Guillemette et la montgolfière

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Il semblerait cependant que tout le monde ne soit pas aussi enthousiaste que Guillemette à l’idée de cette avancée scientifique. Qui donc se cache derrière les accidents et les lettres de menace ? Et qui donc est ce Jean qu’évoque monsieur d’Angely à Guillemette après son accident ?

Guillemette et la montgolfière, une aventure historique pleine d’intrigues où souffle un vent de liberté.

La série historique « La famille d’Angely » vous fera vivre les grandes découvertes scientifiques des derniers siècles à travers les aventures des différents membres de cette famille où la passion des sciences et l’émerveillement se transmet de génération en génération.

Guillemette et la mOntgOlfière

Guillemette est l’aînée des quatre filles de la famille d’Angely. Passionnée par les sciences, elle partage l’amour des grandes découvertes avec son père, dont elle admire les recherches dans ce domaine. Le jour où monsieur d’Angely est victime d’un accident de calèche, Guillemette rencontre François Rosambeau, le cousin des frères Montgolfier. Ces grands scientifiques viennent de découvrir que l’air chaud est plus léger que l’air froid, et sont en train de créer le premier ballon volant… la montgolfière ! Aidés par Guillemette, ils se préparent pour un grand événement : faire décoller la première montgolfière devant le roi Louis XVI et la reine Marie-Antoinette, dans les jardins de Versailles !

Marie Malcurat Johanna Springer

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Marie Malcurat

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Paris, août 1783.

Félicité, assise auprès de sa mère dans le salon, commençait à trouver le temps long. Ses trois sœurs s’étaient levées tôt ce matin pour se rendre chez le drapier avec leur père. Elles devaient y acheter le tissu nécessaire à la confection de nouvelles robes. Madame d’Angely était confortablement installée dans son fauteuil en bois sculpté. Elle brodait. Son geste mimait le vol d’un papillon. À la fois gracieux et agile, ferme et doux, précis et minutieux. Sa main guidait la danse du fil. Félicité, malgré l’impatience de ses quatorze ans, se laissa happer par le spectacle que sa mère lui offrait. Quelle magnifique robe de mousseline blanche porte-t-elle,

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songeait la jeune fille en l’admirant. J’espère que mes sœurs auront su trouver une qualité de tissu identique. Sa rêverie fut brusquement interrompue par l’arrivée tonitruante de deux jeunes filles échevelées, ses sœurs : Suzanne et Élisabeth. Elles étaient âgées de respectivement seize et dix-huit ans et avaient des physionomies si différentes que nul ne pouvait deviner le lien de sang qui était le leur. La première était châtain clair et grande ; la seconde brune et petite. « Mère ! Mère ! Nous avons eu un accident de calèche. Père va mal ! » Blême, madame d’Angely laissa échapper son ouvrage et se leva prestement. Félicité la devança et se précipita dans la cour d’honneur de leur hôtel particulier. Adossé à une roue de l’élégante voiture, un homme attendait. La maîtresse de maison arriva à son tour. « Mais… Il ne s’agit point de mon époux ! Où estil ? » Guillemette, l’aînée des quatre filles, était assise sur la banquette, à l’arrière de la calèche. Quelques mèches de sa chevelure châtaine ondulée s’échappaient de son chapeau. Visiblement, elle avait été secouée. Avec une

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douceur qui lui était peu habituelle, elle caressait la tête de son père, posée sur ses genoux. « Il est ici. Nous n’avons osé le descendre de la calèche. Le choc a été violent. L’homme que vous voyez assis là nous a percutés. Nous l’avons emmené avec nous. » Il faut dire qu’en cette année 1783, les rues de Paris étaient encombrées d’une multitude de piétons, de chevaux et de carrosses. L’agitation et la saleté agressaient quiconque n’y était point habitué. Guillemette épongea avec son mouchoir les gouttes de sueur qui perlaient sur le front de son père. Non loin, les badauds s’agglutinaient devant la porte cochère, formant une foule de plus en plus compacte. Pour sûr, les piétons qui se faisaient renverser, on ne les comptait plus ! Pourtant, l’événement n’en restait pas moins attrayant, rompant la monotonie de cette vie urbaine souvent bien ingrate. Qui plus est, lorsqu’il s’agissait d’une noble famille ! Le malheur chez les malheureux n’a rien de vraiment extraordinaire. Il est même plutôt d’une grande banalité. En revanche, lorsqu’il frappe à la porte des grands de ce monde, on ne saurait faire autrement que de s’en laisser étonner.

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Monsieur d’Angely faisait partie de ces personnes à qui la vie semblait avoir toujours souri. Dans son hôtel particulier, entouré de sa charmante épouse et de ses quatre filles, ce gentilhomme menait une vie particulièrement douce. Plusieurs fois par semaine, il se rendait à la cour du roi afin d’y enseigner les sciences aux enfants de la famille royale. Louis XVI y tenait encore plus que Louis XV, son grand-père. Mais, pour l’heure, monsieur d’Angely était en bien mauvaise posture. Derrière ses yeux clos, la vie semblait avoir quitté son corps. Madame d’Angely, bouleversée, se ressaisit et enjoignit à Firmin, son valet, de courir mander le sieur Hoguenot, médecin de la famille. Pendant ce temps, le portier avait mené l’autre blessé à l’intérieur du logis. Sur la banquette, Guillemette avait été rejointe par Élisabeth. Toutes deux essayaient de ranimer leur père chéri en lui parlant. Au pied du véhicule, Suzanne et Félicité soutenaient leur mère éplorée. Une longue demi-heure s’écoula, avant qu’enfin, l’homme de sciences tant attendu ne passât la porte cochère. En apercevant le corps inerte du gentilhomme étendu sur la banquette, il sut qu’il ne s’était pas déplacé en vain. Sans mot dire, il se hissa auprès du blessé et

