Du gras, du sucre et de l'amour

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RECETTES ET HISTOIRES DES TRADITIONS PERDUES

DU GRAS, DU SUCRE ET DE L’AMOUR « Sé nou sabés t’ aoun bas, r’appèlot d’oun béngués. » VÉRONIQUE CHAPACOU


À mes grands-parents Rosa et Alfred, à mes parents Annie et Joseph, à mon fils Nicolas.

« Si tu ne sais pas où tu vas, rappelle-toi d’où tu viens. »

© LES ÉDITIONS DE L'ÉPURE, PARIS 2018

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À mes grands-parents Rosa et Alfred, à mes parents Annie et Joseph, à mon fils Nicolas.

« Si tu ne sais pas où tu vas, rappelle-toi d’où tu viens. »

© LES ÉDITIONS DE L'ÉPURE, PARIS 2018

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J’ai grandi dans la ferme de mes grands-parents paternels, en Haute-Bigorre, élevée à la charcuterie, aux viandes confites, cuites lentement sur le coin du fourneau, aux fromages au lait cru, aux fruits et légumes du jardin. La cuisine bigourdane est une cuisine paysanne, simple, qui tient au corps. Les plats traditionnels sont roboratifs et les menus de fête, longs, très longs. Ici, pas de nouvelle cuisine, pas d’allégé, pas de “sans graisse” ou de “sans sucre”. Quand on se retrouve autour de la table, en famille ou avec les amis, inutile de compter les calories, le chiffre s’approcherait de la dette publique du pays. Le lait cru, entier et bien gras de mon chocolat chaud du matin sortait du pis des vaches de mon grand-oncle Gabriel et la confiture de ma mère contenait tant pour tant de fruits du verger et de sucre. Mon 4 heures était souvent composé d’une tranche de pain (au levain) frottée d’une gousse d’ail et arrosée d’huile d’olive ou tartinée d’un morceau de pâté. Pas de snacks industriels sucrés, pas de sodas dans les buffets. J’avais 12 ans lorsque j’ai goûté le célèbre soda marron pour la première fois et 25 ans lorsque j’ai poussé la porte du mac’machin de Lourdes en compagnie de mon amie Fabienne. Rien de miraculeux dans l’expérience et pas l’envie d’y retourner de sitôt ! La base de notre alimentation était le cochon sous toutes ses formes, la volaille qui courait dans la cour, le gibier que mon père rapportait de la chasse. Nous consommions les légumes en suivant les saisons et surtout en fonction de ce qui avait poussé dans les champs de mes grands-parents. Un peu de tout, mais Sud-Ouest oblige, avec une prédilection pour les pommes de terre et les haricots tarbais qui grimpaient le long des pieds de maïs. Les fruits étaient ceux que l’on cueillait dans le verger et les œufs étaient ramassés chaque jour dans le poulailler. Les aliments posés sur la table familiale étaient le fruit du travail des champs et de l’élevage en plein air des animaux. Nous étions sans le savoir encore locavores et presque autosuffisants puisque nous n’allions qu’une

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J’ai grandi dans la ferme de mes grands-parents paternels, en Haute-Bigorre, élevée à la charcuterie, aux viandes confites, cuites lentement sur le coin du fourneau, aux fromages au lait cru, aux fruits et légumes du jardin. La cuisine bigourdane est une cuisine paysanne, simple, qui tient au corps. Les plats traditionnels sont roboratifs et les menus de fête, longs, très longs. Ici, pas de nouvelle cuisine, pas d’allégé, pas de “sans graisse” ou de “sans sucre”. Quand on se retrouve autour de la table, en famille ou avec les amis, inutile de compter les calories, le chiffre s’approcherait de la dette publique du pays. Le lait cru, entier et bien gras de mon chocolat chaud du matin sortait du pis des vaches de mon grand-oncle Gabriel et la confiture de ma mère contenait tant pour tant de fruits du verger et de sucre. Mon 4 heures était souvent composé d’une tranche de pain (au levain) frottée d’une gousse d’ail et arrosée d’huile d’olive ou tartinée d’un morceau de pâté. Pas de snacks industriels sucrés, pas de sodas dans les buffets. J’avais 12 ans lorsque j’ai goûté le célèbre soda marron pour la première fois et 25 ans lorsque j’ai poussé la porte du mac’machin de Lourdes en compagnie de mon amie Fabienne. Rien de miraculeux dans l’expérience et pas l’envie d’y retourner de sitôt ! La base de notre alimentation était le cochon sous toutes ses formes, la volaille qui courait dans la cour, le gibier que mon père rapportait de la chasse. Nous consommions les légumes en suivant les saisons et surtout en fonction de ce qui avait poussé dans les champs de mes grands-parents. Un peu de tout, mais Sud-Ouest oblige, avec une prédilection pour les pommes de terre et les haricots tarbais qui grimpaient le long des pieds de maïs. Les fruits étaient ceux que l’on cueillait dans le verger et les œufs étaient ramassés chaque jour dans le poulailler. Les aliments posés sur la table familiale étaient le fruit du travail des champs et de l’élevage en plein air des animaux. Nous étions sans le savoir encore locavores et presque autosuffisants puisque nous n’allions qu’une

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fois par mois au supermarché, à une vingtaine de kilomètres de mon petit village natal. Le marché local du samedi matin réunissait uniquement des petits producteurs du coin qui proposaient des tommes d’estives ou des petits chèvres frais, du miel, des légumes, des volailles et des œufs, quelques spécialités sucrées. Ici, pas de vitrines réfrigérées. Dans le meilleur des cas, des glacières de camping, sinon deux cageots retournés et recouverts de torchons tenaient lieu d’étal. Les produits du jardin, de la basse-cour ou de la porcherie étaient transformés par nos soins pour les conserver au mieux et nous permettre de les consommer jusqu’à la prochaine pleine saison. Des savoir-faire et des recettes traditionnelles transmises de génération en génération : de la façon de faire sécher les oignons de Trébons à l’assaisonnement du boudin noir en passant par la réalisation des confitures et autres conserves de légumes. Pour cela, quel que soit leur âge, petits et grands participaient aux activités qui rythmaient l’année : semer le maïs, cueillir les fraises, écosser les petits pois, plumer les volailles, hacher la viande pour préparer les pâtés. Ces propos semblent dater d’un autre siècle, pourtant, ils racontent simplement un quotidien dans les années 1970 et début 1980. Mais à bien y regarder, finalement c’était effectivement au siècle dernier ! La cuisine a pour elle d’être liée au terroir, d’exploiter les produits des régions et des saisons, en étroit accord avec la nature, de reposer sur un savoir-faire ancestral, transmis par les voies inconscientes de l’imitation et de l’habitude, d’appliquer des procédés de cuisson patiemment mis à l’épreuve et associés à certains instruments et récipients de cuisine bien fixés par la tradition. Jean-François REVEL Les goûts et habitudes alimentaires ainsi que les modes de consommation ont beaucoup changé au cours des cinquante dernières années. En 1975, la cuisine minceur

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de Michel Guérard a succédé à la traditionnelle et gourmande cuisine de Fernand Point (“du beurre, encore du beurre, toujours du beurre” disait-il) ou d’Eugénie Brazier. Au début des années 1990, Hervé This nous a initié à la gastronomie moléculaire, à la cuisine déstructurée, puis nous sommes entrés dans les années “sans”. Les régimes alimentaires jusque-là réservés à des personnes malades ou allergiques sont malheureusement devenus des tendances, des “modes alimentaires” à suivre. Sans gluten, sans sucre, sans graisse, sans lactose, sans féculents, sans protéines animales… Et à venir sans saveur, sans odeur, sans texture ! L’arrivée en France des plats cuisinés surgelés, au milieu des années 1960 et le grand boum de la restauration rapide et de la vente à emporter a certes facilité notre quotidien mais ce qui pouvait être considéré comme un progrès a rapidement dérivé. Face à ce marché en pleine expansion, les agro-industriels ont margé de plus en plus au détriment de la qualité du contenu, à grand renfort d’huile de palme, de teneur élevée en sodium, d’utilisation de minerai de viande (et de viande séparée mécaniquement) ou de filets de poissons gonflés artificiellement avec de l’eau salée gélifiée. Au travers des médias, après avoir vanté le gain de temps et la qualité de vie obtenue grâce à leurs préparations minute, ils nous ont promis la santé et la minceur grâce à leurs nouveaux produits. Quel être humain un tant soit peu sensé aurait imaginé qu’un jour, “chocolat” et “régime” puissent être associés ou que “allégée” soit le qualificatif de charcuterie, écrit en toutes lettres sur les emballages de rillettes industrielles ? Les “chocolats de régime” contiennent moins de sucre (remplacé par des édulcorants non dépourvus d’effets secondaires) mais plus de matière grasse, avec au final autant de calories qu’un chocolat classique. La “charcuterie allégée” affiche moins de matières grasses mais en moyenne quatre fois plus de glucides que dans la version classique ! C’est fou d’imaginer


fois par mois au supermarché, à une vingtaine de kilomètres de mon petit village natal. Le marché local du samedi matin réunissait uniquement des petits producteurs du coin qui proposaient des tommes d’estives ou des petits chèvres frais, du miel, des légumes, des volailles et des œufs, quelques spécialités sucrées. Ici, pas de vitrines réfrigérées. Dans le meilleur des cas, des glacières de camping, sinon deux cageots retournés et recouverts de torchons tenaient lieu d’étal. Les produits du jardin, de la basse-cour ou de la porcherie étaient transformés par nos soins pour les conserver au mieux et nous permettre de les consommer jusqu’à la prochaine pleine saison. Des savoir-faire et des recettes traditionnelles transmises de génération en génération : de la façon de faire sécher les oignons de Trébons à l’assaisonnement du boudin noir en passant par la réalisation des confitures et autres conserves de légumes. Pour cela, quel que soit leur âge, petits et grands participaient aux activités qui rythmaient l’année : semer le maïs, cueillir les fraises, écosser les petits pois, plumer les volailles, hacher la viande pour préparer les pâtés. Ces propos semblent dater d’un autre siècle, pourtant, ils racontent simplement un quotidien dans les années 1970 et début 1980. Mais à bien y regarder, finalement c’était effectivement au siècle dernier ! La cuisine a pour elle d’être liée au terroir, d’exploiter les produits des régions et des saisons, en étroit accord avec la nature, de reposer sur un savoir-faire ancestral, transmis par les voies inconscientes de l’imitation et de l’habitude, d’appliquer des procédés de cuisson patiemment mis à l’épreuve et associés à certains instruments et récipients de cuisine bien fixés par la tradition. Jean-François REVEL Les goûts et habitudes alimentaires ainsi que les modes de consommation ont beaucoup changé au cours des cinquante dernières années. En 1975, la cuisine minceur

