Eucharistie, source dâespĂ©rance
Présentation de Didier Rance
Maria Teresa Carloni, la mystique des chrétiens persécutés
MAME
MARIA TERESA CARLONI
Eucharistie, source dâespĂ©rance
Présentation de Didier Rance
Présentation de Didier Rance
Traduction de Dominique de La Rochebrochard
Traduction de Dominique de la Rochebrochard
écrit spirituel
Présentation
UNE VIE DONNĂE
Ă sa mort, le 17 janvier 1983, Maria Teresa Carloni laisse Ă ses concitoyens dâUrbania, petite ville dâItalie centrale, le souvenir dâavoir fondĂ© la section locale des donneurs de sang et, sinon, dâavoir Ă©tĂ© une femme malade, pieuse, effacĂ©e et connue pour son humilitĂ© â avec ce fait Ă©trange dâune noria de cardinaux et dâĂ©vĂȘques lui rendant visite.
Qui fut Maria Teresa Carloni1 ? NĂ©e en octobre 1919 dans une famille noble et aisĂ©e, orpheline Ă trois ans, Ă©levĂ©e par une grand-mĂšre sĂ©vĂšre, enfant pieuse mais dĂ©goĂ»tĂ©e avant ses dix ans par la mĂ©diocritĂ© et lâinconduite de prĂȘtres, adolescente rĂ©voltĂ©e (sa devise : « Le possible je lâai fait, lâimpossible je dois le faire »), elle sâest Ă©loignĂ©e de lâĂglise.
1. Pour découvrir sa vie de façon plus détaillée que dans les pages qui suivent, voir D. Rance , Maria Teresa Carloni. Mystique au service des chrétiens persécutés, Paris, Salvator, 2020.
Quand la guerre Ă©clate, elle sâengage Ă Rome comme infirmiĂšre. Mais le jeune mĂ©decin avec qui elle va se fiancer est tuĂ© sous ses yeux par une patrouille trop nerveuse alors quâils rentrent une nuit dâune mission mĂ©dicale. Sa vie semble finie. RetournĂ©e Ă Urbania, elle louvoie entre tentation du suicide et vellĂ©itĂ©s littĂ©raires.
En 1951, malgrĂ© son aversion pour lâĂglise, elle accepte dâaller quĂ©rir le pĂšre Campana, curĂ© de la paroisse, pour porter les derniers sacrements Ă sa grand-mĂšre, et se surprend Ă lui demander une rencontre. Elle vient le voir le 6 avril et, aprĂšs des heures de discussions et de confession, connaĂźt une conversion foudroyante et dĂ©cide aussitĂŽt de servir le Christ et les pauvres. Des tentatives de vie religieuse lui montrent que lĂ nâest pas sa voie. LibĂ©rĂ©e de tout souci matĂ©riel par sa fortune, elle consacre sa vie, sous la direction du pĂšre Campana, Ă prier pour la sanctification des prĂȘtres et sert comme infirmiĂšre dans un camp de rĂ©fugiĂ©s victimes dâune inondation du PĂŽ puis dans un prĂ©ventorium dâenfants touchĂ©s par la tuberculose.
Câest lĂ quâune voix intĂ©rieure sâimpose peu Ă peu Ă elle, lui demandant de se donner totalement Ă JĂ©sus. Le pĂšre Campana prend conseil pour en discerner lâorigine. Convaincu quâelle est celle de JĂ©sus lui-mĂȘme, il demande Ă la jeune femme de ne rien forcer, dâattendre1. BientĂŽt, la voix lui demande si elle accepte de sâoffrir avec JĂ©sus
« pour le salut de beaucoup ». Elle rĂ©pond : « Sâil le veut, je le veux ». Le Vendredi saint suivant elle souffre la Passion
durant trois heures1. Elle est ensuite stigmatisĂ©e et connaĂźtra dĂ©sormais dâincessantes souffrances, des attaques dĂ©moniaques, des phases de dĂ©goĂ»t de vivre et dâagonie.
Toujours habitĂ©e par le dĂ©sir de servir toujours davantage les pauvres, elle reçoit de la voix la demande de sâoffrir pour les victimes de Staline et de ses affidĂ©s, surtout Ă©vĂȘques et prĂȘtres. Elle rĂ©pond : « Si le Seigneur le veut et sâil me donne la force nĂ©cessaire, jâaccepte. »
La Vierge Marie est aussi entrĂ©e dans sa vie avec la conversion. Elle Ă©crit en 1954 un traitĂ© de spiritualitĂ© mariale de 1619 pages quâelle envoie Ă Pie XII.
Sa vie prend peu aprĂšs un tournant Ă©tonnant : non plus seulement ses priĂšres et ses souffrances offertes pour lâĂglise persĂ©cutĂ©e mais aussi des actions. Câest alors quâelle Ă©crit, entre juin 1955 et fĂ©vrier 1956, les MĂ©ditations sur lâeucharistie, ainsi que les neuf Lettres au pĂšre Campana sur lâeucharistie (dont cinq reprennent une des MĂ©ditations) qui composent le prĂ©sent ouvrage.
CONTEXTE DE CES MĂDITATIONS
La vie de Maria Teresa est en 1955 tout sauf tranquille. Elle ne sâest nourrie que de lâeucharistie durant tout le CarĂȘme, dans la plus grande discrĂ©tion. Elle revit tous les vendredis les « Trois Heures » et celles du Vendredi saint ont Ă©tĂ© particuliĂšrement Ă©prouvantes : agonie, sueurs de sang, couronne dâĂ©pines, accablement par les douleurs des stigmates et de blessures â des coups apparaissent sur son
1. Elle les revivra quasiment tous les vendredis jusquâĂ sa mort, oĂč quâelle soit. Le lecteur des MĂ©ditations eucharistiques comprendra vite combien celles-ci sont irriguĂ©es par son expĂ©rience mystique de la Passion du Christ.
corps. Ses journĂ©es Ă Urbania sont bien denses : messe quotidienne Ă la paroisse1, brĂ©viaire, chapelets, chemin de croix, priĂšres pour les prĂȘtres, et par les initiatives caritatives et sociales â elle crĂ©e la branche locale des donneurs de sang, offre le sien autant quâelle le peut et monte une Ă©cole de soins infirmiers.
Mais câest surtout le temps des premiĂšres missions derriĂšre le Rideau de fer, Ă la demande de la voix. Elles ont commencĂ© Ă distance, Ă lâautomne 1954, quand elle offre la souffrance qui la saisit pour le cardinal Stepinac prisonnier en Croatie. Puis elle se rend une nuit de dĂ©cembre par bilocation en Pologne auprĂšs du cardinal WyszyĆski, emprisonnĂ© depuis des mois. Le chef de lâĂglise de Pologne est alors abattu Ă cause de la rĂ©pression contre son Ăglise et de son impuissance. Mais, dans les jours qui suivent, son moral change du tout au tout, comme le montrent ses Notes de prison2. La rencontre suivante ne fut pas moins Ă©tonnante, quoique physique. Le 5 juin 1953, Maria Teresa rencontre Ă Innsbruck les cardinaux
Stepinac et Mindszenty, pourtant tous deux assignĂ©s Ă rĂ©sidence dans leurs pays respectifs dâoĂč ils se sont Ă©clipsĂ©s3. Ils lâinforment sur la situation de leurs Ăglises et lui donnent un message de leur main pour Pie XII. DĂšs son
1. Jean XXIII lui permettra en 1962 dâavoir une chapelle dans sa maison. Au tĂ©moignage de Giuseppe Mangani, jeune voisin qui vient servir la messe, son visage quand elle communie est radieux et inspirant (D. Rance , Maria Teresa Carloni , p. 122).
2. AprÚs sa libération, il se rend à Rome et y rencontre chez Pie XII Maria Teresa. Il authentifie sa mission devant le pape, puis par écrit (D. Rance, Maria Teresa Carloni , p. 91).
