Quel avenir pour le vote électronique en Belgique ?

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QUEL AVENIR POUR LE VOTE ELECTRONIQUE EN BELGIQUE ? Rim Ben Achour

Octobre

Editrice responsable : A. Poutrain – 13, Boulevard de l’Empereur – 1000 Bruxelles

2010


Introduction ............................................................................................ 2 A.

Contexte ......................................................................................... 2 1.

L’extension du vote électronique en Belgique ............................... 2

2.

Etat du matériel informatique..................................................... 4

3.

Coûts des différents systèmes de vote. ....................................... 4

B. Considérations sur le système de vote électronique utilisé en Belgique depuis 1991 .............................................................................. 5 1.

Le système de vote électronique a-t-il atteint ses objectifs ? .......... 5

2.

Le vote électronique est-il démocratique ? ................................... 7

3.

Le vote électronique a-t-il une influence sur le vote de l’électeur ?.. 9

C. Le système belge répond-il aux recommandations du Conseil de l’Europe ? .............................................................................................. 10 D.

La situation dans les pays européens ........................................... 11

E.

Le rapport interuniversitaire et les systèmes de vote proposés.... 12 1.

Système amélioré de vote à l’aide de bulletins en papier ............. 12

2.

Système de vote à lecture optique directe des bulletins de vote ... 15

3.

Système « à clients légers » .................................................... 16

4.

Système de vote à distance par l’Internet .................................. 17

5.

Système du « vote en kiosque »............................................... 18

F. La proposition d’accord de coopération élaborée à la suite du rapport « Be Voting » ........................................................................... 18 G.

L’avenir du vote électronique en Belgique .................................... 19 1.

En Région flamande ................................................................ 20

2.

En Région wallonne ................................................................ 20

3.

En Région bruxelloise .............................................................. 22

Conclusion ............................................................................................. 23

1 Institut Emile Vandervelde – www.iev.be - iev@iev.be


Introduction La Belgique s’est lancée dans l’aventure du vote électronique en 1991. Depuis lors, le système s’est répandu en deux grandes vagues – 1994 et 1999 – jusqu’à concerner aujourd’hui 3.200.000 citoyens, soit 44% de l’électorat. La Belgique se distingue ainsi du reste de l’Europe : depuis l’abandon définitif du vote électronique aux Pays-Bas, seul notre pays utilise un tel système à grande échelle. Ailleurs, les quelques expériences éparses d’automatisation du vote ont été pour la plupart abandonnées, faute de garanties démocratiques suffisantes. Pour beaucoup de ses détracteurs, le vote électronique pose de nombreuses questions quant à sa fiabilité, son coût financier et surtout, son caractère démocratique. L’absence de tout contrôle possible par le citoyen-électeur reste son principal biais. Cette analyse s’attache tout d’abord à définir le contexte du vote électronique, en retraçant l’historique de son développement en Belgique et en faisant le point sur son coût et sur l’état du matériel utilisé actuellement. Il s’agit ensuite d’analyser en quoi le système de vote électronique utilisé en Belgique depuis 1991 a rempli ou non ses objectifs initiaux. Par ailleurs, une étude de son caractère démocratique sera réalisée ainsi qu’une mise en perspective avec la position adoptée par le Conseil de l’Europe en la matière. La situation dans les autres Etats européens sera également analysée. Un autre chapitre évoquera les conclusions du rapport interuniversitaire de 2007 « Be Voting » et présentera la position adoptée par le Gouvernement et le Parlement fédéraux à la suite de la publication de ce rapport. Enfin, en conclusion de cette analyse sur l’avenir du vote électronique en Belgique, seront exposés les situations et les positionnements politiques dans les trois Régions.

A. Contexte 1. L’extension du vote électronique en Belgique L’apparition du vote électronique en Belgique remonte aux élections du 24 novembre 1991. Il s’agissait à l’époque de tester deux systèmes concurrents dans les cantons de Verlaine et de Waarschoot1, le premier système utilisant une carte magnétique faisant office de bulletin de vote, le second consistant en un panneau électoral avec les listes de candidats sur lequel on indiquait son choix. A l’époque, les motifs invoqués pour justifier l’expérimentation d’un système de vote automatisé étaient les suivants : - suppression des frais liés à l’achat, à l’impression et au stockage des bulletins de vote ;

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La loi prévoit que les communes d’un même canton doivent utiliser un système de vote identique. L’extension du vote électronique concerne donc des cantons et non des communes.

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- réduction du nombre d’assesseurs et par conséquent, réduction des frais qui y sont liés ; - fiabilité et rapidité des résultats. Le système utilisant une carte magnétique ayant été jugé concluant par le Ministère de l’Intérieur, la loi du 12 avril 1994 permit d’organiser un second test dans un plus grand nombre de cantons lors des élections européennes du 12 juin 1994. Cette loi a également rendu possible l’extension ultérieure des systèmes automatisés à d’autres cantons électoraux par simples arrêtés royaux. Le vote par voie électronique s’est ainsi répandu en deux vagues : •

En 1994, il a concerné 1,4 million d’électeurs, soit 20% de l’électorat. Le matériel utilisé, dit « de 1ere génération », a été acquis par l’Etat fédéral et donné en propriété aux communes moyennant remboursement par celles-ci sur une période de 10 ans (montant défini légalement par élection et par électeur inscrit).

En 1999, il a concerné 3,2 millions d’électeurs, soit 44 % de l’électorat. Dans le cadre de cette extension du vote automatisé (matériel de « 2eme génération »), l’Etat n’a plus opté pour l’acquisition du matériel mais bien pour une subvention de l’administration fédérale aux communes à concurrence de 20% des frais d’investissement. Outre cette intervention, la Communauté flamande est également intervenue à concurrence de 30% tandis que certaines administrations provinciales ont offert une intervention de 15% au profit de leurs communes.

Cette nouvelle extension du vote automatisé fut décidée en l’absence de tout débat parlementaire sur les enjeux liés à cette procédure de vote. En effet, si la loi du 12 avril 1994 crée un cadre juridique légal organisant le vote automatisé, les différentes extensions furent décidées via des arrêtés royaux, c'est-à-dire par le Gouvernement uniquement. Néanmoins, la loi du 18 décembre 1998 crée un garde-fou: un « collège d’experts », désigné par les différents parlements, est chargé de remettre un rapport au Parlement fédéral concernant le déroulement des scrutins dans les cantons utilisant un système de vote électronique ou de dépouillement par lecture optique (expérimenté en 1999, 2000 et 2003). Le collège des experts l’avait estimé « fiable et mûr ». Il fut pourtant abandonné en 2003 sans débat. Le vote électronique a survécu à la régionalisation des élections communales et provinciales. En effet, la Loi spéciale du 13 juillet 2001 a transféré aux Régions les compétences en matière de législation, de réglementation et d’organisation des élections communales et provinciales. Ainsi, dans la perspective des élections locales de 2006, pour la première fois organisées par les Régions, un accord de coopération a été conclu entre l’Etat fédéral et les Régions afin de garantir notamment que le matériel existant, pourtant obsolète, soit encore utilisé lors des élections 2006 et 2007. Actuellement, la pratique du vote automatisé concerne donc 44 % de l’électorat et se présente comme suit :

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en Wallonie, 39 communes sur 262 (22% des électeurs)2 ;

à Bruxelles, toutes les communes (100 % des électeurs) ;

Voir annexe 1.

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en Flandre, 143 communes sur 308 (50% des électeurs).

Le nombre de cantons pratiquant le vote électronique n’a plus évolué depuis 1999.

2. Etat du matériel informatique Lors des élections du 13 juin 2004, le matériel acquis lors des élections de 1994 a été utilisé pour la dernière fois. Ce matériel avait en effet à ce moment-là dépassé depuis plus d’un an la période d’amortissement de 10 ans. Afin de préparer l’avenir du vote automatisé à court et moyen termes, un accord de coopération a été signé en 2005 entre l’Etat fédéral et les Régions. Il portait sur les points suivants : •

« upgrading » de la partie obsolète du matériel afin qu’elle puisse encore être utilisée lors des élections 2006 et 2007 ;

répartition du coût entre le Fédéral, les Régions et les communes. Le montant global de cette mise à jour s’élevait à 3,8 millions d’euros. Le Fédéral est intervenu pour moitié dans ce montant. La répartition des 50 % restant entre les trois Régions s’est effectuée au prorata de leur degré « d’automatisation ».

mise en place d’un groupe de travail chargé de définir les conditions d’agrément et le cahier des charges pour le développement « éventuel » d’un nouveau système de vote automatisé au-delà de 2007. Sur cette base, le Gouvernement fédéral a conclu avec un consortium d’universités un contrat relatif à la réalisation d’une étude portant sur les différents systèmes de vote existants et sur la fixation de normes en vue de la réalisation d’un cahier des charges pour un nouveau système de vote électronique en Belgique. Le rapport « Be Voting » a été publié en décembre 2007. Nous l’abordons plus largement au point 5 de cette analyse.

