Créer des guildes d'abondance

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Creer des guildes d’abondance

Lionel Rimbert Les arbres fruitiers et leurs plantes compagnes
COMMENT UTILISER CE LIVRE ? ............... 4 Tout commence par le sol... 8 • Les différents constituants ................. 10 • La formation du sol 12 • Complexe argilo-humique, quèsaco ? ................................................. 14 Qu’est-ce qu’une guilde ? 18 • Définition 20 • Intérêts des guildes écologiques 21 • De l’importance du biotope .............. 25 • Les services écosystémiques 26 Concevoir une guilde 30 • Connaître l’optimum écologique...... 32 • Identifier les plantes écologiquement similaires 34 • Définir les risques ................................ 36 • Prioriser les services écologiques ...... 37 • Sélectionner et définir l’implantation des plantes compagnes 39 Guilde du sureau noir .................... 42 • Écologie du sureau noir...................... 44 • Proposition d’implantation 46 • Plantes compagnes............................. 50 Guilde du pommier 68 • Écologie du pommier ......................... 70 • Proposition d’implantation 74 • Plantes compagnes............................. 78 Guilde du néflier allemand 96 • Écologie du néflier allemand 98 • Proposition d’implantation .............. 102 • Plantes compagnes........................... 106 Guilde du prunier ........................... 122 • Écologie du prunier........................... 124 • Proposition d’implantation .............. 128 • Plantes compagnes 132 Guilde du nectarinier ................... 154 • Écologie du nectarinier .................... 156 • Proposition d’implantation 160 • Plantes compagnes 164 Guilde du figuier 186 • Écologie du figuier 188 • Proposition d’implantation 192 • Plantes compagnes........................... 196 Guilde du cerisier............................ 218 • Écologie du cerisier 220 • Proposition d’implantation .............. 224 • Plantes compagnes........................... 228 ANNEXES 246 • Liste des plantes fixatrices d'azote 246 • Liste des plantes accumulatrices de nutriments ....................................... 247 • Liste de plantes couvre-sol ............... 250 INDEX ........................................................ 252
SOMMAIRE

Comment utiliser ce livre?

Par ce livre, j’ai souhaité apporter une première réponse aux personnes désireuses de produire des aliments sains, tout en agissant concrètement en faveur de la biodiversité. La guilde fruitière et écologique répond à ces deux enjeux, en rendant de nombreux services aux humains et à la terre.

Tout au long de l’écriture, j’ai cherché à apporter des éléments de réflexion sur la manière de construire une guilde, comment et pourquoi choisir une plante compagne plutôt qu’une autre, pour quelle raison la placer à l’ombre ou en plein soleil. La personne aspirant à créer ses propres guildes trouvera donc des éléments lui apportant une certaine autonomie sur ce point. Inversement, celle voulant des exemples de guildes pourra directement se référer aux paragraphes y afférant.

Ces propositions de guildes ne doivent cependant pas se soustraire à une bonne connaissance des plantes et de leurs besoins, et j’espère via ces exemples vous emmener vers une réflexion propre à vos conditions locales. Qu’il s’agisse de votre sol, des vents dominants, ou encore des précipitations moyennes, chaque situation est différente. Ces guildes peuvent et devraient être questionnées en fonction de votre environnement. Je vous invite à les faire évoluer suivant les éléments de contexte locaux, propres à chaque situation individuelle.

En fin d’ouvrage (voir p. 252), vous trouverez la liste des espèces végétales présentées, afin de vous permettre de retrouver facilement les informations souhaitées.

Toutes les plantes introduites dans ce livre ne sont pas forcément comestibles. Les parties consommables sont toujours indiquées sur la page de présentation d’une plante. Je vous rappelle qu’il est important de consommer uniquement les plantes dont on est certain de la non-toxicité.

Pour chacune des guildes, vous trouverez en premier lieu les caractéristiques principales de la plante centrale (celle pour laquelle nous concevons une guilde) sous cette forme :

NOM LATIN : Sambucus nigra

FAMILLE : Adoxacées

BESOINS EN EAU :

HAUTEUR À MATURITÉ : jusqu’à 6 m

LARGEUR À MATURITÉ : jusqu’à 6 m

VÉGÉTATION : vivace

FEUILLAGE : caduc

EXPOSITION :

MULTIPLICATION : semis, bouturage, division

RUSTICITÉ : - 25 °C - Zone 5

TYPES DE SOL : argileux, calcaire, limoneux

PH DU SOL : alcalin, neutre, acide

HUMIDITÉ DU SOL : sol frais, sol humide

FERTILITÉ : autofertile

4 Comment utiliser ce livre?

NOM LATIN

Composé de deux termes, le premier désigne le genre et débute toujours par une majuscule, le second désigne l’espèce et débute toujours par une minuscule. Vous trouverez parfois un ou plusieurs mots complémentaires entre guillemets simples : il s’agit-là du cultivar, qui indique une variété créée par l’homme (exemple Sambucus nigra ‘Black Tower’).