3. Détails dans D. Rance , Maria Teresa Carloni , p. 76-81.
retour, elle obtient dâĂȘtre reçue par le pape. Convaincu par les documents quâelle lui remet, il la charge aussitĂŽt dâune mission Ă la basilique Saint-Pierre, puis la met au dĂ©fi de distinguer des hosties consacrĂ©es de celles qui ne le sont pas, ce qui donne lieu Ă un miracle eucharistique sous les yeux du pape.
RentrĂ©e Ă Urbania, Maria Teresa commence, le 21 juin, Ă Ă©crire dans un grand cahier des MĂ©ditations sur lâeucharistie, tout en dĂ©ployant par ailleurs une grande activitĂ© dâĂ©criture : deux Ă©tudes sur la messe, une sur AngĂšle de Foligno, deux cahiers de MĂ©ditations diverses, un commentaire de lâApocalypse, des rĂ©flexions sur divers sujets.
Elle achĂšve sa quinziĂšme MĂ©ditation le 25 juillet, puis repart pour une semaine sur un bateau dans les eaux grecques oĂč elle rencontre de nouveau le cardinal Stepinac, ainsi que le cardinal WyszyĆski et des reprĂ©sentants dâĂglises persĂ©cutĂ©es, qui lui remettent de nouveaux messages pour le pape. De retour en Italie, elle Ă©crit une MĂ©ditation et le rapport quâelle remet Ă Pie XII le 20 aoĂ»t, avant de reprendre le 25 son cahier pour neuf nouvelles MĂ©ditations. Elle revoit le pape le 30 septembre, et rĂ©dige encore six MĂ©ditations du 5 au 17 octobre, suivies de trois autres du 3 au 11 novembre et dâune non datĂ©e. Enfin, elle Ă©crit ses quatre derniĂšres MĂ©ditations en trois jours, du 12 au 14 fĂ©vrier 1956 â au total, 257 pages manuscrites, auxquelles sâajoutent des Lettres sur lâeucharistie1.
Les voyages, naturels ou surnaturels, les « Trois Heures », les souffrances lancinantes et la fatigue dâĂ©crire des nuits entiĂšres Ă©puisent Maria Teresa. Elle est si affaiblie que, lors dâun voyage Ă Rome, elle tombe dans la rue et manque passer sous un autobus. Mais on cherchera en vain dans ces pages des plaintes, et pas plus des rĂ©vĂ©lations personnelles, car elle sâefface devant ces missions dont elle se sent indigne â insistant sur sa petitesse et sa faiblesse dans une rare confidence, la nuit du 25 au 26 aoĂ»t, alors quâelle vient dâĂ©crire la MĂ©d. XVII1 (comment JĂ©sus Eucharistie nous introduit Ă la Vie vĂ©ritable) et, la mĂȘme nuit, la Lettre VII sur Marie, MĂšre de lâhumanité :
Je suis trop misĂ©rable et trop nulle pour pouvoir supporter le poids de tant de faveurs cĂ©lestes, qui transforment la grĂące en souffrance rĂ©demptrice et la souffrance en grĂące sanctificatrice. Ă dire vrai, je ne regrette pas les dons reçus, mais je ne peux pas mâempĂȘcher de rĂ©pĂ©ter souvent : « Miserere mei, Deus », et ces mots qui sâĂ©coulent avec la sincĂ©ritĂ© du cĆur me rendent plus calme et plus prĂ©parĂ©e2.
Mais ne nous y trompons pas : sa vie est le soubassement de ce quâelle Ă©crit.
1. Les rĂ©fĂ©rences aux MĂ©ditations sont indiquĂ©es par lâabrĂ©viation MĂ©d. suivie de leur numĂ©ro et, Ă©ventuellement, de celui du paragraphe concernĂ©.
2. Cité dans A. Di Chio et L. Mirri, Una donna nel Cuore della Chiesa , Bologne, Minerva, 2003, p. 464.
LAÂ COMPASSION ACTIVE POUR LES PERSĂCUTĂS ETÂ LâEUCHARISTIE
Pourtant, martyrs et persĂ©cutĂ©s, au cĆur de sa vie, semblent bien peu prĂ©sents dans ses MĂ©ditations sur lâeucharistie, sinon dans les MĂ©d. IX et X. En rĂ©alitĂ©, il nâen nâest rien. Maria Teresa nous livre lĂ le cĆur de sa pensĂ©e, liant en une gerbe serrĂ©e les martyrs, la croix, lâeucharistie, la foi, la charitĂ©, le combat eschatologique entre Bien et Mal, le salut.
Il nous rĂ©vĂ©lera comment toute lâĆuvre de son Ăglise, qui marque sa prĂ©sence au monde, doit toujours ĂȘtre entravĂ©e et combattue pour former ce corps mystique des Ăąmes qui, Ă travers les siĂšcles, les luttes et les martyres, sâopposera au royaume du mal pour prĂ©parer son Royaume, quâil remettra ensuite au PĂšre Ă la fin des temps, comme trophĂ©e de son triomphe.
Il nous rĂ©vĂ©lera comment nous, ses Ăąmes, devons porter la croix de la vie de notre temps, des persĂ©cutions des hommes et de Satan, car câest seulement ainsi que nous lui appartiendrons. Nous serons alors dignes dâentrer un jour dans sa gloire, lui qui dĂ©jĂ comme Chef est assis Ă la droite du PĂšre, prĂ©pare son corps mystique, le sanctifiant dans la douleur, dans la vĂ©ritĂ©, et le nourrissant de sa trĂšs sainte humanitĂ©1.
Les hommes plongĂ©s dans les tĂ©nĂšbres ne lâont pas reconnu, lâont rejetĂ©, ont repoussĂ© de la terre sa trĂšs sainte humanitĂ©, persĂ©cutant jusquâĂ aujourdâhui ses Ćuvres, son Ăglise, chassant la vĂ©ritĂ© de ses voies ; ils ont inventĂ© des
fables, se sont fait passer pour des dieux, eux qui ne sont quâune poignĂ©e de poussiĂšre que la mort disperse et destine Ă lâoubli1.
Pourquoi ce rĂŽle Ă©minent donnĂ© au martyre pour la construction du Royaume ? Partons des paroles de JĂ©sus : pour ĂȘtre son disciple, il faut prendre sa croix et le suivre2. Pour aller oĂč ? LĂ oĂč la sienne le conduit, les Ăvangiles le montrent. La premiĂšre annonce de la Passion prĂ©cĂšde cette injonction3, qui sâadresse Ă tous : le martyre est lâhorizon de toute vie chrĂ©tienne, comme lâaffirme Vatican II4. La prĂ©cision « chaque jour5 » implique de plus que les modalitĂ©s de la croix sont plurielles â si les martyrs prennent la croix au sens le plus Ă©vident, ascĂštes et pĂ©nitents seront vite considĂ©rĂ©s comme des martyrs non sanglants. Parmi eux se trouvent, quoique rares, les mystiques qui souffrent la Passion avec JĂ©sus â ainsi le premier stigmatisĂ© connu, saint François dâAssise, qui livre son secret quand il demande deux grĂąces Ă JĂ©sus : avant de mourir ressentir la souffrance endurĂ©e dans la Passion et ressentir son amour de charitĂ© sans mesure en celle-ci6. Maria Teresa, mystique et « ApĂŽtre de lâĂglise persĂ©cutĂ©e7 », voit
1. Méd. X, 7.
2. Mt 10, 38 et 16, 24 ; Mc 8, 34 ; Lc 9, 23 et 14, 27 ; voir aussi Jn 15, 20.
3. Mt 16, 21-23 ; Mc 8, 31-33 ; Lc 9, 22.
4. « Que si cela [le martyre] nâest donnĂ© quâĂ peu, tous doivent ĂȘtre prĂȘts Ă confesser le Christ devant les hommes et Ă le suivre sur le chemin de la croix » (Lumen Gentium 42).
