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Le paysage du règne végétal et animal

«C’est très familial, très familial. C’est de tout âge. Il y a des enfants, petits vélos, y a des parents et des grands parents. Après, c’est une voie qui est très, très utilisée. Y a des sportifs, il y a des papis, des mamies, des enfants plus petits et des poussettes. C’est très familial. C’est sympa, cool, sympa.» Interviewée B12 – Extrait de narration lors de l’entretien

Aussi, le cheminement pousse à l’imagination de la sociabilité sur certains lieux rencontrés. En effet, le paysage narré est également celui de la potentielle sociabilité comme c’est le cas pour d’une jeune coureuse de Bidart (interviewée B1). Nous reviendrons sur ce point dans le paragraphe S’établir par le cheminement, le temps de l’appropriation du paysage.

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«J’ai plusieurs choses agréables. Ça c’est la chapelle. Moi personnellement j’aime bien quand la mairie coupe la pelouse. Quelque fois ce n’est pas trop fait. Dans ma tête je pense que pour les endroits comme ça, c’est mieux que la pelouse est coupée. Par exemple aussi, ici à Uhabia, la pelouse est malcoupée, et j’imagine que le week-end, quand il fait beau, plus de gens iraient s’asseoir. C’est un énorme espace et c’est bien pour s’asseoir. Les photos sont faites le matin mais si j’y vais l’après-midi y a des gens qui s’y assoient.»

Interviewée B1 – Extrait de narration lors de l’entretien

Le paysage du règne végétal et animal

La faune et la flore occupent également une place importante dans les éléments du paysage vivant perçus par les personnes se déplaçant à pied. Le domaine de la biodiversité en général est intrinsèquement lié aux sens, son expérience est multisensorielle. Elle relève de combinaisons par « duo » ou « trio » sensoriel : visuel/olfactive/tactile pour les végétaux, visuel/sonore/ parfois tactile pour les animaux.

Le végétal entre perception olfactive et désir de contact

Le végétal occupe une place importante dans les perceptions multisensorielles du paysage puisqu’il est à la fois un élément que l’individu cherche à sentir mais également à toucher lorsqu’il le voit.

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En effet, lors des trois marches exploratoires (deux à Bidart et une à Saint-Jean-leVieux), les participants ont systématiquement noté l’absence d’odeurs de fleurs. Ce phénomène permet de comprendre à la fois les souvenirs d’expérience sensorielle du végétal que permet la marche mais également une forme de précondition de l’esprit à être attentif aux perceptions sensorielles de l’environnement végétal. Les végétaux ont fait l’objet de nombreuses photographies comme éléments agréables ou désagréables relevant du paysage (124) aussi parce qu’ils sont très divers.

Les marches exploratoires ont été l’occasion de comprendre les rapports multisensoriels liés au végétal. Le végétal est donc l’opportunité d’exercer notre odorat mais il est également l’occasion d’un rapport tactile avec l’environnement (126). En effet, l’attrait pour une fleur va par exemple diriger le cheminement vers celle-ci pour que les doigts de l’individu puissent en toucher les pétales ou les feuilles (125). La cueillette construit également ce rapport tactile qui dépasse l’observation pour aller à la compréhension, connaissance du végétal. La cueillette d’un végétal comestible amène à sa consommation. Le goût est la dernière étape à l’expérience multisensorielle de ce végétal. La cueillette traduit également une volonté de s’approprier le végétal en l’intégrant dans son intime psychologique par le souvenir ou physique en faisant des boutures pour chez soi.

Généralement le végétal est perçu comme un élément « agréable » du paysage qui contribue au sentiment de bien-être, de « communion » avec la nature. La biodiversité procure des sentiments de joie comme l’exprime une des participantes de la marche MESJLV1 qui a la vue de « noisetiers » se dit « très contente ». L’attention portée au végétal permet de caractériser son type, son état, son aspect. En effet, les essences seront identifiées qu’il s’agisse d’arbres (interviewé SJLV3) ou de fleurs. À Bidart, les fleurs, l’herbe, les arbustes seront perçus par leur caractère plus ou moins entretenu ou sauvage. L’état mal-entretenu est également paysagé par les individus comme constituant un élément désagréable du paysage. Le végétal est ainsi parfois associé à un élément d’obstacle à la marche.

«Alors c'est ça la vue et les vues que j'ai quand, voilà. La rivière. J'aime bien les fleurs sauvages comme ça. » Interviewée SJLV2 – Extrait de narration lors de l’entretien

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125. Extrait des reportages regroupant les végétaux qui ont été évoqués comme éléments du paysage (à gauche, interviewées B1, B5, SJLV2, SJLV4). 124. Photographie révélant l'intérêt pour le végétal et la recherche de contact physique et sensoriel avec ce dernier(participant, arrêt B’, marche MEB1). 126. Photographie montrant l'intérêt des participants à l'acacia(photographie personnelle, arrêt B’, marche MEB1).

