Reste avec nous

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S o ph i e

e t G o d e f r o y de B ent z m a nn P È r e P a u l H a bsb u r g avec Inès de Warren

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Préface d’Yves Semen

Sous la direction d’Yves Semen

MAME

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À tous les prêtres. Sophie les aimait tant, et les encourageait à être de bons bergers. À tous les couples. Que leur vocation les entraîne encore plus loin dans l’aventure.

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Remerciements Merci à Yves Semen, à travers qui l’Esprit Saint a su nous convaincre de témoigner. Écrire ensemble s’est révélé un véritable « cadeau » pour chacun de nous trois. Ce témoignage à trois voix n’aurait pas non plus pu voir le jour sans l’expérience très sûre et l’accompagnement très affectueux d’Inès et de Pascale.

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Préface

Il y a des livres qui n’ont pas besoin d’une préface pour les mettre en valeur. Celui-ci en est un. Mais il est aussi des demandes auxquelles on ne saurait se soustraire. Ce témoignage de la rencontre d’un couple et d’un prêtre autour de l’épreuve et du mystère de la souffrance et de la mort est d’une simplicité et d’une vérité poignantes. On ne peut manquer de se laisser toucher au cœur par le récit à trois voix de cette aventure spirituelle qui a conduit ceux qui l’ont vécue à « apprivoiser » en quelque sorte ce mystère en y accueillant peu à peu la lumière et la présence de Celui qui n’est pas venu l’expliquer mais tout simplement le porter avec nous et pour nous. Néanmoins, si ce livre bouleverse et incite à communier aux interrogations et à la douleur de ceux qui découvrent que la maladie va les conduire inéluctablement à l’épreuve de la séparation, il ne s’en dégage aucune tristesse mais, au contraire, une magnifique espérance. Même s’il s’agit d’un témoignage et non d’un essai, cet ouvrage trouve toute sa place dans cette collection confiée à l’Institut de théologie du corps. D’abord parce que Sophie était étudiante de notre mastère et qu’elle a cheminé durant toute la dernière année de sa maladie dans la lumière de cet enseignement que saint Jean-Paul II a offert à l’Église

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comme le grand cadeau de son pontificat. C’est ainsi que j’ai fait la connaissance de Sophie. Et pourtant – cela étonnera probablement –, je ne l’ai jamais rencontrée… Empêchée par sa maladie de se déplacer à Lyon où se déroulent nos cours, Sophie les suivait à distance, en vidéo, et ce n’est que par téléphone et échanges de courriels que nous étions en relation. Sauf à une occasion, d’ailleurs apparemment ratée, un soir de mai 2018. J’étais de passage à Paris et Sophie m’avait invité à dîner chez elle, en compagnie du père Paul. Mais elle devait subir au début de l’aprèsmidi des examens médicaux qui l’ont obligée à rester en observation à l’hôpital. Sophie a maintenu ce dîner sans elle. C’est au cours de cette soirée qu’a surgi le projet de ce livre… Pour dire toute la vérité, Sophie a commencé par refuser catégoriquement. « Un témoignage, jamais ! », protesterat‑elle dès le lendemain de cette soirée. Et puis, elle s’est laissé convaincre, tout comme Godefroy et le père Paul. En moins de trois mois, ce livre était écrit, et Sophie entrait dans la demeure du Père le 22 août. Elle avait achevé d’écrire les dernières lignes de son témoignage le 15 août, en la fête de l’Assomption … Ce livre trouve également sa place parmi des ouvrages de référence sur la théologie du corps en ce qu’il s’inscrit, de manière concrète, on pourrait dire « existentielle », dans un champ de développement de cet enseignement de l’Église sur lequel Jean-Paul II a attiré l’attention : celui de la souffrance

