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Avant-propos : posture de chercheure

Étant née et ayant grandi majoritairement en banlieue parisienne, j’ai toujours entretenu un lien très fort avec mes origines basques, que mon nom de famille ne saurait taire. Pourtant, si l’affectif n’est pas déconnecté du choix du territoire étudié, les enjeux de patrimoine et de paysage s’inscrivent dans des réelles problématiques locales. Bidart, une commune avec laquelle j’ai des attachements forts, est par exemple balancée entre un passé agricole pesant dans la mémoire ancienne locale et une très forte dynamique touristique actuelle, qui y transforme rapidement les paysages. C’est donc sur la commune de Bidart et autour de ces enjeux que j’ai déjà réalisé l’an dernier mon Projet de Fin d’Etudes d’Architecture, me permettant d’obtenir mon Diplôme d’État d’Architecte avec les félicitations du jury.

D’autres initiatives ou démarches locales sur le patrimoine et le paysage témoignent de l’intensité de ces enjeux au Pays Basque : la réflexion autour de la construction d’un Parc Naturel Régional de la Montagne Basque, l’élaboration d’un Plan Paysage à l’échelle de la Communauté d’Agglomération Pays Basque, ou encore la démarche des Nouveaux Commanditaires Sciences sur le patrimoine à Bidart. La base de ce projet de recherche ne se résume donc pas à la simple volonté de travailler sur un territoire où je suis personnellement et affectivement impliquée : il résulte d’une démarche amorcée par une curiosité personnelle, et immédiatement relayée par un intérêt professionnel, intellectuel et territorial.

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La rencontre avec Livio Riboli-Sasco et Maria Pothier a été déterminante dans la définition de ce sujet de recherche, comme l’entente intellectuelle entre nous sur les enjeux de patrimoine et de paysage et sur le retour à des considérations par la perception, la sensorialité et l’affectif. Cela faisait largement écho à un parcours personnel très orienté autour des rapports sensibles et affectifs au paysage : par mon mémoire de master d’architecture, Géopoétique de la cabane, une exploration pour un renouveau du logement , j’ai eu l’occasion d’explorer les courants philosophiques sur la phénoménologie grâce aux écrits de Maurice Merleau-Ponty et Gaston Bachelard et sur la géopoétique au travers de Kenneth White et Gilles Tiberghien.

Finalement ce projet, est le résultat d’une co-construction alliant un intérêt local pour le patrimoine et le paysage, une volonté de poursuivre des réflexions amorcées par les précédentes recherches menées sur la commune, un intérêt pour affiner une réflexion théorique sur les rapports au patrimoine et au paysage et surtout une résonnance de ces enjeux à l’échelle territoriale : d’où la volonté par le CAUE et le CDPB d’encadrer cette démarche et de l’étendre à une seconde commune, celle de Saint-Jean-le-Vieux.

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Ce projet a donc été co-encadré par :

- le Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et d’Environnement (C.A.U.E.) des

Pyrénées-Atlantiques avec pour tuteur Xalbat Etchegoin, urbaniste conseiller, - le Conseil de Développement Pays Basque (C.D.P.B.) avec pour tuteur Benjamin

Gayon et comme membres référents impliqués1 Claude Labat et Philippe Mayté - l’Atelier des Jours à Venir, en la personne de Livio Riboli-Sasco et Maria Pothier.

Il s'intègre à une démarche Nouveaux Commanditaires Sciences initiée à Bidart, accompagnée par la coopérative Atelier des Jours à Venir, avec le soutien financier de la Fondation de France. La méthodologie a été co-construite avec le groupe des Nouveaux Commanditaires à Bidart et répliquée sur la commune de Saint-Jean-leVieux.

Inscrire son travail de recherche dans un territoire où l’on est personnellement impliquée, m’a cependant poussée à m’interroger sur ma propre capacité à exercer un travail de distanciation. En comparaison à un projet de recherche classique, il a certainement dû demander un effort supplémentaire pour affirmer une certaine neutralité dans l’analyse et l’interprétation des résultats : un effort constant, fourni à toutes les étapes de la recherche - définition de l’approche théorique, construction du cadre méthodologique, mise en œuvre sur le terrain.

La démarche proposée est ainsi basée sur une démarche ethnologique inspirée de l’ouvrage dirigé par Claudie Voisenat, Paysages au pluriel, pour une approche ethnologique des paysages, qui pose une attention particulière au regard indigène des habitants et usagers quotidiens du territoire comme porteurs de connaissance et d’appréciation du territoire.

