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territoire

même induite par la configuration du sol et l’ambiance vécue du paysage. En effet, les marches exploratoires ont révélé la prédominance de la dimension sonore dans la perception des paysages et des moments de convivialité et sociabilité.

À contrario, les personnes plus âgées de notre groupe de marche ont régulièrement émis des sentiments et désirs d’être « au calme », « paisible » sans trop de monde. Du moins, elles ne s’arrêtent pas trop longtemps dans des lieux de fréquentation trop importante. Elles envisagent éventuellement d’y rester pour un moment bref à vivre seul. Ainsi une personne retraitée participant à la marche MEB2 se verrait plutôt prendre l’apéritif seul avec une bière ou un verre de vin sur les falaises plutôt que de faire un réel pique-nique. Aussi, les deux personnes retraitées participant à cette marche se connaissaient. Elles ont apprécié le format du groupe car il respectait une certaine intimité (faible nombre de participant) et une certaine familiarité.

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Enfin, à Saint-Jean-le-Vieux, les agriculteurs interrogés ne cheminent pas dans le but de trouver des moments de sociabilité. Bien que notre berger ait été ravies de nous accompagner et de nous transmettre son paysage lors de la marche MESJLV1, il préfère marcher seul. Alors la convivialité est une notion qui semble pouvoir se vivre seule à l’instar de ce berger qui apprécie les moments de points de vue même durant ses transhumances quotidiennes.

Le cheminement par le point d’arrêt comme volonté de s’établir dans son territoire

La troisième hypothèse émise était que les perceptions sensorielles et mémorielles individuelles du paysage appelaient de nouvelles pratiques locales de sociabilité spontanées au niveau des points d’arrêts liés à des points de vue paysagers. L’étude s’est donc attachée à comprendre les liens entre expérience sensible individuelle du paysage et des formes de sociabilité qui s’établissaient pendant la marche mais également à ces points d’arrêts. Elle a également cherché à comprendre la relation au paysage que traduit ces pratiques sociales.

Les entretiens à Bidart et Saint-Jean-le-Vieux ont révélé différents modes de cheminements dont ceux exercés dans le cadre d’une pratique quotidienne, régulière ou occasionnelle de loisirs. Ce type de pratique réside soit dans la pratique même de la marche soit à se rendre dans un lieu plus ou moins aménagé, théâtre de pratiques de sociabilités collectives. Cependant cette étude couplée aux marches exploratoires à Bidart a mis en lumière des volontés de pouvoir s’établir

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individuellement dans ces lieux, détachées de ces sociabilités supposées et la conjonction de circonstances favorisant la volonté de s’établir.

En effet, il semble que l’appropriation physique d’un lieu, en dehors des espaces aménagés, ne fasse que très peu l’objet d’une volonté sur la commune de SaintJean-le-Vieux, à une exception près par le récit d’une mère de famille narrant sa pratique de la marche avec ses enfants sur la commune ou lorsqu’elle était jeune, le cheminement à Saint-Jean-le-Vieux est rythmé de nombreux moments d’arrêts mais qui restent très brefs tant dans les pratiques professionnelles de loisirs. Ce volet montrera les éléments du paysage perçus lors des moments d’arrêts plus prolongés. Il exclura cependant les pratiques de cheminement réalisées dans un cadre professionnel par les agriculteurs notamment puisque nous l’avons démontré précédemment, l’arrêt spontané n’est pas assujetti par une stimulation sensorielle du paysage mais plutôt par l’attitude du troupeau qui accompagne la personne et ne fait pas l’objet d’une appropriation physique de l’espace.

