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Interview Francis Kéré
from #7 Février 2020
interview
Son agence se base sur l’affirmation que l’engagement social et écologique est toujours le point de départ dans l’élaboration d’un projet et non pas un artifice rajouté après-coup.
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Francis Kéré est un architecte contemporain qui se distingue par sa démarche pionnière dans son approche communautaire et son engagement au développement durable. Curieux des particularités des différents contextes où il opère et des ramifications sociales de chacun d’entre eux, il entreprend avec l’équipe de son cabinet Berlinois des projets dans des régions encore très peu partiquées par les courants dominants de l’architecture contemporaine.
étude de cas
Francis Kéré : Gando est mon lieu de naissance. En 2001 on s’engage pour la première fois à y apporter certaines des infrastructures qui y manquaient au temps de mon enfance. De là naît un premier projet et par conséquent l’agence, Kéré Architecture. Depuis, chaque projet entraine le suivant selon les besoins de la communauté de Gando.
Francis Kéré : Gando est une communauté comme une autre : il faut tout d’abord réussir, à travers l’écoute et l’exemple, à obtenir la confiance du groupe avant d’imposer des idées. Une fois que la communauté reconnaît les fruits d’un travail, elle accepte volontiers de s’y investir et devient une précieuse ressource pour le projet.
Francis Kéré : Notre expérience nous a appris que lorsqu’une communauté s’est impliquée dans un projet, elle sent que celui-ci lui appartient et par conséquent tient à ce qu’il soit bien entretenu et respecté. L’école primaire de Gando démontre bien cela : au fil du temps, le bâtiment est devenu d’avantage qu’une infrastructure, c’est un pôle de la vie communautaire de Gando. Presque vingt ans après son inauguration, les professeurs s’étonnent encore de la fraicheur des salles de classe malgré l’absence d’air conditionné, et les élèves de la première volée retournent souvent à Gando les saluer.
question sur l’architecture
Francis Kéré : L’Afrique est un vaste continent aux identités multiples et nos projets ne sauraient les évoquer de façon sommaire sans nier leur richesse. D’autre part quand nous puisons notre inspiration dans le paysage culturel ouest-africain, nous avons plutôt tendance à nous intéresser à la disposition des espaces, le rapport aux éléments, le traitement des matériaux et aux techniques de construction : l’esthétique n’est donc pas à l’origine de notre processus, elle en est le point d’arrivée.
Francis Kéré : Notre travail part du principe qu’il s’inscrit dans un monde complexe et en flux perpétuel, rempli de multiplicité et de contradiction, où l’histoire n’est souvent pas linéaire. Nous ne voyons pas la tradition et la mondialisation, l’Afrique et l’Europe, comme des dichotomies. Nous sommes rattachés à nos racines tout en puisant des nos expériences acquises au niveau international et nous tentons d’assembler et d’appliquer ces savoirs selon le contexte, sans pour autant chercher à les théoriser.
question relatives au métier d’architecte (pour les étudiants)
Francis Kéré : Les jeunes architectes pourraient d’abord se poser la question de ce qui leur tient à cœur de construire, au niveau architectural et au niveau humain, et puis se demander si cela serait pertinent et utile chez eux. Ce qui est primordial dans la réalisation d’un bon projet, c’est la connaissance de son contexte, que celui-ci soit un village ou une capitale, en Russie, au Sénégal, en Thaïlande ou en France. Il se peut que l’on connaisse bien son propre contexte d’origine, mais ce n’est pas forcément toujours le cas. Même quand ça l’est, cela n’empêche pas qu’il faut être à l’écoute et ne pas se baser sur ses propres hypothèses.
Francis Kéré : Pour nous il n’existe pas de terrains « vierges ».
Partout dans le monde des êtres humains ont vécu et par conséquent bâti et cultivé. Même si les traces qu’ils ont laissées ne sont pas matérielles, elles sont néanmoins présentes et doivent êtres prises en considération. En ce qui concerne le rôle de l’architecte, nos projets à travers le monde nous ont appris que si nous voulons pratiquer notre métier de façon responsable, cette pluralité est fondamentale quel que soit le contexte. Nous sommes avant tout architectes, pas théoriciens ni politiciens, mais nous sommes conscients des multiples facettes qu’exige cette profession.
Francis Kéré : Responsable et curieux. L’impact sans la destruction.
mot de la fin
Francis Kéré : Notre « Double Hauteur » à nous, c’est le double toit récurent dans beaucoup de nos bâtiments : une couverture en tôle réhaussée qui offre de l’ombre à une voûte en briques perforée, la distance entre l’une et l’autre permettant à l’aire chaud de s’échapper. L’idée de générosité qu’évoque spatialement une double hauteur, nous l’offrons en termes de fraicheur.
interview assurée, propos receuillis par Larry Tchogninou