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Sophie De Mullenheim

HĂŠros des tranchĂŠes


Illustration de la couverture : Raphaël Gauthey

Direction : Guillaume Arnaud, Guillaume Pô Direction éditoriale : Sarah Malherbe Édition : Astrid de Moussac, assistée de Margaux Manchon Direction artistique : Elisabeth Hebert Direction de la fabrication : Thierry Dubus Fabrication : Axelle Hosten Composition : Text’oh © Fleurus, Paris, 2018, pour l’ensemble de l’ouvrage. www.fleuruseditions.com ISBN : 978-2-2151-3586-9 MDS : 592594 Tous droits réservés pour tous les pays. « Loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse. »

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Sophie De Mullenheim

HĂŠros des tranchĂŠes

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Ă€ Bertrand

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I Mobilisée ! Non loin de Verdun, 1917 « Whou whou whou whou whou ! » Pierrot s’arrête, redresse la tête et tend l’oreille. Il lui a semblé entendre quelque chose. « Whou whou whou whou whouaf ! Cette fois-ci, Pierrot est sûr de lui. Miette ! Miette ­l’appelle. Le jeune garçon ferme les yeux et se concentre sur les aboiements afin de les interpréter. Aboiements graves et longs qui donnent l’alerte. Grognements d’intimidation en cas de danger. Jappements aigus pour

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l’inviter à jouer. Sa chienne et lui sont si proches que, même de loin, il est capable de savoir la raison qui la pousse à se manifester. Cette fois-ci, la tonalité de Miette est profonde et son cri long et insistant. Pierrot comprend immédiatement que c’est grave et urgent. Aussitôt, il abandonne son panier dans les buissons et court en direction de la ferme de son grand-père. « Vite ! Plus vite, Pierrot ! » semble l’encourager Miette qui glapit à présent, presque plaintivement. Pierrot redouble d’ardeur. Il passe à travers les broussailles sans se soucier des ronces qui déchirent sa chemise et la peau de ses jambes. Les aboiements diminuent. On dirait qu’ils s’éloignent. Pierrot accélère encore. Il a dû arriver quelque chose à la ferme. Petit Père est tombé, ou bien il s’est blessé. À moins que des soldats ne soient encore venus pour leur réclamer de la nourriture. N’ont-ils pas compris que Pierrot et son grand-père n’ont plus rien à leur donner ? On leur a déjà presque tout pris. Ils se nourrissent tant bien que mal avec leurs maigres réserves, les œufs de leurs deux poules et les quelques baies, champignons et racines que Pierrot va chercher dans la forêt pour améliorer leur ordinaire.

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Mobilisée !

Pierrot court à perdre haleine. Son cœur cogne si fort dans sa poitrine qu’on dirait qu’il va éclater. Son sang bat à ses tempes au point que le garçon n’entend même plus Miette aboyer. « J’arrive ! » crie Pierrot dans sa tête. Comme la ferme lui paraît loin tout à coup. Cette fois encore, il s’est enfoncé profond dans la forêt, espérant y trouver des champignons pour agrémenter le potage. Il n’aurait pas dû laisser son grand-père. Même s’il multiplie les efforts pour le cacher, Petit Père se fatigue plus vite qu’avant. Pierrot le voit bien. Le bruit des bombardements qui arrive jusqu’à la ferme l’épuise nerveusement. À chaque claquement plus puissant que les autres, il sursaute. Une bombe lui a pris son fils et sa belle-fille – les parents de Pierrot – et il ne peut s’habituer à ces explosions. Pierrot déboule en courant dans la cour de la ferme, les joues et les poumons en feu. – Petit Père ? hurle-t-il. Petit Père ? Pierrot s’arrête, saisi par le terrible silence qui règne dans l’enceinte des bâtiments. Rien ne bouge. Même Miette s’est tue.