Les appareils « upgradés » en vue des élections 2006 et 2007 ont pu à nouveau être utilisés lors des élections régionales de 2009 et les élections fédérales anticipées de 2010, malgré leur obsolescence. Cela a occasionné des coûts importants pour les communes pour prolonger les contrats de maintenance et d’entretien des machines. Par ailleurs, en 2010 comme en 2009, le collège des experts a constaté de nombreux problèmes techniques tant au moment des votes que lors des opérations de totalisation. Cela amène à s’interroger sur le système de vote qui sera utilisé lors des prochaines élections dans les cantons où le vote est automatisé.

3. Coûts des différents systèmes de vote. Selon un rapport présenté devant la Commission de l’Intérieur du Sénat le 31 mai 2005, le coût global du vote électronique par électeur et par jour d’élection s’élève à 4,5 euros. Il est de 1,5 euro pour le vote traditionnel « papier ». Selon le Ministère de l’Intérieur, ces chiffres sont toujours d’actualité. D’après le Code électoral et la loi du 11 avril 1994 sur le vote automatisé, l’essentiel du coût du vote est à la charge des communes.

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Ainsi, dans les cantons où le vote s’effectue de manière traditionnelle, les communes doivent prendre à leur charge urnes, cloisons, pupitres, enveloppes et crayons qu’elles fournissent d’après les modèles approuvés par le Roi.3 L’Etat fédéral prend quant à lui en charge les frais relatifs au papier électoral et aux jetons de présence des membres des bureaux électoraux. Le Code électoral précise que toutes les autres dépenses sont également à charge des communes mais la charge financière globale est somme toute relativement faible. En ce qui concerne le vote automatisé, le fédéral intervient à hauteur de 20 % du coût du hardware, les 80 % restant ainsi que le software étant à charge des communes, ce qui représente un coût d’environ 3,5 € par vote. A l’avenir et compte tenu du coût des innovations technologiques, la charge financière du vote automatisé devrait augmenter.

B. Considérations sur le système de vote électronique utilisé en Belgique depuis 1991 1. Le système de vote électronique a-t-il atteint ses objectifs ? Comme on l’a vu, les arguments utilisés par le législateur pour introduire en 1991 le vote électronique étaient de plusieurs ordres : •

l’utilisation des technologies modernes dans le processus électoral ;

un dépouillement plus rapide et plus fiable ;

une diminution du nombre d’assesseurs ;

une diminution des coûts ;

éviter l’inconvénient des bulletins de vote trop grands difficilement manipulables par l’électeur (1 m² à Bruxelles).

Après presque 20 années d’expérimentation, quelle évaluation peut-on faire à la lumière de ces objectifs ? • Utilisation de technologies modernes dans le processus électoral : Effectivement, l’expérimentation du vote automatisé a permis l’introduction des technologies modernes dans le processus électoral. Ce constat doit cependant être relativisé : -

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la technologie toujours utilisée aujourd’hui a été mise en service pour la première fois en 1994 et devait avoir une durée de vie de maximum dix ans. Or en informatique plus que dans d’autres secteurs probablement, les appareils deviennent rapidement obsolètes tant les progrès de la recherche

Article 130 du Code électoral

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sont importants. Le rapport universitaire « Be Voting »4 demandé par le Ministère de l’Intérieur (dont le contenu est détaillé au point 5) rejette le vote électronique tel qu’il existe aujourd’hui en Belgique : « Le Consortium est arrivé à la conclusion, après avoir examiné les technologies existantes et en tenant compte des avantages et inconvénients des différentes solutions, que le vote électronique entièrement automatisé ne convient pas – à l’heure actuelle – pour la Belgique ». -

la technologie doit-elle être un but en soi ou un moyen d’améliorer la société ? En matière électorale, la technologie, si elle est utilisée, doit être au service d’élections libres et transparentes, garantissant le secret du vote, l’égalité d’accès au vote, la transparence et le contrôle des résultats et le principe « un homme, une voix. » Ces principes sont inaltérables, quelle que soit la méthode de vote utilisée.

• Un dépouillement du vote plus rapide, plus efficace et davantage fiable : en un peu moins de 20 ans d’expérimentation et 12 élections, l’expérience a montré que le système de vote automatisé tel que pratiqué en Belgique ne rend le dépouillement ni plus rapide, ni plus fiable. Ainsi, lors des dernières élections fédérales en juin 2010, les résultats des cantons bruxellois ont été connus bien après la plupart des autres résultats. Aux élections communales et provinciales 2006, les résultats dans l’arrondissement de Liège ont été communiqués à presque minuit, soit bien après la clôture des opérations de dépouillement dans les cantons où le vote traditionnel était d’application. Par ailleurs, en ce qui concerne la fiabilité des résultats, il suffit de rappeler l’expérience de Schaerbeek en 2003, où un candidat a été crédité de 4.096 voix de préférence en trop. Après enquête, les experts ont conclu que « l’erreur pouvait probablement être attribuée à une inversion spontanée d’une position binaire dans la mémoire vive du PC. » Ce qui est inquiétant, c’est que la détection de ce genre d’erreurs ne tient qu’à ce qu’elles sont aberrantes. Lorsque les chiffres électoraux sont « plausibles », aucune vérification n’est effectuée et les résultats sont validés. Enfin, on peut encore citer en 2009 l’exemple de ces électeurs européens qui ont reconnu avoir pu voter pour des candidats aux élections régionales, en toute illégalité ! A ce risque important de manque de fiabilité des résultats s’ajoutent de nombreux petits problèmes techniques (crayons optiques défectueux, pannes de courant, blocage des cartes magnétiques dans les machines,…) qui ont parfois provoqué de longues files d’attente dans les bureaux de vote. • Une diminution du nombre d’assesseurs : est-ce un objectif louable en démocratie ? N’est-il pas sain que les citoyens contrôlent eux-mêmes la procédure électorale ? Par ailleurs, si le vote électronique requiert moins d’assesseurs, il les mobilise plus longtemps puisque les bureaux de vote sont ouverts jusqu’à 15 heures (16 heures à Bruxelles) au lieu de 13 heures dans les bureaux utilisant le vote traditionnel.

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Rapport disponible sur : http://www.ibz.rrn.fgov.be/fileadmin/user_upload/Elections/fr/presentation/bevoting1_fr.pdf

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• Une diminution des coûts : il est évident que l’objectif fixé en 1991 de diminuer le coût des élections est un échec. En 2008, le Ministre de l’Intérieur a reconnu au Parlement fédéral que le vote électronique coûte trois fois plus cher que le vote traditionnel, soit environ 4,5 € par vote contre 1,5 € pour le vote papier. • L’inconvénient des bulletins trop grands : des solutions « traditionnelles » existent pour répondre à cette remarque, comme l’agrandissement des isoloirs ou la diminution des caractères d’écriture avec mise à disposition de loupes pour les personnes à la vue déficiente. A la lumière de ces quelques considérations, on peut sans se tromper affirmer que le vote électronique a manqué ses objectifs. A l’exception de l’introduction des technologies dans le processus électoral – mais, comme on l’a vu, on peut remettre en cause la légitimité de cet objectif – il apparait que les objectifs de fiabilité, de rapidité, de contrôle démocratique et de diminution des coûts n’ont pas été atteints.