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posa sa main sur son cou, cherchant à percevoir un pouls. Parbleu ! Un homme encore jeune comme cet homme-ci ne peut perdre la vie ! songeait-il. Le médecin décocha deux claques retentissantes sur les joues de son patient. Le choc fut aussi brutal que le résultat immédiat. Monsieur d’Angely ouvrit les yeux, hagard. Guillemette laissa échapper un soupir de soulagement. La demoiselle, qui allait bientôt entrer dans sa vingtième année, n’était pas d’un tempérament inquiet. Mais il faut l’avouer, cette fois-ci, son père lui avait fait grand-peur. Guillemette lui vouait une admiration sans bornes. Depuis qu’elle avait atteint l’âge de raison, il l’avait autorisée à pénétrer dans son cabinet de travail. Là, au milieu des fioles, des tubes, des compas, des balances, elle ne se lassait pas de l’observer et d’assister en avant-première aux expériences scientifiques qu’il envisageait de dévoiler à la Cour. Toutes n’aboutissaient pas, mais certaines lui avaient valu d’être remarqué et surtout chaleureusement félicité par le monarque. Un tel père ne méritait pas de mourir ainsi à cause d’un piéton imprudent qui s’était presque jeté sous les roues de la calèche. Il avait juste voulu l’éviter. Si seulement la capote de la voiture n’avait point été ouverte ! Peut-être que, malgré les soubresauts des

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chevaux, monsieur d’Angely ne serait pas violemment tombé au sol ! Le médecin sortit de sa sacoche une fiole en verre dont il ôta le bouchon d’un geste vif. Il la porta aux lèvres du blessé. Celui-ci grimaça mais avala le breuvage. « Cet homme est robuste. Il est juste engourdi et va promptement recouvrer la santé. D’ici quelques jours, pour la fête de l’Assomption, il n’y paraîtra plus. Menons-le dans votre demeure et couchons-le. » Le valet, le portier et le médecin descendirent donc le blessé de la calèche tout en le soutenant, car visiblement, ses jambes ne pouvaient plus le porter. Ils pénétrèrent dans le vestibule et furent menés par la maîtresse de maison jusque dans la chambre à coucher du gentilhomme, située au rez-de-chaussée. Madame d’Angely et ses filles occupaient, quant à elles, des appartements privés à l’étage de la maison, car ils disposaient de bas plafonds et étaient ainsi mieux chauffés en hiver. Il ne fallut pas longtemps au médecin pour installer convenablement son blessé et ressortir de la chambre le sourire aux lèvres. Les quatre jeunes filles l’attendaient impatiemment à l’entrée des appartements de leur père. Il sut trouver

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les mots qui les rassurèrent totalement. Une voix grave interrompit pourtant leur conversation et leur rappela que l’autre blessé n’avait pas été ausculté. Âgé d’une trentaine d’années, le jeune homme venait tout juste de récupérer. Il s’adressait à Firmin avec force gestes. « Dame ! Je m’en vais immédiatement quitter cet endroit. Que vous le vouliez ou non ! Je suis attendu à la Folie Titon. Le temps m’est compté. » Il se tenait dans l’embrasure de la porte du grand salon lorsque les quatre sœurs arrivèrent à lui. Guillemette essaya de lui faire entendre raison en lui demandant de se laisser examiner par le docteur Hoguenot. « Enfin, monsieur ! Il y va de votre santé ! J’ai bien vu le choc que vous avez subi en heurtant si violemment les roues de notre calèche. » L’homme ne put réprimer un petit sourire malicieux. « Diantre ! Quel choc, en effet ! Fort heureusement, j’ai un bon ange gardien. Il me protège des cochers malhabiles ! » Piquées au vif par l’insulte faite à leur père, qui n’était ni cocher ni malhabile, les jeunes filles ne voulurent pas insister plus. Elles laissèrent partir le jeune homme sans chercher à le retenir. Celui-ci les

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salua poliment, mais un sourire gouailleur se dessinait sur ses lèvres. Dans son dos, elles purent constater que sa veste de brocart était déchirée et que ses bas de soie étaient complètement distendus. Sa démarche était toute claudicante. Peu importe ! Cet homme, par son outrecuidance, ne méritait vraiment pas qu’on s’intéresse à lui. Et puis, après tout, n’était-ce pas lui qui avait traversé la route quitte à risquer de se faire renverser par les nombreuses calèches qui battaient le pavé parisien ? Lorsque les demoiselles se retrouvèrent tout à fait seules, elles poussèrent un soupir de soulagement. Non que le départ du jeune homme leur importât vraiment, mais elles ne pouvaient s’empêcher de penser que leur père avait échappé de peu à une mort prématurée. Guillemette laissa éclater sa joie et entreprit quelques pas de danse entraînant avec elle Félicité, sa sœur et filleule. Jeanne, la vieille femme de chambre de la maison, couvait du regard celles qu’elle avait vu grandir sous ce toit. Ne vivait-elle pas au cœur de cette famille comme si elle était sienne ? Elle, qui avait quitté père et mère dès la fin de l’enfance, avait trouvé ici bien plus qu’un simple travail.

