Puisque vous avez décidé de vous aimer

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Puisque vous avez décidé de vous aimer…

CONSEILS POUR LES PREMIÈRES ANNÉES DE MARIAGE

PAR LE PÈRE

FRANÇOIS POTEZ

Direction : Guillaume Arnaud

Direction éditoriale : Sophie Cluzel

Édition : Vincent Morch

Direction artistique de l’ouvrage : Thérèse Jauze

Direction de fabrication : Thierry Dubus

Fabrication : Marie Dubourg

Mise en page : Pixellence

© Mame, Paris, 2024

www.mameeditions.com

ISBN : 978-2-7289-3155-2

MDS : MM31552

IntroductIon

« On ne se marie pas parce qu’on s’aime. On se marie parce qu’on a décidé de s’aimer. »

Je vous vois sourire tous les deux, si chers Jules et Julie. Les commencements n’ont pas été simples pour vous. L’un et l’autre, vous aviez peur de ne pas être assez amoureux. Vous aviez été longtemps célibataires, vous aviez aussi connu l’un et l’autre quelques espérances déçues. Et puis j’ai fini par te secouer, toi, Jules, parce que tu ne pouvais pas laisser Julie attendre davantage. Vous auriez fini par vous faire du mal.

« Je ne sais pas si je l’aime vraiment, me disais-tu. Je ne sais pas si je veux faire ma vie avec elle. » « Ah ! sapristi ! Est-ce que tu veux faire ta vie avec elle, ou est-ce que tu veux faire sa vie en te donnant à elle ? On ne se marie pas parce qu’on s’aime, on se marie parce qu’on a décidé de s’aimer ! Veux-tu ? »

Ah, la peur de l’engagement ! C’est la grande maladie de notre temps. Choisir, s’engager, décider, se donner. Mais, dès le lendemain matin, tu m’appelais pour me dire que tu avais décidé de lui poser la question : « Veux-tu ? » Oui, tu avais compris que l’amour est une décision ; que le mariage est un engagement. Et de ton côté, la décision était prise. Tu as prié, tu as demandé conseil, tu as décidé.

La réponse n’a pas tardé : elle t’attendait depuis longtemps, mais tes hésitations intérieures t’aveuglaient. J’en avais l’intuition pour ma part mais, évidemment, je ne pouvais pas décider à ta place ni même t’influencer de près ou de loin. Seulement te

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mettre en garde devant tel ou tel obstacle que tu n’aurais pas vu ou dont tu n’aurais pas voulu tenir compte.

Au rendez-vous suivant – nous étions tous les trois, cette fois –, nous entrions dans le vif du sujet. « Puisque vous avez décidé de vous aimer, maintenant aimez-vous, le reste, on s’en fout ! » Vous m’avez souvent dit combien cette double maxime vous revenait et vous aidait quand les temps sont plus sombres. C’est vrai, c’est une blague, mais c’est sérieux !

Aimez-vous ! La voilà, la grande aventure du mariage. Rien de plus beau, rien de plus difficile ! Les quelques mois de fiançailles qui ont suivi vous ont permis de partir sur des bases solides, et de creuser cette réalité simple et complexe. Qu’est-ce qu’aimer veut dire ?

Vous voilà maintenant à quelques jours de votre engagement dans le sacrement. Je suis presque aussi impatient que vous, et je me réjouis de vous retrouver pour ce grand jour. Depuis que vous êtes décidés, vous avez déjà vécu quelques coups de Trafalgar qui vous ont encore fait hésiter, mais qui, finalement, vous ont plutôt confortés. Je vous l’avais dit : les fiançailles ne sont pas une période facile. C’est une épreuve, au sens fort : vous éprouvez votre décision. Mais vous avez connu aussi des moments de bonheur que vous n’auriez même pas pu soupçonner. Et vous sentez, pleins de joie et d’espérance – mais avec beaucoup moins d’illusions qu’au départ –, que votre couple avance désormais sur ce chemin escarpé de l’amour conjugal. Vous êtes – pourquoi ne pas l’avouer ? – ma joie et ma fierté. Quel bonheur de vous voir vous aimer d’un amour paisible ! Au cœur de vos fatigues, et de vos larmes parfois, vous avez découvert la joie du don mutuel. Vous envisagez l’avenir sereinement, sûrs que la Vierge Marie, Mère du Bel Amour, vous conduit sur la route.

Ceux qui vous précèdent sur ce chemin me l’ont enseigné : les premières années ne sont pas les plus faciles, et les pièges sont

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nombreux. C’est comme pour les petits enfants : c’est plein de promesses, mais tout est malléable et fragile encore. Il faut sans cesse vérifier les fondations, corriger le tir sur tel ou tel aspect de la vie de couple ou de la vie familiale… Prendre du temps pour s’écouter, pour parler, pour prier. Prendre du temps : une affaire si importante que j’y reviendrai abondamment dans ces pages.

Car je me suis laissé faire encore une fois, par vous et beaucoup d’autres couples avec vous, qui m’ont demandé depuis longtemps d’écrire nos conversations, comme je l’avais fait déjà pour les prêtres1. Pour garder le style parlé de nos entretiens, je n’ai pas trouvé de meilleur moyen que de vous écrire en direct. La difficulté, c’est que, bien sûr, chaque couple est unique et que l’on ne peut pas faire de généralités. Je sais. Mais je crois quand même que l’on peut dégager des grandes lignes directrices sur l’amour et le mariage, surtout dans ses premières années, et chacun en fera ce qu’il voudra. En vous écrivant à vous deux, Jules et Julie, au moment où vous vous lancez dans l’aventure, c’est à tous les couples que je voudrais m’adresser. Pas tant pour enseigner une doctrine que pour écouter, encourager, consoler, corriger au besoin, admirer. Et vous transmettre quelque chose de l’immense tendresse que le Seigneur m’a donné d’éprouver pour vous tous qui me lisez.

Et si j’ose me risquer à écrire, c’est aussi parce que si nous avons la chance et le bonheur de rester étroitement liés et d’espérer nous retrouver de temps en temps, beaucoup de couples n’ont pas l’occasion de parler facilement à un prêtre. Pas toujours commode de se livrer à un prêtre que l’on ne connaît pas, que l’on hésite à déranger tant on le sent pris par mille urgences ici ou là !