2. Le vote électronique est-il démocratique ?5 La Belgique est une démocratie représentative, ce qui signifie que l’essentiel du pouvoir politique est détenu par des personnes élues qui représentent la population. Cela nous distingue du système de démocratie directe. Ce sont donc les élections qui fondent la légitimité démocratique des élus qui représentent l’ensemble des citoyens : ainsi, au terme d’une mandature – généralement de 4, 5 ou 6 ans – la population procède à l’élection de ses représentants. Pour assurer le caractère démocratique des résultats des élections, des règles transparentes et contraignantes sont établies, permettant à chacun de constater que les résultats reflètent bien le choix librement exprimé des électeurs. Le respect de ces règles est une condition absolue de la légitimité des élus. Concrètement, chacun doit être en mesure de s’assurer : 1. que l’électeur vote librement ; 2. que le vote de chaque électeur ne puisse être connu : c’est le secret du vote ; 3. que chaque électeur ne bénéficie que d’une et d’une seule voix ; 4. que chaque vote émis conformément à la loi est pris en compte lors de la totalisation des résultats. Pour que ce contrôle par l’électeur soit possible, le Code électoral prévoit à chaque stade des opérations électorales, de la constitution des listes à la validation des résultats finaux, un contrôle par les citoyens-électeurs eux-mêmes. C’est le rôle des présidents et assesseurs des bureaux de vote et de dépouillement, généralement tirés au sort ou désignés au sein de la magistrature, ainsi que des témoins désignés par les partis politiques. Dans le cadre du vote automatisé, on est en droit de se poser la question suivante : le vote électronique respecte-t-il les critères du vote démocratique ?

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Voir notamment Pascal DELWIT, Erol KUHLACI, Jean-Benoit PILET, Le Vote électronique en Belgique : un choix légitime ?, Gand, Academia Press, 2004.

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• L’électeur vote librement : dans le système de vote électronique tel qu’on le connait en Belgique, on peut penser que le vote reste libre. Néanmoins, la liberté de vote n’est-elle pas altérée lorsque le medium du vote n’est pas compris ou est difficilement accessible par une partie de la population ? Alors que la fracture numérique est toujours une réalité, certains s’inquiètent de la liberté de vote de personnes âgées ou moins éduquées. Ainsi, Jean-Thierry Debry6 met en cause certaines modalités techniques du vote électronique (taille et design des écrans, impossibilité d’avoir une vue d’ensemble des listes) comme entraves à la liberté de vote. • Le secret du vote : physiquement, il est clair que le vote électronique respecte le secret du vote : l’électeur se retrouve seul dans un isoloir, personne ne peut le surveiller. Néanmoins, d’un point de vue technique, l’électeur n’a pas l’assurance que son vote n’est pas nommément enregistré, vu qu’il ne connait pas ce qu’il se passe à l’intérieur de l’ordinateur. Par ailleurs, Jean-Thierry Debry7 fait remarquer que « dans le cas d’incidents techniques, ou lors des opérations de vérification effectués au contentieux post-électoral, la prise de connaissance des résultats d’un seul bureau reste possible… », rompant ainsi le secret du vote. • Un homme = une voix : a priori, le système de vote électronique utilisé en Belgique respecte bien la règle d’un homme, une voix. Mais une nouvelle fois, seuls des informaticiens peuvent attester que chaque électeur a une et une seule voix. • Chaque vote émis conformément à la loi est pris en compte dans la totalisation des résultats : le respect de ce critère est sans doute l’un des plus problématiques dans le cas du vote électronique. Les erreurs pointées du doigt lors de chaque élection, erreurs détectables parce que politiquement peu plausibles, laissent à penser que de nombreuses « petites » erreurs passent inaperçues dans la totalisation des résultats. Certes, le dépouillement du vote papier traditionnel n’est pas à l’abri d’erreurs de comptage mais la présence humaine nombreuse lors de l’opération nous permet de croire que les votes mal comptabilisés se comptent sur les doigts d’une main. Le vote électronique permet-il le contrôle par l’électeur ? Ce n’est donc pas tant sur le respect des critères de base qui donnent à l’élection son caractère démocratique que sur la possibilité de contrôle du respect de ces critères que se situe le problème du vote automatisé. En effet, contrairement au vote traditionnel où le contrôle ne nécessite aucune expertise technique et est donc accessible à tous les citoyens, le contrôle dans le système de vote électronique est laissé à des spécialistes. Comme l’écrivent des membres de POUREVA – Pour une Ethique du Vote Automatisé8 – dans une carte blanche publiée dans La Libre Belgique du 4 juin 2010, « quand l’organisation et le contrôle des opérations électorales sont réservés à des spécialistes, la technocratie remplace la démocratie et les citoyens deviennent des « consommateurs d’élections ». Cette banalisation de l’acte de choisir ses représentants politiques, rabaissé au niveau d’un sondage d’opinion ou 6

Jean-Thierry DEBRY, Le vote électronique en procès, Revue belge de droit constitutionnel, n°4, 2001, pp.475-512. 7 Ibid. 8 Voir site Internet: www.poureva.be

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d’un retrait d’argent à un terminal bancaire est aussi une catastrophe en matière d’éducation politique des jeunes car ils reçoivent le message suivant : les élections aussi sont une affaire de spécialistes. » Pour Jean-Thierry Debry, « L’indépendance des experts est mis en cause, […], et l’exercice efficace du droit d’accès aux programmes informatiques suppose quelques connaissances particulières. »9 En cas d’incident lors du vote sur papier (rature, demande de changement de bulletin, bulletin déchiré, etc.), le président de bureau, ses quatre assesseurs et les éventuels témoins de parti peuvent tous « réparer » les erreurs, selon les procédures strictement établies par le Code électoral. Idem pour les erreurs de comptage lors du dépouillement : les bulletins papier seront simplement recomptés et les opérations de dépouillement ne se clôtureront que lorsque le nombre de voix attribués à chaque parti correspondra au nombre d’électeurs ayant voté. A contrario, dans le cadre du vote automatisé, le contrôle des opérations de vote et de dépouillement devient une affaire de spécialistes. A moins d’être des informaticiens rompus aux logiciels utilisés dans le cadre des élections belges, ni le président du bureau, ni les assesseurs, ni les témoins de partis ne peuvent intervenir en cas d’incident et contrôler si les opérations afférentes au vote et au dépouillement se déroulent correctement. Le contrôle devient une affaire de spécialistes et les élections perdent donc de leur caractère démocratique. Par ailleurs, il s’avère que la législation fixant les procédures sensées assurer la transparence et l’équité du scrutin est incomplète et plus laxiste que celle régissant le vote papier traditionnel. Ainsi, Anne-Emmanuelle Bourgaux relève que « même si les bureaux de vote et les bureaux principaux doivent être conçus de manière à garantir non seulement le secret du vote mais aussi la fiabilité et la sécurité du système automatisé, il reste que la législation belge ne définit pas les conditions minimales auxquelles ces deux types de bureau doivent précisément se conformer. »10 De plus, les rapports établis sur la pratique du vote électronique après chaque élection dénoncent le fait que le vote électronique est très souvent pratiqué sans que soient respectées les quelques procédures prescrites, supposées garantir la sécurité du système.

3. Le vote électronique a-t-il une influence sur le vote de l’électeur ? D’après une étude de la VUB réalisée entre 1995 et 199911, le vote électronique peut avoir une incidence sur le comportement de l’électeur : la position du nom du candidat sur l’écran de l’ordinateur de vote est importante. Selon les auteurs, « les hommes politiques qui dans la procédure de vote automatisé sont placés en haut d’une colonne ou en bas de celle-ci récoltent un nombre relativement plus important de voix de préférence. » Ainsi, lorsque le vote est automatisé, il vaut mieux être candidat en haut de la liste. 9

Jean-Thierry DEBRY, Le vote électronique en procès, Revue belge de droit constitutionnel, n°4, 2001, pp.475-512. 10 Anne-Emmanuelle BOURGAUX, Le vote automatisé: du mythe de Prométhée à celui de Frankenstein, in Les élections dans tous les états. Bilan, enjeux et perspectives du droit électoral, Bruxelles, Bruylant, 2001, p.180. 11 Kris DESCHOUWER, Johan BUELENS, Bruno HEYNDELS, De Invoering van het elektronisch stemmen in 1995 en 1999 – De Impact van het stemgedrag en op de verkiezinguitslag, 1 mai 2000, non publié.

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Le vote électronique oblige également l’électeur à déterminer préalablement la liste de son choix avant de pouvoir sélectionner un candidat. A Bruxelles, il est même obligé de choisir préalablement le collège francophone ou néerlandophone. Il s’agit de contraintes qui peuvent avoir une influence sur le vote. Le vote électronique aurait également une influence sur le nombre de vote valables. Ceux-ci ont augmenté de manière significative. L’explication réside dans le fait que, bien qu’il soit toujours possible de ne plus émettre un vote (vote blanc), il n’est plus possible d’émettre un vote nul. L’étude indique enfin que le vote électronique n’a aucune influence sur le taux de participation des électeurs.