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de Michel Guérard a succédé à la traditionnelle et gourmande cuisine de Fernand Point (“du beurre, encore du beurre, toujours du beurre” disait-il) ou d’Eugénie Brazier. Au début des années 1990, Hervé This nous a initié à la gastronomie moléculaire, à la cuisine déstructurée, puis nous sommes entrés dans les années “sans”. Les régimes alimentaires jusque-là réservés à des personnes malades ou allergiques sont malheureusement devenus des tendances, des “modes alimentaires” à suivre. Sans gluten, sans sucre, sans graisse, sans lactose, sans féculents, sans protéines animales… Et à venir sans saveur, sans odeur, sans texture ! L’arrivée en France des plats cuisinés surgelés, au milieu des années 1960 et le grand boum de la restauration rapide et de la vente à emporter a certes facilité notre quotidien mais ce qui pouvait être considéré comme un progrès a rapidement dérivé. Face à ce marché en pleine expansion, les agro-industriels ont margé de plus en plus au détriment de la qualité du contenu, à grand renfort d’huile de palme, de teneur élevée en sodium, d’utilisation de minerai de viande (et de viande séparée mécaniquement) ou de filets de poissons gonflés artificiellement avec de l’eau salée gélifiée. Au travers des médias, après avoir vanté le gain de temps et la qualité de vie obtenue grâce à leurs préparations minute, ils nous ont promis la santé et la minceur grâce à leurs nouveaux produits. Quel être humain un tant soit peu sensé aurait imaginé qu’un jour, “chocolat” et “régime” puissent être associés ou que “allégée” soit le qualificatif de charcuterie, écrit en toutes lettres sur les emballages de rillettes industrielles ? Les “chocolats de régime” contiennent moins de sucre (remplacé par des édulcorants non dépourvus d’effets secondaires) mais plus de matière grasse, avec au final autant de calories qu’un chocolat classique. La “charcuterie allégée” affiche moins de matières grasses mais en moyenne quatre fois plus de glucides que dans la version classique ! C’est fou d’imaginer


du sucre dans le pâté, non ? Mes ancêtres se retournent dans leurs tombes pendant que j’écris ça. Et je ne parle même pas de toutes ces “poudres magiques” qui colorent, texturent, aromatisent ou prolongent la durée de vie de ces aliments… ni des quantités que nous ingurgitons chaque jour, sans le savoir, en consommant tous ces produits industriels. Tout est poison, rien n’est poison. Ce qui fait le poison c’est la dose. PARACELSE Les matières grasses et les sucres sont des carburants utiles à la machine humaine. Naturellement présents dans de nombreux aliments, ils ne doivent pas être négligés. Exhausteurs de goûts, vecteurs de saveurs, ils apportent aussi un moelleux incomparable aux préparations. Bref, ils sont, à mon sens, indispensables à toute cuisine gourmande. Mais dans les préparations industrielles, ils sont majoritairement de mauvaise qualité, ajoutés en grande quantité et sans aucun intérêt nutritif. Sucre blanc, sirop de glucose-fructose, édulcorants de synthèse, matières grasses saturées, huiles végétales de piètre qualité. Faut-il pour autant arrêter de consommer des produits transformés ? Non, il faut juste faire les bons choix, faire preuve de bon sens et d’un peu d’organisation. Éloignez-vous des grandes surfaces et favorisez les circuits courts : amap (associations pour le maintien d’une agriculture paysanne), Jardins de Cocagne, Ruche qui dit oui, magasins et marchés de producteurs locaux, vente à la ferme, etc. Vous découvrirez les artisans et producteurs du coin et deviendrez peut-être plus attentifs à l’origine géographique et à la composition des aliments. Vous pourrez échanger avec eux et recréer ce lien qui fait tellement défaut. Ils vous raconteront leur quotidien, vous parleront de leurs passions mais aussi de leurs difficultés. Comment ils composent avec la nature et le rythme des saisons, quels modes de culture ou d’élevage ils pratiquent, comment est fabriqué ce fromage que vos enfants

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adorent ou ces petits biscuits qui accompagnent si bien votre café. Vous prendrez le temps de lire la composition de cette soupe de légumes que vous aimez tant et découvrirez que la liste au dos du bocal est réduite à sa plus simple expression. Vous réapprendrez la saisonnalité des aliments et accepterez qu’il n’y ait pas de tomates en février, de raisins en juin et qu’il faille vous priver quelque temps de cet excellent fromage de chèvre qui reviendra certainement au mois de mai. Vous mangerez moins de fraises mais découvrirez le goût incomparable de celles qui ont poussé en plein champs au mois de juin, à quelques dizaines de kilomètres de chez vous. Vous paierez votre poulet du dimanche peut-être un peu plus cher qu’au supermarché mais celui qui se retrouvera dans votre cocotte ne réduira pas de moitié, gardera sa chair bien accrochée à ses os et les euros échangés iront entièrement dans la caisse de l’éleveur. Vous aiderez ainsi l’économie locale ou régionale, permettrez le développement de l’emploi dans les territoires ruraux et par la même occasion, une meilleure et juste rémunération des producteurs. Il ne faut pas oublier l’impact environnemental, alors si en plus d’être locaux et de saison, ces produits sont bios, c’est carton plein ! Avec ces beaux produits, vous retrouverez certainement l’envie et prendrez le temps de retourner dans votre cuisine. Pas besoin de passer des heures derrière les fourneaux quand les produits se suffisent à eux-mêmes. Des recettes simples qui deviendront celles que l’on se transmet dans votre famille : le flan aux berlingots de papa ou le poulet aux oignons de mamie. Je vous raconte ici le quotidien et les traditions de mon enfance qui ont pour une grande partie disparues, et les recettes héritées de mes parents et de mes grandsparents (qui leur ont été transmises par leurs parents). Du gras, du sucre et de l’amour : trois sources d’endorphines mais aussi les ingrédients indispensables à toute bonne recette de cuisine !


du sucre dans le pâté, non ? Mes ancêtres se retournent dans leurs tombes pendant que j’écris ça. Et je ne parle même pas de toutes ces “poudres magiques” qui colorent, texturent, aromatisent ou prolongent la durée de vie de ces aliments… ni des quantités que nous ingurgitons chaque jour, sans le savoir, en consommant tous ces produits industriels. Tout est poison, rien n’est poison. Ce qui fait le poison c’est la dose. PARACELSE Les matières grasses et les sucres sont des carburants utiles à la machine humaine. Naturellement présents dans de nombreux aliments, ils ne doivent pas être négligés. Exhausteurs de goûts, vecteurs de saveurs, ils apportent aussi un moelleux incomparable aux préparations. Bref, ils sont, à mon sens, indispensables à toute cuisine gourmande. Mais dans les préparations industrielles, ils sont majoritairement de mauvaise qualité, ajoutés en grande quantité et sans aucun intérêt nutritif. Sucre blanc, sirop de glucose-fructose, édulcorants de synthèse, matières grasses saturées, huiles végétales de piètre qualité. Faut-il pour autant arrêter de consommer des produits transformés ? Non, il faut juste faire les bons choix, faire preuve de bon sens et d’un peu d’organisation. Éloignez-vous des grandes surfaces et favorisez les circuits courts : amap (associations pour le maintien d’une agriculture paysanne), Jardins de Cocagne, Ruche qui dit oui, magasins et marchés de producteurs locaux, vente à la ferme, etc. Vous découvrirez les artisans et producteurs du coin et deviendrez peut-être plus attentifs à l’origine géographique et à la composition des aliments. Vous pourrez échanger avec eux et recréer ce lien qui fait tellement défaut. Ils vous raconteront leur quotidien, vous parleront de leurs passions mais aussi de leurs difficultés. Comment ils composent avec la nature et le rythme des saisons, quels modes de culture ou d’élevage ils pratiquent, comment est fabriqué ce fromage que vos enfants

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adorent ou ces petits biscuits qui accompagnent si bien votre café. Vous prendrez le temps de lire la composition de cette soupe de légumes que vous aimez tant et découvrirez que la liste au dos du bocal est réduite à sa plus simple expression. Vous réapprendrez la saisonnalité des aliments et accepterez qu’il n’y ait pas de tomates en février, de raisins en juin et qu’il faille vous priver quelque temps de cet excellent fromage de chèvre qui reviendra certainement au mois de mai. Vous mangerez moins de fraises mais découvrirez le goût incomparable de celles qui ont poussé en plein champs au mois de juin, à quelques dizaines de kilomètres de chez vous. Vous paierez votre poulet du dimanche peut-être un peu plus cher qu’au supermarché mais celui qui se retrouvera dans votre cocotte ne réduira pas de moitié, gardera sa chair bien accrochée à ses os et les euros échangés iront entièrement dans la caisse de l’éleveur. Vous aiderez ainsi l’économie locale ou régionale, permettrez le développement de l’emploi dans les territoires ruraux et par la même occasion, une meilleure et juste rémunération des producteurs. Il ne faut pas oublier l’impact environnemental, alors si en plus d’être locaux et de saison, ces produits sont bios, c’est carton plein ! Avec ces beaux produits, vous retrouverez certainement l’envie et prendrez le temps de retourner dans votre cuisine. Pas besoin de passer des heures derrière les fourneaux quand les produits se suffisent à eux-mêmes. Des recettes simples qui deviendront celles que l’on se transmet dans votre famille : le flan aux berlingots de papa ou le poulet aux oignons de mamie. Je vous raconte ici le quotidien et les traditions de mon enfance qui ont pour une grande partie disparues, et les recettes héritées de mes parents et de mes grandsparents (qui leur ont été transmises par leurs parents). Du gras, du sucre et de l’amour : trois sources d’endorphines mais aussi les ingrédients indispensables à toute bonne recette de cuisine !


