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Le cheminement en héritage et support de mémoire

d’expérience même où la possibilité de partager est une condition de la réussite d’une marche.

La marche est l’occasion de différentes formes de civilités, de la simple salutation aux conseils et brefs échanges qui préfigurent des formes de rapports sociaux où les moments de rencontre. Ils peuvent être vécus avec plaisir soit pour la rencontre que le cheminement permet soit par la nature de la rencontre notamment par sa brièveté. Si la rencontre semble être moteur, par ce qu’elle est ou elle n’est pas, la marche est l’occasion de découvrir un territoire par son paysage mais également ses habitants et les manières de vivre qu’ils reflètent. Un cheminement de la perception à la compréhension permet d’accéder à une forme de connaissance du territoire permise par ces rencontres.

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Dans son article Développement durable, paysage, lien social en Seine-Eure (Normandie), Nassima Driss soulève la capacité du paysage a être un lieu de sociabilité. En effet, elle met en évidence dans son étude, la place de la nature dans la perception des paysages liées à des pratiques quotidiennes ou occasionnelles de déplacements doux à pied ou en vélos. Elle souligne alors la potentialité du paysage à être « perçu et vécu comme lieu de sociabilité » afin de considérer de nouvelles formes de rapports à la nature au-delà de son intérêt écologique. Cette sociabilité, selon elle ne doit pas être déterminée mais potentielle. Ainsi les relations entretenues par les individus avec leur environnement, naturel ou bâti témoignent de « valeurs en perpétuelle évolution et le sentiment d’appartenance associé à l’existence sociale des individus » (Dris, 2016). Elle souligne donc l’idée d’expérience vécue du paysage comme opportunité à gérer des formes de liens de sociabilité.

Ainsi en relevant d’un caractère très individuel, l’expérience sensorielle du paysage par les liens affectifs que le sujet crée avec son environnement, suppose qu’elle préfigure des formes de pratiques sociales, individuelle ou collective qui sont liées à l’idée de sociabilité. Il s’agira par cette étude de qualifier cette sociabilité, d’en voir les connexions avec des circonstances spatiotemporelles et/ou culturelles.

Le cheminement en héritage et support de mémoire

Le paysage vécu est un paysage observé dont le corps s’imprègne des caractéristiques éprouvées à un moment donné. L’expérience par l’occasion de rencontre avec l’environnement géographique, devient l’occasion de connaître ce dernier. La personne devient alors en capacité de témoigner de son expérience lors d’un cheminement et d’en saisir les différences si le cheminement est réitéré.

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Martin de la Soudière évoquera dans ses mémoires de traversées, l’idée de rite qui s’enseigne et se transmet par les cheminements. Ainsi il raconte son passage par des cheminements qui lui ont été transmis par son père lui-même les ayant reçus de son grand-père. Il revit alors les moments d’échanges et évoque des éléments et paysages rencontrés qui font l’objet de souvenir personnels, celui d’une habitude observée vis-à-vis de son père et de pratiques rituelles que son père avait reçues de son grand-père : « A chaque fois qu'il passait devant lui, mon père se faisait un devoir de prononcer cette formule énigmatique : "Mon Dieu, faites que Bertile soit heureuse !" » (de la Soudière, 2008), pratique qu’il réitère.

Ainsi les chemins deviennent de réels lieux par les souvenirs et les légendes qui leurs sont associés. De la Soudière détaille alors des pratiques observées notamment en Nouvelle-Calédonie où le cheminement est l’occasion de la mémoire par la présence de témoins comme les « arbres commémoratifs » ou les « véritables sculptures » (de la Soudière, 2008), érigées sur les bords de routes où se sont produits des accidents. Il évoque aussi l’occasion du cheminement à se remémorer des événements inscrits dans la mémoire collective (ou même individuelle), contribuant à la construction d’une légende locale autour des événements historiques propres au territoire local. Cette mémoire des chemins s’est inscrite sur le territoire en particulier rural par l’accumulation d’objets que sont les croix et les bornes par exemple.

Aussi, Reichler met en évidence la propriété directionnelle que le souvenir a sur le cheminement (in. Lévy & Gillet, 2007). Ainsi par la présence du souvenir associée aux paysages, le cheminement est l’occasion d’éprouver une spatialité à deux niveaux : celle de la marche actuelle et celle du souvenir qui érige le paysage en lieu vécu. Les souvenirs peuvent définir l’identité des lieux, en témoigne la toponymie souvent associée, mais aussi par la narration et la mémoire du lieu transmises durant cette même marche par ce même cheminement. Le chemin devient l’occasion « de marquer une trace et de rassembler des traces » (in. Lévy & Gillet, 2007, p.48).

Enfin, à travers son étude, Anne-Sophie Devanne a mis en évidence la notion de partage de la marche comme étant à la fois une motivation et la condition d’une marche réussie. Cette transmission se fait à la fois autour de la pratique, de la technique de la marche mais également par rapport aux lieux et paysages rencontrés. Cette transmission est générée par une pratique du cheminement bien

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