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et de la mort  1. On considère souvent que la théologie du corps ne traite que des questions liées au mariage et à la sexualité, ainsi que de leurs implications éthiques. C’est simplement inexact, à tout le moins réducteur. Même si Jean-Paul II ne fait que le suggérer dans la toute dernière de ses catéchèses, la théologie du corps doit se déployer dans une lumière portée sur les questions de la souffrance et de la mort, comme d’ailleurs sur celles du travail, de la famille et de la société dans lesquelles le corps humain est engagé. Sophie, Godefroy et le père Paul ne prétendent cependant pas traiter théologiquement de ces questions : ils se contentent de livrer en toute simplicité et vérité le témoignage du cheminement qu’ils ont vécu dans l’épreuve partagée. Mais, ce faisant, à travers leurs interrogations, leurs doutes, leurs incompréhensions, leurs tentations de révolte parfois, mais aussi avec les grâces de lumière qu’ils ont reçues et les joies accueillies, ils invitent notre cœur « lent à croire », comme celui des pèlerins d’Emmaüs, à un chemin avec Celui qui est la vérité et la vie – Celui qui a porté toutes nos souffrances, y compris les plus intimes, qui nous promet une résurrection semblable à la sienne et qui change notre tristesse en vraie joie en rendant notre cœur « tout brûlant » jusqu’à nous faire dire, comme ces mêmes pèlerins : « Reste avec nous »… Pour autant, cet ouvrage n’est pas un livre sur la maladie, la souffrance et la mort, même si ces perspectives en jalonnent le cours  2. C’est un livre de spiritualité conjugale, et même de 1. Voir Jean-Paul II, Catéchèse sur la théologie du corps du 28 novembre 1984, n° 1 (La Théologie du corps, intro. et trad. par Y. Semen, Paris, Éd. du Cerf, 2014, 133- 1). 2. Voir en annexe, p. 155, « Le message d’un ami voisin ».

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spiritualité « ecclésiale ». Par leur rencontre, un couple et un prêtre découvrent ensemble que leurs vocations respectives, même si elles sont différentes dans leur vécu concret, manifestent les deux versants d’une même vocation de la personne humaine au don d’elle-même. Cette proximité spirituelle d’un prêtre et d’un couple – et je dis bien d’un couple, pas de deux personnes considérées singulièrement – pourra étonner, surprendre et même dérouter. Que vient faire un prêtre dans l’intimité spirituelle d’un couple ? Ne sort-il pas ainsi de son rôle ? Ne devrait-il pas se contenter d’exhorter les époux aux exigences de leur état et de demeurer sur le seuil de ce qui constitue leur communion conjugale ? C’est précisément là contre que se pose saint Jean-Paul II. D’abord à travers l’exemple de toute sa vie de prêtre et d’évêque, au cours de laquelle il n’a cessé d’accompagner des couples sur le chemin de la sainteté conjugale, puis dans son enseignement magistériel en tant que souverain pontife. Dans son exhortation apostolique sur la formation des prêtres, il insiste sur la dimension sponsale du sacerdoce qui prend source dans la configuration du prêtre au Christ-Époux et le rend « capable d’aimer l’Église universelle et la partie qui lui est confiée avec tout l’élan d’un époux pour son épouse  1 ». Ces perspectives trouvent un écho dans sa splendide Lettre aux familles de 1994 qui récapitule, en quelque sorte, toutes ses catéchèses sur la théologie du corps, et dont la deuxième partie – précisément intitulée « L’Époux est avec vous » – insiste sur le signe de la présence de Jésus à Cana, qui se 1.  Jean-Paul II, Discours aux prêtres, 4 novembre 1980, voir Exhortation apostolique post-synodale Pastores dabo vobis, 25 mars 1992, n° 22-23.

