Extrait Paysages comestibles - Éditions Ulmer

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LES PaysagesJARDINSNOUVEAUXNOURRICIERScomestiblesEvaineMerle

Préface de Xavier Mathias 6 Introduction 10 Les jardins de production 14 Vivres La Ferme Orgasmique qui éveille les sens & les consciences 18 Priroda La ferme naturelle & bienveillante en polyculture-élevage 30 La Cabane à Plantes Des fleurs comestibles & des plantes aromatiques pour façonner le paysage 44 Le Viel Audon Faire pousser les solidarités dans un village coopératif 58 Les forêts-jardins 74 Le jardin botanique fruitier d’Avapessa Le verger de la non-intervention en Haute-Corse 78 Le Jardin d’Émerveille Semer des graines, faire germer des connaissances 92 La Ferme de Sourrou Prendre la nature comme exemple 108 Le Jardin de la Forêt Transmission & bien-être en forêt bretonne 122 La Pâture es Chênes Prendre conscience de l’abondance des possibles 136 Les jardins urbains 152 Le Jardin de l’Aqueduc Cultiver les rencontres en milieu urbain 156 La Ferme du Contrevent D’un jardin familial à un espace de production maraîchère 166 Mon jardin Au-delà du récit photographique 180 Adresses & bibliographie 188 CI-CONTRE : Entrée du potager du Jardin d’Émerveille au soleil couchant.

Préface de Xavier Mathias

P aysages, quel joli mot ! Certes, il a été un peu dévoyé et, pardonnez mon ressentiment presque incongru dès les premières lignes d’une préface, je ne peux m’empêcher d’éprouver une forme de colère quand je songe à cette profession qui, aménageant et entretenant pour l’essentiel des jardinets, se baptise pompeusement paysagiste. Quelle ironie ! Mais, c’est bien de paysages dont il est question ici, ce mot de la même famille que paysans. Le paysage était jusqu’à il y a peu encore l’apanage des paysans. Ils vivaient alors dans leur pays, un territoire nettement moins vaste que nos grands découpages administratifs actuels, plus proche probablement du canton que de la nation, mais tout de même nettement plus étendu et divers que ces champs dans lesquels on a voulu les cantonner. Les pay sans sont en effet devenus il y a quelques décennies des agriculteurs ; un mot, géographiquement au moins, bien restrictif construit sur le préfixe latin ager, le champ. Nous avons alors glissé du pays au champ. Quand ces mêmes agriculteurs sont devenus des exploitants agricoles, alors le paysage s’est effacé progressivement pour laisser place à ces espaces immenses, ces terres surpâturées, ces stabules (puisqu’il ne faut plus dire « étable ») ou ces poulaillers qui ne sont autres, eux aussi, que d’immenses hangars. STOP ! Dans le livre d’Evaine, c’est l’exact contraire qui nous est mon tré ! Voilà le vrai motif de réjouissance, d’espoir : un autre monde est pos sible, il existe déjà, et ne demande qu’à essaimer. Être sensible à la Nature, s’émerveiller, la respecter, tenter de mieux la comprendre pour s’en ins pirer n’est pas l’acte isolé de quelque « bobo » en mal d’exotisme rural ou

auxRendonspaysans

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“Un autre monde est possible, il existe déjà, et ne demande qu’à essaimer”

7 de quelque nostalgique urbain, mais une lame de fond. Il y a tant de joie à ce qu’elle nous soulève. Il n’est pas besoin pour s’en convaincre d’écrire une thèse savante, mais juste de témoigner. Et comment mieux le faire qu’après avoir partagé, quelques heures au moins, les joies, les peines, le labeur de tous ces paysans, ceux grâce auxquels notre paysage retrouve uneL’âme,âme.

Un peu d’emphase ne nuisant pas, rappelons que ce sont des héros du quo tidien qu’Evaine nous présente, des résistants qui se sont dressés face au rouleau compresseur d’une agriculture productiviste ou d’une urbanisa tion sans frein ni limite.

c’est ce que ce livre propose tout simplement à travers ces espaces de production, ces jardins, ces plantes et surtout ces humains qui y œuvrent ; tous, à petite ou grande échelle, influent, au sens premier cette fois, sur le paysage. Leur âme s’y devine, y transparaît. Si le mot environne ment est trop souvent galvaudé, ces acteurs de la biodiversité participent à nous interroger : et nous alors, de qui et de quoi souhaitons-nous être envi ronnés demain ? Eux nous offrent une possibilité de réponse aujourd’hui.

Chacun, photographié dans son quotidien, nous rappelle qu’humus, humain et humilité ont la même racine. Tous, qu’ils soient en ville ou dans le monde rural, participent à redonner son sens à un mot dont nous n’au rions jamais dû nous laisser déposséder : paysans. Alors, vive ces paysans authentiques, leur paysage, leur âme et leur amour de la Nature.

