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Interview Francis Kéré

interview

Son agence se base sur l’affirmation que l’engagement social et écologique est toujours le point de départ dans l’élaboration d’un projet et non pas un artifice rajouté après-coup.

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Francis Kéré est un architecte contemporain qui se distingue par sa démarche pionnière dans son approche communautaire et son engagement au développement durable. Curieux des particularités des différents contextes où il opère et des ramifications sociales de chacun d’entre eux, il entreprend avec l’équipe de son cabinet Berlinois des projets dans des régions encore très peu partiquées par les courants dominants de l’architecture contemporaine.

étude de cas

DH : Comment vous est venu le projet Gando et comment s’est-il mis en place ?

Francis Kéré : Gando est mon lieu de naissance. En 2001 on s’engage pour la première fois à y apporter certaines des infrastructures qui y manquaient au temps de mon enfance. De là naît un premier projet et par conséquent l’agence, Kéré Architecture. Depuis, chaque projet entraine le suivant selon les besoins de la communauté de Gando.

DH : L’architecture à la Kéré, ce n’est pas juste le bâtiment; c’est tout un éco-système. Vous avez même pu inclure les habitants dans la réalisation de l’école à Gando. En fait, vous faites participer tout le monde: les femmes, les hommes, les jeunes, les plus vieux… Tout devient un système socio-économique durable par les gens et pour les gens. Comment est-ce que Gando marche ? Comment construit-on avec l’argile et la communauté ?

Francis Kéré : Gando est une communauté comme une autre : il faut tout d’abord réussir, à travers l’écoute et l’exemple, à obtenir la confiance du groupe avant d’imposer des idées. Une fois que la communauté reconnaît les fruits d’un travail, elle accepte volontiers de s’y investir et devient une précieuse ressource pour le projet.

DH : Comment ont évolué ces lieux, et comment la population s’est approprié l’espace?

Francis Kéré : Notre expérience nous a appris que lorsqu’une communauté s’est impliquée dans un projet, elle sent que celui-ci lui appartient et par conséquent tient à ce qu’il soit bien entretenu et respecté. L’école primaire de Gando démontre bien cela : au fil du temps, le bâtiment est devenu d’avantage qu’une infrastructure, c’est un pôle de la vie communautaire de Gando. Presque vingt ans après son inauguration, les professeurs s’étonnent encore de la fraicheur des salles de classe malgré l’absence d’air conditionné, et les élèves de la première volée retournent souvent à Gando les saluer.

question sur l’architecture

DH : Vous construisez beaucoup en Afrique, vous avez aussi fait des installations partout dans le monde dont ‘’Sarbalé Ke” à Coachella. Comment est-ce que l’Afrique oriente votre esthétique? Quelle est l’importance de l’esthétisme dans un projet architectural selon vous ?

Francis Kéré : L’Afrique est un vaste continent aux identités multiples et nos projets ne sauraient les évoquer de façon sommaire sans nier leur richesse. D’autre part quand nous puisons notre inspiration dans le paysage culturel ouest-africain, nous avons plutôt tendance à nous intéresser à la disposition des espaces, le rapport aux éléments, le traitement des matériaux et aux techniques de construction : l’esthétique n’est donc pas à l’origine de notre processus, elle en est le point d’arrivée.

DH : L’Histoire architecturale de l’Afrique va des pyramides de Gizeh à la grande mosquée de Djéné (au Mali) en passant par plusieurs autres bâtiments construits en terre crue. Le XIXe siècle et le colonialisme a presque effacer tout ce magnifique passé. Les bâtiments style « colonial » se sont installés dans l’héritage et le patrimoine. Au fur et à mesure, le continent a commencé à s’ouvrir aux constructions de type occidentale en béton armé juste après les indépendances. On pourrait même dire que l’architecture africaine est en quête d’identité constante. Comment mariez-vous passé, présent et futur dans votre travail ? Rejoignez-vous les idées de Joseph KiZerbo concernant le développement endogène (qui dit qu’il est important de puiser dans ses racines sans pour autant se mettre en autarcie face à la mondialisation) ?

Francis Kéré : Notre travail part du principe qu’il s’inscrit dans un monde complexe et en flux perpétuel, rempli de multiplicité et de contradiction, où l’histoire n’est souvent pas linéaire. Nous ne voyons pas la tradition et la mondialisation, l’Afrique et l’Europe, comme des dichotomies. Nous sommes rattachés à nos racines tout en puisant des nos expériences acquises au niveau international et nous tentons d’assembler et d’appliquer ces savoirs selon le contexte, sans pour autant chercher à les théoriser.

question relatives au métier d’architecte (pour les étudiants)

DH : Vous êtes parti du Burkina Faso étant jeune, avez étudié en Allemagne puis êtes revenu construire dans votre pays natal malgré les moqueries de certains qui disaient « Il va reconstruire ses cases ». Il y a un grand nombre d’étudiants étrangers dans notre école (Paris Val de Seine) et ainsi quels conseils donneriez-vous aux étudiants qui ont, comme vous, la volonté de retourner chez eux afin de mettre des choses en place ?

Francis Kéré : Les jeunes architectes pourraient d’abord se poser la question de ce qui leur tient à cœur de construire, au niveau architectural et au niveau humain, et puis se demander si cela serait pertinent et utile chez eux. Ce qui est primordial dans la réalisation d’un bon projet, c’est la connaissance de son contexte, que celui-ci soit un village ou une capitale, en Russie, au Sénégal, en Thaïlande ou en France. Il se peut que l’on connaisse bien son propre contexte d’origine, mais ce n’est pas forcément toujours le cas. Même quand ça l’est, cela n’empêche pas qu’il faut être à l’écoute et ne pas se baser sur ses propres hypothèses.

DH : Nous imaginons qu’un architecte dans ces pays en plein essor n’est pas simplement un architecte et endosse une multitude de casquettes, quelles sont-elles selon vous ? Trouvez- vous que vous vous épanouissez mieux à exercer sur des terrains « vierges » où les enjeux sont tout autres que ceux en Europe ?

Francis Kéré : Pour nous il n’existe pas de terrains « vierges ».

Partout dans le monde des êtres humains ont vécu et par conséquent bâti et cultivé. Même si les traces qu’ils ont laissées ne sont pas matérielles, elles sont néanmoins présentes et doivent êtres prises en considération. En ce qui concerne le rôle de l’architecte, nos projets à travers le monde nous ont appris que si nous voulons pratiquer notre métier de façon responsable, cette pluralité est fondamentale quel que soit le contexte. Nous sommes avant tout architectes, pas théoriciens ni politiciens, mais nous sommes conscients des multiples facettes qu’exige cette profession.

DH : Quel genre d’étudiant étiez-vous et que voulez vous représenter pour les générations futurs ?

Francis Kéré : Responsable et curieux. L’impact sans la destruction.

mot de la fin

DH : A quoi vous fait penser le terme «double hauteur» ?

Francis Kéré : Notre « Double Hauteur » à nous, c’est le double toit récurent dans beaucoup de nos bâtiments : une couverture en tôle réhaussée qui offre de l’ombre à une voûte en briques perforée, la distance entre l’une et l’autre permettant à l’aire chaud de s’échapper. L’idée de générosité qu’évoque spatialement une double hauteur, nous l’offrons en termes de fraicheur.

interview assurée, propos receuillis par Larry Tchogninou

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