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Le point de vue comme zone de contact au paysage

corporelle, subjectivation), rapports aux autres (échanges, altérité, posture éthique) et de rapports aux lieux (sens, complexité, mémoire). (Douence, 2019) Les cheminements deviennent donc un espace intermédiaire entre le soi, le paysage et la société par les relations sociales qu’ils créent.

Enfin, la sensorialité peut être vue comme l’élément activant d’une sensibilité au paysage. Victor Fraigneau analyse en particulier la sensibilité comme une expérience phénoménologique (2019). L’expérience sensorielle par son récit fait voyager, nous plonge dans l’identité d’un territoire. En mobilisant la recherche de Lucille Grésillon (2010), Fraigneau décrit la sensorialité comme un « outil de connaissance du paysage et du monde » (2019). Elle traduit les liens qui unissent l’individu à l’espace car elle est une association de l’appréhension des milieux aux sensibilités qui en émergent. Elle démontre également les implications géographiques, c’est-à-dire propre à l’environnement (variabilité au fil du temps, dépend du lieu et des conditions climatiques) et à la personne (dispositifs cognitifs et sociaux), de la dimension sensible des paysages urbains.

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L’art de cheminer, même dans sa quotidienneté la plus totale, ouvre une sensibilité au paysage par l’ensemble des relations intimes, sensorielles, mémorielles et de fait, affectives qui se tissent entre l’individu et son environnement vécu. Le cheminement constitue une démarche du chemin révélant des modes perceptifs du paysage et une spatialité éprouvée propre à chaque individu. Le cheminement par la sensorialité générée au paysage, permet de sortir d’une lecture artialisée du paysage pour évoquer une sensibilité plus intime, personnelle et culturelle.

Le point de vue comme zone de contact au paysage

Le cheminement est rythmé par la marche, tel un vecteur qui se déplace dans un système de coordonnées spatio-temporelle. Une traduction de cette sensibilité plus ou moins intense peut se lire sur le rythme adopté, c’est-à-dire la vitesse. Nous présupposons que la marche est nécessairement ponctuée de moments d’arrêts où le point de vue dirige une attention. Si la mise en marche du corps permet de découpler la sensibilité au paysage, l’arrêt peut aussi être le moment d’une expérience phénoménologique profonde.

Si la distance au paysage par le point de vue semble être une évidence, chez Sartre, le point de vue surplombant n’est pas détaché des choses, il est impliqué dans les choses même, dans le monde. L’espace hodologique décrit par Sartre dans L'être et le néant produit selon Besse (2004) une émotion comme « manière

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d'appréhender le monde ». Besse décrit donc un état d’engagement par le cheminement et le point de vue : « être au sommet de la montagne ce n'est pas être hors du paysage, hors du monde, mais y participer d'une certaine manière » (2004). La dimension corporelle prend son importance dans la relation au monde que le corps permet d’établir. Il déploie et devient un « point de départ » (Besse, 2004) pour analyser le futur entrelacement au monde, il est une réalité intermédiaire, ce à quoi correspond l’espace hodologique.

En effet chez de la Soudière (2008), le point dans l’espace devient un lieu où l’individu s’étend. Par la perception qu’il a de son environnement il redessine les frontières de son étendue. Il devient une zone de contact qui n’est plus qu’une simple coordonnée géographique mais un lieu qui a une densité, une épaisseur par l’atmosphère, l’ambiance qui s’en dégage. Dans le contexte le plus banale et insignifiant, l’individu donne à cet endroit, à cette « place », « un surcroît d'existence et de constance en le faisant sortir de son indifférenciation » (de la Soudière, 2008, p.94). Le point d’arrêt n’est pas qu’un simple point de vue, il devient un lieu qui étend la perception et unit à la fois à l’image du pic de montagne comme point de hauteur qui « en même temps qu’il sépare et distribue les versants » (de la Soudière, 2008, p.95), est un lieu qui fait converger comme un « point d’assemblage et de couture » (de la Soudière, 2008, p.95).

Enfin chez Careri, l’acte de s’arrêter est un « art de la rencontre (qui) fait suite à l’art de l’errance » (2002, réédité en 2013, p.208). L’arrêt est donc un moment de construction de son propre espace de rencontre avec son environnement et constitue en lui-même une pratique esthétique du paysage (il a d’ailleurs écrit le livre, Pasear, detenerse5 en 2016).

Dans notre étude, le moment d’arrêt fera l’objet d’une attention particulière. Il s’agira de comprendre ce qui le génère, ce qui est paysagé. Le point d’arrêt ou point de vue comme lieu sera identifié dans les dimensions spatiales pour comprendre les caractéristiques du paysage qui crée une rupture dans le mouvement et qui peut être même dessine le territoire puisque l’on pourrait le lire par les interconnexions et les ponctualités.

5 En espagnol, Se promener, s’arrêter

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