La méthode de travail a été définie très en amont de l’exercice de terrain, dans le détail, et en bénéficiant de nombreux échanges avec les partenaires et tuteurs (professionnels et universitaire). Une méthode rédigée avec précision, et qui a été adaptée à chacun des sites2 . La collecte de témoignages puis leur retranscription

1 Le Conseil de Développement Pays Basque est une association qui fonctionne avec une équipe technique composée de six personnes dont une à mi-temps et des membres organisés entre citoyens et associations. Les membres élisent un bureau permanent. Chaque thématique de réflexion se voit attribuée un certain nombre de citoyens référents sur la base du volontariat. Ainsi deux membres référents se sont intéressés à ma recherche et ont décidé de devenir membres référents de la thématique « paysage et patrimoine » que j’ai mené à travers mon étude. 2 Ce point sera explicité dans le chapitre 03. Expérimenter un protocole d’enquête participatif

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scrupuleuse, l’exercice de faire réaliser des photographies et des cartes ou encore d’écrire des mots ou d’énoncer les ressentis lors des marches exploratoires sont autant de techniques qui permettent de collecter la parole pour ancrer une analyse sur des faits exprimés. D’ailleurs le propos sera argumenté par des citations collectés des entretiens ou marches exploratoires mises en avant en rougeet sera illustré avec des images de photographies collectées ou extraits de cartes mentales dont le (numéro) renverra à l’iconographie correspondant.

Plus généralement, ce travail m’a permis de m’interroger sur la question de l’objectivité en recherche. Pour reprendre la mise en abîme sur la notion d’objectivité effectuée par Vincent Devictor dans son mémoire de master de philosophie intitulé L’objectivité dans la recherche scientifique, Kant dans La critique de la raison pure explicite bien l’idée que la connaissance produite est le résultat de l’objet et du sujet : « notre représentation des choses telles qu’elles nous sont données ne se règle pas sur celles-ci en tant que choses en soi, mais ce sont plutôt ces objets en tant que phénomènes qui se règlent sur notre mode de représentation ». (Devictor, non daté). Ainsi la recherche part toujours d’un point de vue, d’un angle d’attaque sur les choses. La neutralité doit être respectée sur l’interprétation des résultats, et c’est en cela que l’élaboration d’une méthode précise m’a permis de garantir une neutralité.

Dès lors, l’ancrage personnel à son terrain de recherche peut devenir un atout précieux plutôt qu’un biais. Par mes expériences précédentes sur le territoire, je comprenais mes racines basques comme une aide précieuse sur le terrain. Mon nom de famille serait une sorte de facilitateur pour entrer en contact avec des habitants que je ne connaissais pas.

Il conviendra de dire que je n’ai pas été déçue. Lors de la prise de contact ou à la fin de l’entretien, mes origines ont fait quasi-systématiquement l’objet d’une interrogation. Et cette question m’a aussi été posée dans le cadre de rencontres avec des élus ou d’autres institutions oy associations. Les personnes étaient intriguées de la distanciation entre un nom de famille local et un accent à sonorité « étrangère ». L’explication s’en suivait et mon interlocuteur(rice) s’essayait alors à l’exercice d’établir des liens entre des personnalités qui leur étaient familières et qui possédaient le même nom de famille. Au-delà d’être un soutien dans cette recherche, ma famille a parfois été mon « ticket » d’entrée pour un entretien ou l’obtention d’un contact. Je me permettrais ces quelques lignes supplémentaires pour vous affirmer que j’ai réussi à obtenir un entretien avec une personne, initialement réticente mais qui a accepté lorsqu’elle a compris le lien tortueux qui nous unissait. En effet, je suis tout simplement, la cousine de la cousine de sa belle-fille.

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Finalement, cette culture mixée entre identité basque, parisienne et picarde pour l’anecdote, me permet ce double avantage d’être à la fois plus facilement accueillie et reçue sur le territoire mais également d’opérer une distanciation, une objectivation des témoignages recueillis. Il n’a jamais été question de prendre parti sur le territoire. Le contexte de ma recherche a été particulièrement clivant entre l’annonce du troisième confinement, le début de la saison touristique, les tensions sur l’enseignement des langues régionales et sur la pression foncière et enfin, les élections départementales et régionales. Il a fait resurgir des tensions locales et j’ai toujours fait attention à ne pas m’exprimer sur les sujets actuels et évidemment, à ne pas partager mes convictions personnelles.

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