Sur les deux communes, marcher, se promener est l’occasion de s’arrêter pour un temps plus prolongé, de vivre un moment de convivialité seul ou partagé dans des lieux plus ou moins aménagés qui réunissent tout de même des configurations communes qui nous expliciterons ci-dessous. À Bidart plus spécifiquement, les marches exploratoires ont mis en avant la capacité des habitants et usagers de la commune à se projeter dans un espace et d’y envisager des usages temporaires voire informels (137). Au-delà de l’idée de pratique sociales, l’étude sur les deux communes a démontré que le cheminement était l’occasion de s’établir mentalement sur son territoire. En effet, par leurs sensibilités au paysage via l’observation de panoramas paysagers, les individus démontrent une capacité et volonté à se situer sur leur territoire de vie et à le définir.

Le cheminement, de l’occasion d’une appropriation physique du paysage…

À Saint-Jean-le-Vieux, les témoignages relatent une expérience du cheminement où les moments d’arrêts sont généralement très brefs et spontanés. Nous l’avons vu précédemment dans le chapitre 02.Le paysage éprouvé: le cheminement comme vécu de paysages multisensorielles et affectifs , ils peuvent être marqués par l’observation d’une fleur particulière, par la rencontre avec des animaux mais aussi par l’apparition d’une vue particulière, un panorama. Dans le cas de la présence d’animaux, l’interaction générée avec les enfants ou la recherche

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137. Série de photographie montrant certains lieux d'arrêts prévus ou imprévus réalisés lors des marches MEB1 et MEB2(personnelle et participants, marche MEB1 et MEB2).

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de contact physique suggère un moment d’arrêt plus prolongé. De même pour la recherche de contact physique ou olfactif avec des fleurs par exemple. Ces moments d’arrêts ne sont pas réellement explicités comme tels, mais déduits par le comportement décrit lors des entretiens ou par le fait qu’une photographie ait été réalisée.

Cependant quelques témoignages à Saint-Jean-le-Vieux et à Bidart permettent de comprendre les liens qui s’établissent entre perceptions sensorielles du paysage et moments de convivialité lors d’arrêts plus prolongés. Lors de ces arrêts la conjugaison d’une ambiance propice à l’arrêt générée par une sensorialité forte et agréable et d’une configuration spatiale singulière est nécessaire. La typologie des lieux ne traitera pas des espaces de jeux spécifiquement aménagés mais traitera des espaces ou une pluralité d’usages est possible par le degré d’aménagement présent.

Un premier type de moment d’arrêt spontané peut se distinguer autour de la présence de l’eau. En effet à Saint-Jean-le-Vieux, la rivière semble être un élément qui attire et suscite l’arrêt spontané par la sensorialité (interviewée SJLV1) comme évoquée précédemment. Lors de la marche MESJLV1, la rivière est d’emblée posée comme un élément qui « appelle » au début de la marche et qui fait l’objet d’une photographie en fin de marche.

«Quand, au départ, on est vers la Madeleine, y a un petit cours d'eau qui passe. Donc là sur le pont, je m'arrête parce que j'aime bien regarder l'eau et c'est agréable. Et après je continue, je m'arrête au lac d'Harrieta. On peut aller se poser là-bas aussi, pêcher, tout ça. Après je continue à marcher.» Interviewée SJLV1 – Extrait de narration lors de l’entretien

Une mère de famille évoquera l’arrêt sur un pont comme moment de rencontre avec la rivière et de convivialité partagée avec ses enfants autour du « goûter » dans un format très spontané (sans aménagement, au bord de la route) (interviewée SJLV10). L’expérience est vécue à la fois dans la sensation de bienêtre individuel mais également dans la convivialité intime et familiale qu’elle permet. L’ambiance multisensorielle procurée par l’eau est le théâtre de moments d’interactions (interviewée SJLV10) ou de sociabilité fortes (interviewée SJLV5).

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«Le quartier Sabaltze, souvent où on s'arrêtait au niveau de la rivière, y avait un pont comme ça. On faisait une petite pause goûter.»