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– Petit Père ? répète Pierrot la gorge nouée. Le jeune garçon s’approche de la maison, le souffle court. Il a peur, un mauvais pressentiment lui broie le cœur. Il pousse la porte qui grince doucement. À l’intérieur, tout est sombre comme à l’ordinaire : Petit Père n’allume jamais les lampes dans la journée pour ne pas gaspiller l’huile. – Petit Père ? La voix de Pierrot est inquiète. Il scrute la pièce des yeux, tente de se faire à la pénombre et distingue une ombre sur une chaise, au bout de la table. Pierrot soupire, soulagé. – Petit Père ? L’ombre bouge à peine. Pierrot s’approche prudemment jusqu’à son grand-père assis, les coudes sur la table, la tête dans les mains. – Petit Père, murmure Pierrot, j’ai entendu Miette. Elle m’a appelé. Qu’est-ce qui ne va pas ? Le vieil homme relève lentement la tête. À présent, les yeux de Pierrot se sont habitués à la pénombre. Il voit distinctement le visage de son grand-père. Une

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grosse larme coule le long de sa joue creusée de rides profondes. Pierrot n’a jamais vu pleurer son grand-père. Même après la mort de ses parents, celui-ci n’a jamais cédé au chagrin. En tout cas jamais en sa présence. Du moins dans son souvenir. Mais de ce jour maudit où une bombe perdue a traversé le toit de la boulangerie de ses parents, Pierrot ne se rappelle rien. Le soleil venait tout juste de se lever. Ses parents étaient debout depuis longtemps déjà pour faire le pain. Pierrot, lui, dormait dans son lit à l’étage. Quand il s’est réveillé, quatre jours plus tard, on l’avait amené dans la ferme de son grand-père. Orphelin à 12 ans. Dans l’accident, une poutre lui avait arraché un petit bout d’oreille et tous ses souvenirs. – Tu as mal ? s’angoisse le garçon en se penchant vers Petit Père. Quelqu’un t’a fait mal ? Petit Père secoue la tête et tente un pauvre sourire. Pierrot, son petit-fils, c’est toute la famille qu’il lui reste. – Que se passe-t-il ?

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Avec une infinie tendresse, le vieil homme tend la main et la pose sur l’épaule de son petit-fils. – C’est Miette… dit-il d’une voix éteinte. Pierrot pâlit. – Ils l’ont emmenée… Les soldats. La voix de Petit Père se brise tandis que la grosse larme termine de rouler jusqu’à son menton et s’écrase sur la table. Il sait combien Pierrot aime cette chienne. C’est ensemble qu’ils l’ont trouvée, quelques jours après la destruction de la boulangerie. Pierrot avait voulu revoir la boulangerie de ses parents pour tenter de se rappeler ce qui s’était passé. Petit Père n’était pas favorable à cette idée. Après tout, cela lui semblait plutôt une bonne chose que son petit-fils ne se souvienne de rien. Mais Pierrot avait insisté. Le bâtiment n’était plus qu’une ruine avec un étrange bout de plancher en suspension dans le vide. C’est là que Pierrot dormait et avait miraculeusement réchappé de la pulvérisation de la maison. Pierrot et Petit Père avaient erré au milieu des gravats dans l’espoir de retrouver et sauver peut-être quelques objets familiers. Hélas, les

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pillards étaient déjà passés avant eux et avaient emporté tout ce qui présentait le moindre intérêt. Pierrot n’avait pas recouvré ses souvenirs. Mais dans ce qui restait de l’arrière-boutique, il avait fait une découverte qui allait lui redonner le sourire. L’un des petits que sa chienne avait eus la veille du bombardement était encore en vie. Il était faible, mais en vie. Pierrot avait recueilli la minuscule chienne noire tachée de gris au milieu des vieilles miettes de pain et l’avait emmenée à la ferme avec Petit Père. Il l’avait baptisée Miette en souvenir de sa découverte et de ses parents boulangers. Depuis, ils ne s’étaient jamais quittés. – Ils m’ont dit qu’ils avaient besoin des chiens, de tous les chiens, poursuit Petit Père. Sur le front. Dans les tranchées. Pour passer des messages. Je n’ai rien pu faire, mon Pierrot. Rien… Pierrot ferme les yeux, incapable d’articuler le moindre mot. Sa douleur est trop grande. Puis, tout à coup, il s’arrache à l’étreinte de son grand-père et sort de la maison en hurlant. – Miiieeeetttttte ! La guerre vient de lui prendre sa meilleure amie.

