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Les pratiques touristiques et récréatives, des mécanismes de redéfinition du paysage basque

moins denses, aux codes esthétiques et formels homogènes. Ces paysages ont majoritairement été façonnés par l’activité traditionnelle de l’agropastoralisme11. Le territoire est largement irrigué grâce à ses quatre bassins versants principaux autour de l’Adour, de la Nive, de la Nivelle et de la Bidassoa. Les Pyrénées à la fois comme « barrière », « silhouette » ou « géologie », des reliefs contrastés de hautes vallées aux plateaux de falaises, l’habitat relativement homogène, l’eau sous ses diverses formes, le végétal diversifié et même « luxuriant » sont autant de caractéristiques visuelles qui ont été évaluées comme propre au territoire. Ainsi le territoire regroupe une diversité de milieux, montagnard, forestiers, agricoles, littoraux, océaniques, humides qui accueille une biodiversité importante.

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Le territoire n’en reste pas moins contrasté par des dynamiques d’attractivité différenciées. Le Pays Basque peut se définir comme une réelle « terre d’accueil » par les dynamiques migratoires dont il est le support, mais il couvre une réalité touristique et économique à deux vitesses. Le littoral inscrit dans l’identité labourdine, est sujet à une forte attractivité économique, touristique et migratoire qui se traduit par une forte pression foncière locale. Les vallées de montagne situées en Basse-Navarre et en Soule, sont victimes d’un déclin démographique13 .

1.2. Les pratiques touristiques et récréatives, des mécanismes de redéfinition du paysage basque

Il faut remonter à la seconde moitié du 18ème siècle pour comprendre les transformations de perceptions des paysages montagnards et littoraux. Longtemps perçues comme des lieux de chaos, les montagnes deviendront à la fin du 18ème siècle, un lieu de connaissance et d’archives pour les intellectuels européens influencés par les pensées philosophiques naturalistes des Lumières. Par exemple, les paysages de montagne béarnaises seront décrits par le minéralogiste Pierre Bernard Palassou en 1780 qui s’intéressera en particulier aux sites de la vallée d’Ossau et d’Aspe14 .

11 Atlas des paysages des Pyrénées Atlantiques, agence Morel Delaigue, 2003 12 Atlas des paysages des Pyrénées Atlantiques, agence Morel Delaigue, 2003 13 Conseil de Développement Pays Basque, Diagnostic , non daté 14 Atlas des paysages des Pyrénées Atlantiques, agence Morel Delaigue, 2003

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Mais c’est surtout à la fin du 19ème siècle, que les Pyrénées et la côte littorale Atlantique connaîtront une évolution significative dans les représentations sociales de la grande bourgeoisie et de l’aristocratie. Un tourisme frontalier se développe au Pays Basque, littoral comme montagnard, « à travers la diffusion de guides de voyage devenus de plus en plus populaires, mais surtout grâce à l’influence du courant romantique » (Leizaola, 2002).

La montagne devient un tableau pictural qui attire peintres et écrivains qui dessineront des scènes pittoresques mettant en valeur la géologie des Pyrénées. Ce spectacle se caractérise par des « oppositions récurrentes » mêlant « le sublime et l'effroyable », « l'idyllique et le sordide » (Lynch, 2005). Cette dualité du regard selon Briffaud, renvoie à « la structure du mythe de la nature, de la sauvagerie et de l’âge d’or » sensible au monde rural. En démontrant, la montagne comme « quintessence » de la ruralité, il fait le lien avec les quêtes révolutionnaires dont cet espace a été le théâtre surtout dans les Pyrénées basques. La médecine aussi contribuera à promouvoir les milieux montagneux et des stations thermales verront le jour comme Cambo-les-Bains. Le thermalisme jouera un rôle clé dans la transformation du territoire par l’évolution des pratiques et de l’économie locale et par son aménagement notamment à travers les autoroutes construites fortement contestées localement (Briffaud, 1999, cité par Lynch, 2005). Cependant l’attraction de ces espaces s’opère avec une certaine distance. L’élite curialiste bénéficiera de traitement et de modes différenciés de la vie locale : « Ainsi, à Barèges, vers le milieu du XIXe siècle, les eaux usées des baignoires des riches curistes s'écoulaient dans les piscines réservées à une clientèle moins fortunée, puis dans celles des pauvres » (p.225, Briffaud, 1999 cité par Lynch, 2005).