«Par contre, après avec les enfants, ce qu'on faisait quand ils étaient plus petits, on allait très souvent au lavoir. Ils aimaient bien avec l'eau et toutça. » Interviewée SJLV10 – Extraits de narration lors de l’entretien

«Y a une table de pique-nique en fait, du coup on mange, c'est tranquille. On entend le bruit de l'eau. Un endroit tranquille où on peut se poser.» Interviewée SJLV5 – Extrait de narration lors de l’entretien

De même la présence de l’océan permet ces mêmes moments de convivialité spontanés notamment avec les enfants (interviewée B4). L’eau stimule la découverte et l’amusement par les sensations corporelles (aussi éprouvée par la situation de l’océan en pied de falaise à Bidart). La sociabilité est vécue à l’échelle collective.

«On profite du paysage. Et puis quand les enfants étaient plus petits alors la voie verte n’existe pas. Mais on faisait ce bord de mer. On allait beaucoup à Erretegia. À la plage là, pour pouvoir grimper. On pique-niquait. Voilà. On adorait faire ça.» Interviewée B4 – Extrait de narration lors de l’entretien

Un second type de lieux d’arrêt spontanés se définit par la conjonction d’une ambiance auditive forte (absence de bruits et de personnes ou au contraire très animé) et d’un léger aménagement. Ces lieux ne présentent pas de panoramas paysagers et se situent en bordure de chemins.

À Saint-Jean-le-Vieux, une mère de famille (interviewée SJLV10) qui a grandi sur la commune et qui s’y rend souvent avec ses enfants relate des trajets qu’elle effectuait jeune pour retrouver ses amies. Le cadre peu fréquenté, « tranquille » qui permet de ne rencontrer « personne » est propice à la convivialité aussi par la présence d’un banc qui invite à s’asseoir. La situation paysagère ne fait pas l’objet d’une attention particulière, elle est surtout décrite par ce qu’elle permet, la rencontre amicale dans une forme de situation secrète.

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« Au niveau de l'intersection où elle habite Laura Mayté là. Nous à l'époque, il y avait un banc. Là aussi avec les copines, des fois on s'arrêtait voilà. On discutait. On était tranquille, y avait personne.» Interviewée SJLV10 – Extrait de narration lors de l’entretien

À Bidart, une mère de famille (interviewée B4) dont les enfants sont maintenant partis du foyer familial évoque les marches qu’elle effectue actuellement avec son mari autour du Lac Mouriscot, un lac très animé d’un point de vue sonore par le bruit des enfants qui jouent, des personnes qui y passent seules ou à plusieurs, parfois avec des animaux. La présence d’un banc dans cette ambiance spécifique qui la replonge dans ses souvenirs avec ses enfants lorsqu’ils étaient plus jeunes l’invitent également à l’arrêt. La convivialité y est vécue avec son mari comme un moment commun de partage des souvenirs de leurs propres enfants provoqués par les stimulations auditives et visuelles.

« RC: Oui voilà, y a des personnes qui font du cheval qui viennent là. Y a des personnes avec leur animaux de compagnie. Après y a des enfants. Y a pas forcément de jeux. Après y a des gens qui font du sport, du footing. Ce genre de chose. Voilà.

ÉM: Et ça vous arrive de vous arrêter un instant, soit pour asseoir, soit parce que vous rencontrez quelqu’un?

RC: Non je peux m’arrêter oui. Euh sur un banc, au bord du lac.» Interviewée B4 – Extrait de narration lors de l’entretien

Enfin un dernier type d’arrêt est celui de la stimulation de la vue par le panorama paysager. Ce dernier est le plus récurrent et peut se produire autant dans des espaces fortement aménagés qui font parfois même l’objet d’une attention patrimoniale institutionnalisée que ceux situés en bord de route et qui ne présentent aucune ou très peu de forme d’aménagement (si l’ambiance sonore ne constitue pas une perturbation). Il ne s’agit pas là de revenir sur ce qui a été évoqué précédemment dans le chapitre02.Le paysage éprouvé: le cheminement comme vécu de paysages multisensorielles et affectifs mais plutôt de comprendre l’influence sur les pratiques sociales de la rencontre d’une stimulation sensorielle forte et d’une configuration spatiale. Les lieux patrimonialisés, dont le degré de formalisation est plus ou moins important entre la commune de Bidart et celle de

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Saint-Jean-le-Vieux, peuvent offrir l’occasion d’une expérience sensorielle visuelle et corporelle forte propice à des moments de convivialité et de sociabilité.