C. Le système belge répond-il aux recommandations du Conseil de l’Europe ? Alors qu’au cours des années 1990, de nombreux Etats européens envisageaient le vote électronique comme un moyen de moderniser les démocraties et d’intéresser ainsi davantage les citoyens aux processus électoraux et aux enjeux politiques, le Conseil de l’Europe a plutôt considéré que, bien que les avantages du vote automatisé puissent être réels, celui-ci comportait des risques qu’il convenait d’encadrer par un certain nombre de normes qui pourront être utilisées comme base de référence par les Etats membres souhaitant lancer des programmes de vote électronique. Ainsi, le 30 septembre 2004, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a adopté la Recommandation Rec(2004)11 du Comité des Ministres aux Etats membres sur les normes juridiques, opérationnelles et techniques relatives au vote électronique.12 Parmi les 112 normes adoptées et qui concernent notamment la sécurité, la fiabilité, la transparence et l’accessibilité du système ainsi que le respect des exigences en matière de vote démocratique, le Consortium universitaire, dans son rapport « Be Voting »13, a constaté que « le système de vote électronique belge répond à de nombreuses exigences établies par le Conseil de l’Europe en 2004. Toutefois, nombre de manquements [aux exigences du Conseil de l’Europe] ont été constatés », notamment en ce qui concerne l’impossibilité de « deuxième dépouillement » lorsque l’intégrité des votes électroniques est mise en doute et la possibilité d’une « observation des élections » par les citoyens. Le rapport du Consortium mettait également en exergue les violations des recommandations suivantes : • Les informations relatives au processus de vote devraient être contenues dans un document unique, officiel et facilement accessible (compréhensible). Il faudrait toutefois mettre l’accent sur le fait que la production d’un tel document

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Cette recommandation est disponible à l’adresse suivante : http://www.coe.int/t/f/projets_integres/democratie/02_activit%E9s/02_vote_%E9lectron ique/01_recommandation/00Rec(2004)11_FR.asp#TopOfPage 13 Rapport disponible sur : http://www.ibz.rrn.fgov.be/fileadmin/user_upload/Elections/fr/presentation/bevoting1_fr.pdf

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serait plus aisée si le cadre légal concernant les élections (électroniques) était suffisamment stable (ce qui n’a pas toujours été le cas par le passé) ; il faudrait s’assurer que les communes entrainent effectivement les électeurs de manière satisfaisante à utiliser les machines de vote automatisé ; il faudrait s’assurer que le comité d’experts dispose du temps et des moyens nécessaires pour mener à bien son travail et que le travail est réalisé correctement ; une procédure de deuxième dépouillement devrait être possible lorsque l’intégrité des votes électroniques enregistrés est mise en doute ; la qualité de la documentation technique pour le logiciel de vote électronique devrait être améliorée ; les machines de vote devraient s’autotester périodiquement pendant la période du scrutin ; le système de vote automatisé devrait générer des observations fiables et suffisamment détaillées de manière à ce que l’observation des élections puisse être poursuivie ; le système de vote électronique aurait dû avoir été élaboré en même temps qu’un système d’audit complet, mais par des équipes différentes se basant sur le même ensemble de dispositions (pratique de génie logiciel standard) ; l’accent devrait davantage être mis sur la nécessité de conserver les votes secrets.

D. La situation dans les pays européens En Europe, les deux seuls pays qui utilisaient à grande échelle des systèmes de vote automatisé étaient la Belgique et les Pays-Bas. Les Pays-Bas ont décidé en octobre 2007 d’abandonner leur système, qui s’appliquait à 90 % des électeurs, pour retourner au vote traditionnel papier à partir des élections européennes de 2009. Cette décision a été prise suite à la publication d’un rapport parlementaire qui concluait que le système de vote utilisé au Pays-Bas (différent du système belge) n’était ni fiable ni contrôlable de manière efficace. Par ailleurs, le rapport estimait que le secret du vote n’était pas garanti dans la mesure où, chaque ordinateur émettant des ondes radios visibles sur un écran à distance, le vote de tout électeur pouvait être facilement connu. En Allemagne, le vote automatisé concernait environ 5% des électeurs dans la région de Cologne. En 2005, la Cour constitutionnelle l’a déclaré contraire à la Constitution car il ne permettait pas le contrôle des opérations électorales par les électeurs. En France, où environ 3% des électeurs votent encore électroniquement, le Ministère de l’Intérieur a interdit en 2008 aux communes d’investir dans les machines à voter. En effet, en 2007, lors du premier tour des élections présidentielles, les machines à voter ont suscité la méfiance de nombreux électeurs et ont souvent occasionné des problèmes d’utilisation, allongeant fortement les files d’attente. Cela a incité plusieurs maires à supprimer ce mode de scrutin dès le second tour de cette élection. En Italie, toutes les expérimentations ont été abandonnées suite au scandale qui a éclaté concernant des manipulations malveillantes lors des opérations de

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totalisation automatisée des votes en 2006 (des votes blancs auraient été ainsi transformés en votes en faveur de Silvio Berlusconi). En Irlande, après quelques années d’expérimentation et malgré l’opposition d’un nombre grandissant de citoyens et de parlementaires, le Gouvernement avait acheté 7.500 ordinateurs de vote, pour un montant de 52 millions d’euros en vue des élections de 2004. Suite à une levée de boucliers de l’opposition parlementaire et à deux rapports accablants de la « Commission on Electronic Voting » (formée à l’initiative du Parlement), ces machines n’ont jusqu’ici pas été utilisées et ne le seront probablement jamais. La Grande-Bretagne et la Finlande ont également renoncé au vote électronique après des essais jugés non concluants. Dans les autres Etats de l’Union, le vote électronique n’est utilisé qu’à titre expérimental, sur une très petite échelle, ou pas utilisé du tout. La Belgique est désormais largement isolée dans sa volonté de poursuivre dans la voix du vote électronique.

E. Le rapport interuniversitaire et les systèmes de vote proposés En décembre 2007, le rapport « Be voting », résultat d’une étude interuniversitaire commanditée par les gouvernements fédéral et régionaux, est publié. Assez étonnamment, alors que le consortium a été chargé de « procéder à une étude comparative indépendante des systèmes de vote utilisés », le rapport est intitulé « Etude des systèmes de vote électronique » et écarte sans aucune explication l’examen de tout système de vote manuel. Ce rapport est toujours utilisé aujourd’hui pour justifier la volonté de poursuivre les expérimentations en matière de vote électronique. Le consortium a étudié cinq systèmes de vote électronique et a marqué sa préférence pour un système amélioré de vote à l’aide de bulletins en papier.

1. Système amélioré de vote à l’aide de bulletins en papier C’est la formule qui recueille les faveurs du consortium. A. Déroulement des opérations de vote • L’électeur se rend au bureau de vote qui lui a été désigné sur sa convocation. Il est identifié sur la liste des électeurs et il reçoit un jeton de vote14, qui doit être utilisé dans l’isoloir pour amorcer le processus de vote électronique à l’aide de l’ordinateur de vote.

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• •

Il existe deux options pour le jeton de vote : le jeton de vote est indépendant du bulletin de vote : il est réalisé par une carte à puce qui doit être insérée par l’électeur dans le lecteur de cartes à puce de l’ordinateur de vote pour amorcer le processus de vote ; le jeton de vote est réalisé par le bulletin lui-même : dans ce cas, l’électeur introduit le bulletin vierge reçu du président du bureau de vote dans l’imprimante de l’ordinateur de vote pour amorcer le processus de vote.

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• L’électeur rentre dans l’isoloir et introduit ce support dans la machine à voter, ce qui initie la session de vote. La manière d’émettre son vote sur l’écran de l’ordinateur est identique à celle actuelle, si ce n’est que l’indication du candidat choisi se fait au moyen d’un écran à contact qui ne requiert plus l’utilisation d’un crayon optique. • Après avoir fait son choix, l’électeur reçoit alors un bulletin papier émis par une imprimante qui reprend de manière visible tous les candidats choisis ainsi qu’un code-barres ou une puce électronique. L’électeur peut ainsi vérifier que la machine à voter a enregistré de manière correcte son vote. • L’électeur plie ensuite son bulletin afin que les noms des candidats ne soient plus visibles à l’œil nu. Il sort de l’isoloir et remet son bulletin au président qui vérifie qu’aucune marque n’est inscrite dessus. L’électeur glisse ensuite son bulletin dans l’urne. A l’issue de la période dévolue au vote, les résultats des scrutins sont produits par la procédure suivante : •

L’urne d’un bureau de vote est transportée au Centre de Lecture de Bulletins associé à ce bureau de vote. Le personnel du Centre de Lecture de Bulletins vide les urnes qu’il reçoit et mélange leurs contenus de façon à rompre tout ordre chronologique correspondant à l’ordre d’insertion des bulletins dans les urnes. Ensuite, ce personnel effectue la lecture des informations chiffrées contenues dans la partie traitable par ordinateur de chaque bulletin de vote. Des témoins vérifient que la partie traitable par ordinateur de chaque bulletin est effectivement lue.