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1. La Grave Allégresse. Être prêtre aujourd’hui , Paris, Mame, 2022.

Je ne me lance pas sans trembler. Les années m’ont donné de l’expérience, c’est sûr, mais je mesure chaque année un peu plus combien la vie est belle et difficile à la fois. Combien le mariage est une aventure extraordinairement grande, et aussi un défi permanent. Et je me sens moi-même si fragile. Infiniment plus fragile et vulnérable aujourd’hui qu’il y a trente ans.

Avant de commencer, j’ai interrogé assez largement des couples que j’ai accompagnés et dont j’ai béni le mariage. Tous m’ont encouragé, et leurs réponses m’ont impressionné par la maturité de leurs réflexions et la franchise de leur propos. C’est beau, d’ailleurs, et c’est ma joie : jeune prêtre, j’ai accompagné des adolescents qui sont devenus des jeunes adultes, puis des adultes responsables. C’est en écoutant leurs questions et en essayant d’y répondre que j’ai beaucoup appris sur la jeunesse, sur l’amitié et sur l’amour.

Et puis, en accompagnant ceux qui ont décidé de s’aimer et qui se sont mariés, au fur et à mesure, j’ai beaucoup appris de la vie du mariage. Bien sûr, j’ai énormément reçu de mes parents et d’autres sources multiples : le scoutisme, la Marine et l’école du commandement, le père de Monteynard à l’Eau Vive1, Aline Lizotte à l’AFCP2, et j’en passe. J’ai lu un peu et beaucoup écouté. Saint Jean-Paul II, dans ce domaine particulier, a été mon père et mon maître comme aucun autre. Mais l’essentiel que j’ai reçu, c’est au contact de tous ceux qui se sont confiés à moi depuis bientôt trente-cinq ans.

Voici ce que m’écrit une jeune femme dont j’ai béni le mariage : « Le monde ne cesse de nous vendre du périssable – c’est la culture

1. L’Eau Vive est une communauté familiale d’éducation chrétienne fondée dans les années 1970, dans la mouvance des Foyers de charité (www.leauvive.com).

2. L’AFCP (Association pour la formation chrétienne de la personne), fondée par Aline Lizotte dans les années 1990, propose, entre autres, des sessions « Amour, sexualité et vie chrétienne » depuis le commencement. Certaines de ces sessions m’ont été confiées depuis quelques années, et je les donne maintenant régulièrement, en général deux fois par an (voir www.asso-afcp.fr).

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du déchet que critique souvent le pape François –, pourtant, après presque dix ans de mariage et à trente-sept ans, au contraire, je ne me suis jamais sentie aussi confiante, libre intérieurement, jeune et épanouie. Le mariage chrétien est source de jouvence et de joie. » Le mariage est une immense aventure. Mais, surtout, et tant pis si je me répète, c’est une décision : une fois que l’on a compris cela, on peut accepter des phases plus compliquées avec plus de calme, sans tout remettre en question. Je sais que vous vous avouez régulièrement que l’amour n’est pas facile. Rien de plus beau, rien de plus difficile.

Et puisque vous avez décidé de vous aimer, aimez-vous, le reste, on s’en fout !

Int RODUC t IOn

Homme et femme :

le projet de dIeu

REGARDEZ COMME ILS S’AIMENT !

Ils ont quatre-vingt-dix ans passés tous les deux. Parmi tous les couples que je connais, il y en a peu qui soient aussi beaux qu’eux. Comme c’est beau, les vieux qui s’aiment ! À les regarder –j’oserais presque dire, « à les contempler » –, on a l’impression d’un accomplissement magnifique. Ils se sont mariés jeunes, ont connu des joies et des peines, de grandes épreuves même, qu’ils ont traversées vaille que vaille, avec leur foi solide et leurs caractères trempés. Mais ils n’en tirent aucune gloire. Toujours souriants, apaisés et pleins de délicatesse et de tendresse l’un envers l’autre, ils rayonnent une paix lumineuse et contagieuse. Ils souffrent avec ceux qui souffrent, se réjouissent avec ceux qui se réjouissent. Et ils attendent sereinement maintenant que le Seigneur vienne les chercher pour les faire entrer dans sa plénitude de vie et de gloire.

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Quand je pense au projet d’amour de Dieu pour l’homme et la femme, je pense à eux et je comprends le Créateur qui vit que cela était bon. Et même très bon !

Vous allez me dire que c’est un cas d’école et que ça n’est pas toujours si rose. Tant de vieux qui souffrent de la solitude, ou même d’abandon. Des couples pour qui la vie a été un véritable enfer. Maladies, morts violentes, veuvages interminables, divorces rugueux et blessants, enfants perdus en très grande souffrance… La liste est inépuisable. C’est vrai qu’ils sont chanceux, ces deux-là. Mais ils sont là comme des témoins. S’ils ont beaucoup reçu, c’est pour pouvoir mieux donner autour d’eux. Et surtout, je crois, pour donner à voir ce que Dieu voulait faire en créant l’homme et la femme à son image.

Que c’est beau, des vieux qui s’aiment ! Bien sûr, l’amour est beau en général. Il est beau aussi chez les fiancés, chez les jeunes couples comme vous ! Et tout amour est beau. D’ailleurs, là où est l’amour, Dieu est présent, comme dit saint Paul ! Mais l’amour conjugal a quelque chose de particulier : il porte un reflet tout à fait unique et singulier de l’amour de Dieu. Un reflet du mystère de Dieu lui-même.

Peut-être ce premier chapitre vous paraîtra-t-il un petit peu ardu et théorique. Ne vous découragez pas. Passez-le éventuellement, et vous y reviendrez plus tard. Et si je commence par là ce que j’ai à vous dire, c’est parce que je pense que l’on ne s’émerveillera jamais assez de ce projet de Dieu. Il me semble que c’est une aide puissante que d’avoir en permanence devant les yeux l’intention de Dieu sur l’homme et la femme en général, et sur vous, chers Jules et Julie, en particulier. Je crois que cela peut aider à comprendre la beauté et l’exigence du mariage.

