11 minute read

La méthodologie d’enquête, un protocole ancré sur un territoire

Marche exploratoire 2(MESJLV2):

La seconde marche exploratoire n’a pas eu lieu.

Advertisement

4.2. La méthodologie d’enquête, un protocole ancré sur un territoire

Cette enquête avait l’avantage et l’inconvénient de mobiliser de nombreux outils. Bien que la diversité et la richesse du matériel récolté aient nécessité de redoubler d’effort pour l’analyser, elles ont permis une certaine flexibilité et aisance d’entretien. Certaines personnes étaient plus facilement à l’aise à s’exprimer par la photographie, d’autres à la vue d’une carte ou simplement par l’oralité.

Le reportage photographique

Le reportage photographique était facultatif, ce qui a permis aux interviewés de se l’approprier selon leurs désirs ou motivations. D’ailleurs je ne l’ai pas proposé systématiquement. Cela dépendait de la qualité de la prise de contact que j’avais eu avec la personne enquêtée et de son profil. Il m’est arrivé de ne pas proposer de reportage photographique à des personnes qui me disaient ne pas effectuer d’itinéraire à pied sur la commune. Je me suis finalement rendue compte que cet outil était beaucoup plus adapté au contexte urbain que rural puisque dans le second contexte, j’ai été amenée à interroger plus de personnes effectuant une marche comme moyen de déplacement professionnel. À Bidart, il s’est avéré que la narration de marche était souvent celle effectuée dans le cadre d’une activité de loisirs ou du moins non professionnelle. Il semblait donc plus facile de proposer l’exercice que sur la commune de Saint-Jean-le-Vieux où quatre de mes interviewés étaient des agriculteurs qui me racontaient un moment de transhumance et une personne interrogée était un pêcheur qui me racontait sa pratique sportive. Finalement, trois personnes sur douze ont effectué le reportage sur Bidart, rassemblant 55 photographies et le même nombre de personnes l’ont effectué à Saint-Jean-le-Vieux rassemblant 30 photographies. Cependant il est intéressant de noter une attention plus prononcée sur les thèmes à photographier à Bidart alors que les personnes à Saint-Jean-le-Vieux ont plutôt proposé une série de photographies prises spontanément ne faisant pas l’objet d’une sélection ou catégorisation particulière vis-à-vis des thèmes proposés. Elles étaient plutôt le support d’une narration ou d’anecdotes. Ce fait peut s’expliquer par deux réalités : une distance entre leur pratique et les thèmes proposés qui étaient inspirés des hypothèses préalablement établies dans le contexte de Bidart et/ou une pratique de la photographie peut-être beaucoup moins répandue. D’ailleurs, un participant

146

présent aux deux marches exploratoires à Bidart, intégré à la démarche des Nouveaux Commanditaires Sciences a réalisé spontanément un reportage photographique qu’il m’a communiqué.

L’entretien semi-directif

La durée des entretiens a varié entre une vingtaine de minutes à deux heures pour les personnes plus bavardes. En moyenne la durée d’entretien était de 45 minutes à Bidart et 35 minutes à Saint-Jean-le-Vieux. Cela peut s’expliquer par une certaine pudeur des personnes rencontrées en territoire plus rural. Une autre explication d’un habitant du Pays Basque spécialiste du patrimoine se base sur le caractère « taiseux » des Basques qui préfèrent ne rien dire à défaut d’affirmer une vérité dont ils auraient des doutes.

La grille d’entretien a globalement été suivie lors des entretiens à Bidart. Des petites variations ont été apportées dans deux cas. Le premier cas, après l’entretien et la cartographie, la personne m’a emmenée faire un tour d’environ une heure pour me montrer l’itinéraire dont elle m’a parlé ou du moins une partie. Dans le second cas une personne qui organisait des événements de course à pied sur Bidart a préféré passer d’emblée sur la cartographie.

À Saint-Jean-le-Vieux, l’entretien a été réadapté en fonction des profils de personnes cheminant pour le loisir ou des personnes dont la profession est liée à l’élevage qui décrivaient des itinéraires à pied dans le cas de transhumances ou de travaux de labourage. D’ailleurs cette distinction entre « marcher » et « être à pied » m’a été explicitée par un ancien agriculteur à forte culture paysanne. Cet entretien qui était le cinquième de la série pour Saint-Jean-le-Vieux, a été un moment décisif pour mon enquête et j’ai complètement revu ma stratégie d’entretien. En effet, il s’agissait par l’entretien d’amener l’interlocuteur à évoquer un moment de marche à pied dans le cadre de son activité professionnelle et parfois de loisirs. Dans un premier temps, je demandais à la personne de se présenter, de présenter son métier et plus spécifiquement son activité. Je me suis attachée à ce que la personne explique le cycle d’élevage en expliquant la situation des parcelles de pâtures. Puis dans un second temps, je lui demandais de raconter une transhumance ou un moment d’activité à pied réalisée le jour même ou récemment. Il s’agissait de décrire les lieux traversés, l’attitude des bêtes élevées, les gestes effectués par la personne pour voir les éléments paysagés sur le

147

parcours. Enfin, je lui demandais s’il lui arrivait de promener son chien, puisque souvent un chien est associé à l’élevage.