Une fois les bulletins lus, le Centre de Lecture de Bulletins transmet l’information chiffrée lue à partir des bulletins de vote au Centre de Déchiffrement de Bulletins qui lui est associé.

Le Centre de Déchiffrement de Bulletins déchiffre les votes à l’aide d’une clé de déchiffrement appropriée à l’information reçue et envoie les votes déchiffrés au Premier Centre de Totalisation où les résultats partiels des scrutins sont tabulés.

Ces résultats sont propagés vers les Centres de Totalisation de plus haut niveau pour contribuer aux résultats finals. Le nombre de ces Centres de Totalisation n’est pas fixé, mais le rapport présente au moins 3 niveaux : Premier (recouvre une ou plusieurs communes), Second (recouvre une partie du territoire) et Final (recouvre l’ensemble du territoire national).

Le Consortium appelle ce système « système amélioré de vote à l’aide de bulletins en papier » parce que la procédure est très proche de celle utilisée avec des bulletins de vote traditionnels, à ceci près que les bulletins ne sont pas remplis manuellement, mais bien à l’aide d’un ordinateur de vote. L’amélioration provient (toujours selon le Consortium) du fait que les bulletins ne doivent pas être dépouillés et comptés manuellement car ils comportent une représentation du vote émis traitable par ordinateur, permettant ainsi un traitement automatisé. A l’exception du passage des codes-barres sous les lecteurs à réaliser par des assesseurs, le processus de comptage des bulletins est automatisé et réalisé sous format numérique. Dans son rapport, le consortium fournit une estimation du prix d’un tel matériel mais uniquement pour le hardware. Cela varie entre 550 euros à 2.520 € par isoloir :

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ordinateur : entre 150 et 320 euros pièce (selon le type de PC) ;

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écran tactile : 200 euros pièce ;

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imprimante : entre 200 et 2.000 euros.

Il faut également rajouter à cela le coût des lecteurs de codes à barres ou des lecteurs de puces RFID (prix non précisé dans le rapport), ainsi que des softwares (logiciels d’utilisation, non précisé également). B. Les interrogations et critiques de ce système De nombreuses interrogations et critiques peuvent être posées sur le système proposé. •

La première critique est méthodologique : il n’y a aucune évaluation critique du système retenu. Le Consortium a étudié cinq systèmes de vote électronique différents. Il recommande un système amélioré de vote à l’aide de bulletin papier mais cette préférence n’est en aucune manière justifiée ou soutenue par un argumentaire rigoureux à charge et à décharge. Tout au plus, est-il confronté mécaniquement aux exigences du Conseil de l’Europe.

Le manque de transparence. L’impression d’un ticket réduit la crainte que peut avoir l’électeur quant à la fiabilité de l’enregistrement de son vote. Mais il ne la réduit qu’en partie. En effet, dans le système proposé, il n’est pas possible de vérifier que le code barres qui sera scanné traduit fidèlement le vote exprimé. Seul un recomptage a posteriori permettrait de comparer les résultats scannés avec ceux contenus sur le ticket. Or les critiques suivantes démontrent qu’un tel recomptage est peu fiable.

La validité des bulletins récoltés. Le président du bureau de vote vérifie que les faces visibles du bulletin plié ne comportent aucune marque susceptible d’identifier l’électeur. Par contre, aucune vérification de la partie cachée du bulletin n’est effectuée au moment du scannage des codes barres. Des bulletins a priori nuls (parce que contenant une marque non autorisée à l’intérieur de la partie cachée) seront comptabilisés comme valables.

Priorité aux codes barre scannés ou à la trace papier ? En cas de contestation des résultats, quelle sera la formule qui fera foi ? Quel statut accorder aux éventuels bulletins qui contiendraient des inscriptions à l’intérieur de la partie cachée : seront-ils considérés comme nuls ou valables ?

Le contrôle démocratique. Ce système fait apparaître de nouveaux types de bureaux (centres de lecture, de déchiffrement,…). Le rapport ne précise pas quel contrôle démocratique sera exercé dans ces bureaux. Il est question d’ « observateurs indépendants », de « vérificateurs » ou d’ « administrateurssystèmes » dont il n’est pas dit comment ils seront choisis. Il est par contre à craindre que ces rôles ne pourront être remplis que par des experts en informatique, ce qui est difficilement compatible avec cette exigence démocratique d’un contrôle effectif de l’ensemble des opérations électorales par les citoyens électeurs eux-mêmes.

Le coût. Il n’est pas possible d’obtenir une estimation précise du coût de l’équipement d’un bureau de vote. Cependant, compte tenu du fait que ce système requiert davantage de matériel que le système utilisé jusqu’à présent (imprimantes, lecteurs optiques,…), la probabilité est grande qu’il s’avère encore plus coûteux. Le Ministre de l'Intérieur avait prévu, en cas d’utilisation de ce

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système a grande échelle, un budget de 14,5 millions d’euros. Cette partie ne représente que les 20% du cout global estimé à 72,5 millions d’euros, le solde étant à charge des communes. Il faut en outre noter que l’Inspection des finances a estimé qu’il n’était pas exclu que ce coût soit plus élevé. Un système similaire de vote avec « ticketing » (vote automatisé avec production d’un bulletin papier) a été expérimenté en 2003 dans les cantons de Verlaine et Waarschot. Cette expérience a été un échec. Comme l’indique l’ASBL « Poureva », le « ticketing » s’est avéré être un système plus lent que le vote électronique sans ticket15. Le type de tickets utilisés en a rendu le comptage extrêmement fastidieux. Ainsi, fait extrêmement étonnant dans une démocratie, on peut lire dans le rapport d’évaluation que « dans l’un des deux cantons concernés, celui de Waarschoot, le comptage manuel a donné des résultats différents de la totalisation électronique. L’expérience n’est pas concluante dans la mesure où la conception et la forme des tickets n’ont pas permis d’effectuer le comptage manuel conformément aux prescriptions légales ». Le collège d’experts conclut donc, sans aucun argument à l’appui, que « les résultats des opérations de dépouillement manuel des tickets ne peuvent être considérés comme fiables et que les résultats de la totalisation automatisée peuvent être considérés comme les plus fiables ». Le Député Geert Bourgeois avait introduit une requête pour faire revoter mais il fut débouté. Par ailleurs, Poureva fait également remarquer que la loi organisant cette expérimentation organisait le viol du secret du vote puisque, dans le cas où l’électeur constatait que les votes qui apparaissaient sur l’écran ne correspondaient pas à ceux qui figurent sur le ticket, il était obligé de faire constater cette différence par le président du bureau de vote pour obtenir le droit de revoter. Enfin, à titre indicatif, il faut noter que le coût du système utilisé en 2003 à Waarschoot et à Verlaine a été évalué à 13,5 euros par scrutin et par électeur, contre 1,5 euro pour le vote papier. Certes, ce coût élevé s’explique en partie par le faible nombre de cantons concernés mais c’est loin d’être la seule raison…

