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La praticabilité et la fonctionnalité du sol comme valeur paysagère

qu’elle chemine avec une poussette et que la nature du sol influe sur la praticabilité du chemin par ce genre d’équipement.

«Le trajet commence par une petite départementale. Ensuite, passe sous un boviduc, sous la nationale. On arrive à la ferme directement sans trop croiser de véhicule. Le long de ce chemin, on va dire qu'il est plutôt sauvage, juste entretenu. » Interviewé SJLV9– Extrait de narration lors de l’entretien

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Les textures de routes sont particulièrement décrites par les agriculteurs qui les perçoivent par l’attitude du comportement des animaux avec lesquels ils cheminent. En effet, un ancien agriculteur interrogé (interviewé SJLV6) se souvient des matériaux de la route par le bruit généré par l’attelage qui accompagnait les vaches qu’il faisait transhumer en montagne. La rencontre du sol par l’animal ou l’équipement génère une stimulation sensorielle visuelle (par l’observation du comportement de l’animal) ou même sonore (le bruit généré par l’attelage) qui relève d’une perception de l’agriculteur cheminant. Le paysage sensoriel dépeint est donc celui de cette rencontre plutôt que de l’environnement extérieur perçu directement à partir du corps de l’individu. En effet, le corps de l’agriculteur semble s’étendre à celui de l’animal ou de son équipement.

«La route n'était pas goudronnée. C'était une route empierrée et quand on allait avec des vaches attelées, c’étaient des roues en bois cerclées de fer. Mais ça faisait beaucoup de bruit. » Interviewé SJLV6– Extrait de narration lors de l’entretien

La praticabilité et la fonctionnalité du sol comme valeur paysagère

De cette sensibilité au paysage cheminé se dessine une réelle valeur usuelle du sol se dessine vis-à-vis de l’attention et de l’attachement porté aux paysages. En effet, la rencontre de la matérialité et du relief du sol suggère des possibilités d’usages et de praticabilité de celui-ci. Cette valeur a été explorée et questionnée lors des marches exploratoires tant sur les possibilités de cheminements qu’ils permettent que sur leurs aspects productifs et usuels.

Naturellement, cette question de praticabilité est définie selon un degré de contrainte dont le vécu est propre à chaque personne et à sa pratique de la marche. Cette valeur est donc discutée et débattue en fonction des types de cheminement

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adoptés : loisirs, professionnels, quotidiens usuels qui attribueront une appréciation d’une texture ou d’une configuration propre à chaque individu, ces valeurs pouvant entrer en opposition ou se superposer. En effet, des personnes cheminant dans le cadre de marche-loisirs apprécieront la possibilité de cheminer pour rencontrer une diversité de reliefs, textures sans pour autant que leur cheminement soit contraint. Par exemple, la présence d’un chemin terreux est hautement appréciée pour une personne retraitée de Bidart (interviewée B7), cependant sa détérioration par le passage de motos contraint sa pratique et génère une dépréciation de celuici. La même caractéristique de chemin terreux sera dépréciée par une jeune femme de Bidart (interviewée B1) qui court sur la commune et dont la course est contrainte par la formation de boue en cas d’épisodes pluvieux.

«Et c’est là, justement, que je vous disaisoù il y avait ce panneau, où les motos ne doivent pas passer et nous massacrent le chemin parce qu’il y a de la boue comme ça. Alors on passe sur les côtés.» Interviewée B7 – Extrait de narration lors de l’entretien

«Ça dépend avec le temps. S’il a plu beaucoup c’est une catastrophe vers Erretegia car il y a trop de boue.» Interviewée B1 – Extrait de narration lors de l’entretien

Ces chemins terreux ou à texture végétale sont généralement appréciés par les personnes effectuant de la marche type « randonnée ». En effet cela s’explique par leur caractéristique souple qui permet un pas plus doux et agréable.

Maurice31 spontanément exprime une volonté de trouver des chemins «en terre, pas du bitume». Je lui explique qu'il y en aura.

Les personnes demandent à se situer sur la carte. Ce dernier s'attend à une randonnée et il décrit la nécessité de «terrain plus souple». Anne* explique que le problème ici de marcher en dehors des chemins balisés, cela risque d'abîmer les cultures «et les agriculteurs, ilssont pas d'accords». Extrait de narration de la marche exploratoire à Saint-Jean-le-Vieux.

31 Les noms des participants ont été anonymisés.

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Cependant, il est intéressant de s’arrêter sur l’expérience relatée par une mère de famille présente avec nous lors de la seconde marche exploratoire effectuée à Bidart ou par l’assistante maternelle qui a pour habitude de marcher avec une poussette et des enfants en bas âge à Saint-Jean-le-Vieux. Ces dernières apportent un nouveau regard de certains moments de marche et d’arrêts généralement appréciés. Elles souligneront par exemple certaines configurations de trottoirs par exemple ou de route, très appréciés ne sont pas forcément très praticables en famille lorsqu’il s’agit de faire attention à soi et à ses enfants. Et pointeront la difficulté de cheminer sur des chemins terreux, « en pleine nature » avec des poussettes (interviewée SJLV9).