LES LÉGUMES

La nature, les saisons et la météo rythmaient une grande partie de notre vie, de la préparation de la terre, au bon moment pour semer ou récolter. Planter les pommes de terre ou le maïs, cueillir les haricots verts ou les prunes puis les conditionner en vue d’une prochaine production ou les transformer pour notre consommation, telles étaient les nombreuses tâches auxquelles nous participions mon frère Bruno et moi, le soir après l’école, le samedi après-midi ou durant les vacances scolaires – et cela tout au long de l’année. Les réjouissances débutaient en mars. Les premières pommes de terre étaient semées à la saint Joseph, la tradition familiale voulait que l’on mange cette première récolte pour la fête des mères. Le plus gros du semis se déroulait début mai. Toute la famille était mise à contribution et avec les jours qui rallongeaient, l’opération avait lieu le soir après l’école et le travail. “On part aux champs.” L’annonce ne nous réjouissait pas mais avec un peu de chance nous retrouverions dans les champs voisins, les copains et copines d’école qui avaient droit à la même “punition”. Après cette corvée, nous pourrions nous retrouver tous ensemble pour nous amuser un moment, c’était une façon de se motiver comme une autre. Les oignons de Trébons étaient repiqués en mars. Cette variété locale d’oignons doux, sucrés et très parfumés entre dans la composition de nombreuses recettes locales et familiales. Cru dans les salades de tomates ou de betteraves, cuit dans les recettes de poulet ou lapin aux oignons et dans les diverses charcuteries. Pâtés et boudins familiaux en regorgent. Cet oignon a la particularité de pouvoir être consommé presque tout au long de l’année car il est récolté à divers stades de maturité. Une première récolte a lieu en mai / juin et une seconde en août. On oublie quelques oignons en terre, les fanes se sèchent et en septembre, on replante ces oignons

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LES LÉGUMES

La nature, les saisons et la météo rythmaient une grande partie de notre vie, de la préparation de la terre, au bon moment pour semer ou récolter. Planter les pommes de terre ou le maïs, cueillir les haricots verts ou les prunes puis les conditionner en vue d’une prochaine production ou les transformer pour notre consommation, telles étaient les nombreuses tâches auxquelles nous participions mon frère Bruno et moi, le soir après l’école, le samedi après-midi ou durant les vacances scolaires – et cela tout au long de l’année. Les réjouissances débutaient en mars. Les premières pommes de terre étaient semées à la saint Joseph, la tradition familiale voulait que l’on mange cette première récolte pour la fête des mères. Le plus gros du semis se déroulait début mai. Toute la famille était mise à contribution et avec les jours qui rallongeaient, l’opération avait lieu le soir après l’école et le travail. “On part aux champs.” L’annonce ne nous réjouissait pas mais avec un peu de chance nous retrouverions dans les champs voisins, les copains et copines d’école qui avaient droit à la même “punition”. Après cette corvée, nous pourrions nous retrouver tous ensemble pour nous amuser un moment, c’était une façon de se motiver comme une autre. Les oignons de Trébons étaient repiqués en mars. Cette variété locale d’oignons doux, sucrés et très parfumés entre dans la composition de nombreuses recettes locales et familiales. Cru dans les salades de tomates ou de betteraves, cuit dans les recettes de poulet ou lapin aux oignons et dans les diverses charcuteries. Pâtés et boudins familiaux en regorgent. Cet oignon a la particularité de pouvoir être consommé presque tout au long de l’année car il est récolté à divers stades de maturité. Une première récolte a lieu en mai / juin et une seconde en août. On oublie quelques oignons en terre, les fanes se sèchent et en septembre, on replante ces oignons

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secs pour obtenir les cébars qui seront récoltés tout au long de l’hiver. Mon père laissait monter en graine quelques pieds de cébars pour récolter la semence d’oignons de Trébons qui serait utilisée l’année d’après. Une autre tradition familiale veut que l’omelette de Pâques, mangée le lundi soir, soit une omelette aux cébars. Cette tradition se perpétue toujours et si vous venez dîner à la maison le lundi de Pâques, vous mangerez de l’omelette aux cébars ! Lorsque les plants de pommes de terre sortaient de terre, mon père se chargeait de les butter. Nous ne serions à nouveau sollicités qu’en octobre pour la récolte, lorsque les feuilles des plants seraient entièrement sèches. Mon père passerait alors dans les rangs avec sa fourche pour déterrer les pieds et découvrir la récolte. Les patates seraient laissées quelques heures à l’air libre pour sécher un peu puis nous les ramasserions. La récolte serait ensuite mise en tas sur un lit de paille, dans le chai. Une année de pommes de terre pour notre consommation et celle des cochons ! Ils avaient droit à une tambouille appétissante, préparée par ma grand-mère. Elle faisait cuire les plus petites, les ratatinées, les amochées dans une lessiveuse et y ajoutait un peu de graisse rance. Mon grand plaisir d’enfant était d’écraser à pleine main ces patates encore chaudes, avant de partir à l’école le matin. Les haricots verts et les petits pois étaient semés fin avril pour que les graines passent les saints de glace, enfouies, protégées sous la terre. Pas de variété montante pour les haricots verts, plus d’exercice physique pour la récolte ! L’équeutage des kilos de haricots verts semblait bien reposant suite à la cueillette, venaient ensuite la mise en bocaux et la stérilisation. Tuteurées sur un grillage installé par mon père, les pousses de petits pois étaient maintenues par de la corde fine, au fur et à mesure de leur montée. Pas trop d’arrosage au début, de façon à favoriser l’apparition des fleurs et donc plus tard, des petits pois.

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La récolte commençait au mois de juin. Nous profitions pleinement de ce légume frais car chez nous, il n’était pas mis en conserve et il n’y avait pas d’autres moyens à cette époque de le conserver. Cultiver un potager ce n’est pas seulement produire ses légumes, c’est apprendre à s’émerveiller du mystère de la vie. Pierre RABHI

Les citrouilles étaient semées à l’abri du froid au mois de mars. Les potimarrons, butternut et autres pâtissons étaient inconnus dans ma contrée, du moins ils n’avaient pas leur place dans les cultures traditionnelles. Lorsque les plants étaient sortis de terre et s’ornaient d’au moins quatre feuilles, ils étaient repiqués en plein champs, généralement au mois de mai. Les premières fleurs jaune orangé apparaissaient fin juillet. Lorsque les fruits étaient formés et qu’ils atteignaient une vingtaine de centimètres, nous déposions une pierre plate dessous pour les isoler de l’humidité de la terre et éviter qu’ils ne pourrissent avant même d’être arrivés à maturité. La récolte commençait en septembre, lorsque les feuilles se desséchaient. Les citrouilles étaient stockées sur un lit de paille dans le chai et étroitement surveillées car le pourrissement pouvait arriver de façon brusque. Une petite tâche presque anodine et quelques jours plus tard, la citrouille était pratiquement décomposée ! Le semis de carottes était fait en pleine terre au mois de mai. Cette culture demandait un travail important de la terre en amont car il fallait qu’elle soit bien aérée, fine et surtout sans cailloux pour obtenir de belles carottes bien droites. Il fallait ensuite éclaircir les plants au fur et à mesure de leur pousse. Cela nécessitait plusieurs passages et c’est ma mère qui était en charge de cette opération délicate. Les carottes restaient en terre, la récolte se faisait petit à petit, en fonction de nos besoins, à partir de septembre. Les semis de tomates étaient


secs pour obtenir les cébars qui seront récoltés tout au long de l’hiver. Mon père laissait monter en graine quelques pieds de cébars pour récolter la semence d’oignons de Trébons qui serait utilisée l’année d’après. Une autre tradition familiale veut que l’omelette de Pâques, mangée le lundi soir, soit une omelette aux cébars. Cette tradition se perpétue toujours et si vous venez dîner à la maison le lundi de Pâques, vous mangerez de l’omelette aux cébars ! Lorsque les plants de pommes de terre sortaient de terre, mon père se chargeait de les butter. Nous ne serions à nouveau sollicités qu’en octobre pour la récolte, lorsque les feuilles des plants seraient entièrement sèches. Mon père passerait alors dans les rangs avec sa fourche pour déterrer les pieds et découvrir la récolte. Les patates seraient laissées quelques heures à l’air libre pour sécher un peu puis nous les ramasserions. La récolte serait ensuite mise en tas sur un lit de paille, dans le chai. Une année de pommes de terre pour notre consommation et celle des cochons ! Ils avaient droit à une tambouille appétissante, préparée par ma grand-mère. Elle faisait cuire les plus petites, les ratatinées, les amochées dans une lessiveuse et y ajoutait un peu de graisse rance. Mon grand plaisir d’enfant était d’écraser à pleine main ces patates encore chaudes, avant de partir à l’école le matin. Les haricots verts et les petits pois étaient semés fin avril pour que les graines passent les saints de glace, enfouies, protégées sous la terre. Pas de variété montante pour les haricots verts, plus d’exercice physique pour la récolte ! L’équeutage des kilos de haricots verts semblait bien reposant suite à la cueillette, venaient ensuite la mise en bocaux et la stérilisation. Tuteurées sur un grillage installé par mon père, les pousses de petits pois étaient maintenues par de la corde fine, au fur et à mesure de leur montée. Pas trop d’arrosage au début, de façon à favoriser l’apparition des fleurs et donc plus tard, des petits pois.

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La récolte commençait au mois de juin. Nous profitions pleinement de ce légume frais car chez nous, il n’était pas mis en conserve et il n’y avait pas d’autres moyens à cette époque de le conserver. Cultiver un potager ce n’est pas seulement produire ses légumes, c’est apprendre à s’émerveiller du mystère de la vie. Pierre RABHI

Les citrouilles étaient semées à l’abri du froid au mois de mars. Les potimarrons, butternut et autres pâtissons étaient inconnus dans ma contrée, du moins ils n’avaient pas leur place dans les cultures traditionnelles. Lorsque les plants étaient sortis de terre et s’ornaient d’au moins quatre feuilles, ils étaient repiqués en plein champs, généralement au mois de mai. Les premières fleurs jaune orangé apparaissaient fin juillet. Lorsque les fruits étaient formés et qu’ils atteignaient une vingtaine de centimètres, nous déposions une pierre plate dessous pour les isoler de l’humidité de la terre et éviter qu’ils ne pourrissent avant même d’être arrivés à maturité. La récolte commençait en septembre, lorsque les feuilles se desséchaient. Les citrouilles étaient stockées sur un lit de paille dans le chai et étroitement surveillées car le pourrissement pouvait arriver de façon brusque. Une petite tâche presque anodine et quelques jours plus tard, la citrouille était pratiquement décomposée ! Le semis de carottes était fait en pleine terre au mois de mai. Cette culture demandait un travail important de la terre en amont car il fallait qu’elle soit bien aérée, fine et surtout sans cailloux pour obtenir de belles carottes bien droites. Il fallait ensuite éclaircir les plants au fur et à mesure de leur pousse. Cela nécessitait plusieurs passages et c’est ma mère qui était en charge de cette opération délicate. Les carottes restaient en terre, la récolte se faisait petit à petit, en fonction de nos besoins, à partir de septembre. Les semis de tomates étaient


effectués fin janvier dans des jardinières qui restaient à l’abri du froid. Lorsque les plants étaient assez grands et vigoureux, ils étaient plantés en terre. Cette opération avait lieu après les fameux saints de glace, mi-mai. Les tuteurs des futurs pieds de tomates étaient installés avant le repiquage, cela évitait de blesser les racines des plants. La terre avait été soigneusement travaillée par mon père qui avait disposé une couche de fumier, un peu de terre par-dessus, une couche de plume de volaille puis une couche de terre. Cela permettait de fertiliser le champ et d’éviter certaines maladies. Des œillets d’Inde étaient également plantés en alternance avec les pieds de tomates. Leur présence était doublement bénéfique, sous terre et en surface. L’œillet d’Inde est un véritable répulsif pour les pucerons et ses racines sécrètent une substance qui fait fuir certains vers. La récolte se faisait de juillet jusqu’aux premières gelées. Les plus belles tomates de chaque variété étaient mises de côté. Ma mère les coupait en deux, récupérait les graines dans une passoire, les lavait pour éliminer le mucilage puis les déposait sur un torchon à température ambiante mais à l’abri du soleil, pour les faire sécher. Quelques jours plus tard, une fois sèches, les graines étaient mises en bocaux fermés, étiquetés et conservés dans le chai. Une partie de la récolte des tomates était transformée en purée puis stérilisée. Ces conserves de tomates serviraient de bases pour préparer le tourin ou seraient ajoutées aux haricots tarbais, en hiver. Le rouge de la tomate a la flamboyance assassine des couchers de soleil d’Istanbul. Je chante ici l’émouvance absolue du satin lumineux de sa peau transparente, impeccablement tendue sur les rondeurs de sa chair dense et tiède comme les joues des enfants, ferme et dure comme les fesses encore épargnées des lycéennes de 1 re B de l’Institut catholique de Paris de la rue d’Assas, dans le vıe, en dessous de la Fnac Montparnasse, juste en face du marchand d’imperméables. Pierre DESPROGES