2. Système de vote à lecture optique directe des bulletins de vote Dans ce type de système de vote, l’électeur marque manuellement ses choix sur un bulletin en papier et c’est le bulletin tout entier (et non pas, par exemple, un code à barres) qui est soumis à la lecture optique. C’est pour cela que l’on parle ici de lecture « directe ». L’existence des bulletins en papier permet de détecter d’éventuels problèmes si l’on compte les bulletins manuellement et si on compare les résultats avec ceux obtenus par le traitement automatisé. La lecture optique peut être réalisée à différents moments : • L’isoloir est équipé d’un lecteur optique et d’un écran de visualisation. L’électeur peut alors effectuer lui-même la lecture optique de son bulletin de vote. L’écran affiche ensuite l’image lue et l’ensemble de votes détecté par le logiciel. Si l’ensemble de votes est non valide (par exemple : votes dans plusieurs listes), l’ensemble de votes et le bulletin sont annulés et l’électeur est prié de demander un nouveau bulletin et de recommencer le processus. Si l’ensemble de votes détecté est accepté comme étant valide et si l’électeur constate que l’ensemble 15

http://www.poureva.be/spip.php?article660

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de votes correspond effectivement aux votes émis, il confirme son vote ; si ce n’est pas le cas, il signale une erreur de lecture optique aux membres du bureau de vote et il recevra un nouveau bulletin pour recommencer dans un autre isoloir. • L’isoloir n’est pas équipé d’un lecteur optique: la lecture optique est effectuée par l’électeur dans le bureau de vote à l’aide d’un équipement disposé de manière à préserver le secret du vote. Cet équipement permet les mêmes vérifications que dans le cas précédent. • Ni l’isoloir ni le bureau de vote ne disposent d’un lecteur optique : la lecture optique est effectuée dans le Premier Centre de Totalisation après que les urnes aient été collectées et transportées dans ce Centre. Chaque fois que l’ensemble de votes détectés est non valide (par exemple : votes dans plusieurs listes), l’ensemble de votes et le bulletin sont annulés. Le lecteur possède deux bacs de sortis: un pour les bulletins valides, l’autre pour les bulletins non valides. Le Consortium n’a toutefois fourni aucune estimation du prix d’un tel système. Tout au plus le rapport prévient que « la conception, l’impression, la vérification, l’entreposage et la distribution des bulletins de vote est aussi coûteuse que dans le cas du vote traditionnel, ce qui ne permet pas une réduction significative des coûts (sauf les coûts de main d’œuvre du dépouillement) ». Si le Consortium entend par « vote traditionnel » le vote papier, la formule par lecture optique est alors une des moins chères parmi les systèmes de vote électronique examinés. Ce système a été testé en Belgique lors des élections de 1999, 2000 et 2003, dans les cantons de Chimay et Zonnebeke. Le Secrétaire d’Etat à la simplification administrative en avait tiré la conclusion suivante : le processus est limité techniquement. Afin de pouvoir être lus par les lecteurs optiques, les bulletins ne pouvaient pas comporter plus de 20 listes de candidats, avec un nombre limité de candidats par liste. Le système exigeait de plus un prétraitement manuel des bulletins afin d’éliminer les bulletins non valides avant la lecture optique. Cet inconvénient devrait néanmoins pouvoir être contourné grâce au progrès technologique, voire via des bulletins de vote adaptés au dépouillement. Toujours à titre indicatif, le coût s’élevait à 7,6 euros par scrutin et par électeur, mais de nouveau le coût élevé s’explique en partie par le faible nombre de cantons concernés.

3. Système « à clients légers » Ce système consiste en un ensemble de machines à voter reliées à un serveur local par un réseau local sécurisé et produisant, en option, une trace papier des votes exprimés. Cette trace papier permet à l’électeur de vérifier le contenu de son vote. Aucune manipulation de la trace papier par l’électeur n’est permise. Selon le Consortium, un inconvénient majeur du système de vote à clients légers est qu’il ignore un certain nombre de préoccupations légitimes du public au sujet du secret et de l’anonymat du vote. En effet, d’une part, les électeurs doivent introduire un jeton de vote, par exemple la carte d’identité électronique, dans un lecteur à l’intérieur de l’isoloir avant de pouvoir voter. D’autre part, le client léger situé dans chaque isoloir n’a pas de capacité de traitement local : il transmet toutes les informations à deux serveurs situés dans le bureau de vote. Cela signifie que les

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serveurs enregistrent à la fois le vote d’un électeur et son identité (si l’on utilise la carte d’identité électronique comme jeton de vote), mais qu’ils ne doivent en aucun cas établir de lien entre ces deux éléments. Ceci est difficile à réaliser en pratique et il sera difficile de prouver aux électeurs que l’anonymat est effectivement garanti. Un autre inconvénient de ce type de système est que les serveurs constituent un point d’échec unique. En particulier, si l’on connecte (dans une étape ultérieure) les serveurs à un réseau public, les serveurs constitueront une cible tentante pour des attaques susceptibles de paralyser le système. En ce qui concerne les coûts, il ne semble pas que le système de vote à clients légers soit beaucoup moins cher que les autres systèmes étudiés. Une estimation informelle a été demandée pour une configuration consistant en 22.000 isoloirs et 750 serveurs avec redondance (en incluant les licences des systèmes d’exploitation, mais en excluant la maintenance, le développement du logiciel, l’installation du matériel, le dispositif de pointage sur écran et les imprimantes). L’estimation mène à un coût de 570 euros par isoloir.

4. Système de vote à distance par l’Internet Ce système est l’équivalent électronique du vote postal dans la mesure où les électeurs peuvent exprimer leur vote depuis leur domicile, c’est-à-dire dans un environnement non supervisé. Selon le Consortium, seul un petit nombre de systèmes de vote à distance sécurisés ont été développés et ce, sur papier. Presque aucun de ces systèmes n’a été déployé en pratique. Les experts s’accordent pour affirmer que ces systèmes souffrent encore, techniquement, de maladies de jeunesse. Un tel système est envisagé par certains pour le vote des citoyens belges résidant à l’étranger et a même fait l’objet de deux propositions de loi16, en 2000 et en 2003, pour l’étendre à l’ensemble de l’électorat. Néanmoins, il pose question, notamment eu égard au respect de certains critères donnant au vote son caractère démocratique. Le point le plus problématique est évidemment qu’il est impossible de s’assurer que l’électeur vote librement. En effet, en cas de vote par Internet (mais également de vote par correspondance comme permis actuellement pour les Belges à l’étranger), il est impossible de s’assurer que les votes ont été émis librement car l’isolement de l’électeur au moment où il effectue son choix ne peut pas être prouvé. Par ailleurs, le vote par Internet pose également problème en ce qui concerne le contrôle du respect du principe un homme, une voix et de la bonne totalisation des votes : comme pour tout système de vote électronique, le contrôle sur le vote par Internet est laissé à des techniciens informatiques rompus au logiciel utilisé et n’est pas accessible à n’importe quel citoyen-électeur. Le rapport « Be Voting » lui-même indique qu’ « il subsiste des questions relatives à la coercition, à l’achat de votes, etc., qui sont difficiles à éviter quel que soit le système de vote à distance mis en place. »

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Propositions de loi déposée en 2000 par Alain Destexhe et Vincent Van Quickenborne et en 2003 par le seul Alain Destexhe.

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5. Système du « vote en kiosque » Dans ce système, l’électeur exprime son suffrage dans un environnement surveillé (par exemple : dans un isoloir situé dans un bureau de vote ou dans un bâtiment officiel) par le biais de machines à voter reliées à un réseau sécurisé de portée nationale. Le Consortium formule les mêmes critiques qu’à l’égard du vote par internet.

F. La proposition d’accord de coopération élaborée à la suite du rapport « Be Voting » En 2008, à la suite à la suite de la publication du rapport « Be Voting » du consortium d’universités, la Région bruxelloise a soumis au Conseil de l’Europe le texte du rapport. Celui-ci l’a analysé et a effectué un contrôle de la compatibilité des systèmes de vote électronique proposés dans l’étude avec sa recommandation de 2004. Sa conclusion fut sans concession : « aucun des systèmes proposés n’est entièrement compatible en ce qu’aucun d’entre eux ne répond à l’exigence démocratique d’une possibilité d’observation des élections par les citoyens ».17 Dans la foulée de ce rapport publié en février 2008, le Ministre de l’Intérieur a immédiatement souhaité approfondir les possibilités d’expérimenter le système de vote électronique amélioré à l’aide de bulletins papiers, tel que décrit dans le rapport « Be Voting ». Ainsi, une proposition d’accord de coopération entre l’Etat fédéral et les Régions, portant sur le développement d’un prototype, a été soumise par le Ministre de l’Intérieur au Conseil des Ministres. Celui-ci a alors demandé l’organisation d’un débat parlementaire sur le vote électronique avant un nouvel examen du dossier. 17 ans après les débuts du vote électronique en Belgique, un débat de fond avait enfin lieu au Parlement fédéral. Malgré les auditions d’une majorité d’experts condamnant le vote électronique, les députés ont souhaité majoritairement poursuivre l’expérience. Ainsi, une résolution relative à l’instauration d’un système de vote électronique amélioré18, déposée par le CD&V-NVA, le MR et l’Open VLD, a été adoptée par la Chambre le 10 juillet 2008. Cette résolution prône l’expérimentation « de système de vote électronique amélioré, dans le cadre duquel l’électeur recevrait une copie papier pour le contrôle de son vote, ou une autre expérience de vote automatisé ». L’objectif de la résolution était donc de poursuivre dans la voix de vote électronique préconisée par le consortium tout en renforçant les garanties de contrôle démocratique et en maitrisant le coût budgétaire global. En sens inverse, une proposition de résolution déposée par les députés PS André Frédéric et Eric Thiébaut demandant le retour au vote papier pour les élections