5. Lc 9, 23.
6. TroisiÚme considération sur les stigmates.
7. Titre dâun des ouvrages en italien qui lui sont consacrĂ©s.
de façon assez similaire sa vie unifiée entre souffrance1 et charité. Elle écrira :
Jâai beaucoup souffert, mais plus je souffrais, plus je sentais que je pouvais encore souffrir. Jâai cru avoir compris ceci : les persĂ©cutĂ©s, les martyrs pour avoir confessĂ© le Christ, face au martyre, savent rĂ©sister. Ce quâhumainement parlant on semble incapable de concevoir, câest que la force qui existe dans ces crĂ©atures fragiles prend un visage surnaturel, le visage Divin2,
et le cardinal TomĂĄĆĄek (qui a connu la persĂ©cution et la prison) lui Ă©crira de mĂȘme :
Qui travaille pour le RĂšgne de Dieu fait beaucoup. Qui prie pour le RĂšgne de Dieu fait mieux encore. Qui souffre pour le RĂšgne de Dieu fait tout. Voici votre mission3.
Dâautre part, le propre de lâeucharistie, pour Maria Teresa, est de faire passer de la foi Ă la charitĂ©, de la croyance Ă lâunion et Ă la communion (un autre nom pour lâeucharistie). Câest le sujet de la MĂ©d. XII (voir aussi MĂ©d. IV, 6). Dans lâeucharistie, JĂ©sus a trouvĂ© le moyen le
1. Elle nâa pas dâappĂ©tence pour la souffrance en soi : « La souffrance ne me plaĂźt pas », Ă©crit-elle en mai 1958, ajoutant : « Est-ce de lâorgueil ? » (A. Di Chio et L. Mirri, Maria Teresa Carloni. Apostola della Chiesa perseguitata , PĂ©rouse, Ăd. ArchidiocĂšse, 2005, p. 230).
2. 5 avril 1963 ; cité par Campana, Una Missione per la Chiesa perseguitata , p. 182.
3. A. Di Chio et L. Mirri, Maria Teresa Carloni. LâApostola della Chiesa perseguitata , Gorle, Velar, 2019, p. 22.
plus sage pour que nous soyons avec lui par la foi et surtout lâamour de charité :
Le sacrement dâamour de JĂ©sus est le divin rĂ©confort quâil a voulu nous laisser avant de nous quitter. Dans son amour immense et dĂ©licat, bien que tout-puissant, il a choisi de demeurer parmi nous de maniĂšre inouĂŻe : tout en Ă©tant rĂ©ellement prĂ©sent, il est Ă©galement cachĂ© pour cultiver notre foi et notre dĂ©sir de le rechercher par lâamour1.
Or la perfection de lâamour de charitĂ© auquel lâeucharistie nous conduit, ce sont les martyres et les luttes, car câest par eux que le Corps mystique informĂ© par lâeucharistie se construit (voir ci-dessus, MĂ©d. IX). Avant que Vatican II lâĂ©crive2 et que Jean-Paul II, dans la bulle dâindiction du Grand JubilĂ©, affirme ce primat de la charitĂ© dans le martyre, Maria Teresa le propose. Sa mĂ©ditation nous renvoie aux premiĂšres gĂ©nĂ©rations de chrĂ©tiens liant dans lâeucharistie souffrances et prĂ©sence du Christ (Lettres de saint Ignace dâAntioche ; Actes des martyres ; dĂ©cisions papales3âŠ) et, Ă notre Ă©poque, aux tĂ©moignages de martyrs et de confesseurs de la foi4. Ils Ă©clairent ces MĂ©ditations et ils en sont Ă©clairĂ©s.
1. Méd. XXV, 1.
2. « Le martyre est considĂ©rĂ© par lâĂglise comme une grĂące Ă©minente et la preuve suprĂȘme de la charitĂ© » (Lumen Gentium 42).
3. Félix Ier demande au iie siÚcle que les messes soient célébrées sur un Mémorial de martyr.
4. Martyrs de lâeucharistie tels Mgr Coba (Albanie), Mgr Romero (Salvador), ou ceux des attentats lors de messes au Nigeria, au Pakistan... Voir aussi le rĂ©confort apportĂ© par lâeucharistie dans les camps et les prisons et les mouvements eucharistiques clandestins, par exemple en Lituanie (ChrĂ©tiens de lâEst, 30, 1981, p. 73-76).
Dans un monde oĂč toute souffrance est Ă fuir (fut-ce dans lâeuthanasie), cette vision de la vie eucharistique comme participation au « corps livrĂ© » et au « sang versĂ© » pour la rĂ©mission des pĂ©chĂ©s, tournĂ©e vers les fins derniĂšres, pourrait sembler passĂ©e, dĂ©passĂ©e, tout comme le martyre. Mais non ! Guerres, Ă©pidĂ©mies, misĂšre, perte du sens moral et existentiel et dâautres flĂ©aux frappent notre humanitĂ©, et lâĂglise. Nous ne pouvons en ĂȘtre complices mais devons vivre entre deux paradoxes : agir pour lâavĂšnement du bien et reconnaĂźtre que la souffrance et la croix sont un passage obligĂ© pour que cette lutte soit victorieuse, tout comme on ne peut dissocier lâHomme de la Croix du Christ glorieux de PĂąques.
Lâeucharistie nous aide Ă le vivre, « source inĂ©puisable de vie spirituelle » selon Vatican II (Perfectae Caritatis, 6), tandis que Jean-Paul II nous invite Ă ĂȘtre « toujours des Ăąmes eucharistiques pour pouvoir ĂȘtre dâauthentiques chrĂ©tiens » (19 aoĂ»t 1979). Lâeucharistie peut transformer une existence, Maria Teresa en tĂ©moigne. Elle prĂ©cise souvent dans ses mĂ©diations que la vie eucharistique est une vie doublement cachĂ©e : JĂ©sus comme cachĂ©, « condensĂ©1 » dans lâĂąme et lâĂąme en JĂ©sus2 (tout en Ă©tant tournĂ©e vers lâamour et le service des autres) : les deux reviennent plus de soixante fois dans ces MĂ©ditations.
Dans un monde qui retourne au tragique, ces MĂ©ditations font partager ce quâest une Ăąme « eucharistique »
1. Lâexpression « condensĂ© » est patristique, cf. H. U. von Balthasar, « LâEucharistie », Communio II, 5 (1977), p. 33-37. Cf. MĂ©d. X, XI et XVI.
2. Sujet de la Méd. II. Voir aussi Méd. IV, 13 ; Méd. VI, 1, 5, 8 ; Méd. XI, 9.
dont il a tant besoin et son martyre (sous une forme ou une autre). De telles Ăąmes ont existĂ© dĂšs les dĂ©buts de lâĂglise puis dans une cohorte de saints, existent encore, cachĂ©es, et nous recevons dâelles (cf. MĂ©d. II, 11-12). Câest une vocation authentique (les contrefaçons existent). Mais mĂȘme si une telle Ăąme ne nous est pas donnĂ©e au niveau oĂč elle le fut Ă Maria Teresa, avec le prix Ă payer, nous pouvons, comme la CananĂ©enne de lâĂvangile, en demander des miettes. Câest pourquoi « lâhĂ©ritage de Maria Teresa Carloni appartient Ă toute lâĂglise1 ».