La colline Mendikasko à Saint-Jean-le-Vieux s’est construite comme élément de curiosité, d’attraction et presque de « jeux ». La situation en surplomb, inédite sur la commune qu’elle permet, confère à ce lieu ses propriétés de convivialité. Elle est le théâtre d’une réelle expérience du paysage par le corps (le fait de grimper) et par la contemplation (le fait de se situer en surplomb). L’expérience de cet espacepaysage induit pour certains habitant sociabilité et convivialité, incarnées dans les moments de pique-nique au sommet de cette colline (interviewée SJLV10). Concernant le pic de l’Arradoy, la situation en surplomb génère une expérience corporelle forte (la marche pour y accéder puis peut-être le vertige) et visuelle exceptionnelle (par la situation surplombante). Pour une jeune Donazahartare convivialité rime avec sociabilité au sommet de la montagne (interviewée SJLV5) pour d’autres, la convivialité réside dans la possibilité de contempler son territoire (nous verrons cela dans le paragraphe suivant). Cette première personne relatera l’aménagement du lieu à partir des pratiques de « goûter », « pique-nique » ou « barbecue » qu’il permet. D’ailleurs elle réalisera une photographie qui omettra tout élément de l’environnement extérieur et montrera le paysage vécu à l’instant, celui du partage et de la sociabilité incarnés par l’activité du pique-nique (138).

«Par contre, quand j'étais petite, j'allais très souvent sur la butte du camp romain. On montait, on descendait en courant. On allait faire le goûter en haut. On avait l'impression que c'était immense quand on était petit. Et en fait c'est tout petit. C'était la découverte. » Interviewée SJLV10 – Extrait de narration lors de l’entretien

«Avec ma famille et surtout mes amis. On pique-nique là-haut. On prend le goûter en haut.C'est là où il y a des tables de pique-nique, un barbecue et tout, et y a des places pour se garer et y a un sentier.»

Interviewée SJLV5 – Extrait de narration lors de l’entretien

La convivialité et la sociabilité à partir de la vue peuvent se faire également au niveau d’espaces peu aménagés au bord de route (comme évoqué dans la catégorie de lieux précédente). Cependant la vue occupe une place primordiale car elle est l’objet de l’échange parmi les personnes cheminant. Par exemple, une mère de famille Bidartare (interviewée B12) évoquera les moments d’interactions

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139. Photographie pour décrire les activités ayant lieu au pic de l'Arradoy sur l’espace aménagé pour le pique-nique orienté par un panorama sur le pays de Garazi (interviewée SJLV5). 138. Photographie qui paysage les moments d'interactions forts bien que brefs ayant lieu quotidiennement sur ce banc, situé sur le trajet de l'école et orienté vers la vue de la plaine de l'Uhabia à Bidart.L’extrait de cartographie en dessous montre l’association de la vue (Rhune, océan) à cet espace (interviewée B12).

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et de complicité avec ses enfants sur les trajets quotidiens pour se rendre à l’école. Ce trajet est ponctué par un lieu d’arrêt, un banc qui offre une vue sur la plaine de l’Uhabia (lieu d’ailleurs évoqué lors des entretiens comme un espace de jeux très apprécié par les enfants). Elle photographiera d’ailleurs le moment de l’interaction même permise par la présence du banc (139). Aussi lors de la marche exploratoire MEB1, alors que nous réalisions un détour pour voir une maison particulière, à la suggestion d’un participant, nous avons découvert un espace enherbé, situé sous un acacia qui a suscité un grand intérêt chez les participants (140).

