«âAmĂ©nagementCollectionlinguistiqueâ»
Robert Berrouët-Oriol
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti
Textes choisis
éditions zémÚs

LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti
Textes choisis
Illustration de la page couverture : tableau Rara, de Gérard Valcin 1982
Conception, couverture et mise en page : Jacky Russo
© Ăditions ZĂ©mĂšs S.A. & Ăditions du Cidihca bonjour@editionszemes.com
ISBN : 978-99935-41-18-9
Stock : LIT-177-324
DĂ©pĂŽt lĂ©gal, BibliothĂšque nationale dâHaĂŻti : 23-09-352
PrĂ©sentation de la nouvelle Collection « AmĂ©nagement linguistique » des Ăditions ZĂ©mĂšs
6
1
Le bilinguisme de lâĂ©quitĂ© des droits linguistiques en HaĂŻti : fondements constitutionnels et politique linguistique dâĂ©tat
Montréal, le 14 juillet 2024
2
LâamĂ©nagement du crĂ©ole en HaĂŻti aux cĂŽtĂ©s du français et en conformitĂ© avec la Constitution de 1987 : promouvoir un dĂ©bat rigoureux et rassembleur
Montréal, le 4 décembre 2023
3
Le « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl -fransĂš français -crĂ©ole », un outil dâapprentissage de haute qualitĂ© scientifique pour lâĂcole haĂŻtienne
Montréal, le 21 juin 2024
4
Konprann sa leksikografi kreyĂČl la ye, kote l sĂČti, kote l prale, ki misyon li dwe akonpli
Monreyal, 18 me 2024
5
La lexicographie créole en Haïti : retour -synthÚse sur ses origines historiques, sa méthodologie et ses défis contemporains
Montréal, le 11 décembre 2023
6
10
98
La problĂ©matique de lâamĂ©nagement et de la didactisation du crĂ©ole dans lâĂcole haĂŻtienne : promouvoir une vision rassembleuse
Montréal, le 17 novembre 2023
7
119
De la simultanĂ©itĂ© de lâamĂ©nagement du crĂ©ole et du français en HaĂŻti : un choix de sociĂ©tĂ© conforme Ă la Constitution de 1987
Montréal, le 7 novembre 2022
8
Le partenariat crĂ©ole -français, lâunique voie constitutionnelle et rassembleuse en HaĂŻti
Montréal, le 14 mars 2023
133
143
Présentation de la nouvelle Collection
« AmĂ©nagement linguistique » des Ăditions ZĂ©mĂšs
Au terme dâune ample rĂ©flexion, les Ăditions ZĂ©mĂšs sont particuliĂšrement fiĂšres dâannoncer la crĂ©ation de la « Collection AMĂNAGEMENT LINGUISTIQUE ». Cette nouvelle collection vient combler un vide puisque, sur le marchĂ© du livre haĂŻtien, il nây avait pas encore une collection dĂ©diĂ©e de maniĂšre spĂ©cifique Ă la problĂ©matique de lâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti. Cette collection, qui nâest pas seulement destinĂ©e aux seuls linguistes, innove Ă©galement sur le registre de la diffusion grand public puisquâelle sâadresse Ă des lectorats divers et entend leur apporter des ouvrages de rĂ©fĂ©rence dans les diffĂ©rents champs de lâamĂ©nagement des deux langues de notre patrimoine linguistique historique, le crĂ©ole et le français. Les objectifs de cette collection sont les suivants :
Objectifs de la « Collection AMĂNAGEMENT LINGUISTIQUE »
âą ProcĂ©der Ă lâinventaire dâarticles divers (Ă©tudes scientifiques, enquĂȘtes de terrain, textes de vulgarisation grand public) portant sur lâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti et portant Ă©galement sur des sujets liĂ©s Ă lâamĂ©nagement linguistique (dictionnairique, lexicographie françaiscrĂ©ole, lexicographie anglais-crĂ©ole, lexicographie crĂ©ole, didactique et didactisation du crĂ©ole, jurilinguistique).
âą Assurer une ample diffusion/rediffusion des textes rĂ©pertoriĂ©s auprĂšs de lectorats divers (enseignants, Ă©tudiants, directeurs dâĂ©coles, rĂ©dacteurs de manuels scolaires, cadres du ministĂšre de lâĂducation nationale, etc.).
⹠Contribuer par leur diffusion élargie à une meilleure connaissance des articles produits par des chercheurs reconnus et par des jeunes chercheurs formés dans les universités haïtiennes et ailleurs.
âą Promouvoir une meilleure comprĂ©hension de la problĂ©matique de lâamĂ©nagement des deux langues officielles dâHaĂŻti conformĂ©ment Ă la Constitution de 1987. Contribuer Ă la promotion dâune vision consensuelle et rassembleuse de lâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti. Le bilinguisme de l'Ă©quitĂ© des droits linguistiques en HaĂŻti : fondements constitutionnels et politique linguistique d'Ătat.
La politique Ă©ditoriale de la « Collection AMĂNAGEMENT LINGUISTIQUE » sâinscrit tout naturellement dans le prolongement de la politique du livre Ă©ducatif qui caractĂ©rise les Ăditions ZĂ©mĂšs depuis ses dĂ©buts.
Politique Ă©ditoriale de la Collection AMĂNAGEMENT LINGUISTIQUE
La politique Ă©ditoriale de la « Collection AMĂNAGEMENT LINGUISTIQUE » sâĂ©nonce en deux sĂ©quences liĂ©es. Dâune part rassembler des textes divers au titre de documents de rĂ©fĂ©rence et de rĂ©flexion sur lâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti. Dâautre part permettre Ă des lectorats divers de revisiter ces textes dans le but de contribuer Ă bĂątir un consensus national sur lâamĂ©nagement des deux langues officielles dâHaĂŻti conformĂ©ment Ă la Constitution de 1987. Les textes de la « Collection AMĂNAGEMENT LINGUISTIQUE » sont publiĂ©s en français et/ou en crĂ©ole.
La Collection accueillera Ă lâoccasion des textes rĂ©digĂ©s en anglais ou en espagnol et, autant que faire se peut, ces textes seront offerts en traduction crĂ©ole et française.
Modalités opérationnelles
La direction Ă©ditoriale et administrative de la « Collection AMĂNAGEMENT LINGUISTIQUE » dĂ©termine les thĂšmes et les modalitĂ©s dâĂ©laboration de chacune des publications : (1) publications thĂ©matiques ; (2) publications Ă sujets variĂ©s ; (3) publications de linguistes spĂ©cialistes de lâamĂ©nagement linguistique de pays tiers (QuĂ©bec-Canada, Maroc, Cameroun, Ăle Maurice, etc.). La direction Ă©ditoriale et administrative de la « Collection AMĂNAGEMENT LINGUISTIQUE » pourra conclure des ententes ponctuelles avec une institution nationale en vue de la prĂ©paration dâune publication thĂ©matique. Ă titre dâexemple, une entente ponctuelle pourra ĂȘtre conclue avec la FacultĂ© de linguistique appliquĂ©e
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis de lâUniversitĂ© dâĂtat dâHaĂŻti pour lâĂ©laboration dâune publication ciblant
Lâhistoire de la graphie des crĂ©oles Ă base lexicale française ou dĂ©diĂ©e Ă L'histoire de la lexicographie crĂ©ole de 1958 Ă 2024.
Le secrĂ©tariat de la Collection AMĂNAGEMENT LINGUISTIQUE
se trouve au siÚge social :
Ăditions ZĂ©mĂšs
3, rue de la PépiniÚre
FrÚres (Pétion-Ville)
HaĂŻti
Courriel : bonjour@editionszemes.com
La « Collection AMĂNAGEMENT LINGUISTIQUE », dans un esprit de dialogue constructif, sera ouverte aux Ă©changes avec ses lecteurs.
Bonne lecture,
Charles Tardieu, Ph.D. Directeur
1Le bilinguisme de lâĂ©quitĂ© des droits linguistiques en HaĂŻti : fondements constitutionnels et politique linguistique dâĂ©tat
Montréal, le 14 juillet 2024
« (...) nous nâavons pas Ă hiĂ©rarchiser les langues entre elles, bien au contraire. Nous devons ĂȘtre riches, concrĂštement ou poĂ©tiquement, de toutes les langues du monde. Aucune langue ne peut sâĂ©panouir seule, il lui faut le concert des autres langues quâelle invoque, quâelle accueille et respecte. (...) il nous faut abandonner lâimaginaire monolingue des colonialistes, pour tendre vers un imaginaire multi-trans-linguistique, qui nâa rien Ă voir avec une facultĂ© polyglotte, mais qui tend vers le dĂ©sir-imaginant de toutes les langues du monde, quâon les connaisse ou non. » â (« Nous devons ĂȘtre riches de toutes les langues du monde », par Patrick Chamoiseau, Le Courrier de lâUNESCO, 20 juin 2024)
LâidĂ©e dâĂ©laborer le prĂ©sent article provient en partie de la lecture dâun avis public paru dans lâĂ©dition du 9 juillet 2024 du journal Le National et elle est en lien avec la publication antĂ©rieure en HaĂŻti dâun livre mort-nĂ© traitant du statut du crĂ©ole. RĂ©digĂ© uniquement en français, lâavis public paru en page onze du National est fort intĂ©ressant. Il sâĂ©nonce comme suit : « URGENCES ! Au regard de la conjoncture, Le National et la Radio TĂ©lĂ© Pacific lancent un appel Ă lâaction pour adresser [sic] les points suivants : 01) Ătablissement dâun climat de sĂ©curitĂ© durable / 02) AmĂ©lioration des conditions de vie de la population / 03) Mise en place du CEP / 04) RĂ©vision constitutionnelle / 05) Organisation des Ă©lections pour le retour Ă lâordre constitutionnel / Le pays nâen peut plus ! ». Par-delĂ le caractĂšre manifestement kafkaĂŻen et erratique de cet Ă©noncĂ©, le fait quâil soit rĂ©digĂ© uniquement en français alors mĂȘme quâil sâagit dâun avis public induit un questionnement sur lâunilinguisme institutionnel de facto que lâon observe en HaĂŻti dans diffĂ©rents contextes dâinterlocution. Lâunilinguisme institutionnel renvoie Ă lâusage hĂ©gĂ©monique du français instituĂ©
en HaĂŻti dĂšs le 1er janvier 1804 : il consiste en lâinstitution par les PĂšres de la patrie de lâusage exclusif et dominant du français dans lâadministration de lâĂtat dĂšs sa fondation. Dans ce contexte lâunilinguisme institutionnel dĂ©signe, sur le plan historique, lâensemble des pratiques linguistiques administratives implicites mais gĂ©nĂ©ralisĂ©es du nouvel Ătat dont lâActe dâindĂ©pendance a Ă©tĂ© rĂ©digĂ© uniquement en français. La rĂ©volution anti-esclavagiste et anticolonialiste victorieuse de 1804 avait en effet investi les sphĂšres militaire et politique mais âpar lâadoption implicite du français comme langue de lâadministration du nouvel Ătatâ, elle a confĂ©rĂ© Ă la langue crĂ©ole, tĂŽt refoulĂ©e dans les mornes, le statut de langue soumise Ă une explicite minorisation institutionnelle. Pareille minorisation institutionnelle a confĂ©rĂ© au crĂ©ole les attributions de lâinvisibilitĂ© institutionnelle en faisant de cette langue la grande absente de la gestion des domaines relevant des prĂ©rogatives rĂ©galiennes de lâĂtat. Sur ce registre, lâhypothĂšse que nous avançons et qui devrait ĂȘtre, souhaitons-le, examinĂ©e de prĂšs par les historiens de concert avec les linguistes est la suivante : Ă la proclamation de lâIndĂ©pendance le 1er janvier 1804, HaĂŻti est tributaire de deux « rĂ©gimes linguistiques » diffĂ©rents mais liĂ©s : dâune part lâunilinguisme institutionnel francophone de facto et, dâautre part, lâunilinguisme non institutionnel des crĂ©olophones locuteurs majoritaires dans le nouvel Ătat. La minorisation institutionnelle du crĂ©ole couplĂ©e Ă lâusage dominant du français remonte donc aux premiers pas du nouvel Ătat en 1804, et lâinvisibilisation institutionnelle du crĂ©ole sâest depuis lors Ă©tendue et consolidĂ©e dans la totalitĂ© du corps social haĂŻtien. Cette configuration bipolaire de facto caractĂ©risera pour lâessentiel la situation linguistique dâHaĂŻti jusquâen 1987, annĂ©e de lâadoption de la nouvelle Constitution qui accorde aux deux langues de notre patrimoine linguistique historique, le crĂ©ole et le français, le statut de langues co-officielles.
Il y a quelques annĂ©es, un Ă©diteur, parĂ© des vertus curatives de la catĂ©chĂ©tique mais lourdement dĂ©pourvu des lumiĂšres des sciences du langage, a cru pouvoir faire Ă©cole en publiant aventureusement un livre intitulĂ© « Yon sĂšl lang ofisyĂšl » (Ăditions Kopivit / lâAction sociale, 2018). Dâune grande pauvretĂ© argumentative et intellectuelle, ce livre Ă©numĂšre moult sourates en une profession de foi dont la qualitĂ© premiĂšre est de dĂ©fier la moindre rigueur analytique au fil de ses 317 pages. Ă mi-chemin entre le catĂ©chisme dâautrefois et la lodyans contemporaine, « Yon sĂšl lang ofisyĂšl » toupille, tournoie, pirouette, claudique, virevolte et prĂȘche dâabondance
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis
le monolinguisme crĂ©ole. Il est attestĂ© que cet ouvrage a connu un vĂ©ritable « flop » et, mis Ă part lâaccueil complaisant dâun journaliste officiant sur les terres encombrĂ©es du plus ancien quotidien dâHaĂŻti, il est passĂ© inaperçu. Le constat est unanime : comme frappĂ© dâune salutaire mutitĂ©, le livre, dont lâauteur est lâĂ©diteur GĂ©rard-Marie Tardieu, nâa guĂšre retenu lâattention des linguistes et des enseignants et, de maniĂšre plus essentielle, il nâa Ă aucun moment contribuĂ© Ă Ă©clairer et Ă enrichir la rĂ©flexion sur lâamĂ©nagement du crĂ©ole Ă lâĂ©chelle du pays tout entier.
Si nous avons choisi de rappeler dans le prĂ©sent article lâacrobatique et chĂ©tive saga du livre « Yon sĂšl lang ofisyĂšl », ce nâest certainement pas en raison dâun appareillage argumentatif crĂ©dible dont il est pesamment dĂ©pourvu, ni pour dĂ©broussailler les herbes folles recouvrant le caveau dâun livre chu depuis 2018 dans les plissures de lâoubli. Nous avons choisi de cibler ponctuellement son Ă©phĂ©mĂšre apparition sur les radars du dĂ©bat dâidĂ©es parce que âsur les registres de lâunilinguisme institutionnel francophone de facto et de lâunilinguisme non institutionnel des crĂ©olophones â, ce livre tĂ©moigne de la perduration de lâ« idĂ©ologie linguistique haĂŻtienne ». Celle-ci a Ă©tĂ© auscultĂ©e de maniĂšre fort pertinente par le sociolinguiste et sociodidacticien Bartholy Pierre Louis et elle continue de se manifester sur le terreau encore fertile du confusionnisme et de lâessentialisme linguistique crĂ©olophile qui, en enfermant le crĂ©ole dans une sorte de mantra itĂ©ratif, en a fait un totem identitaire Ă gĂ©omĂ©trie variable et dont certains attendent en vain dâillusoires miracles. Ancien Ă©tudiant de la FacultĂ© de linguistique appliquĂ©e de lâUniversitĂ© dâĂtat dâHaĂŻti, Bartholy Pierre Louis est lâauteur dâune brillante thĂšse de doctorat soutenue avec succĂšs en 2015 Ă lâUniversitĂ© de Rennes 2, « Quelle autogestion des pratiques sociolinguistiques haĂŻtiennes dans les interactions verbales scolaires et extrascolaires en HaĂŻti ? : une approche sociodidactique de la pluralitĂ© linguistique ». Il explore au chapitre 4.3.1.3 de sa thĂšse (page 201 et suivantes), « LâidĂ©ologie linguistique haĂŻtienne : pour ou contre le français ? ». Ses observations de terrain et son analyse permettent de mieux comprendre ce quâil nomme trĂšs justement « lâidĂ©ologie linguistique haĂŻtienne » qui se caractĂ©rise, pour lâessentiel, par la primautĂ© des poncifs de lâidĂ©ologie sur lâanalyse basĂ©e sur les sciences du langage. « LâidĂ©ologie linguistique haĂŻtienne » est vĂ©hiculĂ©e principalement par des locuteurs bilingues français-crĂ©ole promoteurs dâun monolinguisme crĂ©ole sectaire et dogmatique qui, tout en tournant le dos Ă
la Constitution de 1987, militent pour la survenue en HaĂŻti de « Yon sĂšl lang ofisyĂšl » (« Une seule langue officielle ») et cette vision inconstitutionnelle traduit, surtout, le rachitisme de la « pensĂ©e linguistique » des crĂ©olistes fondamentalistes et des Ayatollahs du crĂ©ole... NOTE â Sur lâessentialisme en linguistique, sur le discours unitariste ou discours essentialiste, « qui vise Ă rendre monolithique aux consciences ce qui nâest objectivement quâun conglomĂ©rat de variĂ©tĂ©s linguistiques », voir Pierre Frath (UniversitĂ© de Reims Champagne-Ardenne), « Introduction : en finir avec lâessentialisme en linguistique... », supplĂ©ment Ă la Zeitschrift fĂŒr Französische Sprache und Literatur, 1er Colloque Res per Nomen (UniversitĂ© de Reims Champagne-Ardenne, mai 2007). Voir aussi IrĂšne Rosier, « Combats contre lâessentialisme », paru dans PersĂ©e / Histoire ĂpistĂ©mologie Langage, (36-2) 2014. Voir Ă©galement Jean-Marie Klinkenberg, « La conception essentialiste du français et ses consĂ©quences. RĂ©flexions polĂ©miques » (Revue belge de Philologie et dâHistoire, 79-3, 2001).
La problĂ©matique du monolinguisme crĂ©ole sectaire et dogmatique, en lien avec lâunilinguisme institutionnel francophone de facto et lâunilinguisme non institutionnel des crĂ©olophones, a tĂŽt Ă©tĂ© explorĂ©e par le poĂšte Georges Castera Fils dans son livre « KonbĂšlann » publiĂ© en 1976 Ă MontrĂ©al aux Ăditions Nouvelle optique. Il y lieu de le lire avec la meilleure attention : « Nan pati sa-a nou rĂ©lĂ© ANEKS 2-a, n-ap konsidĂ©rĂ© litĂ©rati kreĂ©yĂČl-la an rapĂČ ak litĂ©rati ti-boujoua ki ap Ă©kri an kreyĂČl-yo. Min nou pa-p limitĂ© pouin sa-a a intelĂ©ktuĂšl fanatik kreyĂČl-la, ni a sa yo rĂ©lĂ© « litĂ©rati krĂ©yĂČl-la ». PaskĂ© pa gin oun litĂ©rati krĂ©yĂČl ako un litĂ©rati fransĂ© lan fĂČmasyon sosyal ayisyĂšn-la. Gin oun litĂ©rati « ayisyĂšn » lit dĂ© klas-la travĂšsĂ©. InpĂČtans yo bay kĂ©syon litĂ©rati-a an jĂ©nĂ©ral, plis inpĂČtans kĂ©syon litĂ©rati krĂ©yĂČl-la pou intĂ©lĂ©ktuĂšl ti-boujoua-yo, sĂ© rĂ©zon ki fĂš nou tĂ© ouĂš nĂ©sĂ©sitĂ© Ă©kri AnĂšks 2-a. KĂ©syon litĂ©rati krĂ©yĂČl la, yo pa kapab konsidĂ©rĂ©-l tankou oun progrĂ© deskĂ© litĂ©rati sa-a Ă©kri an krĂ©yĂČl. Sa pa gin sans. Bagay sa-a, sĂ© oun pouin-d vi rĂ©yaksyonĂ© ki pa ouĂš oun lang sĂ© oun mouayin pou tout kalitĂ© lidĂ© pran la ri, kit idĂ©-yo rĂ©yaksyonĂš, kit idĂ©-yo progrĂ©sis. N-ap raplĂ© tout idĂ© sĂ© idĂ© dĂ© klas yo yĂ©. (...) lĂ©ktĂš-yo fĂšt pou konprann ki jan lĂš oun problĂšm mal li pĂšmĂšt tout kalitĂ© dĂ©magoji. Younn lan dĂ©magoji sa-yo sĂ© : « krĂ©yĂČl lang pĂšp », « fransĂ© sĂ© lang boujoua ». Pou nou kit litĂ©rati-a an kreyĂČl, kit li an fransĂ©, li gin oun karaktĂš de klas ki indĂ©pandan dĂ© afĂš lang-lan ».
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis
Par lâarticle publiĂ© le 31 juillet 2017 dans Le National, « Le monolinguisme crĂ©ole est-il une utopie ? », nous avons levĂ© le voile sur les mirages du monolinguisme en revisitant les prĂ©cieux enseignements dâĂdouard Glissant. Dialoguant avec le philosophe Jacques Derrida â auteur, entre autres, de « De la grammatologie » (Ăditions de Minuit, 1967) et de « Le monolinguisme de lâautre ou la prothĂšse dâorigine » (Ăditions GalilĂ©e, 1996) â, le romancier et philosophe martiniquais Ădouard Glissant nous enseigne quâ« On ne peut plus Ă©crire son paysage ni Ă©crire sa propre langue de maniĂšre monolingue. Par consĂ©quent, les gens qui, comme par exemple les AmĂ©ricains, les Ătats-Uniens, nâimaginent pas la problĂ©matique des langues, nâimaginent mĂȘme pas le monde. Certains dĂ©fenseurs du crĂ©ole sont complĂštement fermĂ©s Ă cette problĂ©matique. Ils veulent dĂ©fendre le crĂ©ole de maniĂšre monolingue, Ă la maniĂšre de ceux qui les ont opprimĂ©s linguistiquement. Ils hĂ©ritent de ce monolinguisme sectaire et ils dĂ©fendent leur langue Ă mon avis dâune mauvaise maniĂšre. Ma position sur la question est quâon ne sauvera pas une langue dans un pays en laissant tomber les autres. » (« Lâimaginaire des langues : entretien avec Ădouard Glissant », par Lise Gauvin ; paru dans « LâAmĂ©rique entre les langues », revue Ătudes françaises volume 28, numĂ©ros 2-3, automneâhiver 1992.)
Trente-deux ans aprĂšs, en un Ă©cho plus contemporain Ă la rĂ©flexion dâĂdouard Glissant, le romancier et essayiste martiniquais Patrick Chamoiseau expose lui aussi, avec hauteur de vue, que « Nous devons ĂȘtre riches de toutes les langues du monde ». Autrement dit, « (...) nous nâavons pas Ă hiĂ©rarchiser les langues entre elles, bien au contraire. Nous devons ĂȘtre riches, concrĂštement ou poĂ©tiquement, de toutes les langues du monde. Aucune langue ne peut sâĂ©panouir seule, il lui faut le concert des autres langues quâelle invoque, quâelle accueille et respecte. (...) il nous faut abandonner lâimaginaire monolingue des colonialistes, pour tendre vers un imaginaire multi-trans-linguistique, qui nâa rien Ă voir avec une facultĂ© polyglotte, mais qui tend vers le dĂ©sir-imaginant de toutes les langues du monde, quâon les connaisse ou non. Avec un tel imaginaire aucune langue ne saurait ĂȘtre en mesure dâen dominer dâautres, et aucune langue ne serait menacĂ©e quelque part sans un Ă©lan protecteur planĂ©taire. Cela pose bien des exigences en termes dâĂ©ducation et dâaction culturelle. En ce qui concerne lâĂ©criture, lâimaginaire multi-trans-linguistique appelle Ă la maĂźtrise dâun langage. Le langage est une prise de possession
de toute langue : une autoritĂ©. Il nâest pas dans la dĂ©fense ou dans lâillustration dâune langue quelconque, mais dans un processus dâĂ©largissement de chaque mot, de chaque phrase, de chaque sens, de chaque image, pour quâelles puissent appeler, signaler, invoquer, le possible des autres langues du monde. Le langage brise lâorgueil des langues, leur sacralisation acadĂ©micienne, pour les ouvrir Ă leurs insuffisances, Ă leurs indicibles, au trouble de leur propre dĂ©route, et les forcer Ă dĂ©sirer ainsi la prĂ©sence dâautres langues autour dâelles. LâĂ©crivain irlandais James Joyce disait souvent : « Je suis allĂ© jusquâau bout de lâanglais ! » Le poĂšte et romancier martiniquais Ădouard Glissant affirmait : « JâĂ©cris en prĂ©sence de toutes les langues du monde » (source : « Patrick Chamoiseau â Nous devons ĂȘtre riches de toutes les langues du monde », Le Courrier de lâUNESCO, 20 juin 2024).
La seconde hypothĂšse que nous avançons et qui devrait ĂȘtre, souhaitons-le, examinĂ©e de prĂšs par les historiens de concert avec les linguistes est la suivante : lâunilinguisme non institutionnel des crĂ©olophones devrait-il accĂ©der au statut de politique linguistique dâĂtat et ainsi constituer une rĂ©ponse Ă lâunilinguisme institutionnel de facto que lâon observe en HaĂŻti dans diffĂ©rents contextes dâinterlocution ?
Des Ă©lĂ©ments de rĂ©ponse Ă ce questionnement majeur se trouvent dans notre article titrĂ© « Le crĂ©ole, âseule langue officielleâ dâHaĂŻti : mirage ou vaine utopie ? » (Le National, 7 juin 2018). Cet article atteste la continuitĂ© de notre rĂ©flexion sur ce que nous appelons le « monolinguisme de la surditĂ© historique » : « Certains prĂ©dicateurs crĂ©olophiles assument que la dĂ©fense du crĂ©ole doit obligatoirement se faire sur le mode de lâexclusion dâune autre langue â le français, langue co-officielle depuis 1987. Sectaire et dogmatique, cette posture dâexclusion revient Ă nier le caractĂšre historiquement constituĂ© de notre patrimoine linguistique bilingue (voir lĂ -dessus nos articles « Le patrimoine linguistique bilingue dâHaĂŻti : promouvoir une vision rassembleuse » (Le National, 25 mai 2018), et « Faut-il exclure le français de lâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti ? » (Le National, 20 aoĂ»t 2017). Cette illusoire posture dâexclusion de la langue française au nom du « monolinguisme de la surditĂ© historique » a autrefois Ă©tĂ© dĂ©fendue dans la plus grande confusion thĂ©orique par le linguiste Yves Dejean (1927-2018) dans lâarticle « FransĂ© sĂ© danjĂ© », (revue SĂšl, n° 23-24 ; n° 33-39, New York, 1975) et Ă©galement dans sa pĂ©tition « Rebati » (12 juin 2010). EnfermĂ© dans la « bulle idĂ©ologique » du rĂ©visionnisme historique,
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis
Yves Dejean assĂšne dans cette pĂ©tition quâ« Il faut tirer les consĂ©quences du fait quâHaĂŻti est un pays essentiellement monolingue. HaĂŻti est des plus monolingues des pays monolingues ». Pareille imposture, prĂ©sentĂ©e comme une « thĂ©orie » sinon une doxa, doit ĂȘtre mise en perspective par lâĂ©tude des divers apports issus des travaux de terrain rĂ©alisĂ©s par des linguistes de premier plan qui ont procĂ©dĂ© Ă lâanalyse de diffĂ©rents aspects de la situation linguistique haĂŻtienne. LâĂ©chantillon de rĂ©fĂ©rences documentaires ci-aprĂšs en fournit une adĂ©quate illustration.
1 Pompilus, Pradel (1958) : Lexique crĂ©ole-français â ThĂšse complĂ©mentaire, Ăditions de lâUniversitĂ© de Paris.
2 Pompilus, Pradel (1973, 1976) : Contribution Ă lâĂ©tude comparĂ©e du français et du crĂ©ole, volume I, phonologie et lexique ; volume II, morphosyntaxe, Ăditions CaribĂ©ennes.
3 Pompilus, Pradel (1981) : La langue française en HaĂŻti », Ăditions Fardin.
4 Govain, Renauld (2022) : La question linguistique haĂŻtienne : histoire, usages et description . Document post-doctoral en vue de lâ« Habilitation Ă diriger des recherches » (HDR) en sciences du langage, UniversitĂ© Paris VIII, 1er premier juin.
5 Govain, Renauld (2009) : Plurilinguisme, pratique du français et appropriation de connaissances en contexte universitaire en HaĂŻti. ThĂšse de doctorat de lâUniversitĂ© Paris VIII.
6 Govain, Renauld (2013) : Enseignement du crĂ©ole Ă lâĂ©cole en HaĂŻti : entre pratiques didactiques, contextes linguistiques et rĂ©alitĂ©s de terrain, in FrĂ©dĂ©ric Anciaux, Thomas Forissier et Lambert-FĂ©lix : voir Prudent (dir.), Contextualisations didactiques. Approches thĂ©oriques, Paris, LâHarmattan.
7 Govain, Renauld (2014) : LâĂ©tat des lieux du crĂ©ole dans les Ă©tablissements scolaires en HaĂŻti , revue Contextes et didactiques, 4.
8 Govain, Renauld (sous la direction de) (2018) : Le crĂ©ole haĂŻtien : description et analyse, Paris, Ăditions LâHarmattan.
9 Govain, Renauld (2020a) : Le français haïtien et le "français commun" : normes, regards, représentations, revue Altre Modernità / Autres modernités, Università degli Studi di Milano, Italie.
10 Govain, Renauld (2021) : Enseignement/apprentissage formel du crĂ©ole Ă lâĂ©cole en HaĂŻti : un parcours Ă construire, revue Kreolistika, mars.
11 Govain, Renauld (sous la direction de) (2021) : La francophonie haĂŻtienne et la francophonie internationale : apports dâHaĂŻti et du français haĂŻtien. JEBCA Ăditions.
12 Govain, Renauld (2021) : Pour une didactique du crĂ©ole langue maternelle, article paru dans le livre collectif de rĂ©fĂ©rence « La didactisation du crĂ©ole au cĆur de lâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti », par BerrouĂ«t-Oriol et al., Ăditions ZĂ©mĂšs et Ăditions du Cidihca.
13 MolÚs Paul : Les modalités du futur en créole haïtien. ThÚse de doctorat, Université Paris 8, février 2021.
14 MolĂšs Paul : Pou yon lengwistik ayisyen, revue RechĂšch etid kreyĂČl numĂ©ro 1, 2022.
15 ThĂ©lusma, Fortenel (2018) : Le crĂ©ole haĂŻtien dans la tourmente / Faits probants, analyse et perspectives. C3 Ăditions.
16 ThĂ©lusma, Fortenel (2024) : La problĂ©matique de lâenseignement bilingue crĂ©ole-français en HaĂŻti : dĂ©fis et perspectives. MadininâArt, 19 janvier 2024.
17 ThĂ©lusma, Fortenel (2021) : Pratique du crĂ©ole et du français en HaĂŻti : entre un monolinguisme persistant et un bilinguisme compliquĂ© C3 Ăditions.
18 ThĂ©lusma, Fortenel (2019) : ĂlĂ©ments didactiques du crĂ©ole et du français : le cas de la prĂ©dication nominale, des verbes pronominaux et du conditionnel. Imprimerie des Antilles S. A.
Il est utile de rappeler que notre premiĂšre contribution formelle Ă la rĂ©flexion sur lâamĂ©nagement linguistique au pays sâintitule « LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti : enjeux, dĂ©fis et propositions » (Ăditions de lâUniversitĂ© dâĂtat dâHaĂŻti et Ăditions du Cidihca, 2011). Ce livre a Ă©tĂ© rééditĂ© en 2023 par le Cidihca-France et cette nouvelle Ă©dition comprend la version crĂ©ole officielle de la Constitution de 1987. En ce qui a trait aux droits linguistiques, nous avons publiĂ© le livre « Plaidoyer pour les droits linguistiques en HaĂŻti / Pledwaye pou dwa lenguistik ann Ayiti » (Ăditions ZĂ©mĂšs et Ăditions du Cidihca, 2018). Par ailleurs notre contribution Ă la rĂ©flexion sur divers aspects de lâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti est consignĂ©e, entre autres, dans les articles suivants :
1 Partenariat crĂ©ole/français â Plaidoyer pour un bilinguisme de lâĂ©quitĂ© des droits linguistiques en HaĂŻti . Le National, 7 novembre 2019).
2 LâamĂ©nagement simultanĂ© du crĂ©ole et du français en HaĂŻti, une perspective constitutionnelle et rassembleuse . Le National, 24 novembre 2020).
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis
3 LâamĂ©nagement du crĂ©ole en HaĂŻti et la rĂ©forme Bernard de 1979 : le bilan exhaustif reste Ă faire . RezonĂČdwĂšs, 16 mars 2021.
4 LâamĂ©nagement du crĂ©ole doit-il sâaccompagner de « lâĂ©viction de la langue française en HaĂŻti ? . Le National, 11 mai 2022).
5 Le crĂ©ole et le français dans lâĂcole haĂŻtienne : faut-il amĂ©nager une seule langue officielle en faisant lâimpasse sur lâautre ?. Le National, 21 juin 2022.
6 Le partenariat crĂ©ole-français, lâunique voie constitutionnelle et rassembleuse en HaĂŻti . Le National, 14 mars 2023.
7 La Constitution de 1987 est au fondement du "bilinguisme de lâĂ©quitĂ© des droits linguistiques" en HaĂŻti . Le National, 25 avril 2023.
8 Plaidoyer pour la premiĂšre loi sur les langues officielles dâHaĂŻti Potomitan, 14 mars 2019.
Il est attestĂ© quâen dĂ©pit de la qualitĂ© des Ă©tudes de terrain rĂ©alisĂ©es entre 1958 et 2024, en dĂ©pit des apports et des acquis analytiques divers mis en lumiĂšre dans les Ă©tudes que nous avons citĂ©es, lâusage dominant du français ainsi que la minorisation institutionnelle du crĂ©ole couplĂ©e Ă son invisibilisation institutionnelle constituent encore, pour une large part, des facteurs structurels de blocage de la rĂ©solution des problĂšmes linguistiques dâHaĂŻti tant Ă lâĂ©chelle du pays tout entier quâĂ lâĂ©chelle du systĂšme Ă©ducatif haĂŻtien. Sur ce double registre et au creux des mĂ©canismes dâexercice du pouvoir politique en HaĂŻti, lâon constate Ă©galement que les rĂ©ponses apportĂ©es jusquâici par lâĂtat haĂŻtien â tributaire dâun lourd dĂ©ficit de leadership politique en matiĂšre dâamĂ©nagement linguistique â, sont encore faibles, partielles ou incomplĂštes, parfois dĂ©magogiques et inconstitutionnelles. Sur ce double registre lâon constate Ă©galement que lâ« idĂ©ologie linguistique haĂŻtienne » est encore prĂ©gnante dans le corps social haĂŻtien et quâelle est vĂ©hiculĂ©e principalement par les promoteurs dâun monolinguisme crĂ©ole sectaire et dogmatique qui tourne le dos Ă la Constitution de 1987. Lâignorance choisie et/ou le dĂ©ni de toute vision constitutionnelle de lâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti constituent le lien et le liant communs au « monolinguisme de la surditĂ© historique » et Ă lâ« unilatĂ©ralisme crĂ©olophile » qui sont au fondement des diffĂ©rentes variantes idĂ©ologiques et identitaires du « populisme linguistique » (voir notre article « LâamĂ©nagement du crĂ©ole piĂ©gĂ© par le âpopulisme linguistiqueâ des crĂ©olistes fondamentalistes », MĂ©diapart, 28 fĂ©vrier 2024).