«Non, mais il y en a certaines qu'on aimerait faire, mais qui ne sont pas carrossables avec des poussettes. C'est ça qui estembêtant.» Interviewé SJLV9– Extrait de narration lors de l’entretien

Dans d’autres cas, les valeurs de praticabilité ou d’usage du sol se superposent en fonction des profils et des types de marches adoptées. Par exemple une route bitumée sera appréciée par un agriculteur-éleveur par la facilité de cheminement qu’elle permet dans le cadre de son activité professionnelle. En effet lors d’un débat sur les routes bitumées, leur perception agréable/désagréable parmi les participants de la marche MESJLV1, ces derniers emploient le terme de « semiurbain » pour qualifier l’influence de la présence d’une voie goudronnée sur l’ambiance paysagère perçue par les participants. Cependant le berger nous accompagnant utilisera plutôt le mot « utilitaire » pour décrire le mouvement des camions qui circulent. En effet, ce dernier affirme qu'il y a beaucoup de circulation avec les camions, les transhumances, les piétons, les voitures.

Enfin l’aspect sécuritaire des chemins a été évoquée systématiquement par les mères de famille à Bidart lors des entretiens (interviewée B12) ou des marches exploratoires (marche MEB2). La présence de trottoirs, la faible fréquentation, le balisage ou le sentiment d’être protégés seront autant d’éléments qui seront rappelés pour évoquer une perception agréable du sol et du paysage. Le reportage photographique réalisé par cette même personne interrogée révélera les aménagements de voie, gages de sureté parce qu’ils permettent de délimiter les usages entre la voiture et le piéton (74) et garantissent une forme d’« accès à l’environnement » par l’aménagement de voies dures dans des contextes plus

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naturels qui ne permettraient normalement de circuler avec certains équipements comme la poussette (75).

«Alors si on fait le chemin de l’école avec mon fils. Donc, ce qu’agréable, c’est déjà qu’il ya des trottoirs. Oui, c’est déjà agréable pour aller à l’école.(…) Et après, ça c’est côté boulot. Et côté loisirs, on part beaucoup par la voie verte. Donc là, c’est que pour les piétons et les vélos. Les enfants, même les enfants, ils prennent le vélo et ils peuvent partir tous seuls jusqu’au Kirolak. Tout est sécurisé et ça nous amène jusqu’à l’océan. Donc, c’est très, très agréable.»

Interviewée B12 – Extrait de narration lors de l’entretien

La valeur productive du sol sera perçue notamment par les agriculteurs. Pour en revenir à la luzerne que nous montre notre berger Donazahartar, participant à la marche exploratoire de Saint-Jean-le-Vieux (MESJLV1), il se déclare étonné d’en voir. C'est un végétal peu présent au Pays Basque car l'hiver, « on peut pas le pâturer » (citation du participant). Chez cette même personne qui a fait l’objet d’un entretien (interviewé SJLV8), les qualités productives du sol sont vectrices de cheminement. En effet, cette personne affirme faire plus de transhumance avec ses brebis afin que celle-ci « broutent plus ». De plus la rotation assure la possibilité à l’herbe de repousser et donc de constituer une denrée pour son bétail.

« Il est toujours différent parce que tous les jours, je change de parcelles. Et là maintenant je change deux fois par jour de parcelles en cette saison. Autrement, elles restent couchées les brebis et elles pâturent pas. Alors que quand je change de parcelles, elles sont tentées à chercher de l'herbe fraîche.»

InterviewéSJLV8– Extrait de narration lors de l’entretien

Lors des entretiens et dans le cadre des marches exploratoires effectuées à Bidart, des aspirations d’appropriation et de praticabilité spontanées du sol ont été exprimées. Cette valeur de praticabilité s’est exprimée systématiquement par les désirs des marcheurs de trouver des lieux où l’appropriation individuelle ou collective est possible. Cette valeur n’est pas une condition indispensable d’appréciation des lieux mais permet de laisser la personne, s’adonner à une forme d’imaginaire porté par des rêves, des aspirations. Cet aspect revêt de conditions différenciées notamment liées au sol et à l’ambiance perçue que nous aborderons

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74. Photographie qui décritles chemins sécurisés et trottoirs d’un trajet quotidien à l’école et à son lieu de travail.(interviewée B12). 75. Photographie qui montreune voie aménagée facilitant les cheminements à pied sur la commune (avec des enfants) notamment dans des espaces décrits par leur caractère végétal et «naturel» (interviewée B12).

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