EXPOSITION

Soleil : peut rester en plein soleil toute la journée sans risque.

Mi-ombre : a besoin d’une ombre partielle, ou d’ombre une partie de la journée.

Ombre : peut rester à l’ombre toute la journée.

FAMILLE

Indique la famille botanique, en français.

MULTIPLICATION

Précise les moyens de multiplier la plante : semis, bouturage, marcottage, greffe, division de touffe.

BESOINS EN EAU

Exprime la quantité optimale dont a besoin la plante pour se développer correctement :

1 goutte sur 3 : besoins faibles - bonne résistance à la sécheresse ;

2 gouttes sur 3  : besoins moyensrésistance à de courtes périodes de sécheresse - préférence pour les sols frais ;

3 gouttes sur 3 : besoins élevésrésistance limitée à la sécheressesol restant humide.

RUSTICITÉ

Le premier chiffre indique la température minimale que la plante peut supporter dans de bonnes conditions de culture. Les zones de rusticité, au nombre de 11, précisent les températures minimales par zone géographique. Par exemple, la zone 6 comprend des secteurs où elles s’étalent de – 17,8 à – 23,3 °C (pas chaque année bien sûr, il s’agit là des minimaux possibles). La zone de rusticité d’une plante permet donc d’estimer sa capacité à tenir dans votre région. Voici la carte de ces zones pour la France.

Caen

Brest Rennes

Angers

Lille

Reims Rouen

Paris

Orléans

Strasbourg

Nancy Dijon

Poitiers

Bordeaux

Toulouse

Mende

Montélimar

Gap

Marseille

Nice

Zone 10A : –1,1 à 1,7 °C

Zone 10B : 1,7 à 4,4 °C

Climat méditerranéen franc

Zone 9B : –3,9 à –1,1 °C

Climat du bassin du sud-ouest

Zone 9A : –6,4 à –3,9 °C

Climat méditerranéen

Zone 8A : –12,2 à –9,4 °C

Zone 8B : –9,4 à –6,7 °C

Climat océanique franc

Zone 7B : –15 à –12,2 °C

Climat océanique altéré

Zone 7A : –17,8 à –15 °C

Climat océanique dégradé

Zone 6B : –20,6 à –17,8 °C

Climat semi-continental

Zone 6A : –23,3 à –20,6 °C

Climat de montagne

5 Comment utiliser ce livre ?

HAUTEUR ET LARGEUR À MATURITÉ

Indique les hauteur et largeur maximales que la plante pourra atteindre une fois adulte. Différents paramètres affecteront cette taille adulte : conditions de culture, climat, texture du sol, exposition aux vents… En plein vent, certains arbres resteront petits, alors qu’abrités et dans un sol adapté ils pourront atteindre leur taille maximale.

Chacune des implantations proposées dans ce livre se projette sur les tailles adultes : une guilde doit être réfléchie en fonction des tailles maximales des plantes, afin d’anticiper l’espace occupé à terme par chacune d’elles, et ainsi répondre à leurs besoins (quantité de lumière, humidité…) tout en choisissant le niveau de densité final souhaité.

TYPES DE SOL

Nous verrons plus tard que le sol est constitué de différents éléments minéraux et organiques. La teneur de ces différents composants permet de classer les sols en différents types. En ce qui nous

concerne ici, nous nous arrêterons aux 5 types suivants :

• Sols sableux : avec plus de 70 % de sable, ce type de sol a l’avantage de ne pas se compacter, d’être très drainant, et de se réchauffer rapidement. Facile à travailler, il ne colle pas et laisse les racines se développer facilement. Cependant, ils sont peu fertiles, instables et ne retiennent pas l’eau.

• Sols limoneux : riches en limon et contenant moins de 10 % d’argiles, ils sont doux au toucher, légers et poudreux lorsqu’ils sont secs. Généralement riches, fertiles, et perméables, ils se réchauffent vite et sont faciles à travailler. Sensibles au piétinement, ils sont facilement lessivés par les pluies : sans protection en surface, il s’y forme une croûte de battance qui empêche l’eau et l’air de s’y infiltrer.

