Sylvinius

Dominique Pérot-Poussielgue

Sylvinius

AU CŒUR DES ARBRES

À Augustin. À Pauline. À Armelle. À Sixtine. Mes filleuls chéris.

À l’image d’un arbre, profondément enraciné et fièrement pointé vers le ciel, que votre vie soit simple, belle et droite, toujours éclairée par votre cœur généreux.

« L’arbre n’est point semence, puis tige, puis tronc flexible, puis bois mort. Il ne faut point le diviser pour le connaître.

L’arbre, c’est cette puissance qui lentement épouse le ciel. Ainsi de toi, mon petit d’homme.

Dieu te fait naître, te fait grandir, te remplit successivement de désirs, de regrets, de joies et de souffrances, de colères et de pardons, puis Il te rentre en Lui.

Cependant, tu n’es ni cet écolier, ni cet époux, ni cet enfant, ni ce vieillard.

Tu es celui qui s’accomplit.

Et si tu sais te découvrir branche balancée, bien accrochée à l’olivier, tu goûteras dans tes mouvements l’éternité.

Et tout autour de toi se fera éternel. »

Antoine de Saint-Exupéry Citadelle

Précédemment, dans Oxygénius et Tektonius

À la suite d’un cataclysme, les ancêtres du peuple d’Oxygénius ont tout perdu. Ils se sont réfugiés au cœur d’un volcan et ont appris à vivre confinés dans ce milieu hostile grâce à leurs lux, ces capsules d’oxygène reliées à leurs combinaisons. Ils ont réinventé une communauté hiérarchisée, organisée, intelligente : avec les Élus, les Sages, les Maîtres, les Veilleurs, les Soignants et les Constructeurs, leur peuple était fort. Chacun occupait une fonction définie et s’y tenait : les Agents veillaient à la sécurité, les Apothicaires s’occupaient des soins physiques, les Cliniciens s’assuraient du Tonus des adolescents lors de « l’épreuve du Feu », les Alchimistes transformaient la lave en lux…

Mais Nollan, le Maître des Soignants et Tawin, le Maître des Veilleurs, tentent d’accaparer Oxygénius pour conquérir le territoire des Sylviniens.

Avec courage et loyauté, Sternon, un Commando, et Epsilyn, une Soignante, vont tenter de comprendre ce qui se trame et se mettent en travers du sombre plan. Avec l’aide d’Hoskar, le père d’Epsilyn, ils vont ainsi sauver Zlêten. Le jeune chef sylvinien de la Forêt Noirée a été trahi par son frère Zakkur, et

fait prisonnier dans le volcan par Hekôn, qui est à la solde de Tawin.

De son côté, l’Oxygénien Juvaal s’est vu transmettre les secrets des Anciens, pour devenir « l’Initié » : la mémoire de son peuple. Il sera aidé dans sa charge par Naasidé, celle qu’il a choisie comme fiancée et qui a décidé de l’accompagner sur son chemin de vie. Mais le grand-père de Naasidé, Menur l’Ancien, révèle à sa petite-fille que son père est toujours vivant…

Une fissure est découverte dans le volcan. L’oxygène va venir à manquer, les Oxygéniens sont en danger. On découvre que les Anciens ont caché des secrets et ont trompé leur peuple en leur faisant croire qu’ils dépendaient de l’oxygène, alors qu’ils peuvent en réalité très bien respirer par eux-mêmes à l’extérieur du volcan. Les traditions sont bousculées, les traîtres font basculer l’équilibre et le chaos s’installe. Les voisins sylviniens, qui vivent à l’air libre dans la forêt, avec de l’oxygène à profusion, deviennent les ennemis.

Après avoir survécu à la destruction du volcan, Zlêten, Sternon et Epsilyn traversent le désert et cherchent refuge auprès du peuple de Tektonius, qui vit dans les carrières de pierre. Sternon est contraint de travailler la pierre à l’Arène, avec la caste inférieure, supervisé par Dremor. Zlêten est quant à lui propulsé dès son arrivée parmi les Gouverneurs et les Conseillers de ce peuple, au sein de l’Aréopage corrompu qui

Sylvinius – Au cœur des arbres

préside à la Tour Nacrée. Epsilyn, blessée, est retenue à la Cité des soins.