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« Mesdemoiselles ! Vos achats de ce matin ont été déposés dans vos appartements. Souhaitez-vous que je fasse venir la couturière afin qu’elle puisse prendre note de vos désirs ? » Guillemette, tout en reprenant son souffle, refusa la proposition ; ce qui ne manqua point d’étonner ses sœurs. Pourtant, celles-ci ne firent aucune objection. Leur aînée devait avoir une bonne raison pour agir ainsi. Elles lui emboîtèrent donc le pas dans les escaliers. Quelle joie de se retrouver dans le petit salon aménagé avec tant de goût par leur mère ! L’éclairage doux du chandelier allié à la lumière vivante du feu dans l’âtre donnait un caractère intimiste et feutré à cet endroit raffiné. À droite de l’imposante cheminée se dressait, majestueuse, l’immense bibliothèque dont les filles d’Angely étaient si fières. Père encourageait leur curiosité naturelle et favorisait leur soif de connaissances. Guillemette fit signe à ses sœurs de s’asseoir dans les bergères1 Louis XV en velours rose pâle. Les yeux pétillants d’une joie non dissimulée, elle étala avec fougue les étoffes achetées plus tôt le matin. De magnifiques toiles de coton bleues et dorées.

1. Bergères : larges fauteuils rembourrés. Ils apparaissent dès 1720.

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« Je vous dois la vérité, mes sœurs chéries. Ces tissus ne serviront pas à l’usage prévu. Point de robes, point de manteaux ! Père a très récemment appris que deux frères de notre royaume de France viennent de faire une découverte incroyable. Figurez-vous que l’air chaud est plus léger que l’air froid ! » Devant les regards inexpressifs de ses sœurs, la jeune fille saisit une chemise appartenant à leur père et qui semblait avoir volontairement été posée sur la pile de bûches jouxtant la cheminée. Sous les yeux ébahis des trois filles, elle la plaça au-dessus des flammes tout en la tenant par le col. Celle-ci, au lieu de tomber dans les braises, se gonfla et prit la forme d’une balle. Le spectacle était époustouflant. « Attention ! s’écria Suzanne, se levant d’un bond. La chemise prend feu ! » Toute à sa joie, Guillemette n’avait pas vu l’étincelle s’envoler du brasier et venir se poser sur les fibres de coton. Prestement, elle retira l’étoffe et sauta à pieds joints sur les flammes virevoltantes qui essayaient de grignoter la toile et de s’étendre. Plus de peur que de mal ! La jeune fille ne put que constater l’ampleur des dégâts : la chemise ne pourrait plus être portée. Elle était partagée entre la déception de n’avoir pu mener

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à bien son expérience et la joie d’avoir montré à ses sœurs l’ébauche de ce qui allait sans aucun doute aboutir à une prouesse incroyable ! Un jour, peut-être, on pourrait construire des machines qui voleraient ! « Rendez-vous compte ! Ces messieurs Montgolfier sont des génies ! » Jusqu’à présent, aucune des spectatrices n’avait ouvert la bouche. Comment commenter ce qui, au premier abord, ne leur semblait nullement une prouesse ? Comment avouer qu’elles ne comprenaient pas le rapport entre cette chemise gonflée au-dessus des flammes et les achats de tissu réalisés le matin ? Félicité usa du privilège que lui donnait sa place de benjamine pour dire avec un soupçon de malice : « Tu ne songes tout de même pas à faire brûler ces magnifiques tissus dans l’âtre ? » Les trois plus jeunes pouffèrent de rire tant l’image semblait grotesque  ! Guillemette nourrissait les sentiments les plus tendres vis-à-vis de sa plus jeune sœur. Pourtant, sa question la piqua. « Mais enfin, Félicité ! C’est évident ! Nous allons, à l’instar des frères Montgolfier, chercher à faire voler nous aussi une balle de toile et, qui sait, peut-être trouver comment se déplacer dans les airs ! N’as-tu 17

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jamais rêvé d’être aussi libre qu’un oiseau ? N’as-tu jamais songé que tu pourrais un jour voler au-dessus des toits de Paris et embrasser du regard l’ensemble de nos rues, de nos maisons, de nos églises ? » Une telle fougue ne fut pas longue à convaincre l’auditoire familial. « Mes chères sœurs, je compte sur votre habileté et votre talent à manier les aiguilles. Nous allons confectionner une toile qui emprisonnera l’air chaud et qui montera jusqu’au firmament ! Père m’a donné sa bénédiction pour mener à bien cette expérience fabuleuse. » En dépit de son attrait incontestable pour la science, Guillemette n’en demeurait pas moins sensible et poète. La flamme qui poursuivait sa danse dans l’âtre ressemblait à celle qui pétillait dans son regard. Le futur lui appartenait. Sa jeunesse et ses rêves l’entraînaient comme un jeune cheval au galop, sans jamais s’arrêter. Peu importaient les obstacles. Cataclop ! Cataclop ! Au même instant, trois petits coups retentirent à la porte du salon où les jeunes filles se tenaient. Madame d’Angely n’attendit point qu’on lui permît d’entrer. Elle aimait retrouver ses filles dans cette atmosphère ouatée. Les tapisseries fleuries ajoutaient un charme

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bucolique qui était loin de lui déplaire. Jetant un regard attendri au portrait en pied de feu sa mère, elle se félicita de l’avoir fait accrocher sur ce mur. Ainsi, il lui semblait que l’aïeule veillait sur ses petites filles qu’elle avait à peine eu le temps de connaître de son vivant. Suzanne se leva d’un bond pour laisser la bergère à sa mère. Celle-ci lui en sut gré et lui caressa délicatement la main. « Comment va Père ? demanda la jeune fille. – Il s’est endormi après avoir trouvé la force de me confier le tourment qui assaille son esprit depuis qu’il a recouvré toute sa raison. » Le silence respectueux qui accueillit ce début de confidence encouragea madame d’Angely à poursuivre : « Votre père m’a affirmé être prêt à mettre sa tête sur le billot que cet accident n’était pas dû à une mauvaise fortune. “Pour sûr, m’a-t-il dit en ces termes, cet événement qui aurait pu nous coûter la vie est un acte malveillant”. » Comment ne pas immédiatement songer à cet individu, ce blessé parti si vite une heure plus tôt ?