• Sols argileux : contenant plus de 35 % de particules fines, les sols argileux sont lourds et compacts. Ils laissent difficilement l’eau pénétrer, et deviennent très durs en période de sécheresse. Ils

6 Comment utiliser ce livre ?

se craquellent plus ou moins profondément en période sèche. Par temps humide, ils deviennent étanches, boueux et collants, et retiennent l’eau en surface. Un sol argileux possède une bonne capacité de rétention en eau pour peu qu’on la laisse s’infiltrer.

• Sols calcaires : reconnaissables à leur couleur blanchâtre, ils contiennent des carbonates de calcium et de magnésium (entre 10 et 30 %) associés à des argiles. Leur pH, supérieur à 9, est basique. Ces sols, généralement caillouteux, se dessèchent rapidement, retiennent peu l’eau, et limitent l’assimilation du fer par les plantes. La présence de calcaire stimule cependant l’activité microbienne, et favorise la décomposition de la matière organique.

• Sols humifères : riches en humus (+ de 10 %), avec du sable et de l’argile, ils sont spongieux et retiennent bien l’eau (sans excès), sans pour autant devenir collants ou imperméables. Acides, meubles et légers, ils sont très fertiles et possèdent une activité microbienne importante. On reconnaît un sol humifère par sa couleur brun foncé à noire, et une agréable odeur forestière lorsqu’on le brasse. Un de ses rares inconvénients est que son acidité ne se prête pas à la culture de certaines plantes.

PH DU SOL

Il mesure l’acidité ou l’alcalinité du sol, et influence nombre de processus chimiques, comme la disponibilité des éléments nutritifs pour les plantes. On distingue les sols acides , dont le pH varie de 1 à 6,5, les sols neutres , pour un pH de 6,6 à 7,3, et les sols alcalins ou basiques, de 7,4 à 14.

La majorité des végétaux nécessitent un pH situé entre 5,5 et 7,5, même s’il existe des plantes qui se sont adaptées à des sols plus acides ou plus alcalins.

VÉGÉTATION

On distingue ici les plantes vivaces (qui vivent plus de 2 ans), annuelles (qui vivent moins de 1 an et font donc leur cycle sur une année), bisannuelles (dont le cycle de vie dure 2 ans).

HUMIDITÉ DU SOL

Indique si la plante tolère un sol frais (qui reste humide sans être détrempé), drainé (sol frais qui ne retient pas l’eau), humide (où de l’eau stagne) ou sec (qui ne retient pas l’eau).

FEUILLAGE

Il peut être caduc (il tombe en automne/hiver), persistant (il reste en place toute l’année), ou semi-persistant (une partie des feuilles reste sur l’arbre en fonction des températures).

FERTILITÉ

Définit s’il s’agit d’une plante autofertile 1 ou autostérile2 .

1. Une plante autofertile possède des fleurs qui peuvent être pollinisées par le pollen de la même plante. Plantée seule, elle produira quand même des fruits. La pollinisation des plantes autofertiles se trouve généralement améliorée par la présence d’autres individus à proximité (on parle alors de pollinisation croisée).

2. À l’inverse, une plante autostérile nécessite la présence d’un autre individu pour que ses fleurs soient fécondées. Attention, si vous installez deux plantes qui sont des clones, la pollinisation ne sera pas assurée. Il faut obligatoirement des individus génétiquement différents.

7 Comment utiliser ce livre ?
NEUTRE
ACIDE
ALCALIN

Tout commence par le sol

Avant de rentrer dans le vif du sujet et d’aborder concrètement le sujet des guildes, j’ai jugé important de vous parler d’un élément primordial et souvent sous-estimé : le sol, ou devrais-je dire les sols tant la diversité de ce milieu est gigantesque !

Pourquoi en parler me direz-vous ? Eh bien tout simplement parce qu’ils sont le support de la vie, et que toute personne souhaitant implanter des guildes végétales devrait les connaître un minimum, ne serait-ce que parce qu’un sol fertile et vivant est synonyme de plantes en bonne santé, productives et nutritives.

Les différents constituants

Le sol est la partie superficielle de la croûte terrestre émergée. Zone frontalière entre l’atmosphère et la lithosphère, il possède donc des éléments gazeux (atmosphère) et des éléments minéraux (lithosphère).

Élément de la biosphère

Le sol fait partie de ce que l’on appelle la biosphère, qui intègre l’ensemble des êtres vivants, leurs milieux de vie et leurs multiples interactions. Il est donc au carrefour de la biosphère, l’hydrosphère, l’atmosphère et la lithosphère.

