
BUDGET DE L’UE: COMPRENDRE LES DYNAMIQUES ET LES DÉFIS POUR L'AGRICULTURE
Les négociations autour du budget européen pour 20282034 s’annoncent très complexes, compte tenu des contraintes nationales, de la nécessité de rembourser la dette liée au COVID-19, ainsi que du chantier d’élargissement de l’UE à l'Ukraine. Un aperçu des principaux facteurs et chiffres clés pour garantir un soutien solide à l'agriculture, en tant que secteur stratégique pour l'Europe.
Sans attendre que le nouveau collège de commissaires prenne ses fonctions, la Commission européenne a lancé les discussions sur une éventuelle réforme du budget de l'UE pour la période 2028-2034 Ces discussions préparent le terrain pour la proposition de cadre financier pluriannuel (CFP), attendue pour l'été 2025 Afin d’orienter les négociations et de changer les paramètres d'une équation budgétaire complexe, la Commission a divulgué des idées préliminaires concernant des changements radicaux dans la structure du prochain CFP, notamment en fusionnant 530 programmes de l'UE en un fonds unique de 1200 milliards d'euros, appelé Pilier I. Deux piliers supplémentaires seraient dédiés respectivement aux financement du fonctionnement des services des institutions européennes et aux grands investissements d’intérêt commun, y compris la défense et l'élargissement.
La présente note fournit une évaluation des conséquences potentielles de ces premières idées, en expliquant les principaux enjeux pour le secteur agroalimentaire européen Les négociations autour du budget de l'UE s'annoncent tout aussi cruciales que complexes, en raison notamment des situations budgétaires critiques dans plusieurs États membres, de la nécessité de rembourser la dette commune contractée pendant la pandémie de Covid-19, des dépenses liées à la guerre en Ukraine et des négociations autour du prochain élargissement. Dans ce contexte, l'incertitude demeure quant à la place qui sera accordée à la PAC et aux politiques agricoles dans les allocations budgétaires finales.
Dans son exercice de préparation des perspectives financières pour la période 2028-2034, la Commission européenne se livre à son exercice favori, d’un côté de créer des marges sans marge financière nouvelle, et de l’autre de tenter de forcer la main des Etats membres sur le financement du budget européen tout en gardant un rôle de donneur
d'ordres.
Traditionnellement, la Commission sondait avant tout les capitales sur les coupes acceptables des budgets des principales politiques européennes et l’acceptabilité d’un budget européen total un peu en croissance Dans cet exercice de premier tour, la PAC était proposée comme à toiser (proposition jusque - 30% en 2018)
Dans le contexte actuel de frugalité budgétaire, la Commission tente un autre chemin, en s’inspirant finalement de la proposition de réforme (administrative) de la PAC qu’elle avait faite en 2018.
LA PAC ET LA POLITIQUE DE COHÉSION MISES EN DANGER
Au sein du Pilier I, toutes les grandes politiques européennes seraient donc regroupées Les Etats membres seraient priés de définir des plans stratégiques nationaux, établissant leurs priorités et leurs souhaits quant à la mobilisation de l’argent qui leur est alloué au titre des différentes politiques.
Ce schema renverrait aux Etats membres le soin de mettre en oeuvre l’essentiel des politiques européennes selon leurs priorités nationales du moment, hormis les quelques mesures « portes d’entrée » aux financements, condition que le Conseil européen (qui doit statuer à l’unanimité sur les questions financières) édulcorerait sérieusement sans doute.
Nous sommes bien, comme dans la proposition PAC de 2018, dans un schéma de renationalisation large de toutes les politiques européennes du dit Pilier I L’Europe ne resterait finalement commune en vérité que pour le Pilier III (élargissement, grands plans européens d’investissements). La création d’un tel fonds induit, sans doute aucun, un certain degré de fongibilité des budgets antérieurement affectés à telle ou telle politique. On peut supposer que tant la PAC que la politique de

