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Une redéfinition de l’exceptionnel comme valeur paysagère

Interviewé B6 – Extrait de narration lors de l’entretien

2.3. Une redéfinition de l’exceptionnel comme valeur paysagère

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Le paysage quotidien comme vécu spatio-temporel s’éprouve également dans l’opportunité qu’il offre à être remarquable. Cette notion de « paysage remarquable » s’inscrit dans un cadre de réflexion que nous avons évoqué en première partie au chapitre 01. Définition d’un cadre théorique: paysages quotidiens et approche sensible, hodologie et patrimoine sensoriel. Rappelons-le brièvement, le remarquable désigne ce qui a été institutionnalisé et ce qui relève du « patrimoine » en contribuant, à la grande à échelle au maintien de larges vues et de panoramas « typiques » au sens de « caractéristique » d’un territoire.

Cependant notre enquête a révélé que le caractère de remarquable et spectaculaire peut s’exprimer à différentes échelles, du milieu ambiant éprouvé à l’élément singulier paysager. Selon le Larousse, le remarquable désigne tout simplement ce « qui est susceptible d’être remarqué, d’attirer l’attention ». Si le paysage constitue « une portion de territoire perçue », tout élément est paysageable (puisque susceptible de faire l’objet d’une attention), tout élément est remarquable et ainsi tout paysage est remarquable. Pour en revenir à des réflexions plus proches des témoignages collectés. Il convient de comprendre que par le cheminement, les individus portent un affect, une valeur d’attachement aux éléments de paysages par leurs qualités contrastants, surprenantes et singulières.

Le paysage comme opportunité de contraste

À Bidart l’expérience du paysage majoritairement décrite est celle qui se construit dans l’opportunité de contrastes. Le territoire urbain est parsemé de milieux ambiants plus végétalisés qui sont vécus comme de réels moments de déconnection.

Ces expériences contrastantes sont incarnées dans les paysages dits de forêts, de l’espace côtier ou de campagne qui offrent la possibilité de contrastes sonores. En effet lors de la marche exploratoire MEB1, certains participants ont décrit le contraste saisissant entre le contexte rural, de campagne dans lequel nous marchions et le contexte urbain associé au littoral. Selon un des participants, c’est cette situation exceptionnelle de la côte basque, d’être située entre l’océan et la montagne, l’occasion d’être dans la « civilisation » d’un côté et d’être dépaysé dans

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l’autre. L’expérience de contraste s’incarne aussi dans la recherche d’une spatialité ou l’épreuve du corps. Elle est une réalité pour notre chasseur (interviewé B9) qui en fonction des saisons cherchera des ambiances paysagères et des expériences de marches contrastées.

«Alors là, quand tu bouffes de la végétation comme j’en bouffe pendant quatre mois après les mois, j’y rentre presque pas. Je vais que dans les champs. Des parcours ouverts, où tu vois les champs sur 200-300m. Tous les endroits comme ça j’y vais plus. Je suis maso mais jusqu’à un certain point. Et là, c’est que de la plaine ou des bois qui sont très propres, naturellement. Alors en ce moment, je suis en train de repérer les nichées de palombes. D’ailleurs il est en train de faire les nids.»

Interviewé B9 – Extrait de narration lors de l’entretien

Cette quête du contraste est relative à chaque individu et n’est pas forcément une réalité pour les Donazahartar(e)s. En effet, la marche en général est l’occasion de s’informer sur le territoire par l’observation. Il ne s’agira d’évoluer le changement par le contraste entre deux milieux mais plutôt par l’évolution même du paysage et de fait par ce qu’il étonne ou surprend.

La découverte et l’inhabituel dans le quotidien

Sur les deux communes, le paysage est l’occasion de (re)découverte et de rencontre avec des éléments inhabituels. La valeur d’attachement ne s’exerce pas sur l’objet même rencontré mais plutôt sur le souvenir de cette même découverte.

Une personne m’évoquera spontanément à Bidart la présence d’une briqueterie qu’il a entrevu récemment lors d’un cheminement sur l’espace côtier. Il s’est d’ailleurs demandé s’il elle avait toujours été là et s’est renseigné sur cette dernière. L’étonnement et la surprise ont surtout été exprimé lors des marches exploratoires et à travers les reportages photographiques. Lors des marches exploratoires la rencontre d’un élément nouveau dans le paysage a fait l’objet d’un arrêt spontané et de discussions (114). Sur les deux communes, les éléments du paysage qui lié à la notion de découverte ont fait l’objet d’une photographie comme élément qui attire le regard et génère l’arrêt. Ils sont caractérisés par le fait de sortir de l’ordinaire, de l’habituel dans la finesse du changement comme la rencontre d’un animal sur le

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116. Photographie réalisée pour montrer un hôtel à insectes qui a été découvert près de l'école communale alors que nous marchions en direction de la place de Bidart. Cet objet a 117. Photographie qui montre le paysage comme surprise de la rencontre d’un animal sur été l t d' êt d t d d ( t t h MEB2) le chemin (interviewée SJLV4). 115. Photographie réalisée pour noter un élément remarquable observé lors d'un cheminement quotidien qui attire la curiosité. Il est également remarquable par l'originalité de l'œuvre qu'il est (interviewé B7). 114. Photographie réalisée alors que nous réalisions que nous étions sur une portion du chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle ce qui a suscité étonnement et curiosité (participant, marche MEB1).

