ELLE Belgique - Magazine FR - Mai 2021

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héroïne

elle

du mois

CHARLOTTE LEBOVIC RescapĂ©e des camps nazis Ă  l’ñge de 23 ans, Charlotte Lebovic a soufflĂ© en fĂ©vrier dernier sa centiĂšme bougie.

C’est au milieu des vignes du petit village de Certez que Charlotte Lebovic voit le jour le 6 fĂ©vrier 1921 en TchĂ©coslovaquie. Femme de caractĂšre Ă  l’accent chantant, depuis peu centenaire, elle est l’une des derniĂšres rescapĂ©es de la Shoah vivant en Belgique et peine Ă  trouver les mots quand il s’agit de raconter son passĂ©. « Ces souvenirs sont trop douloureux mĂȘme 77 ans aprĂšs
 », confie-t-elle. Par bribes, elle raconte certains Ă©vĂ©nements de cette pĂ©riode noire, mais trĂšs vite, l’émotion prend le dessus et ses yeux bleus humides reflĂštent des blessures inguĂ©rissables. Charlotte avait des parents vignerons et quatre frĂšres et sƓurs
 C’est en mars 1944 que tous les membres de sa famille (grands-parents compris) ont Ă©tĂ© dĂ©portĂ©s, laissant tout ce qu’ils avaient derriĂšre eux, juste parce qu’ils Ă©taient juifs. Charlotte se souvient qu’elle a dĂ» prendre un train, puis qu’elle a dĂ» marcher pendant des heures sous la pluie et dans le froid. Une marche Ă  laquelle sa grand-mĂšre ne survivra pas. ParquĂ©es dans une usine dĂ©saffectĂ©e de Uzhgorod en Ukraine, les femmes de son groupe avaient Ă©tĂ© sĂ©parĂ©es des hommes. Jacques, son fiancĂ©, s’était dĂ©brouillĂ© pour la rejoindre afin de la « sortir de lĂ  », mais elle refusera d’abandonner ses parents et sera dĂ©portĂ©e avec eux dans un des derniers convois Ă  destination d’Auschwitz. Auschwitz oĂč sa mĂšre, son pĂšre, son plus jeune frĂšre et sa plus jeune soeur furent gazĂ©s dĂšs leur arrivĂ©e. « Il ne me restait plus que ma petite soeur Yoli Ă  mes cĂŽtĂ©s
 Je l’ai arrachĂ©e de la file destinĂ©e aux chambres Ă  gaz. DĂ©sormais, je devais vivre pour la protĂ©ger. Je lui donnais mes rations de nourriture, car j’estimais qu’elle en avait plus besoin que moi. »

A-12086 « À Auschwitz, nous avons vĂ©cu l’enfer. Nous Ă©tions entassĂ©s Ă  300 dans un baraquement. J’ai vu ma cousine se jeter sur les barbelĂ©s qui nous sĂ©paraient du monde libre. Nous Ă©tions devenus des numĂ©ros
 A-12086 Ă©tait le mien. » Un matricule qui lui colle Ă  la peau, souvenir indĂ©lĂ©bile de l’indicible tatouĂ© sur son avant-bras. « Ce sont les numĂ©ros voisins du 6 au jeu de la roulette », ironise-t-elle.

Apte Ă  travailler, mais surtout dĂ©terminĂ©e Ă  survivre et Ă  sauver sa soeur, Charlotte fut transfĂ©rĂ©e dans une usine de vis Ă  Alte Burg en Allemagne. « Nous avons travaillĂ© dans cette usine ma soeur et moi pendant un temps et, un matin, le silence avait remplacĂ© les cris des soldats allemands et les aboiements de leurs chiens
 Un soldat amĂ©ricain est venu vers nous. Il portait une Magen David autour du cou. C’est Ă  ce moment prĂ©cis que j’ai compris que nous Ă©tions libĂ©rĂ©es ! » Commence alors pour elle et sa soeur un parcours du combattant pour retrouver leurs proches disparus. « On a retrouvĂ© mon frĂšre Maurice grĂące aux listes des survivants affichĂ©es sur les murs des villes. » AprĂšs la guerre, Yoli ira vivre en IsraĂ«l avec son mari Shaul, Maurice s’installera prĂšs de Lyon et Charlotte retournera dans son village natal retrouver son fiancĂ© Jacques. « Nous n’avions plus rien. Les Allemands nous avaient tout pris. Seul mon chien Hector m’attendait sur le pas de la porte de la maison de mes parents. » Elle vivra Ă  Prague puis Ă  Budapest oĂč elle se marie en 1945 avant d’arriver en Belgique, une Ă©tape « intermĂ©diaire » en espĂ©rant partir ensuite en Australie ou en IsraĂ«l. « Mon corps Ă©tait si faible et traumatisĂ© par les camps que j’ai fait plusieurs fausses-couches avant de donner naissance Ă  mon fils Robert en 1948 et Ă  Patricia, 12 ans plus tard. Nous avons finalement fait notre vie en Belgique et nous y avons Ă©tĂ© trĂšs heureux. » ArriĂšre-grand-mĂšre de cinq enfants, Charlotte Lebovic vit aujourd’hui Ă  Ixelles. Depuis la pandĂ©mie, sa vie confinĂ©e se rĂ©sume Ă  Ă©couter radio JudaĂŻca, Ă  parler politique avec son fils, Ă  cuisiner des bouillons (le secret de sa longĂ©vitĂ©). Quand on lui parle du coronavirus, elle se dit anti-vaccin. « Moi qui n’ai jamais pris de mĂ©dicaments de ma vie, je ne veux pas servir de cobaye aux firmes pharmaceutiques ! », scande-t-elle. DerriĂšre ce caractĂšre bien trempĂ© et cette santĂ© de fer se cache pourtant une angoisse omniprĂ©sente. « Ma maman est en survie tout le temps », nous confie sa fille Patricia. « Elle a tout le temps peur. Elle sait que l’homme est capable du meilleur
 mais aussi du pire. » Exemple d’hĂ©roĂŻsme pour ses enfants, petits-enfants et arriĂšre-petits-enfants, Oniu (c’est son surnom) pose un regard inquiet sur l’époque : « L’antisĂ©mitisme est encore lĂ . Il faut rester attentif pour empĂȘcher que cela ne recommence. » Et quand on lui parle de l’avenir ou de son anniversaire, cette centenaire sourit : « Tant que je sais faire mon lit et Ă©plucher mes pommes de terre, tout va bien ! » Et d’avouer : « Le jour de mes 100 ans, aprĂšs avoir reçu les messages et les attentions de mes proches, j’ai pour la premiĂšre fois senti que j’avais vieilli. »

PRESSE

Tous les mois, Céline Pécheux met en lumiÚre une Wonder Woman du quotidien.

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