«En général, quand on monte la côte, on s’arrête toujours voir si la Rhune est bien. Là, on regarde toujours. On a un regard sur la Rhune, sur l’océan. C’est génial! Avant de prendre la journée, on regarde. Ça nous fait, voilà, y a la plaine scolaire. On continue à avancer et on entend les oiseaux de bon matin.»

Interviewée B12 – Extrait de narration lors de l’entretien

Philippe35 fait ensuite remarquer un lieu avec une vue sur les Pyrénées. Le lieu présente de l'herbe coupée, un arbre, il est situé en bord de route mais contrairement au premier lieu d'arrêt, «il fait tellement sauvage qu'on y est bien» dit Jeanne. Les termes de« calme», « bien-être» qualifient selon les participants ce lieu. Les personnes alors cherchent à localiser ce lieu sur la carte comme une petite trouvaille. Le bruit des grillons perçu est l'occasion pour Philippe d'évoquer son enfance et le fait qu'il capturait les grillons avec des amis. Et spontanément ces personnes aspirent à venir pique-niquer pour la jeune femme, s'asseoir sur une chaise longue pour la femme retraitée. Selon Philippe, le paysage est un tout, c'est la vue mais aussi le cadre. Sa femme explique que s’il n'y a que la vue, mais avec du bruit de voiture, «ça ne marche pas». L'homme retraité explique même qu'il s'installe volontiers dans ce lieu, contrairement à la plage où il verrait «500 personnes autour et ce n'est pas la peine». Anna explique que lorsqu'elle s'arrête, elle apprécie lorsqu'il y a du végétal qui enclos le lieu. Les personnes semblent interloquées lorsque je demande ce qu'il y a à transformer ou valoriser. Cet espace, « il faut le laisser en état». Extrait de narration de la marche exploratoire MEB1

35 Le nom des participants a été modifié pour garantir leur anonymat.

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140. Photographie révélant la configuration spatiale et paysagère du lieu qui stimule l'imagination et l'appropriation physique et mentale du paysage (participant, arrêt B’, marche MEB1).

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141. Extrait de cartographie qui situe les diverses activités : "apéro", "pique-nique" ou "pétanque" qui ont lieu (ou ont eu lieu en bleu) au niveau de l'espace côtier avec desamis (interviewée B1). 142. Photographie révélantun des espaces où elle aime pique-niquer avec sa famille ou ses amis. Cet espace est marqué par l'étendue d'espace enherbé et le caractère renfermé et à la fois ouvert par le panorama(interviewée B1).

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Les aménagements en bord de falaise ou en montagne conjuguant situation en surplomb, présence d’un espace enherbé généreux, quelques aménagements (bancs, tables de pique-nique ou non) et parfois la présence d’un édifice remarquable (chapelle de la Madeleine à Bidart) semblent être propice à toute forme d’activité allant de l’introspection personnelle au partage collectif de moments de chants et de pique-nique.

À Bidart, une jeune Australienne (interviewée B1) évoquera des moments de convivialité seule mais également des moments de pique-nique ou de pétanque (141) qu’elle fait en été avec sa famille et ses amis sur des espaces enherbés ou sableux situés en surplomb de la falaise (142). Un jeune Bidartar (interviewée B3) évoquera avec son amie qui a pris part à la marche MEB2 des moments de chants pour l’association de chorale locale et de convivialité autour d’un pique-nique partagé. Lors de cette même marche, un des participants, retraité vivant dans une commune limitrophe a évoqué plutôt une forme de convivialité qu’il souhaite vivre seul.