La jalousie s’installe entre Zlêten et Sternon, qui se disputent l’amitié d’Epsilyn et leur place au sein de la Cité. Mais un jour, Zlêten s’évanouit, atteint d’un terrible mal. Lui aussi est emmené dans cette mystérieuse Cité des soins. Avec l’aide d’Ismalie, Epsilyn va tâcher de trouver un remède contre ce mal des pierres. Sternon s’emploie aussi à sauver Zlêten, avec Ryohan, Enseignant en pierres précieuses, et Touiik, sympathique Ornementeur.

Après une course-poursuite dans les souterrains et les carrières de la Cité, Zlêten est sauvé et les trois amis se retrouvent. Ils décident alors de rentrer à Sylvinius pour que Zlêten puisse enfin rejoindre son peuple. Mais, à leur arrivée, la Forêt Noirée n’existe plus. Tout n’est que désolation.

Ils doivent aller voir du côté de Byolane et Géedine, deux autres forêts, si leurs compagnons s’y trouvent…

Organisation du peuple de Sylvinius

Hiérarchie

Haenok, le Druide.

Zlêten, le chef.

Vie quotidienne

En famille. Habitation : les « nids ».

Famille de Zlêten

Père : Tionylh.

Mère : Laeblunaï.

Grand frère : Zakkur.

Petits frères : Hori, Ahimân, Yigéal, Talmaï et Caleb.

Petites sœurs : Gemalli, Tabeéra et Mhiram.

Les trios d’apprentissage, de 7 à 20 ans

Un expert en arbres.

Un expert en plantes.

Un expert en animaux.

Trio d’apprentissage de Zlêten

Zlêten : expert en arbres.

Sylvinius – Au cœur des arbres

Nelbeth : experte en plantes.

Agiathar : expert en animaux.

Trio d’apprentissage de Tabeéra

Jorhas : expert en arbres.

Tabeéra : experte en plantes.

Niemh : expert en animaux.

Glossaire des personnages

Les Oxygéniens

Dilmer : Commando, de la brigade des Veilleurs.

Epsilyn : Jeune Apothicaire, de la brigade des Soignants. Elle est la fille d’Hoskar et compte parmi ses meilleurs amis Sternon et Naasidé.

Fluiin : Mère de Naasidé.

Ghadyn : Commando, de la brigade des Veilleurs.

Hanthyon : Commando, de la brigade des Veilleurs.

Hekôn : Espion, de la brigade des Veilleurs.

Honyx : Le Jeune, l’un des trois Élus, chefs d’Oxygénius.

Hoskar : Manœuvre, de la brigade des Constructeurs. Il est le père d’Epsilyn.

Ioltar : Premier Initié et l’un des trois fondateurs du peuple d’Oxygénius. Époux de Meiwen.

Juvaal : L’Initié, l’un des trois Élus, chefs d’Oxygénius.

Kappar : Premier Ancien et l’un des trois fondateurs du peuple d’Oxygénius.

Kiernon : Père de Sternon.

Kildran : Commando, de la brigade des Veilleurs.

Meiwen : L’une des trois fondateurs du peuple d’Oxygénius. Épouse d’Ioltar.

Menur : L’Ancien, l’un des trois Élus, chefs d’Oxygénius.

Sylvinius – Au cœur des arbres

Naasidé : Patricienne et petite-fille de Menur l’Ancien. Elle est l’une des meilleurs amis d’Epsilyn.

Nayaj : Soignante avec Epsilyn.

Nollan : Maître des Soignants.

Qyuus : Maître des Constructeurs.

Reor : Manœuvre, de la brigade des Constructeurs.

Sternon : Jeune Commando, de la brigade des Veilleurs. Il est l’ami d’enfance d’Epsilyn.

Tawin : Maître des Veilleurs.

Xherr : Sage d’Oxygénius, conseiller des Élus.

Yélda : Jeune fille décédée lors de l’épreuve du Feu.

Zeyrmeh : Alchimiste, de la brigade des Constructeurs. Il est en charge des transferts de lux.