UNE MYSTIQUE DE LA VIE EUCHARISTIQUE
Le terme eucharistie est fort riche : celle-ci est sacrifice et PrĂ©sence rĂ©elle, cĂ©lĂ©bration liturgique (messe), sacrement, mystĂšre, mĂ©morial de la Passion, gage du Ciel, communion, Pain de Vie et Coupe du Salut, source et sommet de la vie chrĂ©tienne ; elle fait lâĂglise2⊠On pourrait cependant sâĂ©tonner du peu de place apparente de la messe dans ces MĂ©ditations3 : câest que Maria Teresa prĂ©pare Ă la mĂȘme Ă©poque deux essais sur celle-ci, convaincue que
toute une vie de priĂšre et de pĂ©nitence ne pourra avoir la valeur, mĂȘme de façon infinitĂ©simale, des dons et des grĂąces reçues en une seule messe bien suivie et vĂ©cue4.
1. Mgr Loris Capovilla, secrétaire de saint Jean XXIII (20 février 2003), cité par D. Rance , Maria Teresa Carloni , p. 106.
2. La Table analytique du CatĂ©chisme de lâEÌglise catholique (CEC) propose neuf rubriques pour ce terme ; celle sur LâIdentitĂ© de lâeucharistie offre treize entrĂ©es. Pour approfondir : Kevin Irwin, Models of the Eucharist , New York, Paulist Press, 2005.
3. La Méd. XXI lui est consacrée ; indications pratiques dans les Méd. XXVI à XXXVI.
4. Dans Comment je vis le Saint sacrifice, non publié
Ces MĂ©ditations sont, pour leur part, centrĂ©es sur le mystĂšre de JĂ©sus Eucharistie et la vie de lâĂąme « eucharistique ». Bien avant que le Synode de 2005 ne popularise lâexpression, elles offrent un bon exemple de culture eucharistique. Lâeucharistie est vue comme Ă©ducatrice qui transforme lâĂąme et la conduit de la vision de la foi Ă celle de lâamour â jusquâau passage de la mort, « rĂȘve dâamour devenu rĂ©alitĂ© » (voir ci-dessous).
Les chapitres sont courts et, Ă la mesure de la richesse du sujet, ne suivent pas de plan rigide ; tout au plus les MĂ©ditations I Ă IX sont plutĂŽt centrĂ©es sur la relation Ă JĂ©sus, les MĂ©ditations X Ă XV sur le Ciel, les MĂ©ditations XVI Ă XXV sur la vie eucharistique et les MĂ©ditations XXVI Ă XXXVI sur les dispositions et fruits de la communion. Les confidences et mĂȘme le je sont absents, le style est sobre, les superlatifs rares quoiquâun lyrisme contenu perce çà et lĂ (ainsi MĂ©d. IX ou MĂ©d. XXXVIII, 2).
Comment devenir une ùme « eucharistique », but de la transformation désirée par Jésus pour nous ? Maria Teresa
Carloni propose ceci :
[Avoir] une grande douleur face au pĂ©chĂ©. Cette grande douleur, immense, nous la ressentirons quand nous Ă©prouverons une grande haine vis-Ă -vis du pĂ©chĂ©, que nous utiliserons comme une lame tranchante au sein de notre ĂȘtre1.
Car le pĂ©chĂ© constitue la vraie mort, alors que JĂ©sus donne la vie dans lâeucharistie (cf. Jn 6, 54 ; ici MĂ©d. XVIII, 6).
VidĂ©e de soi-mĂȘme, nue (MĂ©d. I, 10), lâĂąme peut alors ĂȘtre apprivoisĂ©e par JĂ©sus et, dans lâintimitĂ© avec lui, amour qui cherche lâamour et sây abandonne (MĂ©d. III, 7 ; 12), participer Ă la mission confiĂ©e sur la croix Ă lâĂglise, devenue coopĂ©ratrice du mystĂšre pascal qui nous sauve et auquel participe toute la TrinitĂ© (MĂ©d. XXIII, XXIV, et surtout la derniĂšre, MĂ©d. XXXVIII).
Deux MĂ©ditations (V et XXXVII) et cinq lettres (IV Ă VIII, originales sauf la IV) sont consacrĂ©es au lien profond entre la Vierge Marie et lâeucharistie. Maria Teresa part aussi du « corps livrĂ© » et du « sang versĂ© » car Marie y est prĂ©sente comme Ă la croix :
De mĂȘme que, dans la vie terrestre, Marie coopĂ©ra Ă notre sanctification, mourant mystĂ©rieusement avec lui au Calvaire et nous prenant comme ses enfants, conformĂ©ment Ă sa volontĂ©, de mĂȘme maintenant, dans lâeucharistie, cette MĂšre, notre MĂšre admirable et trĂšs douce, nous apparaĂźt proche, intime au grand mystĂšre quâil accomplit dans les Ăąmes1.
Il y a ici une forte convergence avec ce quâĂ©crira des dĂ©cennies plus tard Jean-Paul II2. Ce quâil Ă©crit, « par sa vie tout entiĂšre, Marie est une femme âeucharistiqueâ » (Ecclesia de Eucharistia, 53), est dĂ©veloppĂ© par Maria Teresa : tous deux mettent au miroir de lâeucharistie Marie Ă la croix, mais aussi les autres Ă©pisodes mariaux
de lâĂvangile, ainsi lâAnnonciation (Ecclesia de Eucharistia 55 â Lettre V), la Visitation (Ecclesia de Eucharistia 55 ; 48 â Lettres VI et VII), Cana (Ecclesia de Eucharistia 54 et Redemptoris Mater 21 â Lettre VIII). Comme plus tard Redemptoris Mater (21 ; 40 ; 41), Maria Teresa met aussi lâaccent sur lâaction de Marie Ă lâintĂ©rieur du rĂŽle dâunique MĂ©diateur de son Fils dans lâeucharistie. Pour Jean-Paul II, « Marie conduit les fidĂšles Ă lâeucharistie » (Redemptoris Mater 44). Pour Maria Teresa Carloni, dans lâeucharistie, cette MĂšre, notre MĂšre admirable et trĂšs douce, nous apparaĂźt proche, intime au grand mystĂšre quâil accomplit dans les Ăąmes. Lâeucharistie opĂšre par son intermĂ©diaire, Marie est la mĂ©diatrice de cette action si profonde parce quâil nous sanctifie par son humanitĂ©, instrument de lâĆuvre de Dieu. Et son humanitĂ© ne vient-elle pas toute de Marie1 ?
Il me semble entrevoir dans ce mystĂšre eucharistique la plus grande efficacitĂ© de la vertu mĂ©diatrice de la Vierge. En effet, câest ici, dans le mystĂšre eucharistique, que la Vierge est proprement mĂ©diatrice, nous offrant lâhumanitĂ© qui nous sanctifie, lâhumanitĂ© du Christ qui est toute sienne2.
La pointe de cette mariologie eucharistique pourra sembler trop audacieuse : Marie y est appelĂ©e « MĂšre de lâeucharistie ». Mais il nâen est rien : aprĂšs les intuitions
1. Méd. V, 4-5.
2. Méd. V, 7 ; voir aussi Méd. XXII, 1 et 7 ; Lettre VIII.
de saint Ăphrem, Jean Gerson, Docteur trĂšs-chrĂ©tien pour sa rectitude doctrinale, dĂ©veloppe ce titre (TraitĂ© sur le Magnificat, 1428).
La MĂ©ditation XIX sur lâeucharistie et le temps est une des lignes de force du texte, auquel elle donne son soustitre dans lâĂ©dition italienne. Maria Teresa y dĂ©veloppe, sans les mots quâelle ignore, la distinction faite par Paul Tillich entre chronos, le temps quantifiĂ©, et kairos, le temps qualifiĂ©. Dans lâeucharistie, le temps nâest plus Ă©coulement mais prĂ©sence : JĂ©sus est le seul dont les hommes rĂ©pĂštent aujourdâhui ce quâil a dit et fait car il est toujours prĂ©sent dans le sacrement pour le dire et le faire. Lâeucharistie est ainsi tension eschatologique entre le dĂ©jĂ -lĂ et le pas-encore, que souligne lâexpression de Maria Teresa « temps consommĂ©1 » (titre de la MĂ©d. XIX), tension annoncĂ©e par JĂ©sus le Jeudi saint (Mc 14, 35 ; cf. 1 Co 11, 26), qui creuse la soif des fins derniĂšres :
Tout en rassasiant lâĂąme avec le pain si doux du Ciel, JĂ©sus suscite la soif, au plus profond de lâĂąme, de le dĂ©sirer, lui qui se donne cachĂ© pour regagner ensuite le monde invisible2.