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Même chose pour les poireaux qui étaient semés à l’abri comme les tomates, fin janvier. Ils étaient repiqués en pleine terre lorsqu’ils atteignaient une quinzaine de centimètres de hauteur. Les poireaux étaient arrosés avec un purin de feuilles de rhubarbe qui permettait d’éviter l’apparition de la teigne du poireau. Tout comme les carottes, ils restaient en terre et étaient récoltés en fonction des besoins, du début de l’automne jusqu’aux premières gelées. Le maïs (milloc) était semé au mois de mai. La production était destinée au bétail, vaches, cochons, volailles diverses. Mon père avait préparé la terre le soir en rentrant du travail, les rangées étaient tracées. Nous étions alignés, courbés, chacun sur une rangée avec sa boîte remplie de maïs. Ma grand-mère repliait son tablier et le coinçait dans la ceinture pour créer une poche dans laquelle elle mettait les grains. C’était parfois la course entre mon frère et moi pour savoir qui arriverait le premier au bout de sa rangée… mais c’était toujours lui qui gagnait. Un mois après, il fallait recommencer pour les haricots tarbais. Au pied de chaque plant de maïs sorti de terre, il fallait déposer un ou deux haricots. La veille, ils avaient été mis à tremper dans un seau d’eau pour faciliter leur germination, une fois plantés. L’opération était plus difficile car il fallait, en plus de la position pénible, éviter de piétiner les jeunes pieds de maïs. Les tarbais allaient pousser à l’ombre du maïs et la nature étant bien faite, ils s’accrocheraient tout naturellement à ces tuteurs vivants. Mes parents surveillaient la croissance et suivaient les conseils de mes grands-parents quant aux soins à prodiguer. Nombre d’opérations potagères avaient lieu en fonction du cycle lunaire et des saints du calendrier : Mamert, Pancrasse, Servais, Jean, Catherine… Fèves et haricots font plus de pets que de rots. Anonyme Dans la fournaise du mois d’août, il fallait retourner dans les champs de maïs non pour les castrer mais pour les écimer.


effectués fin janvier dans des jardinières qui restaient à l’abri du froid. Lorsque les plants étaient assez grands et vigoureux, ils étaient plantés en terre. Cette opération avait lieu après les fameux saints de glace, mi-mai. Les tuteurs des futurs pieds de tomates étaient installés avant le repiquage, cela évitait de blesser les racines des plants. La terre avait été soigneusement travaillée par mon père qui avait disposé une couche de fumier, un peu de terre par-dessus, une couche de plume de volaille puis une couche de terre. Cela permettait de fertiliser le champ et d’éviter certaines maladies. Des œillets d’Inde étaient également plantés en alternance avec les pieds de tomates. Leur présence était doublement bénéfique, sous terre et en surface. L’œillet d’Inde est un véritable répulsif pour les pucerons et ses racines sécrètent une substance qui fait fuir certains vers. La récolte se faisait de juillet jusqu’aux premières gelées. Les plus belles tomates de chaque variété étaient mises de côté. Ma mère les coupait en deux, récupérait les graines dans une passoire, les lavait pour éliminer le mucilage puis les déposait sur un torchon à température ambiante mais à l’abri du soleil, pour les faire sécher. Quelques jours plus tard, une fois sèches, les graines étaient mises en bocaux fermés, étiquetés et conservés dans le chai. Une partie de la récolte des tomates était transformée en purée puis stérilisée. Ces conserves de tomates serviraient de bases pour préparer le tourin ou seraient ajoutées aux haricots tarbais, en hiver. Le rouge de la tomate a la flamboyance assassine des couchers de soleil d’Istanbul. Je chante ici l’émouvance absolue du satin lumineux de sa peau transparente, impeccablement tendue sur les rondeurs de sa chair dense et tiède comme les joues des enfants, ferme et dure comme les fesses encore épargnées des lycéennes de 1 re B de l’Institut catholique de Paris de la rue d’Assas, dans le vıe, en dessous de la Fnac Montparnasse, juste en face du marchand d’imperméables. Pierre DESPROGES

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Même chose pour les poireaux qui étaient semés à l’abri comme les tomates, fin janvier. Ils étaient repiqués en pleine terre lorsqu’ils atteignaient une quinzaine de centimètres de hauteur. Les poireaux étaient arrosés avec un purin de feuilles de rhubarbe qui permettait d’éviter l’apparition de la teigne du poireau. Tout comme les carottes, ils restaient en terre et étaient récoltés en fonction des besoins, du début de l’automne jusqu’aux premières gelées. Le maïs (milloc) était semé au mois de mai. La production était destinée au bétail, vaches, cochons, volailles diverses. Mon père avait préparé la terre le soir en rentrant du travail, les rangées étaient tracées. Nous étions alignés, courbés, chacun sur une rangée avec sa boîte remplie de maïs. Ma grand-mère repliait son tablier et le coinçait dans la ceinture pour créer une poche dans laquelle elle mettait les grains. C’était parfois la course entre mon frère et moi pour savoir qui arriverait le premier au bout de sa rangée… mais c’était toujours lui qui gagnait. Un mois après, il fallait recommencer pour les haricots tarbais. Au pied de chaque plant de maïs sorti de terre, il fallait déposer un ou deux haricots. La veille, ils avaient été mis à tremper dans un seau d’eau pour faciliter leur germination, une fois plantés. L’opération était plus difficile car il fallait, en plus de la position pénible, éviter de piétiner les jeunes pieds de maïs. Les tarbais allaient pousser à l’ombre du maïs et la nature étant bien faite, ils s’accrocheraient tout naturellement à ces tuteurs vivants. Mes parents surveillaient la croissance et suivaient les conseils de mes grands-parents quant aux soins à prodiguer. Nombre d’opérations potagères avaient lieu en fonction du cycle lunaire et des saints du calendrier : Mamert, Pancrasse, Servais, Jean, Catherine… Fèves et haricots font plus de pets que de rots. Anonyme Dans la fournaise du mois d’août, il fallait retourner dans les champs de maïs non pour les castrer mais pour les écimer.


Cette partie encore tendre était enlevée pour permettre aux épis d’avoir plus de vigueur, elle faisait le régal des vaches. J’étais dispensée de cette corvée, trop petite de taille pour faire du bon travail. Mon frère Bruno, plus âgé, n’y coupait pas. Dans le jardin familial, un petit carré était réservé aux cornichons. Tous les ans, en été, cette récolte nous semblait des plus injustifiée. Courbés sous le soleil matinal, il fallait chercher ces mini concombres en tenue de camouflage, perdus au milieu des feuillages de la même couleur. Si nous pouvions croquer les fruits rouges et les tomates pour nous donner un peu de courage lors des cueillettes, il n’en allait pas de même avec ces choses vertes, duveteuses et sans goût ! Mais ma mère ne dérogeait pas à la règle, pas question d’acheter des cornichons à l’épicerie du village alors qu’ils poussaient dans le jardin. Dans les heures qui suivaient la récolte, les futurs cornichons étaient lavés puis mis au gros sel durant 12 heures. Ils étaient ensuite essuyés et frottés avec un torchon pour enlever le duvet et aplanir les picots qui les recouvraient. Bien serrés dans les grands bocaux en verre avec quelques grains de poivre, un brin de livèche, deux feuilles de laurier, ils étaient recouverts de vinaigre blanc. Les pots étaient rangés dans le chai. Ils y restaient au moins un mois avant de revenir vers la cuisine. Quelques rangées de salades (laitues, frisées, scarole cornet d’Anjou) et de choux venaient compléter la liste des légumes cultivés. Des choux verts cabus pour préparer la garbure en hiver et des choux fourragers pour les animaux. Mes parents ont d’ailleurs été très surpris puis amusés de découvrir que ce chou qu’ils cultivaient autrefois pour nourrir les animaux, était aujourd’hui appelé “kale”, vendu près de 10 euros le kilo et surtout destiné à la consommation humaine ! En septembre, il y avait une première récolte de haricots tarbais. Seule une petite quantité était prélevée. Ces haricots

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frais étaient vendus par ma grand-mère à l’épicerie du village. Le reste de la récolte se faisait plus tard, en octobre. Les tarbais avaient séché sur pied, c’était le but recherché. Après cette dernière récolte, les haricots encore dans leurs cosses étaient étalés sur une grande pièce de tissus, au soleil. Nous mélangions et retournions tout cela régulièrement et lorsque le moment était venu (c’était ma grand-mère qui décidait du bon moment) elle frappait dans le tas avec un bâton. Cela permettait de séparer les grains des cosses. Les grains étaient triés puis versés dans un grand sac en toile de jute qui partait au frais et à l’abri de la lumière dans le chai. Il fallait surveiller la présence du charançon (bruche du haricot) et éviter qu’il ne sorte. En mettant les tarbais au frais et dans le noir, cela empêchait le développement des larves. Aujourd’hui, un petit séjour dans le congélateur règle définitivement le problème. En novembre, dernier tour dans les champs de maïs. La récolte manuelle avec l’aide des voisins était clôturée par un cassecroûte, assis par terre au bord des champs. La charcuterie maison, le fromage et les grosses miches de pain étaient de sortie. Vin rouge pour les adultes, eau ou limonade pour les enfants. Plus tard, mon père faucherait les pieds secs qui seraient ensuite broyés et serviraient de litière pour les vaches et les cochons. Les retrouvailles entre voisins pour l’effeuillage du maïs (la déspélouquèro) étaient encore une occasion de se réunir et de travailler dans la bonne humeur. La récompense finale se composait de châtaignes grillées ou bouillies dans l’eau légèrement salée parfumée au laurier… le tout arrosé de bourrét (un vin blanc trouble et légèrement pétillant, en début de fermentation) ou de jus de pommes, pressé par mon père et mon oncle Jeannot. Les châtaignes grillées fournissaient aussi l’occasion de batailles rangées entre les enfants, c’était à celui qui finirait avec le visage le plus noirci par la peau brulée des châtaignes.