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r­évèlera plus tard aux disciples de Jean le Baptiste comme l’Époux en compagnie duquel il n’est pas opportun de jeûner (voir Mt 9, 15). À Cana, il est donc déjà l’Époux auprès des époux, afin qu’ils puissent voir en lui la vérité vivante de l’amour sponsal, « le héraut de la vérité divine sur le mariage  1 », dit Jean-Paul II. C’est de cette manière que le prêtre peut être présent auprès des couples et accueilli au cœur même de leur intimité familiale, tout comme Jésus l’a été par les époux de Cana. Il se tient devant l’ecclesiola – la « petite Église », ou « l’Église domestique » – qu’est la famille comme l’époux devant la réalité vivante de son épouse. Cette communion visible et concrètement vécue entre le prêtre et la famille fait que le mystère de l’Église nous devient quelque peu accessible. C’est pourquoi Jean-Paul II poursuit, dans sa Lettre aux familles : On ne peut donc comprendre l’Église […] sans se référer au « grand mystère », en rapport avec la création de l’homme, homme et femme et avec la vocation des deux à l’amour conjugal, à la paternité et à la maternité. Le « grand mystère », qui est l’Église et l’humanité dans le Christ, n’existe pas sans le « grand mystère » qui s’exprime dans le fait d’être « une seule chair », c’est-à-dire dans la réalité du mariage et de la famille. La famille elle-même est le grand mystère de Dieu. Comme « Église domestique », elle est l’épouse du Christ  2.

1.  Jean-Paul II, Lettre aux familles Gratissimam sane, 2 février 1994, n° 18. 2.  Ibid., n° 19.

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C’est ainsi que la spiritualité conjugale des époux s’articule, par la médiation du prêtre, à une spiritualité qui devient ecclésiale. Peut-être est-ce là le nouveau visage que doit donner l’Église aujourd’hui à travers la complémentarité visible des vocations conjugale et sacerdotale qu’il importe de bien distinguer pour les mieux unir. C’est en tout cas ce qu’ont expérimenté concrètement Sophie et Godefroy avec le père Paul, et ce que vivent à leur suite ces dizaines de couples qui se retrouvent régulièrement pour l’adoration eucharistique animée par le père Paul à Notre-Dame-d’Auteuil. De cette source qu’est Jésus-Époux et à laquelle conduit le prêtre surgit une fécondité ecclésiale qui se déploie dans une communauté d’amitié authentique. Cette communauté-communion qui s’est concrètement et spontanément manifestée autour de Sophie n’est pas selon l’esprit du monde et nous donne de pressentir ce que peut être cette « civilisation de l’amour  1 » à l’édification de laquelle l’Église ne cesse de nous convoquer. Sophie, Godefroy et le père Paul nous ouvrent ainsi, dans la ligne de l’enseignement de saint Jean-Paul II, à un possible futur d’Espérance pour l’Église qui, redécouvrant son identité d’Épouse du Christ à travers ces ecclesiolae que sont les familles, ne cessera de se laisser transformer par son Époux afin de devenir « toute resplendissante, sans tache, ni ride, ni rien de tel, mais sainte et immaculée » (Ep 5, 27) dans l’attente du jour béni où, « belle, comme une jeune marié parée pour son époux » (Ap, 21, 2), elle pourra accueillir le retour de l’Époux dans sa

1.  Paul VI, Homélie pour la clôture de l’Année sainte, 25 décembre 1975. Voir Jean-Paul II, Lettre aux familles Gratissimam sane, n° 13-14.

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gloire et, avec l’Esprit, lui dire enfin et en toute vérité la parole de l’Épouse : « Viens ! » (Ap 22, 17). On ne peut que souhaiter que tous ceux qui ont reçu la vocation au « grand mystère » du mariage puissent lire et méditer ce livre afin qu’au-delà de l’émoi des premiers temps de l’amour, ils découvrent ce qui en constitue à la fois le principe et le terme : faire de sa vie une œuvre de don de soi dans un cheminement de communion vers Celui qui nous appelle à apprendre de lui la vérité de l’Amour. Il faut espérer aussi que de nombreux prêtres découvriront à travers ce livre qu’une des dimensions les plus belles de leur ministère consiste à accompagner les couples et les familles en se faisant pour eux l’image vivante de l’Unique Époux de l’Église, un Époux qui, comme à Cana, est avec eux comme le témoin de la radicalité de l’« amour-don de soi », cette perfection de l’amour que saint Jean-Paul II appelait l’amour « sponsal » et qui est, tout simplement, l’autre nom de la sainteté. Le 1er novembre 2018, en la fête de tous les saints,

Yves Semen, président de l’Institut de théologie du corps.