Le sol est constitué de différents éléments, généralement regroupés en deux fractions :

• Une fraction solide, intégrant les éléments minéraux et les éléments organiques ;

• Une fraction fluide, correspondant aux éléments liquides et aux éléments gazeux.

Les constituants minéraux

Les éléments minéraux concernent tout ce qui est issu de l’altération de la roche mère. Ils sont classés par leur grosseur :

ATMOSPHÈRE : AIR

BIOSPHÈRE

HYDROSPHÈRE : EAU

LITHOSPHÈRE : TERRE

10 Les différents constituants

• Les argiles : particules de moins de 2 µm ;

• Les limons : particules de 2 à 50 µm

• Les sables : particules de 50 µm à 2 mm ;

• les graviers et cailloux : particules de 2 mm à 7,5 cm ;

• Les pierres et blocs : particules de plus de 7,5 cm.

Les trois éléments qui nous intéresseront plus particulièrement dans cet ouvrage sont les argiles, limons et sables, qui composent la terre fine du sol.

Les constituants organiques

Les éléments organiques sont constitués par la matière vivante du sol, et en majorité par la décomposition de ce vivant : végétaux, animaux et microorganismes (bactéries, champignons, algues…).

On regroupe l’ensemble de ces constituants sous le terme de « matière organique du sol » ou MOS.

La MOS contient de nombreux éléments comme le carbone, l’hydrogène, l’oxygène ou l’azote, et également des oligo-éléments. On estime que les deux tiers du carbone organique terrestre est contenu dans les sols ! À l’heure du dérèglement climatique, j’entrouvre ici une perspective de réflexion sur le lieu où l’on pourrait bien stocker tout ce carbone en excès dans l’atmosphère !

Les constituants liquides

La fraction liquide du sol est constituée d’eau, et d’un certain nombre d’éléments dissous sous forme d’ions (potassium, calcium, magnésium, nitrate…). On parle généralement de « solution du sol » pour définir l’eau et les ions qu’elle contient.

L’eau des sols se décline en trois catégories, en fonction de la taille des espaces qu’elle occupe :

• L’eau pelliculaire ou hygroscopique, qui est fortement liée à la matière par l’intermédiaire de forces

électriques, et qui occupe les espaces au diamètre inférieur à 2 nm (microporosité).

• L’eau capillaire , qui est faiblement liée à la matière par les forces de capillarité, et qui occupe les espaces au diamètre compris en 2 et 50 nm (mésoporosité) :

• L’eau gravitaire, qui circule de manière libre au sein d’espaces au diamètre supérieur à 50 nm (macroporosité) ;

L’eau utilisable directement par les plantes est l’eau capillaire. En effet, l’eau gravitaire n’étant pas retenue dans les sols se déplace de manière assez verticale jusqu’à atteindre une couche imperméable ou une nappe phréatique. Quant à l’eau pelliculaire, retenue énergiquement autour des particules du sol, elle n’est pas ou très peu accessible aux plantes.

Les constituants gazeux

Pour terminer, le sol renferme de l’air, des composants gazeux issus de l’atmosphère qui circulent dans les pores du sol lorsque l’eau se rétracte.

D’une composition assez proche de celle de l’air atmosphérique, certaines études montrent qu’il contient une concentration plus forte de dioxyde de carbone (CO2) et une concentration plus faible d’oxygène. Ces études indiquent que cette différence est en grande partie due à la respiration de la population microscopique du sol, qui consomme de l’oxygène et rejette du CO2

L’eau est retenue dans de larges pores

L’eau s’écoule à travers le pro l du sol

étrissement 15 bars
de champ 1/3 bar
L’eau adhère aux particules du sol Point de
Capacité
11 TOUT COMMENCE PAR LE SOL
EAU CAPILAIRE EAU HYGROSCOPIQUE EAU GRAVITAIRE

La formation du sol

À l’origine d’un sol, se trouve la roche mère. Il s’agit de la roche brute se situant à la surface de la Terre. Elles peuvent être de différentes origines et compositions : roches calcaires, granites ou encore gypses.

L’altération de la roche mère

Initialement, ces roches mères sont altérées par des processus physiques : alternance gel/dégel, fracturations dues aux variations brutales de température, etc. Cette première phase entraîne une fragmentation de la roche en morceaux de tailles variées.

L’eau de pluie va ensuite altérer la roche chimiquement . Suivant le type de roche, différents processus peuvent être à l’œuvre : dissolution des minéraux, oxydation, ou encore hydrolyse.