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TOUT COMMENCE PAR UNE PAROLE D’AMOUR

Au commencement était le Verbe [la Parole], et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu.

Il était au commencement auprès de Dieu.

C’est par lui que tout est venu à l’existence, et rien de ce qui s’est fait ne s’est fait sans lui1.

Dieu est amour. La parole de Dieu, c’est une parole d’amour. C’est même LA parole d’amour. Et cette parole est créatrice ; elle porte à l’existence. Dieu dit, et cela existe : « Dieu dit : “Que la lumière soit.” Et la lumière fut2. »

Incroyable, la puissance de cette parole ! C’est la parole de Dieu qui crée toute chose. C’est le Verbe de Dieu, la Parole d’Amour, qui crée l’homme, et qui le maintient chaque instant dans l’existence.

Dans le mariage aussi, la parole fait exister l’autre. Jules, quand tu diras à Julie : « Je t’aime », tu la feras exister comme épouse. Et vous, Julie, quand vous direz à Jules : « Je t’aime », vous le ferez exister comme époux3. Et quand vous direz à votre enfant :

« Nous t’aimons », vous le ferez exister comme enfant. C’est impressionnant de penser que la première parole de Dieu que votre enfant entendra, c’est cette parole que vous lui aurez dite :

« Nous t’aimons ! »

1. Jn 1, 1-3. Les textes de la Bible seront donnés dans la Traduction officielle liturgique (Paris, Mame, 2013).

2. Gn 1, 3.

3. On me demande souvent pourquoi je vous vouvoie, Julie, alors que je te tutoie, Jules. J’ai toujours fait ainsi : j’ai toujours vouvoyé les femmes et les jeunes filles. Dès qu’elles ont quatorze ou quinze ans, je les vouvoie, même celles que je connais depuis longtemps. Ça fait vieux jeu ? Peut-être, mais je crois quand même que l’on ne traite pas une fille comme un garçon, surtout quand on est prêtre. Et une fois le premier étonnement passé, j’ai toujours constaté que les jeunes filles en étaient reconnaissantes !

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J’ai découvert cela un jour où je réconfortais un garçon de dixhuit ans qui était en grande souffrance. Je lui disais : « Tu sais, je t’aime beaucoup. » Il m’a regardé, d’un regard que je n’oublierai jamais, en me disant : « Enfin, mon père, j’existe pour quelqu’un ! »

Il n’avait jamais entendu une parole d’amour, et donc il n’existait pour personne. Terrible.

– Mon chéri, dis-moi que tu m’aimes.

– Mais enfin, ma chérie, je te l’ai dit mille fois !

– Oui, je sais. Mais dis-le-moi encore une fois. J’ai besoin de l’entendre.

Les hommes sont comme ça : ils croient que ça n’est plus la peine de le dire… Mais les femmes, elles, ont besoin qu’on le redise sans cesse. Toi, Jules, redis-le souvent à Julie, avant qu’elle n’ait besoin de te le demander.

La scène de ménage est classique, hélas : « De toute manière, je n’existe pas pour toi ! Je suis transparente pour toi ! » Oui, c’est sans doute qu’il manque cette parole d’amour. Il suffirait peutêtre de pas grand-chose… C’est le b.a.-ba, et c’est de là qu’il faut repartir sans cesse.

GRATUITÉ DE LA CRÉATION

Le deuxième aspect fondamental de la création, c’est la parfaite et absolue gratuité de l’amour de Dieu. Dieu étant parfait, je ne peux rien lui ajouter, rien ne peut le grandir ni le perfectionner. Autant dire qu’il ne peut agir que par amour pur, dans un total désintéressement. C’est pour moi un sujet de contemplation et de méditation sans fond : le seul fait que j’existe prouve que Dieu m’aime. Infiniment. Si par impossible, Dieu cessait de m’aimer, instantanément, je disparaîtrais dans le néant. Cette gratuité parfaite de l’amour de Dieu m’enracine, m’établit dans la confiance. Elle est mon roc, mon rempart. Son amour est si

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gratuit et si parfait que, quand je me suis éloigné de lui, il meurt pour moi ; il donne sa vie pour moi. Pour me recréer dans un amour inlassable et inconditionnel.

De même, la gratuité de l’amour que vous avez l’un pour l’autre, même si elle est forcément très imparfaite au regard de celle de Dieu, est la source de votre confiance mutuelle. Quand vous êtes assis là, l’un près de l’autre, quand vous êtes unis dans l’amour, êtes-vous établis dans cette confiance radicale de l’un vis-à-vis de l’autre ? C’est un bon critère de discernement. Ça l’était bien sûr au moment où vous avez décidé de vous marier. Mais ça l’est encore aujourd’hui et le sera chaque jour pour vérifier la « santé », la qualité de votre amour. Un léger manque de confiance ? C’est que la gratuité, d’un côté ou de l’autre, a probablement besoin d’être purifiée ou restaurée.

À SON IMAGE IL LE CRÉA

« Dieu créa l’homme à son image1. » On peut discuter à l’infini sur cette création de l’homme. Il y a beaucoup de dimensions dans cette ressemblance. Le travail en est la première facette : comme aucun autre être vivant, l’homme a la faculté d’inventer des formes nouvelles. La deuxième est la connaissance, qui permet de nommer les choses et les êtres vivants.

Mais je voudrais m’arrêter surtout à la troisième dimension de cette ressemblance avec Dieu : l’amour. Dans un passage fascinant de sa première épître, saint Jean explique que « nous serons semblables [à Dieu] car nous le verrons tel qu’il est2 ». C’est-à-dire que Dieu veut nous rendre semblables à lui, pour nous faire entrer dans un face-à-face d’amour avec lui. Il veut

1. Gn 1, 27.

2. Cf. 1 Jn 3, 2.

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nous rendre « capables » de lui. On a coutume de dire que Dieu crée l’homme avec une intelligence et une volonté, l’ensemble des deux constituant la vie spirituelle. Mais c’est un peu court et un peu technique, comme vision. Je préfère parler, moi, de « l’intelligence du cœur ». De tous les êtres vivants, l’homme est le seul à qui Dieu donne cette intelligence du cœur. Et les deux dimensions sont importantes : il y a des gens très intelligents, mais qui n’ont pas beaucoup de cœur. C’est froid et glacé et, pour l’amour, ce n’est pas terrible… D’autres ont beaucoup de cœur mais pas beaucoup d’intelligence. C’est parfois très affectueux et très gentil, mais ça risque de rester un peu cucul… L’intelligence du cœur, ce n’est pas une question de niveau d’études. Une Bernadette Soubirous ou une Thérèse de l’Enfant-Jésus n’avaient pas fait d’études, mais avaient une grande intelligence du cœur.