Le « populisme linguistique » constitue une vision rĂ©ductionniste des faits de langue et il se caractĂ©rise principalement par (1) la nĂ©gation de lâhistoricitĂ© du patrimoine linguistique historique bilingue français-crĂ©ole dâHaĂŻti, (2) par le rejet partiel de lâarticle 5 et le rejet total de lâarticle 40 de la Constitution de 1987 qui aboutissent Ă (3) la promotion inconstitutionnelle et exclusive du monolinguisme crĂ©ole. Le « populisme linguistique » se caractĂ©rise Ă©galement par la dĂ©fense de lâidĂ©e frauduleuse de la « guerre des langues » en HaĂŻti couplĂ©e Ă la promotion dâune « fatwa » contre la prĂ©tendue « langue du colon », le français, stigmatisĂ©e au titre dâune « gwojemoni neyokolonyal » au MIT Haiti Initiative (voir notre article « LâamĂ©nagement du crĂ©ole piĂ©gĂ© par le âpopulisme linguistiqueâ des crĂ©olistes fondamentalistes », MĂ©diapart, 28 fĂ©vrier 2024). Il y a lieu de rappeler que le « populisme linguistique » a Ă©tĂ© promu ces onze derniĂšres annĂ©es au rang de « vision » et de « mĂ©thode » de gouvernance au ministĂšre de lâĂducation nationale, notamment dans lâerratique saga du LIV INIK AN KREYĂL et dans lâinconstitutionnelle dĂ©cision de ne financer que les livres scolaires rĂ©digĂ©s en crĂ©ole (voir notre article « LâamĂ©nagement du crĂ©ole dans lâĂcole haĂŻtienne durant le mandat de Nesmy Manigat Ă lâĂducation nationale : radiographie dâun bavardeux naufrage », RezonĂČdwĂšs, 10 juillet 2024).
Sur le registre de la subjectivitĂ© idĂ©ologique, le « populisme linguistique » exprime tantĂŽt une vision racialiste-noiriste de la question linguistique haĂŻtienne (Jean Casimir), tantĂŽt un amalgame indigĂ©niste-nĂ©oduvaliĂ©riste de lâ« identitĂ© » haĂŻtienne (Jean-Robert Placide et la Sosyete Koukouy), tantĂŽt une forclusion essentialiste du crĂ©ole lui-mĂȘme (lâAkademi kreyĂČl ayisyen) : voir nos articles « Jean Casimir ou les dĂ©rives dâune vision racialiste de la problĂ©matique linguistique haĂŻtienne » (Le National, 21 mars 2023), « Le livre « Ayisyanite ak kreyolite » ressuscite-t-il lâindigĂ©nisme racialiste duvaliĂ©rien sous les habits artificieux du « nouvo endijenis an evolisyon » ?, (RezonĂČdwĂšs, 23 mars 2024) et « LâAcadĂ©mie du crĂ©ole haĂŻtien : autopsie dâun Ă©chec banalisĂ© (2014 â 2022), (Le National, 18 janvier 2022). Le « populisme linguistique » se caractĂ©rise aussi par la rĂ©citation itĂ©rative des sourates dâun brĂ©viaire dans lequel sont abolis les droits linguistiques des locuteurs haĂŻtiens ainsi que le partenariat linguistique crĂ©ole-français fondĂ© sur les articles 5 et 40 de la Constitution de 1987.
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis
NOTE / Sur la notion de populisme et de « populisme linguistique », voir les contributions de Patrick Charaudeau, professeur Ă©mĂ©rite de lâUniversitĂ© Sorbonne Paris-Nord, spĂ©cialiste de lâanalyse du discours politique, chercheur au laboratoire Communication et politique rattachĂ© au CNRSâCerlis, UniversitĂ© de Paris : « RĂ©flexions pour lâanalyse du discours populiste », revue Mots. Les langages du politique, n°97, 2011 ; « Le discours populiste, un brouillage des enjeux politiques » (Ăditions Lambert-Lucas, 2022). Voir aussi Ulrike Klinger et Karolina Koc-Michalska, « Le populisme comme phĂ©nomĂšne de communication : une comparaison transversale et longitudinale des campagnes politiques sur Facebook », revue Mots. Les langages du politique. Voir Ă©galement Pierre-AndrĂ© Taguieff , « Lâillusion populiste. Essai sur les dĂ©magogies de lâĂąge dĂ©mocratique », Paris, Flammarion, 2007 [2002] ; Marie-Anne Paveau, « Populisme : itinĂ©raires discursifs dâun mot voyageur », revue Critique, n°776-777, 2012, p. 75-84 ; Pierre Rosanvallon, « Le siĂšcle du populisme. Histoire, thĂ©orie, critique », Paris, Seuil, 2020 ; Stefano Vicari, « De quelques reprĂ©sentations linguistiques ordinaires de âpopulismeâ dans la presse française et italienne : une analyse contrastive », paru dans Carmen MarimĂłn Llorca, Wim Remysen & Fabio Rossi (dir.), « Les idĂ©ologies linguistiques : dĂ©bats, purismes et stratĂ©gies discursives », Berlin, Peter Lang, 2021 ; Gattiglia Modena et Stefano Vicari, « Discours populistes et sur le populisme : entre auto- et hĂ©tĂ©ro-dĂ©signations », revue Espaces linguistiques, (2024 / 7).
Bref rappel de la dimension politique et constitutionnelle de lâamĂ©nagement linguistique
Ă contre-courant des diffĂ©rentes variantes idĂ©ologiques et identitaires du « populisme linguistique », nous offrons en partage UNE VISION POLITIQUE ET CONSTITUTIONNELLE de lâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti au creux dâun projet de sociĂ©tĂ© oĂč les droits linguistiques sâapparient aux droits citoyens. Cette vision centrale se caractĂ©rise comme suit : lâamĂ©nagement des deux langues de notre patrimoine linguistique historique, le crĂ©ole et le français, est une obligation Ă la fois politique et constitutionnelle dĂ©coulant de la Constitution de 1987. La vision constitutionnelle de lâamĂ©nagement des deux langues officielles dâHaĂŻti dont nous faisons le plaidoyer est fondĂ©e sur le « PrĂ©ambule » ainsi que sur les articles 5, 32 et 40 de la Constitution haĂŻtienne de 1987. Cette vision
ne se limite pas Ă la simple et trĂšs partielle dĂ©fense/promotion du crĂ©ole : elle privilĂ©gie la mise en oeuvre des droits linguistiques au titre dâun droit essentiel compris dans le grand ensemble des droits citoyens consignĂ©s dans notre charte fondamentale (voir le texte constitutionnel, Titre III, article 16 : « La rĂ©union des droits civils et politiques constitue la qualitĂ© du citoyen ». Chapitre II : « Des droits fondamentaux » / « Droit Ă la vie et Ă la santĂ© », article 19 : « LâĂtat a lâimpĂ©rieuse obligation de garantir le droit Ă la vie, Ă la santĂ©, au respect de la personne humaine, Ă tous les citoyens sans distinction, conformĂ©ment Ă la DĂ©claration universelle des droits de lâhomme ». Ce quâil faut donc rigoureusement promouvoir câest une vision de lâamĂ©nagement linguistique dans sa dimension politique : lâĂtat haĂŻtien doit prendre le leadership politique de lâamĂ©nagement de nos deux langues officielles dans lâespace public et dans le systĂšme Ă©ducatif national, en lien avec la dimension constitutionnelle de ses obligations dĂ©coulant des articles 5, 32 et 40 de la Constitution de 1987.
Lâarticulation de la dimension politique et de la dimension constitutionnelle confĂšre Ă notre Charte fondamentale une grande cohĂ©rence et elle situe les obligations de lâĂtat sur le terrain du Droit et des droits du citoyen. La Constitution de 1987 dispose en effet, dans son « PrĂ©ambule », que « Le peuple haĂŻtien proclame la prĂ©sente Constitution » (...) « Pour garantir ses droits inaliĂ©nables et imprescriptibles Ă la vie, Ă la libertĂ© et Ă la poursuite du bonheur ; conformĂ©ment Ă son Acte dâindĂ©pendance de 1804 et Ă la DĂ©claration universelle des droits de lâhomme de 1948 (...) « Pour fortifier lâunitĂ© nationale, en Ă©liminant toutes discriminations entre les populations des villes et des campagnes, par lâacceptation de la communautĂ© de langues et de culture et par la reconnaissance du droit au progrĂšs, Ă lâinformation, Ă lâĂ©ducation, Ă la santĂ©, au travail et au loisir pour tous les citoyens » (...) Pour instaurer un rĂ©gime gouvernemental basĂ© sur les libertĂ©s fondamentales et le respect des droits humains, la paix sociale, lâĂ©quitĂ© Ă©conomique, la concertation et la participation de toute la population aux grandes dĂ©cisions engageant la vie nationale, par une dĂ©centralisation effective ».
En quoi consiste le bilinguisme de lâĂ©quitĂ© des droits linguistiques en HaĂŻti au regard de ses fondements constitutionnels et quelle politique linguistique dâĂtat faut-il Ă©laborer et mettre en Ćuvre ?
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis
Tel que nous lâavons exposĂ© au dĂ©but de cet article, HaĂŻti est encore tributaire de deux « rĂ©gimes linguistiques » diffĂ©rents : dâune part lâunilinguisme institutionnel francophone de facto et dâautre part lâunilinguisme non institutionnel des crĂ©olophones locuteurs majoritaires au pays. La minorisation institutionnelle du crĂ©ole couplĂ©e Ă lâusage dominant du français remonte comme nous lâavons vu aux premiers pas du nouvel Ătat en 1804, et lâinvisibilisation institutionnelle du crĂ©ole est encore prĂ©gnante dans la sociĂ©tĂ© haĂŻtienne en dĂ©pit des acquis de la rĂ©forme Bernard de 1979 et en dĂ©pit de lâadoption, par le vote rĂ©fĂ©rendaire majoritaire de la Constitution de 1987, qui accorde aux deux langues de notre patrimoine linguistique historique, le crĂ©ole et le français, le statut de langues co-officielles. NOTE â Il est nĂ©cessaire de rappeler que de la Constitution haĂŻtienne de 1987 est la seule Constitution dĂ©mocratique adoptĂ©e par la voie inĂ©dite du vote rĂ©fĂ©rendaire majoritaire au pays de 1804 Ă nos jours. Elle confĂšre aux institutions nationales, dĂ©partementales et communales du pays leur pleine et entiĂšre lĂ©gitimitĂ© populaire. Le fait quâelle a Ă©tĂ© peu appliquĂ©e ou mal appliquĂ©e ou travestie ou combattue par diffĂ©rentes forces politiques nâaltĂšre en rien cette lĂ©gitimitĂ© populaire. Câest prĂ©cisĂ©ment parce que cette Constitution âdĂ©tentrice de lâentiĂšre lĂ©gitimitĂ© populaireâ, (1) consigne les fondements de lâĂtat de droit, (2) garantit les droits citoyens fondamentaux et (3) fixe les obligations de lâĂtat sur diffĂ©rents registres quâelle a Ă©tĂ© malmenĂ©e par des politiciens de tous bords, y compris par des nostalgiques de la dictature duvaliĂ©riste et par les ayants-droits de la « rente financiĂšre dâĂtat ». Plusieurs tentatives illĂ©gales et inconstitutionnelles dâ« amendement » de la Constitution de 1987 ont Ă©tĂ© entreprises ces derniĂšres annĂ©es, mais elles ont toutes Ă©chouĂ©. Elles seront sans doute reprises en 2024-2025 par les nouveaux tenants du pouvoir politique qui ne sont dĂ©tenteurs dâaucune lĂ©gitimitĂ© populaire et constitutionnelle. Lâobjectif central dâune telle forfaiture politique sera de rendre inopĂ©rante la lĂ©gitimitĂ© populaire au fondement du vote rĂ©fĂ©rendaire de 1987 et de remplacer cette lĂ©gitimitĂ© populaire par un rĂ©gime dâexception dit de « transition politique » au motif que le pays connaĂźt une « situation exceptionnelle » Ă laquelle il a fallu rĂ©pondre par des « mesures exceptionnelles »...
Aussi, la vision de lâamĂ©nagement linguistique que nous offrons en partage expose rigoureusement que « La Constitution de 1987 est au fondement du « bilinguisme de lâĂ©quitĂ© des droits linguistiques » en HaĂŻti » (par
Robert BerrouĂ«t-Oriol, Le National, 25 avril 2023). Nous reviendrons plus loin sur la notion centrale de « bilinguisme de lâĂ©quitĂ© des droits linguistiques » au fondement de la future POLITIQUE LINGUISTIQUE
DE LâĂTAT HAĂTIEN.
En dĂ©pit de la co-officialisation du crĂ©ole et du français dans la Constitution haĂŻtienne de 1987, la crĂ©olistique nâest pas parvenue Ă Ă©laborer des Ă©tudes de rĂ©fĂ©rence sur les fondements constitutionnels et juridiques de notions aussi centrales en jurilinguistique et en amĂ©nagement linguistique que les droits linguistiques, le droit Ă la langue, le droit Ă la langue maternelle, la paritĂ© linguistique ainsi que le bilinguisme de lâĂ©quitĂ© des droits linguistiques. De son cĂŽtĂ©, le constitutionnalisme haĂŻtien non plus ne sâest pas encore attachĂ© Ă Ă©tudier ces notions de premier plan en dĂ©pit du fait que la Constitution de 1987 consigne les droits fondamentaux du citoyen autrefois violemment rĂ©primĂ©s durant la dictature des Duvalier (voir le Titre III - Chapitre II / Des droits fondamentaux : la libertĂ© individuelle, la libertĂ© dâexpression, la libertĂ© de rĂ©union et dâassociation, etc.).
NOTE â Sur le le constitutionnalisme haĂŻtien voir le livre de Claude MoĂŻse, « Les trois Ăąges du constitutionnalisme haĂŻtien. IndĂ©pendance, occupation Ă©trangĂšre, dĂ©mocratie : ruptures et continuitĂ©s », Ăditions du Cidihca, 2020. Du mĂȘme auteur voir Ă©galement « Constitutions et luttes de pouvoir en HaĂŻti » : T.1 « La faillite des classes dirigeantes, 1804-1915 », Ăditions du Cidihca 1988 ; T.2 « De lâoccupation Ă©trangĂšre Ă la dictature macoute, 1915-1987 », Ăditions du Cidihca 1990.
Tel que prĂ©cisĂ© dans le livre collectif de rĂ©fĂ©rence « LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti : enjeux, dĂ©fis et propositions » (par Robert BerrouĂ«t-Oriol et alii, Ăditions du Cidihca et Ăditions de lâUniversitĂ© dâĂtat dâHaĂŻti, 2011), « On entend par « droits linguistiques » lâ« Ensemble des droits fondamentaux dont disposent les membres dâune communautĂ© linguistique tels que le droit Ă lâusage privĂ© et public de leur langue, le droit Ă une prĂ©sence Ă©quitable de leur langue dans les moyens de communication et le droit dâĂȘtre accueilli dans leur langue dans les organismes officiels » (Gouvernement du QuĂ©bec, ThĂ©saurus de lâaction gouvernementale, 2017). LâuniversalitĂ© des « droits linguistiques » sâentend donc au sens du « droit Ă la langue », du « droit Ă la langue maternelle » et de « lâĂ©quitĂ© des droits linguistiques ». En fonction du principe que les droits linguistiques sont Ă la fois individuels et collectifs, lâuniversalitĂ© des « droits linguis-
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis tiques » pose (1) le droit dâune communautĂ© linguistique Ă lâenseignement de sa langue maternelle et de sa culture ; (2) le droit dâune communautĂ© de locuteurs Ă une prĂ©sence Ă©quitable de sa langue maternelle et de sa culture dans les mĂ©dias ; (3) le droit pour chaque membre dâune communautĂ© linguistique de se voir rĂ©pondre dans sa propre langue dans ses relations avec les pouvoirs publics et dans les institutions socioĂ©conomiques. Les notions conjointes de « droits linguistiques » et de « bilinguisme de lâĂ©quitĂ© des droits linguistiques » sont apparues pour la premiĂšre fois en HaĂŻti en 2011 avec la publication du livre collectif de rĂ©fĂ©rence « LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti : enjeux, dĂ©fis et propositions » (par Robert BerrouĂ«t-Oriol et alii, Ăditions de lâUniversitĂ© dâĂtat dâHaĂŻti et Ăditions du Cidihca). Pour la premiĂšre fois depuis la promulgation de la Constitution haĂŻtienne de 1987, des linguistes ont abordĂ©, dans des Ă©tudes amplement documentĂ©es, lâĂ©pineuse question linguistique haĂŻtienne sous des angles majeurs et complĂ©mentaires, notamment en proposant un cadre analytique conforme au texte constitutionnel votĂ© par rĂ©fĂ©rendum en 1987 et en lien avec la notion-perspective de langues partenaires. Ce livre innove sur plusieurs registres, entre autres en Ă©clairant les notions centrales de « droits linguistiques », de « droit Ă la langue » et de « droit Ă la langue maternelle », en dĂ©finissant clairement le concept dâamĂ©nagement linguistique et en le situant dans le contexte haĂŻtien, en exposant le cadre thĂ©orique et lĂ©gislatif dâune future politique linguistique en HaĂŻti, en Ă©tablissant le lien existant entre la politique dâamĂ©nagement linguistique et la pĂ©dagogie convergente français-crĂ©ole au creux de lâimpĂ©ratif de la refondation du systĂšme Ă©ducatif national.
Il est utile de rappeler que sur le registre du constitutionnalisme haĂŻtien et dâune jurilinguistique haĂŻtienne â oĂč, sauf une seule exception, la totalitĂ© des textes juridiques et constitutionnels est rĂ©digĂ©e en français â, nous ne disposons pas encore dâune jurisprudence Ă©laborĂ©e traitant des droits linguistiques. MalgrĂ© cela, il est tout indiquĂ© de situer la remarquable Ă©tude du juriste Alain Guillaume comme relevant des premiers pas de la jurilinguistique haĂŻtienne. Cette Ă©tude a pour titre « Lâexpression crĂ©ole du droit : une voie pour la rĂ©duction de la fracture juridique en HaĂŻti » et elle est parue dans la Revue française de linguistique appliquĂ©e, XVI-1, 2011). Il en est de mĂȘme de lâĂ©tude du juriste Ăric Sauray, « Observations critiques sur la proposition de loi relative Ă la crĂ©ation dâune AcadĂ©mie du crĂ©ole haĂŻtien » datĂ©e du 12 octobre 2012.
Le patrimoine linguistique historique bilingue dâHaĂŻti et la constitutionnalitĂ© du « bilinguisme de lâĂ©quitĂ© des droits linguistiques » en HaĂŻti
Le patrimoine linguistique historique bilingue dâHaĂŻti, dans son acception la plus large et la plus inclusive, se dĂ©finit comme « hĂ©ritage, bien de la nation », soit lâensemble des productions langagiĂšres orales et Ă©crites, en français et en crĂ©ole, parfois attestĂ©es avant 1804 et dans lâensemble repĂ©rables de 1804 Ă nos jours. Sur le registre de lâĂ©crit notamment, il comprend des documents aussi divers que « Lisette quittĂ© la plaine », chanson attribuĂ©e Ă Duvivier de la MahautiĂšre en 1757 ; lâActe dâindĂ©pendance du premier janvier 1804 rĂ©digĂ© uniquement en français et traduit en crĂ©ole par Jacques Pierre (Journal of Haitian Studies, vol. 17, no 2 / 2011) ; lâensemble des Constitutions, lois, traitĂ©s, codes civil et criminel et conventions de la RĂ©publique dâHaĂŻti rĂ©digĂ©s uniquement en français ; une histoire dâHaĂŻti rĂ©digĂ©e pour la premiĂšre fois en crĂ©ole, « Ti difĂ© boulĂ© sou istoua Ayiti » de Michel-Rolph Trouillot ; « Dezafi » de Franketienne, premier roman Ă©crit en crĂ©ole haĂŻtien ; « Lâoranger magique / Ti pye zoranj » et autres contes bilingues de Mimi Barthelemy ; « Kavalye polka », piĂšce de théùtre en crĂ©ole de Syto CavĂ© ; « KonpĂš jeneral soley », traduction crĂ©ole par Edenne Roc du roman de Jacques Stephen Alexis « CompĂšre gĂ©nĂ©ral soleil » ; « Ti diksyonnĂš kreyĂČl-franse » dâHenry Tourneux et Pierre Vernet ; les romans « Des fleurs pour les hĂ©ros » dâAnthony Phelps et « Hadriana dans tous mes rĂȘves » de RenĂ© Depestre, etc. Le patrimoine linguistique dâHaĂŻti est Ă©troitement liĂ© Ă lâhistoire et Ă la culture du pays. Ainsi la « lodyans », dâabord contĂ©e en crĂ©ole puis transcrite et renarrativisĂ©e par des auteurs de talent tels Maurice Sixto et Georges Anglade, fait partie du patrimoine linguistique et culturel dâHaĂŻti et elle prĂ©sente la particularitĂ© de se situer sur les registres de lâoral et de lâĂ©crit. La littĂ©rature haĂŻtienne dans sa totalitĂ©, longtemps produite seulement en français et plus rĂ©cemment en crĂ©ole, fait partie du patrimoine linguistique historique bilingue dâHaĂŻti.
Il faut prendre toute la mesure que la configuration bilingue du patrimoine linguistique historique dâHaĂŻti est attestĂ©e dans la Constitution de 1987. Cette rĂ©alitĂ© est pourtant niĂ©e et oblitĂ©rĂ©e par les Ayatollahs du crĂ©ole âpropagandistes de lâinconstitutionnelle idĂ©e de lâexclusion du français partout en HaĂŻti : ils ne retiennent quâun segment de lâarticle 5 de la Constitution de 1987, Ă savoir « Tous les HaĂŻtiens sont unis par
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis une langue commune : le crĂ©ole », tout en excluant le segment statutaire et inclusif qui suit, « Le crĂ©ole et le français sont les langues officielles de la RĂ©publique ». Le caractĂšre bilingue du patrimoine linguistique historique dâHaĂŻti est attestĂ© dĂšs les premiĂšres phrases du « PrĂ©ambule » de la Constitution de 1987 qui se lit comme suit : « Pour fortifier lâunitĂ© nationale, en Ă©liminant toutes discriminations entre les populations des villes et des campagnes, par lâacceptation de la communautĂ© de langues et de culture (...) ». Lâinscription dans le texte constitutionnel de « la communautĂ© de langues et de culture », â qui renvoie Ă la notion centrale de communautĂ© nationale â, est prĂ©cĂ©dĂ©e de la solennelle proclamation prĂ©ambulaire dans ces termes : « PrĂ©ambule » â « Le peuple haĂŻtien proclame la prĂ©sente Constitution / Pour garantir ses droits inaliĂ©nables et imprescriptibles Ă la vie, Ă la libertĂ© et la poursuite du bonheur ; conformĂ©ment Ă son Acte dâindĂ©pendance de 1804 et Ă la DĂ©claration universelle des droits de lâhomme de 1948 ». Il y a donc dans le texte constitutionnel de 1987 un appariement juridique, un lien/liant juridique commun entre la communautĂ© nationale comprenant lâensemble des locuteurs, unilingues crĂ©oles et bilingues français-crĂ©ole dâune part ; et, dâautre part, il existe un lien juridique rĂ©fĂ©rentiel majeur entre « lâacceptation de la communautĂ© de langues et de culture » (le terme langues est consignĂ© au pluriel) et les « droits inaliĂ©nables et imprescriptibles » en conformitĂ© avec lâActe dâindĂ©pendance de 1804 et avec la DĂ©claration universelle des droits de lâhomme de 1948. Sur le registre dâune jurilinguistique haĂŻtienne quâHaĂŻti aura Ă Ă©laborer, lâon peut dĂ©jĂ noter la rĂ©fĂ©rence constante au Droit, Ă la personnalitĂ© juridique de lâActe dâindĂ©pendance de 1804 qui consacre lâinstitution dâune nation souveraine ayant vaincu le colonialisme. Et cette rĂ©fĂ©rence constante au Droit apparie lâActe dâindĂ©pendance de 1804 au texte fondateur consacrant au sortir de la Seconde Guerre mondiale lâuniversalitĂ© des droits humains, Ă savoir la DĂ©claration universelle des droits de lâhomme de 1948.
La « dimension Droit » est lâune des caractĂ©ristiques majeures de la Constitution de 1987, et cela sâexplique en grande partie du fait que lâAssemblĂ©e constituante a voulu prĂ©munir HaĂŻti dâun retour du fascisme duvaliĂ©rien. Tel que prĂ©cisĂ© plus haut, les droits citoyens fondamentaux sont identifiĂ©s dĂšs le « PrĂ©ambule » de la Constitution de 1987 : « Le peuple haĂŻtien proclame la prĂ©sente Constitution / Pour garantir ses droits inaliĂ©nables et imprescriptibles Ă la vie, Ă la libertĂ© et la poursuite du bonheur (...).
Cette proclamation prĂ©ambulaire est explicitement renforcĂ©e (1) par le dernier segment du « PrĂ©ambule » du texte constitutionnel dans les termes suivants : « Pour instaurer un rĂ©gime gouvernemental basĂ© sur les libertĂ©s fondamentales et le respect des droits humains, la paix sociale, lâĂ©quitĂ© Ă©conomique, la concertation et la participation de toute la population aux grandes dĂ©cisions engageant la vie nationale, par une dĂ©centralisation effective », dâune part. Et, dâautre part, elle est explicitement renforcĂ©e (2) au Titre III - Chapitre II qui consigne explicitement « Des droits fondamentaux » : la libertĂ© individuelle, la libertĂ© dâexpression, la libertĂ© de rĂ©union et dâassociation, etc. Lâarticle 19 du Titre III - Chapitre II du texte constitutionnel dispose de surcroĂźt que « LâĂtat a lâimpĂ©rieuse obligation de garantir le droit Ă la vie, Ă la santĂ©, au respect de la personne humaine, Ă tous les citoyens sans distinction, conformĂ©ment Ă la DĂ©claration universelle des droits de lâhomme ».
Le « bilinguisme de lâĂ©quitĂ© des droits linguistiques », dĂ©fini ci-aprĂšs, renvoie Ă la fois Ă sa dimension politique et juridique, et il est fort Ă©clairant que lâAssemblĂ©e constituante ait consignĂ© un si explicite « PrĂ©ambule » dans la Constitution de 1987 selon les termes suivants : « Pour fortifier lâunitĂ© nationale, en Ă©liminant toutes discriminations entre les populations des villes et des campagnes, par lâacceptation de la communautĂ© de langues et de culture (...) ». « Fortifier lâunitĂ© nationale » est de lâordre de la gouvernance politique de lâĂtat â le « PrĂ©ambule » est conclu dans cette perspective par lâobligation dâ« instaurer un rĂ©gime gouvernemental basĂ© sur les libertĂ©s fondamentales et le respect des droits humains » â, et ce choix politique de sociĂ©tĂ© repose sur les garanties constitutionnelles inscrites dans les articles relatifs aux droits citoyens dĂ©signĂ©s dans notre charte fondamentale. Un tel choix politique de sociĂ©tĂ© trouve toute sa lĂ©gitimitĂ© dans notre charte fondamentale au Titre III - Chapitre II qui consigne explicitement « Des droits fondamentaux ». Dans lâexpression « bilinguisme de lâĂ©quitĂ© des droits linguistiques », chacun des termes (« bilinguisme », « Ă©quitĂ© », « droits linguistiques ») est porteur de traits dĂ©finitoires distincts et pourtant liĂ©s. Alors mĂȘme que le terme « Ă©quitĂ© » comprend les sĂšmes dĂ©finitoires de « CaractĂšre de ce qui est fait avec justice et impartialitĂ© » (Le Larousse), il ne faut pas perdre de vue que les termes « bilingue » et « bilinguisme » sont le lieu dâĂąpres dĂ©bats notionnels contradictoires et lâobjet de cet article nâest pas dâen exposer les grandes avenues ni les principales tendances. La rĂ©flexion que nous proposons en partage
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis sâattache plutĂŽt au bilinguisme en tant que politique dâĂtat tout en gardant Ă lâesprit que « Des 195 Ătats souverains, 54 sont officiellement bilingues, câest-Ă -dire 27,6 % des pays du monde pour une population regroupant environ deux milliards de personnes (Jacques Leclerc : « LâamĂ©nagement linguistique dans le monde », QuĂ©bec, CEFAN, UniversitĂ© Laval). Le dictionnaire Le Robert dĂ©finit comme suit le « bilinguisme » : « CaractĂšre bilingue (dâun pays, dâune rĂ©gion, de ses habitants). Le bilinguisme en Belgique, au QuĂ©bec (personnes). QualitĂ© de bilingue. Le bilinguisme parfait est rare ». Pour sa part, Le Larousse consigne la dĂ©finition suivante : « Situation dâun individu parlant couramment deux langues diffĂ©rentes (bilinguisme individuel) ; situation dâune communautĂ© oĂč se pratiquent concurremment deux langues ». Ranka Bijeljac-Babic, de lâUniversitĂ© de Poitiers, introduit des Ă©lĂ©ments de dĂ©finition en ces termes : « Les termes « bilingue », « bilinguisme » dĂ©signent diffĂ©rents phĂ©nomĂšnes selon quâils dĂ©crivent un individu, une communautĂ© ou un mode de communication. Une personne est bilingue si elle utilise deux langues de façon rĂ©guliĂšre ; une sociĂ©tĂ© est bilingue si elle utilise une langue dans un contexte et lâautre dans un contexte diffĂ©rent. » (« Enfant bilingue / De la petite enfance Ă lâĂ©cole », Ăditions Odile Jacob, 2017). Le bilinguisme de sociĂ©tĂ© Ă©voquĂ© dans le dernier segment de cette dĂ©finition est contestable et il rappelle lâopposition de nombre de linguistes au concept de diglossie appliquĂ© Ă la situation linguistique haĂŻtienne.
Sans entrer dans les dĂ©tails de son argumentaire, il est utile de mentionner lâĂ©clairage que propose le linguiste-amĂ©nagiste Jean-Claude Corbeil lorsquâil Ă©tablit une « Distinction entre bilinguisme en tant que projet individuel et bilinguisme en tant que projet collectif-Distinction entre bilinguisme institutionnel et bilinguisme fonctionnel ». Ainsi, « Lâobjectif du bilinguisme de langue commune est de donner Ă lâindividu une aisance linguistique en langue seconde qui lui permette, par exemple, dâentretenir une conversation courante, de lire, dâaller au cinĂ©ma, de faire ses courses, de manger au restaurant, en somme les gestes les plus familiers de la vie quotidienne. (...) câest le vocabulaire surtout qui caractĂ©rise le bilinguisme de langue spĂ©cialisĂ©e : il sâagit, ici, dâacquĂ©rir le vocabulaire dâune science, dâun mĂ©tier, dâune technique, ou encore un ensemble de vocabulaires qui constituent la langue dâune entreprise. Le bilinguisme est institutionnel lorsque la sociĂ©tĂ© tend Ă vouloir faire de chaque individu un individu bilingue tant de langue commune que de langue
spĂ©cialisĂ©e » (Jean-Claude Corbeil : « Lâembarras des langues / Origine, conception et Ă©volution de la politique linguistique quĂ©bĂ©coise », Ăditions QuĂ©bec-AmĂ©rique, 2007).
Dans le droit fil de ces diffĂ©rents Ă©clairages notionnels, nous entendons par « bilinguisme de lâĂ©quitĂ© des droits linguistiques » la future politique dâĂtat dâamĂ©nagement des deux langues officielles dâHaĂŻti conformĂ©ment Ă la Constitution de 1987 et qui sâarticule sur deux versants indissociables :
(1) Ă lâĂ©chelle de lâĂtat, le bilinguisme institutionnel instaure la paritĂ© effective et mesurable entre nos deux langues officielles et il garantit, dans la sphĂšre publique, lâobligation de lâĂtat dâeffectuer toutes ses prestations, orales et Ă©crites, en crĂ©ole et en français, et dâĂ©laborer/diffuser tous ses documents administratifs dans les deux langues officielles du pays â il sâagit lĂ dâune obligation dĂ©jĂ inscrite Ă lâarticle 40 de la Constitution de 1987. Le bilinguisme institutionnel se rĂ©fĂšre ainsi en amont aux droits linguistiques collectifs ainsi quâĂ lâ« aptitude dâun service public Ă fournir Ă la population et Ă son propre personnel des services dans les deux langues officielles » (Centre de traduction et de terminologie juridiques (CTTJ), FacultĂ© de droit, UniversitĂ© de Moncton, et Bureau de la traduction du gouvernement fĂ©dĂ©ral canadien).
(2) Ă lâĂ©chelle de la sociĂ©tĂ©, le bilinguisme individuel recouvre le « droit Ă la langue » (le droit Ă lâacquisition et Ă la maĂźtrise des deux langues du patrimoine linguistique historique dâHaĂŻti ; le « droit Ă la langue maternelle » (le droit Ă la maĂźtrise et Ă lâutilisation de la langue maternelle crĂ©ole dans toutes les situations de communication) et qui est Ă©troitement liĂ© aux obligations de lâĂtat sur le registre du bilinguisme institutionnel.
En tant que politique dâĂtat, le « bilinguisme de lâĂ©quitĂ© des droits linguistiques » que nous prĂ©conisons au coeur de lâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti constitue sur plusieurs plans une avancĂ©e majeure. Il est conforme au « PrĂ©ambule » et aux articles 5 et 40 de la Constitution de 1987, il est en lien direct avec la DĂ©claration universelle des droits linguistiques de 1996, et il sâarticule Ă la perspective centrale en jurilinguistique selon laquelle les droits linguistiques, dans leur universalitĂ©, sont Ă la fois individuels et collectifs. Ainsi, dans cette optique, le « bilinguisme de
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis lâĂ©quitĂ© des droits linguistiques » renvoie Ă toute la problĂ©matique du rĂŽle central que lâĂtat doit assumer en matiĂšre de mise en Ćuvre des droits linguistiques et quant aux garanties constitutionnelles quâil faut obligatoirement leur accorder.