Les Tektoniens

Beathyl : Gouverneure de Tektonius.

Cinegard : Maître de la taille.

Dremor : Responsable du chantier de l’Arène.

Drimal : Maître de l’ornementation.

Epitheme : Conseiller de la population.

Faltanys : Gouverneur de Tektonius.

Geodys : Gouverneur de Tektonius.

Ismalie : Apprentie Soignante à la Cité des soins. Sœur cadette de Ryohan.

Kerodyn : Gouverneur de Tektonius.

Glossaire des personnages

Menaltry : Épouse du Gouverneur Oktyl. Elle travaille à l’Arène.

Mercurial : Conseiller de l’artisanat de la pierre.

Oktyl : Gouverneur de Tektonius. Époux de Menaltry.

Renouel : Architecte fondateur de la Cité de Tektonius.

Ruker : Maître de l’extraction.

Ryohan : Enseignant en pierres précieuses. Frère aîné d’Ismalie et ami de Touiik.

Semin : Maître du chef-d’œuvre.

Sunelys : Gouverneure de Tektonius.

Tabenyl : Gouverneure de Tektonius. Épouse de Yenokym.

Touiik : Ornementeur. Ami de Ryohan.

Yegar : Jeune messager du Quartier des Liens. Ami de Touiik.

Yenokym : Architecte de la Cité. Époux de Tabenyl.

Ystaelh : Voisine de Touiik. Elle travaille avec Menaltry à l’Arène.

Les Sylviniens

Agiathar : Ami d’enfance de Zlêten et membre de son trio d’apprentissage, expert en animaux.

Ahimân : Frère de Zlêten.

Asturen : Père de Naasidé.

Caleb : Frère de Zlêten.

Elietha : Jeune amie de Jorhas et de son groupe.

Falsony : Ami de Jorhas et Niemh.

Gemalli : Sœur de Zlêten.

Sylvinius – Au cœur des arbres

Grimiet : Père de Jorhas.

Haenok : Druide de la Forêt Noirée et dirigeant du clan aux côtés de Zlêten.

Hori : Frère de Zlêten.

Jorhas : Fils de Grimiet, ami de Tabeéra et Niemh, membre de leur trio d’apprentissage, expert en arbres.

Laeblunaï : Mère de Zlêten et Zakkur.

Mhiram : Sœur de Zlêten.

Nelbeth : Amie d’enfance de Zlêten et membre de son trio d’apprentissage, experte en plantes.

Niemh : Ami de Tabeéra et Jorhas, membre de leur trio d’apprentissage, expert en animaux.

Riolta : Amie de Jorhas et Niemh.

Roerg : Meilleur pisteur du peuple sylvinien.

Tabeéra : Sœur de Zlêten, amie de Jorhas et Niemh, membre de leur trio d’apprentissage, experte en plantes.

Talmaï : Frère de Zlêten.

Tionylh : Père de Zlêten et Zakkur.

Yigéal : Frère de Zlêten.

Zakkur : Frère de Zlêten.

Zirmen : Amie de Jorhas et Niemh.

Zlêten : Jeune chef des Sylviniens, expert en arbres.

Naasidé n’en menait pas large.

Au-dessus de sa tête, un ciel de feuillages. Sur les côtés, des branches, des fougères et des buissons. Sous sa cape, des bruyères et de la mousse. Tout n’était que verdure. Elle étouffait presque !

– Autant d’oxygène, c’est du gâchis ! râla-t-elle intérieurement, encore imprégnée de ses réflexes oxygéniens.

Elle tendit l’oreille, croyant percevoir les échos d’une battue dans les fourrés sur sa gauche. Fermant les yeux, elle se renfonça sous sa capuche émeraude rabattue, ne laissant apercevoir qu’une longue cascade de cheveux bruns. Sa silhouette élancée ramassée entre ses bras, elle se garda bien d’esquisser le moindre geste.

– Quand Juvaal va-t-il revenir ? implora-t-elle en silence, inquiète.