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L’Alliance

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« Vous avez un cancer »

Sophie. D’aussi loin que je me souvienne, c’est là que tout a commencé. Il y a un peu plus de cinq ans. Une nouvelle brutale, une catastrophe tellement inattendue, inimaginable. Le cancer était alors une planète presque inconnue pour moi. Biopsie, traitement, protocole, chimio, radiothérapie, marqueurs… autant de mots qui ne m’évoquaient rien. Je ne m’étais jamais penchée sur ce monde, sur « ces malades », sur la maladie en général. Et pourtant, j’avais cinquante-deux ans quand tout cela a commencé. Était-ce de l’indifférence ? De l’insouciance ? De l’égoïsme ? Tout cela à la fois, sans doute. J’étais comme un oiseau sur la branche. Ce n’étaient pas des sujets pour moi. Ça n’existait pas. Je n’étais jamais malade, rarement fatiguée, j’avais une santé de fer ! Une vraie Auvergnate, disait Godefroy.

Godefroy. Nous avons découvert la maladie de Sophie en février 2013, après un voyage en Argentine à Noël, un des plus beaux moments que nous ayons vécus avec nos enfants et nos beaux-enfants. Il s’est installé une espèce de communion familiale, quelque chose de très beau, sans tension. Nous avons toujours fait beaucoup de choses avec eux, enfants ou adolescents. Notre vie familiale était centrée sur eux et sur nous. Mais nous n’avions jamais passé autant de temps en dehors de chez nous, comme cela, avec eux, adultes. Un peu comme un atterrissage sur une planète, le paradis terrestre, où la famille vivait pleinement la joie de se retrouver ensemble 19

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dans de magnifiques endroits. Nous sommes revenus de ce voyage sur un nuage, et c’est alors que nous avons appris cette nouvelle. Le fait que cela arrive à ce moment-là fut pour moi comme un coup de poignard de plus. De manière plus profonde, j’ai eu le sentiment que le ciel avait fini par nous tomber sur la tête, que nous étions rattrapés par la patrouille de ceux qui souffrent. Depuis longtemps, j’avais ce sentiment diffus que nous étions très privilégiés : Sophie et moi, nous nous aimions sans histoires, notre famille s’entendait bien, nos enfants étaient gentils, et j’avais un beau job. Et je m’interrogeais : « Pourquoi tant de gens autour de nous ont-ils des problèmes avec leurs familles, leurs enfants, leur job, ou je ne sais quoi d’autre ? Pourquoi le sort s’acharne-t-il sur certains et pas sur nous ? » C’était trop beau pour que ça dure. S. Avec cette annonce, un abîme s’est ouvert instantanément devant moi. J’oscille, mais je ne tombe pas. J’aurais voulu disparaître dans cet abîme pour ne pas réfléchir, pour ne pas penser, pour ne pas avoir peur ! Je suis affolée mais il ne se passe rien. Je suis au bord de ce précipice sans pouvoir reculer, sans oser avancer. Je hurle en silence, je pleure. Je ne comprends pas. Godefroy est là, au bord du même abîme. Godefroy a toujours été là. Nous sommes ensemble comme toujours mais, cette fois, désespérés. Un cancer des ovaires, repéré par un ganglion insignifiant. Je ne savais pas qu’on pouvait avoir un ganglion à l’aine. Apparemment, Godefroy non plus ! Ce ganglion persiste et grossit. Je décide d’en parler à un médecin.