Dans une sĂ©rie dâarticles spĂ©cialisĂ©s parus sur le site de lâObservatoire international des droits linguistiques, « LâĂtat et les droits linguistiques », le juriste Graham Fraser prend soin de noter que « Les droits linguistiques sont plus que des moyens de protection : ce sont aussi des outils de transformation qui permettent aux citoyens (...) de fonctionner en tant que membres Ă part entiĂšre de la sociĂ©tĂ©. Ainsi, les droits linguistiques sont, Ă nâen pas douter, des droits individuels, mais ils nâacquiĂšrent leur plein sens que dans le contexte de la communautĂ© linguistique dont fait partie la personne qui les revendique » (Revue de droit linguistique 5 / 1, 2018.) Dans cette mĂȘme publication spĂ©cialisĂ©e, Graham Fraser â « Senior Fellow » (« Professionnel en rĂ©sidence ») Ă lâĂcole supĂ©rieure dâaffaires publiques et internationales Ă lâUniversitĂ© dâOttawa, auparavant Commissaire aux langues officielles du Canada et prĂ©sident de lâAssociation internationale des commissaires linguistiques de 2013 Ă 2016 â, mentionne la rĂ©fĂ©rence suivante tout en faisant ressortir le rĂŽle de lâĂtat en matiĂšre de droits linguistiques : « Voir notamment R c Beaulac, [1999] 1 RCS 768 au parag. 20 : « Les droits linguistiques ne sont pas des droits nĂ©gatifs, ni des droits passifs ; ils ne peuvent ĂȘtre exercĂ©s que si les moyens en sont fournis. Cela concorde avec lâidĂ©e prĂ©conisĂ©e en droit international que la libertĂ© de choisir est dĂ©nuĂ©e de sens en lâabsence dâun devoir de lâĂtat de prendre des mesures positives pour mettre en application des garanties linguistiques [...] ». Sur ce registre, il faut prendre toute la mesure que la mise en application des droits linguistiques exige des mesures gouvernementales explicites et appropriĂ©es et elle crĂ©e des obligations pour lâĂtat : ces mesures et obligations doivent ĂȘtre consignĂ©es dans un dispositif dâordre juridique et administratif.
Enseignant de carriĂšre et Ă©ditorialiste disposant en HaĂŻti dâune large audience dans les milieux Ă©ducatifs et dans les mĂ©dias, Roody EdmĂ© nous invite avec hauteur de vue Ă une rĂ©flexion rassembleuse sur le bilinguisme haĂŻtien dans les termes suivants : « Si lâon parle de refondation de ce pays, on ne peut faire lâĂ©conomie dâun dispositif lĂ©gislatif consacrant lâautodĂ©termination et la protection de la langue parlĂ©e par tous les HaĂŻtiens,
[le crĂ©ole] tout en conservant au français sa place historique. Notre bilinguisme est une richesse quâil faut donc cultiver comme la terre, assainir comme notre environnement, et le mettre au service du jeune HaĂŻtien comme un outil prĂ©cieux dâĂ©ducation et de production de richesses » (« Bilinguisme haĂŻtien : sortir de la zone grise », AlterPresse, 13 fĂ©vrier 2022).
En guise de conclusion il est nĂ©cessaire de rappeler, comme nous lâavons auparavant exposĂ©, que la Constitution haĂŻtienne de 1987 est la seule Constitution dĂ©mocratique adoptĂ©e par la voie inĂ©dite du vote rĂ©fĂ©rendaire majoritaire au pays de 1804 Ă nos jours. Elle confĂšre aux institutions nationales, dĂ©partementales et communales du pays leur pleine et entiĂšre lĂ©gitimitĂ© populaire. Le fait quâelle a Ă©tĂ© peu appliquĂ©e ou mal appliquĂ©e ou travestie ou combattue par diffĂ©rentes forces politiques nâaltĂšre en rien cette lĂ©gitimitĂ© populaire. Câest prĂ©cisĂ©ment parce que cette Constitution â dĂ©tentrice de lâentiĂšre lĂ©gitimitĂ© populaire â, (1) consigne les fondements de lâĂtat de droit, (2) garantit les droits citoyens fondamentaux, incluant les droits linguistiques et le droit Ă la scolarisation en langue maternelle crĂ©ole, et (3) fixe les obligations de lâĂtat sur diffĂ©rents registres, quâelle a Ă©tĂ© malmenĂ©e par des politiciens de tous bords, y compris par des nostalgiques de la dictature duvaliĂ©riste et par les ayants-droits de la « rente financiĂšre dâĂtat ». Plusieurs tentatives illĂ©gales et inconstitutionnelles dâ« amendement » de la Constitution de 1987 ont Ă©tĂ© entreprises ces derniĂšres annĂ©es, mais elles ont toutes Ă©chouĂ©. Elles seront sans doute reprises en 2024-2025 par les nouveaux tenants du pouvoir politique qui ne sont dĂ©tenteurs dâaucune lĂ©gitimitĂ© populaire et constitutionnelle. Lâobjectif central dâune telle forfaiture politique sera de rendre inopĂ©rante la lĂ©gitimitĂ© populaire au fondement du vote rĂ©fĂ©rendaire de 1987 et de remplacer cette lĂ©gitimitĂ© populaire par un rĂ©gime dâexception dit de « transition politique » au motif que le pays connaĂźt une « situation exceptionnelle » Ă laquelle il a fallu rĂ©pondre par des « mesures exceptionnelles »...
Et lâon verra une fois de plus accourir au chevet dâHaĂŻti âqui aura Ă©tĂ© Ă nouveau gratifiĂ©e du diagnostic de son « incapacitĂ© » Ă entrer en dĂ©mocratieâ, les « experts », les « spĂ©cialistes » et les « stratĂšges » multitĂąches de lâONU, de lâOEA et de la comateuse CARICOM. La « fabrique du consentement » politique sera une fois de plus mise en route, comme
en 1991, en 1994, en 2004 et en 2011, avec les mĂȘmes acteurs politiques, et elle accouchera des mĂȘmes rĂ©sultats... Ă la diffĂ©rence notable, dans le contexte actuel, que les dĂ©tenteurs « transitionnels » du pouvoir politique font face Ă la violence des gangs armĂ©s sur lâensemble du territoire national et que nos institutions rĂ©galiennes ont Ă©tĂ© assautĂ©es et dĂ©mantibulĂ©es ces onze derniĂšres annĂ©es par le cartel politico-mafieux du PHTK nĂ©o-duvaliĂ©riste fortement reprĂ©sentĂ©, aujourdâhui encore, au plus haut niveau de lâĂtat.
LâamĂ©nagement du crĂ©ole en HaĂŻti aux cĂŽtĂ©s du français et en conformitĂ© avec la Constitution de 1987 : promouvoir un dĂ©bat rigoureux et rassembleur
Montréal, le 4 décembre 2023
PubliĂ©s dâabord en HaĂŻti dans le journal Le National et quelques fois sur le site AlterPresse puis reproduits en outre-mer sur diffĂ©rents sites âFondas kreyĂČl, Montray kreyĂČl, MadininâArt (Martinique), RezonĂČdwĂšs (ĂtatsUnis) et MĂ©diapart (France)â, plusieurs de nos articles exposent deux caractĂ©ristiques majeures de la configuration sociolinguistique dâHaĂŻti. Nous avons mis en lumiĂšre dâune part lâusage dominant du français institutionnalisĂ© dĂšs la promulgation de lâ« Acte de lâIndĂ©pendance dâHaĂŻti » le 1er janvier 1804 (premier document historique du nouvel Ătat, rĂ©digĂ© uniquement en français), et, dâautre part, nous avons fourni un Ă©clairage analytique sur la minorisation institutionnelle du crĂ©ole, langue usuelle de la majoritĂ© des locuteurs haĂŻtiens. Ces deux caractĂ©ristiques sont Ă lâorigine des rapports inĂ©galitaires depuis lors instituĂ©s entre les deux langues de notre patrimoine linguistique historique, le crĂ©ole et le français. Les rapports inĂ©galitaires entre les deux langues se sont consolidĂ©s au fil des ans dans diffĂ©rents domaines, notamment dans lâĂcole haĂŻtienne jusquâĂ prĂ©sent privĂ©e dâune politique linguistique Ă©ducative alors mĂȘme que lâarticle 32 de la Constitution de 1987 consigne le droit Ă lâĂducation et que lâarticle 5 consacre la co-officialisation du crĂ©ole et du français. Sur le registre du regard diffractĂ© que portent plusieurs locuteurs sur diffĂ©rents aspects de la problĂ©matique linguistique haĂŻtienne, nous avons notĂ© que la presse parlĂ©e et Ă©crite ainsi que les rĂ©seaux sociaux, au pays comme en diaspora, se font lâĂ©cho de maniĂšre constante de dĂ©bats, dâĂ©changes divers et dâopinions diffĂ©renciĂ©es. Les Ă©changes et dĂ©bats sont dans bien des cas constructifs mais nous avons Ă©galement constatĂ© que plusieurs interventions ponctuelles sont de lâordre du « voye monte », du verbiage qui, lui, alimente la confusion (« verbiage » : « Flot de paroles superflues masquant la pauvretĂ© de la pensĂ©e », dictionnaire Le Larousse).
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis
Ainsi, lâune des caractĂ©ristiques de certaines interventions relatives au crĂ©ole sur les rĂ©seaux sociaux est le verbiage intempestif, le radotage prĂ©tentieux Ă lâaune dâun « voye monte » rĂ©pĂ©titif, chĂ©tif et iconoclaste. Lâun des adeptes du verbiage sur Facebook â haut-lieu et miroir bavardeux du narcissisme et du nombrilisme â, est un certain Marc-Arthur Thys qui assimile son radotage Ă un axiome « scientifique » et se croit compĂ©tent lorsquâil sâexprime « doctement » et dogmatiquement sur le crĂ©ole. Le 14 novembre 2023, il a une fois de plus infligĂ© Ă ses rares lecteurs son habituel verbiage en ces termes : « Oui, je persiste et signe : un HaĂŻtien qui ne peut Ă©crire quâen crĂ©ole est un handicapĂ©. Ăcrire en français (ou [dans] une grande langue internationale) câest faire le choix de la richesse. Ăcrire en crĂ©ole câest faire le choix de la pauvretĂ© ». Du haut de son immense « savoir encyclopĂ©dique », Marc-Arthur Thys Ă©met ce surrĂ©aliste « diagnostic » sociolinguistique sans fournir la moindre analyse scientifique Ă lâappui de sa « trouvaille »...
Il ne fait aucun doute quâavec la litanie itĂ©rative et pontifiante de Marc-Arthur Thys sur Facebook lorsquâil se met Ă pĂ©rorer Ă propos du crĂ©ole, nous sommes sur le registre de la version haĂŻtienne de la boule de cristal et de la « divination », sorte de mantra Ă©sotĂ©rique jusquâĂ prĂ©sent inconnu des neurosciences, de la didactique des langues et des sciences du langage... Manifestement, Marc-Arthur Thys fait de sa lourde ignorance de la linguistique, de la crĂ©olistique, de la didactique des langues et de lâhistoire des Ă©crits crĂ©oles rĂ©pertoriĂ©s dĂšs la fin du XVIIĂšme siĂšcle une axiomatique illusionniste aussi pĂ©remptoire que fumeuse : Ă travers lâhistoire des idĂ©es au fil des siĂšcles, lâignorance nâa jamais constituĂ© un critĂšre Ă©pistĂ©mologique, un appareillage conceptuel ou un cadre mĂ©thodologique dâapprentissage ayant contribuĂ© aux avancĂ©es des savoirs et des connaissances... Pour mĂ©moire, il y a lieu de rappeler que dans un article rĂ©cent paru sur RezonĂČdwĂšs le 28 novembre 2023 â « Quelques repĂšres pour contribuer Ă une exploratoire « archĂ©ologie de la littĂ©rature crĂ©ole » â, nous avons exposĂ© les grandes lignes de la problĂ©matique dâune « archĂ©ologie de la littĂ©rature crĂ©ole » et celle, conjointe, dâun « discours littĂ©raire crĂ©ole savant ». Cette problĂ©matique a fait lâobjet dâune remarquable Ă©tude de Ralph Ludwig de lâUniversitĂ© Martin Luther Halle-Wittenberg en Allemagne, « LittĂ©ratures des mondes crĂ©oles â des dĂ©buts aux questionnements actuels », parue dans la revue Ătudes crĂ©oles no 33 | 1 | 2016. La pesante ignorance de la linguistique et de lâhistoire des crĂ©oles
inscrite au creux de lâaxiomatique illusionniste de Marc-Arthur Thys fait Ă©cran Ă lâĂ©tendue et Ă la pertinence des Ă©tudes conduites par des universitaires de renom sur les premiers Ă©crits rĂ©digĂ©s en langue crĂ©ole et qui ont Ă©tĂ© retracĂ©s aux XVIIĂšme et XVIIIĂšme siĂšcles. Ainsi, lâexploration de lâĂ©crit littĂ©raire crĂ©ole a fait lâobjet dâune ample Ă©tude du romancier et lexicographe martiniquais RaphaĂ«l Confiant intitulĂ©e « Les grandes dates de la langue crĂ©ole » (Fondas kreyĂČl, premiĂšre version : 27 janvier 2022). Sur son registre spĂ©cifique, lâĂ©crit littĂ©raire crĂ©ole bĂ©nĂ©ficie Ă©galement dâun Ă©clairage philologique de premier plan consignĂ© dans le remarquable livre de la linguiste Marie-Christine Hazael-Massieux, « Textes anciens en crĂ©ole français de la CaraĂŻbe / Histoire et analyse » (Ăditions Publibook 2008). Cette exceptionnelle publication de 487 pages, qui comprend 17 chapitres, sâouvre sur une question que se posent tous les crĂ©olophones qui sâintĂ©ressent de prĂšs ou de loin Ă lâĂ©crit littĂ©raire crĂ©ole : « Comment sont nĂ©s les crĂ©oles ? Dans cet ouvrage [qui se lit aisĂ©ment], Marie-Christine Hazael-Massieux prĂ©sente une centaine de textes anciens en crĂ©ole français de la CaraĂŻbe, datant principalement des XVIII et XIXĂšmes sciĂšcles (...) et relevant de genres multiples. Cette Ă©tude entreprend de saisir et dĂ©crire les interactions dans ces sociĂ©tĂ©s complexes, et par une approche contrastive, philologique, linguistique et sociolinguistique de textes souvent inĂ©dits, permet de revoir les hypothĂšses classiques en matiĂšre de genĂšse, tout en proposant un schĂ©ma historique de la crĂ©olisation. On peut ainsi mieux comprendre la formation et le dĂ©veloppement de ces langues quâon appelle crĂ©oles » [4Ăšme de couverture de lâouvrage].
Ătait-il utile de parler de lâaxiomatique illusionniste de lâun des adeptes du radotage sur Facebook alors mĂȘme quâil aurait mieux valu laisser
Marc-Arthur Thys, promoteur dâun sentencieux et prĂ©tentieux verbiage prĂ©scientifique, arpenter son habituelle solitude, lui qui nâest dĂ©tenteur dâaucune compĂ©tence connue en linguistique et nâa publiĂ© aucun article scientifique sur le crĂ©ole ? Il est vrai quâil aurait mieux valu laisser
Marc-Arthur Thys arpenter seul la pauvretĂ© de sa pensĂ©e prĂ©-scientifique et son culte immodĂ©rĂ© du radotage. Toutefois il nous a semblĂ© pertinent de lâĂ©voquer briĂšvement afin de rappeler une exigence qui relĂšve de lâĂ©pistĂ©mologie comme dâailleurs de lâĂ©thique : les linguistes doivent ĂȘtre Ă lâĂ©coute de lâopinion et de la maniĂšre de penser des non-linguistes au sujet de la problĂ©matique linguistique haĂŻtienne afin de proposer, au moyen dâĂ©changes rigoureusement documentĂ©s, une vision rassembleuse
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis de lâamĂ©nagement des deux langues de notre patrimoine linguistique historique en conformitĂ© avec la Constitution de 1987 et aussi dans le but dâoffrir en partage des propositions fondĂ©es sur les sciences du langage. Câest Ă©galement lâoccasion de rappeler que la prise en compte de lâopinion des non-linguistes ne signifie pas que cette opinion constitue un discours scientifique Ă valeur Ă©gale avec les sciences du langage : souvent lâopinion des non-linguistes sur le crĂ©ole relĂšve dâune vision enchĂąssĂ©e dans lâidĂ©ologie et dans des revendications identitaires, et les porteurs des diverses variĂ©tĂ©s dâun discours idĂ©ologique sur le crĂ©ole confondent indistinctement une opinion et un discours scientifique sur la langue crĂ©ole.
LâĂ©vocation ponctuelle du pontifiant verbiage de Marc-Arthur Thys nous permet Ă©galement de rappeler un fait observable : trĂšs souvent en HaĂŻti la discussion et les Ă©changes sur la problĂ©matique linguistique haĂŻtienne et en particulier sur le crĂ©ole sont passionnelles, elles sâeffectuent trop frĂ©quemment sur le mode de lâenfermement idĂ©ologique et dâune pensĂ©e binaire quasi catĂ©chĂ©tique Ă contre-courant des sciences du langage. Il est de surcroĂźt particuliĂšrement symptomatique et rĂ©vĂ©lateur de constater que lâenfermement idĂ©ologique et la pensĂ©e binaire quasi catĂ©chĂ©tique caractĂ©risent Ă la fois le discours dâun nombre indĂ©terminĂ© de « militantsapĂŽtres-crĂ©olistes » et celui des Ayatollahs du crĂ©ole. Câest donc en raison de cette « parentĂ© idĂ©elle » et idĂ©ologique quâil importe de soumettre Ă lâanalyse critique, toutes les fois quâil le faut, le dispositif Ă©nonciatif mis en Ćuvre par les « militants-apĂŽtres-crĂ©olistes » et celui des Ayatollahs du crĂ©ole.
Lâenfermement idĂ©ologique et la pensĂ©e binaire dont il est question dans cet article relĂšvent de lâ« idĂ©ologie linguistique ». Dans une Ă©tude qui a le grand mĂ©rite de caractĂ©riser les principaux ressorts des idĂ©ologies linguistiques, « IdĂ©ologies linguistiques et didactique des langues », ZiXi Wang (UniversitĂ© Paul ValĂ©ry-Montpellier), nous enseigne quâ« En sociolinguistique, H. Boyer (2003, p. 17) souligne que lâidĂ©ologie est en effet « un corps plus ou moins fermĂ© de reprĂ©sentations, une construction socio-cognitive spĂ©cifique Ă teneur coercitive, susceptible de lĂ©gitimer des discours performatifs et donc des actions dans la perspective de la conquĂȘte, de lâexercice, du maintien dâun pouvoir au sein de la communautĂ© concernĂ©e ou face Ă une autre / dâautres communautĂ©(s) ». Citant Jean-Louis Chiss, il prĂ©cise que « Les idĂ©ologies linguistiques, « mythes » discursivement
organisĂ©s, structurent historiquement « des reprĂ©sentations spontanĂ©es Ă la fois volatiles et prĂ©gnantes » (Chiss, 2010, p. 12), qui se diffusent et sâinstallent dans les lieux oĂč se fabriquent et se transmettent les savoirs sur les langues comme lâĂ©cole et le journal (Chiss., 2005, p. 70). Il sâagira de mesurer leurs influences sur la linguistique savante, sur les politiques linguistiques, sur les systĂšmes Ă©ducatifs et leur « offre » de langues (Chiss, 2010) ». Lâauteur de lâarticle prĂ©cise Ă©galement que « Lâun des traits dâidĂ©ologie linguistique rĂ©side dans lâidĂ©e ordinaire des locuteurs, de lâinĂ©galitĂ© de langues. Cette reprĂ©sentation idĂ©ologique des langues consiste Ă faire croire que les langues sont dâinĂ©gales valeurs. Elle provient le plus souvent de prĂ©jugĂ©s ethnocentriques, qui consistent Ă la dĂ©valorisation des langues dâaltĂ©ritĂ©s, pour maintenir la supĂ©rioritĂ© de sa propre langue/culture et de son groupe (Beacco, 2003) ». (Voir ZiXi Wang : « IdĂ©ologies linguistiques et didactique des langues », HypothĂšses â Carnet de recherche, 12 janvier 2015). Lâarticle de Jean-Louis Chiss datĂ© de 2005 auquel se rĂ©fĂšre ZiXi Wang sâintitule « La thĂ©orie du langage face aux idĂ©ologies linguistiques » (consignĂ© dans G.Dessons, S. Martin & P. Michon (Ă©ds.), « Henri Meschonnic, la pensĂ©e et le poĂšme », Paris, InPress) et il a Ă©tĂ© reproduit dans la revue Langages, 2011/2, n° 182. Celui de 2010 a pour titre « Linguistique française et enseignement du français (de lâEPPFE Ă lâUFR DFLE) : lâĂ©preuve de lâĂ©tranger » et il a Ă©tĂ© Ă©ditĂ© par la SociĂ©tĂ© internationale pour lâhistoire du français langue Ă©trangĂšre ou seconde, sĂ©rie « Documents pour lâhistoire du français langue Ă©trangĂšre ou seconde » (44 / 2010). Lâun des livres phare de Jean-Louis Chiss a pour titre « La culture du langage et les idĂ©ologies linguistiques » (Ăditions Lambert-Lucas, 2018). Il plaide pour la survenue dâun acte fondateur, Ă savoir « dĂ©construire les idĂ©ologies », affronter les « dĂ©terminations politiques et Ă©thiques » [car dit-il] « (...) les idĂ©ologies linguistiques se construisent comme des ensembles structurĂ©s de reprĂ©sentations et de discours avec une consistance, une systĂ©matisation, une historicitĂ© surtout, et sâinscrivent dans des cultures linguistiques et Ă©ducatives spĂ©cifiques ». La notion dâ« idĂ©ologie linguistique », a Ă©galement Ă©tĂ© abordĂ©e dans lâĂ©tude dâAnnette Boudreau intitulĂ©e « IdĂ©ologie linguistique » parue dans Langage et sociĂ©tĂ©, HS1, 2021. Elle prĂ©cise, entre autres, que « Les idĂ©ologies linguistiques ont fait retour en Europe par lâanthropologue du langage Ă©tats-unien Michael Silverstein. Il les dĂ©finit comme « A set of beliefs about language articulated by users as a rationalization or justification of perceived language and use (1979, p. 193) »
[Traduction RBO : « Ensemble de croyances sur la langue formulées par
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis les utilisateurs pour rationaliser ou justifier la langue et lâutilisation quâils en font »]. Annette Boudreau note que « Cette dĂ©finition sâest affinĂ©e avec le temps afin dâinclure des facteurs historiques et socio-politiques qui permettent de mieux comprendre comment sâĂ©tablissent et sâexercent les relations de pouvoir Ă lâintĂ©rieur dâun groupe, lesquelles contribuent Ă la façon dont ses membres perçoivent leurs langue(s) et celle(s) des autres, et agissent sur leurs pratiques linguistiques (pour une synthĂšse des diffĂ©rentes approches, voir Costa, 2017) ».
La problĂ©matique de lâ« idĂ©ologie linguistique » a Ă©tĂ© abordĂ©e avec hauteur de vue par le sociolinguiste et sociodidacticien haĂŻtien Bartholy Pierre Louis dans sa remarquable thĂšse de doctorat intitulĂ©e « Quelle autogestion des pratiques sociolinguistiques haĂŻtiennes dans les interactions verbales scolaires et extrascolaires en HaĂŻti ? : une approche sociodidactique de la pluralitĂ© linguistique ». Cette thĂšse de doctorat, dĂ©fendue avec succĂšs le 15 dĂ©cembre 2015 sous le sceau de lâUniversitĂ© europĂ©enne de Bretagne (laboratoire « Plurilinguisme, reprĂ©sentations, expressions francophones information, communication, sociolinguistique », PREFics â UFR Arts, lettres, communication (ALC), a Ă©tĂ© Ă©laborĂ©e sous la direction du linguiste Philippe Blanchet, professeur Ă lâUniversit ? ? Rennes 2. Sociolinguiste, spĂ©cialiste du plurilinguisme et didacticien de rĂ©putation internationale, Philippe Blanchet est lâauteur entre autres de « Les transpositions didactiques », dans Blanchet, P. et Chardenet, P. (dir.), « Guide pour la recherche en didactique des langues et des cultures. Approches contextualisĂ©es ». MontrĂ©al / Paris, PREFics, Agence universitaire de la Francophonie / Ăditions des archives contemporaines, 2011 ; il est Ă©galement lâauteur de « Politique linguistique et diffusion du français dans le monde », dans Bulot, T. et Blanchet, Ph., « Une introduction Ă la sociolinguistique (pour lâĂ©tude des dynamiques de la langue française dans le monde) », Ăditions des archives contemporaines, Paris, 2013.
Dans sa thĂšse de doctorat, Bartholy Pierre Louis examine, Ă partir dâune recherche de terrain effectuĂ©e en HaĂŻti, « LâidĂ©ologie linguistique haĂŻtienne : pour ou contre le français ? » (chapitre 4.3.1.3, page 201 et suivantes). Il expose que « Ce travail de recherche basĂ© sur une approche empirico-inductive est une description analytique et une synthĂšse interprĂ©tative des pratiques sociolinguistiques haĂŻtiennes Ă partir des reprĂ©sentations du français et du crĂ©ole (langues co-officielles) ». Il fait la dĂ©monstration que
« lâidĂ©ologie linguistique haĂŻtienne » fonctionne sur le mode de la pensĂ©e binaire, celle de lâopposition idĂ©ologique instituĂ©e entre le français et le crĂ©ole dans le discours des « crĂ©olistes » fondamentalistes : lâune des caractĂ©ristiques majeures de « lâidĂ©ologie linguistique haĂŻtienne » repĂ©rable chez les « crĂ©olistes » fondamentalistes et autres Ayatollahs du crĂ©ole consiste en effet, par lâĂ©mission dâune « fatwa » contre la langue française en HaĂŻti, Ă enfermer les dĂ©bats sur le crĂ©ole dans lâĂ©troite lucarne dâune pseudo « guerre des langues » en HaĂŻti. Câest le lieu de rappeler que lâ« idĂ©ologie linguistique haĂŻtienne » â sanctuarisĂ©e Ă lâAcadĂ©mie crĂ©ole, lâAKA, ou chez plusieurs « militants-apĂŽtres-crĂ©olistes » en HaĂŻti et en diaspora ou au MIT Haiti Initiative â, met en Ćuvre deux leviers majeurs au creux du populisme linguistique : le « fĂ©tichisme de la langue » et lâ« idĂ©ologisation de la langue », leviers qui nâappartiennent pas aux sciences du langage et qui ne peuvent pas modĂ©liser lâamĂ©nagement du crĂ©ole.
« LâopĂ©ration de fĂ©tichisation de la langue lĂ©gitime » et « lâidĂ©ologie de la langue comme bien public » sont dĂ©crites par le sociologue Pierre Bourdieu et Luc Boltanski dans une longue Ă©tude intitulĂ©e « Le fĂ©tichisme de la langue » (Actes de la recherche en sciences sociales, volume 1 no 4, juillet 1975, numĂ©ro thĂ©matique « Le fĂ©tichisme de la langue »). La « fĂ©tichisation de la langue lĂ©gitime » est Ă©galement abordĂ©e par Pierre Bourdieu dans « Langage et pouvoir symbolique » (Ăditions Fayard, 2014), au chapitre 1, « La production et la reproduction de la langue lĂ©gitime » compris dans « Ce que parler veut dire / LâĂ©conomie des Ă©changes linguistiques » auparavant publiĂ© aux Ăditions Fayard en 1982 [1997]. Le lecteur curieux pourra consulter ces publications en vue dâapprofondir les propositions analytiques de lâauteur. Dans le cadre de cet article de vulgarisation, il est utile de rappeler que le terme « fĂ©tichisation » sâentend au sens de « Attribuer Ă quelquâun ou Ă quelque chose une existence ou un pouvoir quasi-magique » (dictionnaire Ortolang), et « fĂ©tichiser » signifie « Attribuer Ă quelquâun, Ă quelque chose une existence ou un pouvoir quasi magique, les respecter de façon excessive » (dictionnaire Le Larousse). La « fĂ©tichisation » Ă©voquĂ©e dans le prĂ©sent article dĂ©signe donc les divers dispositifs Ă©nonciatifs relatifs au crĂ©ole qui sâexpriment pour lâessentiel sur le registre de lâidĂ©ologie : il y a une vĂ©ritable migration, notamment depuis 1987, du dĂ©bat dâidĂ©es sur le crĂ©ole depuis le pĂ©rimĂštre des sciences du langage vers lâĂ©troite lucarne de lâidĂ©ologie.
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis
De maniĂšre rĂ©currente, la « fĂ©tichisation de la langue lĂ©gitime », le crĂ©ole, consiste Ă lâessentialiser en lui accordant toutes les « vertus » faisant de lui lâessence unique de lâidentitĂ© haĂŻtienne, lâunique instrument, lâunique potion pouvant assurer le « salut » du corps social haĂŻtien malade de tous ses maux historiques et contemporains. Lâabord de la « fĂ©tichisation de la langue » est dâun grand intĂ©rĂȘt pour bien comprendre les diffĂ©rentes manifestations du repli et de lâenfermement de la rĂ©flexion sur le crĂ©ole dans les filets de lâidĂ©ologie. En HaĂŻti comme dans diffĂ©rentes aires gĂ©ographiques, la « fĂ©tichisation de la langue » a empruntĂ© la voie de lâ« essentialisation de la langue », phĂ©nomĂšne amplement Ă©tudiĂ© par Jean-Marie Klinkenberg dans lâarticle « La conception essentialiste du français et ses consĂ©quences / RĂ©flexions polĂ©miques » (Revue belge de philosophie et dâhistoire (tome 79, fasc. 3, 2001). Il lâexprime en ces termes : « Mais il y a quelque chose de commun entre les deux situations : câest la manĆuvre qui consiste Ă hypostasier la langue, Ă en faire une essence, Ă y voir un objet allant de soi. Quâelle fonctionne comme emblĂšme ou stigmate, la langue est vue dans son unitĂ©, et non dans sa diversitĂ© ; dans son irrĂ©ductible spĂ©cificitĂ©, et non dans sa gĂ©nĂ©ricitĂ©. Et dĂšs lors une telle langue doit nĂ©cessairement ĂȘtre conforme Ă un modĂšle idĂ©al, stable, voire immuable. Adamique et antĂ©-babĂ©lienne. Avatar de la croyance selon laquelle chaque langue aurait ce que lâon appelle mystĂ©rieusement son « gĂ©nie », cachĂ© dans un Saint des Saints auquel seuls auraient accĂšs certains grands prĂȘtres, cette conception est particuliĂšrement pregnante dans le cas de langue française, qui, plus quâune autre, sâest dotĂ©e de puissants instruments de stabilisation et de cĂ©lĂ©bration ».
Un exemple rĂ©cent de « fĂ©tichisation de la langue » : la sanctification et la sanctuarisation du crĂ©ole dans le diptyque « lang kreyĂČl » / « lang blan » chez lâuniversitaire haĂŻtien Jean Casimir, enseignant-chercheur Ă lâUniversitĂ© dâĂtat dâHaĂŻti. Il a publiĂ© plusieurs articles sur le site Ayibopost dans lesquels il se prononce sur la problĂ©matique linguistique haĂŻtienne et en particulier sur le crĂ©ole. Il a ainsi fait paraĂźtre sur ce site, le 10 fĂ©vrier 2023, lâarticle « Lang blan yo p ap pran peyi a pou yo ». Comme nous lâavons dĂ©montrĂ© dans lâarticle « Jean Casimir ou les dĂ©rives dâune vision racialiste de la problĂ©matique linguistique haĂŻtienne » (Le National, Port-au-Prince, 21 mars 2023), Jean Casimir fait le lien entre la dĂ©mocratie et la langue que parle la dĂ©mocratie : « Pou gen demokrasi, fĂČk moun lavil â soti nan kwĂČkmĂČ nan simityĂš rive nan pi gwo otorite palĂš nasyonal â gouvĂšnen ak
lang pĂšp la pale. Depi alatĂšt yo kantonnen kĂČ yo nan sitadĂšl blan franse a, yo p ap pale ak abitan peyi a. Yo gen pwoteksyon etranje, e pa gen twonpĂšt de Jeriko k ap kraze mi sa a. » Lâon a dĂšs ce paragraphe notĂ© le glissement âsĂ©mantique et conceptuelâ, opĂ©rĂ© par lâauteur vers une vision essentialiste et racialiste des rapports entre les langues, dâune part, et, dâautre part, entre les langues et les forces politiques en HaĂŻti vĂ©hiculĂ©e par Jean Casimir : « nan sitadĂšl blan franse a ». Cette vision essentialiste et racialiste des rapports des forces politiques se dĂ©nude, sous la plume de lâauteur, au paragraphe suivant de son article : « (...) KĂČm blan sĂšnen nou tout kote, nou bezwen franse a ak tout lĂČt lang blan yo. Men fĂČk Lasosyete konprann ke konvĂšsasyon ak blan pa ka fĂšt dĂšyĂš do malere. Angle, franse, panyĂČl gen pou sikile tout kote nan peyi a, san restriksyon. Se dakĂČ. Men lang blan yo p ap pran peyi a pou yo. Yo p ap deplase kreyĂČl la, depi gen Ayisyen ladann ». Il y a lieu de tenir Ă distance toute mĂ©sinterprĂ©tation de notre approche critique de la vision essentialiste et racialiste de Jean Casimir : sâil est vrai que sur des registres familiers du crĂ©ole le terme « blan » dĂ©signe lâ« Ă©tranger » en gĂ©nĂ©ral â comme dâailleurs le terme « nĂšg » dĂ©signe le gĂ©nĂ©rique « homme » â, dans le contexte de son article câest la jonction de « lang » + « blan » qui est sĂ©mantiquement signifiante, qui est porteuse du sens premier de sa vision, car lâauteur cible trĂšs prĂ©cisĂ©ment la langue dans lâĂ©noncĂ© « nou bezwen franse a ak tout lĂČt lang blan yo ». La vision racialiste de la problĂ©matique linguistique haĂŻtienne vĂ©hiculĂ©e par Jean Casimir participe pleinement de la « fĂ©tichisation de la langue » crĂ©ole par le dĂ©tour idĂ©ologique de lâhyspostasie et de lâ« essentialisme linguistique » que dĂ©crit Jean-Marie Klinkenberg dans son article plus haut citĂ©. La vision racialiste de la problĂ©matique linguistique haĂŻtienne portĂ©e par Jean Casimir se dĂ©ploie au pĂ©rimĂštre du populisme linguistique aujourdâhui en vogue au ministĂšre de lâĂducation nationale et dans la minuscule sphĂšre de lâAkademi kreyĂČl. Par-delĂ la lourde confusion que gĂ©nĂšre la vision racialiste de la problĂ©matique linguistique haĂŻtienne, il ne faut pas perdre de vue quâelle sâinscrit objectivement dans lâaxiomatique noiriste, celle de la racialisation de lâhistoire nationale et de la racialisation des rapports entre les classes sociales en HaĂŻti telles que mises en Ćuvre par le dictateur François Duvalier dans ses Ă©crits. La racialisation de lâhistoire nationale est au fondement du fascisme duvaliĂ©riste qui a eu ses thurifĂ©raires et ses intellectuels de service ainsi que ses Ă©crits de propagande. Il est attestĂ© que la dictature de François Duvalier disposait de ses intellectuels « en service commandĂ© » : les frĂšres Paul et Jules Blanchet, lâautoproclamĂ©
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis
« historien » rĂ©visionniste Rony Gilot (laudateur-maquilleur de la dictature duvaliĂ©riste), lâidĂ©ologue raciste RenĂ© Piquion (porte-Ă©tendard du noirisme et des « authentiques »), GĂ©rard Daumec (le prĂ©facier en 1967 du « Guide des « Ćuvres essentielles » du docteur François Duvalier ») et le proto-nazi GĂ©rard de Catalogne (admirateur de PĂ©tain et de Maurras et responsable Ă©ditorial des « Ćuvres essentielles » de François Duvalier). Rappel : sur les fondements historiques du noirisme duvaliĂ©riste, voir la remarquable Ă©tude de Micheline Labelle, « La force opĂ©rante de lâidĂ©ologie de couleur en 1946 » consignĂ©e dans le livre paru sous la direction de Frantz Voltaire, « Pouvoir noir en HaĂŻti. Lâexplosion de 1946 », (MontrĂ©al : V&R Ăditeurs et les Ăditions du Cidihca, 1988).