Nous ne laissons plus errer notre esprit, nous apaisons nos fantasmes et mettons en sommeil nos passions. En mettant tout en lui, nous oublions le lieu oĂč nous nous trouvons, et
1. Consumato signifie Ă la fois « consommĂ© » et « consumĂ© » â lâitalien a les deux sens (câest un Ă©cho Ă©vident du « Consumatum est » de JĂ©sus sur la croix dans lâĂvangile de saint Jean). AprĂšs avoir hĂ©sitĂ© entre les deux possibilitĂ©s, nous retenons « temps consommĂ© » (par analogie Ă Lumen Gentium 48, citĂ© dans CEC 1042).
2. Méd. VIII, 2 ; cf. Méd. XV.
le temps passe tellement vite quâune heure avec lui semble un instant1 !
Lâeucharistie est donc le vĂ©ritable chef-dâĆuvre de JĂ©sus Christ : câest un chef-dâĆuvre divin qui trĂŽne entre le temps et lâĂ©ternitĂ©, conduit le Ciel Ă la terre et la terre au Ciel, consume tout ce que lâhomme peut donner Ă Dieu et que Dieu peut recevoir de ses crĂ©atures2.
La mort est lâautre grand kairos de lâeucharistie, qui est son viatique (MĂ©d. XXV, 4), et qui y conduit lâĂąme « eucharistique » par lâespĂ©rance qui ne sera pas déçue (MĂ©d. VIII ; MĂ©d. X ; MĂ©d. III, 4). Pleine de celle quâĂ©prouve Maria Teresa Carloni, la MĂ©ditation se fait ici lyrique :
Quâest donc la mort pour lâĂąme eucharistique ? Rien dâautre quâun rĂȘve dâamour devenu rĂ©alitĂ© ! Lorsquâelle recevra lâeucharistie comme viatique, elle qui sâest toujours nourrie pour se nourrir Ă la vie Ă©ternelle, elle exultera dâune joie indicible, et, se serrant contre JĂ©sus, qui a Ă©tĂ© sa vie, elle ne se prĂ©occupera de rien dâautre que de sâaccrocher Ă lui pour ne plus jamais le quitter. Elle sera dans lâĂ©ternitĂ© bienheureuse, alors que son corps, calice de son Ăąme sainte, reposera au tombeau en attendant lâaube de sa rĂ©surrection3.
Enfin, grand témoin de la Passion, Maria Teresa est aussi témoin de la victoire du Ressuscité, mentionnée en Méd. II, 1 et Méd. XXV, 11, et elle écrira plus tard :
1. Méd. XIX, 2, cf. Méd. V, 12, 13.
2. Méd. XXI, 15.
3. Méd. XXV, 11.
Finalement les cloches sonnent ; donc le Christ est ressuscitĂ© ! Je lâai attendu, tant attendu ! [âŠ] Le Christ a vraiment envahi un monde en attente, mais en attente de quoi ? De rĂ©demption peut-ĂȘtre ; mais au train oĂč vont les choses, il faut reconnaĂźtre que câest avec un cĆur angoissĂ©, pour lui offrir des exactions, de la vengeance, de la haine, des calamitĂ©s, des tortures, de la persĂ©cution, des pleurs, de la dĂ©ception et du dĂ©sespoir. Le Christ ressuscitĂ© se penche sur une terre martyre, Ă©coute les vocifĂ©rations des pervers, les chants des martyrs⊠Peut-ĂȘtre voudrait-il maudire les premiers et bĂ©nir les seconds, mais ce nâest pas le cas : câest la PĂąque de la rĂ©surrection, de la vie, pour tous et pour tous1.
APRĂS LES MĂDITATIONS SUR LâEUCHARISTIE
Maria Teresa poursuit ses rencontres par bilocation, y compris dans le Goulag, et ses autres missions dâintermĂ©diaire entre lâĂglise persĂ©cutĂ©e et Rome. Le soutien de quatre papes, de Pie XII Ă Jean Paul II2, et lâamitiĂ© des chefs des Ăglises persĂ©cutĂ©es appartiennent Ă lâHistoire. Outre ses voyages physiques et rencontres surnaturelles, elle organise des aides en y dĂ©pensant sa fortune et suscite des gĂ©nĂ©rositĂ©s, publie des ouvrages sur le cardinal Beran,
1. Cité dans D. Rance , Maria Teresa Carloni , p. 126-127. Tout comme la Transfiguration, « dite par erreur miracle, car elle est en fait cessation du miracle, Jésus y fut pour la premiÚre et derniÚre fois montré dans son essence réelle divine (le miracle, était et est son humanité) » (Diario di una mystica nella Terra del Signore, Milan, Edizioni Terra Santa, 2016).
2. Y compris Paul VI qui, tout en faisant mener lâOstpolitik du Vatican, lui dit le 25 fĂ©vrier 1963 : « Jâapprouve, je bĂ©nis, jâencourage et je supplie de continuer votre ministĂšre en faveur de lâĂglise persĂ©cutĂ©e selon les directives de mon saint prĂ©dĂ©cesseur Pie XII » (Vincenzo Speziale , Maria Carloni Stigmatizzata , Tavagnacco, Segno, 2014, p. 92). Il lui fait octroyer le privilĂšge de conserver le saint sacrement dans sa demeure privĂ©e.
sur lâĂglise bulgare, des Vies de saints (VĂ©ronique Giuliani, Josaphat Kunciewicz, Venceslas de Prague) et Ă©crit dâautres textes inĂ©dits. Elle aide aussi lâĂglise persĂ©cutĂ©e au Soudan, adoptant plusieurs sĂ©minaristes et sây rendant pour un voyage risquĂ© en 19601.
Usée par les souffrances et la maladie, elle meurt en janvier 1983. Sa cause de béatification est ouverte le 1er octobre 2016 dans son diocÚse et elle se poursuit désormais à Rome.
I Lâeucharistie transforme lâĂąme 21 juin 1955
Dans lâadorable sacrement eucharistique, JĂ©sus ne purifie pas seulement lâĂąme, il la transforme pour quâelle devienne un seul corps avec lui, quâelle devienne membre de son corps mystique, qui est son Ăglise.
Cette finalitĂ© est celle du divin Sauveur depuis quâil a annoncĂ© le mystĂšre. Câest le dĂ©sir de JĂ©sus : faire des siens un seul corps avec lui, comme lui nâen forme quâun avec le PĂšre et le Saint-Esprit puisquâils ont la mĂȘme nature divine. Merveille des merveilles, quâil faut comprendre, pĂ©nĂ©trer, avoir le dĂ©sir de mettre en Ćuvre dans la force de la vertu divine. Parce que, sans JĂ©sus, nous ne valons rien et ne pouvons rien. Ni beaucoup, ni peu, juste rien.
Mais, bien quâen demeurant par essence ceux que nous sommes, en ayant conscience de notre moi, comment pourrons-nous rĂ©ellement nous transformer ?