«Donc je peux monter ici par exemple et y a un très joli point de vue. Un petit banc très mignon dans les arbres. Et l’été là plusieurs fois, je vais m’asseoir, méditer, lire. Avant y avait ça à Erretegia avec l’herbe mais je sais plus maintenant.» Interviewée B1 – Extrait de narration lors de la cartographie

« Pas de vue sur Biarritz à cet endroit-là. La perspective ne le permet pas. Mais ça rejoint la chapelle qui est un endroit vraiment ouvert. Donc beaucoup d’espaces, de suite à flanc de falaise, qui donne sur l’océan. Donc quand il fait beau c’est hyper joli. On se retrouve souvent avec la chorale dont je fais partie pour chanter làbas.»

Interviewé B3 – Extrait de narration lors de l’entretien

Ce spectacle visuel semble être inconsciemment ou consciemment le vecteur de socialité. Un jeune Bidartar évoquera la multitude des lieux de rencontre avec ses amis localisés presque de manière scientifique pour permettre la vue du coucher de soleil (143), « le sunset» comme il l’emploiera tout au long de l’entretien (interviewé B11). Cependant le choix des moments d’arrêt revêt de l’idée d’un espace enclos mais permettant un sentiment d’ouverture que ce soit pour les jeunes qui souhaitent s’y retrouver seul (interviewé B3) ou à plusieurs (interviewé B11) ou

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143. Extrait de cartographie qui montre les lieux d'arrêt ou de rencontres possibles lors d'un cheminement. Les "sunset" ou "meilleur spot" localisent les lieux d'arrêts où l'appréciation du coucher de soleil est la plus forte(interviewé B11).

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les personnes âgées (interviewé B5). En effet, lors de la marche MEB2 un de ses lieux (situé au niveau de l’arrêt B) sera le théâtre d’évocations de riches émotions « paisible », « calme », « serein » ; de sentiments de « solitude », de « bienvenue », « romantique » et d’imaginaire de « petit monde », d’ « endroit secret ». L’ambiance de ces lieux est caractérisée par l’idée d’ « alcôve naturelle » « d’enclos » et par la possibilité de « liberté », « d’ouverture » (143).

«Alors des fois, oui bah avec David, on se pose à Erretegia, vu qu’il est à côté. Mais on s’embête plus à aller en bas pour faire le sunset. On prend les endroits où on est sûr d’avoir la plus belle vue. Chacun voit midi à sa porte. Mais c’est surtout sur les endroits où il y a moins de monde et moins facile d’accès, moins de monde.»

« On chill (se pose)avec les potes qui ont des chiens tout ça. Ils les lâchent car c’est encore un endroit qui reste un peu sauvage. Qui a pas été réaménagé ou créé pour le tourisme. Ça reste le même spot, le même petit truck où tout le monde peut se retrouver le soir. C’est pas trop visuel car les flics doivent rentrer sur le parking pour nous voir. C’est pas tellement caché, mais c’est facile d’accès et on se retrouve là-bas car on voit la mer facilement.»

Interviewé B11 – Extraits de narration lors de l’entretien

« Bah lecôté d’avoir, alors c’est assez paradoxal, sur l’Uhabia, on a cette sensation d’espace parce que la plage est super longue et très en retrait par rapport à la côte. Mais du coup je trouve ça désagréable. Si je vais sur la plage pour une activité de baignade, de bronzage ou de lecture. Je ne saurai pas te dire pourquoi. Mais quand je vais sur la plage, je préfère les paysages de falaise, qui entourent et donnent cet aspect de cocon.» Interviewé B3 – Extrait de narration lors de l’entretien

« Les endroits où c’est le plus tranquille en général. Entre Pavillon Royal et Erretegia, y a des endroits, y a des rochers, y a pas grand monde. J’aime bien.»

Interviewé B5 – Extrait de narration lors de l’entretien

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144. Post-its montrant les sensations d'ouverture et d'enclos propices à l'arrêt (même en bord de route) regard un panorama paysager(participants, arrêt B, marche MEB2).