Lâ« idĂ©ologisation de la langue » ainsi que la « fĂ©tichisation de la langue lĂ©gitime » dĂ©crites par les sociologues Pierre Bourdieu et Luc Boltanski dans lâĂ©tude « Le fĂ©tichisme de la langue » (Actes de la recherche en sciences sociales, volume 1 no 4, juillet 1975, numĂ©ro thĂ©matique « Le fĂ©tichisme de la langue »), sont Ă©galement repĂ©rables dans lâargumentaire pseudo-scientifique et fallacieux exposĂ© par le MIT Haiti Initiative pour justifier, sur le registre de la « lexicographie borlette », lâĂ©laboration de son mĂ©diocre « Glossary of STEM terms from the MIT â Haiti Initiative ». Lâ« idĂ©ologisation de la langue » et la « fĂ©tichisation de la langue lĂ©gitime » sont ainsi mises en Ćuvre sous couvert dâune dĂ©marche « lexicographique » et « nĂ©ologique » inconnue de la mĂ©thodologie de la lexicographie professionnelle : en embuscade sous les oripeaux de lâidĂ©ologie, lâ« essentialisme linguistique » prend au MIT Haiti Initiative lâallure dâun discours scientifique qui, Ă lâanalyse, se rĂ©vĂšle incompĂ©tent et amateur. Ainsi, dans la plus grande confusion conceptuelle entre « glossaire » et « lexique », le MIT-Haiti Initiative a Ă©laborĂ© un lexique bilingue anglais-crĂ©ole dâenviron 800 termes quâil prĂ©sente faussement comme un « glossaire ». Lâaventureuse prĂ©tention du MIT-Haiti Initiative de fournir un « Glossaire » destinĂ© à « la crĂ©ation et la traduction de matĂ©riel dans les domaines des sciences, de la technologie, de lâingĂ©nierie et des mathĂ©matiques (STEM) » sâapparie Ă une vĂ©ritable « arnaque lexicographique » au creux de laquelle les rĂ©dacteurs du fantaisiste « Glossary of STEM terms from the MIT â Haiti Initiative », dĂ©pourvus de la moindre compĂ©tence connue en lexicographie crĂ©ole, soutiennent frauduleusement mener une entreprise de nĂ©ologie crĂ©ole. En effet, lâĂ©laboration du « Glossary » est prĂ©sentĂ©e, sur le site du MIT â Haiti Initiative â au chapitre « KreyĂČl-English glosses
for creating and translating materials in Science, Technology, Engineering & Mathematics (STEM) fields in the MIT-Haiti Initiative » â, dans les termes suivants : « (...) lâun des effets secondaires positifs des activitĂ©s du MIT-HaĂŻti (ateliers sur les STEM, production de matĂ©riel en kreyĂČl de haute qualitĂ©, etc.) est que nous enrichissons la langue dâun nouveau vocabulaire scientifique qui peut servir de ressource indispensable aux enseignants et aux Ă©tudiants Ces activitĂ©s contribuent au dĂ©veloppement lexical de la langue » crĂ©ole » [Traduction : RBO]. Comme nous lâavons rigoureusement dĂ©montrĂ© dans notre article « La lexicographie crĂ©ole Ă lâĂ©preuve des Ă©garements systĂ©miques et de lâamateurisme dâune « lexicographie borlette » (Le National, 28 mars 2023), le pseudo « nouveau vocabulaire scientifique » bricolĂ© par le MIT â Haiti Initiative en dehors de la mĂ©thodologie de la lexicographie professionnelle comprend un grand nombre dâĂ©quivalents « crĂ©oles » fantaisistes, erratiques, faux, sĂ©mantiquement opaques, souvent non conforme au systĂšme morphosyntaxique du crĂ©ole et incomprĂ©hensibles du locuteur crĂ©olophone. Lâautre grande caractĂ©ristique de la « lexicographie borlette » au creux du pseudo « nouveau vocabulaire scientifique » bricolĂ© par le MIT â Haiti Initiative est lâabsence systĂ©matique du critĂšre de lâexactitude de lâĂ©quivalence lexicale conjoint Ă celui de lâĂ©quivalence notionnelle alors mĂȘme quâil est un critĂšre majeur placĂ© au centre de toute dĂ©marche lexicographique et terminologique. Lâamateurisme confirmĂ© des rĂ©dacteurs-bricoleurs du « Glossary of STEM terms from the MIT â Haiti Initiative » Ă©claire donc le fait que, dĂ©pourvus de la moindre compĂ©tence connue en lexicographie crĂ©ole, ils alimentent une vision erratique et fantaisiste de la nĂ©ologie crĂ©ole totalement opposĂ©e Ă la mĂ©thodologie de la nĂ©ologie. (Sur la mĂ©thodologie de la nĂ©ologie, voir lâarticle de Salah Mejri et Jean-François Sablayrolles, « PrĂ©sentation : nĂ©ologie, nouveaux modĂšles thĂ©oriques et NTIC » paru dans la revue Langages no 183, 2011/3 ; voir aussi lâĂ©tude « NĂ©ologie sĂ©mantique et analyse de corpus » parue sous la direction de Jean-François Sablayrolles dans les Cahiers de lexicologie, Ăditions Classiques Garnier, Paris 2012. Les Cahiers de lexicologie sont publiĂ©s par le laboratoire Lexiques, dictionnaires, informatique (lDi, UniversitĂ© Paris 13 â UniversitĂ© de Cergy-Pontoise â Centre national de la recherche scientifique de France) ; voir Ă©galement lâarticle de Robert BerrouĂ«t-Oriol, « La nĂ©ologie scientifique et technique, un indispensable auxiliaire de la didactisation du crĂ©ole » consignĂ© dans le livre collectif de rĂ©fĂ©rence « La didactisation du crĂ©ole au cĆur de lâamĂ©nagement
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis linguistique en HaĂŻti ». CoordonnĂ© et co-Ă©crit par Robert BerrouĂ«t-Oriol, cet ouvrage a Ă©tĂ© publiĂ© en 2021 aux Ăditions ZĂ©mĂšs, Ă Port-au-Prince, et aux Ăditions du Cidihca, Ă MontrĂ©al). Illustration :
TABLEAU 1 - Ăchantillon de pseudo Ă©quivalents « crĂ©oles » du « Glossary of STEM terms from the MIT â Haiti Initiative »
Termes anglais
atomic packing
Ăquivalents « crĂ©oles** » du « Glossary » du MIT-Haiti Initiative
makonn atomik [1,2,3,4]
background circle sĂšk nan fon [1,2,3,4]
bar graph grafik ti baton [1,2,3,4]
air resistance rezistans lĂš [1,3,4]
air track pis kout lĂš ; pis ayere [1,2,3,4] and replica plate on epi plak pou replik sou [1,2,3,4]
escape velocity vitĂšs chape poul [1,3,4]
multiple regression analysis analiz pou yon makonnay regresyon [1,2,3,4]
center of mass sant mas yo [1,2,3,4]
checkbox bwat tchĂšk [1,2,3,4]
flux meter flimĂšt [1,3,4]
line integral entegral sou liy [1,2,3,4]
peer instruction enstriksyon ant kanmarad [1,3,4]
prior (conjugate) konpayĂšl o pa [1,2,3,4]
seasaw prinsiple prensip balanswa baskil [1,2,3,4]
spin angular momentum moman angilĂš piwĂšt [1,2,3,4]
** Remarques analytiques sur les Ă©quivalents « crĂ©oles » : 1 = Ă©quivalent faux et/ou fantaisiste et/ou qui ne constitue pas une unitĂ© lexicale ; 2 = Ă©quivalent non conforme Ă la syntaxe du crĂ©ole ; 3 = Ă©quivalent prĂ©sentant une totale opacitĂ© sĂ©mantique ; 4 = Ă©quivalent dont la catĂ©gorie lexicale nâest pas prĂ©cisĂ©e.
Nous avons procĂ©dĂ© Ă un diagnostic rigoureux et dĂ©taillĂ© du naufrage de la lexicographie crĂ©ole au MIT Haiti Initiative dans plusieurs articles que le lecteur peut en tout temps consulter : « Le traitement lexicographique du crĂ©ole dans le « Glossary of STEM terms from the MIT â HaĂŻti Initiative », Le National, 21 juillet 2020 ; « Le naufrage de la lexicographie crĂ©ole au MIT Haiti Initiative », Le National, 15 fĂ©vrier 2022 ; « La lexicographie crĂ©ole Ă lâĂ©preuve des Ă©garements systĂ©miques et de lâamateurisme
dâune « lexicographie borlette », Le National, 28 mars 2023 ; « Toute la lexicographie haĂŻtienne doit ĂȘtre arrimĂ©e au socle mĂ©thodologique de la lexicographie professionnelle », Le National, 29 dĂ©cembre 2022. Voir aussi notre article « Plaidoyer pour une lexicographie crĂ©ole de haute qualitĂ© scientifique », Le National, 15 dĂ©cembre 2021.
Pour étayer davantage cette revue analytique, voici, à titre comparatif, un échantillon de dictionnaires et de lexiques élaborés en dehors de la méthodologie de la lexicographie professionnelle :
TABLEAU 2 - Principales caractéristiques des ouvrages élaborés en dehors de la méthodologie de la lexicographie professionnelle (échantillon de 4 publications)
Titre de lâouvrage
Auteur(s) et éditeurs Catégorie Principales caractéristiques lexicographiques
DiksyonĂš kreyĂČl Vilsen Maud Heurtelou, FĂ©quiĂšre Vilsaint ; ĂducaVision, 1994
Leksik kreyĂČl : ekzanp devlopman kĂšk mo ak fraz a pati 1986 Emmanuel VĂ©drine ; Creole Project, Inc., 2000
Dictionnaire unilingue créole AccÚs aux formats papier et Web
Sâintitule « leksik » alors quâil est un glossaire unilingue crĂ©ole
Incohérence, insuffisance ou inadéquation de nombreuses définitions. Certaines rubriques comprennent des notes explicatives.
De nombreuses entrées (« mots vedettes ») sont des slogans ou des séquences de phrases ou des proverbes. De nombreuses entrées ne sont pas des unités lexicales. Incohérence, insuffisance ou inadéquation des rares définitions.
DiksyonĂš kreyĂČl karayib Jocelyne Trouillot ; Ăditions CUC
Université Caraïbe, non daté
Glossary of STEM terms from the MIT âHaiti Initiative
Dictionnaire unilingue créole au format papier uniquement
MIT â Haiti Initiative, 2015 ( ?) Lexique bilingue anglais-crĂ©ole. AccĂšs Web uniquement
Incohérence, insuffisance ou inadéquation de nombreuses définitions. De nombreuses entrées (« mots vedettes ») ne sont pas des unités lexicales, ce sont plutÎt des noms propres ou des toponymes...
Ăquivalents crĂ©oles trĂšs souvent fantaisistes, erratiques, asĂ©mantiques et non conformes au systĂšme morphosyntaxique du crĂ©ole.
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis
Pour mieux donner Ă voir lâĂ©clairage analytique ici exposĂ© de la lexicographie haĂŻtienne (sur ses versants français et crĂ©ole, voici, Ă titre comparatif, un Ă©chantillon de dictionnaires et de lexiques Ă©laborĂ©s en conformitĂ© avec la mĂ©thodologie de la lexicographie professionnelle :
TABLEAU 3 - Ouvrages lexicographiques (lexiques et dictionnaires) élaborés en conformité avec la méthodologie de la lexicographie professionnelle (10 ouvrages sur un total de 75 publiés entre 1958 et 2022)
Titre Auteur
Ti diksyonnĂš kreyĂČl-franse
Haitian Creole-English-French Dictionnary (vol. I, vol. II)
Petit lexique crĂ©ole haĂŻtien utilisĂ© dans le domaine de lâĂ©lectricitĂ©
DiksyonĂš ĂČtograf kreyĂČl ayisyen
Dictionnaire préliminaire des fréquences de la langue créole
Dictionnaire inverse de la langue crĂ©ole haĂŻtienne/ DiksyonĂš lanvĂ lang kreyĂČl ayisyen
Dictionnaire de lâĂ©colier haĂŻtien
Dictionnaire de lâĂ©volution du vocabulaire français en HaĂŻti (tome 1)
Dictionnaire de lâĂ©volution du vocabulaire français en HaĂŻti (tome 2)
Haitian Creole-English Bilingual Dictionnary
Henry Tourneux, Pierre Vernet et al.
Albert Valdman et al
Henry Tourneux
Pierre Vernet, B.C. Freeman
Date Ăditeur
1976 Ăditions caraĂŻbes
1981 Creole Institute, Bloomington University
1986 CNRS â Cahiers du Lacito
1988 Sant lengwistik aplike, InivĂšsite
Leta Ayiti
Pierre Vernet, B.C. Freeman 1989 Sant lengwistik aplike, InivĂšsite
Leta Ayiti
B.C. Freeman 1989 Sant lengwistik aplike, InivĂšsite
Leta Ayiti
AndrĂ© Vilaire Chery 1996 HachetteDeschamps/ ĂDITHA
AndrĂ© Vilaire Chery 2000 Ăditions Ădutex
AndrĂ© Vilaire Chery 2002 Ăditions Ădutex
Albert Valdman 2007 Creole Institute, Bloomington University
Existe-t-il une « parentĂ© idĂ©ologique et fonctionnelle » entre « lâopĂ©ration de fĂ©tichisation de la langue lĂ©gitime », le crĂ©ole, « lâidĂ©ologie de la langue comme bien public », la stigmatisation du crĂ©ole et le discours idĂ©ologique des Ayatollahs du crĂ©ole, discours axĂ© sur lâexclusion et lâanathĂšme ciblant le français et qui sont repĂ©rables au cĆur du populisme linguistique ? La rĂ©ponse est « oui » et cette parentĂ© idĂ©ologique est attestĂ©e de diffĂ©rentes façons. Ainsi, dans leur dispositif Ă©nonciatif, les deux corps dâidĂ©es « fonctionnent Ă lâidĂ©ologie » au sens oĂč câest lâidĂ©ologie, plutĂŽt que les sciences du langage, qui est le facteur dominant de leurs Ă©noncĂ©s : ceux-ci sont des « jugements » sur la langue historiquement et socialement marquĂ©s, comme câest le cas par exemple avec les termes « kreyĂČl rĂšk », « lang moun mĂČn », « frankofoli », « lang blan an », « lang kolon an ». Toujours dans leur dispositif Ă©nonciatif, les deux corps dâidĂ©es se rejoignent sur le registre de lâenfermement de la langue crĂ©ole : dâune part celle-ci est forclose dans sa nĂ©gativitĂ©, et le crĂ©ole est Ă ce titre stigmatisĂ© ; dâautre part la langue crĂ©ole est forclose au pĂ©rimĂštre dâun discours fondamentaliste clivant qui « fĂ©tichise » le crĂ©ole et agit comme un vĂ©ritable repoussoir dĂ©mobilisateur aussi bien auprĂšs des unilingues crĂ©olophones que des bilingues crĂ©ole-français (voir notre article « La « fĂ©tichisation » du crĂ©ole sous la plume de Daly Valet, une voie rĂ©ductrice et sans issue », Le National, 13 septembre 2022).
La « fĂ©tichisation du crĂ©ole » est amplement redevable des errements idĂ©ologiques du linguiste Yves Dejean et elle conduit certains « crĂ©olistes » fondamentalistes Ă plaider pour que le pays avalise une option-cul-desac inconstitutionnelle consistant en lâĂ©viction de la langue française en HaĂŻti. Manifestement, il sâagit lĂ dâun choix politique de sociĂ©tĂ© Ă©troitement liĂ© au monolinguisme chimĂ©rique prĂŽnĂ© par le linguiste Yves Dejean dans sa pĂ©tition du 12 juin 2010, « Rebati ». Ce « monolinguisme de la surditĂ© historique » Ă©tait dĂ©jĂ promu par Yves Dejean en 1975 dans la plaquette « Dilemme en HaĂŻti : français en pĂ©ril ou pĂ©ril français ? » (Ăditions Connaissance dâHaĂŻti), ainsi que dans dâautres textes de facture aveuglĂ©ment idĂ©ologique, dont « FransĂ© sĂ© danjĂ© » (revue SĂšl, n° 23-24 ; n° 33-39, New York, 1975). Ce choix de sociĂ©tĂ©, qui sâoppose frontalement Ă lâarticle 5 de la Constitution de 1987, est portĂ© par dâautres « crĂ©olistes » fondamentalistes qui prĂŽnent, dans une grande solitude, la survenue de « yon sĂšl lang ofisyĂšl » en HaĂŻti. Une rĂ©cente expression du fondamentalisme crĂ©olophile et de lâaveuglement volontaire se donne Ă voir
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis dans lâarticle « Yon sĂšl lang ofisyĂšl pou dechouke mantalite nou » (Le Nouvelliste, 31 mai 2018) annonçant la parution en HaĂŻti du livre fantaisiste de GĂ©rard-Marie Tardieu, « Yon sĂšl lang ofisyĂšl » (Ăditions lâAction sociale, 2018) dans lequel celui-ci, membre fondateur de lâAcadĂ©mie crĂ©ole, plaide pour un unilatĂ©ralisme crĂ©ole sectaire et dogmatique qui entend exclure lâune des deux langues de notre patrimoine linguistique historique, le français, en violation flagrante de lâarticle 5 de la Constitution de 1987 (voir notre article « Le crĂ©ole, « seule langue officielle » dâHaĂŻti : mirage ou vaine utopie ? », Le National, 7 juin 2018). Il est attestĂ© que ce livre fourre-tout, dĂ©pourvu de la moindre argumentation scientifique, nâa pas Ă©tĂ© pris au sĂ©rieux par les enseignants, par les directeurs dâĂ©coles et mĂȘme par le ministĂšre de lâĂducation nationale qui, depuis le retour aux affaires en 2021 de Nesmy Manigat, la « superstar » du cartel politico-mafieux du PHTK nĂ©o-duvaliĂ©riste, promeut plusieurs versions du populisme linguistique au creux dâune erratique et bricoleuse gouvernance du systĂšme Ă©ducatif national (voir nos articles « Le LIV INIK AN KREYĂL et la problĂ©matique des outils didactiques en langue crĂ©ole dans lâĂcole haĂŻtienne » (RezonĂČdwĂšs, 25 aoĂ»t 2023) ; « Le ministre de facto de lâĂducation Nesmy Manigat et lâamĂ©nagement du crĂ©ole dans lâĂcole haĂŻtienne : entre surditĂ©, mal-voyance et dĂ©ni de rĂ©alitĂ© » (Le National, 2 dĂ©cembre 2021), et « Un « Plan dĂ©cennal dâĂ©ducation et de formation 2018 â 2028 » en HaĂŻti dĂ©nuĂ© dâune vĂ©ritable politique linguistique Ă©ducative (Le National, 31 octobre 2018).
Au dĂ©but de cet article nous avons Ă©voquĂ©, sur le registre des dĂ©bats dâidĂ©es relatifs Ă la problĂ©matique linguistique haĂŻtienne, lâenfermement idĂ©ologique et la pensĂ©e binaire quasi catĂ©chĂ©tique qui se dĂ©ploient Ă contre-courant des sciences du langage : elles relĂšvent de lâ« idĂ©ologie linguistique » que nous avons dĂ©finie et exemplifiĂ©e. Nous avons exposĂ© que lâenfermement idĂ©ologique, chez plusieurs « militants-apĂŽtres-crĂ©olistes » en HaĂŻti et en diaspora, met en Ćuvre deux leviers majeurs au creux du populisme linguistique : le « fĂ©tichisme de la langue » et lâ« idĂ©ologisation de la langue », leviers qui nâappartiennent pas aux sciences du langage et qui ne peuvent pas modĂ©liser lâamĂ©nagement du crĂ©ole. Dans le cours de notre rĂ©flexion analytique, nous avons mis en lumiĂšre la rĂ©alitĂ© que la « fĂ©tichisation de la langue » se dĂ©ploie en lien avec les diffĂ©rentes manifestations du repli et de lâenfermement de la rĂ©flexion sur le crĂ©ole dans les filets de lâidĂ©ologie. Cela Ă©claire pour lâessentiel le fait que les « militants-
apĂŽtres-crĂ©olistes », ainsi que les Ayatollahs du crĂ©ole, passent totalement sous silence la problĂ©matique de la didactisation du crĂ©ole ainsi que celle de lâĂ©laboration dâune lexicographie crĂ©ole de haute qualitĂ© scientifique (sur la didactisation du crĂ©ole, voir le livre collectif de rĂ©fĂ©rence « La didactisation du crĂ©ole au cĆur de lâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti », par Robert BerrouĂ«t-Oriol et alii, Ăditions ZĂ©mĂšs, Port-au-Prince, et Ăditions du Cidihca, MontrĂ©al, 2021 ; voir aussi notre article « La problĂ©matique de lâamĂ©nagement et de la didactisation du crĂ©ole dans lâĂcole haĂŻtienne : promouvoir une vision rassembleuse » (RezonĂČdwĂšs, 17 novembre 2023) ; sur la lexicographie crĂ©ole, voir notre article « Plaidoyer pour une lexicographie crĂ©ole de haute qualitĂ© scientifique » (Le National, 15 dĂ©cembre 2021 ; voir Ă©galement notre article « Lexicographie crĂ©ole : retour-synthĂšse sur la mĂ©thodologie dâĂ©laboration des lexiques et des dictionnaires » (Le National, 4 avril 2023). Ayant dĂ©libĂ©rĂ©ment choisi lâenfermement dans les filets de lâidĂ©ologie, les « militants-apĂŽtres-crĂ©olistes et les Ayatollahs du crĂ©ole Ă©vacuent les exigences de la mise en Ćuvre des droits linguistiques de tous les locuteurs haĂŻtiens. De la sorte, ils passent totalement sous silence les fondements constitutionnels de lâamĂ©nagement des deux langues officielles dâHaĂŻti par une interprĂ©tation tronquĂ©e et partielle de lâarticle 5 de la Constitution de 1987 et ils appellent Ă la violation de notre Charte fondamentale en prĂŽnant la survenue de « yon sĂšl lang ofisyĂšl ».
Ă contre-courant de ces dĂ©rives idĂ©ologiques et politiques, nous faisons le plaidoyer rassembleur de lâamĂ©nagement simultanĂ© du crĂ©ole en HaĂŻti aux cĂŽtĂ©s du français en conformitĂ© avec la Constitution de 1987 (voir notre article « Le partenariat crĂ©ole-français, lâunique voie constitutionnelle et rassembleuse en HaĂŻti » (Le National, 14 mars 2023). Les remontĂ©es de terrain qui nous parviennent rĂ©guliĂšrement indiquent que cette vision est partagĂ©e par un grand nombre dâenseignants, de directeurs dâĂ©coles et de linguistes oeuvrant en HaĂŻti. Promouvoir un dĂ©bat rigoureux et rassembleur sur lâamĂ©nagement simultanĂ© de nos deux langues officielles requiert dâexpliquer et de partager davantage cette vision de lâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti en stricte conformitĂ© avec la Constitution de 1987 et en lien avec la DĂ©claration universelle des droits linguistiques de 1996. Les linguistes amĂ©nagistes doivent donc poursuivre â auprĂšs des directeurs dâĂ©coles, des parents dâĂ©lĂšves et des enseignants â, un patient travail dâexplicitation des enjeux et de la nĂ©cessitĂ© dâamĂ©nager simultanĂ©ment les deux langues officielles du pays dans lâespace public et dans
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis lâĂcole haĂŻtienne conformĂ©ment Ă la Constitution de 1987. Il ne sâagit pas lĂ dâune « option facultative » mais bien dâune obligation constitutionnelle, au cĆur mĂȘme de lâĂtat de droit dont les fondements se trouvent dans la Constitution haĂŻtienne de 1987, et cette obligation constitutionnelle sâapparie aux droits linguistiques tels que dĂ©finis par la DĂ©claration universelle des droits linguistiques de 1996. La vision et les perspectives dont nous faisons le plaidoyer rassembleur dĂ©signent la future politique linguistique de lâĂtat haĂŻtien, le « bilinguisme de lâĂ©quitĂ© des droits linguistiques » au cĆur dâun futur Ătat de droit (voir nos articles « La Constitution de 1987 est au fondement du « bilinguisme de lâĂ©quitĂ© des droits linguistiques » en HaĂŻti » (Le National, 25 avril 2023), et « La Constitution de 1987 est au fondement du « bilinguisme de lâĂ©quitĂ© des droits linguistiques » en HaĂŻti » (Le National, Port-au-Prince, 25 avril 2023) ; voir aussi notre livre « Plaidoyer pour les droits linguistiques en HaĂŻti / Pledwaye pou dwa lenguistik ann Ayiti » (Ăditions ZĂ©mĂšs et Ăditions du Cidihca, 2018). Câest bien pour promouvoir les droits linguistiques des locuteurs et pour institutionnaliser les interventions de lâĂtat sur le registre de ses obligations constitutionnelles relatives au statut des langues et Ă lâamĂ©nagement linguistique que de nombreux Ătats ont promulguĂ© des lois destinĂ©es Ă orienter et Ă encadrer la vie des langues dans leurs pays respectifs : dans tous les cas de figure, il sâagit dâamĂ©nager le code et/ou le statut et/ou les usages institutionnels et communicationnels des langues prĂ©sentes dans un territoire donnĂ© (sur la problĂ©matique de lâamĂ©nagement linguistique dans le monde, voir le dossier « Les politiques dâamĂ©nagement linguistique : un tour dâhorizon », TĂ©lE scope / Revue dâanalyse comparĂ©e en administration publique, ĂNAP : Ăcole nationale dâadministration publique, QuĂ©bec, automne 2010).
En guise de conclusion, il est utile de revisiter les prĂ©cieux enseignements du romancier et essayiste Ădouard Glissant Ă propos du crĂ©ole : « On ne peut plus Ă©crire son paysage ni Ă©crire sa propre langue de maniĂšre monolingue. Par consĂ©quent, les gens qui, comme par exemple les AmĂ©ricains, les Ătats-Uniens, nâimaginent pas la problĂ©matique des langues, nâimaginent mĂȘme pas le monde. Certains dĂ©fenseurs du crĂ©ole sont complĂštement fermĂ©s Ă cette problĂ©matique. Ils veulent dĂ©fendre le crĂ©ole de maniĂšre monolingue, Ă la maniĂšre de ceux qui les ont opprimĂ©s linguistiquement. Ils hĂ©ritent de ce monolinguisme sectaire et ils dĂ©fendent leur langue Ă mon avis dâune mauvaise maniĂšre. Ma position sur la question est
quâon ne sauvera pas une langue dans un pays en laissant tomber les autres. » (Lise Gauvin : « Lâimaginaire des langues â Entretien avec Ădouard Glissant », revue Ătudes françaises, 28, 2/3, 1992-1993, Presses de lâUniversitĂ© de MontrĂ©al, 1993).
Le « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole », un outil dâapprentissage de haute qualitĂ© scientifique pour lâĂcole haĂŻtienne
Montréal, le 21 juin 2024
Les Ă©lĂšves haĂŻtiens, les enseignants, les directeurs dâĂ©coles, les associations de parents dâĂ©lĂšves, les rĂ©dacteurs et Ă©diteurs de manuels scolaires auront Ă leur disposition, dans un proche avenir il faut le souhaiter, lâun des meilleurs ouvrages produits par la lexicographie haĂŻtienne depuis 1958 : il sâagit du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole ».
Il a Ă©tĂ© Ă©laborĂ© en HaĂŻti, il y a quelques annĂ©es, par une Ă©quipe rĂ©dactionnelle dirigĂ©e par feu AndrĂ© Vilaire Chery et il a bĂ©nĂ©ficiĂ© de lâexpertise des lexicographes oeuvrant au Creole Institute (Indiana University) sous la direction scientifique du linguiste-lexicographe Albert Valdman. La parution dans un proche avenir aux Ă©ditions ĂDITHA de cet outil dâapprentissage de haute qualitĂ© scientifique sera dâun apport considĂ©rable pour lâĂcole haĂŻtienne qui ne dispose toujours pas âquarante-cinq ans aprĂšs le lancement de la rĂ©forme Bernardâ, dâun dictionnaire bidirectionnel français-crĂ©ole/crĂ©ole-français et dâun dictionnaire unilingue crĂ©ole Ă©laborĂ©s selon la mĂ©thodologie de la lexicographie professionnelle.
Pourtant la lexicographie haĂŻtienne, sur ses versants français et crĂ©ole, a su produire au fil des ans des outils lexicographiques de grande qualitĂ© comme nous lâavons mis en lumiĂšre par lâanalyse de plusieurs ouvrages lexicographiques (voir nos articles « Le âDictionnaire de lâĂ©colier haĂŻtienâ, un modĂšle de rigueur pour la lexicographie en HaĂŻti », Le National, 31 aoĂ»t 2022, et « Lexicographie crĂ©ole : revisiter le « Petit lexique crĂ©ole haĂŻtien utilisĂ© dans le domaine de lâĂ©lectricitĂ© » dâHenry Tourneux », MĂ©diapart, 6 mars 2022). La parution entre 1958 et 2023 dâune dizaine dâouvrages lexicographiques crĂ©oles de grande qualitĂ© atteste deux rĂ©alitĂ©s dont il faut prendre toute la mesure. Dâune part il existe en HaĂŻti et en dehors dâHaĂŻti des lexicographes compĂ©tents et, dâautre part, la lexicographie haĂŻtienne
sâest ancrĂ©e sur le socle de la mĂ©thodologie de la lexicographie professionnelle dĂšs les travaux pionniers de Pradel Pompilus en 1958.
Ainsi, en ce qui a trait au lexique crĂ©ole du linguiste Henry Tourneux, il est utile de rappeler quâil a Ă©tĂ© Ă©laborĂ© en rĂ©ponse Ă une demande de la FacultĂ© de linguistique appliquĂ©e de lâUniversitĂ© dâĂtat dâHaĂŻti. Il a Ă©tĂ© rĂ©digĂ© Ă partir dâenquĂȘtes de terrain rĂ©alisĂ©es dans la rĂ©gion de Saint-Marc en HaĂŻti et il est paru en France dans les Cahiers du LACITO/1/CNRS, en juin 1986. ĂlaborĂ© par le lexicographe AndrĂ© Vilaire Chery et son Ă©quipe et paru initialement chez Hachette-Deschamps/ĂDITHA en 1996, le « Dictionnaire de lâĂ©colier haĂŻtien » figure depuis sa parution parmi les ouvrages de rĂ©fĂ©rence de nombre dâenseignants haĂŻtiens en raison de ses grandes qualitĂ©s lexicographiques. Nous en avons fait une prĂ©sentation analytique dĂ©taillĂ©e dans lâarticle « Le âDictionnaire de lâĂ©colier haĂŻtienâ, un modĂšle de rigueur pour la lexicographie en HaĂŻti » (Le National, 31 aoĂ»t 2022). Pour mĂ©moire, il y a lieu de rappeler que le lexicographe AndrĂ© Vilaire Chery, ancien enseignant de la FacultĂ© de linguistique appliquĂ©e de lâUniversitĂ© dâĂtat dâHaĂŻti, est lâauteur du remarquable « Dictionnaire de lâĂ©volution du vocabulaire français en HaĂŻti » (tomes 1 et 2, parus en 2000 et 2002 chez Ădutex avec le concours du Bureau caraĂŻbe de lâAgence universitaire de la Francophonie et de la FOKAL). Cet ouvrage a lui aussi fait lâobjet dâun compte-rendu analytique publiĂ© en HaĂŻti et en outremer (voir lâarticle « Le « Dictionnaire de lâĂ©volution du vocabulaire français en HaĂŻti » dâAndrĂ© Vilaire ChĂ©ry, un riche hĂ©ritage », par Robert BerrouĂ«tOriol, Le National, 29 juillet 2022).
Le prĂ©sent article fournit au lecteur, dâune part, une prĂ©sentation analytique du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole » et, dâautre part, il met en lumiĂšre le rĂŽle des dictionnaires scolaires dans lâapprentissage conjoint de la langue (apprentissage du vocabulaire, de lâorthographe, de lâĂ©criture et de la lecture) et de celui des savoirs et des connaissances en milieu scolaire. Lâarticle se termine par une prĂ©sentation gĂ©nĂ©rale de lâhistoire des dictionnaires de langue en Occident, maniĂšre de montrer au lecteur haĂŻtien que le « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČlfransĂš français-crĂ©ole » se rattache Ă une grande tradition dictionnairique et Ă son histoire.
Histoire et rĂŽle des dictionnaires scolaires
Le linguiste-terminologue Jean-Claude Boulanger nous fournit, dans un article Ă large spectre analytique, des repĂšres de premier plan sur lâhistoire des dictionnaires scolaires. Ainsi, « Les dictionnaires scolaires revendiquent de trĂšs lointaines origines. Ils sont Ă©troitement liĂ©s Ă lâinvention de lâĂ©criture. Des recherches rĂ©centes les font remonter au IVe-IIIe millĂ©naire avant J.-C. alors que les scribes mĂ©sopotamiens Ă©tablissaient des listes lexicales tabulaires destinĂ©es Ă lâenseignement dans les eduba, câestĂ -dire dans les Ă©coles oĂč lâon formait les futurs scribes. La confection de ces catalogues de mots sur des supports dâargile avait dĂ©jĂ pour premier objectif de venir appuyer lâapprentissage de lâĂ©criture et la connaissance de la langue. CâĂ©taient des relevĂ©s de noms communs, de noms propres (proprionymes), de synonymes, de parties de mots, etc., tous Ă©lĂ©ments de base dans un cheminement scolaire. Pour apprendre lâĂ©criture cunĂ©iforme, les jeunes Ă©lĂšves recopiaient ces listes sur dâautres tablettes. Et on a retrouvĂ© un nombre impressionnant de ces cahiers de devoirs en argile. Dans lâEurope du Moyen-Ăge, on trouvera Ă©galement des dictionnaires destinĂ©s Ă combler des besoins dâapprentissage non pas de la langue maternelle et quotidienne, mais du latin, la langue de lâintellect, de la religion et du pouvoir. Il faudra attendre la Renaissance pour que la production dâouvrages sur le français prenne le pas sur les dictionnaires du latin et sur les glossaires bilingues. Il faudra patienter encore plus longtemps pour que le dictionnaire scolaire devienne un genre dĂ©tachĂ©. Les dictionnaires « portatifs » des siĂšcles postĂ©rieurs Ă la Renaissance, notamment ceux du XVIIIe siĂšcle, ne doivent pas ĂȘtre confondus avec les petits dictionnaires pour enfants ni avec les compilations Ă©lĂ©mentaires du XIXe siĂšcle ayant le mĂȘme gabarit. Les portatifs sont surtout des abrĂ©gĂ©s et des rĂ©ductions de rĂ©pertoires plus volumineux et plus grands que lâon pouvait transporter plus aisĂ©ment. Ils rĂ©pondent Ă des besoins de dĂ©mocratisation du livre. Leurs prix baissent et leur maniabilitĂ© sâaccroĂźt. Le livre peut devenir accessible Ă un plus grand nombre de personnes. Un dictionnaire portatif nâest donc pas nĂ©cessairement un recueil de mots Ă©laborĂ© pour des Ă©lĂšves et Ă des fins pĂ©dagogiques. Ce nâest quâaccessoirement quâil aura une vocation scolaire. AprĂšs 1820, les portatifs du type abrĂ©gĂ© semblent en dĂ©saffection ». (...) « La science et lâindustrie modernes du dictionnaire scolaire dĂ©marrent vraiment, en France, au milieu du XIXe siĂšcle ». (...)
