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Le récit du pas comme narration d’une marche

Le récit du pas comme narration d’une marche

À la question « pouvez-vous me raconter un moment de marche en décrivant ce que vous voyez mais aussi sentez, entendez ? », c’est une véritable narration du pas qui s’établit de la perception du relief à la description de l’attitude du pas.

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La narration du pas permet d’emblée de poser le relief comme une expérience sensorielle forte du marcheur dans son environnement. Le paysage est décrit spontanément à travers un champ lexical verbal des actions de « montée », de « descentes » ou d’espaces « plats ». Ce relief permet de qualifier des portions de chemins. Les individus décriront parfois les ambiances paysagères par le relief plus ou moins marqué et emploieront les termes de « montée », « descente » ou « en pente ». Cette expérience du relief sera parfois même amplifiée surtout pour les personnes en quête d’effort physique comme notre commerçant à Bidart (interviewé B6) qui décrit les efforts subis par le pied de manière explicite lors de la cartographie (70).

Ce niveau d’appréhension du paysage est plus ou moins présent en fonction des milieux traversés. Lorsque l’expérience suggère la difficulté, la perception du paysage cheminé prend le pas. Sa description peut donc atteindre une certaine finesse sur les territoires de colline, montagneux ou littoraux, avec des nuances apportées sur les portions qui seront parfois qualifiées de plus « abruptes » ou « raides ». Sur des territoires marqués par une forte planéité, le contact du sol sera moins évoqué et l’attention au paysage sera de l’ordre de ce qui est perçu par les autres sens relevant de la corporéité générale. Chez les agriculteurs/éleveurs le relief sera paysagé par l’attitude des animaux avec qui ils effectuent des transhumances passées (interviewé SJLV3) et actuelles ou des travaux de labourage dans le cadre de cheminements passés.

«Ah oui, d'un côté la pente est abrupte et vers le bas c'est le ravin, donc la piste, elle est là. Elles se dirigent toutes seules, y a pas le choix. On a eu des bêtes qui ont glissé mais pour les sortir.» Interviewé SJLV3– Extrait de narration lors de l’entretien

Cette expérience du relief est également marquée par la présence d’aménagement spécifiques, soulignant cette épreuve. Les marches par exemple, font l’objet d’une attention particulière parce qu’elles marquent une rupture dans l’attitude de cheminement. La liberté de la distance du pas, l’un vis-à-vis de l’autre, devient

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contrainte part la configuration de cet aménagement et marque un changement brutal qui est perçu de manière plus ou moins agréable. Alors l’architecture de ses marches (interviewée B1) est dépeinte avec une grande précision et révèle ce lien établit entre la rencontre du pas avec un relief et une texture de sol et l’appréhension du paysage environnant.

«Les marches sont trop grosses, trop séparées. Ce n’est pas agréable pour la foulée. Même moi qui est sportive je trouve que c’est difficile. (…) C’est tellement trop large, en fait les marches sont tordues. Normalement, si tu fais une marche tu en fais trois puis une petite descente puis tu recommences comme c’est raide. C’est un peu dommage.» Interviewée B1– Extrait de narration lors de l’entretien

La narration d’un cheminement est également l’occasion de comprendre la configuration du territoire par le mouvement du pas et du corps. Les virages et les diverses attitudes de cheminement « en boucle », « en ligne droite » ou de demitour (interviewée SJLV1) renseignent sur les chemins, leurs directions et connexion préfigurant des formes d’organisation du territoire. Toute forme d’aménagement peut alors être paysagée comme la présence de « pont », de « passerelle en bois » ou de « boviduc » et révèlent les éléments forts de géographie du territoire : la présence de l’eau, le besoin de franchir un obstacle naturel (passerelle) ou artificiel (passage sous une route départementale).

«Je prends à gauche pour aller sur la grande route, je prends à droite, je traverse le petitpont. Là je continue, j'arrive à une patte d'oie au bout d'un moment. Je reprends à gauche jusqu'au lac d'Harrieta. Je passe devant le lac d'Harrieta. Et je redescends. Et après, je fais demi-tour. » Interviewée SJLV1– Extrait de narration lors de l’entretien

Cette sensibilité podotactile traduit aussi la rencontre du corps avec la matière du sol naturelle comme artificielle. Les textures de « goudron » ou « bitume » seront opposées aux chemins de « terre ». Elles sont renseignées surtout

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70. Extrait de cartographie réalisée montrant l’effort du corps qui construit une perception du paysage(interviewé B5). 71. Extrait de cartographie montrant la perception des différents types de sol(interviewé B3)

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par le champ lexical mobilisé pour qualifier les typologies de chemin traversés : les « routes », les « sentiers », les « chemins de terre » (71). Et sont parfois décrites dans leur état « gadouilleux » (interviewée B7) ou avec de la « boue ». Les abords de routes sont également paysagés comme second plan du paysage cheminé. Dans les contextes plus urbains, c’est la texture du chemin emprunté et de ses accotements qui fera l’objet d’une attention plus ou moins scrupuleuse par les interviewé(e)s. D’ailleurs, les accotements sont évoqués pour leur caractère bien ou mal entretenus. Ils font partie des premières perceptions des paysages pour plusieurs personnes qui cheminent à Bidart dans des contextes plutôt de loisirs. Ils participent aussi à une appréhension agréable du paysage. Une jeune femme qui court souvent sur la commune réalisera une reportage photographique des différents sols et accotements qu’elle rencontre sur ses itinéraires quotidiens. Elle décrira le caractère plus ou moins bien entretenu et agréable de ces espaces en fonction de leur nature végétale, minéral (72) ou de leur entretien (73). Au troisième plan, le sol des espaces végétalisés proches des chemins est paysagé dans sa nature de « prairies » ou d’« espaces enherbés » et parfois même dans son état.

«Et après, il y a un petit chemin qui s’en va. Alors là, c’est gadouilleux. Puis ça va en bas, vers les champs entretenus, en fin où ils font de la prairie. J’ai pas vu le maïs, je m’en vais fouiner partout dans les petits chemins.» Interviewée B7– Extrait de narration lors de l’entretien

Dans le cas de la commune de Saint-Jean-le-Vieux, contexte plus rural, la nature du sol et la configuration du chemin seront également paysagés mais l’attention se portera plutôt sur leur nature que sur leur caractère entretenu. En effet, les sols seront qualifiés en fonction de leur typologie « prairie », « terre », « champs » avec une certaine précision par les agriculteurs qui identifient avec précision la nature des végétaux. En effet, un berger que j’avais interviewé (interviewé SJLV8) et qui nous a accompagné lors de la marche exploratoire à Saint Jean-le-Vieux a attiré notre regard sur un champ de luzerne qu’il a identifié.

L’évocation de l’entretien des abords de route se fera uniquement par des personnes originaires ou vivant dans des contextes plus urbains comme une assistante maternelle qui travaille depuis six années à Saint-Jean-le-Vieux et qui est originaire de la région parisienne (interviewée SJLV9). Elle évoquera brièvement le caractère entretenu des voies et des abords notamment aussi parce

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72. Photographie qui montre des accotements de chemins parfois perçus comme désagréables par leur caractère artificiel ou pas assez naturel (interviewée B1). 73. Photographie réalisée par l'interviewée B1 pour parler des accotements de chemins entretenus qui participent à des moments agréables de ses itinéraires quotidiens (interviewée B1).

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