Elle priait de toutes ses forces pour que son fiancé la retrouve. Elle sentait la puissance de la forêt, ses parfums forts et persistants. Elle percevait sous ses pieds les vibrations de la terre, son intensité. Elle voyait ces murs d’écorce s’élancer fièrement vers

Sylvinius – Au cœur des arbres

un ciel invisible. Elle gardait espoir, mais au fond d’elle-même, pour la première fois de sa vie, elle avait peur. Terriblement.

Soudain, des pies arc-en-ciel s’envolèrent précipitamment.

Le cœur de Naasidé battit à tout rompre. Elle entendit des voix, des pas, des craquements. Sa respiration s’accéléra. C’est alors qu’une impressionnante silhouette surgit des fougères.

– Venez, je l’ai trouvée ! cria Zakkur.

– Relevant la tête, Naasidé vit fondre sur elle le colossal Sylvinien. Se sentant soulevée du sol par une poigne brutale, elle tenta de se dégager tout en fusillant du regard celui qu’elle haïssait de tout son cœur.

– Tu n’es qu’un traître ! lui cracha-t-elle au visage.

– Boucle-la, aboya l’autre en la tirant vers ses comparses.

Au contact de la combinaison en peau de serpent portée par Zakkur, Naasidé réprima un sursaut de dégoût. Puis une odeur atroce lui envahit les narines. Un mélange de moisi, d’humidité et de pourriture. Elle eut un haut-le-cœur qu’elle réprima de toutes ses forces.

– Regardez cette belle prise ! se vanta Zakkur.

Les trois autres hommes s’esclaffèrent bruyamment. Puis, emboîtant le pas à leur chef, ils s’éloignèrent rapidement dans les fourrés.

Zakkur tenait sa prisonnière par le bras. Il lui imposa une cadence soutenue, alors qu’elle n’avait ni ses grandes jambes ni sa haute silhouette. Naasidé peinait à traverser les ronces, les fougères, les orties et toute cette végétation sylvestre tantôt

humide et glissante, tantôt griffue et blessante. Malgré le tissu renforcé de chanvre de son fuseau vert lichen, ses jambes brûlaient déjà des estafilades causées par ces végétaux.

Elle ne se plaignit pas, concentrée sur le chemin qu’ils empruntaient. Se souvenant des conseils que ses amis sylviniens avaient pu lui prodiguer ces derniers temps, elle tâcha de se repérer à la couleur des troncs – bruns, striés, décolorés, hachurés, multicolores parfois –, au cri des oiseaux, aux parfums de champignons ou d’humus… Peine perdue ! Jamais elle ne retrouverait son chemin dans ce dédale de verdure toujours renouvelée.

Pour ne pas perdre pied, elle pensa à Juvaal. Il allait la chercher partout. Elle le savait. Il ne s’arrêterait pas tant qu’il ne l’aurait pas retrouvée. Son cher fiancé ! Depuis trois mois qu’ils habitaient dans ces contrées, il avait montré tout son courage, toute sa détermination, toute son espérance. Au moment où ils s’étaient retrouvés catapultés dans un monde complètement étranger à Oxygénius, il avait pris les choses en main, s’impliquant d’emblée dans cette nouvelle vie, cherchant à réancrer leur existence alors qu’ils étaient déracinés…

Sentant qu’elle mollissait, Zakkur la tira plus fermement et Naasidé dut serrer les dents pour ne pas geindre sous la poigne cruelle de cette grande brute. Ils avançaient maintenant dans une sorte de sous-bois aux relents humides. Le sol, sous les pas de Naasidé, devenait moins dense, moins ferme, plus élas-

tique. À un moment donné, son pied glissa sur une sorte de mousse foncée. Puis elle dérapa une seconde fois, heurtant de la cheville une branche tordue qui s’enfonçait dans de la terre spongieuse.

Soudain, tout le paysage changea autour d’elle. Elle ne vit plus qu’un entrelacs de racines à perte de vue. On aurait dit que toute la terre avait disparu, que les arbres s’étaient soulevés, montrant à l’air libre leur réseau racinaire d’habitude souterrain. Et tout ceci trempait dans une eau d’un vert-noir trouble ou d’un bleu-vert limpide selon la profondeur des fonds, créant des formes et des volumes surprenants.

« La mangrove ! » s’exclama-t-elle in petto devant ce spectacle ahurissant.