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Une chose était claire dans mon esprit : on ne dit rien ni aux enfants, qui pourtant sont de grands enfants, ni à la famille, ni aux amis. On se débrouillera très bien tout seuls. C’est ce que l’on a toujours fait. Je ne voulais pas en parler et j’ai entraîné Godefroy, malgré lui, dans cette décision. Pour ne pas faire de peine, pour ne pas inquiéter. Je crois, pour moi, par orgueil. La première difficulté, c’est d’accepter que tout n’aille pas si bien. Quelle folie ! On ne parle pas du seul sujet qui nous envahit et qui bouscule tous les autres sujets. On met de côté très soigneusement un événement qui influe sur toute notre histoire personnelle et sur notre histoire de couple, de famille !

G. C’est vrai : nous avons gardé cette mauvaise nouvelle pour nous pendant un mois, assommés par la gravité de la situation, même si les impacts potentiels n’étaient pas clairs ni précis. Nous avions conscience que notre vie d’avant était terminée, sans retour possible, et nous entrions dans un no man’s land. Nous gardions les yeux fermés sur cette nouvelle réalité, sans vouloir réfléchir ou en parler. Nous avons commencé à prier ensemble, à l’occasion d’une escapade tous les deux, à Biarritz. Au bout d’un mois, nous n’avions plus d’autre choix que d’affronter cette réalité. Nous avons commencé à en parler autour de nous progressivement et nous avons rencontré le père Paul. À partir de là, tout a changé. J’ai vraiment ce sentiment qu’il y a eu une étape, un avant et un après. C’est difficile de mettre des mots dessus, mais la partie visible est sûrement la manière dont une espèce d’écosystème bienveillant, qui s’est constitué autour de nous 21

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spontanément, de plus en plus, vit de lui-même, et se transforme lui-même. Et puis, je crois qu’il y a une dimension supplémentaire, plus personnelle, qui est apparue aussi. J’ai mis les mots dessus récemment, à l’occasion d’une adoration, en écoutant le père Paul parler d’unifier son cœur (son corps, son esprit et aussi son âme), et avec les exemples qu’il en donnait. Et pour moi, c’est une dimension qui se nourrit, d’abord, par la relation et le cheminement que j’ai avec Sophie, mais aussi avec nos amis qui nous entourent et qui eux aussi font faire un chemin à leur âme, et puis avec nos enfants et notre famille, peu à peu. Et la question que je me pose, c’est : « Mais avant, qu’est-ce qu’il y avait ? Il n’y avait quand même pas rien ! Est-ce qu’on était heureux ? Sûrement, oui, mais comment ? » S. Rien ne sera plus comme avant. Bien sûr qu’il n’y avait pas rien avant, mais la maladie, c’est une charnière. La vie était exactement la même que celle que nous vivons maintenant… Mais il y a la maladie en plus, la maladie qui, un jour, prend toute la place ! Pendant longtemps, nous avons continué à vivre « comme avant », comme nous aimions. Nous n’avons pas changé de vie d’un seul coup et nous n’avons même pas changé de vie du tout. Ce n’est pas avant qu’il faut regarder, c’est après. La vie s’est ordonnée autrement, profondément autrement. Nos cœurs ont viré de cap ensemble, et très vite. « Rien ne peut plus être comme avant ! » : ce constat de désespoir est aujourd’hui une source d’Espérance.

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Trop gâtée, ne savais Qu’en moi dormait Une force cachée Qu’offrir je devais Légère et comblée Je vivais sans savoir Qu’un jour cabossée Je devrais devoir Devoir vous parler Oser vous réunir Savoir vous aimer Penser vous offrir Ma petite vie si douce D’un coup m’a trahie Sans faire de mousse Sans me prévenir Elle m’a abandonnée Sans oser le dire Ouvert ce fossé Cet abîme sans rire Je n’ai rien compris Paul a vu God Tout est parti J’étais dehors Et si vous me dites Nous t’admirons tu nous guides En prière, je fonds

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Pas un jour sans toi Où tu ne nous habites Petite lampe de foi Et merveilleuse amie Finalement cabossée Vous si près de moi Je la trouve bien osée Ma petite vie de foi  1.