Cette partie encore tendre était enlevée pour permettre aux épis d’avoir plus de vigueur, elle faisait le régal des vaches. J’étais dispensée de cette corvée, trop petite de taille pour faire du bon travail. Mon frère Bruno, plus âgé, n’y coupait pas. Dans le jardin familial, un petit carré était réservé aux cornichons. Tous les ans, en été, cette récolte nous semblait des plus injustifiée. Courbés sous le soleil matinal, il fallait chercher ces mini concombres en tenue de camouflage, perdus au milieu des feuillages de la même couleur. Si nous pouvions croquer les fruits rouges et les tomates pour nous donner un peu de courage lors des cueillettes, il n’en allait pas de même avec ces choses vertes, duveteuses et sans goût ! Mais ma mère ne dérogeait pas à la règle, pas question d’acheter des cornichons à l’épicerie du village alors qu’ils poussaient dans le jardin. Dans les heures qui suivaient la récolte, les futurs cornichons étaient lavés puis mis au gros sel durant 12 heures. Ils étaient ensuite essuyés et frottés avec un torchon pour enlever le duvet et aplanir les picots qui les recouvraient. Bien serrés dans les grands bocaux en verre avec quelques grains de poivre, un brin de livèche, deux feuilles de laurier, ils étaient recouverts de vinaigre blanc. Les pots étaient rangés dans le chai. Ils y restaient au moins un mois avant de revenir vers la cuisine. Quelques rangées de salades (laitues, frisées, scarole cornet d’Anjou) et de choux venaient compléter la liste des légumes cultivés. Des choux verts cabus pour préparer la garbure en hiver et des choux fourragers pour les animaux. Mes parents ont d’ailleurs été très surpris puis amusés de découvrir que ce chou qu’ils cultivaient autrefois pour nourrir les animaux, était aujourd’hui appelé “kale”, vendu près de 10 euros le kilo et surtout destiné à la consommation humaine ! En septembre, il y avait une première récolte de haricots tarbais. Seule une petite quantité était prélevée. Ces haricots

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frais étaient vendus par ma grand-mère à l’épicerie du village. Le reste de la récolte se faisait plus tard, en octobre. Les tarbais avaient séché sur pied, c’était le but recherché. Après cette dernière récolte, les haricots encore dans leurs cosses étaient étalés sur une grande pièce de tissus, au soleil. Nous mélangions et retournions tout cela régulièrement et lorsque le moment était venu (c’était ma grand-mère qui décidait du bon moment) elle frappait dans le tas avec un bâton. Cela permettait de séparer les grains des cosses. Les grains étaient triés puis versés dans un grand sac en toile de jute qui partait au frais et à l’abri de la lumière dans le chai. Il fallait surveiller la présence du charançon (bruche du haricot) et éviter qu’il ne sorte. En mettant les tarbais au frais et dans le noir, cela empêchait le développement des larves. Aujourd’hui, un petit séjour dans le congélateur règle définitivement le problème. En novembre, dernier tour dans les champs de maïs. La récolte manuelle avec l’aide des voisins était clôturée par un cassecroûte, assis par terre au bord des champs. La charcuterie maison, le fromage et les grosses miches de pain étaient de sortie. Vin rouge pour les adultes, eau ou limonade pour les enfants. Plus tard, mon père faucherait les pieds secs qui seraient ensuite broyés et serviraient de litière pour les vaches et les cochons. Les retrouvailles entre voisins pour l’effeuillage du maïs (la déspélouquèro) étaient encore une occasion de se réunir et de travailler dans la bonne humeur. La récompense finale se composait de châtaignes grillées ou bouillies dans l’eau légèrement salée parfumée au laurier… le tout arrosé de bourrét (un vin blanc trouble et légèrement pétillant, en début de fermentation) ou de jus de pommes, pressé par mon père et mon oncle Jeannot. Les châtaignes grillées fournissaient aussi l’occasion de batailles rangées entre les enfants, c’était à celui qui finirait avec le visage le plus noirci par la peau brulée des châtaignes.


Petits et grands s’asseyaient en cercle autour du tas d’épis, les plus âgés sur des chaises ou des tabourets de traite, les plus jeunes par terre. Le travail d’effeuillage était allégé par les histoires racontées et les chansons entonnées en patois. Les plus beaux épis de maïs étaient réservés sans être effeuillés, pour la mise en corde. Les autres, jetés dans les tichtails (paniers en lattes de noisetier), puis transvasés dans des grands sacs en toile de jute, étaient montés dans le grenier par les hommes. Les épis étalés sur de grandes bâches continueraient de sécher, les cordes seraient exposées, accrochées à la galerie, en façade. Une façon de montrer à tous que la récolte avait été bonne. Les feuilles et les barbes étaient récupérées pour servir de litière aux animaux. Les épis de maïs égrenés (cabelh) servaient de combustible dans la cheminée ou la cuisinière à bois. Évidemment, quelques jours plus tard, ce travail collectif avait lieu chez un autre voisin ou ami. Mes grands-parents et mes parents n’achetaient pas de semences. Elles étaient issues des récoltes précédentes et sélectionnées par leurs soins. Des échanges de plants et de graines avaient lieu entre voisins et amis. Aujourd’hui, ce sont des multinationales qui ont le monopole des semences, devenues produits industriels brevetés, hybridés à outrance, stériles… Pour avoir le droit “d’exister”, et sous couvert de “préservation de la sécurité du consommateur”, les semences doivent être normalisées et inscrites au catalogue officiel français des espèces et variétés de plantes cultivées. Près de 80 % de ces semences autorisées sont détenues par une poignée de multinationales dont certaines, tristement célèbres. Les agrosemenciers favorisent les profits au détriment de la biodiversité. Il ne faut donc pas s’étonner que 75 % des variétés aient disparu en un siècle. Il reste heureusement quelques associations et réseaux (le Jardin Extraordinaire, Kokopelli, Biau Germe, la ferme de Sainte Marthe…) auprès desquels nous pouvons encore nous fournir en semences

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anciennes, non répertoriées dans le catalogue, si l’on veut découvrir d’autres variétés de légumes qui ne présenteront pas forcément un haut potentiel de rendement mais qui raviront certainement nos papilles. Bonne nouvelle : après 37 ans d’absence, les semences paysannes devraient être de nouveau autorisées. À compter de janvier 2021, les agriculteurs bio pourront vendre leurs propres semences, prélevées dans leurs récoltes sans qu’elles soient inscrites au catalogue officiel.

L’HISTOIRE Comment dater l’apparition des premières cultures ? Peut-être avec la sédentarisation des Homo Sapiens ? Difficile à affirmer, nombre de chercheurs et scientifiques s’interrogent. Ce qui est à peu près certain, c’est que les premières cultures de céréales et de légumineuses seraient apparues entre 8 000 et 6 000 ans avant J.-C. Le Croissant Fertile considéré comme le berceau de la civilisation est aussi le berceau de l’agriculture. C’est de Mésopotamie que sont partis grand nombre de fruits et légumes qui se sont ensuite répandus à travers le monde. Cette migration à travers les continents a permis, au fil des siècles, aux diverses variétés de s’acclimater. La nature ou parfois la main de l’homme ont procédé aux premières sélections variétales. Une fois de plus, les peintures murales des tombeaux égyptiens ont fait office d’encyclopédie. Les céréales (orge, blé, épeautre…) constituaient la base de l’alimentation des Égyptiens qui cultivaient également les légumineuses : fèves, pois chiche, lentilles, haricots doliques… mais aussi le poireau, l’ail, l’oignon, le céleri, les navets, les choux, les concombres, les pastèques et de nombreuses herbes aromatiques : coriandre, menthe, marjolaine, laurier, aneth, etc. Cette agriculture s’est développée tout au long des rives fertiles du Nil, riches en alluvions.


Petits et grands s’asseyaient en cercle autour du tas d’épis, les plus âgés sur des chaises ou des tabourets de traite, les plus jeunes par terre. Le travail d’effeuillage était allégé par les histoires racontées et les chansons entonnées en patois. Les plus beaux épis de maïs étaient réservés sans être effeuillés, pour la mise en corde. Les autres, jetés dans les tichtails (paniers en lattes de noisetier), puis transvasés dans des grands sacs en toile de jute, étaient montés dans le grenier par les hommes. Les épis étalés sur de grandes bâches continueraient de sécher, les cordes seraient exposées, accrochées à la galerie, en façade. Une façon de montrer à tous que la récolte avait été bonne. Les feuilles et les barbes étaient récupérées pour servir de litière aux animaux. Les épis de maïs égrenés (cabelh) servaient de combustible dans la cheminée ou la cuisinière à bois. Évidemment, quelques jours plus tard, ce travail collectif avait lieu chez un autre voisin ou ami. Mes grands-parents et mes parents n’achetaient pas de semences. Elles étaient issues des récoltes précédentes et sélectionnées par leurs soins. Des échanges de plants et de graines avaient lieu entre voisins et amis. Aujourd’hui, ce sont des multinationales qui ont le monopole des semences, devenues produits industriels brevetés, hybridés à outrance, stériles… Pour avoir le droit “d’exister”, et sous couvert de “préservation de la sécurité du consommateur”, les semences doivent être normalisées et inscrites au catalogue officiel français des espèces et variétés de plantes cultivées. Près de 80 % de ces semences autorisées sont détenues par une poignée de multinationales dont certaines, tristement célèbres. Les agrosemenciers favorisent les profits au détriment de la biodiversité. Il ne faut donc pas s’étonner que 75 % des variétés aient disparu en un siècle. Il reste heureusement quelques associations et réseaux (le Jardin Extraordinaire, Kokopelli, Biau Germe, la ferme de Sainte Marthe…) auprès desquels nous pouvons encore nous fournir en semences

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anciennes, non répertoriées dans le catalogue, si l’on veut découvrir d’autres variétés de légumes qui ne présenteront pas forcément un haut potentiel de rendement mais qui raviront certainement nos papilles. Bonne nouvelle : après 37 ans d’absence, les semences paysannes devraient être de nouveau autorisées. À compter de janvier 2021, les agriculteurs bio pourront vendre leurs propres semences, prélevées dans leurs récoltes sans qu’elles soient inscrites au catalogue officiel.