Au sein de ces milliers de branchages inextricables, de couleurs indéfinissables aux moires mêlées, impossible d’avancer plus. Le groupe s’arrêta donc un court instant à la limite du premier marécage, les pieds déjà mouillés par le sol imbibé et l’humidité intense qui régnait en ces lieux.

« Que vont-ils faire de moi là-dedans ? Me noyer ? » songeait amèrement Naasidé.

Subjuguée, elle vit deux des acolytes de Zakkur se baisser pour dégager un étroit passage. Ils révélèrent une grossière passerelle de rondins serpentant au beau milieu des arceaux formés par les racines. Le système ne semblait pas des plus solides…

Naasidé se demanda une nouvelle fois où tout ceci allait la mener, mais elle ne put y réfléchir longtemps : Zakkur l’empoigna à nouveau et, sans un mot, la fit avancer sur ce ponton incertain.

Au fil de sa progression, tout en regardant attentivement où elle posait ses pieds, l’Oxygénienne remarqua qu’aux endroits où des racines rosâtre argenté formaient une voûte très haute au-dessus de l’eau, l’intérieur avait été utilisé : des abris y étaient construits. C’était admirablement bien fait. Un vrai camouflage ! De loin, impossible de distinguer quoi que ce soit.

Entendant quelques rumeurs sur leur passage, elle se rendit compte que ces repaires étaient habités. Des détails se matérialisaient peu à peu sous ses yeux : un système de garde-manger suspendu, de fines passerelles secondaires reliant tel ou tel abri par l’arrière…

Brusquement, un rondin mal fixé bascula sous le poids de Naasidé et elle sentit son pied droit s’enfoncer dans l’eau. Zakkur la rattrapa de justesse avant qu’elle ne tombe tout entière dans cette eau peu avenante, sans doute emplie de sangsues, de serpents ou autres reptiles. Il la tira rudement juste derrière lui pour éviter une nouvelle chute, et repartit de plus belle en grognant.

Naasidé n’en pouvait plus. Ses narines étaient saturées par cette odeur infecte émanant de Zakkur et de ses comparses. Elle ne sentait plus ses jambes. Ses orteils étaient moites et

Sylvinius – Au cœur des arbres

suintants. L’humidité avait imprégné l’intégralité de son fuseau et de sa cape. Même sa capuche commençait à goutter.

C’est alors que le Sylvinien s’arrêta et se retourna pour, cette fois, la faire passer devant lui. La jeune femme écarquilla ses yeux, n’en revenant pas : il la poussait dans une barcasse !

Zlêten, Epsilyn et Sternon arrivèrent en vue de Géedine et Byolane. Les deux forêts étaient séparées par une grande étendue d’eau scintillante. Ce lac, partie intégrante du Pays Vert, bordait Byolane de fines plages de sable et de galets, tandis qu’il se perdait dans les tréfonds de Géedine, se transformant en une mangrove humide et labyrinthique.

Zlêten devait choisir. Confusément, il sentait qu’en son absence les derniers mois avaient été catastrophiques pour son peuple. Si la Forêt Noirée avait été à ce point détruite, c’était forcément intentionnel. Une telle sylve ne part pas en fumée sans raison ! Il devait rester méfiant, car il ne savait pas ce qui les attendait là-bas. Et maintenant, à lui de décider vers laquelle de ces deux forêts il voulait se diriger.

Sternon et Epsilyn ne bronchaient pas. Ils respectaient le silence de leur ami, voyant ses traits concentrés, sa mine grave et ses poings serrés. Epsilyn tâchait de deviner, dans les prunelles pailletées de vert clair de Zlêten, les émotions qui le traversaient. Tous trois étaient affamés après la rude traversée de ce désert hostile. Les provisions qu’ils avaient pu emporter

de Tektonius n’avaient pas tenu longtemps et les quelques dattes trouvées en chemin ne suffisaient plus.

Le ventre d’Epsilyn fit entendre un sonore gargouillement. Cela décida Zlêten. Comme il connaissait mieux Byolane, il opta pour cette dernière sans trop y réfléchir. D’un geste, il indiqua la direction à ses compagnons. Se fiant à son instinct, le jeune chef s’écarta du sentier qui serpentait vers les rivages sablonneux et s’enfonça résolument dans l’épaisse forêt.