Bref, nous sommes faits pour voir Dieu face à face. Nous sommes créés à son image pour cela. Un jour, de l’autre côté de la tombe, j’entrerai dans ce silence de l’amour qui est tout entier dans un regard. Un regard qui embrasse, qui enveloppe et qui pénètre. Et ce sera mon bonheur éternel, ma plénitude, ma béatitude ! Je serai parfaitement comblé, puisque je suis fait pour cela. Et Dieu me dira : « Que tu es beau, mon bien-aimé ! Je suis fier de toi. J’ai eu raison de te créer ! En toi, je trouve ma joie. » Et moi, je lui dirai : « Gloire à toi, Seigneur, pour la merveille que je suis. Je t’aime, Seigneur, ma force ! » Et nous ne ferons plus qu’un, moi en lui et lui en moi.

Vous me dites que ça doit être ennuyeux ? Et vous alors, vous ne passez pas des heures à vous regarder dans le blanc des yeux sans vous lasser ni voir le temps passer ?

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HOMME ET FEMME IL LES CRÉA : UNE SEULE CHAIR

Il faut quand même reconnaître que nous ne savons pas très bien en quoi consistera ce face-à-face. Aucune image, aucune expérience sensible. Dieu est esprit : je ne le touche pas, je ne le vois pas, je ne l’entends pas. Et, comme le raconte la Genèse, dans un style poétique extraordinaire, l’homme expérimente une « solitude cosmique », une sorte de grande angoisse : il prend conscience qu’il ne ressemble à aucun autre vivant, et qu’il a besoin en quelque sorte d’une « aide qui lui corresponde ». Il cherche un vis-à-vis.

Et Dieu « invente » cette chose incroyable : il crée l’homme à son image, à son image, il le crée, lui, l’être humain, la personne humaine. Mais il les crée homme et femme. Il veut que l’homme, la personne humaine, puisse faire l’expérience de ce face-à-face dans sa nature humaine.

Et la femme – Ishsha – est tirée du côté de l’homme – Ish –, comme l’Église sera un jour tirée du côté transpercé de Jésus. Nous en reparlerons à propos du sacrement de mariage. Dieu tire la femme du côté de l’homme qu’il a ouvert pendant son sommeil, et la lui présente. S’ensuit ce cri de joie d’Adam. La première parole qu’il prononce dans la Bible est un cantique d’action de grâce : « Cette fois-ci, voilà l’os de mes os et la chair de ma chair ! On l’appellera femme – Ishsha –, elle qui fut tirée de l’homme – Ish1. »

Grâce à son épouse, l’homme découvre ce qu’il est ; il découvre qui il est : une force, une puissance de don. Il sera vraiment luimême quand il se donnera à elle tout entier. Et par l’époux, la femme découvre ce qu’elle est, elle découvre qui elle est : une aide qui lui correspond. Elle sera vraiment elle-même quand elle 1. Gn 2, 23.

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suscitera parfaitement, dans l’oubli d’elle-même, le don de l’époux. Ainsi seront-ils vraiment eux-mêmes l’un par l’autre : « À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu’un1. »

Ils ne seront plus qu’un, plus qu’une seule chair. C’est-à-dire pas seulement dans la dimension charnelle, mais dans la plénitude de l’être humain. Mais bien sûr, pour ce qui est des époux, cette réalité est parfaitement signifiée par l’union conjugale, l’union sexuelle. Dans leur union, et dans les gestes les plus intimes qui signifient cette communion d’amour, les époux sont icône de la communion divine qui existe au cœur même de la Trinité. Cette réflexion de saint Jean-Paul II est inouïe. Personne avant lui n’avait osé porter si haut la vocation des époux, en intégrant pleinement la dimension charnelle et sexuelle, et dire en même temps l’exigence de cette vocation.

Les gestes de l’amour sont sacrés, parce que là, et là seulement, est la vraie ressemblance avec Dieu : dans la communion d’amour de l’homme et de la femme. Toi tout seul, Jules, tu n’es pas tout à fait à l’image de Dieu. Et vous, Julie, toute seule, vous n’êtes pas non plus tout à fait à l’image de Dieu. C’est l’homme et la femme ensemble qui sont image de Dieu. « L’union des deux », comme disait toujours saint Jean-Paul II. Mais une seule chair dans cette communion d’amour, exprimée par les gestes intimes de votre amour conjugal, vous ressemblerez à Dieu au point que vous deviendrez capables de transmettre la vie. D’abord simplement par le rayonnement de votre amour, et éventuellement aussi par la venue d’un enfant comme fruit de votre don mutuel. Comme le Père se donne tout entier au Fils – c’est l’amour donné –, et comme le Fils se reçoit tout entier et se redonne au Père – c’est 1. Gn 2, 24.

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l’amour reçu et redonné – et qu’entre les deux, il y a ce jaillissement éternel de vie qu’est l’Esprit Saint – c’est l’amour échangé –, de même, toi, Jules, en te donnant tout entier à ton épouse (et plus tu te donneras à elle, plus tu seras époux), tu susciteras le don que vous, Julie, vous recevrez et féconderez après l’avoir provoqué (et plus vous recevrez de lui, plus vous serez épouse), tandis que, entre vous deux, ce jaillissement de vie que l’on peut lire déjà sur vos visages épanouis s’incarnera peut-être dans des enfants, s’il plaît à Dieu. Alors oui, vraiment, vous serez, ensemble, icône de la communion divine au sein de la Trinité ! C’est votre joie, au-delà de tout, et c’est le merveilleux projet d’amour de Dieu pour vous.