« Sophie, tu vas rentrer dans la vraie vie » S. Entre avant et après, il y eut une rencontre avec un prêtre, le père Paul. Le père Paul Habsburg habitait la maison à côté de la nôtre avec quelques autres prêtres avec qui nous avions de très bonnes relations de voisinage. Nous connaissions un peu mieux certains d’entre eux ; lui venait d’arriver d’Allemagne. Nous l’avons invité à déjeuner et nous en avons été ravis. De temps en temps, nous nous croisions dans la rue, le quartier. Nous connaissions peu le père Paul et n’avions aucunement l’intention de le rencontrer plus personnellement pour lui annoncer que j’étais malade. Il s’est trouvé que, un jour, nous nous sommes retrouvés là, au même endroit. Godefroy a choisi de lui parler de notre épreuve. Dans la vie, on se retrouve souvent à la croisée de plusieurs chemins, et nous avons toujours la liberté d’en choisir un plutôt qu’un autre. Il n’y a pas de chemin donné ou imposé : seule notre 1. « Ma petite vie », écrit par Arnaud, un ami de Sophie.

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liberté est en jeu. La vie et la maladie nous mettent souvent face à des choix : le choix d’accueillir ou non une personne que l’on rencontre, le choix de refuser ou de consentir. La présence du père Paul nous mettait face à l’un de ces choix. Godefroy fit le choix du « oui » en premier et je rends grâce chaque jour pour ce oui qui a entraîné le mien. Nous sommes catholiques, pratiquants, convaincus et même formés. Nous nous sommes rencontrés dans un mariage à dix-huit et vingt et un ans. Le soir même, nous avions presque décidé de nous marier : pour moi, c’était une évidence. Nous le sommes maintenant depuis trente-six ans… Peut-on parler de vocation au mariage ? Je ne sais pas, mais vocation l’un pour l’autre, j’en suis certaine. Nous nous sommes mariés comme tous les jeunes de notre génération, sans préparation au mariage, sans même une retraite à l’église, en 1982. « Ce couple, c’est du gâteau », disait à mes parents le prêtre qui nous avait mariés. Une remarque qui se voulait gentille à l’époque, mais qui avait profondément agacé Godefroy.

G. Comment savait-il que c’était du « gâteau » ? Notre apparence de petit couple sympa ? J’avais le sentiment que notre histoire valait mieux que cette histoire de gâteau ! Depuis lors, j’envie chaque jeune couple qui se prépare au mariage, qui découvre émerveillé le chemin qui leur est proposé. Le mariage est une aventure qui mérite d’être discutée. Un peu comme lorsque l’on part en voyage dans l’inconnu : on y pense, on s’y prépare, on fait des choix, etc., et cela fait partie du 25

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plaisir de voyager. Cette remarque m’avait donné l’impression d’un escamotage. S. Godefroy, en premier et sans moi, a rencontré le père Paul, et nous n’imaginions pas à l’époque à quel point il allait, avec la maladie, bousculer notre belle vie réussie ! Parce que ce chemin de la maladie ne peut être dissocié de cette rencontre. Ils font partie du même événement pour nous, un plan de Dieu sans doute… « La vie est belle » : on entend cela si souvent, et nous le pensions aussi. Facile même, notre petite vie tranquille ! Faut-il que la vie soit tranquille pour être réussie ? Et la vie chrétienne est-elle une vie tranquille  1 ? C’est ainsi que le père Paul a commencé à bousculer notre vie chrétienne : « Sophie, tu ne peux pas cacher ta maladie. Il faut en parler. Tu vas avoir besoin des autres, et les autres ont besoin de toi. » Dans mon état, j’étais sceptique sur ce que je pouvais bien apporter aux autres ! « Tu vas quitter ta “sainte box”, pousser les murs et entrer dans la vraie vie. » Pas de grands discours sur la maladie, la souffrance : juste une grande prière et cette petite phrase. Je ne pouvais ni l’étrangler ni m’offusquer. Sans rien comprendre au sens de ces quelques mots, je fus touchée en plein cœur et, sans même réfléchir, j’ai répondu : « Et pour entrer dans la vraie vie, vous voulez bien nous accompagner ? » Depuis ce jour, le père Paul ne nous a jamais lâchés. Nous sommes partis dans cette galère et nous avons fait chemin ensemble. Une 1. Voir l’ouvrage de Marion Muller-Colard, L’Intranquillité, Paris, Bayard, 2017.