L’HISTOIRE Comment dater l’apparition des premières cultures ? Peut-être avec la sédentarisation des Homo Sapiens ? Difficile à affirmer, nombre de chercheurs et scientifiques s’interrogent. Ce qui est à peu près certain, c’est que les premières cultures de céréales et de légumineuses seraient apparues entre 8 000 et 6 000 ans avant J.-C. Le Croissant Fertile considéré comme le berceau de la civilisation est aussi le berceau de l’agriculture. C’est de Mésopotamie que sont partis grand nombre de fruits et légumes qui se sont ensuite répandus à travers le monde. Cette migration à travers les continents a permis, au fil des siècles, aux diverses variétés de s’acclimater. La nature ou parfois la main de l’homme ont procédé aux premières sélections variétales. Une fois de plus, les peintures murales des tombeaux égyptiens ont fait office d’encyclopédie. Les céréales (orge, blé, épeautre…) constituaient la base de l’alimentation des Égyptiens qui cultivaient également les légumineuses : fèves, pois chiche, lentilles, haricots doliques… mais aussi le poireau, l’ail, l’oignon, le céleri, les navets, les choux, les concombres, les pastèques et de nombreuses herbes aromatiques : coriandre, menthe, marjolaine, laurier, aneth, etc. Cette agriculture s’est développée tout au long des rives fertiles du Nil, riches en alluvions.


Nous savons de façon plus certaine que les fruits et les légumes occupaient une place importante dans l’alimentation des Grecs. On trouvait dans les jardins familiaux des plantations de légumes, légumineuses, herbes aromatiques, vignes, oliviers et arbres fruitiers. L’intérêt des Grecs pour les végétaux était tel que c’est le philosophe Théophraste qui est à l’origine du premier traité de botanique. Les légumes étaient consommés crus assaisonnés de vinaigre ou transformés en soupes et purées agrémentées de nombreuses herbes aromatiques et médicinales. Les légumineuses, plus particulièrement les fèves, les pois chiches et les lentilles occupaient une place prépondérante dans la nourriture des Grecs. L’alimentation dans la Rome antique est assez semblable à celle des Grecs, du moins dans les classes sociales les moins riches. Céréales et légumineuses constituent la nourriture de base, les nombreuses variétés de choux sont très prisées. Les plats de légumes crus sont relevés d’ail, d’herbes aromatiques et agrémentés de vinaigrette au miel ou d’un mélange d’huile d’olive et de garum (condiment à base de saumure de poisson, proche du nuoc mam). Les légumes sont consommés frais en saison mais aussi conservés dans une saumure allongée de vinaigre pour l’hiver. Le plus célèbre des cuisiniers romains, Apicius, livre de nombreuses recettes à base de légumes : cardons agrémentés de rue (une plante à utiliser avec beaucoup de précaution), de menthe, de coriandre, de fenouil, de poivre, de miel, de garum et d’huile. Fèves et poireaux cuits avec de la mauve, assaisonnés de poivre, de livèche, d’origan et de graine de fenouil, arrosé de garum, de carenum (un vin doux) et d’huile d’olive. L’agronome Columelle explique comment aménager les jardins potagers en les divisant en carrés réguliers séparés par des allées. De nombreux traités d’agronomie voient le jour à cette époque. Durant le Haut Moyen Âge, les seigneurs contraignent les paysans à défricher les terres incultes et les forêts, de nombreux

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marais sont asséchés pour gagner en surface de terres cultivables. Dans le même temps, de nombreux monastères se développent un peu partout dans le pays et jouent un rôle essentiel dans le développement des jardins potagers. Les moines possédaient de nombreuses connaissances en matière de botanique et expérimentaient des techniques nouvelles dans les jardins monastiques. Ils les organisèrent en plusieurs espaces bien définis pour chaque culture. Dans l’herbularius (jardin des simples) : les plantes aromatiques et médicinales telles que l’anis, la menthe, la sauge ou encore le pavot. L’hortus (potager) abrite les poireaux, radis, panais, choux, oignons, fèves, bettes, courges, etc. Et le viridarium (verger) renferme les divers arbres fruitiers : pommiers, poiriers, noyers, figuiers, pruniers… mais aussi des vignes. Ces cultures permettaient aux moines de se nourrir mais aussi d’approvisionner les populations alentour lors des nombreuses périodes de disette. Le célèbre capitulaire De Villis a vu le jour à la demande de Charlemagne qui entendait par ces décrets, réformer l’agriculture et l’administration de ses nombreux et vastes domaines. Le roi (et empereur) liste un certain nombre d’ordres et de recommandations allant des rendements des sols aux plantes à cultiver en passant par la diversification des cultures selon les saisons ou encore le matériel à utiliser. Le capitulaire dénombre une centaine de variétés de plantes à cultiver : cardons, choux, laitues, mauve, poireaux, ail, échalote, fèves, pois gris, arroche, fenugrec, cumin, livèche, fenouil, sabine… Dans la France médiévale, les aliments n’ont pas tous la même valeur. On les classe selon une échelle hiérarchique qui mène de la terre au ciel, de l’enfer au paradis. La viande est considérée supérieure aux fruits et légumes ; les fruits supérieurs aux légumes qui poussent en surface de la terre… eux-mêmes supérieurs aux légumes racines qui poussent sous terre. Ce qui sort de la terre, et pire encore qui pousse sous terre,


Nous savons de façon plus certaine que les fruits et les légumes occupaient une place importante dans l’alimentation des Grecs. On trouvait dans les jardins familiaux des plantations de légumes, légumineuses, herbes aromatiques, vignes, oliviers et arbres fruitiers. L’intérêt des Grecs pour les végétaux était tel que c’est le philosophe Théophraste qui est à l’origine du premier traité de botanique. Les légumes étaient consommés crus assaisonnés de vinaigre ou transformés en soupes et purées agrémentées de nombreuses herbes aromatiques et médicinales. Les légumineuses, plus particulièrement les fèves, les pois chiches et les lentilles occupaient une place prépondérante dans la nourriture des Grecs. L’alimentation dans la Rome antique est assez semblable à celle des Grecs, du moins dans les classes sociales les moins riches. Céréales et légumineuses constituent la nourriture de base, les nombreuses variétés de choux sont très prisées. Les plats de légumes crus sont relevés d’ail, d’herbes aromatiques et agrémentés de vinaigrette au miel ou d’un mélange d’huile d’olive et de garum (condiment à base de saumure de poisson, proche du nuoc mam). Les légumes sont consommés frais en saison mais aussi conservés dans une saumure allongée de vinaigre pour l’hiver. Le plus célèbre des cuisiniers romains, Apicius, livre de nombreuses recettes à base de légumes : cardons agrémentés de rue (une plante à utiliser avec beaucoup de précaution), de menthe, de coriandre, de fenouil, de poivre, de miel, de garum et d’huile. Fèves et poireaux cuits avec de la mauve, assaisonnés de poivre, de livèche, d’origan et de graine de fenouil, arrosé de garum, de carenum (un vin doux) et d’huile d’olive. L’agronome Columelle explique comment aménager les jardins potagers en les divisant en carrés réguliers séparés par des allées. De nombreux traités d’agronomie voient le jour à cette époque. Durant le Haut Moyen Âge, les seigneurs contraignent les paysans à défricher les terres incultes et les forêts, de nombreux

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marais sont asséchés pour gagner en surface de terres cultivables. Dans le même temps, de nombreux monastères se développent un peu partout dans le pays et jouent un rôle essentiel dans le développement des jardins potagers. Les moines possédaient de nombreuses connaissances en matière de botanique et expérimentaient des techniques nouvelles dans les jardins monastiques. Ils les organisèrent en plusieurs espaces bien définis pour chaque culture. Dans l’herbularius (jardin des simples) : les plantes aromatiques et médicinales telles que l’anis, la menthe, la sauge ou encore le pavot. L’hortus (potager) abrite les poireaux, radis, panais, choux, oignons, fèves, bettes, courges, etc. Et le viridarium (verger) renferme les divers arbres fruitiers : pommiers, poiriers, noyers, figuiers, pruniers… mais aussi des vignes. Ces cultures permettaient aux moines de se nourrir mais aussi d’approvisionner les populations alentour lors des nombreuses périodes de disette. Le célèbre capitulaire De Villis a vu le jour à la demande de Charlemagne qui entendait par ces décrets, réformer l’agriculture et l’administration de ses nombreux et vastes domaines. Le roi (et empereur) liste un certain nombre d’ordres et de recommandations allant des rendements des sols aux plantes à cultiver en passant par la diversification des cultures selon les saisons ou encore le matériel à utiliser. Le capitulaire dénombre une centaine de variétés de plantes à cultiver : cardons, choux, laitues, mauve, poireaux, ail, échalote, fèves, pois gris, arroche, fenugrec, cumin, livèche, fenouil, sabine… Dans la France médiévale, les aliments n’ont pas tous la même valeur. On les classe selon une échelle hiérarchique qui mène de la terre au ciel, de l’enfer au paradis. La viande est considérée supérieure aux fruits et légumes ; les fruits supérieurs aux légumes qui poussent en surface de la terre… eux-mêmes supérieurs aux légumes racines qui poussent sous terre. Ce qui sort de la terre, et pire encore qui pousse sous terre,


est proche du diable et de l’enfer… alors que ce qui pousse dans les arbres ou vole dans le ciel (oiseaux et gibiers à plume) est proche du paradis ! Les seigneurs se nourrissent de viandes et de fruits, les paysans de légumes feuilles et racines. Il faut attendre la Renaissance pour voir se développer en France le goût pour les légumes. Le cuisinier La Varenne recommande “mille sortes de légumes qui se trouvent à foison dans la campagne”. Les légumineuses disparaissent petit à petit des assiettes pour faire place aux asperges, cardons, artichauts, salades (laitue, pourpier, cresson, chicorée, endives) épinards, pois et autres champignons (mousserons, morilles et truffes). Le cuisinier Pierre de Lune propose des “artichaux à la sauce blanche”, des “petits pois verts au lard”, des “morilles en ragoust” ou encore des “concombres frits en pasté”. Les épices s’effacent au profit des herbes aromatiques fraîches. Olivier de Serres jouera un rôle important dans l’évolution de l’agriculture. L’auteur du célèbre Théâtre d’agriculture et mesnage des champs, prodigue de nombreux conseils sur la manière de choisir et d’acheter des terres, de créer un jardin à la fois potager, médicinal et fruitier ou encore d’élever le “bétail à quatre pieds”. Le charentais Jean-Baptiste de la Quintinie, jardinier en chef de Louis xıv et créateur du potager du roi inventera la “production à contre saison” pour répondre aux désirs du monarque de manger des légumes frais toute l’année. Il rivalisera d’ingéniosité et parviendra à faire pousser des asperges (péché mignon du roi) et des laitues en décembre ou encore des petits pois et des concombres en avril, en employant du fumier frais et en utilisant des cloches et des châssis de verre. Un recueil Instruction pour les jardins fruitiers et potagers sera publié à titre posthume en 1690, par son fils. Ce recueil de notes sera pour beaucoup dans le développement de l’agriculture des siècles suivants. Les voyages vers les Amériques permettent la découverte et l’importation de nouvelles variétés de légumes : tomates,