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II Drôle de soldat – Eh les gars ! Regardez celui-là ! Le soldat tient en laisse un chien au pelage noir et gris. La bête est grande, musclée, la silhouette déliée, les yeux vifs. Un bâtard probablement mais un bel animal. – Les chefs l’ont affecté à notre compagnie. Tu parles d’une nouvelle recrue ! plaisante le soldat. Quoi qu’il en soit, ce chien part au front avec nous à la fin de la semaine. D’ici-là nous avons ordre de lui apprendre au plus vite à porter les messages.

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– Nous sommes des soldats, pas des dresseurs de chiens, s’agace un gars. Comme si on avait que ça à faire. Et quand est-ce qu’on se repose ? Les hommes sont épuisés en effet. Ils viennent de passer une semaine en première ligne. Ils sont sales, ils ont faim et ne rêvent que de dormir. Un jeune soldat mal à l’aise dans son uniforme bleu horizon tout neuf s’approche et s’agenouille près du chien. – Je peux m’en occuper si vous voulez. Je viens ­d’arriver. Il caresse longuement l’animal entre les oreilles. Sa chaleur le réconforte. – Comment tu t’appelles ? lui demande le soldat avec le chien. – Cyprien, monsieur. – Cyprien… Et tu t’y connais en chien ? Cyprien hausse les épaules. – Un peu. Nous en avions plusieurs. À la ferme. D’ailleurs, votre chien, c’est une chienne, ajoute-t-il avec un large sourire.

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Drôle de soldat

Le soldat dévisage ce grand garçon à la peau encore fraîche et blanche. Avec ses cheveux châtains en bataille, il paraît si jeune. Et si déboussolé. La peur se lit dans ses yeux bleus au-delà du sourire. – Quel âge as-tu ? – Dix-neuf ans. – Et tu viens d’où ? – De Mayenne. Ma mère et ma sœur tiennent la ferme familiale. Le garçon peine à dissimuler le tremblement de sa voix. Il y a quelques jours encore, il était avec les siens, choyés et à l’abri. – Ton père ? demande pudiquement le soldat. Cyprien baisse les yeux. – Il a été mobilisé en 14. Il est mort dans les premières semaines. Le cœur du soldat se serre. Combien de jeunes hommes ont la même histoire que celui-ci ? Quand la guerre a commencé, tout le pays pensait qu’il n’y en aurait que pour quelques jours de combat. Un mois ou deux, grand maximum. Mais les armées se sont lancées l’une contre l’autre et aucune n’a eu le dessus. Les

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­ llemands ont pénétré en France jusqu’à ce que l’armée A française les arrête. Impossible d’aller plus loin pour l’envahisseur. Ni de les renvoyer chez eux pour les Français. Alors le conflit s’est enlisé. Dans chaque camp, les hommes ont creusé des tranchées dans la terre pour tenir leur position sur le front. Parfois, les uns ou les autres gagnent un peu de terrain, qu’ils perdent peu après. Cela n’en finit plus. La guerre qui devait être très courte dure depuis trois ans maintenant. Les pères et les maris sont partis les premiers. Beaucoup ne sont pas revenus. Désormais ce sont les fils qui prennent leur place sur le front. Cyprien est de ceux-là. – Tu dis que c’est une chienne ? enchaîne le soldat pour changer de conversation. Cyprien hoche la tête. Il passe la main le long du collier et tente de déchiffrer ce qu’on y a gravé avec la pointe d’un couteau. – Mi… Miette. Miette, c’est ça. Il regarde le chien bien en face et répète : – Miette. Tu t’appelles Miette ? La chienne agite la queue. – Oui… C’est bien.