À Saint-Jean-le-Vieux et à Bidart j’ai pu m’entretenir avec une personne, à chaque fois un homme, âgé de respectivement 33 ans et 26 ans, qui n’effectuait pas d’itinéraire à pied sur la commune. L’entretien s’est donc attaché à identifier les raisons pour lesquelles la personne ne cheminait pas sur le territoire, à faire raconter un moment à pied en dehors de la commune pour comprendre les composantes qui l’attiraient ailleurs et enfin à relater un ou des itinéraires passés ou réalisés ponctuellement la commune.

La cartographie

Concernant la cartographie, seules deux personnes n’ont pas réalisé de carte et ces personnes étaient de Saint-Jean-le-Vieux. Il s’agissait d’une jeune femme de 18 ans qui racontait un parcours effectué en montagne et un jeune commerçant de 33 ans qui ne marchait jamais sur la commune car il venait de s’y installer récemment. Dans le premier cas, la personne se rendait au point de rendez-vous en voiture, sans être conductrice, elle a éprouvé beaucoup de mal à se repérer sur la carte. Sans le point de départ ni celui d’arrivée, elle n’a pas su retrouver le tracé. Dans le second cas, la personne était en pleine tenue du commerce quand je l’ai interrogée. Nous avons été interrompus plusieurs fois. Elle n’avait pas souhaité que je l’interroge en dehors de son activité car elle souhaitait se consacrer purement à son enfant ou au sport. Les clients ont défilé à la fin de l’entretien. La somme des circonstances, le fait qu’elle ne chemine pas sur la commune et qu’elle soit en pleine activité professionnelle a fait que je ne lui ai pas demandé de réaliser la carte mentale.

Lors de l’exercice de cartographie les personnes avaient pour consigne de repérer les trajets, les ambiances, les points d’arrêts et éventuelles activités. L’exercice était relativement spontané mais parfois assez guidé. Par exemple, lorsque je voyais une personne évoquer des noms de maisons oralement pour se repérer sur la carte, je lui demandais si elle pouvait l’écrire. Aussi certaines personnes n’osaient pas écrire sur la carte malgré la présence du calque. Enfin, par l’ancienneté du fond de carte, qui date de 2018, certaines parcelles notamment à Saint-Jean-le-Vieux ont changé d’attribution. Cela a pu générer des étonnements ou légères frustrations de ne pas voire exactement l’état des choses actuel. La présence de la forêt en vision aérienne empêchait également la vision de certains sentiers. Je proposais à certaines

148

personnes alors de dessiner approximativement le trajet. Certaines se sont senties à l’aise, d’autres non.

La présence d’un fond aérien où se superposent des calques d’itinéraires permet réellement de comprendre les trajectoires effectuées en fonction des lieux d’habitations ou de démarrage d’une marche. Ce résultat est finalement une sorte de transcription manuelle de la narration d’une marche, une carte mentale des parcours qui ont été paysagés et narrés juste avant. La carte était effectuée à la fin de l’entretien (à une exception près pour une personne de Bidart qui s’est sentie plus à l’aise de raconter son trajet en le traçant). L’exercice pouvant sembler intimidant, les personnes se sentaient très concernées par le fait de ne pas se tromper en traçant, il intervenait à un moment propice où la parole s’était déliée et le filtre de timidité s’était levé.

Les marches exploratoires

L’exercice des marches exploratoires a été très intéressant dans la dynamique qu’elle a généré en effet, malgré les contre-temps et contraintes évoquées en suivant, les marches ont été l’occasion d’échanges et de rencontres très riches. En plus d’être un temps de réflexion sur les notions de patrimoine et paysage, elles ont été un temps même d’expérience de notre sensibilité multisensorielle et affective aux paysages du quotidien par les cheminements. La première marche à Bidart (MEB1) a même été allongée sous la suggestion d’un participant qui souhaitait faire partager des paysages qui lui tenaient à cœur (68). La première marche à Saint-Jean-le-Vieux (MESJLV1) a également été modifiée (69). Le berger qui nous accompagnait nous a guidé à travers les prairies et d’autres points de vue qui n’étaient pas prévus et qui ont été hautement appréciés.