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parcours (115) ou par leur originalité comme une œuvre artistique rencontrée dans un paysage à caractère familier (116). Enfin la curiosité et la volonté d’être stimuler par la découverte dirige le cheminement. En effet, lors de la marche MEB1, un des participants a suggéré un détournement du parcours pour faire découvrir « sa maison préférée ». De même, les parcours des quatre marches exploratoires que j’avais établis avaient pour but de faire (re)découvrir pour comprendre les perceptions des paysages quotidiens qu’avaient les habitants de la commune. Ils ont d’ailleurs pris des notes sur le petit livret qui leur était donné en début de parcours, repérant sur l’itinéraire les points de vue remarquables ou situation qu’ils ont apprécié ou découvert.

Le paysage par son caractère singulier et exceptionnel

Le cheminement est alors l’occasion d’éprouver une situation paysagère quotidienne qui revêt d’un caractère exceptionnel pour les personnes cheminant. Au quotidien, le caractère exceptionnel du paysage s’exprime par la situation inédite à l’échelle nationale ou supranationale dans laquelle il peut se situer. En effet, lors de la marche MEB1 et la marche MESJLV1, la possibilité de se situer sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle est appréciée par certains participants comme l’occasion de cheminer sur un parcours reconnu (117) et qui s’inscrit dans un itinéraire à plus grande échelle (l’échelle binationale franco-espagnole). Ce parcours est apprécié par l’épreuve du corps qu’il offre et la traversée des différentes ambiances paysagères à travers le territoire, notamment celui du Pays Basque. Les discussions se sont d’ailleurs brièvement orientées sur la recherche de ce qui fonde la singularité de la portion traversée lors de nos marches. À Bidart, lors de la marche MEB1, la portion réalisée est celle qui serait une des plus difficile en milieu relativement urbain. Lors de la marche MESJLV1, la présence des croix sur la commune est sujets à discussion quant à leur orientation qui devrait être celle de l’est et non pas de l’église comme elles ont été récemment changées.

Les cheminements sur les communes de Bidart et Saint-Jean-le-Vieux sont également appréciés dans les possibilités à l’échelle communale qu’ils offrent au quotidien à rencontrer des paysages remarquables situés sur l’espace côtier, la plaine agricole, un territoire plus campagnard ou montagnard. Chaque milieu est perçu dans sa singularité. Le caractère exceptionnel de ces espaces relève d’une expérience sensorielle par la stimulation et affective par l’occasion qu’il constitue

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(118). Il est projeté sur la situation en elle-même mais aussi sur le cheminement ou l’aménagement qui amène à cette situation (interviewée B10).

«Alors ce que je trouve le plus désagréable. Autrefois, quand j’étais gamine, j’habitais là-bas donc il y avait des marches jusqu’en bas. C’était quelque chose d’exceptionnel, vraiment magnifique. Bon, ça n’a pas été entretenu, donc ça s’est écroulé. C’est pour ça qu’ils ont fait des chemins pour contourner ces éboulements. Mais c’était vraiment quelque chose d’unique et de magnifique.» Interviewée B10 – Extrait de narration lors de la cartographie

Enfin le remarquable s’incarne dans les milieux géographiques même. La forêt et la rivière semblent être des situations constamment éprouvées de manière exceptionnelle par leur singularité sur le territoire. Des éléments d’architectures marqué par une originalité ou une esthétique particulièrement appréciée feront également l’objet de qualificatifs valorisants. Le remarquable est finalement propre à chacun et relève tout simplement de ce qui attire (MESJLV1) et dirige le cheminement pour être observé (au sens multisensoriel).

Le parking n'est pas particulièrement attirant, mais ce lieu semble intrigué, la présence de l'eau, de l'église donne envie d'explorer les environs. Anne décrit «des choses qui nous appellent, ça a l'air super joli, y a des montagnes là-bas, y a du vert, la petite église est magnifique». Jacques présente un «pont à côté, il y a un joli pont». Extrait de narration de la marche MESJLV1

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118. Photographie montrant l’émerveillant sur l’espace côtier et le sentiment libérateur qu’il produit (Clara Chavanon, marche MEB2).

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