L’important ici est de retenir que sous l’effet de ces altérations physiques et chimiques, la roche se divise en éléments de plus en plus petits, et les anfractuosités et fissures commencent à contenir de l’eau chargée en minéraux. C’est alors que les premiers végétaux trouvent des conditions pour s’installer. Ces plantes pionnières , comme les lichens et les mousses, excellent dans la conquête de milieux pauvres en matière organique. En mourant, elles laissent sur place des composés organiques qui permettent à d’autres plantes de trouver leur place.

L’enrichissement en matière organique

C’est à ce stade qu’une première litière permet l’établissement de champignons, bactéries, suivis d’une microfaune composée d’acariens, nématodes et autres collemboles. Ces derniers attirent des espèces plus grosses, mésofaune et macrofaune composées de fourmis, vers de terre, petits mollusques.

Une fois ce processus enclenché, les organismes décomposeurs contribuent à la formation d’un sol fertile, permettant la création de liaisons entre les composés organiques et les composés minéraux. Au fur et à mesure, le sol s’épaissit et accueille de nouvelles formes végétales et animales, contribuant à leur tour à la création de cette matière.

12 La formation du sol

La formation des horizons du sol

Ce cercle vertueux se poursuit, la roche mère est maintenant altérée par les racines des arbres, et on distingue alors différentes couches entre la roche mère et la zone la plus proche de l’atmosphère. La présence et l’épaisseur de ces différentes couches dépend de nombreux paramètres, et je ne m’étendrais donc pas sur ce point.

Ces processus prennent du temps : on estime qu’il faut entre 100 et 1 000 ans pour que se forme un seul centimètre de sol ! Ces chiffres invitent, il me semble, à agir avec attention et parcimonie au moment de sortir les outils.

Pour en terminer avec la formation des sols, j’aimerais introduire un élément qui se crée directement sous la litière végétale : le complexe argilo-humique

IL A FALLU PLUS DE 10 000 ANS POUR FORMER LES SOLS DE FRANCE

PHYSIQUE : gel, vent squelette du sol

• Cailloux

• Graviers

• Sables

• Limons

CHIMIQUE : pluie complexe d’altération

• Argiles

• Silices

• Oxydes de fer et d’aluminium

• Colonisation du sol par des micro-organismes et des végétaux

• Décomposition des matières organiques fraîches et formation d’humus

• Formation du complexe argilo-humique

• Lixiviation des éléments solubles

• Accumulation des éléments solubles en profondeur

• Formation d’horizons

ROCHE NUE LICHENS PETITES PLANTES ANNUELLES ET LICHENS

GRAMINÉES ET VIVACES

13 TOUT COMMENCE PAR LE SOL
DE LA
EN
ORGANIQUES FORMATION DES HORIZONS DU SOL
ALTÉRATION
ROCHE MÈRE ENRICHISSEMENT
MATIÈRES
ARBUSTES ET CONIFÈRES ARBRES CADUCS MILLIERS D'ANNÉES

Le complexe argilo-humique, quèsaco ?

Le complexe argilo-humique (CAH) est un agrégat qui se forme dans les couches supérieures du sol, grâce à des forces électrostatiques. D’une part, on retrouve les argiles et l’humus, chargés négativement, et d’autre part des ions minéraux chargés positivement comme les ions calcium (Ca2+), potassium (K+), magnésium (Mg2+) et bien d’autres (voir schéma). Par ce savant jeu de liaisons électriques, il se forme donc le fameux CAH, clé de voûte d’un sol fertile.

Définition et formation

Vous noterez que l’humus et l’argile sont ici liés par des ions calcium. Cette liaison est la plus solide qui existe, et elle permet d’avoir un CAH plus stable et plus résistant au lessivage (dispersion en profondeur par l’action de l’eau).

Le CAH agit comme une véritable réserve de nutriments pour les plantes. En effet, différents

cations minéraux s’y accrochent pour être ensuite mis à disposition des plantes via leurs racines : Calcium, Potassium, Ammonium, Manganèse… Vous comprenez donc toute l’importance de favoriser la formation de ce complexe !

Ah oui, chose essentielle : l’ensemble de ces liaisons donnant lieu au CAH est en grande partie réalisé par le tube digestif de nos bien-aimés vers de terre !

14 Le complexe argilo-humique, quèsaco ?

Les bienfaits du complexe argilo-humique

Maintenant que vous savez tout du CAH et de sa formation, voici quelques intérêts qu’il apporte au sol.