cohésion - dont les budgets attisent toujours les convoitises à défaut d’autres politiques réellement communes - ne verraient plus leurs financements sanctuarisés sur la période de programmation. Les financements seraient calés en début de période en fonction des priorités nationales et sans doute ajustables en cours de route, notamment si les décaissements se profilaient moindres que prévus
CRITÈRES DE CONDITIONALITÉ ET INVESTISSEMENTS INADÉQUATS
Dans le cas de la PAC, la Commission illustre son propos avec deux exemples qui interrogent un peu sur la connaissance fine des problématiques agricoles par les argentiers de la Commission européenne Elle imagine comme mesure conditionnant l’accès des Etats membres à l’argent de la PAC le fait de promouvoir l’agriculture biologique. Exemple original s’il en est quand il est clair que l’objectif avancé par la Farm to Fork de 25 % de terres en agriculture biologique ne correspond ni aux attentes des marchés, ni aux impératifs de souveraineté alimentaire, ni à ceux de la durabilité en Europe. Quant au chapitre « investissements » de la PAC, la commission prend l’exemple des paiements directs. Si ces paiements sont certes vitaux actuellement pour les revenus des agriculteurs, cet exemple est-il le plus pertinent quand on vise les investissements pour gagner résolument le défi de la double performance : retrouver les chemins de la rentabilité pour l’agriculture
européenne tout en poursuivant la voie de la durabilité renforcée ? Sans parler de l’arrivée de l’Ukraine.
LE MARCHÉ UNIQUE EUROPÉEN MENACÉ
Quelle serait l’efficacité économique d’un tel dispositif re-nationalisé, avec la tentation de certains de concentrer les financements sur quelques secteurs afin de les subventionner plus pour qu’ils puissent avoir un avantage sur leurs concurrents européens ? Cette idée de grand pot

commun est sans doute à mettre aussi en relation avec le leitmotiv de la Présidente de la Commission ces dernières semaines (au moins vis à vis de la PAC) d’avoir un budget plus ciblé et des mesures plus ciblées. Si l’objectif est d’avoir des mesures plus efficaces, tout le monde peut en convenir S’il s’agit d’une réthorique pour faire accepter un budget à la baisse en expliquant que, malgré tout, tout ira bien moyennant plus de ciblage, les doutes sont permis.
D'OÙ PROVIENNENT LES REVENUS DE L'UNION EUROPÉENNE ?
Ressources propres «traditionnelles», composées des droits de douane et des droitsagricoles
Ressources propres basées sur la TVA, qui reposent sur le transfert d’une part du montantestimédelaTVAperçueparlesÉtatsmembres
Ressources propres fondées sur le RNB, qui consistent en un prélèvement d’un pourcentage sur le Revenu National Brut des États membres. À l’origine, elles ne devaient être perçues que si les autres ressources propres étaient insuffisantes pour couvrir les dépenses, mais elles financent aujourd’hui l’essentiel du budget de l’Union La ressource fondée sur le RNB a doublé depuis les années 2000 et représenteactuellementenviron70%desrecettesdesressourcespropres
Ressources propres basées sur le plastique, qui depuis 2021 prennent la forme d’une contribution nationale calculée sur la base des quantités de déchets d’emballagesenplastiquenonrecyclés
Emprunts. au titre de l’instrument de relance Next Generation EU, qui ont été autorisés,àtitreexceptionnelettemporaire(750milliardsd’eurosauxprixde2018)
Autres recettes et mécanismes de correction. Des rabais ont notamment été maintenus en faveur de l’Autriche, du Danemark, de l’Allemagne, des Pays-Bas et delaSuède Cesrabaissontfinancéspardescontributionssupplémentairespayées parlesautresEtatsmembres
DEPENSES PAC
(en tant que % des dépenses totales de l’UE)
GraphiqueEvolution des recettes européennes depuis 2000 par catégorie (Billions €, euros constants 2000). Source : Elaboration de l’auteur a partir des données de la CE

(% PAC dans les dépenses totales de l’UE, excluant les dépenses NGEU)


DÉPENSES TOTALES DE L’UE EN 2022 (EUROS CONSTANTS 2000)
Ressources naturelles et environnement
Dans lesquels : European Agricultural Guarantee Fund (70%) European Agricultural Fund for Rural Development (26%)
La part de la PAC dans le budget de l’UE a diminué ces 20 dernières années Cette baisse est principalement due aux réformes de la PAC et à la part croissante d’autres politiques dans les dépenses de l’UE Les baisses plus marquées en 2021 et 2022 sont liées aux dépenses globales supplémentaires de l’UE pour les fonds de Next Generation EU (NGEU) Sans compter les fonds NGEU, la part de la PAC dans le budget est aujourd’hui de 31%.