Notez au passage – j’essaye d’aborder ce point avec la plus grande délicatesse possible, parce que c’est un lieu de grande douleur – que la vraie cause de la souffrance des célibataires qui n’ont pas choisi de l’être réside dans cette impossibilité de se donner à un autre en particulier. Si ce célibat persiste, ils ne pourront s’épanouir qu’en se donnant, non pas à une personne en particulier, mais à plusieurs en général. Ce qui exclut évidemment la dimension sexuelle. Nous connaissons tous des célibataires qui se sont réellement épanouis dans le don d’eux-mêmes, et d’autres qui se sont malheureusement endurcis parce qu’ils n’ont pas réussi à se donner. Ceux qui se sont centrés sur eux-mêmes, et qui n’ont pas réussi à s’ouvrir, sont comme enfermés1. Or, la relation d’amour n’est pas superflue, elle fait l’homme à la ressemblance de Dieu !

« À son image, il LE créa », lui, l’être humain ; « Il LES créa homme et femme »2 : l’un ne peut pas aller sans l’autre pour

1. Cela existe aussi chez les prêtres, les religieux ou les religieuses. Et même parfois chez les gens mariés qui vivent en réalité comme des célibataires… Ceux-là vivent ensemble, au lieu de vivre l’un pour l’autre, l’un par l’autre.

2. Gn 1, 27.

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devenir vraiment personne humaine, dans la ressemblance avec Dieu. « On devient vraiment une personne humaine en entrant dans le don réciproque et désintéressé de soi-même », disait saint Jean-Paul II.

LA NUDITÉ SANS HONTE :

SIGNIFICATION

CONJUGALE DU CORPS

« Tous les deux, l’homme et sa femme, étaient nus, et ils n’en éprouvaient aucune honte l’un devant l’autre1. » Cette remarque est très importante, parce qu’elle fait comprendre la paix de leur regard à tous les deux. Cette nudité est pleinement assumée, comme masculinité et féminité, sans aucun trouble, aucune gêne, parce qu’ils voient dans le corps l’un de l’autre l’appel à ce don désintéressé d’eux-mêmes. Leur regard est pur, parce que leur cœur est pur. Les corps, masculin et féminin, ont une signification : ils expriment cette extraordinaire complémentarité pour laquelle ils sont faits l’un et l’autre. Ils existent tous les deux, comme homme et comme femme. Pas simplement, du reste, d’un point de vue purement sexuel : c’est toute la personne qui est sexuée. Une seule nature humaine, mais deux manières d’exister comme être humain, qui ne prennent du sens que l’un par l’autre.

La nudité sans honte signifie encore qu’il y a entre eux une totale confiance ; qu’ils peuvent se livrer l’un à l’autre sans aucune réticence, sans aucune crainte d’être utilisés ou instrumentalisés. L’aspiration à la communion qu’ils éprouvent est pure de toute recherche de jouissance pour elle-même. C’est une recherche de l’autre dans la pure gratuité dont je vous parlais tout à l’heure. Il ne s’agit pas non plus, en aucune manière, de la contrainte

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Gn 2, 25.
1.

de l’instinct, mais de la recherche désintéressée, consciemment choisie, de la communion qui les fait ressembler à Dieu, don de pur amour.

Comme on est loin, ici, de la pensée dominante contemporaine qui ne voit dans le sexe qu’un moyen de plaisir et de la théorie du genre qui affirme que le masculin et le féminin n’ont ni importance ni signification ! Sujet brûlant qui a des conséquences terribles, parce que cette théorie s’infiltre partout et attaque la création dans ce qu’elle a de plus précieux : l’image de Dieu.

LE PÉCHÉ ET LA SPIRALE DE MORT

Hélas, ce beau projet de Dieu a été mis en échec par le péché. Qu’est-ce que le péché ? Au fond, c’est assez simple : au lieu de donner, j’ai voulu prendre. Au lieu de me mettre au service de l’autre, pour lui permettre d’être pleinement lui-même, je me suis servi de l’autre pour être moi, référence unique. Au lieu d’être relatif à l’autre, j’ai considéré l’autre comme relatif à moi. J’ai voulu me mettre au centre. Il y a comme un retournement tragique : au lieu d’accepter la dépendance d’amour qui me rend libre, j’ai voulu être indépendant et je suis devenu esclave. Satan m’a fait croire – c’est cela fondamentalement, la tentation – que je serais libre en étant indépendant. Formidable illusion de l’orgueil, qui pousse à ne plus dépendre de personne, si ce n’est de soi-même. Ainsi, je me mets au centre, je prends la place de Dieu. Je juge et décide de tout. Je me fais l’égal de Dieu, qui décide du bien et du mal. Au lieu de manger librement de l’arbre de la vie, que Dieu m’avait donné, j’ai voulu manger de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, et j’en suis mort, comme il l’avait dit. Je suis mort puisque, en quittant Dieu, j’ai quitté la vie ! La mort est entrée dans le monde par effraction.

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C’est l’orgueil, le premier péché, le péché d’origine. Le péché originel. À la racine de tous les péchés, il y a l’orgueil. Et cela a des conséquences très concrètes – et dramatiques – dans votre couple. L’orgueil est le danger principal qui menace l’amour. Par orgueil, je veux sans cesse considérer mon conjoint par rapport à moi. Et au lieu de chercher une juste autonomie qui permet une certaine souplesse au sein du couple, je revendique mon indépendance et mon épanouissement comme un droit, comme un dû.

Au premier abord, c’est difficile à entendre, que l’amour est une dépendance radicale. Peut-être plus difficile encore que c’est la dépendance d’amour qui rend libre. Mais, à bien y réfléchir, puisque vous avez décidé de vous aimer, vous dépendez radicalement l’un de l’autre. Ou alors, vous n’êtes plus ni époux ni épouse ! De la même manière, je dépends radicalement de Dieu, puisqu’il est la source de ma liberté, puisqu’il est la vie ! C’est justement ce qui est si frappant, quand on regarde le Christ : sa dépendance radicale par rapport à son Père. Il nous apprend à redevenir des fils. L’obéissance qui rend libre ! Pour nos oreilles contemporaines, cela semble difficile à accepter, mais c’est pourtant la clé pour entrer dans un véritable amour et, donc, dans le vrai bonheur.