À la même époque, Alain Corbin (1988) relate le spectacle de la mer qui se dessine progressivement en Europe. Initialement du domaine des marins, explorateurs et aventuriers, la mer démontée et redoutable semble acquérir ses lettres de noblesses grâce aux nombreux écrivains, Châteaubriand (Les martyrs, 1809, cité par Corbin, 1988, p.199), Michelet, Victor Hugo. La relation de l’homme au milieu littoral se modifie profondément dans les couches aristocratiques de la société par l’artialisation picturale et littéraire de ces territoires, propre au courant romantique. Les premières stations balnéaires marqueront la maritimisation de la zone littorale (Corbin, 1988). Vers la seconde moitié du 19ème, la naissance des stéréotypes culturels et paysagers forge le patrimoine culturel, architectural et plus tard paysager. La présence de plage, leur forme accueillante, accessible

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deviennent partie intégrante des paysages remarquables littoraux. La mer constituait clairement une valeur ajoutée à n’importe quelle station balnéaire (Corbin, 1988). L’élite européenne sera rapidement attirée vers la côte basque dont les communes de Biarritz et Saint-Jean-de-Luz deviendront des lieux renommés pour découvrir les vertus des bains de mer et des cures d’air marins. Et leur situation face à l’océan, marquée par des paysages de montagnes et des espaces forestiers généreux seront des attributs mis en valeur pour attirer cette nouvelle population touristique (6).

Le tourisme, par l’introduction de pratiques récréatives, de détentes, activités thérapeutiques de bains de mer ou de randonnée, « inaugura, en outre, le premier usage social généralisé du paysage, avec les répercussions économiques, sociales et culturelles que nous avons déjà expliquées » (Ostolaza, 2018, p.174).

La pratique de la randonnée, très présente en montagne basque (puis plus tardivement sur la côte littorale avec l’aménagement du sentier du littoral) fait converger des préoccupations hygiénistes et de nouvelles sensibilités au paysage et à l'environnement naturel, construites autour des élites artistiques, scientifiques et littéraires. Cette pratique devient synonyme de santé, presque un antidote aux maladies qui sont rencontrées dans la ville. Elle répond aussi à des préoccupations pédagogiques et de besoin de contact direct avec ce qui semble constituer des éléments de paysage naturels (Ostolaza, 2018).

Cette pratique de la randonnée en territoire Pays Basque, initialement liée au tourisme, fera peu à peu des adeptes dans la population locale. Maitane Ostolaza décrit notamment les espaces de sociabilités qu’offraient les groupes mendigoizales15 en Pays Basque espagnol, groupes mixtes de jeunes Basques généralement vivant dans les zones urbaines et qui cherchaient par la pratique de la randonnée, d’allier exercice physique et alternatives de loisirs pour s’éloigner des vices de la ville. En outre, la randonnée a contribué à allier monde rural et urbain.

L’excursionnisme favorise une standardisation croissante de la vision et des expériences du paysage, favorisés par les guides et associations. Cette pratique est régie par les routes et « lieux à voir », véritables temps d’arrêts de

15 « Les matins de la montagne » en basque, traduction personnelle.

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6. Affiche des Chemins de Fer de Paris à Orléans (PO) et du Midi " Côte basque, Saint-Jeande-Luz et Ciboure " par Ramiro Arrué qui cherche à promouvoir l'attractivité des stations balnéaires basques (source : photorail.fr).

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