La lexicographie scolaire se faufile en effet entre le grand dictionnaire
philologique, culturel et conservateur dâĂmile LittrĂ© et lâimmense Ćuvre encyclopĂ©dique moderniste de Pierre Larousse lui-mĂȘme ». (...) « Lorsque lâon Ă©voque les dictionnaires pour lâĂ©cole, trois idĂ©es surgissent Ă lâesprit : celle du « dictionnaire scolaire », celle du « dictionnaire pour enfants » et celle du « dictionnaire dâapprentissage ». « (...) Toutes ces idĂ©es sont en outre faussement placĂ©es dans un systĂšme dâopposition avec les dictionnaires gĂ©nĂ©raux culturels pour adultes, alors que ces rapports sont plutĂŽt de lâordre de la gradation, de la hiĂ©rarchisation. « De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, le dictionnaire pour enfants se dĂ©finit contrastivement par rapport au dictionnaire pour adultes. » La subordination des premiers aux seconds ne rend pas justice au genre du dictionnaire scolaire, qui est loin dâĂȘtre un genre secondaire ». « (...) Le dictionnaire scolaire est un ouvrage gĂ©nĂ©ral monolingue âil existe aussi quelques bilinguesâ et monovolumaire conçu pour son utilisation dans lâenseignement primaire et secondaire. Le terme peut avoir un sens plus Ă©largi, car, dâune part, on peut en Ă©tendre lâacception du cĂŽtĂ© de lâĂ©cole maternelle et, dâautre part, du cĂŽtĂ© du dĂ©but de la formation post-secondaire ou collĂ©giale. On peut dire que ce type de rĂ©pertoire couvre une fourchette dâĂąge qui sâĂ©tend de 5/6 ans jusquâĂ 15/16 ans. Le Larousse mini dĂ©butants [LMiD] et le Robert scolaire [RS] sont des exemples applicables aux deux extrĂ©mitĂ©s de cet empan. Le LMiD est identifiĂ© comme « le premier vrai dictionnaire[7] », lâadjectif premier Ă©tant entendu dans le sens chronologique par rapport aux Ă©tapes de la scolarisation des enfants. Son public cible est celui des jeunes enfants de 5/6 ans. Le RS sâadresse Ă des adolescents de 12 Ă 16 ans, câest-Ă -dire aux Ă©lĂšves de tout le cycle du secondaire ». « (...) Le dictionnaire scolaire a une fonction avant tout dâordre descriptif, la description Ă©tant le plus souvent renforcĂ©e par lâiconographie dont la prĂ©sence est plus sensible dans les ouvrages Ă petite nomenclature. Les 1 065 mots de Mon Larousse en images [MLL] sont accompagnĂ©s de 887 tableaux et dessins. Le LMiD propose 500 illustrations pour un volume de 5 400 entrĂ©es. Son concurrent le Robert benjamin [RB] revendique une nomenclature de 6 000 mots et de 640 illustrations. Dans son Ă©dition de 1999, le Dictionnaire CEC jeunesse [DCECJ] rĂ©pertorie 20 000 mots tandis quâil nâoffre que 250 illustrations. De fait, la quantitĂ© dâillustrations est inversement proportionnelle Ă la quantitĂ© de mots vedettes : plus la nomenclature croĂźt, plus le nombre dâillustrations diminue. Le RS reste fidĂšle Ă la politique Ă©ditoriale des dictionnaires de langue du Robert qui ne proposent jamais dâiconostructure, sauf dans le Robert junior illustrĂ© [RJI], le Petit Robert des enfants [PRE]/
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis
Robert des jeunes [RJ] et dans le RB. Ă titre dâexemple, le nombre dâillustrations du RJI sâĂ©lĂšve Ă 1 000, auxquelles sâajoutent 35 planches thĂ©matiques ».
« Le dictionnaire scolaire a pour objectifs de sensibiliser les jeunes au vocabulaire et de les mettre Ă lâaise avec les mots. Il consigne le lexique vivant, dont une partie est dĂ©jĂ connue de la majoritĂ© des Ă©lĂšves, soit de maniĂšre active, parce que les jeunes locuteurs doivent sâexprimer, soit de maniĂšre passive, parce quâils doivent Ă©couter et comprendre les autres ».
« (...) Le terme dictionnaire scolaire est synonyme de dictionnaire pĂ©dagogique, ce dernier Ă©tant dâun emploi plus restreint dans la terminologie française » (source : Jean-Claude Boulanger, « Du cĂŽtĂ© de la petite histoire des dictionnaires scolaires modernes » paru dans « Aspects diachroniques du vocabulaire », par Danielle Candel et François Gaudin, Ăditions des UniversitĂ©s de Rouen et du Havre, 2006. Pour une connaissance Ă©largie de lâhistoire des dictionnaires dĂ©nommĂ©s dictionnaires pĂ©dagogiques ou scolaires ou dâapprentissage, voir Chantal Lambrechts, « La conception Ă©ditoriale dâun dictionnaire pĂ©dagogique », Presses de lâUniversitĂ© de MontrĂ©al, 2005. Pour se familiariser avec la mĂ©thodologie dâĂ©laboration des dictionnaires pour enfants apparus au dĂ©but des annĂ©es 1950, voir Micaela Rossi (UniversitĂ degli Studi di Genova, Italia), « Dictionnaires pour enfants en langue française / LâaccĂšs au sens lexical ». Dans cette magistrale thĂšse de doctorat soutenue en 2001, lâauteure retrace lâhistoire des dictionnaires pour enfants, elle analyse « la structure dâun dictionnaire scolaire », « la prĂ©sentation et organisation de la nomenclature », « les pratiques dĂ©finitionnelles dans les dictionnaires pour enfants », etc. De la mĂȘme auteure, voir aussi lâarticle « Dictionnaires pour enfants et accĂšs au sens lexical â Pour une rĂ©flexion mĂ©talexicologique » (euralex.org, 2004). Pour une approche plus ample des dictionnaires gĂ©nĂ©ralistes et des dictionnaires scolaires dâapprentissage, voir Jean Pruvost : « Les dictionnaires dâapprentissage monolingues de la langue française (1856-1999) âProblĂšmes et mĂ©thodes » (Les Dictionnaires de langue française. Dictionnaire dâapprentissage, dictionnaires spĂ©cialisĂ©s de la langue, dictionnaires de spĂ©cialitĂ©. Ătudes de lexicologie, lexicographie et dictionnairique) - 4, Paris, HonorĂ© Champion, collection « BibliothĂšque de lâInstitut de linguistique française », 2001 ; Jean Pruvost, « Les dictionnaires dâapprentissage du français langue maternelle : deux siĂšcles de maturation et quelques paramĂštres distinctifs », Ăla, Revue de didactologie des langues-culture,
vocabulaires et dictionnaires en français langue maternelle et en français langue Ă©trangĂšre, 1999 / 116 ; Jean Pruvost, « Les dictionnaires dâapprentissage monolingues du français langue maternelle : lâhistoire dâune mĂ©tamorphose, du sous-produit Ă lâheureux pragmatisme en passant par lâheuristique », Euralex 2002 Proceedings ; Josette Rey-Debove : « Dictionnaires dâapprentissage : que dire aux enfants ? », Lexiques, Paris, Hachette, collection « Recherches et applications », 1989 ; RenĂ© Lagane : « Les dictionnaires scolaires : enseignement de la langue maternelle », nan Franz Josef Hausmann, Oskar Reichmann, Herbert Emst Wiegand et Ladislav Zgusta (dir.), Dictionnaires. EncyclopĂ©die internationale de lexicographie, II, Berlin/New York, Walter de Gruyter, 1990.)
Bref survol de la genĂšse du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole »
En dĂ©pit de ses difficultĂ©s structurelles et du faible pouvoir dâachat des familles haĂŻtiennes, le marchĂ© du livre scolaire haĂŻtien a Ă©voluĂ© au cours des derniĂšres annĂ©es. Ses besoins se sont diversifiĂ©s et la demande dâoutils lexicographiques (dictionnaires et lexiques) sâest prĂ©cisĂ©e alors mĂȘme que lâon observait lâarrivĂ©e de nouveaux Ă©diteurs de manuels scolaires dans lâĂ©cosystĂšme Ă©ducatif national.
Traditionnellement, les dictionnaires en usage dans le systĂšme Ă©ducatif haĂŻtien (Le Larousse, Le Robert, Le Hachette) Ă©taient importĂ©s de France et, tel que mentionnĂ© prĂ©cĂ©demment, au dĂ©but des annĂ©es 1990 il nâexistait toujours pas en HaĂŻti de dictionnaire bilingue bidirectionnel français-crĂ©ole/crĂ©ole-français ou unilingue crĂ©ole Ă©laborĂ© selon la mĂ©thodologie de la lexicographie professionnelle. Ă cette Ă©poque, pour rĂ©pondre Ă la nĂ©cessitĂ© de fournir aux Ă©lĂšves et aux enseignants haĂŻtiens un outil lexicographique de qualitĂ© Ă prix abordable et destinĂ© Ă supporter adĂ©quatement lâapprentissage scolaire, les Ăditions haĂŻtiennes ĂDITHA, filiale de la Maison Henri Deschamps, ont entrepris lâĂ©laboration dâun dictionnaire bidirectionnel français-crĂ©ole/crĂ©ole-français. Une Ă©quipe rĂ©dactionnelle a Ă©tĂ© mise sur pied aux Ăditions haĂŻtiennes ĂDITHA avec pour mandat dâĂ©laborer, sous la direction du lexicographe AndrĂ© Vilaire Chery, le « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš françaiscrĂ©ole ». Aux Ăditions Henri Deschamps/ĂDITHA, AndrĂ© Vilaire Chery avait auparavant dirigĂ© les travaux ayant conduit Ă lâĂ©dition en 1996
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis du « Dictionnaire de lâĂ©colier haĂŻtien ». Ce dictionnaire a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ© avec la collaboration de cinq auteurs et il a bĂ©nĂ©ficiĂ© de la contribution dâune Ă©quipe de la FacultĂ© de linguistique appliquĂ©e de lâUniversitĂ© dâĂtat dâHaĂŻti sous la direction du linguiste Pierre Vernet.
Fruit dâune inĂ©dite collaboration entre lâĂ©quipe dirigĂ©e par AndrĂ© Vilaire Chery aux Ăditions haĂŻtiennes ĂDITHA et celle dâAlbert Valdman du Creole Institute (Indiana University), la rĂ©daction du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole » a Ă©tĂ© menĂ©e Ă terme en 2016 mais cette Ćuvre, innovante et originale dans le domaine de la dictionnairique français-crĂ©ole, nâa pas encore Ă©tĂ© publiĂ©e en HaĂŻti. Il faut prendre toute la mesure que plus de 2 millions dâĂ©coliers haĂŻtiens ne disposent toujours pas dâun dictionnaire bidirectionnel français-crĂ©ole de qualitĂ© alors mĂȘme que la Constitution de 1987 a consacrĂ© la co-officialitĂ© du crĂ©ole et du français et que lâun des acquis de la rĂ©forme Bernard de 1979 demeure lâintroduction du crĂ©ole dans le dispositif didactique des Ă©coles du pays.
Sur le plan de lâinfrastructure rĂ©dactionnelle, il y a lieu de prĂ©ciser que le maillage institutionnel entre lâĂ©diteur, ĂDITHA, et la FacultĂ© de linguistique appliquĂ©e de lâUniversitĂ© dâĂtat dâHaĂŻti constitue Ă notre connaissance â dans le processus de fabrication du « Dictionnaire de lâĂ©colier haĂŻtien » â, une premiĂšre et sans doute lâunique exemple dans la lexicographie haĂŻtienne contemporaine (sur ses versants crĂ©ole et français) oĂč lâexpertise dâune institution linguistique nationale a Ă©tĂ© mise Ă contribution par un Ă©diteur du secteur privĂ© disposant de sa propre Ă©quipe de rĂ©daction. Parmi les 64 dictionnaires et 11 lexiques que nous avons rĂ©pertoriĂ©s dans notre « Essai de typologie de la lexicographie crĂ©ole de 1958 Ă 2022 » (Le National, 21 juillet 2022), seuls cinq ouvrages ont Ă©tĂ© Ă©laborĂ©s dans un cadre institutionnel national, celui du Centre de linguistique appliquĂ©e qui deviendra plus tard la FacultĂ© de linguistique appliquĂ©e de lâUniversitĂ© dâĂtat dâHaĂŻti. Il sâagit du « Ti diksyonĂš kreyĂČl-franse » dâHenry Tourneux et Pierre Vernet (Ăditions caraĂŻbes, 1976), de « ĂlĂ©ments de lexicographie bilingue : lexique crĂ©ole-français » dâErnst Mirville (Biltin Institi lingistik aplikĂ©, 1979), du « Petit lexique crĂ©ole haĂŻtien utilisĂ© dans le domaine de lâĂ©lectricitĂ© » de Henry Tourneux (CNRS/Cahiers du Lacito, 1986), du « Dictionnaire prĂ©liminaire des frĂ©quences de la langue crĂ©ole haĂŻtienne / DiksyonĂš lanvĂš lang kreyĂČl ayisyen » de Pierre Vernet et B. C. Freeman
(Sant lengwistik aplike, InivĂšsite Leta Ayiti), et du « Leksik elektwomekanik kreyĂČl, franse, angle, espayĂČl » de Pierre Vernet et H. Tourneux (dir.) publiĂ© sous le label Fakilte lengwistik aplike, InivĂšsite Leta Ayiti en 2001.
Le « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole », un vĂ©ritable dictionnaire scolaire bidirectionnel
Le « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole » a Ă©tĂ© conçu pour rĂ©pondre adĂ©quatement Ă des besoins dâapprentissage rĂ©els, Ă la fois comme outil de rĂ©fĂ©rence et instrument dâapprentissage actif des savoirs et des connaissances dans la langue maternelle et dans la langue seconde des apprenants. Ce dictionnaire scolaire est donc le premier outil lexicographique du genre Ă avoir Ă©tĂ© conçu pour rĂ©pondre aux besoins spĂ©cifiques de lâĂcole haĂŻtienne. Il possĂšde tous les attributs de la dictionnairique moderne, ses rubriques lexicographiques, conçues selon un modĂšle unique comme nous lâexemplifions plus bas dans le prĂ©sent article, sont concises et elles se consultent aisĂ©ment.
La « PrĂ©face » du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš françaiscrĂ©ole » que nous reproduisons ici indique, sur des registres liĂ©s, que cet ouvrage a Ă©tĂ© Ă©laborĂ© en conformitĂ© avec la mĂ©thodologie de la lexicographie professionnelle. RAPPEL â Le socle conceptuel de la mĂ©thodologie de la lexicographie professionnelle comprend les sĂ©quences suivantes : (1) lâidentification de lâouvrage et de ses auteurs, le nom de lâĂ©diteur et la date de publication ; (2) le projet Ă©ditorial, les destinataires visĂ©s et lâidentification de la mĂ©thodologie dâĂ©laboration du dictionnaire ; (3) lâĂ©tablissement du corpus dictionnairique ; (4) la confection de la nomenclature et le nombre de termes retenus au terme de lâĂ©tude du corpus dictionnairique ; (5) le traitement des donnĂ©es lexicographiques prĂ©sentĂ©es Ă la suite des « mots-vedettes » (les entrĂ©es classĂ©es en ordre alphabĂ©tique dans les rubriques, Ă savoir les dĂ©finitions, les contextes dĂ©finitoires et les notes illustratives).
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis
Le lecteur du prĂ©sent article trouvera dans la « PrĂ©face » du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole » des informations de premiĂšre main sur la mĂ©thodologie dâĂ©laboration de ce dictionnaire scolaire. Cette « PrĂ©face » sâĂ©nonce comme suit : « Au terme de longues annĂ©es de travail, les Ăditions haĂŻtiennes ĂDITHA sont heureuses de mettre Ă la disposition du public scolaire haĂŻtien le « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole ». Cet ouvrage de rĂ©fĂ©rence est destinĂ© plus spĂ©cialement aux Ă©lĂšves des 2e et 3e cycles de lâĂcole fondamentale. Il peut toutefois ĂȘtre consultĂ© avec profit et plaisir par toute personne (Ă©lĂšve ou non) sâintĂ©ressant aux lexiques (vocabulaires) respectifs de nos deux langues nationales. La fonction principale dâun dictionnaire bilingue (ou de traduction) est dâindiquer les Ă©quivalences des mots et des expressions entre deux langues diffĂ©rentes mises en rapport (ici : le crĂ©ole et le français).
Le « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole » se compose de deux parties, distinctes mais complĂ©mentaires. La premiĂšre partie, kreyĂČl-fransĂš, traduit du crĂ©ole vers le français. La seconde, françaiscrĂ©ole, traduit du français vers le crĂ©ole.
Le texte de la « PrĂ©face » mentionne explicitement que lâouvrage procure « Une aide Ă la comprĂ©hension et Ă la production Ă©crites » et il fournit un Ă©clairage adĂ©quat sur la mĂ©thodologie dâĂ©laboration ainsi que le modĂšle de traitement de lâinformation lexicographique. Ainsi, « Le Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole » fournira Ă lâĂ©lĂšve une aide apprĂ©ciable, tant en comprĂ©hension Ă©crite quâen production Ă©crite. Câest un fait que lâĂ©lĂšve haĂŻtien utilise couramment deux langues Ă lâĂ©cole : le crĂ©ole (sa langue maternelle) et le français (lâautre langue nationale). Ces deux langues sont en perpĂ©tuel dialogue en salle de classe, et lâune vient rĂ©guliĂšrement au secours de lâautre, et vice versa. Ainsi, le jeune apprenant haĂŻtien pourra consulter utilement son dictionnaire pour trouver lâĂ©quivalent ou le sens qui lui fait dĂ©faut dans lâautre langue, que ce soit en lecture ou en production Ă©crite (construire des phrases, rĂ©diger un texte...). Chaque mot est traduit par un Ă©quivalent ou, selon le cas, par plusieurs, plus ou moins synonymes entre eux. Le dictionnaire offrira ainsi Ă lâĂ©lĂšve une belle opportunitĂ© dâenrichir son vocabulaire et dâaccroĂźtre ses capacitĂ©s dâexpression et de communication. Plus largement, la mise en service du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole » servira
efficacement de relais vers lâatteinte de lâobjectif de « bilinguisme Ă©quilibrĂ© » prĂ©conisĂ© par les programmes du ministĂšre de lâĂducation nationale. Le « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole » est, de ce fait, un irremplaçable outil de communication entre le crĂ©ole et le français, et vice versa ; une vraie passerelle entre les deux langues. Pour des raisons faciles Ă comprendre, la partie crĂ©ole-français a reçu cependant de plus amples dĂ©veloppements que la partie français-crĂ©ole (744 pages contre 420). Ce qui ne nuit cependant nullement Ă la « fermeture » du dictionnaire : chaque terme dĂ©veloppĂ© dans lâune des parties se retrouve dans lâautre. PrĂšs de 80 % environ des mots du crĂ©ole haĂŻtien sont issus du français. Si ce fait constitue, Ă coup sĂ»r, un facteur dâappui pour lâĂ©lĂšve, il peut aussi se rĂ©vĂ©ler source dâerreurs, car souvent le mot, sâil a plus ou moins la mĂȘme forme, nâa pas le mĂȘme sens dans les deux langues. Par exemple : « derape » (kreyĂČl) nâest pas lâĂ©quivalent de « dĂ©raper » (français) ; « pilon » (kreyĂČl) ne se traduit pas par « pilon » en français. Ce dernier mot existe bien en français, mais avec un sens diffĂ©rent du crĂ©ole. Câest pourquoi nous avons accordĂ© dans lâouvrage une grande attention aux aspects « diffĂ©rentiels » existant entre les deux lexiques. Dans cette mĂȘme optique, nous avons fait une large place aux locutions figurĂ©es et expressions idiomatiques, lesquelles ne se traduisent pas mot pour mot dâune langue Ă lâautre et ne correspondent pas Ă une addition de la traduction particuliĂšre de chaque mot en particulier.
Ci-dessous quelques exemples : depuis belle lurette depi iks tan, depi dikdantan avoir la langue bien pendue gen bouch alĂšlĂš montrer quelquâun du doigt lonje dwĂšt jouda [li] sou yon moun ne savoir ni lire ni Ă©crire pa konn g a ga nan fĂšy malanga
Pour une meilleure comprĂ©hension, les mots du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole » sont souvent illustrĂ©s dâexemples, suivis de leur traduction dans lâautre langue. Les exemples peuvent ĂȘtre soit des phrases complĂštes, soit des groupes de mots. Les verbes et les adjectifs figurent parmi les catĂ©gories grammaticales qui sont toujours illustrĂ©es. Les noms, eux, le sont seulement quand ils ont dans lâautre langue plusieurs sens ou Ă©quivalents diffĂ©rents. Les exemples remplissent alors une fonction distinctive. Ci-dessous un exemple :
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis
observation n.f. 1 obsĂšvasyon Lâobservation de la nature. ObsĂšvasyon lanati. 2 obsĂšvasyon, remak Le professeur a fait ses observations dans la marge des devoirs. MĂšt la mete remak li yo nan maj devwa yo. 3 obsĂšvasyon, respĂš, aplikasyon Le directeur a beaucoup insistĂ© sur lâobservation des consignes de sĂ©curitĂ©. DirektĂš a mete aksan anpil sou respĂš konsiy sekirite yo.
Nous adressons nos plus chaleureux remerciements au professeur Albert Valdman dâIndiana University, qui a bien voulu mettre Ă notre disposition les donnĂ©es informatiques du « Haitian Creole-English Bilingual Dictionary ». Câest de cette base de donnĂ©es que nous avons tirĂ©, pour lâessentiel, la nomenclature (câest-Ă -dire la liste de mots) de notre propre dictionnaire. (...) ». (LâĂditeur)
Les critĂšres mĂ©thodologiques que nous avons prĂ©cĂ©demment Ă©numĂ©rĂ©s ont Ă©tĂ© rigoureusement mis en application par les rĂ©dacteurs du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole » aux Ăditions ĂDITHA. En effet, la « PrĂ©face » de cet ouvrage expose que les deux premiers critĂšres ont Ă©tĂ© mis en application : (1) lâidentification de lâouvrage et de ses auteurs, le nom de lâĂ©diteur et la date de publication ; (2) le projet Ă©ditorial, les destinataires visĂ©s et lâidentification de la mĂ©thodologie dâĂ©laboration du dictionnaire. Il sâagit dâun dictionnaire scolaire bilingue bidirectionnel kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole « destinĂ© plus spĂ©cialement aux Ă©lĂšves des 2e et 3e cycles de lâĂcole fondamentale ». Il en est de mĂȘme des troisiĂšme et quatriĂšme critĂšres adĂ©quatement appliquĂ©s : (3) lâĂ©tablissement du corpus dictionnairique et (4) la confection de la nomenclature du dictionnaire et le nombre de termes retenus aprĂšs lâĂ©tude du corpus dictionnairique. Lâusager est adĂ©quatement renseignĂ© puisquâil lui a Ă©tĂ© prĂ©cisĂ© que le corpus dictionnairique a Ă©tĂ© Ă©tabli en amont par lâapport supplĂ©mentaire des donnĂ©es informatiques/lexicographiques du « Haitian Creole-English Bilingual Dictionary » Ă©laborĂ© par lâĂ©quipe rĂ©dactionnelle dirigĂ©e par le linguiste-lexicographe Albert Valdman au Creole Institute (Indiana University). La « PrĂ©face » en effet mentionne explicitement que « Câest de cette base de donnĂ©es que nous avons tirĂ©, pour lâessentiel, la nomenclature (câest-Ă -dire la liste de mots) de notre propre dictionnaire. (...) »
Nous avons effectuĂ© une prĂ©sentation analytique de ce rigoureux dictionnaire dâAlbert Valdman dans lâarticle « Lexicographie crĂ©ole : revisiter le « Haitian Creole-English Bilingual Dictionnary » paru sur le site Fondas kreyĂČl le 1er fĂ©vrier 2023. Le fait que le corpus dictionnairique et la confection de la nomenclature du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČlfransĂš français-crĂ©ole » aient bĂ©nĂ©ficiĂ© de lâapport des donnĂ©es informatiques/lexicographiques supplĂ©mentaires du « Haitian Creole-English Bilingual Dictionnary » est incontestablement un critĂšre de haute qualitĂ© scientifique : les rĂ©dacteurs du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČlfransĂš français-crĂ©ole » aux Ăditions ĂDITHA, en plus dâappliquer les deux premiers critĂšres que nous avons exposĂ©s, ont fait appel aux donnĂ©es lexicographiques fiables dâun dictionnaire aux assises scientifiques Ă©prouvĂ©es, le « Haitian Creole-English Bilingual Dictionary ». NOTE â Il sâagit lĂ dâun procĂ©dĂ© de maillage et dâenrichissement lexicographique connu en lexicographie professionnelle. Ainsi, le fameux « Dictionnaire des francophones » (DDF) accessible gratuitement depuis trois ans sur Internet et qui comprend 400 000 mots, a puisĂ© lors de son Ă©laboration Ă diffĂ©rentes sources rĂ©putĂ©es pour leur scientificitĂ© : « LâInventaire des particularitĂ©s lexicales du français en Afrique noire », le « Dictionnaire des synonymes, des mots et expressions des français parlĂ©s dans le monde », le « Grand dictionnaire terminologique » de lâOffice quĂ©bĂ©cois de la langue française, lâouvrage « Belgicismes - Inventaire des particularitĂ©s lexicales du français en Belgique », le « Dictionnaire des rĂ©gionalismes de France », la « Base de donnĂ©es lexicographiques panfrancophone » incluant le « Dictionnaire des belgicismes » et « FranceTerme ».
Le cinquiĂšme critĂšre mĂ©thodologique a lui aussi Ă©tĂ© appliquĂ© dans la fabrication du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole » : il concerne le traitement ordonnĂ© â modĂ©lisĂ© â, des donnĂ©es lexicographiques prĂ©sentĂ©es Ă la suite des « mots-vedettes » (les « entrĂ©es » classĂ©es en ordre alphabĂ©tique dans les rubriques comprenant les dĂ©finitions, les contextes dĂ©finitoires et les notes illustratives). Ă lâanalyse, il sâagit lĂ de lâun des points forts de ce dictionnaire : le traitement des donnĂ©es lexicographiques est standardisĂ©, il est effectuĂ© selon le mĂȘme modĂšle prĂ©sentatif et analytique tant pour la partie français-crĂ©ole que pour la partie crĂ©ole-français comme lâattestent les tableaux 1 et 2.
TABLEAU 1 â Ăchantillon de rubriques lexicographiques du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole » pour les entrĂ©es « bien » et « rete »
[EntrĂ©e « bien », partie français-crĂ©ole :] bien n.m. byen âą dire du bien de pale an byen de Ils ont dit du bien de toi. Yo pale de ou an byen. âą faire du bien Ă quelquâun fĂš yon moun byen Le sirop mâa fait beaucoup de bien, il a arrĂȘtĂ© la grippe. Siwo a fĂš m byen anpil, li rete grip la. âą faire du bien fĂš byen, fĂš lebyen Ils sont charitables, ils font du bien dans la communautĂ©. Yo charitab, yo fĂš byen nan kominote a. âą pour le bien de quelquâun pou byen yon moun
Câest pour notre bien quâil nous donne ces conseils. Se pou byen nou l ap ban nou konsĂšy sa yo.
[EntrĂ©e « rete », partie crĂ©ole-français :] rete1 oswa ret I v. tr. arrĂȘter, stopper Gadyen bi a rete chout la. Le gardien de but a arrĂȘtĂ© le tir. II v.intr. rester M pran pĂČsyon pa m lan, sak rete a se pou ou. Jâai pris ma portion, ce qui reste est Ă toi. 2 sâarrĂȘter ChofĂš a rete pou chanje yon kawotchou. Le chauffeur sâest arrĂȘtĂ© pour remplacer un pneu. 3 demeurer, habiter Ki bĂČ ou rete ? OĂč est-ce que tu habites ? III v. enp. [NOTE DE RBO / LâabrĂ©viation v.enp est un abrĂ©gĂ© de « vĂšb enpĂšsonnĂšl », un verbe dont le sujet est abstrait, par ex. : il pleut ».] 1 rester Rete sĂšlman de jou anvan NwĂšl. Il reste seulement deux jours avant la NoĂ«l. 2 rester Sitiyasyon an toujou rete frajil. La situation reste toujours fragile. âą rete bra kwaze (a) rester les bras croisĂ©s LĂš l ap priye, li rete bra kwaze Quand il prie, il reste les bras croisĂ©s (b) ne pas lever/remuer le petit doigt, ne rien faire Tout priye m priye l pou l ede m, li rete bra kwaze. Jâai eu beau le supplier de mâaider, il nâa pas levĂ© le petit doigt. âą rete je klĂš rester Ă©veillĂ©/-e Li rete je klĂš tout nuit lan akĂČz yon mal-tĂšt. Il est restĂ© Ă©veillĂ© toute la nuit hier Ă cause dâun mal de tĂȘte. âą rete nan wĂČl/limit [li] rester dans ses limites. âą rete pou (a) ĂȘtre sur le point de Li tĂšlman gen dĂšt, rete l pou l pĂšdi tĂšt li Il a tellement de dettes quâil est sur le point de perdre la tĂȘte. (b) il reste Ă Ou achte kay la, rete pou antre ladan. Tu as achetĂ© la maison, il te reste Ă prendre logement. âą san rete sans arrĂȘt, sans cesse Pe ! Nou pale san rete ! Taisez- vous ! Vous parlez sans arrĂȘt ! rete2 n. arrĂȘt n.m., escale n.f. Mwen p ap rantre tou suit, m ap fĂš yon rete nan wout. Je ne rentre pas tout de suite, je vais faire un arrĂȘt en route.
TABLEAU 2 â Ăchantillon de rubriques lexicographiques du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole » pour les entrĂ©es « fou », « homme », « grangou » et « plein/-e »
[EntrĂ©e « fou », partie crĂ©ole-français :] fou adj. 1 fou/folle Mesye sa a pĂšdi tĂšt li, li fou. Ce monsieur a perdu la tĂȘte, il est fou. 2 fou/fol, insensĂ©/-e Ou vle fĂš tout wout sa a a pye ! Ou fou ? Tu veux faire tout ce trajet Ă pied ! Tu es fou ? âą fĂš fou oswa rann fou rendre fou/folle Bri sa a enĂšvan, li ka rann yon moun fou ! Ce bruit est Ă©nervant, il peut vous rendre fou ! âą fou pou fou/ folle de, passionnĂ©/-e de âą moun fou/folle âą zafĂš moun fou insensĂ©/-e Ou vle fĂš tout wout sa a apye, se zafĂš moun fou ! Tu veux faire tout ce trajet Ă pied, câest insensĂ© !
[EntrĂ©e « homme », partie français-crĂ©ole :] homme n.m. 1 lĂČm Lâhomme nâest pas seulement un corps, il a aussi une Ăąme. LĂČm pa sĂšlman yon kĂČ, li gen yon nanm tou. 2 gason Lâhomme et la femme se complĂštent dans une famille. Gason ak fi konplete youn lĂČt nan yon fanmi. 3 mesye/msye, nĂšg Trois hommes sont assis dans la salle. Gen twa mesye ki chita nan sal la. 4 nĂšg, nonm Cet homme est vraiment mal Ă©levĂ© Nonm sa a vrĂšman malelve. âą homme dâaffaires ĂČm d afĂš/ĂČm dafĂš, biznismann âą homme dâĂtat ĂČm d Eta âą homme riche grannĂšg âą jeune homme jĂšnjan/jennjan, jennonm.
[EntrĂ©e « plein/-e », partie français-crĂ©ole :] plein/-e adj. 1 foul, plen, ranpli La voiture est pleine, il nây a plus de place. Machin nan foul, pa gen plas ankĂČ. 2 [f.] plenn Cette chatte est pleine, elle va bientĂŽt mettre bas. Chat sa a plenn, li pa lwen akouche. âą plein/-e Ă craquer plen rabouch âą (ĂȘtre) plein/-e de plen Son pantalon est plein de trous. Pantalon l plen twou.
[EntrĂ©e « grangou », partie crĂ©ole-français :] grangou n. 1 faim n.f. Li poko manje, li kĂČmanse santi grangou a. Il nâa pas encore mangĂ©, il commence Ă ressentir la faim. 2 faim n.f., famine n.f. Grangou ap fĂš ravaj nan rejyon sa a. La faim fait des ravages dans cette rĂ©gion. âą grĂšv grangou gade grĂšv âą mouri (anba) grangou mourir de faim, crever de faim âą pase grangou [li] apaiser sa faim.
Ăclairage analytique â Ces exemples de rubriques dictionnairiques illustrent bien lâorientation Ă©ditoriale et pĂ©dagogique de lâouvrage ainsi que la mĂ©thodologie lexicographique qui en a guidĂ© la rĂ©daction. Le « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole » se distingue de ses prĂ©dĂ©cesseurs par une nomenclature (nombre dâentrĂ©es) plus ample et une microstructure (les renseignements fournis sur les « entrĂ©es ») plus dĂ©taillĂ©e : cela sâexplique aisĂ©ment du fait que ce dictionnaire a bĂ©nĂ©ficiĂ© de lâapport des donnĂ©es informatiques/lexicographiques supplĂ©mentaires du « Haitian Creole-English Bilingual Dictionnary » dâAlbert Valdman qui comprend 30 000 entrĂ©es et 26 000 sous-entrĂ©es. « Its nomenclature (the list of words) contains 30 000 headwords, many, especially verbs, with multiple senses, and about 26 000 subentries, multiword units or idiomatic expressions whose meanings cannot readily be derived from the individual meaning of the constituent words. Second, it provides the most developed microstructure (the content of individual articles) for headwords ». (« Sa nomenclature (la liste des mots) contient 30 000 mots-clĂ©s, dont beaucoup, en particulier les verbes, ont plusieurs sens, et environ 26 000 sous-entrĂ©es, des unitĂ©s de plusieurs mots ou des expressions idiomatiques dont le sens ne peut pas ĂȘtre facilement dĂ©rivĂ© du sens individuel des mots qui les composent. DeuxiĂšmement, elle fournit
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis la microstructure la plus dĂ©veloppĂ©e (le contenu des articles individuels) pour les mots-clĂ©s ».) [Traduction : RBO] Cette information de premier plan est consignĂ©e Ă la page (i) du « Haitian Creole-English Bilingual Dictionnary » dâAlbert Valdman. NOTE â ĂlaborĂ© par une Ă©quipe de rĂ©dacteurs sous la direction du linguiste-lexicographe Albert Valdman, le remarquable « Haitian Creole-English Bilingual Dictionnary » (Creole Institute, Indiana University, 2007) demeure jusquâĂ aujourdâhui le modĂšle de dictionnaire bilingue le plus abouti au plan de la mĂ©thodologie de la lexicographie professionnelle comme Ă celui du contenu des rubriques lexicographiques : Ă ce titre, il est LA RĂFĂRENCE ET LE MODĂLE qui doit guider lâensemble de la production lexicographique crĂ©ole contemporaine.