Cohésion, Résilience et Valeurs
DEPENSES TOTALES DE L’UE : 152 B€
(valeur 2022 en euros constants 2000)
PAYS
Evolutiondescontributions nettesdesEtatsMembres (%)2023/2010eneuros constants
Graphique - Repartition des dépenses européennes en 2022 (%) Source : Elaboration de l’auteur a partir des données de la CE

Comparaison taux de retour PAC et part de contribution nette des pays au budget européen :
TauxderetourPACinférieurdeplusde 40%àlapartdecontributionnationale aubudgeteuropéen.
TauxderetourPACinférieurde4à 25%àlapartdecontribution nationaleaubudgeteuropéen.
TauxderetourPACsupérieurde20à 100%àlapartrelativedecontribution netteaubudgetUE.
TauxderetourPACsupérieurdeplus dedeuxfois(de2à4,22fois)au poidsdescontributionsnettesdes Etatsmembres

LES TROIS DÉFIS AUTOUR DES NÉGOCIATIONS BUDGÉTAIRES

L'inflation, l'élargissement à l'Ukraine, ainsi que la capacité ou non de reconstruire une vision commune et la volonté de surmonter
ensemble les défis mondiaux seront quelques-uns des principaux moteurs des prochaines négociations du cadre financier pluriannuel. Inflation
Sans indexation à l'inflation pour la période 2028-2034, et en supposant une inflation modeste de 2 % par an, la valeur économique de la PAC d'ici 2034 serait réduite de plus de moitié (-54 %).
L’inflation moyenne en UE est proche des 10%, loin des 2% prévus lors des négociations de 2019 Certains pays européens se trouvent bien au-dessus de cette moyenne. Ce retour d’une inflation forte a amputé la valeur réelle du soutien apporté qui a été laminée de 30 % en 20 ans. La valeur réelle du budget de la PAC va diminuer de 84,57 milliards d'euros sur la période 2021-2027 par rapport à 2020, si l'on se base sur les prévisions d'une inflation modérée d'ici 2027 Le premier pilier perdra 68,60 milliards d'euros, et le deuxième pilier 15,97 milliards d'euros. Ce déficit représente une baisse de 18 % de la valeur totale du budget de la PAC sur la période par rapport à 2020, soit presque 2 ans de moins en aides directes à la PAC. Pour les aides en 2027, cela signifiera un manque à gagner de 26 % en soutien réel (-25 % pour les aides directes, -30 % pour le 2e pilier), ce qui affectera gravement les revenus des agriculteurs (le soutien de la PAC représente en moyenne 51 % des revenus agricoles européens) et leur capacité à investir Pour éviter que le financement de la PAC ne perde en valeur année après année, il est nécessaire a minima de réévaluer le budget chaque année en l'ajustant à l'inflation, sans quoi l’ambition d’une Union Européenne plus souveraine et réussissant sa transition ne serait au mieux qu’une chimère et au pire un chemin de régression économique, environnemental et social comme le rapport Draghi le souligne avec force
BUDGET PAC 2014-2020
387 Milliards 415 Milliards BUDGET PAC 2021-2027
85 Mds €
pour maintenir la valeur 2020 de la PAC
Pour que 371 millions aujourd'hui aient la même valeur qu'ils auraient eu en 2020, il faudrait les augmenter à 481 millions.

Graphique - Indice des prix à la consommation (UE IPCH) Source: Eurostats
Budget Ajusté pour l'Inflation
Mds € par an
Correspond à ce que le budget de la PAC aurait dû être chaque année si ce dernier avait suivi l'inflation depuis 2020.
Carte - Inflation annuelle (UE août 2022). Source: Eurostats



Milliards

EN 2034 SANS INDEXATION À L’INFLATION
“Déficit” DE FINANCEMENT
L'écart entre les deux courbes correspond au montant théorique qu'il faudrait ajouter au budget de la PAC pour compenser l'érosion de la valeur due à l'inflation. Ce “déficit” de financement représente une perte de valeur en termes réels.
BUDGET PAC Mds € par an
Correspond au montant de la PAC alloué chaque année
Élargissement à l’Ukraine

