Bruxelles Culture 15 juin 2018

Page 13

THÉÂTRE : DES YEUX DE VERRE – UNE AFFAIRE DE FAMILLE J’avoue avoir été remué par l’histoire de cette famille qui, au départ, avait tout pour être heureuse. Mais à cause d’un père, artiste de renom qui fabrique des poupées de verre et qui n’a jamais su faire la différence entre ses poupées et ses filles, le bonheur s’est brisé. Par manque de maturité et de discernement, il s’est transformé en ogre incestueux. La mère, très investie pour que leur entreprise artisanale fonctionne, a fermé les yeux jusqu’au jour où la petite a crié et, face à l’évidence et pour sauver l’honneur du foyer, a décidé d’envoyer cette dernière vivre chez une tante. L’homme, qui puisait son inspiration dans les yeux de sa jeune fille, a sombré dans une dépression et a perdu le goût de créer. L’aînée, jalouse de sa cadette, se met en tête de séduire son papa et décide de coucher avec lui. A nouveau, la mère feint de ne pas savoir, de ne rien voir et s’obstine à ne pas entendre. Les choses auraient pu se poursuivre de la sorte, mais le temps a passé et la gamine est maintenant adulte. Pour exorciser le fantôme qui la ronge, elle revient chez les siens, décidée à faire éclater les mensonges. D’abord, son père ne la reconnaît pas puis, dans la détermination de son regard, comprend qu’il s’agit bien d’elle. Qu’exige-t-elle ? La contrition, une contrepartie ? Non, avec les années, elle se sent enfin prête à pardonner. Malgré les gestes malheureux qu’il a pu commettre, l’homme éprouve un immense soulagement et retrouve l’inspiration qui l’avait laissé en friche. Maintenant, il est certain que son nom, grâce à ses poupées de verre, sera connu dans le monde entier ! Cette œuvre théâtrale de Michel Marc Bouchard est très déstabilisante, car elle nous fait passer de la cruauté à la tendresse, de la poésie à l’humour et nous révèle la violence et la fragilité d’une famille repliée sur elle-même. Mais peut-t-on la condamner ? Grâce au secret levé, le père a évolué. En effet, lorsqu’il voit sa fille presque nue devant lui, il lui dit de se rhabiller. Quant à l’aînée, qui vient en robe de mariée pour l’épouser, il lui fait comprendre que son choix est déplacé. Cet homme, que nous étions prêts à condamner (et qui le mériterait mille fois !) a enfin appris à faire la part des choses. Du coup, ses filles peuvent vivre elles aussi leur propre vie de femme. Le metteur en scène, Emmanuel Dekoninck, parle de ses choix scéniques en ces termes : « J’ai voulu, dans l’articulation du spectacle, créer des surimpressions des poupées inanimées avec les acteurs vivants. Travailler sur les ombres et les projections de ces mêmes poupées, les confronter avec les acteurs pour, d’une part, définir une esthétique et une atmosphère à l’atelier et, de l’autre, ouvrir le spectre des signifiants possibles des situations.» Je retiens de ce spectacle que nos discriminations visà-vis de cette famille n’ont pas le dernier mot, car à travers le feu de l’amour mal assumé, où il y a eu des pleurs et beaucoup de souffrance, elle va, peu-à peu, trouver son identité. Vous avez jusqu’au 23 juin 2018 pour découvrir cette gifle visuelle, interprétée par Soazig De Staercke, Patricia Ide, Jeanne Kacenelenbogen et Alexandre Trocki au meilleur de leur forme. Attention toutefois aux esprits sensibles, le sujet de la pièce peut heurter les plus jeunes ! Davantage de détails sur le site www.theatrelepublic.be Rue Braemt, 64-70 à 1210 Bruxelles Maurice Chabot


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.