Cette transformation est une Ă©lĂ©vation qui nâest pas due Ă notre nature, et qui ne dĂ©pend donc pas de nos forces. Câest une Ă©lĂ©vation totalement nouvelle, Ă tel point que
cela devient une crĂ©ation qui sâajoute Ă la premiĂšre, que câest une vĂ©ritable dĂ©ification par la grĂące. JĂ©sus prĂ©side maintenant Ă cette transformation, lui qui opĂšre admirablement, tant par la foi que par la charitĂ© ou par lâaction de lâEsprit Saint quâil nous a donnĂ© et quâil nous envoie pour nous envelopper.
Pour donner Ă cette Ăąme ainsi Ă©levĂ©e sa nourriture et lui permettre de grandir, JĂ©sus a créé lâeucharistie, au sein de laquelle il appelle lâĂąme. La nourrissant de lui-mĂȘme, il la fait toute sienne, grĂące Ă sa prĂ©sence rĂ©elle et Ă lâEsprit qui lâinonde pour la sanctifier.
LâĂąme qui veut atteindre cette grande finalitĂ© proposĂ©e par JĂ©sus dans lâeucharistie ne doit pas faire autre chose que suivre la mĂȘme voie que JĂ©sus a prise et prend pour venir Ă elle. Comme Dieu vient Ă sa crĂ©ature dans lâeucharistie par un acte dâamour infini, ainsi lâĂąme doit aller Ă lui, monter vers lui, se reposer en lui avec un amour gĂ©nĂ©reux et constant.
Lâamour est le seul moyen de nous unir Ă Dieu, dâadhĂ©rer Ă lui, de former avec lui un mĂȘme esprit. En effet, bien que nous, crĂ©atures, soyons infiniment Ă©loignĂ©es de Dieu, de lâabĂźme de notre cĆur surgit le dĂ©sir, lequel, augmentĂ© de la grĂące, nous permet de nous rĂ©unir Ă lâInfini.
Lâamour pĂ©nĂštre plus intensĂ©ment une Ăąme nue. Il ne sâapaise pas, ne sâarrĂȘte pas tant quâil nâa pas pris possession de toutes les vertus de lâĂȘtre aimĂ©, pour, autant que possible, former une seule entitĂ© de lâĂȘtre aimĂ© et de celui qui lâaime, une identitĂ© dâintelligence et de volontĂ©.
Dans lâeucharistie, lâamour de JĂ©sus est si grand et si gĂ©nĂ©reux de lui-mĂȘme que sâil trouve une Ăąme qui se donne Ă lui dans une vĂ©ritable pauvretĂ©, avec gĂ©nĂ©rositĂ© et un amour impatient, il en prend possession et sâimpose en roi de chacun de ses mouvements internes et externes.
Mais il convient que lâĂąme soit nue, quâelle nâait aucune propriĂ©tĂ©, ni externe, ni interne. Sinon, comment JĂ©sus pourrait-il normalement, mĂȘme si câest surnaturel, permettre rĂ©ellement, en union avec lâEsprit Saint, la transformation de la crĂ©ature humaine en crĂ©ature nouvelle ?
Si lâĂȘtre humain dĂ©sire profondĂ©ment cette transformation, alors, en sâapprochant de la communion, cette Ăąme choisie sera tellement attirĂ©e par JĂ©sus quâelle sâoubliera elle-mĂȘme. Elle sera tellement pleine de lâaimĂ© quâelle se sentira plus en lui que dans son propre corps. Car lâĂąme est alors en JĂ©sus par la force de son esprit et de sa volontĂ©, tandis quâelle demeure dans son corps pour lui donner cette vie quâont Ă©galement les animaux.
Cette Ăąme nâayant aucune propriĂ©tĂ© ni de son esprit ni de sa volontĂ© se laisse cependant tout entiĂšre, en essence et en puissance, pĂ©nĂ©trer par JĂ©sus. Alors, nâest-il pas vrai que, bien quâen demeurant un ĂȘtre humain, elle est transformĂ©e, portant en elle lâimage vivante de JĂ©sus, exprimant la façon de faire propre Ă Dieu, arrivant presque aussi Ă lui ressembler dans lâaspect extĂ©rieur ?
Lâamour opĂšre Ă©galement ceci : il transforme mĂȘme lâapparence de lâamant dans lâaimĂ©, et plus son dĂ©vouement dâamour a Ă©tĂ© et demeure grand, plus il lui ressemble. Merveille que cela, qui existe aussi dans lâamour
EUCHARISTIE, SOURCE DâESPĂRANCE
naturel, mais qui, dans le surnaturel, devient perfection et vision de beautés du divin cachées aux profanes, découvertes et savourées par les esprits humbles et purs, par les ùmes simples.
Ă ! Vraiment, JĂ©sus a portĂ© par ce sacrement dâamour les merveilles divines sur la terre, la vraie formation des Ăąmes Ă la trĂšs haute vision de Dieu.
Son anĂ©antissement eucharistique mĂšne les Ăąmes sincĂšres Ă un tel abandon dâelles-mĂȘmes quâelles se sentent transfigurĂ©es dans lâimage parfaite de leur Chef !
Lâeucharistie est enseignement Ă Â la vie cachĂ©e
22Â juin 1955
Lâeucharistie, par la rĂ©alitĂ© de la prĂ©sence de JĂ©sus dans lâĂąme, la fait revivre Ă tout ce quâelle a reçu dans le baptĂȘme, qui est la mort de la vieille nature humaine et la rĂ©surrection Ă une nouvelle nature, celle de JĂ©sus Christ.
Lâhomme oublie souvent sa renaissance permise par lâeau du baptĂȘme et lâEsprit Saint en vertu des mĂ©rites de JĂ©sus Christ. En oubliant ce quâil a reçu par simple libĂ©ralitĂ© de Dieu, il se lie aux autres hommes, mĂšne leur vie, et ne se distingue plus de ceux qui vivent selon les passions et se laissent entraĂźner par les mauvais penchants du cĆur.
Mais si cet homme reçoit la grĂące de reconnaĂźtre et dâapprĂ©cier les divins mystĂšres de la RĂ©demption, et spĂ©cialement de lâeucharistie, alors â sâil sâen approche avec puretĂ©, une intention droite et un dĂ©sir tournĂ© vers JĂ©sus â il va se renouveler et commencer la vie qui va le transformer en JĂ©sus Christ son Sauveur.
Ă ce moment, lâĂąme chrĂ©tienne, opĂ©rant une mutation de lâesprit, changeant le sens de sa vie, commence Ă se dĂ©tacher de toute la vie mondaine qui lui donne la nausĂ©e. Prise dâun ardent dĂ©sir de plaire Ă Dieu, elle transforme toutes ses actions, mĂȘme les plus humbles et communes, en une louange continue au Seigneur.
Cette Ăąme est patiente, douce, pleine de mansuĂ©tude et dâhumilitĂ©, ne cherche pas sa satisfaction mais se donne volontiers aux autres. Elle brĂ»le dâardeur envers son prochain, dont elle oublie les offenses et les torts, et lâaime au point de faire siennes ses misĂšres et ses joies.
Elle est pleine de compassion pour les maux du monde, prie pour ses frĂšres lointains. Elle se fait ainsi victime cachĂ©e pour les convertir, ainsi que toutes les Ăąmes qui forment lâĂglise de JĂ©sus Christ et qui entendent, annoncĂ© sur toute la terre par le vicaire de JĂ©sus Christ, le pape, le magistĂšre infaillible de vĂ©ritĂ© et lâamour de toutes les Ăąmes, qui sont le prix du sang de lâHomme-Dieu.
Les Ăąmes de cette trempe sont rares, il est vrai, mais elles existent. Si on veut les reconnaĂźtre, en plus dâune vie vertueuse, on les retrouvera au repas des anges chaque jour, y puisant toute la force nĂ©cessaire pour vivre une vie plus angĂ©lique quâhumaine.