RÉSERVE DE NUTRIMENTS

Le CAH permet par un jeu de forces électrostatiques de fixer certains cations du sol. Parmi ces ions se trouvent une grande partie des éléments nutritifs nécessaires à la croissance et à la bonne santé des plantes. Un sol permettant la création de CAH sera donc une des clés du succès de vos guildes.

AÉRATION DU SOL

La formation de ces agrégats favorise une structuration complexe du sol, ainsi que son aération. La vie du sol a besoin d’air, et ce service rendu par le CAH est donc d’une grande importance. La structure idéale d’un sol est dite grumeleuse, puisqu’une fois en main elle procure cette sensation d’être composée de grumeaux.

RÉTENTION DE L’EAU

Par l’aération et la structure qu’il apporte, le CAH favorise la présence d’espaces de toutes

tailles entre les agrégats. Voilà qui fait le lien avec les fameuses microporosité et mésoporosité du sol qui accueillent les eaux capillaires et pelliculaires ! En parlant de ça, avez-vous remarqué les molécules d’hydrogène (H+) accrochées à notre CAH ? Eh bien oui, c’est l’hydrogène de l’eau (H2O) qui, une fois liée électriquement au CAH sera retenue dans le sol.

DRAINAGE

La formation de CAH contribue à améliorer le drainage du sol. Autant il est important d’avoir une certaine humidité, autant un excès d’eau peut être néfaste à la bonne santé du sol.

RÉSISTANCE À L’ÉROSION

Les ensembles de CAH ne sont pas lessivables, et restent dans les couches supérieures du sol. Ils permettent ainsi d’assurer une bonne résistance à l’érosion. Ils limitent également la perte, par les eaux d’infiltration, de la MOS, des argiles, et des minéraux essentiels aux plantes.

La liste des services apportés par notre cher CAH pourrait encore s’étoffer, cependant je préfère m’en tenir à ces quelques éléments principaux qui montrent à quel point en favoriser la formation est fondamental pour la fertilité des sols.

Je vous propose donc quelques clés pour faciliter et accompagner cette création.

Accompagner la formation du CAH

Comment faire si mon sol est très sableux ou peu argileux ? Quid d’un sol avec peu de matière organique, si importante pour la fertilité ?

Voici quelques éléments de réponse, assez génériques, qui vous permettront de soutenir la création de CAH, et donc la fertilité de votre sol.

APPORTER DE LA MATIÈRE

Idéalement, un mélange de matières organiques fraîches (fumier, végétaux verts…) et de matières ligneuses (branchages, BRF, paille, miscanthus…). Ce mix permet d’augmenter la teneur en MOS, et donc la production d’humus.

Ca2+ Ca2+ Ca2+ Ca2+ Ca2+ Ca2+ H+ H+ H+ Ca2+ Na+ NH+ 4 NH+ 4 NH+ 4 NH+ 4 PO34 Mg2+ K+ K+ K+ Mg2+ Mg2+ Mg2+ PO34 Ca2+ Ca2+ Ca2+ Ca2+ Ca2+ HUMUS ARGILE 15 TOUT COMMENCE PAR LE SOL

FAVORISER LA VIE FAUNISTIQUE ET BIOLOGIQUE DU SOL

Pour cela, bannir toute utilisation de pesticides, insecticides, produits phytosanitaires et engrais de synthèse.

FAVORISER L’APPARITION DE CHAMPIGNONS MYCORHIZIENS

Fervent défenseur du bois raméal fragmenté (BRF), je vous invite à tester un apport important sur vos zones de plantation. En plus d’apporter de la matière organique, le BRF est un vecteur de choix des champignons nécessaires à la formation de mycorhizes dont dépendent plus de 80 % des végétaux. Attention cependant : les plantes craignant l’humidité ne doivent pas se retrouver avec 15 cm de BRF à leur pied.

AMÉLIORER LA PRÉSENCE DE CALCIUM

Sur des zones pauvres en calcium, certains préconisent la technique du chaulage, qui consiste à apporter des matériaux riches en calcium. Je ne suis personnellement pas très adepte de ces techniques, qui nécessitent des intrants substitués à leur milieu d’origine. Une pratique ancienne consiste à émietter les coquilles d’œufs ou d’huîtres directement en surface. Personnellement, j’utilise la cendre de bois de notre poêle.

TRAVAIL DU SOL

• Fragmentation

• Retournement

• Enfouissement de matières organiques fraîches

En effet, en plus de contenir du potassium, du magnésium et du phosphore, la cendre de bois contient jusqu’à 50 % de calcium ! Si vous optez pour cette solution, limitez les apports à une poignée par an et par mètre carré pour éviter un excès de calcium et de potasse.

