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Les cheminements comme empreinte du paysage

respecte la condition de la mise à pied, du contact du corps directement avec le sol.

Par l’action de marche, le cheminement constitue un moment de rencontre avec le paysage. Au-delà d’être une attitude, elle est un « moment où le territoire se fait paysage ». Le chemin, comme ligne et trace devient « un territoire en soi » (Lévy & Gillet, 2007). Par le point de vue qu’il permet, le chemin constitue une zone de contact sensible au paysage.

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Les cheminements comme empreinte du paysage

Augustin Berque, inspiré de la mésologie de Charles Robin et de la phénoménologie de Husserl décrira le paysage comme l’expression concrète du « sens (global et unitaire) qu’une société donne à sa relation à l’espace et à la nature » (Berque, 1984). Ainsi chez lui, le paysage est à la fois empreinte, comme expression d’une civilisation qu’il s’agit de décrire et d’inventorier et matrice qui « participe des schèmes de perception, de conception et d’action – c’est-àdire de la nature – qui canalisent en un certain sens la relation d’une société à l’espace et à la nature dont le paysage est son œcoumène » (Berque 1984). Ainsi Berque qui s’inscrit dans un courant de géographie culturelle cherche à décrire la relation du sujet à l’objet dont le point de vue est construit par un regard conscient. Il s’agira alors de pendre « toujours soigneusement en compte le matériau physique auquel chaque culture imprime la marque » (Berque, 1984).

Le concept d’ hodologieest décrit par le psychologue Kurt Lewin (1890-1947), comme « la science ou l’étude des routes » (Jackson, 1984, p.79). Si le grec hodos renvoie à l’idée de route, il évoque aussi la notion de voyage au-delà de son acception matérielle pour évoquer une expérience globale. Chez Jackson, paysage et hodologie sont associés. Le paysage politique est dessiné par le caractère rectilinéaire des grands axes organisant le territoire et qui constituent un système centrifuge « imposant et étendu » dont la source remonte à l’époque romaine (1984, p.81). Le paysage vernaculaire est organisé par un système de chemins et de routes centripète, lié aux usages, qui change selon les besoins des communautés et qui s’est créé dans le respect de la topographie existante. Par la notion d’hodologie, Le cheminement possède donc une dimension physique qu’il s’agit de développer ici et une dimension mentale que nous aborderons dans le paragraphe suivant.

La route dans sa réalité physique est décrite comme « un lieu de relation sociale ; la plupart des trajets se faisaient à pied ; les tombeaux et monuments qui

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ornaient ses bords, les carrefours fréquents, les maisons qui la flanquaient, l'ombre des arbres, le flux des rigoles d'irrigation - tout cela faisait l'animation. » (Jackson, 1984, p.89). Lieu de passage, transition, qui mène d’un point à un autre, ce système routier, changeant selon les besoins qui prend en compte la topographie et particularités du territoire, dessine, un paysage vernaculaire et peut « rassembler les gens et créer quelque chose comme un lieu public, pour l'échange et la discussion mutuelle » (Jackson, 1984, p.106). Finalement, Jackson propose une méthode de lecture du paysage qui s’appuie sur la lecture des éléments structurants et des dynamiques de flux (Besse, 2003).

En citant l’article publié par Jackson en 1969 dans la revue Landscape, Besse décrit le paysage comme une « carte vivante, une composition de lignes et d’espaces ». Mais le paysage va au-delà de son organisation, c’est une succession de « traces, d’empreinte qui se superposent sur le sol ». Il y a une dimension artistique de travail de la terre et du sol par des pratiques culturelles. Cette œuvre du sol travaillé se traduit par différentes matérialités que sont les maisons, villes, routes et canaux, défrichements et cultures. Ainsi la route devient une composante du paysage. La matérialité du paysage traduit de fait une attitude humaine vis-à-vis du milieu et la tâche du géographe est de les repérer et cartographier. Il est important de noter que dans cette définition matérielle du paysage, la relation homme et milieu est constante.

Le chemin devient un projet de territoire. Les routes qu’elles soient « politiques » ou « vernaculaires » chez Jackson ont le double objectif de « renforcer et maintenir l’ordre politique et social » et « réunir en un lieu central (que ce centre soit concret ou non) l’ensemble des espaces qui composent le territoire d’une communauté » (Jackson, 1984).

Madeleine Griselin, Sébastien Nageleisen et Serge Ormaux, (2008) décrivent trois raisons pour lesquelles la voie, en tant que concept englobant différentes typologies de voirie, impacte le cheminement et le paysage. Le cheminement suppose l’existence ou la création d’un chemin telle une ligne qui connecte un certain nombre de points dans l’espace. Selon le type de chemin, la « disponibilité au paysage » (Griselin, Nageleisen, et Ormaux, 2008) ne sera pas de même nature. Enfin le chemin est un paysage en lui-même au sens où il conditionne la vision du paysage environnant.

Chez Reichler l’acte de cheminement est celui de « marquer une trace et de rassembler des traces » (in. Lévy & Gillet, 2007, p.48). L’individu marque mais

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