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Cyprien sourit. C’est un bon chien. Pas farouche. Intelligent sans doute. Il le voit tout de suite à la lueur qui brille dans ses yeux. – Je peux m’en occuper, monsieur, propose-t-il. Le soldat lui donne la laisse sans hésitation. – Parfait. Mais débrouille-toi pour faire vite. Les chefs sont pressés. Le soldat hésite et ajoute : – Et appelle-moi Petit Beurre. Pas « monsieur ». Tout le monde ici m’appelle Petit Beurre. Il tend la main à Cyprien avec un large sourire couronné d’une moustache brune et épaisse. Il est grand et charpenté, a le visage rond, un nez épais, le menton fort et des yeux très verts. Il n’est pas beau mais il émane de lui une impression de solidité et de sympathie qui rassure. – On est presque voisins. Je suis nantais. Cyprien serre la main tendue et acquiesce. – Ravi de faire votre connaissance, mons… Petit Beurre ! Le soldat le dévisage un court instant et se demande combien de temps Cyprien résistera à l’enfer du front.

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– Allons, au travail ! gronde Petit Beurre qui ne veut pas se laisser attendrir. Cyprien s’éloigne un peu, le chien au bout de sa laisse. – Toi et moi, nous n’allons plus nous quitter, murmure-t-il à Miette qui avance docilement à côté de lui. La chienne lève son museau vers lui comme si elle avait compris. Elle aime bien ce garçon et la façon qu’il a de tenir la laisse, souple. – Si tu savais comme je suis content que tu sois là… poursuit Cyprien. Cyprien, encore si abattu quelques heures auparavant à son arrivée sur le champ de bataille, se sent un courage tout neuf. Il en oublie le bruit des bombardements qui secouent les premières lignes à quelques kilomètres de là, et le terrifient. Il n’est plus seul maintenant. Ce chien est un cadeau du ciel, une chance formidable. Si sa mère le savait, elle serait heureuse pour lui. Cyprien a toujours vécu entouré d’animaux à la ferme. Avec sa

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sœur, c’est lui qui veillait sur les vaches, les poules, la chèvre et les lapins. – Je vais bien m’occuper de toi, je te le promets. Cyprien décroche la laisse et flatte l’encolure du chien. Puis il fouille dans son barda tout neuf et en sort un paquet de biscuits qui lui a été donné. – Assis ! ordonne-t-il. Miette, docile, s’assoit. Cyprien prend un premier biscuit, en casse un morceau et le tend au chien, qui frétille de la queue. – Bien, c’est bien. Couché ! La chienne s’exécute. Nouveau morceau de biscuit. – Bravo ! Plusieurs biscuits plus tard, Cyprien est enthousiaste. Miette lui obéit parfaitement et semble comprendre tous ses ordres. Quant à lui, il n’a pas vu le temps passer. Pour un peu, il en aurait oublié la guerre ! Lorsque Cyprien rejoint enfin sa compagnie, il ne fait pas encore nuit mais tous les soldats sont agglutinés les uns à côté des autres sur une couche de paille pas

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fraîche. La plupart dorment profondément, les traits agités de tics nerveux. – Petit Beurre, murmure-t-il au soldat qui somnole à même la paille. Cyprien ne peut attendre pour partager son excitation : – Petit Beurre… Cette chienne est admirable ! – Mmmm, grogne Petit Beurre dans un demisommeil. – Elle répond à tous mes ordres. C’est fabuleux ! – Ne t’attache pas trop au chien, souffle Petit Beurre en se retournant. Ce n’est qu’un animal. La seule chose qui doit compter pour lui, c’est le fanion ! – Le fanion ? demande Cyprien sans comprendre. Mais Petit Beurre s’est rendormi.