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1. Pomme Malus ’Liberty’ à chair rouge. 2. Vue de l’entrée du jardin-forêt de La Pâture es Chênes. 3. Irène récolte des figues dans l’une de ses prairies dédiées aux ruminants. 4. Arbre à faisan en fleurs. Vue sur l’arche de kiwis, au Jardin de la Forêt. 6. Vue sur le jardin de la Ferme de Sourrou.

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5.

Forêts-jardins

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Situé sur les collines du Tarn, le Jardin d’Émer veille évolue depuis une dizaine d’années au fil des expérimentations de Rémi, propriétaire des lieux, et de ses passagers. Si les dix premières années il produisait majoritairement des plants potagers sous serre, son activité a aujourd’hui évolué vers la culture en extérieur. Au cours d’ateliers, de visites du jardin et sur Internet, il partage les expériences qu’il entreprend dans son jardin des merveilles.

J’arrive chez Rémi un après-midi de juil let, je suis accueillie par le son des cigales. Sous les chênes, l’équipe de l’association du Jardin d’Émerveille me reçoit chaleureusement. À côté de ce que Rémi appelle la zone intendance, celle où l’on cuisine, un enfant danse en regardant son reflet dans le séchoir solaire qui héberge les plantes à tisane. Au même moment, deux jeunes oies se rafraîchissent dans une bassine d’eau non loin de là. Je passe une arche et entre dans le jardin pédagogique. Où poser le regard en premier ? Quel chemin emprunter ? Il y en a partout, j’ai l’impression de partir à la décou verte de plein de mondes différents. « Plus j’ai connu ma terre, plus mon lieu s’est structuré. La partie un peu plus sèche où il n’y a pas beau coup de terre est devenue la production de plantes médicinales. Là où c’est un peu plus profond, c’est la partie potagère. Je me suis de plus en plus pas sionné pour la philosophie forêt fruitière », me dit Rémi. Il m’explique son parcours, me raconte son enfance difficile, sa jeunesse au Gabon et le refuge qu’il a trouvé dans le contact avec le vivant. « Depuis le tout début, j’ai vraiment ce goût pour la nature, pour les insectes et pour les plantes », il ajoute : « la nature ne me déce vra jamais ». Alors quand lors d’un wwoofing, il découvre le Jardin des Sortilèges, chez Bertrand et Annie-Jeanne, il tombe sous le charme de ce lieu qui mêle diverses activités et dans lequel se

LE D’ÉMERVEILLEJARDINSemerdesgraines,fairegermerdesconnaissances

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DOUBLE PAGE PRÉCÉDENTE : L’une des mares du jardin, cachée par les fruitiers, la consoude et les maïs. CI-CONTRE : Vue sur la serre géodésique du jardin.

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Le Jardin d’Émerveille côtoient plein de plantes différentes. C’est avec ce modèle en tête qu’il construit sa ferme, « je crois que j’ai besoin d’une vie pas fixée. J’ai besoin de pouvoir changer, de pouvoir évoluer, j’ai besoin de plein de choses différentes ». Ça se voit quand on déambule dans le jardin, aucun espace ne se res semble si ce n’est les nombreuses mares dissé minées sur le terrain dans lesquelles s’épanouis sent les grenouilles. Le jardin est toujours en activité : des abeilles qui butinent la consoude, un oiseau qui s’envole du sureau à l’approche de mes pas, un papillon qui se pose sur le thym en fleurs, un bourdon couvert de pollen dans les fleurs de courges ou encore une libellule qui vient boire dans une des mares. Et puis cette lumière, celle enveloppante et orangée du soir, quand les derniers rayons du soleil se frayent un chemin entre les grappes de raisins pour éclai rer les tournesols rouges et jaunes qui leur font face. Toutes les cultures sont associées, comme ces courges qui bordent le chemin : elles servent de plantes couvre-sol aux maïs qui, eux-mêmes, font office de tuteur aux haricots, le fameux milpa. Derrière moi, un prunier et un noise tier accompagnent des plants de chicorée qui bleuissent le jardin. Depuis quelques années, Rémi a opéré un virage dans son activité au Jardin d’Émerveille. Lors de son installation, il produisait surtout des plants en pépinière, laissant libre cours à la créativité des passagers qui foulaient les terres du jardin pour créer des zones de culture à leur guise. C’est là que sont nés ces espaces de jar dinage multiples, ces petites parcelles ponc tuées par les arbres fruitiers. Depuis, Rémi a repris possession des jardins. Il les a restructu rés afin de créer différentes zones de produc tion et de tests. « Je ne me dis pas forcément pro ducteur de légumes, je me dis plutôt producteur de connaissances », dit-il à ce sujet. Comme pour les pommes de terre, aux magnifiques fleurs blanches en cette fin juillet, installées près des framboisiers : certaines sont destinées à la consommation et, sur d’autres, il expérimente afin de trouver de nouvelles manières de les cultiver. Cela peut être sans eau, dans un cer tain type de sol, ou bien tester la résistance de la plante face à un ravageur ou une maladie avec plusieurs traitements naturels. Le but ? « Voir comment, avec un climat qui n’est plus du tout stable, on arrive quand même à rester stable dans les productions. Ça ne marche pas à tous les coups, mais c’est intéressant de chercher. » Le fruit de ses recherches, il le partage avec sa communauté sur Internet et lors de visites du jardin. Je me dirige vers une construction ronde, des plantes grimpent dessus et commencent à cacher sa structure en bois, elle abrite une mare et un banc. Je m’assieds quelque temps. Des artichauts en fleurs, violets, émergent du pay sage. J’écoute le bruit des branches qui ondulent avec le vent et puis celui de l’eau de la mare, brassée par ses habitants. J’aime cet endroit, “Plus j’ai connu ma terre, plus mon lieu s’est structuré.”

