au point du clonage, il suffisait en effet de quelques cellules pour reproduire un footballeur disparu. Bien sûr, il fallait ensuite lui enseigner les nouvelles règles, mais son talent était intact. Pour la Super Coupe de 1. Copie d’un être vivant obtenue à partir d’un fragment de son ADN. Le clonage se limite pour l’instant aux animaux ainsi qu’aux cellules humaines, dans un but expérimental et thérapeutique strictement délimité. Les techniques qui sont évoquées ici restent du domaine de la science-fiction.

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l’année 38, les clones de Pelé, Platini, Zidane, Cruijff, Van Basten, Zoff, Ronaldo, Maradona, Maldini, Beckenbauer et Charlton constituaient l’équipe gagnante. Le net coach des Terriens, un androïde2, avait sondé toutes les bases de données de l’Univers connu pour voir si d’autres joueurs à travers les âges avaient dépassé les hommes des XXe et XXIe siècles. Résultat : on n’avait pas fait mieux depuis le début de l’ère galactique ! Dans les villes de Proxima comme sur tous les autres lieux habités, les paris se multipliaient. Des millions de crédits s’échangeaient entre des mains aux aspects les plus variés. En tant que favoris incontestés, les footballeurs de Sol 3 étaient donnés à un contre un. Pourtant, toutes sortes de challengeurs humanoïdes 3 tentaient, à chaque Super Coupe, de briser cette hégémonie. Des Petits Gris, frêles mais dangereux – en cas de blessure, leur sang verdâtre se révélait aussi corrosif qu’un acide – aux énormes Wookies de la planète Yéti, la palette était large. Les fans de foot pourraient voir évoluer l’équipe d’Altaïr, composée de géants filiformes, celle de Bételgeuse, avec ses joueurs déformés par les effets de la gravité… et bien d’autres encore. 2. Robot doté d’une apparence et d’une « intelligence » humaines. 3. Être voisins de l’homme dans leur apparence.

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Tous avaient leurs qualités et leurs défauts. Les Zirks de Kos profitaient de leurs deux têtes pour privilégier le jeu aérien, mais celles-ci les déséquilibraient dans les courses. Ils restaient néanmoins redoutés pour leurs buts sur corner (80 % de réussite). Les Wookies se servaient de leur puissance pour trouer les défenses adverses. Mais ils étaient très maladroits devant la cage (3 % de réussite). Les Swirms de Swirm possédaient des pieds préhensiles. Difficile de leur prendre le ballon ! Difficile aussi pour eux de le lâcher… Les Clones de Sol 3, eux, combinaient tous les talents. Cela exaspérait les autres peuples de la Fédération, qui assumaient mal leurs complexes devant l’Ancienne Terre, d’où était partie l’humanité pour essaimer partout dans l’Univers. Pourtant, les pauvres Terriens ne brillaient plus depuis longtemps… hormis en foot. Isolée dans sa banlieue de l’espace, à la périphérie de la Voie lactée, la planète bleue comptait sur ses enfants du passé pour regagner une fierté perdue. Un groupe de cinq jeunes fans de Sol 3 observait avec ravissement l’entraînement des Clones diffusé sur un écran holographique. – Regarde, HoCé, ce Pelé est incroyable ! – Trois fois champion du Vieux Monde, quatre fois champion du Brésil et dix fois champion de la Galaxie ! La classe ! – Et Zidane, tu as vu ce contrôle ? 126


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– Terrible ! Sans parler de Maradona, la virtuosité balle au pied. On n’en fait plus des comme ça. Je ne sais pas qui va pouvoir les battre. – À condition que tout se passe selon les règles… – Qu’est-ce que tu veux dire, MaVio ? – Certains mauvais perdants préparent apparemment quelque chose… – Tu penses que les Zirks vont tricher ? C’est vrai que ces bi-têtes sont doublement louches. Il paraît qu’ils ont des facultés bizarres. On m’a dit que leur second crâne ne sert pas qu’à mettre des buts… – Holà, les gars, pas de racisme primaire. Les Zirks sont des bons. Ils peuvent prétendre au titre. – Ouais, à condition qu’ils ne prennent pas la grosse tête… Tout le monde rit. – N’empêche, si les rumeurs étaient vraies ? Il faut faire gaffe. Bon, les arbitres sont insoupçonnables, ce sont des Éthiques. Ils ne favoriseront aucune équipe. C’est contraire à leur nature. – OK. Mais il y a d’autres moyens de nuire. Les joueurs clonés sont des humains d’Avant. Ils n’ont pas toutes nos défenses cybernétiques 4 . Pas de nanopuces 5 dans le corps. Le moindre virus les anéantirait !