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haricots, maïs, piments, potirons, poivrons et pommes de terre ! Ces tubercules auront du mal à conquérir le cœur et le palais des français de l’époque. Les pommes de terre ont mauvaise réputation, passent pour être toxiques et pourraient même transmettre la lèpre ! Elles seront donc longtemps exclusivement réservées à l’alimentation des animaux et petit à petit à celle des paysans. “Cette racine, de quelque manière qu’on l’apprête, est fade et farineuse. Elle ne sauroit être comptée parmi les alimens agréables ; mais elle fournit un aliment abondant et assez salutaire aux hommes qui ne demandent qu’à se sustenter. On reproche avec raison à la pomme de terre d’être venteuse ; mais qu’est-ce que des vents pour les organes vigoureux des paysans et des manœuvres ?” Gabriel-François Venel (1765). De nombreuses initiatives seront tentées un peu partout en France pour implanter ce tubercule mais sans succès. Quelques provinces telles que l’Alsace, la Lorraine ou le Dauphiné l’adopteront mais il faudra attendre les grandes famines du xvıııe siècle pour que l’ingénieux Antoine-Auguste Parmentier persuade les français de façon habile, des qualités nutritives et gustatives des pommes de terre. Il invite les grands de l’époque à sa table et leur fait déguster les pommes de terre préparées de diverses façons : cuites sous la cendre, bouillies, frites, en salade, en hachis, en tourte sans oublier le pain de pommes de terre ! En 1795, paraît le premier livre de cuisine proposant trentedeux recettes à base du fameux tubercule : La Cuisinière républicaine. Mais ce n’est qu’à partir des années 1830 que la pomme de terre se retrouvera sur toutes les tables françaises, des plus grandes aux plus modestes. Les légumes seront encore longtemps considérés comme aliments secondaires, accompagnements, décorations, garnitures de viandes ou de poissons. Pour Grimaud de la Reynière, “l’homme véritablement digne du titre de gourmand, ne regarde guère les légumes et les fruits que comme des moyens


est proche du diable et de l’enfer… alors que ce qui pousse dans les arbres ou vole dans le ciel (oiseaux et gibiers à plume) est proche du paradis ! Les seigneurs se nourrissent de viandes et de fruits, les paysans de légumes feuilles et racines. Il faut attendre la Renaissance pour voir se développer en France le goût pour les légumes. Le cuisinier La Varenne recommande “mille sortes de légumes qui se trouvent à foison dans la campagne”. Les légumineuses disparaissent petit à petit des assiettes pour faire place aux asperges, cardons, artichauts, salades (laitue, pourpier, cresson, chicorée, endives) épinards, pois et autres champignons (mousserons, morilles et truffes). Le cuisinier Pierre de Lune propose des “artichaux à la sauce blanche”, des “petits pois verts au lard”, des “morilles en ragoust” ou encore des “concombres frits en pasté”. Les épices s’effacent au profit des herbes aromatiques fraîches. Olivier de Serres jouera un rôle important dans l’évolution de l’agriculture. L’auteur du célèbre Théâtre d’agriculture et mesnage des champs, prodigue de nombreux conseils sur la manière de choisir et d’acheter des terres, de créer un jardin à la fois potager, médicinal et fruitier ou encore d’élever le “bétail à quatre pieds”. Le charentais Jean-Baptiste de la Quintinie, jardinier en chef de Louis xıv et créateur du potager du roi inventera la “production à contre saison” pour répondre aux désirs du monarque de manger des légumes frais toute l’année. Il rivalisera d’ingéniosité et parviendra à faire pousser des asperges (péché mignon du roi) et des laitues en décembre ou encore des petits pois et des concombres en avril, en employant du fumier frais et en utilisant des cloches et des châssis de verre. Un recueil Instruction pour les jardins fruitiers et potagers sera publié à titre posthume en 1690, par son fils. Ce recueil de notes sera pour beaucoup dans le développement de l’agriculture des siècles suivants. Les voyages vers les Amériques permettent la découverte et l’importation de nouvelles variétés de légumes : tomates,

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haricots, maïs, piments, potirons, poivrons et pommes de terre ! Ces tubercules auront du mal à conquérir le cœur et le palais des français de l’époque. Les pommes de terre ont mauvaise réputation, passent pour être toxiques et pourraient même transmettre la lèpre ! Elles seront donc longtemps exclusivement réservées à l’alimentation des animaux et petit à petit à celle des paysans. “Cette racine, de quelque manière qu’on l’apprête, est fade et farineuse. Elle ne sauroit être comptée parmi les alimens agréables ; mais elle fournit un aliment abondant et assez salutaire aux hommes qui ne demandent qu’à se sustenter. On reproche avec raison à la pomme de terre d’être venteuse ; mais qu’est-ce que des vents pour les organes vigoureux des paysans et des manœuvres ?” Gabriel-François Venel (1765). De nombreuses initiatives seront tentées un peu partout en France pour implanter ce tubercule mais sans succès. Quelques provinces telles que l’Alsace, la Lorraine ou le Dauphiné l’adopteront mais il faudra attendre les grandes famines du xvıııe siècle pour que l’ingénieux Antoine-Auguste Parmentier persuade les français de façon habile, des qualités nutritives et gustatives des pommes de terre. Il invite les grands de l’époque à sa table et leur fait déguster les pommes de terre préparées de diverses façons : cuites sous la cendre, bouillies, frites, en salade, en hachis, en tourte sans oublier le pain de pommes de terre ! En 1795, paraît le premier livre de cuisine proposant trentedeux recettes à base du fameux tubercule : La Cuisinière républicaine. Mais ce n’est qu’à partir des années 1830 que la pomme de terre se retrouvera sur toutes les tables françaises, des plus grandes aux plus modestes. Les légumes seront encore longtemps considérés comme aliments secondaires, accompagnements, décorations, garnitures de viandes ou de poissons. Pour Grimaud de la Reynière, “l’homme véritablement digne du titre de gourmand, ne regarde guère les légumes et les fruits que comme des moyens


de se récurer les dents et de se rafraîchir la bouche, et non comme des productions capables d’alimenter un strident appétit”. Les légumes ont pourtant été avec le pain, durant des siècles, la principale nourriture des populations pauvres. Les topinambours et le rutabaga c’est pour les cochons. Le maïs c’est pour les poules ! Joseph DEGEILH Certains légumes très en vogue au xvıııe et au xıxe siècle seront jetés aux oubliettes mais reviendront sur le devant de la scène au début des années 2000. Les fameux légumes oubliés : topinambours, rutabaga, scorsonères, crosnes et autres panais. Les modes et les goûts alimentaires sont un éternel recommencement ! Les potagers de nos ancêtres renfermaient une très grande variété de légumes ou plantes comestibles. Si actuellement, les français ne consomment couramment qu’une soixantaine de variétés de légumes, c’est en raison de la montée en puissance, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, d’une agriculture industrielle privilégiant les hauts rendements. Il fallait nourrir l’Europe ravagée au sortir de la guerre. Le plan Marshall a apporté à la France rurale, les machines agricoles motorisées, les plants sélectionnés et les semences américaines avec au final, une nouvelle façon de produire. La concentration industrielle, les effets de mode et la sélection commerciale ont éliminé de nos assiettes de nombreuses variétés de légumes anciens. Les régions se sont spécialisées dans la monoculture intensive et petit à petit, les petits producteurs ont été dévorés par les grandes entreprises agricoles. Ce modèle aurait dû être abandonné depuis longtemps mais productivité et rentabilité sont restées les maîtres mots de notre société de consommation au détriment de diversité et qualité. Mais les producteurs ne sont pas les seuls responsables, les consommateurs ont aussi leur part. Ils ont perdu les repères

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de saisonnalité et le terroir est devenu mondial. Pas étonnant lorsque les grandes surfaces proposent tout au long de l’année, les mêmes fruits et légumes. En hiver : haricots verts en provenance du Kenya ou cerises d’Amérique du Sud, arrivés de l’autre bout du monde en containers réfrigérés. En été : cerises et haricots verts français (espagnol ou d’Afrique du Nord). Quand on pense qu’il suffirait que les gens arrêtent d’acheter pour que ça ne se vende plus. COLUCHE Qui s’étonne en voyant au journal télévisé, les premières fraises françaises récoltées sous serre en mars ? Tous ces beaux fraisiers (ou plants de tomates) croulant sous les fruits, qui ont poussé hors-sol sur de la fibre de coco, perfusés de produits nutritifs, sous des serres peut-être chauffées et éclairées. Quel est l’intérêt gustatif (et nutritif) de ces fruits et légumes qui n’ont jamais été au contact de la terre et n’ont probablement jamais été touchés par les rayons du soleil ? Cela ne semble pas poser de problèmes et encore moins d’interrogations. Mais comment se préoccuper des modes de productions lorsque l’on ne sait pas comment pousse un pied de pommes de terre ? Pourquoi s’interroger sur la saisonnalité quand on peut manger des tomates tout au long de l’année ? Ne soyons pas “hors-sol”, déconnectés de la nature, nourris aux aliments ultra-transformés, vivants hors saison comme ces fruits et légumes. Retrouvons ce contact avec la terre, avec les femmes et les hommes qui la cultivent en la respectant, réapprenons les saisons… sinon nous finirons comme ces fruits et ces légumes, sans texture et sans goût.