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III Insomnie Les yeux grands ouverts dans la pénombre et tournés vers la fenêtre, Pierrot ne dort pas. Il pense à Miette. À la mort de ses parents, Petit Père et Miette sont devenus sa seule famille. Son grand-père s’est occupé de lui avec tout l’amour dont il était capable et Miette est devenue la confidente de Pierrot, son compagnon de jeu, presque son double tant ils étaient inséparables. Et maintenant, Miette n’est plus là… Pierrot se redresse dans son lit. Il ne peut pas dormir. Il se lève sans bruit pour ne pas réveiller son grand-père qui ronfle dans le grand lit à côté et ouvre la porte de

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l’unique chambre. Dans la pièce principale de la ferme, le panier de Miette est encore là, près de la porte. Vide. Le cœur de Pierrot se serre en l’apercevant. D’habitude, quand il se réveille au milieu de la nuit parce qu’il a fait un cauchemar, il se glisse dans la grande pièce et va se lover tout contre Miette. Son odeur, sa chaleur et les battements de son cœur l’apaisent et il se rendort. Combien de fois Petit Père l’a retrouvé ainsi, endormi dans le panier de Miette, un sourire sur les lèvres. Pierrot s’approche de la fenêtre et regarde au-dehors. Il fait nuit noire. Il n’y a pas de lune. Un peu à l’est pourtant, au loin, la nuit se zèbre régulièrement de grands éclairs blancs qui illuminent la campagne. On pourrait croire à un orage, mais celui qui tonne n’a rien de naturel. Il est l’œuvre des hommes qui se bombardent sans discontinuer. Pierrot gémit. Et Miette qui est là-bas, justement. Parfois, une fusée blanche monte dans le ciel et explose en une gerbe scintillante. Il arrive qu’elle soit verte, ou rouge. Petit Père a expliqué à Pierrot de quoi il s’agissait un jour que son petit-fils pensait assister à un feu ­d’artifice.

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Insomnie

– Ce sont les soldats qui envoient les fusées, mon garçon, lui a dit son grand-père. Quand la fusée est blanche, les fantassins tapis dans leurs tranchées demandent à l’artillerie, les canons à l’arrière, de bombarder les lignes ennemies. C’est parce qu’ils s’apprêtent à attaquer. – Mais les fusées vertes ou rouges ? a alors demandé Pierrot. – Quand la fusée est rouge, les soldats appellent à l’aide. Ils sont attaqués et ils veulent que l’artillerie barre le passage aux troupes ennemis. Quand la fusée est verte, c’est que le tir d’artillerie est trop court. – Trop court ? – Oui. Les canons ne lancent pas les obus assez loin, qui tombent dans notre propre camp et tuent nos pauvres soldats. Il faut allonger le tir pour atteindre les ennemis. Pierrot tressaille en voyant une fusée verte s’élancer dans le ciel. Miette est-elle sous le feu des bombardements de son propre camp ? Pierrot ouvre la porte et se poste sur le seuil, les yeux toujours rivés à l’horizon. On dirait qu’il espère

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entendre Miette qui l’appelle. Mais il ne perçoit que le bruit sourd des bombardements, sorte d’incessant roulement de tambour qui envahit le silence de la nuit. – Tu ne dors pas ? La voix de Petit Père fait sursauter Pierrot. Il se retourne. – Je pense à Miette, souffle-t-il. Petit Père sourit. Ce sont les premiers mots de son petit-fils depuis des heures. Il n’a pas parlé depuis l’annonce du départ de Miette. – Elle est là-bas, tu crois ? demande Pierrot en se tournant vers l’horizon. – Peut-être. Mais c’est une chienne courageuse. Ne t’inquiète pas. Elle va revenir. Pierrot secoue la tête. – Elle me manque. – Je sais, mon garçon. – Tu te souviens comme elle était douce ? – Et joyeuse, ajoute Petit Père. Pierrot sourit. Il revoit Miette qui saute et gambade autour de lui. Il croit même l’entendre japper de joie. Elle était toujours partante pour s’amuser.