4. Qui ont trait à l’informatique. 5. Nano = 10-9. La nano technologie consisterait à fabriquer des microprocesseurs de la taille d’une molécule, mais cela relève encore du domaine de la science-fiction…

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– Un virus ? Tu délires, HoCé. Personne n’a vu la queue d’un virus depuis des siècles. Pourquoi pas une bactérie, pendant que tu y es ? – De toute façon, vous rêvez, les gars. On ne peut pas approcher les joueurs : les mesures de sécurité sont encore plus sévères que pour le Méga Pape ! Ce qui résout le problème : ni les Zirks ni aucun autre être vivant ne franchira les barrières… – Que tu crois, MaVio ! Mon père fait partie du staff. Il m’a demandé si je voulais assister à un entraînement. En vrai, pas en holographie. Alors voici mon plan : j’y vais, j’observe et je vous transmets tout en direct avec ma microcaméra, via le Réseau. On verra bien si des Zirks traînent dans le coin… Pas de bi-têtes en vue. Malgré des contrôles très stricts, HoCé avait pénétré dans le Saint des Saints sans trop de difficultés : un enfant de douze ans, fan de foot au regard émerveillé, ne constituait pas une menace sérieuse pour les professionnels. Le jeune supporter ne perdait pas une miette des phases du jeu que les Clones répétaient sur la pelouse d’un vert éclatant. Il en faisait profiter ses copains grâce à la caméra invisible implantée dans son nerf optique. HoCé se promena autour du terrain. Sa fascination pour la virtuosité des joueurs l’emportait sur sa mission. Pelé venait de réceptionner le ballon de la tête. Il le fit atterrir en douceur sur sa poitrine, 128


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bascula le torse en avant puis décocha un coup de pied intérieur droit qui expédia la balle directement dans la lucarne gauche du but. La trajectoire fut si pure que les plus puissants ordinateurs n’auraient pu mieux la calculer. Le gamin se dit que les pauvres Zirks n’avaient pas une chance… Cela lui rappela qu’il valait mieux ouvrir le cyberœil. Les participants à l’entraînement marquèrent une pause. HoCé en profita pour gagner discrètement les vestiaires. Le long couloir sombre n’avait pas changé depuis les débuts du football. Plongés un instant dans une demi-obscurité, juste avant d’entrer dans l’arène bruyante, les membres des équipes en lice pouvaient faire le vide dans leur tête… ou prier l’un des nombreux dieux en activité dans la Fédération. Quelle que soit leur apparence, tous les joueurs respectaient ce moment de recueillement. HoCé entendit un bruit avant de déboucher dans les salles de repos. Il avança prudemment, rasant le mur du corridor. Il pencha la tête et aperçut une silhouette en train de se déplacer. Ses amis l’identifièrent en même temps que lui : – Vous avez vu ça ! s’écria PatCap. Ce Zirk fouille dans les affaires de Platini. Et personne ne garde les vestiaires. Tu parles d’une sécurité… – HoCé, déclenche l’alarme ! Appelle quelqu’un ! 129


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– Te fatigue pas, il n’entend rien. En revanche, HoCé voyait, et bien. L’être bicéphale se mouvait silencieusement dans la pièce. Le Zirk sembla prélever quelque chose sur les maillots abandonnés par les Terriens. Puis il sortit d’un seul élan, de sa démarche coulée et fluide, hochant ses deux têtes d’un air satisfait. HoCé retourna en courant vers la lumière. Les Clones avaient repris l’entraînement. Le gamin tira le net coach par la manche. L’androïde sans expression écouta son histoire ; il le remercia et s’en fut surveiller les mouvements de ses joueurs. HoCé avait fait son possible. La suite ne dépendait plus de lui. Il s’assit sur le banc pour profiter du spectacle. Les quatre autres fans firent de même, à distance.