Je remonte dans le jardin, il y a du bruit dans les maïs quand je passe, impossible de voir ce que c’est. Un rongeur ? Un reptile ? Une struc ture rectangulaire suit la longueur du jardin, elle abritait les tomates, mais avec cet été pluvieux, le mildiou les a emportées et tout a été arra ché. Ça ne se voit pas vraiment, c’est toujours foisonnant. Les concombres s’y sont étendus, les plants de ricin s’épanouissent et l’amarante forme ses grappes de fleurs rose intense. Si cet

il est paisible, caché par un sureau, de la vigne, des mûres et l’odeur d’un figuier qui embaume mes narines. Il y a un nichoir à oiseaux en hau teur, Rémi en a installé plusieurs au Jardin d’Émerveille. Il m’en montre un dédié aux chauves-souris un peu plus loin. « J’ai peut-être une passion pour la biodiversité », me dit-il en rigolant, une plume dans les cheveux. Le soleil baisse, la lumière se fait de plus en plus rouge. Derrière moi, ça prépare le dîner, j’entends les couverts tinter contre les assiettes, des rires, de la musique, il y a du monde ce soir. Je décide de rester pour capturer les derniers rayons de soleil au jardin, j’en ferai de même le lendemain matin pour voir le jardin s’éveiller. Rémi me dit qu’il lui arrive de passer des nuits à la belle étoile sur ses parcelles. « On est des animaux, on fait partie de la nature », il ajoute : « la société nous ferait presque oublier qu’on en fait partie ».

Durant ma balade, je découvre la zone de compost près des rhubarbes, après avoir tra versé une arche d’actinidias assez dense1. Puis, je suis un passage bordé de consoudes. Il y en a beaucoup sur le terrain : des consoudes aux fleurs blanches, roses, bleues, elles apportent de la couleur avec leurs grandes feuilles vertes duveteuses. Derrière elles, on distingue diverses aromatiques : de la mélisse, du persil, 1 Plante qui produit les kiwis. des camomilles et des fleurs de poireaux qui surplombent le paysage buissonnant. Sur ma gauche, une serre en forme de dôme géodé sique. Dedans, c’est la jungle : un bananier, des tagètes, des bourraches et plein d’autres plantes montées en graines. La vigne envahit l’exté rieur, j’observe l’ombre des feuilles sur la toile de bâche : le soleil semble les imprimer. Je me dirige à droite cette fois-ci, des bambous pour la phytoépuration et des orties, une plante qu’il aime travailler, il en fait même des sirops. Mais quand je lui demande s’il y a une plante qu’il affectionne particulièrement, il me répond : « La notion de celui que tu veux placer au-des sus des autres, elle est dangereuse pour moi ». C’est d’ailleurs ce qu’il applique au jardin avec les associations de plantes, « tu pourrais prendre n’importe quelle plante, tout peut être intéres sant ». Rémi aime raconter des histoires, il se plaît à raconter chaque plante, surtout les plus communes, celles qui n’attirent a priori pas les foules, comme le navet ou l’ortie.

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CI-CONTRE : Pommier utilisé pour la pollinisation des arbres alentour ; Le raisin aux dernières lueurs du soleil ; Fleurs de pommes de terre ; Fleur de ricin.

“Un jardinier qui a envie d’aller dans son jardin parce qu’il le trouve beau, il aura envie d’y passer plus de temps et il sera plus productif.”

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Photographe reporter, Evaine Merle s’est spécialisée dans les milieux agricoles et les métiers de bouche afin de mettre en lumière des récits de vies paysannes. Elle voyage de ferme en ferme pour raconter, en mots et en images, celles et ceux qui s’engagent pour un quotidien plus durable et désirable.

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