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«Oui oui, les arbres ont pris le dessus. Y a plusieurs sortes. Y a des chênes, et même si c'est pentu y a de l'acacia.» Interviewé SJLV3 – Extrait de narration lors de l’entretien

« Je voulais montrer une photo du rond-point. Les fleurs ils montrent beaucoup d’efforts.» Interviewée B1 – Extrait de narration lors de l’entretien

«Y a de tout, y a du noisetier, du frêne, de la ronce. Y a de tout. C'est assez envahissant.»

Interviewé SJLV7 – Extrait de narration lors de l’entretien

Le végétal, c’est aussi l’occasion d’échanger sur des pratiques quotidiennes, souvent de jardinage ou de cuisine et démontrent un trait de personnalité, une culture. En effet, lors de la marche exploratoire MEB1, l’attention aux feuilles d’un acacia est l’occasion d’évoquer des recettes de cuisine de fleurs d’acacia puis des recettes en général. S’en suit une discussion sur les végétaux jardinés chez les deux femmes participantes à la marche. De même la marche MEB2 est l’occasion d’échanges sur l’ail des ours rencontré dans les bois, que l’on peut cuisiner en pesto et sur les asperges sauvages qu’un des participants aperçoit sur le sentier du littoral et qu’il aime cuisiner. De même une des participantes évoque spontanément des choix de cultures de fleurs réalisées dans son propre jardin. Le végétal appelle aussi aux souvenirs, comme c’était le cas lors de la marche exploratoire MEB1 où la vue d’un végétal à éveiller la mémoire d’une participante d’avoir aperçu des crocus près de la voie verte le long de la rivière Uhabia à Bidart, souvenir aussi associé à une émotion d’étonnement.

Enfin le végétal est perçu sous ses aspects cycliques et biologiques par les agriculteurs interrogés (interviewé SJLV11) et les personnes pratiquant la chasse (interviewé B9). En effet dans le premier cas, les éleveurs entretiennent une relation étroite avec le végétal qui sert à nourrir leur troupeau. Dans le second cas la perception du végétal est permise par l’observation de la bécasse chassée qui éveille à la compréhension du cycle des arbres forestiers.

262 «Partout. La plante elle fait un cycle dans l'année. Là, la plante elle est très haute comme ça. Là, elle va devenir, à épissons. C'est une fois dans l'année. Après y a plus cet épi qui monte. Après elle pousse et elle fait juste de la feuille, qui est meilleure. La feuille est meilleure

que la tige, elle est plus riche en protéine. La tige, c'est ce que vous donnez en hiver, en réserve.» Interviewé SJLV11 – Extrait de narration lors de l’entretien

«Et là, quand la végétation a 7-8 ans, la bécasse elle adore. Comme le soleil pénètre bien puisqu’il n’y a pas, il n’y a pas d’arbres. Donc là, il y a du petit bois 6, 7 mètres de haut et au milieu de la ronce. La bécasse, elle adore. Les bois de chêne qu’on a ici très haut. Elle n’aime pas. Elle aime les petits bouts, les bois bas. Même lesgrands bois de pin, elle n’aime pas trop. Elle aime les petits pins de 5-6 mètres. Voilà tout ce qui est végétation jeune.» Interviewé B9 – Extrait de narration lors de l’entretien

La faune comme perception sonore et visuel distancée

Si le végétal est caractérisé par le rapport de proximité qu’il permet d’établir entre l’individu et ce qui relève de la nature, la faune relève de perceptions sensorielles généralement distancées qui invitent à un contact rapproché.

Les perceptions sensorielles qui relèvent de la faune sont principalement d’ordre sonores et visuelles. En effet les oiseaux sont souvent évoqués par leur chant mais ne sont pas perçus visuellement. Ils participent à l’établissement d’une ambiance paysagère agréable puisqu’ils traduisent la possibilité d’éveil à ce qui ne relève pas l’ « humain ». Comme toute perception sonore, celle des animaux se fait également dans leur absence. En effet, quelques témoignages à Bidart déplorent le manque de chant d’oiseaux dans leurs cheminements quotidiens et de proximité. La perception sonore peut être très fine. En effet, lors de la marche MEB1, un des participants identifie le chant du coucou. Il analyse ce chant comme celui du mâle qui appelle la femelle et qui s’inscrit dans la période de reproduction des oiseaux.

Un rapport déductif s’établit de la perception sensorielle de la présence animale à l’analyse de son comportement vis-à-vis de son environnement ou de la saison. En effet, bien que les perceptions sensorielles ne relèvent pas de l’auditif chez le chasseur interviewé (interviewé B9) et le pêcheur, les perceptions sensibles du paysage permettent de comprendre et d’analyser le comportement de l’animal traduisant la capacité de l’individu à se forger une culture presque savante de celuici. Ainsi les perceptions sonores sont également liées aux perceptions d’un paysage saisonnier que nous avons vu précédemment dans le paragraphe Percevoir le paysage temporel du chapitre précédent.