La phase finale de la Super Coupe commença enfin. Les matchs se succédèrent jour et nuit durant tout le cycle de Proxima 22, soit trente-deux heures. La retransmission était assurée par les spectateurs euxmêmes, équipés de caméras minuscules. Les supporters assistaient ainsi aux rencontres par l’intermédiaire de leurs compatriotes présents dans les gradins, ce qui réglait les problèmes de visions différentes. En effet, les Krakens, la tête hérissée de tentacules affublés de gros yeux vitreux, voyaient 130


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flou, et les Zirks double. Les Fluzes possédaient deux yeux à l’avant de la tête et deux à l’arrière. Et ainsi de suite… Les finalistes de la précédente édition bénéficiaient du privilège de ne pas jouer les éliminatoires. Entre deux entraînements, Terriens et Zirks observaient donc les affrontements de leurs futurs adversaires. Les Wookies triomphèrent difficilement des Grossbruts. Aussi puissants les uns que les autres, les joueurs manquaient tous de subtilité. Les fautes s’accumulaient et les Wookies finirent la partie à cinq, contre quatre Grossbruts exténués. Cette piteuse exhibition s’acheva sur le score de 1 à 131


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0 pour les Wookies. Les spectateurs marquèrent leur désapprobation en quittant le stade avant l’issue du match. Seuls restèrent les fans des deux équipes, obligés de suivre jusqu’au bout ce triste spectacle pour le retransmettre aux habitants de leur planète. Les parties s’enchaînaient, drainant un public bariolé et joyeux. Encouragements et huées fusaient dans des dizaines de langues bizarres aux timbres de voix différents. Même les sages Wiizz, emportés par l’excitation, envoyaient de furieux ultrasons inaudibles pour le reste de l’assistance. Les équipes furent éliminées les unes après les autres, mais le public ne quittait pas les stades volants. Le niveau de jeu montait et le moment approchait où les favoris allaient entrer dans l’arène sportive. Le jour du premier match des Zirks arriva. Les vice-champions de l’Univers connu pénétrèrent sur le terrain central en même temps que les Vieux Pères. Les Zirks tenaient bien droites leurs deux têtes aux yeux fendus, solidement plantées sur un cou musculeux. Assez grands pour des humanoïdes, ils étaient surtout habiles dans le jeu aérien. Leur stratégie était primaire mais efficace : ils balançaient de longues balles en avant et comptaient sur la souplesse de leurs attaquants pour les récupérer sur l’une des deux têtes à leur disposition. Les plus doués réceptionnaient le ballon sur la première, pour le faire rebondir sur la seconde qui se détendait et marquait. 132


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Les Vieux Pères, eux, ne payaient pas de mine. Ils arboraient des barbes grises, et des rides profondes marquaient leur visage. Mais ces vieillards étaient en réalité jeunes et vigoureux. Seule leur apparence restait fanée du début de leur adolescence jusqu’à leur mort. Ils profitaient souvent de la timidité de leurs assaillants, troublés par le fait de devoir dribbler, bousculer, voire faucher un vieil homme qui leur rappelait leur grand-père. Par ailleurs, les Vieux Pères étaient de solides footballeurs, rugueux et inventifs. Trapus, leur tête austère auréolée de cheveux gris en bataille, les bras noueux parcourus de veines énormes et dures, ils ne rigolaient pas… Au début, les Vieux Pères firent mieux que jeu égal avec les Zirks, pourtant favoris chez les cyberbookmakers, qui prenaient les paris dans toutes les monnaies utilisées par les peuples de la Fédération. Menant des actions bien construites, ils s’enfoncèrent au milieu de la défense adverse. Privant les bi-têtes de leurs balles en avant, les Vieux Pères jouaient court, avec des passes sèches et précises. Logiquement, ils plantèrent un but à la trente-troisième minute de la première mi-temps. Le stade s’enflamma, d’autant que les amateurs de foot n’aimaient guère les Zirks. Ces derniers réagirent par une montée fulgurante dans le couloir droit qui se termina par un corner. Le premier de la partie. 133


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