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L’expérience spatiale et sensorielle qu’offrent ces lieux est si forte qu’elle est également une réalité pour ceux qui effectuent des cheminements en courant en groupe dans la nécessité d’attendre le reste du groupe (interviewé B6). Ces points « d’attentes » possèdent des configurations spatiales très similaires : la situation en haut de la montée avant d’attaquer une descente, une ouverture sur un paysage panorama, et la proximité d’un aménagement (intersection de chemin, parking) ou d’un bâtiment (restaurant, chapelle). Au-delà d’être perçus par leur praticité (l’attente du groupe), ils sont de réels moments de convivialité où les composantes multisensorielles et spatiales favorisent l’arrêt, ce dernier participant à la cohésion du groupe.

«Y a un stop là, juste en haut, pas sur le parking. Mais juste en haut parce qu’il y a un point de vue ici. Le point de vue est juste ici, une espèce de courbe. Quand vous montez les escaliers, parce que la plage du centre vous y accédez par la route, soit vous y accédez, vous garez votre voiture sur le parking et vous descendez les escaliers. Ce que font beaucoup de gens. Alors cette partie d’escalier, alors c’est pas long, ça monte bien, et la y a une espèce de plateforme en herbe, qui domine et qui est au-dessus de la plage du centre. Et c’est ça qui est sympa.» Interviewé B6 – Extrait de narration lors de l’entretien

Il est important de repréciser que l’ambiance multisensorielle de ces lieux d’arrêt est donc indissociable de leur expérience spatiale physique. En effet des configurations similaires de lieux mais avec une forte nuisance sonore ne génère par la même pratique sociale. En effet lors des marches MEB1 et MEB2 différents moments de points de vue (aménagés ou non aménagés) ont été testés. Cependant la présence d’une route très fréquentée à proximité a inhibé les volontés de s’établir sur le lieu et de se l’approprier. Ce type d’espace fait plutôt « ralentir ». Mais il constituera plutôt selon les participants, un moment de « respiration urbaine » hautement appréciés pour ceux transitant à une plus grande vitesse (vélos, voiture, course) et qui ne peuvent pas ou ne souhaitent effectuer des moments d’arrêts. Une participante de la marche MEB2 évoque l’idée de partage, d’apprécier le paysage non pas que en marchant mais aussi par les voitures, pour les cyclistes, ceux qui se déplacent à grande vitesse.

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… à la recherche d’une territorialité

Par le cheminement, la rencontre avec le paysage est également l’occasion pour l’individu d’une recherche territorialité. Le paysage participe à l’ancrage des individus dans leurs territoires de vie et de fait à leur appropriation de ce territoire.

Cette recherche de territorialité se manifeste sur les deux communes par la recherche d’une situation, d’un rapport sur le territoire par la nomination des communes avoisinantes perçues visuelles à l’occasion de panoramas paysagers (interviewé B3) ou par la nomination des directions de routes (interviewé SJLV3).

«Depuis cet endroit-là, on voit Guéthary, Saint-Jean-de-Luz, la Corniche, jusqu’à Hendaye, Fontarabie. Quand c’est vraiment dégagé on peut voir. Je sais pas jusqu’où on peut voir mais on voit trèstrès loin en Espagne. Et j’adore parce que si tu imagines la vue satellite de la carte de l’Espagne et ensuite de la (bombe?) ibérique, on voit en fait vraiment la forme, depuis là où on est sur ce lieu.» Interviewé B3 – Extrait de narration lors de l’entretien

«De toute façon on suivait les vaches. J'avais 11 ans la première année que je l'ai fait. On avait les vaches. Elles avaient l'habitude d'Iraty. On prenait la route d'Iraty jusqu'à Lekumberry. On allait à Laharraquy puis le pont d'Estérençuby. Ça remontait vers... j'ai oublié le nom. Et là, on sortait les vaches, les vaches suivaient.» Interviewé SJLV3 – Extrait de narration lors de l’entretien