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Aurait-il volontairement provoqué la chute de leur père en se jetant dans les roues du carrosse ? Mais pourquoi, diable, se serait-il mis ainsi en danger ? Dans quel but ? Guillemette essaya de se rappeler les traits de l’homme. Grand, mince, brun, l’air crâne. Certes, l’ironie de son regard le rendait quelque peu irritant mais point méchant. « Mes filles, votre père m’a intimé l’ordre d’être prudente désormais. Si quelqu’un désire notre perte, nous ne devons lui donner nulle occasion de mener à bien ce funeste dessein. » Troublées par les terribles confidences maternelles, aucune des sœurs n’entendit Jeanne arriver. La discrétion faisant partie de la qualité du service, il était impensable qu’une femme de chambre se fasse remarquer sans raison. Quelle joie de procurer un beau et bon service ! N’était-ce pas là que résidait ce que l’on appelait l’élégance à la française ? Jeanne en était fière et mettait son honneur à exercer ce qu’elle considérait comme un art. Pourtant, il lui fallut déroger à cette règle de la mesure et de la retenue. Elle se mit à crier : « Monsieur d’Angely est au plus mal ! Firmin m’a sommée de venir vous chercher de toute urgence ! Il pense que ce sont ses derniers instants. »

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Le sang de madame d’Angely se glaça dans ses veines. Son époux ! Celui avec qui elle partageait sa vie depuis plus de vingt ans ! Ce n’était pas possible ! Il ne pouvait pas partir et la laisser. Pas si vite ! « Mais enfin ! Je l’ai quitté il y a peu et tout allait bien. Que me racontez-vous là, Jeanne ? – Je suis bien navrée, madame, mais c’est la vérité. Monsieur d’Angely a crié qu’il avait du mal à respirer, qu’il se sentait partir et qu’il voulait vous voir. Vous, et ses filles. » Mettant de côté toute bienséance, les quatre sœurs n’attendirent point d’avoir plus d’explications pour sortir précipitamment du salon et se rendre en hâte au chevet de leur père. Guillemette, la première, traversa ses appartements. Elle en connaissait les moindres recoins puisque le cabinet de travail s’y trouvait. Mais aujourd’hui, l’odeur du vieux papier, mélangée à celle des fumées, ne lui était point agréable. Père n’allait pas bien. Lorsqu’elle pénétra dans la chambre où se trouvait le lit à baldaquin, Guillemette reçut comme un coup de poignard au cœur. Son père avait été surélevé au moyen d’oreillers en plumes d’oie. Son teint était blafard. Sa respiration rauque. Son regard vide. Guillemette se précipita au bord du lit

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et lui saisit la main. Lentement, le blessé tourna son visage vers la jeune fille. Son regard s’illumina. « Guillemette ! Pardonnez-moi ! Je vais partir. Mon heure est arrivée. Il faut que vous retrouviez Jean… J’ai trop aimé la science… Ne commettez pas la même erreur que moi, ma petite fille… Par ma faute, votre mère souffre comme aucune femme ne mérite de souffrir ici-bas… – Père, reposez-vous ! Vous allez guérir ! Le docteur Hoguenot va revenir. Il va trouver ce qu’il se passe. – Non, mon enfant ! La science ne peut pas tout. La vie, c’est Dieu qui la donne, c’est Dieu qui la reprend. Faites plutôt venir monsieur le curé pour que je puisse recevoir le dernier des sacrements. Que je puisse me confesser. Je ne peux partir en ayant ce lourd péché sur la conscience. Jean… » Guillemette serra les dents et essuya d’un geste brusque les larmes qui coulaient sur ses joues. Elle sortit, faisant entrer ses trois sœurs et sa mère qui n’avaient osé pénétrer cet endroit qui sentait la mort. « Je vais faire appeler monsieur le curé. C’est la volonté de Père. »

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Une heure s’écoula. Tour à tour, les filles, effondrées de chagrin, s’approchèrent de celui qu’elles aimaient tant. Ils échangèrent leurs derniers mots doux, leurs derniers regards, leurs derniers baisers. Puis, madame d’Angely resta seule avec son époux. Elle se pencha vers lui pour murmurer à son oreille : « Mon chéri, ne soyez pas trop sévère envers vousmême. Ayez confiance en la miséricorde divine. Dieu le Père pardonnera vos erreurs. Moi, je vous ai pardonné. » Un profond silence accueillit cette déclaration intime. Une larme perla au coin de l’œil du mourant. Monsieur d’Angely ferma les yeux, puisant dans ses dernières forces pour pouvoir parler : «  Merci… de m’accorder ainsi votre pardon… Je peux partir en paix… » Le prêtre arriva. C’était un homme brun, élancé, vêtu d’une soutane noire. Seul le rabat sous son cou était entouré d’un liseré blanc. Ses grands yeux brillants, son port de tête souple, son sourire paisible laissaient deviner qu’il était bon et soucieux d’accomplir son devoir de prêtre correctement  ; derrière lui, un jeune garçon plutôt chétif portait une sacoche contenant le nécessaire pour que puisse être