Pour lâentrĂ©e « bien » de la partie français-crĂ©ole du dictionnaire, lâusager a accĂšs aux quatre acceptions de ce terme, et ces acceptions sont suivies dâun Ă©noncĂ© en français Ă©clairant chacune des significations, les Ă©noncĂ©s Ă©tant eux-mĂȘmes suivis dâune traduction crĂ©ole. Ce dispositif de prĂ©sentation de lâinformation lexicographique prĂ©sente lâavantage de fournir Ă lâĂ©lĂšve-usager des « contextes phrastiques » parfaitement grammaticaux et qui illustrent le fonctionnement morphosyntaxique habituel des termes. De la sorte, lâĂ©lĂšve-usager accĂšde Ă la fois au sens du terme et Ă son usage dans son environnement morphosyntaxique habituel. La mission pĂ©dagogique de ce dictionnaire se trouve de la sorte confirmĂ©e comme il est mentionnĂ© dans la « PrĂ©face » : « Pour une meilleure comprĂ©hension, les mots du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole » sont souvent illustrĂ©s dâexemples, suivis de leur traduction dans lâautre langue. Les exemples peuvent ĂȘtre soit des phrases complĂštes, soit des groupes de mots ».
Alors mĂȘme que dans nombre de rubriques du dictionnaire lâon accĂšde aux diffĂ©rentes variantes dâune « entrĂ©e » portĂ©es par un efficace systĂšme de renvoi (par exemple afĂš, zafĂš), les diverses significations dâun terme sont adĂ©quatement prĂ©sentĂ©es par une numĂ©rotation diffĂ©rentielle comme dans rete1 oswa ret et rete2 , qui sont dĂ©finis aux sous-rubriques /I / (verbe transitif), /II / (verbe intransitif) et /III / v. enp. 1 rester Rete. Pour tous les verbes et adjectifs, ainsi que pour les noms ayant plusieurs sens, des exemples illustratifs qui explicitent et illustrent les diverses significations sont fournis Ă lâĂ©lĂšve-usager dans les deux langues, le français et
le crĂ©ole. Lâexemple rete1 oswa ret et rete2 du tableau 1 est particuliĂšrement Ă©clairant et « confirmatif » de lâ« identitĂ© » pĂ©dagogique du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole » : lâĂ©talement cumulatif de plusieurs « contextes phrastiques » parfaitement grammaticaux permet Ă lâĂ©lĂšve-usager de sâapproprier les diffĂ©rentes significations des termes dans leur environnement morphosyntaxique habituel. Ce faisant lâĂ©lĂšve-usager bĂ©nĂ©ficie dâun double apport : sur le registre sĂ©mantique il apprend le sens/ les sens dâun mot et il renforce sa maĂźtrise de la combinatoire grammaticale des mots entre eux. Câest aussi en cela que le « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole » est vĂ©ritablement un dictionnaire scolaire pĂ©dagogique.
Au tableau 2, lâinformation lexicographique de lâentrĂ©e « homme » (partie français-crĂ©ole) consigne les diffĂ©rentes acceptions du terme et lâĂ©lĂšve-usager accĂšde Ă une donnĂ©e qui recoupe le sens 4 : « homme » a pour Ă©quivalent gĂ©nĂ©rique, en crĂ©ole haĂŻtien, « nĂšg », « nonm ». Le locuteur crĂ©olophone dira tout naturellement « NĂšg sa a se bon moun » (« Cette personne-lĂ est une bonne personne »). Toujours au tableau 2, lâinformation lexicographique de lâentrĂ©e « grangou » (partie crĂ©ole-français) atteste deux emplois du terme : lâemploi ayant le trait /+ humain/ puisque la « faim »/« grangou » est celle qui affecte un ĂȘtre humain. Dâautre part, le sens 2 de « faim » renvoie Ă une gĂ©nĂ©ralitĂ©, celle de la « famine » touchant par exemple une rĂ©gion, un pays. La rubrique « grangou » est Ă©galement enrichie de la forme verbale « mouri (anba) grangou » « mourir de faim », « crever de faim » et « pase grangou [li] » « apaiser sa faim ». LâĂ©lĂšve-usager est ainsi introduit non seulement Ă deux significations du mĂȘme terme, mais il apprend Ă©galement Ă distinguer Ă lâaide de sĂ©quences illustratives parfaitement grammaticales deux fonctions distinctes couvertes par lâemploi de « grangou » /+ humain/ par opposition Ă une gĂ©nĂ©ralitĂ©, celle de la « famine » touchant une rĂ©gion. En cela encore le « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole » est un ouvrage pĂ©dagogique, il guide lâĂ©lĂšve-usager en lui apprenant Ă distinguer le mode de fonctionnement du terme dans la chaĂźne parlĂ©e/Ă©crite ainsi que la catĂ©gorisation grammaticale du terme : « grangou » dans son emploi substantif avec le trait /+ humain/ et « grangou » dans un environnement verbal « mouri (anba) grangou » « mourir de faim », « crever de faim ».
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis
RAPPEL â Comme nous lâavons auparavant explicitĂ© dans le dĂ©roulĂ© du prĂ©sent article, « Le dictionnaire scolaire a pour objectifs de sensibiliser les jeunes au vocabulaire et de les mettre Ă lâaise avec les mots. Il consigne le lexique vivant, dont une partie est dĂ©jĂ connue de la majoritĂ© des Ă©lĂšves, soit de maniĂšre active, parce que les jeunes locuteurs doivent sâexprimer, soit de maniĂšre passive, parce quâils doivent Ă©couter et comprendre les autres ». « (...) Le terme dictionnaire scolaire est synonyme de dictionnaire pĂ©dagogique, ce dernier Ă©tant dâun emploi plus restreint dans la terminologie française » (source : Jean-Claude Boulanger, « Du cĂŽtĂ© de la petite histoire des dictionnaires scolaires modernes » paru dans « Aspects diachroniques du vocabulaire », par Danielle Candel et François Gaudin, Ăditions des UniversitĂ©s de Rouen et du Havre, 2006. Dans cette acception, le « dictionnaire scolaire » ou « dictionnaire pĂ©dagogique » est fondamentalement diffĂ©rent du « dictionnaire encyclopĂ©dique » qui sâadresse Ă des usagers diffĂ©rents et utilise un niveau de langue qui peut ĂȘtre qualifiĂ© dâ« acadĂ©mique ». Le Grand dictionnaire terminologique de lâOffice quĂ©bĂ©cois de la langue française dĂ©finit comme suit le « dictionnaire encyclopĂ©dique » : « Dictionnaire qui contient des informations de nature linguistique (sĂ©mantique, grammaticale, phonĂ©tique) et des informations de nature rĂ©fĂ©rentielle, câest-Ă -dire relatives aux objets ». Le dictionnaire Le Robert Ă©claire la notion de « dictionnaire encyclopĂ©dique » par la dĂ©finition de lâadjectif « encyclopĂ©dique » : « Qui embrasse lâensemble des connaissances. De lâencyclopĂ©die. Un dictionnaire encyclopĂ©dique, qui fait connaĂźtre les choses, les concepts (opposĂ© Ă dictionnaire de langue) ».
Dans lâensemble, le « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš françaiscrĂ©ole » est appelĂ© Ă jouer un rĂŽle de premier plan dans la conduite (1) des diffĂ©rents futurs chantiers de la traduction crĂ©ole et de la lexicographie crĂ©ole, dans (2) la didactique du crĂ©ole, dans (3) la didactisation du crĂ©ole et (4) au titre dâun ouvrage de rĂ©fĂ©rence, dans la rĂ©daction de manuels scolaires crĂ©oles de qualitĂ©. Les liens Ă©troits entre la dictionnairique crĂ©ole et la didactisation du crĂ©ole sont examinĂ©s sous diffĂ©rents angles dans le livre collectif de rĂ©fĂ©rence « La didactisation du crĂ©ole au cĆur de lâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti » (ouvrage coordonnĂ© et co-Ă©crit par Robert BerrouĂ«t-Oriol, Ăditions ZĂ©mĂšs et Ăditions du Cidihca, 2021). Pour sa part, en ce qui a trait au futur dictionnaire unilingue crĂ©ole, le linguiste-lexicographe Albert Valdman en circonscrit hautement la problĂ©matique : « Le handicap le plus difficile Ă surmonter dans lâĂ©laboration
dâun dictionnaire unilingue pour le CH [crĂ©ole haĂŻtien] est certainement lâabsence dâun mĂ©talangage adĂ©quat. Cette carence rend ardu tout effort de dĂ©finition comparable Ă celle que lâon trouve dans les dictionnaires unilingues de langues pleinement standardisĂ©es et instrumentalisĂ©es. Le rĂ©dacteur se trouve obligĂ© de suivre le modĂšle des dictionnaires pour jeunes qui rendent le sens des lexies par une approche concrĂšte basĂ©e sur le jeu des synonymes et lâutilisation dâexemples illustratifs. Câest cette voie que devraient suivre les lexicographes prĂȘts Ă affronter le dĂ©fi de lâĂ©laboration dâun dictionnaire unilingue, en particulier sâils Ćuvrent dans une perspective pĂ©dagogique, tant dans lâenseignement de base que dans lâalphabĂ©tisation des adultes. (...) Au fur et Ă mesure que le CH [crĂ©ole haĂŻtien] est appelĂ© Ă la rĂ©daction dâune large gamme de textes, en particulier dans les domaines techniques, et Ă son emploi dans les cycles scolaires supĂ©rieurs, il se dotera dâun mĂ©talangage capable de traiter de concepts de plus en plus abstraits. Dans lâattente de cette Ă©volution, la lexicographie bilingue peut prĂ©parer le terrain en affinant ses mĂ©thodes, en particulier quant Ă : 1 / la sĂ©lection de la nomenclature ; 2 / la description des variantes et le classement diatopique, diastratique et diaphasique ?des lexies ; et 3 / le choix des exemples illustratifs » (Albert Valdman, « Vers un dictionnaire scolaire bilingue pour le crĂ©ole haĂŻtien ? », revue La linguistique, 2005/1 (vol. 14) ; voir aussi un article prĂ©cĂ©dent dâAlbert Valdman, « LâĂ©volution du lexique dans les crĂ©oles Ă base lexicale française » paru dans Lâinformation grammaticale no 85, mars 2000).
Les apports analytiques du linguiste Renauld Govain alimentent eux aussi une rĂ©flexion transversale capable dâenrichir la rĂ©flexion sur la dictionnairique crĂ©ole. Ces apports analytiques sont consignĂ©s dans les articles suivants : (1) « Enseignement du crĂ©ole Ă lâĂ©cole en HaĂŻti : entre pratiques didactiques, contextes linguistiques et rĂ©alitĂ©s de terrain », in FrĂ©dĂ©ric Anciaux, Thomas Forissier et Lambert-FĂ©lix : voir Prudent (dir.), « Contextualisations didactiques. Approches thĂ©oriques », Paris, LâHarmattan, 2013 ; (2) « LâĂ©tat des lieux du crĂ©ole dans les Ă©tablissements scolaires en HaĂŻti », revue Contextes et didactiques, 4, 2014 ; (3) « Le crĂ©ole haĂŻtien : description et analyse » (sous la direction de Renauld Govain, Paris, Ăditions LâHarmattan, 2018 ; (4) « Enseignement/apprentissage formel du crĂ©ole Ă lâĂ©cole en HaĂŻti : un parcours Ă construire », revue Kreolistika, mars 2021 ; (5) « De lâexpression vernaculaire Ă lâĂ©laboration scientifique : le crĂ©ole haĂŻtien Ă lâĂ©preuve des reprĂ©sentations mĂ©ta-Ă©pilinguistiques »
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis (revue Contextes et didactiques, 17 | 2021) ; (6) « Pour une didactique du crĂ©ole langue maternelle », paru dans le livre collectif de rĂ©fĂ©rence « La didactisation du crĂ©ole au cĆur de lâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti », par BerrouĂ«t-Oriol et al., Ăditions ZĂ©mĂšs et Ăditions du Cidihca, 2021.
Au chapitre 6 « La question de la (in)disponibilitĂ© des concepts en CH, un vrai faux problĂšme » de son article « De lâexpression vernaculaire Ă lâĂ©laboration scientifique : le crĂ©ole haĂŻtien Ă lâĂ©preuve des reprĂ©sentations mĂ©ta-Ă©pilinguistiques » (revue Contextes et didactiques, 17 | 2021), Renauld Govain prĂ©cise comme suit sa pensĂ©e au sujet « de la (in)disponibilitĂ© des concepts en CH. De bonnes Ăąmes bien pensantes prĂ©tendent que le CH nâest pas apte Ă exprimer des rĂ©alitĂ©s scientifiques parce que les concepts pour ce faire nây existeraient pas. Il est Ă©vident que la langue accuse certaines limites Ă ce niveau parce que cette expĂ©rience nây a guĂšre encore Ă©tĂ© tentĂ©e dans tous les compartiments de la science. Pour considĂ©rer quâune langue a des limites dans lâexpression de tel type de rĂ©alitĂ© intellectuelle, on la compare Ă dâautres langues qui, elles, connaissent une longue tradition dâexpression scientifique. Mais, cela ne veut pas dire que celle-lĂ soit pauvre et celles-ci soient riches. Du point de vue de lâexpression de rĂ©alitĂ©s vernaculaires, une langue ne peut pas ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme pauvre car elle permet Ă ses locuteurs de pouvoir tout exprimer ». Il ajoute, plus loin dans son propos, que « Lorsque les HaĂŻtiens Ă©voquent la non-disponibilitĂ© des concepts en CH, ils font davantage rĂ©fĂ©rence aux disciplines des sciences dites de base, telles les mathĂ©matiques, la mĂ©decine, la biologie, la physique, etc. Mais, si lâon devait vraiment parler dâindisponibilitĂ© de concepts en CH, cela se poserait aussi au niveau de lâenseignement des disciplines relevant de ce quâon pourrait appeler les sciences situĂ©es telles lâhistoire, la gĂ©ographie, la sociologie, la climatologie, etc. qui parfois font appel Ă des concepts basĂ©s sur des expĂ©riences localement situĂ©es. Par exemple, on continue dâenseigner aux Ă©lĂšves haĂŻtiens quâil existe 4 saisons (le printemps, lâĂ©tĂ©, lâautomne, lâhiver), alors que lâobservation empirique de la climatologie haĂŻtienne (ou caribĂ©enne plus gĂ©nĂ©ralement) montre quâil nâexiste quâune seule saison quâon pourrait diviser en une pĂ©riode sĂšche (que les paysans haĂŻtiens cultivateurs appellent gĂ©nĂ©ralement âlesĂškâ) et une pĂ©riode pluvieuse (quâils appellent gĂ©nĂ©ralement âlepliâ). Il se pose dĂšs lors le problĂšme de la contextualisation didactique dont un ordre dâidĂ©es peut ĂȘtre donnĂ© Ă ce sujet dans R. Govain (2013). Lâenseignement Ă©tant fait dans un contexte spĂ©cifique, il doit Ă©pouser
les spĂ©cificitĂ©s de ce contexte : « Notion Ă gĂ©omĂ©trie variable dont le sens prĂ©cis varie selon la discipline Ă laquelle on lâapplique, le contexte est Ă envisager sous diverses facettes : pĂ©dagogique, institutionnelle, Ă©ducative, (socio)linguistique, ethnique, Ă©conomique, socioculturelle, Ă©cologique, politique... Toute situation scolaire en milieu plurilingue fait intervenir les notions de contexte et contextualisation » (Govain, 2013 : 23-53) ». Et lâon peut mettre en perspective ce que consigne Renauld Govain lorsquâil expose que « La contextualisation didactique renvoie, quant Ă elle, Ă lâadĂ©quation des rĂ©alitĂ©s Ă la fois linguistiques, socioculturelles, Ă©cologiques en gĂ©nĂ©ral et Ă©ducatives. Elle vise aussi la mise Ă contribution des diffĂ©rents Ă©lĂ©ments intervenant dans lâenvironnement dâenseignement / apprentissage qui est multiforme car formĂ© dâacteurs aux identitĂ©s et aux compĂ©tences linguistiques multiples et plurielles (parfois aux langues premiĂšres diffĂ©rentes), aux appartenances socio-ethniques diffĂ©rentes et diverses, etc. (Govain, 2013) ». Et le lien/liant entre la dictionnairique crĂ©ole et la didactisation crĂ©ole sâĂ©claire encore de la suite logique de son propos : « La langue, quelle quâelle soit, est un moyen de communication, dâexpression, de (re)prĂ©sentation, inventĂ© collectivement par les membres dâune communautĂ© pour communiquer des idĂ©es, conceptualiser le monde, les objets et les expĂ©riences du monde. Toute langue naturelle est pourvue de ce potentiel lui permettant dâidĂ©aliser des expĂ©riences abstraites, savantes. Donc, une langue qui nâaurait pas cette capacitĂ© de conceptualisation nâen serait pas une. De mĂȘme, une idĂ©e, aussi abstraite soit-elle, qui nâest pas conceptualisĂ©e nâest pas communicable, une rĂ©alitĂ© scientifique qui nâest pas conceptualisable nâest pas partageable. Le concept a pour mission de modĂ©liser cette idĂ©e abstraite (cette modĂ©lisation constituant le discours scientifique) afin de la communiquer Ă des locuteurs qui ne sont pas forcĂ©ment des scientifiques dans le domaine concernĂ©, mĂȘme si les initiĂ©s au domaine peuvent y accĂ©der plus ou moins facilement ».
LâĂ©dition prochaine du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole », une Ćuvre lexicographique de haute qualitĂ© scientifique destinĂ©e aux Ă©coliers et aux enseignants haĂŻtiens et Ă©galement au grand public, est une nĂ©cessitĂ© de premier plan pour forger et moderniser les outils pĂ©dagogiques et didactiques dont a besoin le systĂšme Ă©ducatif national. Cet ouvrage saura contribuer remarquablement Ă la didactique et Ă la didactisation du crĂ©ole dans lâoptique de la consolidation de son institutionnalisation comme langue instrument et objet dâenseignement.
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis
Les Ăditions haĂŻtiennes ĂDITHA â en en faisant une prioritĂ© dans un environnement oĂč, selon les statistiques de lâUNESCO et de lâUNICEF, environ 2 millions dâĂ©lĂšves sont scolarisĂ©s dans 17 000 Ă©coles Ă travers le territoire national â, apporteront une contribution majeure Ă la modernisation de lâenseignement en HaĂŻti. Ă cet Ă©gard, il faut souhaiter que la nouvelle direction du ministĂšre de lâĂducation nationale saura elle aussi faire sienne lâimpĂ©rieuse nĂ©cessitĂ© de doter lâĂcole haĂŻtienne dâinstruments pĂ©dagogiques et didactiques de grande qualitĂ© dans les deux langues officielles dâHaĂŻti, le crĂ©ole et le français. Ainsi elle enverra Ă coup sĂ»r un signal fort aux enseignants, aux directeurs dâĂ©coles, aux associations de parents dâĂ©lĂšves et aux rĂ©dacteurs de manuels scolaires crĂ©oles et français en contribuant au financement de lâĂ©dition prochaine du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole ».
Incursion dans lâhistoire des dictionnaires
Le rĂ©putĂ© site « MusĂ©e virtuel des dictionnaires » consigne une prĂ©sentation historique de la dictionnairique sous le titre « Les dictionnaires de la langue française : une histoire et une dynamique ». Le « MusĂ©e virtuel des dictionnaires » est un site gĂ©rĂ© par le laboratoire Lexiques, textes, discours, dictionnaires : Centre Jean Pruvost (EA 7518) de lâUniversitĂ© de Cergy-Pontoise. Sa vocation est de prĂ©senter une bibliographie des dictionnaires et des travaux sây rapportant. Pour illustrer lâidĂ©e que le « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole » â qui sâinscrit dans le prolongement des travaux des pionniers Pradel Pompilus, Pierre Vernet, Henry Tourneux, Bryant Freeman, AndrĂ© Vilaire Chery tout en se rattachant Ă une grande tradition dictionnairique et Ă son histoire â, nous procĂ©dons Ă une incursion dans lâhistoire des dictionnaires en Occident.
Sur le plan historique
« Des dictionnaires du grand siĂšcle, pour la plupart des in folio, volumineux fleurant bon le vieux papier et le cuir, aux dictionnaires de la fin du XXe siĂšcle et du XXIe siĂšcle, de plus en plus souvent offerts sur supports Ă©lectroniques, câest-Ă -dire sur âdisques optiques compactsâ plus couramment appelĂ©s âcĂ©dĂ©romsâ (graphie prĂŽnĂ©e par lâAcadĂ©mie française), nous sommes indĂ©niablement confrontĂ©s Ă la sensible Ă©volution de fond et de forme dâun mĂȘme produit, Ă la fois hautement symbolique et essentielle-
ment pragmatique. Sâil y a en moyenne, selon les statistiques, plus dâun dictionnaire par foyer, et si les dictionnaires font en quelque sorte partie du mobilier et du patrimoine, il nâen reste pas moins quâils restent trĂšs mal connus et dans leur diversitĂ© et dans leur histoire.
LâAntiquitĂ© et le Moyen Ăge : la gĂ©nĂšse des dictionnaires
Qui a inventĂ© les dictionnaires et quand ? Il serait en fait incongru de nâapporter quâune seule rĂ©ponse Ă pareille question... Faut-il par exemple considĂ©rer que la pierre de Rosette dĂ©couverte lors de la campagne dâĂgypte de Bonaparte constitue la premiĂšre trace dâun dictionnaire plurilingue ? Sur ladite pierre figuraient en effet les mĂȘmes informations transcrites en trois codes diffĂ©rents, les hiĂ©roglyphes, le dĂ©motique et le grec. Mais si la confrontation des hiĂ©roglyphes a permis en 1822 Ă Champollion de percer leur mystĂšre, il ne serait pas trĂšs convaincant dâassimiler cette trace de plurilinguisme Ă un dictionnaire trilingue. Pas plus que de mentionner lâexistence de dictionnaires chez les Grecs en Ă©voquant les recueils de mots rares appartenant Ă un dialecte ou Ă un Ă©crivain, par exemple HomĂšre. En vĂ©ritĂ©, les conditions ne sont pas remplies pour faire aboutir le genre lexicographique. MĂȘme si le dictionnaire monolingue va prendre souche dans les rĂ©pertoires plurilingues, quâil sâagisse de lâAntiquitĂ© ou du Moyen Ăge, les mots sont encore prisonniers des conceptions mĂ©taphysiques : on ne sâintĂ©resse pas pleinement au langage pour lui-mĂȘme mais Ă son essence divine. Ainsi, les Sommes du Moyen Ăge, correspondent Ă des rĂ©sumĂ©s des connaissances de lâĂ©poque â par exemple la Summa theologica de saint Thomas dâAquin (1225-1273) â mais ne dĂ©crivent pas les mots. Y sont seulement transmis les concepts et les savoirs de lâĂ©poque, fortement teintĂ©s dâinterprĂ©tation mĂ©taphysique. Les Ătymologies (Etymologiae) dâIsidore de SĂ©ville (570-636), lâun des ouvrages fondateurs de la pensĂ©e mĂ©diĂ©vale, restent en rĂ©alitĂ© totalement imprĂ©gnĂ©es dâune pensĂ©e religieuse qui ne laisse presque aucune place aux considĂ©rations sur la langue.
Du Moyen Ăge Ă la Renaissance : des gloses aux dictionnaires bilingues
Le dictionnaire est un outil destinĂ© Ă rĂ©soudre les questions que lâon se pose sur les mots, il reprĂ©sente dâune certaine maniĂšre notre premier outil didactique. Il ne serait pas totalement faux dâaffirmer quâil est nĂ© des difficultĂ©s rencontrĂ©es par les Ă©lĂšves.
En effet, les gloses â câest-Ă -dire les remarques explicatives ajoutĂ©es briĂšvement en marge ou entre les lignes, destinĂ©es Ă commenter dans les ouvrages de grammaire latine ou dâenseignement du latin les passages difficiles âsont instaurĂ©es pour aider les clercs qui ne maĂźtrisent pas parfaitement le latin. Lorsque les gloses sont regroupĂ©es, on aboutit Ă un glossaire, le plus cĂ©lĂšbre Ă©tant celui de Reichenau (VIIIe siĂšcle) qui rassemblait un peu plus dâun millier de mots difficiles dâune vulgate de la Bible, avec leur traduction en un latin plus facile ou en langue romane.
Le dictionnaire bilingue, et Ă terme le dictionnaire monolingue, sont dĂ©jĂ lĂ en germes. En vĂ©ritĂ©, traduire puis expliquer en ajoutant un commentaire lorsque la traduction se rĂ©vĂšle insuffisante, câest dĂ©jĂ forger les premiĂšres dĂ©finitions.
Le XVIIe siĂšcle : le grand siĂšcle et la naissance dâune trinitĂ© lexicographique
Le grand siĂšcle est celui des monarques absolus, et avec eux de la codification et de la rĂ©gulation. Henri IV, Louis XIII et Louis XIV vont chacun Ă leur maniĂšre servir la langue française et lâinstituer comme une grande langue internationale. Le bon roi Henri IV, sans le vouloir, incitera les âprĂ©cieuxâ Ă se rĂ©unir dans des salons Ă©loignĂ©s de la cour, trop rustre Ă leur goĂ»t, mais ce faisant, mĂȘme si lâon a surtout retenu le ridicule des pĂ©riphrases (les âbelles mouvantesâ, les âchers souffrantsâ... pour les pieds et les mains), ces derniers ainsi que Malherbe vont affiner la langue, lâĂ©purer, peut-ĂȘtre trop prĂ©tendront dâaucuns. Sous Louis XIII, Richelieu fondera en 1635 lâAcadĂ©mie française, et Louis XIV rassemblera autour de lui, Ă Versailles, les Ă©crivains qui poliront la langue et lui donneront cette tonalitĂ© classique et ce prestige littĂ©raire international. AprĂšs le foisonnement lexical de la Renaissance, le Grand siĂšcle reprĂ©sente une pĂ©riode de remise en ordre : Malherbe, au nom de la puretĂ©, Vaugelas, au nom de lâusage, se chargent de normaliser la langue, avec lâaval du public.
Constatons au passage que lorsquâun pays bĂ©nĂ©ficie dâune langue et dâun gouvernement forts, apparaissent gĂ©nĂ©ralement des rĂ©pertoires monolingues qui donnent aux mots du code linguistique national leur sens prĂ©cis, ce qui renforce la validitĂ© des textes officiels. Au public de Corneille, Racine, MoliĂšre, aux contemporains instruits, bourgeois et nobles, correspondent Ă la fin du siĂšcle trois dictionnaires de facture diffĂ©rente qui marquent la rĂ©elle naissance de la lexicographie de haute qualitĂ© : le dictionnaire de Richelet en 1680, celui de FuretiĂšre en 1690, et celui de lâAcadĂ©mie en 1694.
Tout dâabord, Pierre Richelet (1631-1694) publie en 1680 le premier dictionnaire monolingue de langue française, le Dictionnaire français contenant les mots et les choses (2 vol., in- 4°), dictionnaire destinĂ© Ă âlâhonnĂȘte hommeâ. Il y dĂ©finit les mots en homme de goĂ»t et de raison, volontiers puriste. Il sâagit dâun dictionnaire descriptif du bel usage, avec des exemples choisis dans lâĆuvre de Boileau, MoliĂšre, Pascal, Vaugelas, sans oublier les collaborateurs de Richelet, Patin et Bouhours qui nâhĂ©sitent pas Ă se citer, un bon moyen de passer Ă la postĂ©ritĂ©... Ce dictionnaire prĂ©figure lâouvrage de LittrĂ© et de Paul Robert : le grand dictionnaire de langue sâappuyant sur des citations dâauteurs est nĂ©.
Ensuite Antoine FuretiĂšre (1620-1688), esprit vif et volontiers railleur, est lâauteur du Dictionnaire Universel, contenant gĂ©nĂ©ralement tous les mots françois tant vieux que modernes et les termes de toutes les Sciences et des Arts (2vol. ; in-folio). Ce nâest plus cette fois-ci le âbon usageâ qui est mis en relief mais, comme il est annoncĂ© dans la prĂ©face, âune infinitĂ© de chosesâ. Les traits dâHistoire, les curiositĂ©s de âlâhistoire naturelle, de la physique expĂ©rimentale et de la pratique des Artsâ lâemportent sur la citation des bons auteurs. FuretiĂšre prĂ©figure Pierre Larousse et le dictionnaire encyclopĂ©dique, ce dernier Ă©tant davantage centrĂ© sur les idĂ©es et les choses dĂ©crites par les mots que sur lâusage du mot dans la langue.
Enfin, paraĂźt en 1694 la premiĂšre Ă©dition du Dictionnaire de lâAcadĂ©mie française (2 vol., in-4°) se trouve ainsi accomplie lâune des tĂąches que sâĂ©tait fixĂ©e lâAcadĂ©mie dĂšs 1635 sous lâĆil attentif de Richelieu. Ce dernier souhaitait vivement en effet que la France se dotĂąt dâun dictionnaire Ă lâimage de celui de lâAcadĂ©mie della Crusca fondĂ©e Ă Florence,
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis dictionnaire illustrant la langue italienne dans une premiĂšre Ă©dition en 1612 et une seconde en 1623.
Certes, la publication du dictionnaire de lâAcadĂ©mie, fort attendue, Ă©tait bien tardive, mais Ă tout prendre, ce fut une chance pour la lexicographie, puisque le monopole du dictionnaire de lâAcadĂ©mie nâavait pu ĂȘtre conservĂ©. En effet, publiĂ©s Ă GenĂšve et en Hollande, mais destinĂ©s Ă tous les usagers de la langue française, les dictionnaires de Richelet et de FuretiĂšre avaient dĂ©jĂ eu lâheur de plaire au Roi. Une saine concurrence Ă©tait dĂ©sormais installĂ©e.
Le dictionnaire de lâAcadĂ©mie avait pĂąti, dâune part, de la mort en 1653 de son rĂ©dacteur talentueux, Vaugelas, et, dâautre part, dâun changement dâĂ©tat de langue aprĂšs ce premier Ă©lan, une reprise sâĂ©tait donc rĂ©vĂ©lĂ©e nĂ©cessaire Ă la fin du XVIIe siĂšcle. Sans oublier le conflit qui opposa FuretiĂšre, acadĂ©micien accusĂ© dâavoir plagiĂ© le dictionnaire de lâAcadĂ©mie pour alimenter son propre dictionnaire. Sâil est vrai que la formule initiale du dictionnaire de FuretiĂšre ne devait comprendre que des mots scientifiques, techniques, et que dâune certaine façon, en y introduisant les mots dâusage courant, il âdoublaitâ lâAcadĂ©mie, la teneur mĂȘme de ces articles Ă©tait cependant bien diffĂ©rente. La premiĂšre Ă©dition du dictionnaire de lâAcadĂ©mie nâeut pas le succĂšs escomptĂ© parce que les mots y Ă©taient regroupĂ©s en fonction des racines, et le public nâapprĂ©ciait guĂšre ce classement qui rassemblait des mots comme dette, dĂ©biter, redevance sous lâentrĂ©e devoir. Cela Ă©tant, câĂ©tait une initiative pertinente sur le plan linguistique, trois siĂšcles plus tard tous les linguistes salueraient Josette Rey-Debove pour avoir Ă©laborĂ© le Dictionnaire mĂ©thodique (1982) dans une dynamique analogue.
Le XVIIIe siĂšcle : le siĂšcle de lâencyclopĂ©die
La premiĂšre tĂąche des lexicographes du XVIIIe siĂšcle fut dâabord de perfectionner les ouvrages existants. En particulier, revint aux JĂ©suites de TrĂ©voux le mĂ©rite de poursuivre la tĂąche entreprise par FuretiĂšre ; en effet dĂšs 1704, les PĂšres JĂ©suites de cette petite ville situĂ©e sur la SaĂŽne dans les Dombes publiĂšrent un dictionnaire encyclopĂ©dique, le Dictionnaire Universel françois et latin, en enrichissant et en corrigeant idĂ©ologiquement la seconde Ă©dition du dictionnaire de FuretiĂšre, qui avait Ă©tĂ© reprise
en 1702 par le protestant Basnage de Beauval, ce qui nâĂ©tait Ă©videmment pas du goĂ»t des PĂšres JĂ©suites. Ce furent dâabord trois volumes in-folio qui furent offerts en 1704, puis cinq en 1732, et huit en 1771. Fournir une information soutenue et combattre un certain nombre dâidĂ©es, tel Ă©tait lâobjectif. Et sur ce dernier point les JĂ©suites avaient fort Ă faire, puisque les jansĂ©nistes dâabord, les philosophes ensuite, leur portaient de rudes coups. Par ailleurs, les diffĂ©rents dictionnaires de lâAcadĂ©mie apportaient leur lot de rĂ©formes utiles, simplifiant lâorthographe, en particulier dans la troisiĂšme Ă©dition (1740) avec lâAbbĂ© dâOlivet.
Il faut enfin signaler Ă la veille de la RĂ©volution, en 1788, la publication du Dictionaire critique de la langue française (3 vol., in-8°), avec un seul n, de lâAbbĂ© FĂ©raud, ouvrage qui connut peu de succĂšs mais qui prĂ©sente sans doute lâimage la plus intĂ©ressante de la langue du moment, avec des points de vue critiques et la mention de la prononciation. Ce dictionnaire qui a influencĂ© les lexicographes du XIXe siĂšcle mĂ©ritait bien la réédition qui vient dâen ĂȘtre faite depuis peu par les Presses de lâĂcole Normale supĂ©rieure, sous la direction de Philippe Caron. Et, câest le sort heureux des ouvrages majeurs, il fait actuellement lâobjet dâune informatisation pour ĂȘtre sans doute bientĂŽt publiĂ© sur cĂ©dĂ©rom.