Une bête trapue coupa les taillis à toute allure à quelques pas devant eux, faisant sursauter Epsilyn et Sternon. Les deux Oxygéniens suivaient comme ils pouvaient. Même si Zlêten veillait au chemin qu’ils empruntaient, afin de leur faciliter les choses, ils se trouvaient beaucoup moins à leur aise dans ce milieu si sauvage qu’ils ne l’avaient été dans la cité de pierre, propre et policée. Leurs pauvres tuniques auparavant immaculées ne ressemblaient plus à grand-chose. Après avoir été brûlées par le sable, elles se déchiraient maintenant sous les épines des buissons.

Tout à coup, Epsilyn étouffa un cri de stupeur : Zlêten s’était retourné d’un bloc. Sans prévenir, il se jeta de tout son long sur une masse incertaine de buissons et épineux à quelques mètres de leur chemin. Une sourde exclamation se fit entendre. Sternon, venu à la rescousse de son ami, l’aida à extirper des fourrés un beau gaillard d’une douzaine d’années. Malgré son

regard furibond, sa large fossette et ses cheveux noirs en bataille lui donnaient un charme désarmant.

Zlêten, prudent malgré tout, l’immobilisa à terre et lui bâillonna la bouche de la main :

– Je te reconnais, tu es Jorhas, le fils de Grimiet ! Que faistu ici ?

La pression des doigts s’était faite plus légère, mais le jeune guetteur ne voulut rien répondre.

– Sais-tu qui je suis ?

L’autre le fixa des yeux quelques secondes, les sourcils froncés. Et puis, soudain, ses pupilles s’agrandirent…

– Oui, je vois que tu m’as reconnu, confirma Zlêten en retirant sa main. Alors maintenant, dis-moi où est notre peuple, je veux les retrouver.

Jorhas ne dit rien, fixant maintenant des yeux Epsilyn et Sternon.

– Nous sommes des amis de Zlêten, expliqua Sternon.

– Tu peux leur faire confiance, ils m’ont sauvé la vie, renchérit le jeune chef.

Jorhas hocha la tête et se mit à marcher avec eux.

Epsilyn emboîta le pas aux trois garçons, se demandant quelles surprises allait encore leur réserver cette traversée forestière.

Au bout d’une vingtaine de minutes constituées de zigzags entre les taillis, les sentiers et les immenses troncs de l’armée

sylvestre formée d’aljoyeaux, arbres d’argile, zempettenas, inicomes, moriniers des futaies, reionels enlacés et autres aptilennes, Zlêten s’arrêta et s’accroupit, Jorhas à côté de lui. Les rejoignant au ras des fourrés, Epsilyn et Sternon interrogèrent Zlêten du regard.

– Je sens des vibrations, chuchota-t-il, et il me semble percevoir aussi des voix, bien plus loin par là-bas. Je vais me rapprocher et voir par moi-même puisque Jorhas ne dit rien.

– On vient avec toi, affirma Sternon. C’est quitte ou double. Soit on tombe sur des amis…

– … soit on se fait prendre, à nouveau… Mais plus question de se séparer maintenant ! termina Epsilyn en appuyant doucement son épaule contre celle de son compagnon.

Touché par la solidarité de ses amis, le cœur vibrant sous le regard intense d’Epsilyn, Zlêten hocha la tête et se redressa.

Epsilyn le sentait tendu. Il espérait tant retrouver son peuple et sa famille ! Elle comprenait. Le fait de ne pas avoir de nouvelles des siens était une vraie torture. Et la réaction de Jorhas n’avait pas été très accueillante. Aucun des trois n’était capable de dire qui ils allaient réellement retrouver.

Sous le couvert des frondaisons, les amis avançaient maintenant de façon rapide et régulière. Ils étaient près du but, ils le sentaient.

Après avoir encore progressé durant de longues minutes, ils débouchèrent soudain à la lisière d’une prairie jusque-là

camouflée par de hauts buissons et arbustes. Ce qu’ils virent leur coupa le souffle.