PRIVILÉGIER LE NON-TRAVAIL DU SOL

Le travail du sol (labourage, bêchage…) a tendance à en modifier la structure et la porosité, casse les galeries de vers de terre, relâche du CO2 dans l’atmosphère. Toute action mécanique perturbe la faune et la flore, blesse ou tue ses habitants. Globalement, le travail du sol a un impact majeur sur son écosystème, et de nombreuses études montrent qu’il faut le limiter au maximum pour favoriser la fertilité, la rétention en eau et profiter de l’ensemble considérable de services apportés par un sol vivant.

MODIFICATION DE PROPRIÉTÉS DU SOL

• Porosité

• Répartition de matières organiques

• Température

• Humidité

MODIFICATION DE PROPRIÉTÉS DU SOL

• Transferts d’eau

• Stabilité structure

• Recyclage de la matière organique

• Fourniture de nutriments

• Contrôle des bioagresseurs…

EFFETS SUR LES ORGANISMES DU SOL

• Effets directs

• Effets sur habitat

• Modification et répartition spatiale des sources d’éléments nutritifs

• Abondance

• Diversité

• Activité

D'après Jérome Labreuche, François Laurent, Jean Roger-Estrade, Faut-il travailler le sol ?, Éditions Quæ, 2015.

16 Le complexe argilo-humique, quèsaco ?

GARDER UN SOL TOUJOURS COUVERT

Un sol a besoin d’eau et d’humidité. Pour éviter l’assèchement au sein de vos futures guildes et maintenir une certaine humidité, une couverture constante me semble une solution à privilégier. Il existe de nombreuses manières de couvrir le sol : le paillage par des matières organiques comme la paille, le foin ou le BRF ; les couverts végétaux par des plantes herbacées, des engrais verts ou des cultures saisonnières ; le paillage minéral (cailloux, ardoises, pouzzolane), qui peut être adapté à certaines cultures et certaines régions. Les possibilités sont nombreuses, et dépendent selon moi de ce que vous avez sous la main ! Inutile de faire venir du BRF en camion si vous avez à disposition des feuilles mortes. Inutile d’acheter du compost si votre voisin ne sait que faire du fumier de son cheval. Bien entendu, chaque type de paillage aura certains avantages et inconvénients, mais il me semble important de privilégier avant tout ce que vous avez à disposition dans votre environnement direct, afin d’être autonome et surtout de ne pas dépendre d’une production souvent liée aux énergies fossiles.

17 TOUT COMMENCE PAR LE SOL

Qu’est-ce qu’une guilde ?

Venons-en maintenant au thème principal de ce livre ! Si l’on se réfère au dictionnaire, la notion de guilde est définie comme suit :

• Au Moyen Âge, association de secours mutuel entre marchands, artisans, bourgeois.

• Association qui procure à ses adhérents des conditions d’achat particulières.

Bon, autant dire qu’en ce qui concerne un écosystème, il semble difficile de voir le rapport. Malgré tout, la première définition nous permet de comprendre pourquoi le terme « guilde » s’est invité en écologie.

En effet, les notions d’association et de secours mutuel sont parfaitement transposables à un ensemble d’espèces évoluant dans un environnement commun et partagé. Notre guilde écologique ne serait donc plus composée de marchands ou d’artisans, mais d’espèces associées de manière à en retirer des bénéfices mutuels.

Un terme venu des États-Unis

Définition

Ce concept semble avoir été introduit pour la première fois en 1967 dans une étude écrite par Richard B. Root sous l’égide de l’université de Californie. Étude portant sur le gobemoucheron gris-bleu, petit oiseau de la famille des passereaux. Repris par la suite, son concept de guilde sera développé par D. Simberloff et T. Dayan dans un écrit intitulé « The Guild Concept and the Structure of Ecological Communities », et paru en 1991 dans l’Annual Review of Ecology and Systematics.

Repris par l’INRA par la suite

Fort heureusement pour tous ceux qui ne maîtrisent pas la langue de Shakespeare, cette définition est en partie reprise et adaptée en français par l’INRA (2009).

De mon point de vue, cette définition n’est pas tout à fait satisfaisante, car elle introduit la notion d’exploitation, terme qui minimise selon moi un point fondamental : la coopération entre les plantes elles-mêmes et leur environnement.

Une guilde serait donc à mes yeux un « ensemble d’espèces, en coopération et en forte interaction avec leur environnement, évoluant naturellement au sein de biotopes ayant des caractéristiques communes ».