Je me rappelle ce jour où, agacé par une conversation qui avait tourné court, tu m’as dit : « Mon père, il faut quand même qu’elle comprenne que c’est moi qui ai raison ! » J’ai souri… Et tu as compris. Ah, cette rage de toujours avoir raison, d’avoir le dernier mot dans les conversations ! Je me rappelle aussi ce fiancé que je trouvais un peu jeune. Un soir, il m’a fait cette confidence : « J’ai découvert qu’elle n’est jamais autant comme je voudrais qu’elle soit que quand je suis tout entier attentif à elle. » J’ai compris ce soir-là qu’il était vraiment mûr, et prêt à se lancer dans l’aventure.

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L’orgueil, qui me coupe de Dieu, est comme la première boucle d’une spirale qui va s’enrouler sur elle-même inexorablement. La deuxième boucle, qui va venir assez rapidement, c’est la vanité. L’orgueilleux, comme tel, se moque de ce qu’on pense de lui. Son entourage lui est indifférent. Mais rapidement, il va vouloir que l’on sache que c’est lui qui est la référence. Il faut que ça se voie. Il va rechercher et soigner le paraître. Il faut montrer la belle voiture, le beau smartphone, les vêtements ou les bijoux ostentatoires. On aime les mondanités dans lesquelles on brille. Mais à ce jeu-là, on trouve vite quelqu’un qui risque de nous faire de l’ombre. Quelqu’un qui est plus apprécié, qui se fait remarquer davantage. Et la vanité entraîne la jalousie. La jalousie meurtrière, celle qui a tué Abel. Jalousie qui peut se traduire aussi très efficacement par la médisance. Les paroles qui blessent et qui tuent. Saupoudrées de quelques petits mensonges (il suffit de peu), elles deviennent des calomnies. Et pour peu qu’on les diffuse sur les réseaux sociaux, on a là une caisse de résonance formidable ! On supprime un rival en un clic ! Regardez ce qui se passe dans la politique, dans le monde économique… et même dans l’Église !

Appliquez cela à votre couple, et vous avez là le deuxième grand danger qui menace l’amour. Quand la jalousie s’immisce dans un couple, cela peut être rapidement très grave. Il faut immédiatement sonner l’alerte. L’un des deux brille davantage en société et l’autre en devient jaloux ; parfois, c’est l’aura que l’on peut avoir sur les enfants qui peut être plus grande d’un côté que de l’autre. Ce peut être aussi pour des motifs de réussite professionnelle : l’un des deux peut se sentir un peu écrasé par l’autre et finira par vouloir se défendre. Dire du mal de l’autre à l’extérieur du couple, même pour rire, peut devenir rapidement très dangereux. Une jeune épouse m’écrit :

HOMME E t f EMME : l E PROj E t DE DIEU 23

Il est important de s’imposer d’éviter de critiquer ou de se moquer de son conjoint (au petit café entre amies par exemple !). Car cela déforme peu à peu notre regard sur l’autre et cela devient comme un engrenage qui s’alimente au fil du temps. Nous avons vu autour de nous que ces bavardages entre femmes sont toxiques, ils peuvent abîmer la relation de couple. Rien à voir avec un échange profond avec une vraie amie, pour lui confier des difficultés réelles.

Coupé de Dieu par l’orgueil, coupé des autres par la vanité et la jalousie, on se retrouve seul, à tourner en rond sur soi-même. La vie n’a plus de sens, et on en vient à rechercher une jouissance qui, forcément, est déconnectée de l’amour. Au lieu d’être un fruit de l’amour, cette jouissance est recherchée pour elle-même.

C’est là que la spirale de mort devient comme une aspiration vers le bas, un gouffre vers l’angoisse, qui entraîne parfois jusqu’au désespoir. Car cette recherche de jouissance est littéralement insatiable. On devient comme celui qui boit pour oublier qu’il a soif. Mais plus il boit, plus il ignore pourquoi et de quoi il a soif.

C’est le principe de l’addiction. On cherche cette jouissance dans le sexe : la pornographie n’en finit pas de répandre ses ravages, y compris au sein des couples, chez les femmes comme chez les hommes. On peut la chercher dans la drogue, le jeu ou l’alcool. Mais également dans le travail, dans le sport, ou dans toute autre activité ou distraction. On mettra par là le doigt dans des infidélités qui peuvent devenir très graves et destructrices pour le couple. J’y reviendrai plus tard, bien sûr, quand je vous parlerai de la fidélité en particulier. Mais dès maintenant, vous pouvez vous interroger sur vos distractions ou vos activités : sont-elles des forces centrifuges qui vous éloignent l’un de l’autre, ou des forces centripètes qui vous aident à être davantage l’un pour l’autre et l’un par l’autre ?

PUISQUE VOUS AVEZ DÉCIDÉ DE VOUS AIMER… 24

LA HONTE DE LA NUDITÉ :

DIEU CHERCHE L’HOMME

QUI SE CACHE

Bref, le péché divise et enferme, tandis que l’amour unifie et libère. La conséquence la plus terrible du péché, qui est signifiée de façon très suggestive par le texte de la Genèse, c’est que l’homme et la femme ont découvert cette nudité qui leur fait honte désormais. Et ils se sont cachés aux regards du Seigneur. La nudité qu’ils assumaient parfaitement jusqu’ici sans honte, car elle dévoilait à leurs yeux la signification conjugale de leur corps, source joyeuse de don, cette nudité leur fait honte désormais, parce qu’en même temps qu’elle dévoile leur néant devant Dieu, elle révèle l’agression potentielle du regard de l’autre. Le péché a corrompu le regard par la concupiscence. Il s’est comme inversé : il est regard vers soi au lieu d’être regard vers l’autre. Il faut citer le passage tout entier tant il dit parfaitement cette réalité :

Alors leurs yeux à tous deux s’ouvrirent et ils se rendirent compte qu’ils étaient nus. […] Ils entendirent la voix du Seigneur Dieu qui se promenait dans le jardin à la brise du jour. L’homme et sa femme allèrent se cacher aux regards du Seigneur Dieu parmi les arbres du jardin1.