Légende des parcours de marches exploratoires: En rouge l’itinéraire réalisé En rouge pointillé: l’itinéraire ajouté En marron pointillé: l’itinéraire supprimé B’ et B’’ sont des points d’arrêts supplémentaires effectués A, B et C en marron pointillé sont des points d’arrêts qui ont été déplacés.

68. Parcours réalisé lors de la marche exploratoire MEB1qui révèle l'itinéraire ajouté et les arrêts supplémentairesqui ont eu lieux (à gauche, source : Géoportail). 69. Parcours réalisé lors de la marche exploratoire MESJLV1 qui révèle l'itinéraire dérouté et les arrêts prévus qui ont été déplacés (à droite, source : Géoportail).

149

150

151

Finalement l’exercice des marches exploratoires a relevé de dynamiques très distinctes entre Bidart et Saint-Jean-le-Vieux. En effet, les deux marches à Bidart se sont réalisées dans un contexte de crise sanitaire, limitant le nombre de participant à 6 (j’ai pu mobiliser quatre habitants par marche dont deux puis un, faisaient partie du groupe des Nouveaux Commanditaires Sciences). À Saint-Jeanle-Vieux, la première marche s’est réalisée dans le cadre d’une journée plénière sur les enjeux du futur SCOT Pays-Basque Seignanx organisée par le CDPB, réunissant ainsi, pour la marche un habitant-berger, deux anciens habitants et 10 habitants de la côte basque. Le protocole d’enquête avait été révisé mais dans l’instant même de la marche, il n’a pas été suivi. Il m’était impossible de demander à une quinzaine de personne d’écrire sur des post-its, une émotion, un ressenti Aussi mon rôle s’est transformé. Guide en début de marche, j’ai ensuite laissé notre habitant berger prendre les devants pour nous montrer un point de vue et ses parcelles située à proximité d’un point d’arrêt que j’avais envisagé. Bien que j’ai gardé le rôle d’encadrant pour les débats, les questions ont vite étaient oubliées et je partais des réactions spontanées des participants pour parler de perceptions, d’attachement et de valorisation. La seconde n’a pas eu lieu. En effet, je n’ai pas réussi à mobiliser les personnes avec qui j’avais eu un entretien (bien que le créneau proposé soit celui du samedi). Certaines avaient des impossibilités, d’autres des obligations familiales. Aussi nous avions envisagé de proposer à d’autres membres du CDPB qui s’étaient inscrits à la première marche mais avaient été refusés par manque de places. Cependant ces derniers n’étaient pas disponibles. Enfin j’avais réussi à mobiliser un agriculteur qui au dernier moment a dû effectuer un vêlage. L’alternative envisagée avec le CAUE et le CDPB était de suivre des personnes dans leur marche régulière. J’ai recontacté le berger avec qui nous avions effectué la première marche à Saint-Jean-le-Vieux mais ce dernier avait déjà transhumé avec ses brebis en montagne. J’ai ensuite contacté une personne retraitée qui effectue une marche sur la commune deux fois par semaine avec son frère. Mais cette dernière est tombée malade.

Cette différence d’attitude peut s’expliquer par différentes raisons : une certaine pudeur des habitants de ne pas vouloir prendre part à une dynamique de groupe spécialement avec des inconnus, notamment pour les personnes plus âgées ; le contexte de confinement levé et la reprise des activités estivales avec des contraintes professionnelles tant pour les personnes accueillant des touristes ou les agriculteurs en pleine traite et période de transhumance vers les estives et la fin

152

des cours pour les enfants ; contraignant ainsi l’emploi du temps des parents qui n’envisageaient pas de venir avec leurs enfants.

La question des paysages et du patrimoine, objet central de la recherche faisait facilement écho auprès des habitants de Bidart. Il en relève d’une réalité beaucoup plus contrastée pour les habitants de Saint-Jean-le-Vieux. Aussi le fait de marcher ou du moins d’être à pied est une pratique très forte sur la commune que ce soit dans le cadre d’une activité de loisir ou professionnelle. Cependant elle est très souvent, peut-être trop associée à une pratique touristique. Rappelons-le la commune est une étape clé du chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle. Aussi les personnes étaient déroutées que je m’intéresse à elles.

Enfin la marche en elle-même dans le format proposé est perçue comme une forme spécifique de la pratique du cheminement, c’est-à-dire dans un contexte de loisir et en groupe. Si elle est le théâtre même d’une expérience de la transmission et de l’attribution de valeur du paysage, elle est un format qui ne fait pas écho aux pratiques de chacun et donc peut ne pas être l’objet d’une motivation particulière.

153

154

155