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PARLONS CONSERVATION

• PAR MARION SPÉE

Il fut un temps où les ménageries exhibaient des animaux sauvages et exotiques et collectionnaient toutes sortes d’espèces pour émerveiller les visiteurs. « Aujourd’hui, les institutions zoologiques modernes cherchent toujours à sensibiliser les gens à la beauté de la nature et des animaux, mais elles ont aussi pour vocation de participer au maintien de la biodiversité et à la conservation des espèces en péril », analyse Emiko Wong, cheffe de la division Collections vivantes et Recherche du Biodôme de Montréal. On a fait du chemin.

Des normes ont été développées par des organismes indépendants pour offrir aux espèces sauvages les plus hauts standards en matière de garde en captivité, afin de maintenir leur intégrité, leur santé et leur bien-être. Au Canada, c’est l’AZAC (Aquariums et zoos accrédités du Canada) qui s’en charge. La mission est triple : éducation, recherche et conservation.

Au Biodôme, par exemple, le programme de conservation de base vise les espèces qui font partie d’une gestion de population captive, en collaboration avec toutes les autres institutions qui en possèdent. L’idée, c’est de maintenir une population génétiquement saine au gré des transferts et des échanges entre institutions. « On évite par exemple de faire s’accoupler des individus avec une génétique trop proche, on s’assure au contraire qu’il y ait un brassage suffisant », détaille Emiko Wong. L’autre objectif de ce genre de programme, c’est de constituer une sorte de « réserve » de plusieurs espèces qui pourrait servir dans le cas d’une catastrophe écologique.

Il y aussi des programmes de conservation in situ, au Biodôme, tout comme au Jardin botanique et à l’Insectarium, qui tentent de remédier au déclin de populations d’espèces en péril. Dans le cadre de ces programmes, une partie du cycle de vie se fait dans les locaux ou dans les serres, puis les individus sont réintroduits dans la nature.

AU BIODÔME : LA GRENOUILLE DORÉE DU PANAMA

La grenouille dorée du Panama (Atelopus zeteki) est un symbole écologique et culturel du pays. Mais la dernière fois qu’elle a été répertoriée à l’état sauvage, c’était en 2009. Alors le Biodôme, avec 50 autres institutions zoologiques aux États-Unis et au Canada, s’est engagé à la protéger en participant au maintien d‘une population génétiquement saine.

Le défi est surtout environnemental. « Les grenouilles viennent des montagnes et pondent dans des ruisseaux dans lesquels il y a beaucoup de courant. En milieu zoologique, on doit pouvoir recréer des conditions optimales pour que les femelles pondent : reproduire une chute, un mouvement d’eau perpétuel… », précise Roxan Ouimet, technicienne en soins animaliers. En pratique, les couples se mettent en amplexus, c’est-à-dire que le mâle s’accroche sur le dos de la femelle. Une fois qu’elle a trouvé un lieu adéquat, elle libère ses œufs et le mâle les féconde. Le risque, si elle ne trouve pas l'endroit approprié pour pondre, c’est que les œufs restent dans l’abdomen… et qu’elle en meurt. Aujourd’hui, il existe plus de 1 600 grenouilles dorées du Panama en captivité. L’étape ultime, bien sûr, c’est de pouvoir les réintroduire. « Mais d’abord, prévient Roxan Ouimet, il va falloir que les chytrides, ces champignons parasites qui ont fait disparaître les populations de leur habitat naturel, disparaissent à leur tour».

À L’INSECTARIUM : UN RÉSEAU DE SUIVI DES POPULATIONS D’INSECTES VOLANTS DU QUÉBEC

Dans les régions tempérées du globe, les populations d’insectes chutent dramatiquement. Le Québec n’échappe pas à la règle, mais il n’existe pas d’infrastructures de suivi pour le quantifier. Alors un nouveau projet de surveillance des communautés d’insectes volants a été initié à l’hiver 2018-2019. Le premier du genre dans la province. Le but est d’installer des pièges à insectes pour pouvoir documenter la diversité, l’abondance mais aussi la biomasse de différents groupes d’indicateurs. Plus on en saura sur nos insectes, mieux on pourra les protéger.

« Dans un premier temps, on veut tester la méthodologie et s’assurer qu’elle est simple et efficace, puisque les pièges seront opérés par des collaborateurs volontaires », note l'entomologiste de l'Insectarium, Michel Saint-Germain. Deux sites ont été équipés de pièges capables d’intercepter les insectes au vol : le parc national d’Oka et le parc-nature de la Pointe-aux-Prairies. « Ces pièges capturent les insectes volants qui se déplacent vers le haut quand ils rencontrent un obstacle, comme les mouches ou les guêpes, mais aussi ceux qui au contraire se laissent tomber, comme la plupart des coléoptères ou encore les criquets», précise Michel Saint-Germain.

Traiter ce genre d’échantillons est exigeant en temps et en expertise. Alors, la première étape, c’est de classifier les insectes récoltés par grands groupes et de prendre des mesures de biomasse. «Ce paramètre est un meilleur indicateur que la simple abondance, explique l’entomologiste, puisque l’impact d’un insecte dans l’écosystème est en partie en fonction de son poids».

L’objectif d’ici trois ans est d’avoir une quinzaine de stations qui fonctionnent chaque année. C’est aussi de couvrir des territoires présentant des menaces plus ou moins marquées pour obtenir un état des lieux précis, par exemple au niveau du degré d’urbanisation ou de l’activité agricole intensive.

AU JARDIN BOTANIQUE : LE CAREX FAUX-LUPULINA

Le Carex faux-lupulina pousse dans les milieux humides riverains. Au Québec, il a le statut d’espèce menacée, le plus critique qui existe. En 2005, on ne comptait par exemple que 3 populations (des ensembles d’individus) pour un total de seulement une trentaine d’individus.

Pour tenter d’élever ce maigre chiffre, un projet de conservation et de réintroduction a été lancé en 2006. Il s’agissait de faire pousser des semences en serres et de réintroduire les plants dans la nature. «Souvent, quand il est question de plantes rares, les gens croient que la viabilité des graines est faible. Mais, en serre, on a des taux de succès de 98%», s’enthousiasme la botaniste Stéphanie Pellerin. Ce n’est donc pas difficile de faire pousser le Carex faux-lupulina, mais c’est une autre affaire de le réintroduire. « On n’avait pas encore beaucoup de connaissances sur son habitat préféré au début du projet, alors on a fait beaucoup d’essais-erreurs », poursuit la scientifique. Il faut dire que la plante est capricieuse, elle aime les habitats pas trop ombragés ni trop lumineux, pas trop inondés ni trop peu non plus…

L’équipe peut se targuer aujourd’hui de compter plus de 200 individus dans la nature, soit près de 7 fois plus qu’en 2005, et une dizaine de populations. Les résultats sont très encourageants, le Carex faux-lupulina est sur la bonne voie… et entre de bonnes mains !

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