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donnée l­’extrême-onction. Tous deux se préparèrent rapidement. Ils enfilèrent leur aube blanche. Elles luisaient sous les rayons éclatants du jour. Les dentelles au bout de leurs manches semblaient semer des fleurs sur le lit de l’agonisant. Le prêtre posa un grand crucifix sur la poitrine du malade et commença à lire les prières sacramentelles. « Confiteor… » Le jeune garçon lui tendit les huiles saintes. Avec une tendresse paternelle, l’homme de Dieu en oignit le front de celui qui semblait être redevenu comme un petit enfant au jour de son baptême. « In nomine Patris, et Filii, et Spiritus Sancti ». À ces mots, le corps de monsieur d’Angely eut un sursaut, puis sa tête retomba sur l’oreiller comme une poupée de chiffon. Sa poitrine cessa de bouger. Son râle s’arrêta. Un silence pesant s’abattit dans la chambre. Madame d’Angely s’approcha et baisa la main de son époux avec beaucoup de dignité. Félicité se mit à sangloter. Guillemette la prit tendrement contre elle tout en ne cessant de regarder celui qu’elle admirait tant. Suzanne et Élisabeth restèrent raides, stoïques, froides comme des statues de bronze. L’émotion était trop grande et les pétrifiait.

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Les événements s’enchaînèrent. Inexorablement. Le personnel de la maison prit les choses en main pour que le corps du maître puisse être veillé dignement. On procéda à la toilette mortuaire, puis tout fut organisé rapidement. Famille, voisins, amis furent informés du départ brutal de cet homme aimé de tous. Papiers, veillée funèbre, cérémonie : on ne laissa rien au hasard. Les vêtements de deuil furent cousus et portés. Madame d’Angely sut tenir son rang et le rôle qu’elle avait à jouer. Elle avait l’impression d’être une de ces actrices qui se donnaient en spectacle sur les scènes de théâtre. Une marionnette bien articulée qu’un marionnettiste invisible ferait marcher grâce à des fils. Un pantin. Ce qu’elle pensait ne jamais réussir à faire, elle le fit. Entourée de ses quatre filles, l’épouse accompagna le corps de son époux jusqu’au cimetière. Elle regarda le cercueil être mis en terre. Madame d’Angely quitta son bien-aimé sans s’effondrer devant les nombreuses personnes présentes pour ce dernier adieu. Elle rentra dans la demeure familiale et s’y enferma plusieurs jours, refusant toute nourriture. Rien ni personne ne parvenait à la faire sortir de cet état de torpeur dans lequel subitement elle était plongée. Ses filles avaient

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besoin d’elle. Elle le savait ! Mais, impossible. Sa vie semblait l’avoir quittée en même temps que celle de son époux.

En trois jours, tout avait basculé. Les vies de Guillemette, Élisabeth, Suzanne et Félicité venaient de s’effondrer. Plus rien ne serait comme avant.

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F rançois Rosambeau

Trois semaines s’écoulèrent ainsi. Guillemette prit son rôle d’aînée très à cœur et porta la maisonnée à bout de bras. Chaque jour, à heure fixe, à la place de sa mère, elle passait pour contrôler la maison : surveillance de l’activité des domestiques, ordre, propreté. Elle reprit même les leçons de catéchisme quotidiennes dispensées au personnel. Sa mère s’était écroulée sous le poids du chagrin et n’arrivait plus à faire face. Tout lui était devenu insupportable. Elle pleurait durant des heures jusqu’à ce que la fatigue l’emporte dans un sommeil sans rêves. Guillemette avait pris le relais. Ses habits de deuil étaient simples mais lui donnaient une certaine maturité.

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François Rosambeau

Lorsque Jeanne lui fit savoir qu’un homme attendait dans le petit salon, la jeune fille se demanda tout de même si elle saurait véritablement remplacer sa mère. Qui cela pouvait-il bien être ? Encore un de ces notaires, huissiers ou hommes de loi ? Vaillamment, elle se rendit là où l’homme patientait. «  Courage  !  » lui souffla Jeanne, tandis qu’elle s’apprêtait à pousser la lourde porte en bois sculptée. Guillemette lui rendit un faible sourire, consciente qu’avec sa femme de chambre, il n’était nul besoin de se montrer plus forte qu’elle ne l’était en réalité. Jeanne représentait la tante qu’elle aurait rêvé d’avoir. C’était une femme un peu ronde, avec des yeux noisette, pétillants, et des mèches brunes qui s’échappaient de son fichu. Son grand tablier était toujours d’un blanc immaculé, ce qui ne manquait point de surprendre les filles d’Angely qui savaient combien Jeanne ne rechignait point à accomplir les tâches les plus ingrates. Elle posait toujours un regard bienveillant sur les personnes qu’elle rencontrait. La vie lui avait appris à se réjouir de tout. À son contact, on ne pouvait que se sentir plus fort et plus heureux. Guillemette inspira profondément, rajusta son caraco et entra dans le petit salon. Lorsqu’elle posa son

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regard sur le visiteur, elle crut défaillir. Il s’agissait de l’homme qui avait provoqué l’accident dont son père ne s’était point remis. Vraiment, quel toupet ! Quel affront ! La jeune fille resta muette de stupeur. «  Mademoiselle, commença le jeune homme faiblement, permettez-moi de me présenter. Je ne l’ai point fait l’autre jour lorsque je suis parti avec si peu de civilité. Je ne pensais, en vérité, qu’au rendez-vous que j’allais manquer et pour lequel je suis venu de ma province. Veuillez m’en pardonner. Je m’appelle François Rosambeau. Je viens d’Annonay, une ville qui se trouve au sud du royaume. Je suis arrivé à Paris avec un ami, il y a quelques semaines. » Guillemette n’eut ni la force de l’interrompre, ni celle de regarder dans les yeux cet homme qui venait ranimer sa blessure encore fraîche et terriblement douloureuse. Elle le laissa parler. « Je suis venu vous présenter mes condoléances. J’ai appris le décès de votre père et j’en suis bouleversé. J’ai longtemps hésité avant d’oser venir vous voir, mais je n’en dors plus la nuit. Il faut que vous sachiez. Le jour de l’accident, les événements se sont enchaînés si vite que, sur le coup, j’ai réellement cru que votre père était un piètre cocher. Toute ma vie durant, je