La premiÚre moitié du XIXe siÚcle : les accumulateurs de mots
La RĂ©volution française ne fut pas seulement politique, elle fut aussi linguistique. Ă la sociĂ©tĂ© nĂ©e de la RĂ©volution a correspondu en effet un lexique plus large. Au-delĂ des mots issus des diverses rĂ©formes, par exemple celle du systĂšme mĂ©trique, des mots nouveaux se rĂ©pandirent dans le commerce. Les anglicismes commencĂšrent Ă sâincruster dans notre langue, en particulier dans les domaines techniques oĂč lâAngleterre disposait dâune rĂ©volution industrielle dâavance. Par ailleurs, la vague montante des romantiques fit dĂ©ferler dans la littĂ©rature un vocabulaire abondant et colorĂ©. Le mĂ©lange des mots de basse ou noble extraction, archaĂŻques, classiques ou nouveaux, nâest plus un obstacle : les barriĂšres volent en Ă©clats sous la poussĂ©e de ces Ă©crivains chevelus qui rompent avec la tradition. Et nĂ©cessairement, ce sang neuf allait gĂ©nĂ©rer un nouveau mouvement lexicographique.
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis
De cette pĂ©riode de crĂ©ation lexicale, nous retiendrons notamment quelques dictionnaires rĂ©putĂ©s pour constituer avant tout des âaccumulateursâ de mots, câest-Ă -dire que, nĂ©gligeant plus ou moins la dĂ©finition et la prĂ©cision dans lâinformation, ils se caractĂ©risent dâabord par des nomenclatures plĂ©thoriques. Lâouvrage de Boiste en 1800, Le Dictionnaire Universel de la langue française (1 vol., in-4°), repris en 1829 avec le sous-titre de Pan-lexique par Charles Nodier, celui de NapolĂ©on Landais en 1834, et enfin celui de Bescherelle en 1845, illustrent tout Ă fait cette tendance Ă ouvrir les nomenclatures au plus grand nombre de mots, sans pour autant ĂȘtre trĂšs pertinents quant aux dĂ©finitions.
La seconde moitié du XIXe siÚcle : la linguistique historique
LittrĂ© (1801-1881) et Larousse (1817-1875) DĂšs 1804, avec entre autres les publications de Franz Bopp, commençait lâaventure de la linguistique historique qui rapprochait les langues europĂ©ennes du sanscrit, dâoĂč la dĂ©couverte progressive de la famille des langues indo-europĂ©ennes, expliquant les parentĂ©s entre des langues apparemment aussi Ă©loignĂ©es que le latin, lâallemand et le grec. Mais câest surtout au cours de la seconde moitiĂ© du XIXe siĂšcle que sâinstallent en France les recherches Ă©tymologiques avec lâĂ©tablissement des rĂšgles de phonĂ©tique historique.
Ajoutons Ă cela lâinfluence dĂ©cisive dâAuguste Comte qui publie entre 1830 et 1842 le Cours de philosophie positive. FondĂ©e sur lâobservation, lâĂ©tude positive des faits, et donc implicitement sur la recherche des causes historiques, cette philosophie sâadaptait parfaitement aux aspirations dâune nouvelle gĂ©nĂ©ration dĂ©sormais plus sensible aux rĂ©alitĂ©s scientifiques quâaux rĂȘveries enthousiastes. Larousse et LittrĂ© en seront de fervents adeptes, et tous deux sâinscrivent sans hĂ©siter dans le courant de la linguistique historique et comparative.
LittrĂ© naquit le 1er fĂ©vrier 1801 Ă Paris, avec pour premier prĂ©nom Maximilien, prĂ©nom donnĂ© par son pĂšre en souvenir de Robespierre lâIncorruptible... Lâenfant prometteur, entre une mĂšre protestante et un pĂšre disciple de Voltaire, ne fut point baptisĂ©, ce qui fit couler beaucoup dâencre lorsquâil devint cĂ©lĂšbre. Brillant Ă©lĂšve, il se destine Ă la mĂ©decine, mais le mĂ©decin se mĂ©tamorphose petit Ă petit en Ă©rudit en publiant notamment une traduction critique des Ćuvres dâHippocrate. En 1840 lui est alors
proposĂ©e une chaire dâHistoire mĂ©dicale quâil refuse, ne souhaitant guĂšre le contact avec le public. Ămile LittrĂ© avait formĂ© le projet dĂšs 1841 de rĂ©diger un dictionnaire Ă©tymologique qui serait publiĂ© chez son camarade de classe, Christophe Hachette, dĂ©jĂ devenu un Ă©diteur Ă©clairĂ©. En fait, ce premier projet nâaboutira pas, il faut attendre 1859 pour que les premiers textes du Dictionnaire de la langue française (4 vol., in-4°) soient remis Ă Hachette, et 1872 pour que ce dictionnaire en quatre volumes qui fait une large part Ă lâhistoire du mot soit achevĂ©. Un SupplĂ©ment publiĂ© en 1877 couronne lâensemble. Le dictionnaire de la langue française eut un franc succĂšs auprĂšs du public cultivĂ© qui trouvait dans cet ouvrage une somme dâinformations jusque-lĂ inĂ©galĂ©e quant Ă lâĂ©tymologie et Ă la filiation historique des sens dâun mot, le tout cautionnĂ© par de grands auteurs. Aussi prit-on rapidement lâhabitude dâĂ©voquer â le LittrĂ© â avec dĂ©fĂ©rence, comme une autoritĂ© ; il devint mĂȘme lâinstrument indispensable de toute recherche sĂ©rieuse en langue française. Son prestige ne diminua guĂšre au fil des annĂ©es, ainsi, jusquâĂ la publication du Dictionnaire de Paul Robert , presque un siĂšcle aprĂšs, LittrĂ© fut le plus souvent considĂ©rĂ© comme la seule vĂ©ritable rĂ©fĂ©rence des lettrĂ©s.
Alain Rey, dans un ouvrage explicite sur le lexicographe et son Ćuvre, met Ă©loquemment en relief comment sâest installĂ©e la notoriĂ©tĂ© dâun dictionnaire qui, nâĂ©tant plus rééditĂ©, est devenu tout au long de la premiĂšre moitiĂ© du XIXe siĂšcle un ouvrage mythique. En fait, le dictionnaire de LittrĂ© Ă©tait fondĂ© sur lâidĂ©e darwinienne que la langue est un organisme qui connaĂźt dâabord une croissance, et qui, en atteignant son apogĂ©e, commence Ă dĂ©cliner. Pour LittrĂ©, comme pour nombre de linguistes de la fin du XIXe siĂšcle, lâapogĂ©e se situait au XVIIe siĂšcle. Aussi, son dictionnaire enregistre-t-il principalement la langue française comprise entre le XVIIe siĂšcle et le dĂ©but du XIXe. Les citations prĂ©sentĂ©es ne sont jamais postĂ©rieures Ă 1830. Ă. Zola et la majeure partie de lâĆuvre de V. Hugo nây figurent pas. Ajoutons Ă cet handicap que la conception des articles, avec parfois 40 sens qui se succĂšdent selon une filiation que LittrĂ© souhaite avant tout historique, positiviste, est loin dâĂȘtre clarificatrice. Il nâen reste pas moins que lâouvrage reste jusquâĂ celui de Paul Robert dâune richesse foisonnante et mĂ©ritait pleinement toute sa notoriĂ©tĂ©.
Le XXe siĂšcle
Les talentueux successeurs de P. Larousse Au Grand Dictionnaire Universel du XIXe siĂšcle devait succĂ©der en 1904 les sept volumes in-quarto du Nouveau Larousse illustrĂ©, dirigĂ© par Claude AugĂ©, qui fut trĂšs largement rĂ©pandu, avec des planches illustrĂ©es en couleurs et de nombreuses illustration au cĆur des articles. Version singuliĂšrement amincie du prĂ©dĂ©cesseur en 17 volumes, il mĂ©ritait sa notoriĂ©tĂ© de par son homogĂ©nĂ©itĂ© et la fiabilitĂ© des informations apportĂ©es. En 1910 paraissait le Larousse pour tous en deux volumes, intitulĂ© ensuite Larousse Universel en 1923, et Nouveau Larousse Universel en 1948. Il devait donner naissance au Larousse en trois volumes, le L3. En 1933, Ă©tait publiĂ© sous la direction de Paul AugĂ© le dernier des six volumes du Larousse du XXe siĂšcle (6 vol. et un SupplĂ©ment en 1953, in-4°), ouvrage particuliĂšrement riche en biographies.
Mais câest en 1963 que, sous la direction de Jean Dubois et avec le concours du grand linguiste Claude Dubois, Ă©tait achevĂ© le Grand Larousse EncyclopĂ©dique en dix volumes, plus de 10 000 pages, 450 000 acceptions, 22 000 illustration. AssurĂ©ment, un dictionnaire de grande classe correspondant aux trente glorieuses : pas moins de 700 spĂ©cialistes y participaient en effet, rĂ©partis en treize grandes disciplines dirigĂ©es par des secrĂ©taires de rĂ©daction responsables de lâhomogĂ©nĂ©itĂ© de lâensemble. On est en fait ici Ă lâaube du travail structurĂ© Ă lâaide de lâordinateur, cet ouvrage reprĂ©sentait la derniĂšre Ă©tape avant lâaventure informatique, celle correspondant Ă la mise en fiche la plus efficace possible. En 1985, dans la mĂȘme dynamique Ă©tait publiĂ© le Grand Dictionnaire EncyclopĂ©dique Larousse en dix volumes. Mais il sâagissait lĂ de dictionnaires encyclopĂ©diques, et si la description de la langue nây Ă©tait pas nĂ©gligĂ©e, ces ouvrages privilĂ©giaient naturellement lâinformation encyclopĂ©dique.
Les Ăditions Larousse allaient donc Ă©galement sâintĂ©resser au dictionnaire de langue. Ainsi est publiĂ© en 1978 le Grand Larousse de la langue française, en 7 volumes, Ă©laborĂ© sous la direction de Louis Guilbert, R. Lagane, G. Niobey. Un dictionnaire Larousse sans illustration, uniquement consacrĂ© Ă la description des mots de notre langue, voilĂ qui rompait avec la tradition. En fait, dĂšs 1967, une premiĂšre percĂ©e avait Ă©tĂ© faite avec le Dictionnaire français contemporain (le DFC) rĂ©digĂ© sous
la direction de Jean Dubois, ouvrage en un volume, de format trĂšs rĂ©duit, avant tout destinĂ© au public scolaire. Ce petit dictionnaire, en dĂ©crivant le français en synchronie, avec un dĂ©groupement des articles, en fonction de la distribution des mots dans la langue (plusieurs articles pour le mot âclasseâ au lieu dâun seul avec de nombreux sens diffĂ©rents) avait fait lâeffet dâune rĂ©volution lexicographique.
Le Grand Larousse de la langue française sâinscrivait dans cette mĂȘme perspective, moderniste, en ajoutant Ă la nomenclature des articles exclusivement consacrĂ©s Ă la linguistique. HĂ©las, ce bel outil Ă©laborĂ© avant lâinformatisation, nâa pas eu la carriĂšre quâil mĂ©ritait, il ne fut pas remis Ă jour.
Paul Robert, Alain Rey et Josette Rey-Debove
Paul Robert est nĂ© en 1910 en AlgĂ©rie, dans une famille aisĂ©e, et il entreprend des Ă©tudes de droit qui le conduiront jusquâĂ une thĂšse soutenue Ă la fin de la guerre, en 1945. Rien ne le prĂ©destinait Ă la lexicographie, mais son affectation pendant la guerre au service du dĂ©codage, oĂč il participe Ă lâĂ©laboration dâun dictionnaire du chiffre, son contact apprĂ©ciĂ© avec la langue anglaise, ses premiers essais Ă titre personnel de mise en analogie des mots anglais puis des mots français, lâentraĂźnent peu Ă peu Ă transformer son loisir en activitĂ© dĂ©vorante, au point de bientĂŽt recruter des auxiliaires sur sa fortune personnelle pour faire aboutir le dictionnaire dont il rĂȘve. En 1950, il apprend que le premier fascicule de son dictionnaire obtient le prix Saintour de lâAcadĂ©mie française. DĂšs lors, il nâa de cesse dâachever lâĆuvre commencĂ©e et, en 1952 et 1953, il recrute pour lâaider deux collaborateurs dâexcellence, Alain Rey et Josette Rey-Debove. Le 28 juin 1964, il achĂšve le sixiĂšme et dernier tome du Dictionnaire alphabĂ©tique et analogique de la langue française. Paul Robert offrait Ă la France un digne successeur du LittrĂ© avec des citations extraites dâun corpus littĂ©raire plus rĂ©cent, la SociĂ©tĂ© quâil avait fondĂ©e sâintitulait dâailleurs la SociĂ©tĂ© du Nouveau LittrĂ©. Quant au principe analogique qui Ă©tait Ă lâorigine du projet, sâil nâest pas nĂ©gligeable, ce nâest pas lui qui dĂ©terminait le succĂšs de lâentreprise, mais la qualitĂ© du travail dĂ©finitoire. Les Ă©ditions Robert allaient sâinstaller dans le paysage lexicographique en sâillustrant par diffĂ©rents dictionnaires de grande qualitĂ©. En 1967, naissait dâabord le Petit Robert, le petit dictionnaire de langue manquant
sur le marché et qui pouvait ainsi constituer le pendant du Petit Larousse illustré, dictionnaire encyclopédique. AprÚs un Supplément (1971) ajouté au Dictionnaire alphabétique et analogique de Paul Robert, supplément qui installait A. Rey et J. Rey-Debove parmi les grands lexicographes connus, paraissait en 1985 le Grand Robert de la langue française dirigé par A. Rey.
Ă la fin du siĂšcle, marquĂ© par lâinformatique, sont diffusĂ©s, en 1994, le cĂ©dĂ©rom correspondant au Grand Robert et, deux ans plus tard, celui correspondant au Petit Robert, outil prĂ©cieux permettant de nombreux croisements dâinformation avec, pour la premiĂšre fois, des mots sonorisĂ©s, prĂšs de 9 000.
Enfin, signe patent dâune maison dâĂ©dition bien installĂ©e dans le paysage lexicographique, on assiste au cours de la derniĂšre dĂ©cennie du XXe siĂšcle Ă la diversification des ouvrages en un ou deux volumes, quâil sâagisse des dictionnaires pour enfants, des dictionnaires pour collĂ©giens ou des dictionnaires de noms propres, sans oublier en 1992 le Dictionnaire historique de la langue française (2 vol., in-4°), synthĂšse des informations recueillies par les chercheurs de ce demi-siĂšcle, et ouvrage qui renoue utilement avec un genre quâavait tentĂ© dâimposer lâAcadĂ©mie au XIXe siĂšcle, sans succĂšs. Outre leur compĂ©tence de lexicographe et de dictionnariste, Josette Rey-Debove et Alain Rey nous ont offert par ailleurs dâimportants ouvrages thĂ©oriques sur la lexicologie et la lexicographie. Ils auront indĂ©niablement marquĂ© la seconde moitiĂ© du siĂšcle ».
Konprann sa leksikografi kreyĂČl la ye, kote l sĂČti, kote l prale, ki misyon li dwe akonpli
Monreyal, 18 me 2024
OnĂš respĂš pou Pradel Pompilus, pyonye leksikografi kreyĂČl ann Ayiti, otĂš premye « Lexique crĂ©ole-français » (UniversitĂ© de Paris, 1958).
OnĂš respĂš pou Pierre Vernet , fondatĂš Fakilte Lengwistik Aplike nan InivĂšsite Leta d Ayiti, premye lengwis ki plede pou kreyĂČl ak fransĂš mache ansanm
OnĂš respĂš pou AndrĂ© Vilaire Chery, otĂš « Dictionnaire de lâĂ©volution du vocabulaire français en HaĂŻti » (tĂČm 1 ak tĂČm 2, Edisyon Ădutex, 2000 ak 2002).
Atik sila a, « Konprann sa leksikografi kreyĂČl la ye, kote l sĂČti, kote l prale, ki misyon li dwe akonpli », pral rive jwenn divĂšs kalte kreyolofĂČn ann Ayiti osnon nan lĂČt peyi. Mwen ekri li pou m bay bon jan esplikasyon sou sa syans lang, kidonk lengwistik, rele « leksikografi », espesyalman « leksikografi kreyĂČl ». Pi fĂČ moun k ap sĂšvi ak yon diksyonĂš osnon yon leksik pa konnen kouman leksikograf ki se espesyalis nan domĂšn leksikografi ekri yo, ki pwotokĂČl syantifik yo sĂštoblije swiv pou fĂš liv sa yo. Ann Ayiti, pi fĂČ pwofesĂš lekĂČl osnon pwofesĂš kreyĂČl pa menm konnen gen yon aktivite syantifik ki koumanse lan peyi a depi lane 1950 yo lĂš Pradel Pompilus pibliye « Lexique crĂ©ole-français » li a (UniversitĂ© de Paris, 1958). Se youn nan rezon ki fĂš mwen dedikase atik sa a pou 3 gran lengwis leksikograf Ayisyen : onĂš respĂš pou Pradel Pompilus, Pierre Vernet, AndrĂ© Vilaire Chery.
Nan atik n ap li koulye a, n ap jwenn esplikasyon sou leksikografi an jeneral. Atik sa a pote bon jan limyĂš sou tĂšm leksikografi kreyĂČl la, kote l sĂČti, kote l prale, ki misyon li dwe akonpli. Dokiman sa a rasanble yon
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis
pakĂšt referans (atik al liv) tout lektĂš ka chache jwenn pou konprann pi byen sa leksikografi kreyĂČl la ye. Nan atik jodi a mwen sĂšvi ak kĂšk konsĂšp (« concepts »), nosyon (« notion ») ak tĂšminoloji (« terminologie ») syans leksikografik la dĂšske yo se konsĂšp, nosyon ak tĂšminoloji kle pou disiplin leksikografi a. An fransĂš , konsĂšp, nosyon ak tĂšminoloji sa yo se : « lexicographie », « lexicographe », « lexicologie », « lexicologue », « lexicalisation », « lexicalisĂ© », « locuteur », « terme », « Ă©tymologie », « unitĂ© lexicale », « catĂ©gorie grammaticale », « nom », « pronom », « adjectif », « verbe », « adverbe », eks. Mwen konsidere tradiksyon/adaptasyon konsĂšp sa yo an kreyĂČl po ko fin franchi divĂšs etap jouk pou yo ta rive estandadize. Pa egzanp, nou ka jwenn konsĂšp ak tĂšminoloji an kreyĂČl moun itilize nan domĂšn elektrisite nan « Petit lexique crĂ©ole haĂŻtien utilisĂ© dans le domaine de lâĂ©lectricitĂ© » (Edisyon Cahiers du Lacito/CNRS, 1976) ki se yon leksik fransĂš-kreyĂČl. PwofesĂš Henry Tourneux te reyalize travay sa a nan vil Senmak lĂš l t ap kolabore ak Fakilte lengwistik aplike, InivĂšsite Leta dAyiti. Kidonk menm jan leksikografi kreyĂČl la poko ekri yon « DiksonyĂš jiridik kreyĂČl » osnon yon « DiksyonĂš lamedsin kreyĂČl », menm jan an li poko ekri yon « DiksyonĂš tĂšminoloji kreyĂČl » osnon yon « DiksyonĂš leksikografi kreyĂČl » ki va rasanble tout mo, tout nosyon nou ka itilize nan domĂšn leksikografi ak tĂšminoloji kreyĂČl.
Mo kle : « Leksikografi », « Leksikografi kreyĂČl », « TĂšminoloji », « DiksyonĂš », « Leksik », « Inite leksikal »
AlapapĂČt m ap remĂšsye 2 lengwis ki pase men nan atik m ap pibliye jodi a : â MolĂšs Paul, responsab Laboratwa GRESKA (Gwoup rechĂšch sou sans nan kreyĂČl ayisyen), pwofesĂš, Fakilte lengwistik aplike, InivĂšsite Leta dAyiti. â LemĂšte ZĂ©phyr, pwofwsĂš, Fakilte lengwistik aplike ak EkĂČl nĂČmal siperyĂš, InivĂšsite Leta dAyiti ; li anchaj ISTI (Institut supĂ©rieur de traduction et dâinterprĂ©tation).
Premye pawĂČl : ann voyaje andedan vokabilĂš syans leksikografi a
Ki sa sa vle di lĂš n ap pale de « Leksikografi », « TĂšminoloji », « DiksyonĂš », « Leksik », elatriye ? Kit ou se pwofesĂš, elĂšv, tradiktĂš kreyĂČl oubyen jounalis, ou ka sĂšvi ak yon liv yo rele « DiksyonĂš » (« Dictionnaire » an fransĂš ), osnon ak yon « Leksik » (« Lexique » an fransĂš ) nenpĂČt ki lĂš. Yon « DiksyonĂš » osnon yon « Leksik » sĂČti nan sa « Lengwistik » rele
« Leksikografi » (« lexicographie » an fransĂš). « Leksikografi » se yon disiplin syantifik nan « Lengwistik aplike » (an fransĂš « Linguistique appliquĂ©e »). Men definisyon lengwis Marie-Ăva de Villers bay pou disiplin « Leksikografi » a : « La lexicographie est la branche de la linguistique appliquĂ©e qui a pour objet dâobserver, de recueillir, de choisir et de dĂ©crire les unitĂ©s lexicales dâune langue et les interactions qui sâexercent entre elles. Lâobjet de son Ă©tude est donc le lexique, câest-Ă -dire lâensemble des mots, des locutions en ce qui a trait Ă leurs formes, Ă leurs significations et Ă la façon dont ils se combinent entre eux » (Marie-Ăva de Villers : « Profession lexicographe », Presses de lâUniversitĂ© de MontrĂ©al, 2006).
TermiumPlus se non diksyonĂš elektwonik Biwo tradiksyon gouvĂšnman Kanada. Men kouman li defini mo « Lexicographie » a : « Recensement et Ă©tude des mots pris dans leur forme et leur signification visant lâĂ©laboration de dictionnaires de langue ».
Nou pa dwe konfonn « Lexikoloji » ak « Leksikografi ». Branch lengwistik yo rele « Lexikoloji » a li etidye fonksyĂČnman konpozant leksikal yon lang (diferan moso domĂšn kle lang lan), fason youn mare ak lĂČt, fason konpozant leksikal yo mache ak lĂČt domĂšn kle lang nan (fonoloji, sentaks, semantik, mĂČfoloji). « Leksikografi » a (gade definisyon Marie Ăva de Villers fĂšk bay la), se yon disiplin nan syans lang (lengwistik), misyon li se rasanble tout « mo » (egal tout « inite leksikal »), klase yo, epi bay deskripsyon yo. « Leksikografi » a gen yon wĂČl, yon misyon, li mache ak metodoloji leksikograf yo itilize pou yo ekri diksyonĂš, leksik osnon glosĂš.
WĂČl leksikografi a se chache konnen ki kalite mo ( « inite leksikal ») yon lang genyen, kouman lang nan rasanble mo yo epi kouman li klase yo , apre sa li bay yon definisyon pou chak mo nan yon liv ki rele diksyonĂš. Moun k ap fĂš travay sa a rele leksikograf. Yon leksikograf se yon espesyalis nan zafĂš lang, wĂČl li se etidye tout « mo » yon lang dekwa pou l klase yo epi pou l esplike sans yo. Konsa, lĂš l fin rasanble mo yon lang li klase yo nan yon diksyonĂš osinon yon leksik . DiksyonĂš a ka ekri nan yon sĂšl lang (lĂš sa a yo rele l « DiksyonĂš inileng ») ; li ka ekri nan 2 lang (lĂš sa a yo rele l « DiksyonĂš bileng »). Yon diksyonĂš klase mo yo jan yo mache nan lang nan, selon « kategori gramatikal » yo : « non », « pwonon », « adjektif », « vĂšb », « advĂšb »), eks. Yon diksyonĂš dwe bay definisyon tout mo li klase kon yon « inite leksikal » lang nan. Yon leksik pa bay definisyon mo yon lang, li se yon lis « mo » (« inite leksikal ») ki klase ann ĂČd alfabetik
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ak tout etikĂšt yo rele « kategori gramatikal » : « non », « pwonon », « adjektif », « vĂšb », « advĂšb »), eks. Dapre tradisyon leksikografi a, nou jwenn divĂšs kalite leksik nan divĂšs domĂšn : leksik elektrisite, leksik jiridik, leksik lasante, leksik agwonomi/syans latĂš, leksik fĂš fĂČje, eks. Nan divĂšs nivo yon lang osnon rejis yon lang (« niveau de langue », « registre de langue »), lokitĂš yo sĂšvi ak « mo » yo (« inite leksikal » yo) selon sa yo bezwen di. Konsa nan konvĂšsasyon tou lejou lokitĂš yo ka sĂšvi ak « mo » tankou « tabliye » ki se yon rad moun mete sou kĂČ yo lĂš yo pral kwuit manje. Nan yon lĂČt nivo, lan domĂšn achitekti, yon « tabliye » se yon pati nan chapant yon pon (al gade definisyon « tablier » an franse : « Le tablier dâun pont est une structure porteuse qui supporte les charges du trafic routier et les transmet aux appuis ou aux Ă©lĂ©ments de suspension (suspentes ou arcs).
Le tablier dâun pont peut ĂȘtre fait en acier ou en bĂ©ton ».
Nan yon diksyonĂš osnon nan yon leksik, yon « mo leksikalize » egal yon « inite leksikal » (an franse : « unitĂ© lexicale ») lang nan. Men kouman Grand dictionnaire terminologique (Office quĂ©bĂ©cois de la langue française) defini mo « unitĂ© lexicale » la (sinonim li se « lexie » : « UnitĂ© fonctionnelle du discours constituĂ©e dâun ou plusieurs mots, qui appartient au lexique dâune langue donnĂ©e et a un sens figĂ©. (...) Par exemple, les mots simples (chat, ensoleiller), les mots composĂ©s (pomme de terre) et les expressions (petit train va loin) sont des unitĂ©s lexicales. » Kidonk yon « inite leksikal », yon « mo leksikalize » sa vle di yon mo senp osnon yon mo konpoze (« chĂšz » / « chĂšz ba », « motĂš » / « motĂš avyon »), li gen yon « fonksyon », sa vle di li jwe yon wĂČl nan vokabilĂš yon lang. Gen yon sit EntĂšnĂšt ki rele « FrançaisFacile.com » ; li bay yon bon definisyon sou « fonksyon »/ « wĂČl » inite leksikal yo : « Tout mot a non seulement une nature grammaticale (nom, verbe, pronom...), mais aussi une fonction grammaticale dans la phrase. La fonction dâun mot ou dâun groupe de mots est le rĂŽle quâil joue dans la phrase pour que celle-ci ait un sens. Ces mots ou groupes de mots ayant une fonction essentielle, ne peuvent ĂȘtre ni dĂ©placĂ©s ni supprimĂ©s. Ils sont indispensables pour la bonne comprĂ©hension de la phrase ». Sa vle di tout « mo », tout « inite leksikal » yon lang posede « kategori mo a » (wĂČl gramatikal li) : non, pwonon, vĂšb, eksetera, ki mare ak « fonksyon gramatikal li », sa vle di wĂČl li jwe pou yon fraz ranpli fonksyon semantik li, pou pĂšmĂšt tout lokitĂš konprann sans yon fraz menm jan. (Men kĂšk referans sou nosyon « inite leksikal » la : al gade atik sa yo : « La notion dâ « unitĂ© lexicale » en linguistique et son usage
en lexicologie », Fabienne Cusin-Berche, revue Linx, 40 | 1999 ; « La notion dâunitĂ© lexicale et lâenseignement du lexique », Carmen Lederer, The French Review (American Association of Teachers of French), vol. 43, no 1, oct. 1969 ; « Les propriĂ©tĂ©s syntaxiques de lâunitĂ© lexicale », Alan J. Ford, Meta - Journal des traducteurs / Translatorsâ Journal, volume 18, no 1-2, mars 1973 (Actes du deuxiĂšme colloque international de linguistique et de traduction, MontrĂ©al, 4-7 octobre 1972) ; « Didactique du lexique et problĂ©matique de lâunitĂ© lexicale : Ă©tat dâune confusion », GĂ©rard Petit (UniversitĂ© Paris X), 2000 ; Jean Pruvost « Lexique et vocabulaires : une dynamique dâapprentissage », revue Ătudes de linguistique appliquĂ©e, n°116, Didier-Ărudition, 1999.)
DezyĂšm pawĂČl : leksikografi se yon syans, li gen pwĂČp istwa pa l
Tradisyon leksikografi a ansyen anpil, li gen plis pase 4 syĂšk depi li egziste. Nan tradisyon leksikografik lang fransĂš a, premye diksyonĂš inileng lan parĂšt an 1680, li rele « Dictionnaire français », se Pierre Richelet ki ekri li. DezyĂšm nan se Antoine FuretiĂšre ki ekri li an 1690, li rele « Dictionnaire universel ». TwazyĂšm nan se « Dictionnaire de lâAcadĂ©mie française », li parĂšt an 1694. Se nan 19vyĂšm syĂšk la Pierre Larousse pibliye « Grand Dictionnaire universel », premye diksyonĂš ansiklopedik monn modĂšn nan. Pou premye fwa, kalite diksyonĂš sa a bay orijin mo yo ak sans yo, li esplike divĂšs nosyon istwa, jewografi, anatomi, eks. Gen divĂšjans sou dat ak non premye diksyonĂš lang fransĂš a. Dapre plizyĂš espesyalis, premye diksyonĂš leksikografi fransĂš a se yon diksyonĂš bileng fransĂš -laten : « Dictionaire français-latin ». Robert Estienne, otĂš liv sa a, pibliye li an 1539. LĂČt espesyalis di premye diksyonĂš a rele « Thresor de la langue françoyse, tant ancienne que moderne », Jean Nicot pibliye l an 1606.
(1) Nan tradisyon leksikografik lang fransÚ a, gen plizyÚ kalite diksyonÚ. Dapre Alise Lehmann ak Françoise Martin-Berthet (gade atik yo a : « Les types de dictionnaires », revue Lexicologie, 2018), gen : diksyonÚ monoleng, diksyonÚ bileng, diksyonÚ miltileng, diksyonÚ lang, diksyonÚ ansiklopedik (egzanp : « Petit Larousse illustré »), diksyonÚ kiltirÚl (egzanp : « Petit Robert », « Grand Robert », « Grand Larousse de la langue française »), diksyonÚ jeneral, diksyonÚ espesyalize (dictionnaires de langue spécialisés), diksyonÚ ansiklopedik espesyalize, diksyonÚ tÚminolojik (egzanp : « Juridictionnaire », « Dictionnaire
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis de droit international public »), diksyonĂš pou elĂšv lekĂČl (diksyonĂš aprantisaj lang, egzanp : « Mon Larousse en images », « Larousse mini dĂ©butants », « Robert scolaire », « Robert junior illustrĂ© », « Petit Robert des enfants », « Robert des jeunes »), diksyonĂš ĂČtograf (egzanp : « Lâorthographe par la phonĂ©tique », Le Robert), diksyonĂš an liy (sou EntĂšnĂšt), diksyonĂš sou CDRom. Nan tradisyon leksikografik lang fransĂš a, pi gwo diksyonĂš a rele « Dictionnaire des francophones » (DDF) ; li rasanble plis pase 480 mil mo ki sĂČti nan 52 peyi sou latĂš (Ayiti bay diksyonĂš sa a plizyĂš mo tankou « dodin », « acra », « mamba »). Tout moun ka sĂšvi ak « Dictionnaire des francophones » la gratis depi w gen koneksyon EntĂšnet. (Pou prezantasyon DDF la, al gade atik « Le DDF, « Dictionnaire des francophones », un monumental rĂ©pertoire lexicographique de 400 000 termes et expressions accessible gratuitement sur Internet », se Robert BerrouĂ«t-Oriol ki ekri li nan jounal Le National, Port-au-Prince, 22 mars 2021. Nou ka tande entĂšvyou Robert BerrouĂ«t-Oriol te bay jounalis Henry Saint-Fleur nan radyo CIBL-MontrĂ©al jou ki 31 mas 2021 an, « Le Dictionnaire des francophones : un rĂ©pertoire lexicographique Ă dĂ©couvrir. »)
Yon diplis : pou n konprann pi byen sa yo rele diksyonĂš elĂšv lekĂČl / diksyonĂš eskolĂš, al gade atik Jean-Claude Boulanger a : « Du cĂŽtĂ© de la petite histoire des dictionnaires scolaires modernes », nan Danielle Candel ak François Gaudin, Mont-Saint-Aignan, UniversitĂ© de Rouen et du Havre, 2006. Al gade lĂČt referans sa yo : Jean Pruvost : « Les dictionnaires dâapprentissage monolingues de la langue française (1856-1999) ProblĂšmes et mĂ©thodes » (Les Dictionnaires de langue française. Dictionnaire dâapprentissage, dictionnaires spĂ©cialisĂ©s de la langue, dictionnaires de spĂ©cialitĂ©. Ătudes de lexicologie, lexicographie et dictionnairique) - 4, Paris, HonorĂ© Champion, collection « BibliothĂšque de lâInstitut de linguistique française », 2001 ; Jean Pruvost, « Les dictionnaires dâapprentissage du français langue maternelle : deux siĂšcles de maturation et quelques paramĂštres distinctifs », Ăla, Revue de didactologie des langues-culture, vocabulaires et dictionnaires en français langue maternelle et en français langue Ă©trangĂšre, 1999 / 116 ; Jean Pruvost, « Les dictionnaires dâapprentissage monolingues du français langue maternelle : lâhistoire dâune mĂ©tamorphose, du sous-produit Ă lâheureux pragmatisme en passant par lâheuristique », Euralex 2002 Proceedings ; Josette Rey-Debove : « Dictionnaires dâapprentissage : que dire aux enfants ? », Lexiques, Paris, Hachette, collection « Recherches et applications », 1989 ; RenĂ© Lagane :
« Les dictionnaires scolaires : enseignement de la langue maternelle », nan Franz Josef Hausmann, Oskar Reichmann, Herbert Emst Wiegand et Ladislav Zgusta (dir.), Dictionnaires. Encyclopédie internationale de lexicographie, II, Berlin/New York, Walter de Gruyter, 1990.
(2) Nan tradisyon leksikografik lang kreyĂČl la, se pastĂš kongreganis ki ekri premye diksyonĂš kreyĂČl yo. Lengwis Annegret BollĂ©e, manm fondatĂš « ComitĂ© international des Ă©tudes crĂ©oles (CIEC) » an 1976, ekri « Lexicographie crĂ©ole : problĂšmes et perspectives », yon kokenn chenn atik, (nan Revue française de linguistique appliquĂ©e, 2005/1, vol. X). Li fĂš n konnen
« Criolisches Wörterbuch » dapre C.G.A. Oldendorp (1767-68) 2 frĂš Kongregasyon Moraves yo ekri, se premye diksyonĂš lang kreyĂČl ki egziste.
Li montre liv sa a se te yon diksyonĂš « negerhollands » (« nĂšg olandĂš yo/ Hollandais ») » kidonk lang moun te pale nan Zile VyĂšj jouk rive nan XXyĂšm syĂšk. DezyĂšm diksyonĂš kreyĂČl la rele « Wörterbuch des Saramakkischen », se J.A. Riemer ki ekri l an 1779.