Et au Seigneur qui le cherche, presque angoissé, puisque désormais cette belle relation de confiance est brisée, l’homme ne peut qu’avouer sa honte et sa culpabilité : « J’ai entendu ta voix dans le jardin, j’ai pris peur parce que je suis nu, et je me suis caché2. » Cette honte et cette culpabilité, nous la connaissons tous et nous en faisons l’expérience chaque jour. Et bien entendu, pas seulement dans le domaine sexuel. Ce beau rêve d’indépendance et de liberté

1. Gn 3, 7-8.

2. Gn 3, 10.

HOMME E t f EMME : l E PROj E t DE DIEU 25

s’est retourné contre nous et nous sommes devenus prisonniers de notre péché, au lieu d’être libres sous le regard du Seigneur.

Mais le pire peut-être, c’est qu’à la question : « Qui donc t’a dit que tu étais nu ? Aurais-tu mangé de l’arbre dont je t’avais interdit de manger ? », l’homme répond en accusant la femme que Dieu lui a donnée : « La femme que tu m’as donnée, c’est elle qui m’a donné du fruit de l’arbre, et j’en ai mangé1. »

C’est finalement, comme si l’homme accusait Dieu de lui avoir donné sa femme. Tout à l’heure, il poussait un cri de joie et d’action de grâce ; maintenant, il ne sait plus qu’accuser et dénoncer. La grande affaire du salut, maintenant, c’est Dieu qui cherche à faire sortir l’homme – l’être humain – du buisson où il s’est caché. Et cela sans contraindre sa liberté, car l’amour n’agit jamais par contrainte, mais toujours par attirance. Avec toute la délicatesse de sa miséricorde. Il faudrait relire l’extraordinaire chapitre 54 d’Isaïe, par exemple, dans lequel Dieu se situe comme époux par rapport à l’humanité infidèle.

Ne crains pas, tu ne connaîtras plus la honte ; ne tiens pas compte des outrages, tu n’auras plus à rougir, tu oublieras la honte de ta jeunesse, tu ne te rappelleras plus le déshonneur de ton veuvage. Car ton époux, c’est Celui qui t’a faite, son nom est « Le Seigneur de l’univers »2.

Au fond, on pourrait dire que toute la Bible est contenue entre deux cris. Le premier, c’est celui de Dieu-Époux, tout au début, quand il cherche Adam qui s’est caché : « Où es-tu3 ? » Et le second, tout au bout de la Bible, à la fin de l’Apocalypse, celui de

1. Gn 3, 12.

2. Is 54, 4-5.

3. Gn 3, 9.

PUISQUE VOUS AVEZ DÉCIDÉ DE VOUS AIMER… 26

l’Humanité-Épouse : « L’Esprit et l’Épouse disent, “Viens !” 1 »

Toute la Bible, finalement, c’est l’histoire de l’Époux, le Créateur, qui aide l’homme à sortir sans crainte et à accueillir son amour.

Comment s’y prend-il pour aider Adam à assumer sa nudité et à le faire adhérer à nouveau à son projet d’amour ? Il s’expose, nu, sur la Croix. Il propose sa miséricorde. « N’aie pas peur de ta nudité : moi aussi, je suis nu, et je viens à toi totalement désarmé. » L’amour ne s’impose pas, jamais ! Il s’expose. Je vous ai souvent posé cette question : êtes-vous de l’amour qui s’impose, ou de l’amour qui s’expose ? L’Épouse, c’est l’humanité, enfin retournée, qui appelle l’Époux, c’est l’être humain qui s’ouvre à l’amour. À la fin des temps, l’humanité accueillera enfin l’amour, et l’union véritable pourra advenir. Tous ceux qui le désireront et qui l’accueilleront seront alors introduits au sein de la communion d’amour de la Trinité. Bien sûr, à partir du Christ, ce rapport sera aussi celui de l’alliance du Christ-Époux et de l’Église-Épouse.

Dans la vie de couple, tout cela prend bien sûr une dimension primordiale. Nous l’avons beaucoup dit pendant la préparation de mariage : l’amour conjugal est la grande école de la mise à nu. Pour aimer, il faut se mettre à nu. C’est d’ailleurs pourquoi l’amour nous rend très vulnérables : il faut tomber l’armure, tomber les masques derrière lesquels on se cache si facilement. Je ne peux pas aimer, ni encore moins me laisser aimer, si je ne suis pas en vérité. Autre chose est de se mettre « à poil » : on joue encore un jeu ! Autre chose de se mettre « à nu » : se laisser voir tel que l’on est, en toute vérité, avec ses richesses, mais aussi ses pauvretés et ses faiblesses. Je pourrai me mettre à nu en vérité quand ton regard me revêtira de tendresse et de miséricorde. La voilà, la grande affaire !

1. Ap 22, 17.

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Je vous le redirai le jour de votre mariage, comme je l’ai dit à beaucoup d’autres avant vous : je te regarde, toi, Jules, à l’entrée de la Salle du Trône où le Seigneur t’accueillera dans sa gloire, à la fin de ta vie terrestre. Émerveillé, il te dira : « Jules, comment es-tu si saint ? » Et tu lui répondras, plein de joie et de fierté : « C’est celle que tu m’as donnée, Seigneur. C’est elle qui a fait de moi ce que je suis devant toi ! » Et de la même façon, à vous aussi, Julie, le Seigneur, plein d’admiration, vous demandera : « Oh, Julie, comment es-tu si belle et si sainte ? » Et vous lui répondrez, pleine de reconnaissance : « Gloire à toi, Seigneur ! C’est Jules que tu m’as donné, c’est lui qui a fait de moi qui je suis devant toi aujourd’hui. » Et tous les deux : « Gloire à toi, Seigneur, béni soistu dans les siècles ! » On accusait Dieu et on s’accusait mutuellement. Vous, vous serez dans la joie et l’action de grâce !

Ah oui, vraiment, vive le mariage !