Le panorama paysager est observé depuis un point d’arrêt qui, par l’ambiance multisensorielle qu’il dégage participe à la contemplation du territoire. La contemplation est de plusieurs ordres, elle est esthétique (du territoire, du temps climatique) mais aussi informative et culturelle. En effet, observer le territoire, c’est observer ses changements, prendre de la hauteur par rapport à la vie qui s’y déroule (145). Mais c’est aussi comprendre la place de son cadre de vie dans un territoire plus large, ce qui en fait une spécificité ou non, comprendre le continuum géographique dans lequel il s’inscrit (146). Cela participe à la construction identitaire et culturelle du marcheur qui éprouve le sentiment d’appartenir à une

145. Ce point de vue s’apparente à tous ceux évoqués en situation de colline ou montagne qui permet au marcheur de prendre de la hauteur sur son territoire, de l’observer et de s’informer sur l’évolution de son territoire(page suivante, à gauche, interviewée SJLV5). 146 . Ce point de vue s’apparente à tous ceux évoqués en situation de falaise ou de crête qui permet à la fois de contempler le la situation de Bidart vis-à-vis de son territoire et d’observer le spectacle du temps climatique (page suivante, à droite, interviewée B7).

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communauté identifiée. L’identification à son territoire passe également par la compréhension d’une ambiance spécifique à cette dernière portée par les perceptions.

L’ambiance de village, est choisie pour d’écrire l’ambiance de Bidart notamment par les sens : le clocher de l’église, le marché, les enfants, animaux, quelques oiseaux. En effet, lors des marches exploratoires effectuées à Bidart, les arrêts marqués par la vue de nombreux panoramas paysagers sont systématiquement l’occasion d’évoquer cet « esprit de village » qui caractérise la commune par un forme d’équilibre végétal/urbain. Cette recherche d’ambiance spécifique s’établie également en comparaison d’autres communes. La propriétaire d’un gîte touristique à Bidart décrira les ambiances ou milieux « sympathiques », « mignons » qui caractérisent la commune, caractérisés par un certain équilibre entre des milieux urbanisés de type « village », comme le centre-ville d’Arcangues, d’Arbonne et de Guéthary et des milieux plus « sauvage » où la nature semble dominer (la forêt notamment).

Concernant la commune de Saint-Jean-le-Vieux l’ambiance semble se détacher par la présence de la montagne avec des rapports de plus ou moins proximité en fonction du lieu où l’on observe, où on la vit. En effet, lors de la marche exploratoire MESJLV1, un des participants qui a grandi sur la commune note la présence de la montagne « Arradoy qui veille sur nous » comme si un rapport intime et familier s’était établi entre cette montagne et les habitants de la commune. D’autres situations sur la commune seront qualifiées par rapport à la centralité de celle-ci. En effet, lors de la marche MESJLV1, un participant, ancien habitant décrit que l’espace où nous nous trouvons est « isolé du reste, on ne voit plus le village ». Il s'adonne à la description du lieu actuel en citant Saint-Jean-Pied-de-Port, Caro, Aincille. Il parle de « zone frontière ».

La territorialité constitue-t-elle une valeur paysagère ? La valeur esthétique du paysage sera appréciée par les agriculteurs plutôt à l’échelle du territoire. Ainsi notre berger exprimera lors de la marche MESJLV1 des dépréciations de certains bâtiments qui par leur forme ou couleur se détachent et se remarquent visuellement. Il nous parle de la vue d’un bâtiment agricole sur ses terres nommées Bel Ezponda, « une tour qui fait je sais pas combien de mètres de haut » et « on ne voit que ça ». Un autre participant n'est pas choqué par ce bâtiment car « c'est quelque chose qu'on a toujours vu » et il « sait que c'est des entreprises locales, de charpente métallique, qui ont bossé. Il y a ce côté économique, le pays qui vit ».

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