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Rapport disponible sur : http://www.ibz.rrn.fgov.be/fileadmin/user_upload/Elections/fr/presentation/Compliance_ Belgian_BeVoting_Rec_1_0_final_18_02_08.pdf 18 Résolution disponible à l’adresse : http://www.lachambre.be/FLWB/PDF/52/1278/52K1278001.pdf

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régionales et européennes de juin 200919 a été rejetée, seuls le PS et Ecolo y étant favorables (le CDH et le Vlaams Belang se sont abstenus). La volonté du Parlement fédéral était donc clairement de continuer dans la voie du vote électronique. Le Gouvernement a alors élaboré un projet d’accord de coopération en vue de lancer un marché public pour le développement d’un prototype basé sur le concept proposé par les universités accompagné d’une étude de faisabilité, notamment au niveau financier, et d’une étude environnementale. D’après le projet d’accord, les Régions prenaient à leur charge un tiers des coûts relatifs au prototype, le fédéral finançant le solde. Le Ministre de l’Intérieur a alors consulté les trois Régions afin de connaitre leur intention par rapport au projet d’accord de coopération. Les positions peuvent être résumées ainsi : -

le Gouvernement flamand a marqué son plein accord ;

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le Gouvernement bruxellois a souhaité organiser un débat parlementaire préalable à toute décision ;

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le Gouvernement wallon a émis de sérieuses réserves vis-à-vis du système proposé.

A ce jour donc, seule la Flandre a conclu avec le Fédéral un accord de coopération dans l’optique de lancer un appel d’offres pour le développement d’un nouveau système de vote, permettant le contrôle démocratique par impression de la preuve du vote. Le choix de l’adjudicataire n’a toutefois pas encore eu lieu. Au mieux, ce système pourra juste être testé dans quelques cantons lors des élections communales et provinciales de 2012, les élections fédérales ayant été anticipées en 2010. Par ailleurs, il reste beaucoup d’inconnues sur le respect par un tel système des principes du vote démocratique.

G. L’avenir du vote électronique en Belgique Le système en vigueur depuis 1994 a de nouveau été utilisé lors des élections régionales et européennes de 2009 et lors des élections fédérales anticipées de 2010. Aucune commune utilisant le vote électronique n’est retournée au vote papier malgré les craintes sur la fiabilité de machines jugées obsolètes depuis au moins 5 ans et le coût important de prolongation des contrats d’entretien et de maintenance. Comme lors de chaque élection précédente, le collège des experts a constaté de nombreux problèmes techniques tant au moment du vote que de la totalisation des résultats, le non respect des procédures légales et des retards dans la communication des résultats. La question reste donc entière aujourd’hui : quel est l’avenir du vote électronique en Belgique ? Lors du conclave budgétaire du 20 mars 2010, décidé avant la convocation d’élections anticipées, la Ministre de l’Intérieur avait obtenu un montant de 4.700.000 € consacré :

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Résolution disponible à l’adresse : http://www.lachambre.be/FLWB/pdf/52/1281/52K1281001.pdf

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à l’ « upgrading » des machinées utilisées actuellement en vue des élections fédérales qui devaient avoir lieu en juin 2011 ;

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au développement de nouveaux prototypes, dans la lignée des recommandations du Consortium d’universités, pour instaurer un système de vote électronique amélioré. Les modalités financières étaient fixées dans l’accord de coopération proposé en 2008 et jusqu’ici uniquement signé par la Flandre.

Toutefois, l’anticipation des élections législatives fédérales au 13 juin 2010 a quelque peu rebattu les cartes. La rapidité avec laquelle les élections ont du être organisées n’a permis aucune décision quant à l’avenir du vote électronique en Belgique. Tout juste le matériel électronique a-t-il fait l’objet d’un contrôle technique dans le courant du mois de mai et seules quelques machines le nécessitant ont été réparées, aux frais des communes concernées. Par ailleurs, si elles ne sont pas compétentes pour l’organisation des élections législatives fédérales et régionales, les Régions sont compétentes pour l’organisation des élections communales et provinciales. Elles peuvent donc imposer le choix du mode de vote pour les élections de 2012, qui devraient en théorie être les prochaines élections organisées dans notre pays. Dans un souci logique de cohérence, les choix qui seront posés par les Régions, en collaboration ou non avec le Fédéral, seront valables pour l’ensemble des élections. On voit en effet très mal une commune opter pour le vote papier aux élections communales – choix imposé par la Région par exemple – et pour un système de vote électronique aux élections fédérales et régionales – choix pris en concertation avec le gouvernement fédéral. Quelles sont les perspectives dans les trois Régions ?

1. En Région flamande Seule signataire de l’accord de coopération de 2008 avec l’Etat fédéral portant sur le développement de nouveaux prototypes de vote électronique, la Région flamande s’est clairement inscrite dans la poursuite du vote électronique, moyennant des améliorations relatives au contrôle et à la transparence du système. Rares sont les voix qui se font entendre contre la pérennisation du vote électronique et qui s’insurgent notamment contre son coût. Les partis à la pointe sur ce sujet sont le CD&V et surtout l’Open Vld, parti de la Ministre de l’Intérieur actuelle Annemie Turtleboom, qui voit dans le vote électronique l’opportunité de dynamiser notre démocratie en y intégrant l’utilisation de technologies modernes.

2. En Région wallonne Dans sa Déclaration de politique régionale, le Gouvernement wallon souhaite « mettre fin à l’expérimentation actuelle du vote électronique en Wallonie afin de renforcer le contrôle démocratique sur l’organisation des élections communales et provinciales. Le Gouvernement favorisera les types de votes traditionnels et étudiera la possibilité d’expérimenter des alternatives électroniques qui permettent

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de conserver les bulletins de vote papier afin de procéder, le cas échéant, à un comptage manuel avec témoins. »20 Le Gouvernement souhaite donc clairement en revenir au vote papier tout en laissant une porte ouverte à de nouvelles expérimentations garantissant le contrôle démocratique (exemple : stylo intelligent, lecture optique). Une première note a été déposée par le Ministre wallon en charge des Pouvoirs locaux, Paul Furlan, lors du Gouvernement du 10 juin 2010. En cette séance, le Gouvernement a marqué son accord, compte tenu de l’état du matériel de vote, amorti depuis 12 ou 16 ans, et de la déclaration de politique régionale, sur le retour au vote papier dans les 39 communes pratiquant actuellement le vote électronique. Conformément à la Déclaration de politique régionale, le Gouvernement a également décidé de tester une nouvelle alternative électronique dans quelquesunes de ces 39 communes, sans pour autant s’inscrire dans l’initiative fédérale dont le coût est aujourd’hui totalement inconnu. A la suite de cette décision de principe d’en revenir au vote papier et de développer dans quelques cantons une expérience pilote, le Gouvernement wallon a approuvé le 23 septembre 2010 un cahier des charges pour le développement d’un nouveau système de vote électronique qui permette de conserver les bulletins de vote papier afin de procéder, le cas échéant, à un comptage manuel avec témoins. La décision du Gouvernement wallon précise que cet éventuel nouveau système devra répondre, au minimum, aux critères suivants : -

être conforme aux prescriptions de la Recommandation du Conseil de l’Europe sur les normes juridiques, opérationnelles et techniques relatives au vote électronique, adoptée à Venise le 30 septembre 2004 ;

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permettre un véritable contrôle démocratique dans le chef de l’électeur et des opérateurs de scrutin ;

-

permettre un processus de recomptage ;

-

permettre à l’électeur de visualiser son vote avant et après sa validation.