PUISQUE VOUS AVEZ DÉCIDÉ DE VOUS AIMER…

table des matIères

233
IntroductIon ..................................................................... 5 1. Homme et femme : le projet de dIeu ............................ 11 Regardez comme ils s’aiment ! ........................................... 11 Tout commence par une parole d’amour .......................... 13 Gratuité de la création ...................................................... 14 À son image il le créa ........................................................ 15 Homme et femme il les créa : une seule chair .................... 17 La nudité sans honte : signification conjugale du corps ........................................ 20 Le péché et la spirale de mort ........................................... 21 La honte de la nudité : Dieu cherche l’homme qui se cache .................................. 25 2. l’amour conjugal ......................................................... 29 L’homme et la femme : égalité et altérité ........................... 29 Féminité : les batailles de la femme ................................... 37 La bataille de l’intériorité ............................................... 37 La bataille de la coopération ........................................... 38 La bataille de la présence ................................................ 39 Masculinité : les batailles de l’homme ............................... 39 La bataille de la finalité ................................................. 39 La bataille du caractère .................................................. 40 La bataille de la bonté .................................................... 41
PUISQUE VOUS AVEZ DÉCIDÉ DE VOUS AIMER… 234 L’équilibre ........................................................................ 41 Amour et amitié : la passion amoureuse et la fragilité des sentiments .............................................. 45 L’amour ........................................................................ 46 L’amitié ......................................................................... 49 Trois étapes pour l’amour ................................................. 51 3. la sexualIté .................................................................. 55 Dieu vit que cela était très bon ......................................... 56 La vérité du don ............................................................... 59 La chasteté ........................................................................ 61 Le désir ............................................................................. 67 Sensualité, sexualité et concupiscence ............................... 70 La préparation du don conjugal ........................................ 72 Le don conjugal ................................................................ 79 L’éveil ............................................................................ 79 La phase en plateau ........................................................ 82 Le repos ......................................................................... 84 Les mutilations de l’acte conjugal ..................................... 85 4. devenIr une famIlle ...................................................... 89 Un bouleversement du couple .......................................... 89 Paternité et maternité responsables ................................... 92 Des points de repère pour discerner .................................. 99 Le premier, c’est la santé de la maman ........................... 100 Le deuxième, c’est le critère économique ......................... 101 Le troisième, c’est une question de disponibilité ............... 103 Rester couple en étant parents ........................................ 105 La nounou et les activités des enfants .............................. 108 La belle-famille ............................................................... 109 5. le couple à l’épreuve de la durée .............................. 115 L’indissolubilité, par nature, de l’amour .......................... 115 La liberté, condition sine qua non de l’amour .................. 123
tA bl E DES MAt I è RES 235 La fidélité, preuve d’amour ............................................. 127 L’obéissance mutuelle et la confiance .............................. 131 Équilibrer vie personnelle et vie professionnelle ............... 134 La vie sociale et mondaine ............................................ 136 La gratitude ................................................................ 136 Un temps pour parler, un temps pour se taire ................. 137 Le voyage de noces annuel ............................................. 139 Le dialogue entre époux ................................................ 142 Les disputes et les crises ................................................. 145 Le drame de l’adultère .................................................. 148 Le pardon mutuel : don, pardon, abandon ...................... 152 La tendresse et la délicatesse ............................................ 156 Les joies de l’amour ........................................................ 158 6. les épreuves dans la vIe de couple ............................. 161 La croix, notre espérance ................................................ 161 L’enfant et le mystère de la croix ..................................... 167 L’enfant qui ne vient pas ............................................... 167 La fausse couche ........................................................... 173 L’enfant prématuré, le nourrisson à l’hôpital .................. 175 L’enfant handicapé ....................................................... 176 La mort d’un enfant ..................................................... 178 Les parents qui vieillissent .............................................. 179 Le chômage .................................................................... 181 La maladie ...................................................................... 183 Le veuvage, la grande épreuve ......................................... 187 7. la vIe spIrItuelle du couple ....................................... 193 Ce mystère est grand ! ..................................................... 193 La vie chrétienne et les engagements dans la vie paroissiale ...................................................... 199 Ne pas rester seuls ......................................................... 199 La paroisse ................................................................... 201
PUISQUE VOUS AVEZ DÉCIDÉ DE VOUS AIMER… Les sessions familiales et les retraites ............................... 202 La prière en trois dimensions .......................................... 203 La prière personnelle .................................................... 204 La prière de couple ....................................................... 205 La prière familiale ....................................................... 209 Les sacrements qui entretiennent le mariage : pardon et eucharistie ...................................................... 210 Le sacrement de réconciliation ....................................... 210 L’eucharistie ................................................................. 212 Quand l’un des conjoints n’est pas croyant ..................... 216 mercI d’oser : soyez fous ! .............................................. 221 remercIements ................................................................ 225 pour nourrIr son couple ............................................... 227

« Ceux qui vous précèdent sur ce chemin me l’ont enseigné : les premières années de mariage ne sont pas les plus faciles, et les pièges sont nombreux. C’est comme pour les petits enfants : c’est plein de promesses, mais tout est malléable et fragile encore. Il faut sans cesse vérifier les fondations, corriger le tir sur tel ou tel aspect de la vie de couple ou de la vie familiale… Prendre du temps pour s’écouter, pour parler, pour prier. Prendre du temps : une affaire si importante que j’y reviendrai abondamment dans ces pages.

Car je me suis laissé faire encore une fois, par vous et beaucoup d’autres couples avec vous, qui m’ont demandé depuis longtemps d’écrire nos conversations, comme je l’avais fait déjà pour les prêtres. […]

En vous écrivant à vous deux, Jules et Julie, au moment où vous vous lancez dans l’aventure, c’est à tous les couples que je voudrais m’adresser. Pas tant pour enseigner une doctrine que pour écouter, encourager, consoler, corriger au besoin, admirer. Et vous transmettre quelque chose de l’immense tendresse que le Seigneur m’a donné d’éprouver pour vous tous qui me lisez. »

Père François Potez.

Né en 1955, diplômé de l’École navale (promotion 1976), François Potez quitte la Marine en 1982 et entre chez les Frères de Saint-Jean. Ordonné prêtre en 1989, il passe une dizaine d’années au service des jeunes et de l’éducation. Incardiné dans le diocèse de Paris en 1997, il est actuellement curé de la paroisse Saint-Philippe-du-Roule. Son premier ouvrage, La Grave Allégresse, a reçu le prix 2023 de littérature religieuse.

www.mameeditions.com

15,90 € TTC France
Photo : © Famille chrétienne.

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