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galère pleine de trésors, une aventure qui nous a fait découvrir une nouvelle vie en couple. Nous étions très heureux dans ce qui nous semblait être « la vraie vie » : nous en étions même convaincus, et sûrs d’en être un très bon exemple ! Un bon couple, quatre enfants super, déjà une belle-fille, fille d’amis de toujours. Un job passionnant pour Godefroy et des études de théologie pour moi. Des amis. Une grande famille : cinq frères et sœurs de chaque côté et les maisons de famille qui nous permettaient de nous rassembler… Oui, honnêtement, nous étions très heureux. Mais le père Paul n’en est pas resté là. Ce serait bien mal connaître l’Esprit Saint que de penser ainsi. Les chemins ne sont pas parallèles mais s’interpénètrent, se croisent et se répondent. Voilà la première chose que je découvre et le père Paul est à la croisée de tous ces chemins, pour nous, et pour d’autres... Il est le fruit d’un couple dont il parle beaucoup, d’un couple dans le cœur duquel il a puisé et puise toujours sa connaissance, son intuition et son amour du couple : ses parents. Il me raconte sa famille, la maladie de sa mère, la conversion de ses parents, leur amour l’un pour l’autre, de plus en plus beau, leur chemin extraordinaire grâce à la maladie, leur vocation de couple qui transforme tout le monde autour d’eux. Il me parle de quelque chose de paisible, de joyeux au milieu de cette tempête, quelque chose d’imprévu et même de désirable.

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Nous découvrons peu à peu, avec les semaines, les mois, et maintenant les années, qu’un prêtre a toute sa place dans un couple, une vraie place, une place précieuse pour nous et pour lui. Avant la maladie, nous n’avions jamais imaginé nous faire accompagner en couple par un prêtre. Pour quoi faire, d’ailleurs ? Tout allait bien, et l’accompagnement spirituel que nous n’avions ni l’un ni l’autre nous semblait quelque chose de très individualiste. Avec Godefroy, nous avons découvert la richesse inouïe de rencontrer un prêtre ensemble. Nous parlions rarement, avec Godefroy, de ce qui habite l’intime de nos cœurs ou de notre vie spirituelle, notre vie avec Dieu. Sauf dans certaines occasions très précises. Après trente ans de mariage, nous connaissions très bien les « terrains minés », les sujets de discussion à éviter pour éviter toute explosion ! Je me souviens avec quel grand plaisir nous avions abordé des sujets essentiels lors d’une session « Elle et Lui » d’Alpha couple dans laquelle nous avaient entraînés des amis – sujets que nous n’abordions jamais, sauf pour régler une crise, une dispute. Dans ce cadre-là, ils étaient abordés d’une manière originale. Godefroy et moi, nous ne priions pas tous les deux. Nous n’osions pas, et de toute manière nous ne savions pas faire ! Personne ne nous avait appris à prier ensemble. Personne ne nous accompagnait pour regarder ensemble notre vie de foi. Le père Paul nous a appris à regarder, écouter, sentir la présence et l’action de Dieu dans notre couple. Personne, jamais, ne nous l’avait montré. Nous n’étions pas demandeurs non plus.

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