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m’en voudrai d’avoir eu de telles pensées. Au calme, je me suis remémoré le déroulement de ces funestes instants. J’en suis arrivé à la conclusion, et même, dirais-je, la certitude, que quelqu’un a planifié cet accident. On a voulu me tuer ! » À ces mots, la jeune fille fut incapable de rester plus longtemps debout. Elle s’assit dans l’immense canapé corbeille et fit signe au jeune homme de faire de même. Courageusement, il reprit : « Je ne suis pas encore habitué aux rues parisiennes et à leur foisonnement, vous savez ! J’avais rendezvous faubourg Saint-Antoine chez un certain monsieur Réveillon et je n’arrivais point à trouver mon chemin. Apparemment, mon embarras était visible puisqu’un homme s’est approché de moi et a proposé de me servir de guide. Ce que j’ai immédiatement accepté. Il me semblait honnête, serviable et tout à fait sincère. Nous avons marché côte à côte pendant un bon quart d’heure. Il était peu loquace. Tout à coup, sans que je ne m’y attende, mon guide s’est arrêté. Un homme, de l’autre côté de la route, lui a fait un grand geste. J’ai cru qu’ils se saluaient. Quelle erreur ! Il s’agissait sans nul doute d’un signe convenu. Une calèche est arrivée sur notre droite. La vôtre. Lorsqu’elle fut à

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notre hauteur, l’homme a empoigné mon pourpoint et m’a violemment poussé sous ses roues. Votre père a essayé de m’éviter. Il a en partie réussi et c’est ce qui a provoqué sa chute. Je lui dois la vie. Comment ai-je pu, par la suite, si facilement occulter cette violente pression qui m’a précipité sous vos roues ? Comment ai-je pu partir comme un voleur sans me préoccuper de la santé de votre père ? Vous m’aviez amené chez vous avec tant de bonté. » Le jeune homme, visiblement très ému et contrit, se tut et s’affaissa dans le fauteuil. Guillemette, les yeux voilés de larmes, posa son regard sur lui. Sa chevelure

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brune nouée en catogan encadrait son visage triste et abattu. La vulnérabilité d’un homme, ainsi mise à nu, était un spectacle tellement rare. Elle sut qu’il disait la vérité et son affliction la toucha. Ravalant ses larmes, elle planta ses grands yeux bleus dans ceux du gentilhomme avec une telle bonté qu’il en fut bouleversé. Dépourvue de toute coquetterie exagérée, Guillemette avait un charme naturel que beaucoup de jeunes filles lui enviaient. Le gentilhomme, qui n’avait jusqu’à présent vécu que pour son travail, comprit que sa vie venait de basculer. Que désormais, seule cette jeune fille donnerait un sens à son existence. Il avait envie de la serrer contre son cœur ; lui dire qu’il serait toujours là pour elle. Qu’elle pourrait s’appuyer sur lui ; qu’il l’aiderait à surmonter la mort de son père ; qu’il irait au bout du monde si elle le lui demandait. Mais il n’en fit rien. Il l’écouta parler. « Allons, ne vous en faites pas. Notre père est mort à cause d’un accident. Et Dieu sait combien ils sont fréquents dans nos rues parisiennes surchargées. C’est un malheureux hasard si sa tête a violemment cogné le pavé. D’après le médecin, le sang a envahi son cerveau. Nul n’aurait rien pu y faire. Je vous

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remercie pour vos confidences et votre humilité. Elles témoignent que vous êtes sans nul doute un homme de valeur. Je transmettrai à ma mère et mes sœurs ce que vous venez de m’apprendre. » Évoquer ainsi les dernières heures de son père était une vraie torture intérieure pour Guillemette. François le vit, le comprit et en fut peiné. Il aurait aimé prolonger ces instants aux côtés de la jeune fille, mais, par respect pour elle, il se leva, prit son tricorne et la salua pudiquement. Il s’apprêtait à ouvrir la porte lorsque Guillemette le rappela : « Monsieur ! Il m’a semblé vous entendre dire que vous veniez d’Annonay. Me trompé-je ou est-ce bien là-bas qu’on a réussi à faire voler un globe en toile ? Mon père était un scientifique, vous savez. Il avait entendu parler de ces recherches et m’en avait fait part. » François, surpris, sourit. Comment aurait-il pu penser ou espérer qu’une jeune Parisienne s’intéresse aux expériences menées à Annonay ? Et que cette jeune fille, justement, soit celle qui, pour la première fois de sa vie, venait d’émouvoir son cœur ? C’était inouï. Il hocha la tête en signe d’assentiment.