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– Je me souviens de la fois où elle est entrée dans la huche à pain. Petit Père rit. – Oui. Nous ne savions pas où elle était passée, dit-il. – Pourtant on l’entendait appeler ! – Mais comment aurions-nous pu imaginer qu’elle serait entrée dans la huche à pain par la petite trappe qui sert à récupérer les miettes ? – C’est moi qui l’ai trouvée ! Pierrot se tait un instant, plongé dans ses rêveries. – Et quand elle a voulu ramener la vache à l’étable… se rappelle-t-il aussi. Je ne pensais pas qu’elle y arri­ verait. – C’est une chienne extrêmement intelligente, insiste Petit Père. Tu sais… Il fait une pause, puis : – Je crois que c’est une bonne chose que les soldats l’aient avec eux. Comme Pierrot le foudroie du regard, Petit Père s’empresse d’ajouter :

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– Je ne dis pas que c’est bien qu’ils te l’aient enlevée. Je sais qu’elle te manque. Mais imagine comme elle pourra leur rendre des services. Il n’y a pas meilleur chien que Miette. – Ce n’est pas une raison ! rétorque Pierrot. Ils n’avaient pas le droit de faire ça ! – Certes la manière n’était pas forcément la bonne, mais tu dois être fier de Miette. Pierrot ne répond pas. Il ne comprend pas que son grand-père puisse se résigner ainsi à la disparition de sa chienne. On voit bien qu’il ne l’aime pas autant que lui. – Nous nous débrouillerons pour avoir de ses nouvelles, ajoute Petit Père. Je vais me renseigner. Ça ne sera pas bien compliqué. Des chiens exceptionnels dans l’armée, il ne doit pas y en avoir cinquante. Tout le monde l’aura remarquée c’est certain ! Pierrot sourit malgré lui. Petit Père a raison : Miette est exceptionnelle. – Allons, viens te recoucher, Pierrot. Cela ne sert à rien de te morfondre.

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– J’arrive, répond Pierrot tandis que son grand-père retourne à l’intérieur. Dans cinq minutes. – Cinq minutes, pas plus, répète Petit Père sans conviction. Je t’attends. Une demi-heure plus tard, quand Pierrot se décide enfin à retourner se coucher, il retrouve son grand-père profondément endormi. Le vieil homme ronfle bruyamment, les mains croisées sur la poitrine comme s’il réfléchissait. Pierrot sourit et se glisse sous ses couvertures sans faire de bruit. – Pierrot ? appelle Petit Père d’une voix pâteuse. – C’est moi, Petit Père. Je suis rentré comme tu m’as dit. Petit Père fait quelques claquements de bouche satisfaits puis recommence à ronfler. Alors Pierrot remonte la couverture jusque sous son menton, tourne la tête légèrement vers la fenêtre et ferme enfin les yeux. Petit Père a raison. Il va prendre des nouvelles de Miette. C’est la meilleure chose qu’il lui reste à faire. Il a tout prévu. Demain, il partira la chercher.

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Un roman qui célèbre l’amour des animaux et de la nature ! 1801_101_Pierrot.indd 207 MEP_PUB_ROMAN_lions.indd 1

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Achevé d’imprimer en mars 2018 par Lego spa en Italie. N° d’édition : J18087 Dépôt légal : avril 2018.

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— Tu as mal ? s’angoisse le garçon en se penchant vers Petit Père. Quelqu’un t’a fait mal ? [...] Le vieil homme tend la main et la pose sur l’épaule de son petit-fils avec tendresse. – C’est Miette… dit-il d’une voix éteinte. Pierrot pâlit. – Ils l’ont emmenée… Les soldats. […] Ils m’ont dit qu’ils avaient besoin des chiens, de tous les chiens… Sur le front. Dans les tranchées. Pour passer des messages. Je n’ai rien pu faire, mon Pierrot. Rien… Pierrot ferme les yeux, incapable d’articuler le moindre mot. Puis, tout à coup, il s’arrache à l’étreinte de son grand-père et sort de la maison en hurlant. – Miiieeeetttttte ! La guerre vient de lui prendre sa meilleure amie.

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