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« YC:Aident au visuel. Après aux traces tout ça, on peut pas voir. C’est dans les ronces, tout ça. On peut pas voir les pattes de bécasses. Ça peut voler jusqu’à huit mille mètres de haut. Aussi haut qu’un avion avec un vent de Nord.»

ÉM: Impressionnant. Et elle se cache dans les arbres ou dans les houx?

YC: Non c’est un oiseau terrestre. Ils se cachent dans des haies. Y a des fois, c’est impénétrable. Mais elle, elle navigue bien.» InterviewéB9 – Extrait de narration lors de l’entretien

À Bidart ce seront surtout les oiseaux par leur chant qui seront paysagés. Une personne (interviewée B8) mentionnera des animaux rencontrés visuellement et phonétiquement sur son passage. Les pratiques agricoles de la commune de SaintJean-le-Vieux permettent une perception visuelle qui se somme à cette perception sonore et qui induit de fait l’établissement d’un rapport beaucoup plus proche avec entre la faune et les individus cheminant. En effet, la perception sensorielle des animaux se fait essentiellement par le visuel sur cette commune puisqu’ils sont nombreux et diversifiés. Ils sont d’ailleurs cartographiés. En effet, les mères de familles de la commune semblent très sensibles à leur présence sans doute parce qu’elles sont accompagnées d’enfants ou parce qu’elles ont des souvenirs associés aux enfants (127).

« CV: Alors forcément, vous voyez peut-être un peu quand on passe devant le camping, derrière le camping, ily a des animaux. Donc il y a le bruit des animaux.

ÉM: Quels animaux il y a?

CV: Y a des ânes, cochons, là-bas. Donc il y a un peu de tout. Très sympa. Après il y a un très joli pont qui a été fait avec une partie surélevée en bois, parce que c’esttrop humide sinon. Et là, je vais chercher mes orties pour mes plantations et là, il y a des chevaux aussi.»

Interviewée B8 – Extrait de narration lors de l’entretien

«On arrive dans une ferme où il y a des animaux. Un peu plus, il y a un lama, il y asouvent des petites chèvres, ou y a des ânes.» Interviewée SJLV2 – Extrait de narration lors de l’entretien

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127. Extrait de cartographie situant les animaux comme éléments paysagers du parcours à pied(interviewée SJLV10).

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La possibilité de voir démontre une certaine curiosité et procure des désirs de rapports tactiles avec les animaux (128 & 129). En effet, les cheminements décrivant leur présence révèlent des attitudes d’arrêts spontanés et de durées significatives durant lesquels les personnes se rapprochent et cherchent à entrer en contact par la main par exemple, au niveau de la clôture d’une prairie regroupant ses animaux. Parfois les personnes pénètrent dans la ferme comme c’est le cas pour l’assistante maternelle interrogée (interviewée SJLV9) ou la mère de famille réalisant des promenades avec ses enfants. Cette curiosité révèle aussi de l’intérêt à rencontrer ces animaux et à les comprendre. Par exemple, lors de la marche MESJLV1, la vue de chevaux a généré des interrogations sur leur race.

«C'est incroyable, je ne sais pas, mais en tout cas, ça leur fait des réactions absolument impressionnantes. C'est fascinant de les voir réagir. Ils sont attiréspar les animaux. N'importe quelle taille. Y a une espèce de connexion. Enfin connexion, je ne sais pas si c'est réciproque. Mais en tout cas, eux ça les rend très joyeux. Même avec les chevaux, parce qu'au départ, je pensais que c'était plutôt côté dominateur, par exemple avec des poules ou autre. Mais non les chevaux, les vaches. Heureux, voilà.» Interviewée SJLV9 – Extrait de narration lors de l’entretien

S’ils sont généralement perçus de manière agréable, les animaux peuvent aussi appréciés négativement comme les « chiens qui aboient » (interviewée B1) qui induisent une sonorité agressive. Si le cheminement peut être inconsciemment guidé par l’envie de percevoir, rencontrer voire d’établir un contact avec une règle animal, il peut être également induit par la volonté de ne pas le rencontrer.

«Y a une dame là, son chien aboit à chaque fois que quelqu’un passe et elle, elle est agressive. Elle incite son chien à aboyer et râle quand les gens passent. Comme si c’était la faute des gens.» Interviewée B1 – Extrait de narration lors de la cartographie

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128& 129. Photographies qui montrentla diversité des animaux rencontrés sur le parcours réalisé à pied(interviewée SJLV4).

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