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« Vous ne vous trompez pas, mademoiselle. C’est bien là-bas, à Annonay, que deux des frères Montgolfier ont fait voler ce globe. » Vivement intéressée, Guillemette l’invita à poursuivre et à donner plus de détails. Sa curiosité lui fit occulter un instant le tragique accident de son père. « Mais comment ont-ils fait, exactement ? – Eh bien ! ils ont attisé sous ce globe un feu de paille et de laine mouillées pour obtenir beaucoup de fumée. Ce fut un moment spectaculaire. Jamais je n’oublierai cet instant. Nous étions, avec les ouvriers de la papeterie, dans les jardins de leur manufacture. Le ballon, d’environ trois mètres cubes, s’est élevé dans les airs grâce à l’air chaud. » Tout en racontant cet instant exceptionnel, le jeune homme fit de grands gestes, mimant la scène avec une énergie fabuleuse. Si Guillemette n’avait pas été autant passionnée par le sujet, elle se serait sans doute esclaffée devant les mimiques du narrateur. Bien au contraire, la demoiselle fronça les sourcils et essaya tant bien que mal d’imaginer ce grand moment historique. Les compagnons de la manufacture attisant les flammes. Le ballon qui se gonfle. La sphère qui s’élève dans le ciel.

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François Rosambeau, encouragé par l’intérêt manifeste de la jeune fille, poursuivit de plus belle : « Après ce premier succès, les deux frères n’ont pas voulu en rester là ! Ils ont donc tout de suite cherché à construire un plus gros ballon. – Oui, oui, renchérit Guillemette. Mon père m’a rapporté la suite. Ils ont fait un ballon en toile d’emballage qu’ils ont consolidée par une triple épaisseur de papier. Ce ballon est monté à plus de mille mètres et a parcouru trois kilomètres ! » Guillemette se tut subitement. Son front se plissa. Père aurait tellement aimé connaître la suite de cette aventure ! Ce fut à cet instant précis que la jeune fille prit sa décision. Je vais participer aux recherches entreprises pour conquérir le ciel. Et pourquoi pas voler moi-même un jour ! Elle reprit : « Si vous avez assisté aux premiers essais à Annonay, vous connaissez peut-être les deux frères. Accepteriezvous de m’aider à les rencontrer ? J’ai ouï dire qu’ils veulent venir présenter leur invention au roi en personne ! J’ai une immense admiration pour leur talent et leur esprit novateur. » La conversation ne prenait pas du tout la tournure qu’espérait le jeune homme. Il lui sembla que 37

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Guillemette s’intéressait surtout aux Montgolfier ; qu’il n’était, lui, que le pauvre bougre tout juste utile à la mener à eux. Il essaya de cacher son amertume et se donna une certaine contenance. Après tout, lui aussi avait œuvré pour que les expériences de vol réussissent. Lui aussi avait droit à sa part de gloire ! Il reprit avec assurance : « Pour sûr, mademoiselle ! Je connais les deux frères ! Et je les connais très bien ! Le même sang coule dans nos veines ! Nous sommes cousins ! J’ai huit ans de moins qu’Étienne. Nous avons passé ensemble toute notre enfance. Leur papeterie n’a aucun secret pour moi ! Bon, je dois bien reconnaître que mon cerveau n’est pas aussi rapide que ceux de mes cousins, mais j’ai toujours été là pour encourager leur créativité. J’ai assisté à tous les vols de leurs globes. Et je peux vous dire que, parfois, nous avons eu quelques frayeurs. Vous en déduisez donc les raisons de ma présence à Paris. J’accompagne Étienne qui est venu présenter au roi leur découverte. Comme vous le savez, notre monarque s’y intéresse vivement. Et puis, il faut être honnête, mes cousins ont besoin d’argent pour poursuivre leurs recherches. Jusqu’à présent, ce sont eux qui ont tout payé avec leur propre pécule. »

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Guillemette écouta, amusée, cette longue tirade qui ressemblait presque à un plaidoyer. « Monsieur, puisque vous semblez être honnête avec moi, je me dois de l’être aussi avec vous. Mon père et moi étions extrêmement intéressés par votre découverte. Nous projetions même de construire un globe volant et étions justement allés, le jour de l’accident, acheter du tissu afin d’en construire un et d’expérimenter nous-mêmes un vol. Père donnait des leçons aux enfants de la Cour. Il voulait comprendre et voir ce phénomène incroyable dont il avait entendu parler au détour d’un couloir à Versailles. Notre rencontre est providentielle ! Je ne crois nullement au hasard ! » François resta interdit en entendant une telle confidence, mais il n’eut point l’occasion d’y répondre puisque la porte du salon s’ouvrit brusquement, laissant entrer une madame d’Angely étonnamment gracieuse. Sa robe à paniers noire lui donnait une démarche majestueuse et fascinante. Ses vêtements de deuil ondulaient autour d’elle comme les vagues d’une mer houleuse avant la tempête. Son regard noir, tel un miroir, reflétait la colère qui habitait son âme depuis le décès de son époux.

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« Monsieur, nous n’avons pas été présentés, il me semble, dit-elle sèchement. Mais je viens d’entendre quelques bribes de la conversation que vous teniez avec ma fille aînée. Laissez-moi vous dire que vous en resterez là. Ces recherches scientifiques ne sont que gageures. J’ai déjà perdu mon mari à cause de cette passion pour la science. Je ne perdrai pas non plus une fille. Partez, je vous prie. Nous sommes ravies d’avoir fait votre connaissance, mais votre présence sous notre toit n’est point la bienvenue désormais. Firmin va vous raccompagner. » Le cœur serré, Guillemette n’osa dire un seul mot. Elle baissa les yeux mais serra les poings. Elle ne capitulerait pas devant son rêve. Tout à coup, l’atmosphère du salon était devenue étouffante. Mais que sa mère pouvait-elle imaginer ? Qu’elle allait abandonner ? Qu’elle renoncerait à cet appel de la science qui la taraudait depuis si longtemps ? Jamais elle n’avait eu à s’opposer frontalement à elle. Son père avait toujours été là pour faire l’unité. Car elles étaient bien différentes, la mère et la fille ! Autant la première était pondérée, raisonnable et classique, autant la seconde était exubérante, passionnée et fantasque. Monsieur d’Angely savait s’y prendre aussi bien avec l’une qu’avec l’autre. Mais il n’était plus 40