Cela ne reflète que ma vision des choses, et c’est en tout cas la définition qui me guidera tout au long de l’écriture de ce livre, et sur laquelle je me base lorsque je choisis de créer une guilde de plantes.

Définition de l’inra

« Guilde : ensemble d’espèces appartenant à un même groupe taxonomique ou fonctionnel et qui exploitent une ressource commune, ainsi on s’attend à une forte compétition interspécifique entre les membres d’une guilde. Exemple, oiseaux insectivores d’une forêt. »

Définition

de D. Simberloff et t. Dayan

« A guild is defined as a group of species that exploit the same class of environmental resouces in a similar way. This term groups together species without regard to taxonomic position, that overlap significantly in their niche requirements. This guild has a position comparable in the classification of exploitation patterns to the genus in phylogenetic schemes… To

be considered a member of the foliagegleaning guild in the oak woodland, the major portion of a bird species’ diet had to consist of arthropods obtained from the foliage zone of oaks. As a result, birds that occasionally use the foliage zone were excluded even though they may have exerted some influence on the guild’s food supply. » (130, p. 335)

20 Définition
Le gobemoucheron gris-bleu

Intérêts des guildes écologiques

Implanter des guildes, que ce soit à l’échelle d’un jardin, d’une prairie, ou d’un verger existant, présente à ma connaissance de nombreux intérêts.

Culture en 3 dimensions

Là où un champ ou un verger sont cultivés au sol, en deux dimensions, la mise en place de guildes nous emmène à penser en trois dimensions. Dans de nombreuses guildes naturelles, des lianes se développent sur les arbres, des arbustes poussent à la mi-ombre de grands arbres, des plantes herbacées trouvent leur place entre les arbustes.

Cette approche en 3D permet, sur une même surface, de densifier les cultures en utilisant tous les niveaux de végétation. Ce foisonnement présente de multiples intérêts : limitation du désherbage, augmentation des récoltes possibles sur un même espace, diminution des surfaces à arroser.

Biodiversité

La biodiversité fait référence à la variété d’organismes (plantes, animaux, micro-organismes…) présents dans les différents écosystèmes (forêts, déserts, marécages…). La diversité génétique est également un élément très important puisqu’elle contribue à la stabilité et à la durabilité des écosystèmes.

Par nature, la culture en trois dimensions augmente la variété d’espèces et de plantes. Diversifier les plantes entraîne logiquement une diversité biologique plus importante : attrait d’insectes, d’oiseaux et d’une faune variés, symbioses mycorhiziennes avec différents champignons.

Pour reprendre l’expression de Fabrice Desjours de « La Forêt Gourmande » : « Densifier et diversifier » est une des clés d’une grande biodiversité.

Cette stratégie donne lieu à des interactions entre espèces qui dépendent les unes des autres pour

survivre. Chaque élément remplit des fonctions écosystémiques et in fine apporte différents services et bienfaits : qualité de l’eau et sa rétention dans les sols, régulation des insectes phytophages et des maladies, soutien de la vie sur Terre… Il a été démontré que plus un écosystème est riche et varié, plus il est en mesure de fournir des services écosystémiques importants3

3. Lefcheck, J., Byrnes, J., Isbell, F. et al., Biodiversity enhances ecosystem multifunctionality across trophic levels and habitats. Nat Commun 6, 6936 (2015). https://doi. org/10.1038/ncomms7936

21 QU’EST-CE QU’UNE GUILDE ?

Creer des guildes d’abondance

Les arbres fruitiers et leurs plantes compagnes

Technique de permaculture, la guilde fruitière propose d’organiser des plantes compagnes autour d’un arbre fruitier afin d’utiliser tous les étages de végétation et de créer un ensemble harmonieux et généreux. L’une attirera les pollinisateurs, l’autre mettra à disposition des nutriments via ses racines profondes, une autre encore limitera les plantes spontanées par son côté couvre-sol, protégera des vents dominants ou bien abritera les prédateurs des visiteurs phytophages. De plus, ces plantes sont bien souvent comestibles et/ou médicinales !

Cet ouvrage propose 7 associations gourmandes faciles à mettre en œuvre dans son jardin : pommier, prunier, cerisier, figuier, nectarinier, néflier et sureau. Et pour chacune : des calendriers de récolte ! Lionel Rimbert est le président de l’association La Forêt Féconde qui œuvre pour la création, le maintien, le développement et la promotion de forêts-jardins et tout autre écosystème nourricier et comestible. Il expérimente lui-même les guildes dans son jardin du Rhône.

MDS : RU21679 / 24,95 € TTC www.rusticaeditions.com
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