Le résultat de l’appel d’offre sera connu en janvier 2011. A l’issue de cette procédure et lorsqu’il sera en possession de toutes les offres, le Gouvernement wallon se prononcera sur l’opportunité de la réalisation d’une expérience pilote et, le cas échéant, sur l’ampleur de cette expérience. Le coût des différentes formules proposées ainsi que le respect des critères susmentionnés seront déterminants dans la décision du Gouvernement. Rien n’indique donc à ce stade que la Wallonie tournera définitivement le dos, à partir de 2012 au système de vote automatisé. Une seule chose est certaine à ce stade : il sera bel et bien mis fin au système de vote utilisé depuis 1994, largement obsolète et objet de nombreuses critiques quant à sa fiabilité et à son absence de contrôle démocratique.

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La Déclaration de Politique régionale est disponible sur le site du Gouvernement wallon : http://gouvernement.wallonie.be/sites/default/files/nodes/story/838projetdedeclarationdepolitiqueregionalewallonne.pdf

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3. En Région bruxelloise Depuis 1999, l’ensemble des électeurs bruxellois votent de manière automatisée. Ce système était obligatoire jusqu’aux élections 2007 comprises. En l’absence d’accord sur le maintien à terme du vote électronique, les communes ont eu le choix de recourir au vote papier ou au vote automatisé pour les élections régionales de 2009. Toutes ont choisi de maintenir le vote électronique, avec un entretien des machines à leurs frais. L’anticipation des élections fédérales en juin 2010 n’a pas laissé le choix aux communes : le peu de temps laissé pour organiser les élections ne permettait pas de revenir au vote papier dans les meilleures conditions. Cette décision de 2009 de l’ensemble des bourgmestres de poursuivre avec le vote électronique actuel a été prise malgré la résolution votée par le Parlement bruxellois le 7 juillet 200621. Cette résolution demandait notamment au Gouvernement : - « de mettre en place des conditions générales de transparence applicables au vote automatisé. Ces conditions impliquent que le contrôle démocratique étatique et citoyen des opérations et des résultats électoraux soit rendu possible. Notamment le recomptage des résultats du scrutin sur la base d’un enregistrement papier du vote émis par le citoyen et vérifié par lui doit être prévu. […] - de prendre en charge le coût du matériel utilisé et de son renouvellement pour que ce dernier ne pèse pas sur les communes. » Pour l’avenir, le choix de recourir au vote électronique ou d’en revenir au vote papier n’est pas encore arrêté. La Déclaration de politique régionale 2009-201422 du Gouvernement bruxellois précise que le Gouvernement veillera à : « améliorer le contrôle citoyen en ce qui concerne le vote électronique pour les élections communales, voire supprimer ce dernier. » Une nouvelle résolution, reprenant en partie celle de 2006, a été adoptée lors de la séance plénière du 23 avril 2010. Cette résolution23 demande entre autre au Gouvernement : -

-

« de mettre en place un système de vote global pour les 19 communes dans le cadre des élections communales, qui réponde aux conditions générales de transparence et de sécurité, par le biais d’un système de vote électronique amélioré, voire de vote papier ; dans le cas où l’option du vote électronique est confirmée, que le contrôle démocratique étatique et citoyen des opérations et des résultats électoraux soit rendu possible, notamment via le recomptage des résultats du scrutin sur la base d’un enregistrement papier du vote émis par le citoyen, lequel doit être vérifiable par lui ;

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Cette résolution est disponible sur le site : http://www.weblex.irisnet.be/Data/crb/Doc/2005-06/110152/images.pdf 22 Accord de Gouvernement disponible sur : http://www.bruxelles.irisnet.be/cmsmedia/fr/acc_gouv_2009_2014.pdf?uri=ff808181229 f53450122a2e342de005b 23 Cette résolution est disponible à l’adresse : http://www.weblex.irisnet.be/crb/arr.asp?moncode=NF725&montitre=A-89/2-09/10

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à ce titre d’insister auprès du Gouvernement fédéral pour tester et financer dans au moins un canton bruxellois, […], un système pilote de vote électronique avec témoin papier rendant un recomptage physique possible ; de renforcer la position indépendante du tiers indépendant censé contrôler les firmes constructrices de logiciel. Le Collège des experts et les citoyens doivent avoir plein accès à l’ensemble des outils et informations dont disposent les firmes privées […] ; de négocier avec le Gouvernement fédéral le financement de l’acquisition éventuelle de nouveau matériel, afin d’éviter que ce dernier ne pèse uniquement sur les communes […]. »

A l’heure actuelle, la réflexion sur la poursuite du vote électronique n’est pas encore aboutie. La Conférence des bourgmestres de la Région de Bruxelles-Capitale s’est à plusieurs reprises positionnée en faveur du vote électronique, position qui pourrait en partie s’expliquer par le confort de l’habitude et les entraves techniques du retour au vote papier (construction de nouveaux isoloirs, salles de dépouillement, convocation de nouveaux assesseurs, etc.) En sens inverse, le Parlement et le Gouvernement seraient plutôt enclins à revenir au vote papier généralisé. En vue des élections 2012, la question promet des débats quelque peu houleux mais en tout état de cause, si le choix se porte sur le maintien du vote électronique, la Région bruxelloise s’inscrira dans l’initiative fédérale, à l’inverse de la Région wallonne. Le respect des critères de vote démocratique dépendra alors des conditions mises par le fédéral dans son cahier des charges.

Conclusion Force est de constater que le vote par voie électronique présente davantage de défauts que de qualités. Certes, en théorie, il permet une plus grande rapidité et une plus grande efficacité lors du dépouillement et nécessite un nombre moindre d’assesseurs lors des opérations de vote, mais son coût trois fois plus élevé que celui du vote papier, son manque de transparence et son absence de contrôle démocratique nourrissent de grandes réticences à son égard. Près de 20 ans après ses premiers pas dans notre pays, le vote automatisé est très loin de faire l’unanimité. Le vote électronique est aujourd’hui à la croisée des chemins. Alors que la plupart des pays qui l’ont expérimenté fait aujourd’hui marche arrière, l’Etat fédéral, ses Régions et ses communes s’interrogent sur l’opportunité de poursuivre l’expérience. Demain, deux systèmes de vote devraient se côtoyer dans notre pays. D’un côté, la Flandre – par adhésion idéologique – ainsi que la Région bruxelloise – davantage par pragmatisme – devraient poursuivre dans la voie du vote automatisé avec l’aide du Gouvernement fédéral. Malgré les doutes quant à son coût, à sa fiabilité et à sa contrôlabilité, un nouveau système de vote automatisé amélioré à l’aide de bulletins en papier devrait être expérimenté si pas en 2012, du moins lors des élections régionales et européennes de 2014. A l’inverse, la Région wallonne, où les réticences envers le vote électronique sont les plus fortes, devrait s’orienter vers le retour général du vote papier, avec néanmoins une possibilité de tester une alternative électronique permettant de conserver les bulletins de vote papier.

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Quel que soit le système de vote électronique qui remplacera – ou non – l’actuel système utilisé, il devra répondre à toutes les exigences d’un vote démocratique. Il devra non seulement garantir la liberté et le secret du vote, mais il devra également être contrôlable et contrôlé par le citoyen-électeur. Cette exigence ne pourra reculer devant aucun argument comme le bienfait des technologies ou la rapidité de la transmission des résultats. A défaut de réel contrôle démocratique, à défaut d’un système véritablement transparent, à défaut d’un coût intéressant pour les pouvoirs publics, le vote automatisé devra définitivement laisser sa place au vote traditionnel papier. Il s’agit là de respect de la démocratie.

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Annexe : Cantons et communes utilisant le vote automatisé en Wallonie

Canton électoral Frasnes-lez-Anvaing Lens

Aywaille

Bassenge

Eupen

Fléron

Grâce-Hollogne

Herstal Liège Saint-Nicolas Saint-Vith

Seraing Verlaine Visé

Durbuy

Commune Hainaut Frasnes-lez-Anvaing Lens Jurbise Liège Aywaille Comblain-au-Pont Esneux Sprimont Bassenge Juprelle Oupeye Eupen Kelmis Lontzen Raeren Fléron Beyne-Heusay Blégny Chaudfontaine Soumagne Trooz Grâce-Hollogne Awans Flémalle Herstal Liège Saint-Nicolas Ans Saint-Vith Amel Bullingen Burg-Reuland Butgenbach Seraing Neupré Verlaine Villers-le-Bouillet Visé Dalhem Luxembourg Durbuy

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