En tant que pays membre de l’UE, l’Ukraine pourrait prétendre à 20% du budget PAC et à une part substantielle du budget alloué à la politique de cohésion.
BUDGET PAC ET BUDGET POLITIQUE DE COHESION
Derrière les discussions sur le CFP européen pour 2028-2034, la perspective de l'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne, son coût et son financement seront dans tous les esprits
L’Ukraine pourrait prétendre à une part substantielle du budget alloué à la politique de cohésion (pour mémoire, la Pologne en reçoit aujourd’hui un peu plus de 20%).
En outre, l’Ukraine est une puissance agricole competitive. Les coûts de la main-d'œuvre, des engrais et des semences, ainsi que les amortissements sont moins élevés en Ukraine que dans l'UE. Le maïs ukrainien est 25 % moins cher que le maïs européen Le blé ukrainien lui est 39 % moins cher L'agriculture joue un rôle économique majeur en Ukraine, représentant 10,9 % du PIB en 2021 et près de 14,7 % de l'emploi (contre respectivement 1,4 % et 4,2 % dans l'UE). Au regard de l’importance de sa SAU, l’Ukraine pourrait prétendre à 20% du budget PAC.
La compétitivité de l'agriculture ukrainienne oblige l’Union à réfléchir à l'allocation des futurs fonds de la PAC entre les différentes mesures existantes et/ou l'émergence d'outils supplémentaires pour préparer les secteurs agricoles européens au défi de l'adhésion.
Le profil économique de l’Ukraine, et le développement enregistré dans les pays de l’UE12 depuis leur adhésion invite à se poser aussi la question du dimensionnent de la politique de cohésion (orientations, budget, répartition) sur la période 2028-2034
LÉGENDE:
Autres coûts Main-d'œuvre
Coût d'exploitation
Graphique - Comparaison des coûts de production du maïs (€/t). Source : données du Service national des statistiques de l'Ukraine (SSSU) et de la FAD : D'après les données du Service national des statistiques de l'Ukraine (SSSU) et de la FAD.
121 €/t 199 €/t

1,64 % du budget cohésion reçu par Etat Membre

Remise en question de l’approche communautaire
La proposition de la Commission pour le CFP 2028-2034 transférerait davantage de responsabilités aux États membres, renationalisant ainsi la plupart des politiques de l'UE.
UN BUDGET DÉPENDANT DES CONTRIBUTIONS NATIONALES
Depuis les années 2000, le budget de l'Union européenne repose plus sur les contributions nationales plutôt que sur ses ressources propres. Le passage de l'UE15* à l'UE27* a entraîné une augmentation de 95 % des contributions nationales totales. Environ 82 % de cette augmentation ont été financés par les pays de l'UE15*, le prix payé par les États pour construire une Europe stable et pacifique et établir un grand marché unique Après cet élargissement, les pays de l'UE12 représentaient 9 % des contributions nationales nettes européennes, et recevaient 18 % du budget de la PAC
UNE DIMINUTION DES CONTRIBUTIONS DES « ANCIENS » ÉTATS MEMBRES DEPUIS 2010
Entre 2010 et 2023, les contributions totales des États membres ont diminué de 5 % Dans le même temps, les contributions des pays de l'UE12 ont atteint 13 % en 2023, et certains de ces États membres pourraient même devenir des contributeurs nets à l'avenir, si d'autres pays rejoignaient l'Union. Ces changements ont des répercussions significatives sur l'équilibre traditionnel des pouvoirs dans les négociations budgétaires et doivent être surveillés de près
En ce qui concerne le secteur agricole, l'objectif des États membres — et en particulier des contributeurs nets est de réduire leurs contributions nationales tout en améliorant et maximisant le taux de retour de la PAC.
CFP 2028-2034 : L'idée d'une nouvelle structure du budget du CFP avec un pilier unique (et fonds) fusionnant toutes les principales politiques de l'UE ouvrirait la voie à une large renationalisation de ces politiques, notamment la Politique agricole commune. .
* En excluant le Royaume Uni
Contributions des Etats Membres exprimées en Euros
63,5B€