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là. Il allait falloir trouver un nouvel équilibre et une nouvelle façon de s’entendre. Guillemette ravala sa honte devant l’indélicatesse maternelle. Malgré sa rancœur, elle bredouilla quelque formule de politesse et fit signe à Firmin de raccompagner le jeune homme. Ce dernier, qui n’était nullement habitué à être ballotté ainsi comme un vulgaire accessoire que l’on rejette au gré de ses envies, balbutia tout de même : « Si madame change d’avis et accepte que ses filles viennent voir l’invention de mes cousins, nous logeons juste à côté de la Folie Titon, un peu plus loin sur le faubourg Saint-Antoine. J’aurais été heureux de vous inviter à assister au premier essai du vol en ballon captif qui aura bientôt lieu dans le parc de l’usine de monsieur Réveillon. » Il avait parlé vite, craignant que son insistance ne passe pour de l’impolitesse. Madame d’Angely resta muette et le laissa partir. Lorsqu’il se retrouva à l’extérieur de l’hôtel particulier, le jeune homme eut l’étrange impression de laisser son cœur dans cet endroit. Le regard profond de Guillemette restait gravé en lui comme une marque au fer rouge.

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Tout à ses pensées, il n’entendit pas arriver derrière lui la jeune fille qui l’interpella. Elle portait sur ses cheveux bruns un petit chapeau noir orné d’une fleur blanche. Derrière elle, dans la cour d’honneur, les chevaux hennissaient et le cliquetis de leurs attelages résonnait. Le gentilhomme se ressaisit et salua la demoiselle. Au sourire qu’elle lui adressa, il sut immédiatement, sans l’ombre d’un doute, qu’il s’agissait d’une des sœurs de Guillemette. Les mêmes fossettes creusaient ses joues. La jeune fille ne se laissa pas impressionner par l’air grave du jeune homme. « Monsieur, je vous ai reconnu. Vous êtes l’homme qui a été blessé lors de l’accident qui a emporté notre père. Permettez-moi de me présenter. Je m’appelle Élisabeth d’Angely. Vous venez de vous entretenir avec ma sœur aînée et ma mère. Je n’ai point connaissance du contenu de vos échanges, mais j’ai une révélation importante à vous faire. J’étais dans la calèche le jour où nous vous avons percuté. J’ai tout vu. Et j’ai surtout assisté avec effroi à la tentative d’assassinat de l’homme qui vous a volontairement poussé sous les roues de notre véhicule. Je n’en ai pas parlé à mes sœurs car je ne veux nullement rajouter de soucis à leur peine

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d’avoir perdu notre père. Monsieur, je vous en conjure, soyez prudent. » Touché par la sincère bienveillance de la jeune fille, François la salua avec déférence. Il était de ces hommes qui considéraient que la droiture était une qualité inestimable. Surtout venant de la part d’une demoiselle de bonne famille. « Merci de tout cœur, mademoiselle d’Angely. Vous venez conforter ce que je pensais. Notre accident fut bien intentionnel. Vous savez, je ne me fais pas d’illusion. Ma venue à Paris avec Étienne Montgolfier est loin de plaire à tout le monde. Mais, soyez-en sûre, les jaloux, les envieux, les sceptiques, les cupides et tous nos rivaux, quels qu’ils soient, ne nous éloigneront pas de notre mission. Adieu, mademoiselle ! »

Le jeune homme remit son tricorne sur sa tête et tourna les talons avant de sortir par la porte cochère. Élisabeth resta bouche bée, songeuse.

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Table des matières 1. L’accident............................................................... 7 2. François Rosambeau............................................... 28 3. Faubourg Saint-Antoine......................................... 44 4. Intempéries............................................................. 71 5. Vol d’essai.............................................................. 89 6. Léontine................................................................. 111 7. Le Réveillon............................................................. 132 8. L’étrange maison de campagne............................... 152 9. Révélations............................................................. 169 10. L’anoblissement.................................................... 192

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Il semblerait cependant que tout le monde ne soit pas aussi enthousiaste que Guillemette à l’idée de cette avancée scientifique. Qui donc se cache derrière les accidents et les lettres de menace ? Et qui donc est ce Jean qu’évoque monsieur d’Angely à Guillemette après son accident ?

Guillemette et la montgolfière, une aventure historique pleine d’intrigues où souffle un vent de liberté.

La série historique « La famille d’Angely » vous fera vivre les grandes découvertes scientifiques des derniers siècles à travers les aventures des différents membres de cette famille où la passion des sciences et l’émerveillement se transmet de génération en génération.

Guillemette et la mOntgOlfière

Guillemette est l’aînée des quatre filles de la famille d’Angely. Passionnée par les sciences, elle partage l’amour des grandes découvertes avec son père, dont elle admire les recherches dans ce domaine. Le jour où monsieur d’Angely est victime d’un accident de calèche, Guillemette rencontre François Rosambeau, le cousin des frères Montgolfier. Ces grands scientifiques viennent de découvrir que l’air chaud est plus léger que l’air froid, et sont en train de créer le premier ballon volant… la montgolfière ! Aidés par Guillemette, ils se préparent pour un grand événement : faire décoller la première montgolfière devant le roi Louis XVI et la reine Marie-Antoinette, dans les jardins de Versailles !

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