En effet, lâeucharistie renouvelle quotidiennement ces Ăąmes jusquâĂ les transformer. Car on nâobtient pas cette vie nouvelle de JĂ©sus Christ si lâon ne se nourrit pas de lui spirituellement, et lâon ne peut entretenir son Ă©lĂ©vation spirituelle quâen sâabreuvant Ă cette mĂȘme source de vie.
En voulant découvrir comment ces ùmes sont parvenues à se cacher en Jésus Christ et à y demeurer, tout en ressemblant à toutes les autres quand on converse avec elles, on touchera alors au mystÚre de la vie du Christ.
En effet, la mort qui est survenue en elles nâest pas matĂ©rielle mais spirituelle et mystique : elle est survenue par la vertu du baptĂȘme et de lâincorporation au Christ dans lâeucharistie. Tous ceux qui nâont pas la foi ne peuvent donc lâimaginer et ne peuvent comprendre ce que signifie renaĂźtre spirituellement.
On ne peut mĂȘme pas connaĂźtre parfaitement la vie de ces Ăąmes choisies, Ă©parpillĂ©es dans le monde dans toutes les diffĂ©rentes classes sociales, car cette vie est cachĂ©e en Christ, en Dieu.
Quand on ne connaĂźt pas le Christ mystique, on ne peut mĂȘme pas pĂ©nĂ©trer et admirer les admirables effets quâil produit dans lâĂąme Ă travers ses sacrements, en particulier lâeucharistie.
Pour les chrĂ©tiens communs, le Christ est lâHommeDieu venu sur cette terre, tel que nous lâa transmis lâHistoire. Alors que, en rĂ©alitĂ©, il continue sa mission dans le monde, grĂące Ă lâĂglise et dans lâĂglise des Ăąmes. Elle forme son corps mystique, composĂ© de toutes les Ăąmes qui le suivent avec sincĂ©ritĂ©, se revĂȘtant de lui, vivant sa vie sur cette terre, et qui jouiront de sa gloire au Ciel.
Ce grand mystĂšre du Christ cachĂ© dans lâĂglise nâapparaĂźt pas au chrĂ©tien superficiel, et encore moins aux incrĂ©dules ; mais câest un si grand mystĂšre quâil rassemble lâhistoire des siĂšcles qui se dĂ©roulent pour le Christ.
Dieu nâa pas donnĂ© le temps aux hommes pour leurs plaisirs, pour leur orgueil humain qui les pousse Ă conquĂ©rir la nature ou des empires, mais bien pour former la nouvelle humanitĂ© en JĂ©sus Christ.
VoilĂ pourquoi la vie de celui qui suit JĂ©sus Christ et en vit la vie est un mystĂšre, rappelant ainsi les paroles de lâApĂŽtre : « En effet, vous ĂȘtes passĂ©s par la mort, et votre vie reste cachĂ©e avec le Christ en Dieu1. »
Actuellement, le monde suit une course vertigineuse, on ne sait vers oĂč, voulant rĂ©aliser par ses dĂ©couvertes une vie quâil ne connaĂźt mĂȘme pas, et qui, gonflĂ© dâorgueil, ramĂšne tout au matĂ©riel et Ă lâintelligence dĂ©ifiĂ©e.
Qui se prĂ©occupe de Dieu, de JĂ©sus, de son Ăglise, de lâĂąme, de lâĂ©ternitĂ© ?
On ne pense mĂȘme pas Ă ceux qui mettent en Ćuvre cette merveilleuse transformation en JĂ©sus Christ, et, quand on est face Ă eux, on les prend pour des visionnaires et des fanatiques.
Câest ainsi que le monde mĂ©connaĂźt le Christ et lâĂglise des Ăąmes, dans lequel le Christ est prĂ©sent de maniĂšre pĂ©renne et forme son corps mystique.
Merveilleuse vision qui se dissimule dans le mystĂšre.
VoilĂ pourquoi lâapĂŽtre saint Jean disait Ă ce sujet : « Ce que nous serons nâa pas encore Ă©tĂ© manifestĂ©. Nous le savons : quand cela sera manifestĂ©, nous lui serons semblables car nous le verrons tel quâil est2. » Roi pour les siĂšcles des siĂšcles et dâimmense majestĂ©.
Lâeucharistie conduit Ă Â lâabandon 23 juin 1955
LâĂąme ne se sent jamais aussi sĂ»re que quand elle grandit en plaçant sa confiance dans le Seigneur, et quâelle sâabandonne en lui. Si elle regarde en elle, au fur et Ă mesure que la lumiĂšre y grandit, elle prend rĂ©ellement conscience dâelle-mĂȘme : poussĂ©e au mal depuis lâadolescence, attirĂ©e par les vanitĂ©s qui lâentourent, paresseuse, elle nâest quâun amas de misĂšres dont le temps, jusquâĂ la disparition du monde, est comptĂ©. Ă la lumiĂšre du Seigneur, elle nâest rien, quâelle soit savante, puissante, ou bien mĂȘme estimĂ©e des hommes.
Cette Ăąme a besoin dâĂȘtre prise en main, dâĂȘtre sauvĂ©e des piĂšges et de lâinsensibilitĂ© auxquelles elle est soumise par ses vices sombres et vulgaires. Il faut lâencourager Ă sâĂ©lever car elle a Ă©tĂ© créée pour cela. Elle doit sentir ce souffle de vie que Dieu lui a donnĂ© en la rachetant du pĂ©chĂ©. Il faut aussi la sauver de ce pĂ©ril auquel travaille le diable, qui la pousse Ă se dĂ©courager de nâĂȘtre bonne Ă rien. Ăvidemment, que peut faire de bien une Ăąme qui se laisse
dominer par les passions ou par les tendances Ă la vacuitĂ© quâelle porte en elle ?
MĂȘme une Ăąme bonne voit Dieu de trop loin : elle lâadore, mais ne le suit pas, car elle nâest pas touchĂ©e par son amour. Il faut donc, pour la dĂ©livrer de tant de maux, que Dieu Ă©tende sa main bienfaisante et lâattire dans les funicules1 dâAdam, par les voies de lâamour. Et Dieu, qui est amour, accompagne cette Ăąme au plus prĂšs, descend du Ciel, sâen approche et lâappelle Ă goĂ»ter la substance de son humanitĂ© qui lui est donnĂ©e en nourriture dans lâeucharistie.
Cet acte de misĂ©ricorde infinie que seul lâamour de Dieu tout-puissant pouvait opĂ©rer touche les fibres les plus dĂ©licates de lâĂąme et crĂ©e en elle un sentiment de grande confiance.
Se voyant ainsi approchĂ©e par Dieu, comme si Dieu avait besoin de son amour, lâĂąme prend courage et pĂ©nĂštre les profondeurs de lâamour. Elle sent Dieu si proche, si bon, si aimant, quâelle ne peut pas faire moins que de se donner Ă lui et de se confier totalement Ă lui. Il faut en effet une ouverture de lâĂąme pour instaurer la confiance avec celui que lâon aime. Si lâon nâouvre pas les portes de son ĂȘtre, par nature fermĂ©es aux autres, on reste Ă©tranger Ă lâautre.
Mais ici, dans lâeucharistie, le cĆur de Dieu est plus quâouvert Ă celui qui mĂ©dite avec foi le mystĂšre : il est dĂ©chirĂ©, et appelle chacun Ă y entrer : « Venez Ă moi, vous
tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos » (Mt 11, 28). Il nây a donc rien dâautre Ă faire quâĂ ouvrir lâĂąme Ă celui qui connaĂźt notre secret et veut quâon la lui ouvre. Car, si le cĆur reste fermĂ©, il nây a pas de confiance, il nây a pas dâouverture de lâĂąme. Si ce cĆur si fermĂ©, si dur, si orgueilleux, sâouvre Ă lâamour de JĂ©sus qui descend du Ciel â et qui, mĂȘme voilĂ©, existe substantiellement comme au Ciel, et se donne Ă quiconque a foi en lui â, alors une lumiĂšre mystĂ©rieuse se reflĂšte dans lâĂąme, une chaleur inhabituelle lâenvahit, et une douceur sans fin la pĂ©nĂštre : « GoĂ»tez et voyez : le Seigneur est bon ! » (Ps 33, 9).