CONSEILS ET RECETTES Quel que soit le type de conservation adopté, il faudra toujours choisir des légumes de saison, non tachés, non abîmés, mûrs mais fermes. Préférez autant que possible les légumes


de se récurer les dents et de se rafraîchir la bouche, et non comme des productions capables d’alimenter un strident appétit”. Les légumes ont pourtant été avec le pain, durant des siècles, la principale nourriture des populations pauvres. Les topinambours et le rutabaga c’est pour les cochons. Le maïs c’est pour les poules ! Joseph DEGEILH Certains légumes très en vogue au xvıııe et au xıxe siècle seront jetés aux oubliettes mais reviendront sur le devant de la scène au début des années 2000. Les fameux légumes oubliés : topinambours, rutabaga, scorsonères, crosnes et autres panais. Les modes et les goûts alimentaires sont un éternel recommencement ! Les potagers de nos ancêtres renfermaient une très grande variété de légumes ou plantes comestibles. Si actuellement, les français ne consomment couramment qu’une soixantaine de variétés de légumes, c’est en raison de la montée en puissance, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, d’une agriculture industrielle privilégiant les hauts rendements. Il fallait nourrir l’Europe ravagée au sortir de la guerre. Le plan Marshall a apporté à la France rurale, les machines agricoles motorisées, les plants sélectionnés et les semences américaines avec au final, une nouvelle façon de produire. La concentration industrielle, les effets de mode et la sélection commerciale ont éliminé de nos assiettes de nombreuses variétés de légumes anciens. Les régions se sont spécialisées dans la monoculture intensive et petit à petit, les petits producteurs ont été dévorés par les grandes entreprises agricoles. Ce modèle aurait dû être abandonné depuis longtemps mais productivité et rentabilité sont restées les maîtres mots de notre société de consommation au détriment de diversité et qualité. Mais les producteurs ne sont pas les seuls responsables, les consommateurs ont aussi leur part. Ils ont perdu les repères

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de saisonnalité et le terroir est devenu mondial. Pas étonnant lorsque les grandes surfaces proposent tout au long de l’année, les mêmes fruits et légumes. En hiver : haricots verts en provenance du Kenya ou cerises d’Amérique du Sud, arrivés de l’autre bout du monde en containers réfrigérés. En été : cerises et haricots verts français (espagnol ou d’Afrique du Nord). Quand on pense qu’il suffirait que les gens arrêtent d’acheter pour que ça ne se vende plus. COLUCHE Qui s’étonne en voyant au journal télévisé, les premières fraises françaises récoltées sous serre en mars ? Tous ces beaux fraisiers (ou plants de tomates) croulant sous les fruits, qui ont poussé hors-sol sur de la fibre de coco, perfusés de produits nutritifs, sous des serres peut-être chauffées et éclairées. Quel est l’intérêt gustatif (et nutritif) de ces fruits et légumes qui n’ont jamais été au contact de la terre et n’ont probablement jamais été touchés par les rayons du soleil ? Cela ne semble pas poser de problèmes et encore moins d’interrogations. Mais comment se préoccuper des modes de productions lorsque l’on ne sait pas comment pousse un pied de pommes de terre ? Pourquoi s’interroger sur la saisonnalité quand on peut manger des tomates tout au long de l’année ? Ne soyons pas “hors-sol”, déconnectés de la nature, nourris aux aliments ultra-transformés, vivants hors saison comme ces fruits et légumes. Retrouvons ce contact avec la terre, avec les femmes et les hommes qui la cultivent en la respectant, réapprenons les saisons… sinon nous finirons comme ces fruits et ces légumes, sans texture et sans goût.

CONSEILS ET RECETTES Quel que soit le type de conservation adopté, il faudra toujours choisir des légumes de saison, non tachés, non abîmés, mûrs mais fermes. Préférez autant que possible les légumes


produits localement. Plus ils seront sains et de bonne qualité et moins ils auront fait de kilomètres, mieux ils se conserveront. N’attendez pas pour les transformer, les légumes perdent rapidement leurs qualités nutritives et gustatives. Évitez de les faire attendre dans le réfrigérateur, stockez-les le minimum de temps dans des clayettes, dans un endroit frais à l’abri de la lumière. Types de conservation pour les légumes La mise au vinaigre, le traitement thermique, la conservation dans l’huile, la déshydratation, la congélation, la lactofermentation, etc. Seuls seront abordés plus en détail la mise au vinaigre, la déshydratation et le traitement thermique. Le vinaigre est une des premières techniques de conservation connue, puisqu’Apicius conseillait déjà de conserver les choux dans un mélange de vinaigre, de garum et de livèche, dans des jarres laissées en cave. Olivier de Serres avouait sa préférence pour les câpres au vinaigre dans son célèbre ouvrage Théâtre d’agriculture et mesnage des champs. Et La Varenne d’ajouter dans le Cuisinier françois : “Des confitures au sel et au vinaigre très excellentes pour manger en salade au temps d’hyver et en tout autre.” Autant dire que la conservation dans le vinaigre ne date pas d’hier ! Il existe de nombreux vinaigres, des plus simples aux plus sophistiqués, issus de vins, de cidres, d’alcools ou de céréales, parfumés au miel, à la pulpe de fruits, aux herbes aromatiques, aux fleurs ou aux épices. Orléans est longtemps restée la référence en matière de production vinaigrière, talonnée par Reims. Aujourd’hui, on trouve d’excellents vinaigres venant des quatre coins du pays où des artisans vinaigriers font un travail extraordinaire. Choisissez un vinaigre de qualité, titrant au moins 6 °C et plutôt clair si vous souhaitez préserver la couleur des légumes et des fruits. Pour info, les degrés indiqués sur les bouteilles de vinaigre sont des degrés acétiques et non alcooliques.

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En dehors des classiques cornichons, câpres et petits oignons, vous pouvez mettre au vinaigre de nombreux fruits et légumes : pointes d’asperges, mini pâtissons, haricots verts, pois gourmands, chou-fleur, poivrons, cerises, poires, mangues, prunes, etc. Quelques boutons de fleurs se prêtent aussi à l’exercice : boutons de pâquerettes, de marguerites, de capucines, d’ail des ours, de pissenlits. Vous prendrez soin de récolter ces boutons de fleurs loin de champs où des pesticides auront été épandus, loin des bords de route et vous les laverez soigneusement dans un mélange d’eau et de vinaigre blanc avant toute utilisation. Le chou-fleur et le brocoli seront divisés en bouquets, les choux coupés en lanières, de même que les poivrons. Les tomates cerise seront laissées entières, tout comme les piments, les cerises ou les prunes. Les carottes seront coupées en tronçons, les mangues et les poires en morceaux. Les haricots verts et les pois gourmands seront simplement effilés. Il faudra faire dégorger les légumes dans du gros sel de préférence gris et naturel (sans additifs) pour enlever une partie de l’eau de végétation. Après les avoir rincés et essuyés, vous les disposerez dans des pots en verre et ajouterez herbes aromatiques et épices au choix : estragon, laurier, thym, livèche, poivre en grain, clou de girofle, bâton de cannelle, coriandre, gingembre, graines de moutarde. Vous recouvrirez ensuite avec le vinaigre de votre choix, à chaud ou à froid si vous voulez conserver le croquant des légumes. Même chose pour les fruits, seul le dégorgement au sel n’est pas nécessaire. Vous rangerez vos pots dans un endroit frais et sec et laisserez reposer vos préparations au minimum un mois avant de les déguster. Lorsque vous aurez terminé un pot de fruits ou de légumes au vinaigre, filtrez et conservez ce vinaigre parfumé, vous l’utiliserez pour aromatiser vos salades et diverses préparations. On n’attrape pas les mouches avec le vinaigre. Par contre, on peut attraper des aigreurs d’estomac. Philippe GELUCK


produits localement. Plus ils seront sains et de bonne qualité et moins ils auront fait de kilomètres, mieux ils se conserveront. N’attendez pas pour les transformer, les légumes perdent rapidement leurs qualités nutritives et gustatives. Évitez de les faire attendre dans le réfrigérateur, stockez-les le minimum de temps dans des clayettes, dans un endroit frais à l’abri de la lumière. Types de conservation pour les légumes La mise au vinaigre, le traitement thermique, la conservation dans l’huile, la déshydratation, la congélation, la lactofermentation, etc. Seuls seront abordés plus en détail la mise au vinaigre, la déshydratation et le traitement thermique. Le vinaigre est une des premières techniques de conservation connue, puisqu’Apicius conseillait déjà de conserver les choux dans un mélange de vinaigre, de garum et de livèche, dans des jarres laissées en cave. Olivier de Serres avouait sa préférence pour les câpres au vinaigre dans son célèbre ouvrage Théâtre d’agriculture et mesnage des champs. Et La Varenne d’ajouter dans le Cuisinier françois : “Des confitures au sel et au vinaigre très excellentes pour manger en salade au temps d’hyver et en tout autre.” Autant dire que la conservation dans le vinaigre ne date pas d’hier ! Il existe de nombreux vinaigres, des plus simples aux plus sophistiqués, issus de vins, de cidres, d’alcools ou de céréales, parfumés au miel, à la pulpe de fruits, aux herbes aromatiques, aux fleurs ou aux épices. Orléans est longtemps restée la référence en matière de production vinaigrière, talonnée par Reims. Aujourd’hui, on trouve d’excellents vinaigres venant des quatre coins du pays où des artisans vinaigriers font un travail extraordinaire. Choisissez un vinaigre de qualité, titrant au moins 6 °C et plutôt clair si vous souhaitez préserver la couleur des légumes et des fruits. Pour info, les degrés indiqués sur les bouteilles de vinaigre sont des degrés acétiques et non alcooliques.

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En dehors des classiques cornichons, câpres et petits oignons, vous pouvez mettre au vinaigre de nombreux fruits et légumes : pointes d’asperges, mini pâtissons, haricots verts, pois gourmands, chou-fleur, poivrons, cerises, poires, mangues, prunes, etc. Quelques boutons de fleurs se prêtent aussi à l’exercice : boutons de pâquerettes, de marguerites, de capucines, d’ail des ours, de pissenlits. Vous prendrez soin de récolter ces boutons de fleurs loin de champs où des pesticides auront été épandus, loin des bords de route et vous les laverez soigneusement dans un mélange d’eau et de vinaigre blanc avant toute utilisation. Le chou-fleur et le brocoli seront divisés en bouquets, les choux coupés en lanières, de même que les poivrons. Les tomates cerise seront laissées entières, tout comme les piments, les cerises ou les prunes. Les carottes seront coupées en tronçons, les mangues et les poires en morceaux. Les haricots verts et les pois gourmands seront simplement effilés. Il faudra faire dégorger les légumes dans du gros sel de préférence gris et naturel (sans additifs) pour enlever une partie de l’eau de végétation. Après les avoir rincés et essuyés, vous les disposerez dans des pots en verre et ajouterez herbes aromatiques et épices au choix : estragon, laurier, thym, livèche, poivre en grain, clou de girofle, bâton de cannelle, coriandre, gingembre, graines de moutarde. Vous recouvrirez ensuite avec le vinaigre de votre choix, à chaud ou à froid si vous voulez conserver le croquant des légumes. Même chose pour les fruits, seul le dégorgement au sel n’est pas nécessaire. Vous rangerez vos pots dans un endroit frais et sec et laisserez reposer vos préparations au minimum un mois avant de les déguster. Lorsque vous aurez terminé un pot de fruits ou de légumes au vinaigre, filtrez et conservez ce vinaigre parfumé, vous l’utiliserez pour aromatiser vos salades et diverses préparations. On n’attrape pas les mouches avec le vinaigre. Par contre, on peut attraper des aigreurs d’estomac. Philippe GELUCK


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