VoilĂ tout ce que JĂ©sus fait pour ouvrir les cĆurs affligĂ©s, engourdis, de ses crĂ©atures, voilĂ la maniĂšre de Dieu pour les attirer Ă lui et leur faire sentir quâil nâest pas un Dieu de majestĂ© terrible qui habite dans les Cieux mais le Dieu dâamour qui visite les Ăąmes et veut les remplir de sa vie. Dieu devient donc tellement proche de nous quâil devient notre nourriture spirituelle, se fait notre serviteur, devient notre Ăpoux, notre guide, notre rĂ©confort, vie de notre vie. Et, alors, de quoi avoir peur ? Quand Dieu se fait tellement nĂŽtre quâil se donne en nourriture pour nous, quand il Ă©veille dans notre esprit le dĂ©sir et notre volontĂ© de vivre de lâamour, quand il est notre compagnon, notre aide, de quoi avoir peur ? Ni les passions les plus vives, ni les tentations insidieuses de Satan, ni lâattraction de certaines crĂ©atures, ni tout ce qui fascine le monde ne valent la peine de se retenir dâaller vers Dieu. Ce ne sont pas nos
forces qui lâemportent, mais Dieu, qui devient le protecteur de notre ĂȘtre, notre force, notre rĂ©confort.
RassurĂ©e dâĂȘtre habitĂ©e par Dieu, lâĂąme va alors au-devant de ses ennemis, et les met en dĂ©route dâun seul regard, car Ă©tant dĂ©sormais possession de Dieu, câest Dieu qui gagne toutes les batailles dâun seul regard. LâĂąme ne sâarrĂȘte pas seulement lĂ Â : dans ce chemin de confiance, caressĂ©e par Dieu, elle entre dans la vie de son CĆur, du CĆur de JĂ©sus, oĂč sont cachĂ©s tous les trĂ©sors de grĂące et de gloire. Câest Dieu lui-mĂȘme qui attire lâĂąme dans les trĂ©fonds de son ĂȘtre profond comme lâinfini, et, lĂ , elle voit tout le prĂ©sent et lâavenir. Si elle ne le voit pas dans la clartĂ© de la gloire, elle le voit par sa confiance dans le bien-aimĂ© qui lui fait comprendre combien sa vie sera dâautant plus apaisĂ©e quâelle sâabandonnera en lui, lui qui prĂ©side aux Ă©vĂ©nements du monde comme de chaque ĂȘtre humain.
ConnaĂźtre de maniĂšre si haute et si profonde Dieu, ellemĂȘme, ce qui peut lui arriver, ses combats, ses victoires, ses jours, sa fin, toutes ces choses qui sont dans la main de Dieu â mieux quâen nous, qui ne voyons rien et ne connaissons pas notre avenir â est une grande et heureuse Ă©lĂ©vation de lâĂąme.
LâĂąme parvient alors Ă un tel abandon en Dieu, atteint un tel oubli dâelle-mĂȘme, quâelle vit dans la plus grande sĂ©rĂ©nitĂ©, sa vie est paix. Sa vie est un abandon continuel aux volontĂ©s trĂšs savantes de Dieu, comblĂ©e de la bontĂ© que Dieu cache sur ses chemins.
LâĂąme nâaccomplira rien dâautre que ses devoirs, non pas avec angoisse, ni mĂ©caniquement, mais comme elle le doit, face Ă Dieu qui voit tout, mĂȘme le plus petit soupir. Elle nâatteindra pas la perfection, que ce soit pour se purifier, grandir, et sâunir, par elle-mĂȘme, mais en faisant grandir la grĂące. Elle y veillera nuit et jour, se mĂ©fiant dâelle-mĂȘme, mais toujours pleine de confiance en Dieu, toujours prĂȘte Ă repousser sa vieille nature qui voudrait reprendre le contrĂŽle.
Plus quâaucune autre voie du Seigneur, lâeucharistie nous rapproche de cette confiance en JĂ©sus, de notre doux Sauveur. Elle conduit Ă un abandon, vĂ©ritable principe de vie cĂ©leste, car il fait tomber toute inquiĂ©tude, enlĂšve toute crainte, nous fait sentir la vie divine de JĂ©sus qui travaille continuellement Ă la nĂŽtre, parfois mĂȘme Ă notre insu. La bontĂ© de JĂ©sus est si grande que câest lui qui veut nous soustraire aux imperfections quotidiennes, nous envoyant des Ă©preuves adaptĂ©es et proportionnĂ©es Ă nos forces ; câest lui qui pense Ă nous donner les satisfactions de la pĂ©nitence, de compensation Ă la divine justice, car, sans lui, que vaudraient les priĂšres de demande et les pĂ©nitences ? Comme est grande la bontĂ© de JĂ©sus, comme est divine la maniĂšre quâil utilise pour gagner nos cĆurs et les faire tellement siens que nous nâavons dâautre choix que de lâaimer !
Il fait le reste en nous, nous embellissant, nous préparant à sa gloire, car bien que nous ne puissions rien faire, nous sommes son accomplissement, son corps mystique. Voilà pourquoi il nous nourrit, nous fait vivre comme
EUCHARISTIE, SOURCE DâESPĂRANCE
la vigne fait vivre ses sarments, nous fait bouger selon sa volontĂ©, comme la tĂȘte gouverne les membres du corps. Si les Ăąmes comprenaient le don qui leur est fait, et quâil veut faire Ă toutes, en Ă©tant invitĂ©es Ă sâabandonner en lui, alors, par cet abandon, et tout en affrontant les Ă©preuves, les douleurs, les embĂ»ches, le tourment de lâexil, et les dangers de le perdre, cette vie serait un vrai morceau de paradis. MalgrĂ© les tĂ©nĂšbres et les Ă©preuves, au milieu de cet exil obscur, il serait toujours en nous, comme dans la barque avec ses disciples, en pleine tempĂȘte (cf. Mc 4, 35-41).
Maria Teresa Carloni (1919-1983) est une figure extraordinaire de lâĂglise du xxe siĂšcle. Fille de bonne famille trĂšs tĂŽt orpheline, elle se rĂ©volte adolescente contre la mĂ©diocritĂ© du clergĂ© et sâĂ©loigne de lâĂglise. Mais, en 1951, elle connaĂźt une conversion fulgurante, et entre dans une vie mystique dâune rare intensitĂ©. Sâoffrant avec JĂ©sus « pour le salut de beaucoup », elle partage son agonie les vendredis, reçoit des stigmates, et bĂ©nĂ©ficie dâun don de bilocation qui lâaide Ă mener un apostolat auprĂšs des chrĂ©tiens persĂ©cutĂ©s derriĂšre le Rideau de fer. Ses pages magnifiques sur lâeucharistie, traduites pour la premiĂšre fois en français, sont le fruit dâamour de cette vie totalement offerte Ă la Vie mĂȘme du Christ. Elles offrent un regard pĂ©nĂ©trant sur le mystĂšre de sa PrĂ©sence qui bouleverse notre maniĂšre de vivre la messe et qui illumine notre vie spirituelle, au quotidien. Un chef-dâĆuvre de la littĂ©rature mystique, introduit et Ă©clairĂ© par Didier Rance.
Didier Rance, diacre, historien, ancien directeur national de lâAide Ă lâĂglise en dĂ©tresse (AED), a Ă©crit la premiĂšre biographie en français de Maria Teresa Carloni, Maria Teresa Carloni. Mystique au service des chrĂ©tiens persĂ©cutĂ©s (Salvator, 2020).