Nan menm atik sa a, lengwis Annegret BollĂ©e ba nou « batistĂš » leksikografik lang kreyĂČl la. Li di nou dapre Dominique Fattier (1997, 256)
« LâĆuvre fondatrice », premye dokiman ki kreye leksikografi lang kreyĂČl la rele « Manuel des habitants de Saint-Domingue », S.J. DucĆurjoly (1802), yon misyonĂš Jezuit ekri. Li di liv sa a se yon « GlosĂš », li gen 395 « antre » (egal « mo » ki klase ann ĂČd alfabetik nan yon diksyonĂš) ki enpĂČtan anpil pou n konprann istwa vokabilĂš kreyĂČl ayisyen an. « GlosĂš » a yo te ekri l pou kolon fransĂš ki ta pral ale Sendomeng prezante divĂšs kalite konvĂšsasyon fransĂš - kreyĂČl. fransĂš .
Ki wĂČl yon diksyonĂš osnon yon leksik nan fonksyĂČnman yon lang, nan yon sosyete osinon nan lekĂČl ? Lengwis-leksikograf yo ban nou yon bon jan lide : yon diksyonĂš gen anpil konesans ladan l, chak « mo » se yon konesans, chak « mo » se tankou yon pĂČtre tankou yon fotokopi yon reyalite nan lang nan lan tĂšl epĂČk oubyen nan tĂšl lane. Chak « mo » nan yon diksyonĂš mache ak batistĂš li, kidonk ak etimoloji li. Dapre diksyonĂš Le Larousse, etimoloji se syans ki etidye orijin mo yon lang, ki chache konnen asandans ak evolisyon mo yo. Lengwis-leksikograf yo fĂš nou konnen yon diksyonĂš ka itil nan 3 domĂšn : nan aprantisaj yon lang, nan aprantisaj divĂšs matyĂš nan lekĂČl (tankou jewografi, syans natirĂšl), nan tout aktivite kominikasyon oral osnon ekri. Se konsa jounalis, espesyalis
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis piblisite, moun k ap ekri liv pou elĂšv lekĂČl, elĂšv, pwofesĂš, administratĂš, eksetera, ka sĂšvi ak yon diksyonĂš pou chache yon mo ak definisyon li.
TwazyĂšm pawĂČl : leksikografi ayisyen osnon leksikografi kreyĂČl se « syans mo », li gen yon istwa, li gen otĂš depi lane 1958
Leksikografi ayisyen se « syans mo », nan lengwistik aplike, li ranmase deskripsyon ak definisyon tout kalite mo lokitĂš sĂšvi avĂš yo ann Ayiti, li klase epi li bay definisyon yo. Objektif li se « konseptyalize » / « kreye lide » epi ekri diksyonĂš ak leksik. Leksikografi ayisyĂšn nan genyen plizyĂš nivo : (1) leksikografi inidireksyonĂšl / sans inik / yon sĂšl sans (nan yon sĂšl lang : egzanp : « DiksyonĂš ĂČtograf kreyĂČl ayisyen », otĂš yo se Pierre Vernet ak Bryan C. Freeman (Sant Lengwistik Aplike, InivĂšsite Leta dAyiti, 1988). (2) Leksikografi bidireksyonĂšl /nan 2 sans : kreyĂČl-fransĂš, fransĂš-kreyĂČl, anglĂš-kreyĂČl, kreyĂČl-anglĂš. Egzanp : « English-Haitian Creole Bilingual Dictionnary », otĂš yo se Albert Valdman, Marvin D. Moody, Thomas Davies (Creole Institute, Indiana University, 2017). An jeneral, mwen sĂšvi ak ekspresyon « leksikografi kreyĂČl » lĂš m ap travay sou leksikografi inidireksyonĂšl menm jan ak leksikografi bidireksyonĂšl la.
Leksikografi kreyĂČl se yon syans, se lengwis « Ă©mĂ©rite » Pradel Pompilus ki parĂšt avĂš l ann Ayiti ak premye leksik kote li etidye lang kreyĂČl ayisyen an, « Lexique crĂ©ole-français » (UniversitĂ© de Paris, 1958). Pradel Pompilus pibliye plizyĂš liv nan domĂšn « literati » ak domĂšn « lengwistik ». Nan domĂšn « literati » li ekri : « Pages de littĂ©rature haĂŻtienne » (1951), « Manuel illustrĂ© dâhistoire de la littĂ©rature haĂŻtienne » (1961), « Histoire de la littĂ©rature haĂŻtienne illustrĂ©e par les textes » an twa volim (1975 eks). Nan domĂšn « lengwistik » li ekri : « Lexique du patois crĂ©ole dâHaĂŻti », Paris : SNE, 1961 ; « La langue française en HaĂŻti » (tĂšz doktora, UniversitĂ© de Paris, Institut des hautes Ă©tudes de lâAmĂ©rique latine, 1961 ; Port-au-Prince, Ăditions Fardin, 1981) ; « Contribution Ă lâĂ©tude comparĂ©e du crĂ©ole et du français Ă partir du crĂ©ole haĂŻtien », vol 1 : « Phonologie et lexique », Port-au-Prince, Ăditions CaraĂŻbes, 1973 ; vol 2 : « Morphologie et syntaxe », Port-au-Prince, Ăditions CaraĂŻbes, 1976 ; « Manuel dâinitiation Ă lâĂ©tude du crĂ©ole », Port-au-Prince, Impressions magiques, 1983 ; « Approche du français fondamental dâHaĂŻti, le vocabulaire de la presse haĂŻtienne contemporaine », Port-au-Prince,
FacultĂ© de Linguistique AppliquĂ©e, UniversitĂ© dâĂtat dâHaĂŻti, 1983 ; « Le problĂšme linguistique haĂŻtien », Port-au-Prince, Ăditions Fardin, 1985.
Pa bliye : Pradel Pompilus pa janm defann lide fo mamit kĂČmkwa fĂČk nou dechouke lang fransĂš a ann Ayiti pou n ka amenaje lang kreyĂČl la. Menm jan ak lengwis Pierre Vernet, fondatĂš Fakilte lengwistik aplike a, Pradel Pompilus te fĂš pwomosyon lang kreyĂČl la an menm tan li t ap defann dwa tout Ayisyen pou metrize lang fransĂš a epi sĂšvi ak li kĂČrĂškteman jan atik 5 ak atik 40 Konstitisyon 1987 la mande pou sa fĂšt (al gade atik mwen yo :
« Partenariat crĂ©ole/français â Plaidoyer pour un bilinguisme de lâĂ©quitĂ© des droits linguistiques en HaĂŻti », site MadininâArt, 6 novembre 2019 ; « LâamĂ©nagement simultanĂ© du crĂ©ole et du français en HaĂŻti : une perspective constitutionnelle et rassembleuse », MadininâArt, 24 novembre 2020 ;
« LâamĂ©nagement du crĂ©ole en HaĂŻti et la stigmatisation du français : le dessous des cartes », Le National, 3 mai 2022) ; « LâamĂ©nagement du crĂ©ole doit-il sâaccompagner de « lâĂ©viction de la langue française en HaĂŻti » ? », Le National, 11 mai 2022).
KĂČm lengwis-tĂšminolĂČg ki konekte ak eritaj leksikografi kreyĂČl pyonye yo kite pou nou depi 1958, an 2022, mwen reyalize yon gwo rechĂšch dokimantĂš sou tout travay ki te fĂšt nan domĂšn leksikografi kreyĂČl pandan 64 lane. Rezilta rechĂšch dokimantĂš sa a n ap jwenn li nan atik mwen an, « Essai de typologie de la lexicographie crĂ©ole de 1958 Ă 2022 » (jounal Le National, 21 juillet 2022). Mwen idantifye 64 diksyonĂš ak 11 leksik (inileng kreyĂČl, fransĂš -kreyĂČl, anglĂš-kreyĂČl) epi m klase yo. Pi fĂČ ladan yo se liv papye, de twa ladan yo aksesib nan fĂČma elektwonik. DivĂšs sous fĂš nou konnen premye diksyonĂš kreyĂČl ayisyen an pou XXĂšm syĂšk la se Jules Faine ki te ekri li an 1936, li rele « Dictionnaire français-crĂ©ole », men diksyonĂš sa a rive pibliye apre 38 an nan Ăditions LemĂ©ac, Ottawa, an 1974. Jules Faine ekri yon lĂČt liv li rele « Philologie crĂ©ole / Ătudes historiques et Ă©tymologiques sur la langue crĂ©ole dâHaĂŻti » (Port-au-Prince, Imprimerie de lâĂtat, 1936).
Men yon echantiyon leksik ak diksyonĂš leksikografi kreyĂČl la pote ba nou : leksik ak diksyonĂš sa yo konfĂČm / tonbe daplon ak metodoloji leksikografi pwofesyonĂšl la.
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis
TABLO 1 / Echantiyon leksik ak diksyonĂš kreyĂČl yo ekri ak zouti fondal natal metodoloji leksikografi pwofesyonĂšl la
1. Ti diksyonnĂš kreyĂČl-fransĂš
2. Haitian Creole - English - French Dictionary (vol. I and II)
3. Petit lexique crĂ©ole haĂŻtien utilisĂ© dans le domaine de lâĂ©lectricitĂ©
4. DiksyonĂš ĂČtograf kreyĂČl ayisyen
5. Dictionnaire préliminaire des fréquences de la langue créole haïtienne
6. Dictionnaire inverse de la langue crĂ©ole haĂŻtienne / DiksyonĂš lanvĂš lang kreyĂČl ayisyen
7. Dictionnaire de lâĂ©colier haĂŻtien
8. Dictionnaire de lâĂ©volution du vocabulaire français en HaĂŻti (tome 1)
9. Dictionnaire de lâĂ©volution du vocabulaire français en HaĂŻti (tome 2)
10. Haitian Creole-English Bilingual Dictionnary
Henry Tourneux, Pierre Vernet et al. 1976 Ăditions caraĂŻbes
Albert Valdman (et al) 1981 Creole Institute Bloomington University
Henry Tourneux 1986 CNRS / Cahiers du Lacito
Pierre Vernet, B. C. Freeman 1988 Sant lengwistik aplike, InivĂšsite Leta dAyiti
Pierre Vernet, B. C. Freeman 1989 Sant lengwistik aplike, InivĂšsite Leta dAyiti
Bryant Freeman 1989 Sant lengwistik aplike, InivĂšsite Leta dAyiti
André Vilaire Chery et al. 1996 HachetteDeschamps / EDITHA
AndrĂ© Vilaire Chery 2000 Ăditions Ădutex
AndrĂ© Vilaire Chery 2002 Ăditions Ădutex
Albert Valdman 2007 Creole Institute, Indiana University
11. English-Haitian Creole bilingual dictionary Albert Valdman, Marvin D Moody, Thomas E Davies 2017 Indiana University Creole Institute
Pa bliye, sa enpĂČtan anpil : nan tablo 1 an, leksik ak diksyonĂš kreyĂČl sa yo, otĂš yo ekri yo ak zouti metodoloji leksikografi pwofesyonĂšl la, se poutĂšt sa yo se pwodiksyon syantifik toutbon vre. Metodoloji leksikografi pwofesyonĂšl la mande leksikograf yo respekte 4 gwo prensip : (1) leksik ak diksyonĂš kreyĂČl yo dwe bay bon jan esplikasyon sou pwojĂš editoryal ak leksikografik yo, epi yo dwe sible piblik diksyonĂš a ; (2) leksik ak diksyonĂš
kreyĂČl yo dwe byen idantifye « kĂČpis referans » lan, se sa nou rele « corpus de rĂ©fĂ©rence », an fransĂš sa vle di tout kalite dokiman yo depouye/konsilte/ analize anvan yo ekri diksyonĂš a ; (3) leksikograf la dwe elabore « nomanklati » (« nomenclature ») diksyonĂš a ki gen tout « mo »/« inite leksikal » yo jwenn nan « kĂČpis referans » lan (« corpus de rĂ©fĂ©rence ») ladan l ; (4) leksikograf la dwe fĂš « analiz leksikografik » tout « mo »/« inite leksikal » yo te chwazi nan etap preparasyon« nomanklati » diksyonĂš a : li dwe bay kategori gramatikal mo yo ; ekivalans mo ki sĂČti nan yon lang pou rive ak tradiksyon li an kreyĂČl (nan ka diksyonĂš bileng) ; definisyon mo yo, fraz-kontĂšks mo yo, nĂČt pou esplike mo yo pi byen (nan ka diksyonĂš bileng). Metodoloji leksikografi pwofesyonĂšl la se potomitan leksikografi kreyĂČl la : jan nou fenk esplike l la, li rasanble tout prensip yon leksikograf dwe respekte lĂš l ap ekri yon diksyonĂš osinon yon leksik. (Al gade atik sa yo mwen ekri sou metodoloji leksikografi kreyĂČl la : « Plaidoyer pour une lexicographie crĂ©ole de haute qualitĂ© scientifique » (Le National, 15 dĂ©cembre 2021), « Toute la lexicographie haĂŻtienne doit ĂȘtre arrimĂ©e au socle mĂ©thodologique de la lexicographie professionnelle » (Le National, 31 dĂ©cembre 2022, « Lexicographie crĂ©ole : retour-synthĂšse sur la mĂ©thodologie dâĂ©laboration des lexiques et des dictionnaires » (Le National, 4 avril 2023, « La lexicographie crĂ©ole en HaĂŻti : pour mieux comprendre le rĂŽle central de la mĂ©thodologie dans lâĂ©laboration du dictionnaire crĂ©ole » (RezonĂČdwĂšs, 16 dĂ©cembre 2023).
TABLO 2 / Egzanp yon ribrik leksikografik nan yon diksyonĂš bileng anglĂškreyĂČl ki respekte metodoloji leksikografi kreyĂČl la (referans : « Haitian Creole-English Bilingual Dictionnary » (HCEBD), Albert Valdman, Creole Institute, Indiana University, 2007, p. 559)
Mo/inite leksikal Kategori gramatikal Definisyon Sous ak dat
pipirit non definisyon 1
Mo/inite leksikal derive osinon aparante
(1) pipirit chandel (2), pipirit chantan (3), pipirit gri (4), pipirit gwo tĂšt (5), pipirit rivyĂš (6), pipirit tĂšt fou (7) [Al gade : gri kou pipirit (8), sou kon pipirit (9)]
Kind of small bird HCEBD 2007
non definisyon 2
Hispaniolan pitchary definisyon 3
At the crack of dawn konteks 3
Li kite kay li maten an o pipirit chantan / She left the house at dawn
HCEBD 2007
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis
RechĂšch dokimantasyon mwen reyalize sou leksikografi kreyĂČl la â« Essai de typologie de la lexicographie crĂ©ole de 1958 Ă 2022 » (jounal Le National, 21 juillet 2022)â, montre gen plizyĂš diksyonĂš ak leksik bileng (1) ki sou mank, ki gen anpil feblĂšs (move ekivalan kreyĂČl, definisyon wĂČwĂČt osinon pasyĂšl osnon pachiman ; (2) ki pa respekte okenn rĂšg solid metodoloji leksikografi pwofesyonĂšl mwen fĂšk idantifye yo.
TABLO 3 / Echantiyon diksyonÚ ak leksik ki sou mank, ki gen anpil feblÚs + yon « glosÚ » ki pa respekte prensip kle metodoloji leksikografi pwofesyonÚl la
Non liv la OtĂš a EditĂš a Ane li pibliye
DiksyonĂš kreyĂČl Vilsen
Leksik kreyĂČl : egzanp devlopman kĂšk mo ak fraz a pati 1986
Maud Heurtelou, FéquiÚre Vilsaint
Emmanuel Védrine
DiksyonĂš kreyĂČl karayib Jocelyne Trouillot
Ăduca Vision 1994 [2009]
Védrine Creole Project [ ?] 2000
CUC Université Caraïbe 2003 [ ?]
Glossary of STEM terms from the MIT â Haiti Initiative MIT â Haiti Initiative MIT â Haiti Initiative 2017 [ ?]
TABLO 4 / Prensipal karakteristik leksikografik plizyĂš diksyonĂš ak leksik yo elabore san yo pa aplike prensip kle metodoloji leksikografi pwofesyonĂšl la
Tit liv la OtĂš a Kategori liv la Principal karakteristik leksikografik zĂšv la
DiksyonĂš kreyĂČl Vilsen
Leksik kreyĂČl : egzanp devlopman kĂšk mo ak fraz a pati 1986
DiksyonĂš kreyĂČl karayib
Maud Heurtelou, FéquiÚre Vilsaint
Emmanuel Védrine
Jocelyne Trouillot
DiksyonĂš inileng kreyĂČl ; disponib sou EntĂšnĂšt sĂšlman
OtĂš a rele l « leksik » men se yon glosĂš inileng kreyĂČl li ye.
Disponib sou EntĂšnĂšt
DiksyonĂš inileng kreyĂČl. FĂČma papye
Enkoyerans, ensifizans, move definisyon anpil « inite leksikal »
Anpil « mo vedÚt » (inite leksikal) se slogan yo ye, pafwa se yon moso fraz osinon yon pwovÚb otÚ a konfonn yo tout ak yon veritab inite leksikal. Enkoyerans osinon ensifizans anpil definisyon
Enkoyerans osinon ensifizans anpil definisyon. Anpil « mo vedĂšt » se pa inite leksikal yo ye, otĂš a konfonn non moun, non yon vil, non yon peyi ak inite leksikal lang kreyĂČl la
Tit liv la OtĂš a Kategori liv la Principal karakteristik leksikografik zĂšv la
Glossary of STEM terms from the MIT â Haiti Initiative
MIT â Haiti Initiative
Leksik bileng anglĂš -kreyĂČl ; disponib sou EntĂšnĂšt sĂšlman
Anpil ekivalan kreyĂČl fantezis, pa reyĂšl, a-semantik, yo pa respekte rĂšg mĂČfosentaksik lang kreyĂČl la ; anpil ekivalan kreyĂČl yo pa inite leksikal, pafwa se yon moso fraz yo bay nan plas inite leksikal yo ; pi fĂČ neyolojis yo (nouvo mo yo) egziste, yo pa respekte rĂšg mĂČfosentaksik lang kreyĂČl la
KatriyĂšm pawĂČl : pi gwo defi leksikografi kreyĂČl la ta dwe leve kanpe
LĂš nou byen etidye tablo 2 ak tablo 3, nou konstate leksikografi kreyĂČl la ekri 11 travay syantifik ki konsekan sou yon total 75, sa vle di pi fĂČ ladan yo sou mank. Youn nan pi gwo feblĂšs leksikografi kreyĂČl la se « amateris » (« amateurisme »), travay machĂČkĂšt, sa vle di moun ki pa gen okenn konpetans nan domĂšn leksikografi ap ekri fo diksyonĂš ak leksik ki pa respekte okenn rĂšg fondamantal metodoloji leksikografi pwofesyonĂšl la . Nan tablo 1 an, mwen idantifye 11 diksyonĂš ak leksik ki respekte rĂšg fondamantal metodoloji leksikografi pwofesyonĂšl la : chif la piti anpil, se yon ti minorite diksyonĂš ak leksik, sou yon total 75 ouvraj, ki konsekan. M ap repete l : youn nan pi gwo feblĂšs leksikografi kreyĂČl la chita sou « amateris » (« amateurisme ») akoz inyorans rĂšg fondamantal metodoloji leksikografi pwofesyonĂšl la . Sa ba nou yon leksikografi fo mamit osnon yon leksikografi bĂČlĂšt (al gade tablo 3 a), pi gwo karakteristik li se absans respĂš prensip fondal natal « ekivalans leksikal » la (« lâĂ©quivalence lexicale ») ki mache ansanm ak « ekivalans nosyonĂšl » (lâ« Ă©quivalence notionnelle »). Yonn nan pi gwo karakteristik fo leksikografi fo mamit la se lĂš otĂš yo bay yon fraz pase yo bay yon inite leksikal kĂČm ekivalan kreyĂČl. An fransĂš mwen rele fenomĂšn sa a « phrasĂ©ologie dâĂ©quivalence » / « phrasĂ©ologie dĂ©finitionnelle » otĂš yo chwazi bay kĂČm si yo se ekivalan leksikal kreyĂČl. OtĂš fo leksikografi yo nan konfizyon nĂšt : yo konfonn yon « antre », yon inite leksikal, ak yon fraz.
TABLO 5 / Echantiyon diksyonĂš ak leksik ki bay yon fraz olye yon inite leksikal kĂČm ekivalan kreyĂČl
Tit liv la OtĂš, dat liv la parĂšt, editĂš liv la Mo anglĂš
English âHaitian Creole
Computer Terms / TĂšm
KonpyoutĂš :
AnglĂš â KreyĂČl
Haitian-Creole
Glossary of Legal and Related Terms
Emmanuel Vedrine, Creole
Editions, 2006
(1) clip art keywords (2) shift (3) crash, crashed
National Center for Interpretation, University of Arizona, 2018 (1) acquit (2) zoning ordinance (3) child abuse (4) false arrest
« PhrasĂ©ologie dâĂ©quivalence » / « phrasĂ©ologie dĂ©finitionnelle » yo bay kĂČm inite leksikal an kreyĂČl
(1) mo kle pou klip sou travay ar (2) pese bouton shift (pou bay majiskil) (3) krach (defo kote yon pwoblĂšm ka koze pĂšt tout dokiman ki te konsĂšve yo)
(1) deklare moun pa koupab (2) lwa ki regle sa ki ka fĂšt nan dives zĂČn yon vil (3) fĂš timoun pase mizĂš ; maltrete timoun ; fĂš timoun abi (4) lĂš yo arete yon moun pou anyen ; lĂš yo fĂšmen yon moun san rezon ; lĂš yo mete yon moun nan prizon san lalwa pa mande fĂš sa
Glossary of STEM terms from the MIT âHaiti Initiative
MIT â Haiti Initiative [2017 ?]
(1) and replica plate on (2) multiple regression analysis (3) how many more matings would you like to perform ? (4) for mating & replica plating experiments not involving tetrads
(1) epi plak pou replik sou (2) analiz pou yon makonay regresyon (3) konbyen kwazman ou vle reyalize ?
(4) pou esperimantasyon sou kwazman ak plak replik ki pa sĂšvi ak tetrad
Tablo 3, 4, 5 yo montre nou leksikografi kreyĂČl la dwe rezoud plizyĂš gwo defi : (1) jwenn bon jan fĂČmasyon akademik (se wĂČl Fakilte lengwistik aplike a, li deja lanse yon pwogram fĂČmasyon nan domĂšn nan). (2) FĂČmasyon akademik la dwe debouche sou yon veritab pwofesyonalizasyon metye leksikograf la . (3) Ak resous syans lang (kidonk lengwistik) fĂČk nou elabore/defini/redije yon « PwotokĂČl metodolojik leksikografi kreyĂČl » an kreyĂČl. (4) « PwotokĂČl metodolojik leksikografi kreyĂČl » la dwe respekte prensip « mo prete » (an fransĂš : les emprunts) ak prensip
« didaktizasyon lang kreyĂČl la » (an fransĂš : la « didactisation du crĂ©ole »). Pou prensip « mo prete » a, nou ka pran egzanp epi adapte sa nou bezwen nan dokiman ofisyĂšl Office quĂ©bĂ©cois de la langue française la : « Politique de lâemprunt linguistique » (QuĂ©bec, janvye 2017). Pou « didaktizasyon lang kreyĂČl la », nou gen yon liv kolektif referans 15 espesyalis ekri, tit li se « La didactisation du crĂ©ole au cĆur de lâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti » (Robert BerrouĂ«t-Oriol et al, Ăditions ZĂ©mĂšs, Port-au-Prince, et Ăditions du Cidihca, MontrĂ©al, 2021, 381 pages). Leksikografi kreyĂČl la dwe leve kanpe defi sa yo pou li rive nan nivo yon aktivite syantifik toutbon vre.
Misyon leksikografi kreyĂČl la chita sou 4 gwo prensip, kidonk : (1) kreye divĂšs zouti leksikografik (diksyonĂš ak leksik) elĂšv lekĂČl, pwofesĂš lekĂČl ak tout lokitĂš kreyolofĂČn yo bezwen pou konprann definisyon mo yo ; (2) ede moun k ap ekri manyĂšl eskolĂš yo sĂšvi ak bon jan vokabilĂš lang kreyĂČl la ; (3) ede moun k ap ekri kourikouloum eskolĂš yo jwenn bon jan vokabilĂš lang kreyĂČl la ; (4) bay lang kreyĂČl la referans syantifik li bezwen pou li leve kanpe estandatizasyon li kĂČm sa dwa. (Sou estandatizasyon lang kreyĂČl la , al gade Albert Valdman : « Vers la standardisation du crĂ©ole haĂŻtien », Revue française de linguistique appliquĂ©e, 2005/1, vol.X ; Robert Chaudenson : « Description et graphisation : le cas des crĂ©oles français », Revue française de linguistique appliquĂ©e, 2005, vol. 10, no 1 ; Marie-Christine Hazael-Masieux : « LâĂ©criture des crĂ©oles français au dĂ©but du 3e millĂ©naire : Ă©tat de la question », Revue française de linguistique appliquĂ©e, 2005, vol. 10, no 1 ; Renauld Govain : « Le crĂ©ole haĂŻtien : de langue dâalphabĂ©tisation des adultes Ă langue dâenseignement », konferans, Indiana University, 11 avril 2018 ; Hugues SaintFort : « ĂlĂ©ments pour une standardisation de la langue crĂ©ole haĂŻtienne », Revue KrĂ©olistika, mas 2022 ; Robert BerrouĂ«t-Oriol : « CrĂ©ole haĂŻtien : plaidoyer pour un rĂ©fĂ©rentiel mĂ©thodologique standardisĂ© et unique en terminologie scientifique et technique », Le National, 24 fevriye 2023.)
La lexicographie créole en Haïti : retour-synthÚse sur ses origines historiques, sa méthodologie et ses défis contemporains
Montréal, le 11 décembre 2023
En novembre dernier, les responsables de la 5Ăšme Ă©dition du Festival international de littĂ©rature crĂ©ole (LĂ©ogane et Port-au-Prince, 5-10 dĂ©cembre 2023) nous ont invitĂ© Ă prononcer une confĂ©rence le 7 dĂ©cembre 2023 pour les enseignants de lâAsosyasyon pwofesĂš kreyĂČl ayisyen (APKA) et dont le thĂšme retenu Ă©tait « Leksikografi kreyĂČl defilannegiy ». En lien avec la tenue de ce festival, nous avons publiĂ© sur RezonĂČdwĂšs et sur diffĂ©rents sites en outremer, le 25 novembre 2023, lâarticle prĂ©sentatif intitulĂ© « Le « Festival entĂšnasyonal literati kreyĂČl », Ă©dition 2023, au rendez-vous de ses grands dĂ©fis ». Dans cet article, nous avons rappelĂ© aux lecteurs que la CrĂ©olophonie compte environ 12 millions de locuteurs crĂ©olophones rĂ©partis dans diffĂ©rentes aires gĂ©ographiques, de lâarc antillais Ă lâarchipel des Mascareignes, dâHaĂŻti Ă la Martinique, de La RĂ©union Ă Sainte-Lucie, des Seychelles Ă la Guyane, de lâĂle Maurice Ă la Dominique. HaĂŻti, la plus peuplĂ©e des aires gĂ©ographiques crĂ©olophones avec ses 11 millions dâhabitants, a donc accueilli du 5 au 10 dĂ©cembre 2023 la cinquiĂšme Ă©dition du Festival entĂšnasyonal literati kreyĂČl. Cet Ă©vĂ©nement majeur et singulier Ă lâĂ©chelle de toute la CrĂ©olophonie a Ă©tĂ© conceptualisĂ© et mis sur les rails par le poĂšte et opĂ©rateur culturel haĂŻtien Anivince Jean Baptiste et il est dĂ©sormais soutenu par des institutions telles que la Fondation Maurice Sixto et lâOMDAC (lâOrganisation martiniquaise pour le dĂ©veloppement des arts et de la culture). Devenu au fil des ans un incontournable rendezvous littĂ©raire, le Festival entĂšnasyonal literati kreyĂČl, Ă©dition 2023, avait pour thĂšme « Pou yon kreyolofoni solid e solidĂš ». Comme en font foi les courriels qui nous ont Ă©tĂ© acheminĂ©s, le sujet de notre confĂ©rence a retenu lâattention des enseignants de lâAsosyasyon pwofesĂš kreyĂČl ayisyen et celle dâun grand nombre dâinternautes en HaĂŻti et en outremer. Plusieurs dâentre eux nous ont demandĂ© de fournir une synthĂšse Ă©crite de notre confĂ©rence, de sorte quâils puissent disposer dâune rĂ©fĂ©rence documentaire
capable de contribuer à enrichir leur réflexion sur les sujets abordés. Le présent article répond à cette demande.
Pour fournir aux enseignants de lâAsosyasyon pwofesĂš kreyĂČl ayisyen un Ă©clairage Ă la fois informatif, historique et amplement documentĂ© dans le traitement du thĂšme « Leksikografi kreyĂČl defilannegiy », nous avons structurĂ© notre intervention autour de plusieurs axes. En voici quelques-uns.
1. Lâidentification et la prĂ©sentation dâoutils lexicographiques divers : dictionnaires gĂ©nĂ©ralistes unilingues, dictionnaires gĂ©nĂ©ralistes bilingues, vocabulaires thĂ©matiques scientifiques et techniques, lexiques thĂ©matiques bilingues, glossaires et listages, bases de donnĂ©es lexicographiques locales ou en ligne sur le Web.
2. Le rĂŽle pĂ©dagogique et didactique du dictionnaire dans lâapprentissage de la langue et dans lâapprentissage des savoirs et des connaissances. Au niveau neurolinguistique, le dictionnaire contribue au processus de rĂ©tention et dâaccumulation des savoirs et des connaissances et Ă leur classification.
3. Les liens Ă©troits qui existent entre la lexicographie crĂ©ole et la didactisation du crĂ©ole (dĂ©finition et rĂŽle de premier plan de la didactisation du crĂ©ole ; rappel du livre collectif de rĂ©fĂ©rence « La didactisation du crĂ©ole au cĆur de lâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti » (ouvrage coordonnĂ© et co-Ă©crit par Robert BerrouĂ«t-Oriol, Ăditions ZĂ©mĂšs et Ăditions du Cidihca, 2021).
4. LâĂ©mergence et lâhistoire de la lexicographie crĂ©ole depuis les travaux pionniers du linguiste haĂŻtien Pradel Pompilus en 1958.
5. Les caractĂ©ristiques typologiques de la lexicographie crĂ©ole : publication de lâ« Essai de typologie de la lexicographie crĂ©ole de 1958 Ă 2022 » (par Robert BerrouĂ«t-Oriol, Le National, Port-auPrince, 21 juillet 2021.
6. La primautĂ© de la mĂ©thodologie de la lexicographie professionnelle : comment sâĂ©laborent les dictionnaires et les lexiques ? Quels sont les principes mĂ©thodologiques dâĂ©laboration des dictionnaires et des lexiques ?
7. Les dĂ©fis contemporains de la lexicographie crĂ©ole : institutionnalisation et adĂ©quation de la formation universitaire, professionnalisation de la lexicographie, production dâoutils lexicographiques conformes Ă la mĂ©thodologie de la lexicographie professionnelle.
Voyage Ă travers lâhistoire des dictionnaires
Lâapparition des premiers dictionnaires en Occident sâinscrit au creux de plusieurs faits de sociĂ©tĂ© en raison de leur dimension historique, culturelle, sociologique et linguistique. Les recherches menĂ©es au fil des ans sur lâhistoire des dictionnaires sont riches dâenseignements et « lâobjet-livre », le dictionnaire, est diffĂ©remment perçu selon que lâon soit un usager ou un fabriquant de dictionnaire, un lexicographe. Reconnu Ă lâĂ©chelle internationale pour lâĂ©tendue de ses savoirs dictionnairique et lexicographique, le linguiste Bernard Quemada (directeur de recherche Ă©mĂ©rite au C.N.R.S. et directeur dâĂ©tudes honoraire Ă lâĂcole pratique des hautes Ă©tudes de France), nous enseigne que « Pour lâusager, le dictionnaire de langue se prĂ©sente comme une suite discontinue dâinformations susceptibles de fournir des rĂ©ponses aux questions quâil se pose sur les mots, sur leurs sens et leurs usages corrects en particulier. Pour le lexicographe-dictionnariste, câest un rĂ©pertoire Ă visĂ©es didactiques oĂč sont enregistrĂ©s, ordonnĂ©s, dĂ©crits ou dĂ©finis des mots, sens et emplois, selon des formules affinĂ©es au cours de la longue histoire de ce type dâouvrages. Plus socialisĂ© que tout autre recueil de donnĂ©es linguistiques, le dictionnaire de langue reprĂ©sente, pour le public, un guide dĂ©tenteur du code de lâusage lĂ©gitimĂ©, image et mĂ©moire de la langue, toutes Ă©poques et tous domaines rĂ©unis. Le spĂ©cialiste, lui, le tient pour un projet trĂšs contingent de savoirs linguistiques, dâidĂ©ologies, de rĂ©alitĂ©s socioculturelles, techniques et Ă©conomiques de son temps. Ces variables font que nul ouvrage nâest exempt de choix arbitraires. » (Bernard Quemada : « Dictionnaire », site Universalis.fr, non datĂ©)
En raison de sa pertinence et de lâamplitude des donnĂ©es historiques quâil fournit, cet article de Bernard QuĂ©mada est ici longuement citĂ©. Lâauteur consigne comme suit une « Typologie gĂ©nĂ©rale » particuliĂšrement Ă©clairante des grandes catĂ©gories de dictionnaires :
« Les premiers essais dâinventaire des dictionnaires français (Durey de Noirville, Table alphabĂ©tique des dictionnaires, 1758) et de classification (DâAlembert, article « dictionnaire » dans lâEncyclopĂ©die) ont Ă©tĂ© Ă©tablis au XVIIIe siĂšcle. Mais il faut attendre le milieu du XXe siĂšcle pour disposer des premiĂšres typologies et des Ă©tudes systĂ©matiques sur les caractĂ©ristiques internes et externes des rĂ©pertoires depuis leur apparition au XVIe siĂšcle.
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Des critĂšres fondamentaux permettent de distinguer six ouvrages types et leurs sous-variĂ©tĂ©s : nombre et nature des langues traitĂ©es et des langues de traitement (dictionnaires monolingues ou plurilingues) ; nature des informations, lâentrĂ©e Ă©tant considĂ©rĂ©e comme un signe (mot), ou comme un accĂšs au rĂ©fĂ©rent (concept ou chose), opposant ainsi les dictionnaires de langue aux encyclopĂ©diques ; options retenues pour dĂ©terminer lâĂ©tendue et la composition de la nomenclature (dictionnaires extensifs ou sĂ©lectifs).
Dictionnaires monolingues et dictionnaires plurilingues
Le dictionnaire met en rapport deux ensembles dâunitĂ©s lexicales ou dâĂ©lĂ©ments de discours, lâun servant Ă informer sur lâautre et Ă lâexpliciter. Lorsque ces ensembles appartiennent Ă des langues diffĂ©rentes, ils peuvent assumer ces fonctions Ă tour de rĂŽle dans des versions rĂ©ciproques.
Le premier ensemble est constituĂ© par tous les items de la nomenclature (entrĂ©es dictionnairiques, Ă distinguer des mots vedettes, tĂȘtes dâarticle pouvant regrouper plusieurs entrĂ©es ou acceptions). Le second est reprĂ©sentĂ© par les mots ou les Ă©noncĂ©s explicitants (mĂ©talangage). Nature, sens et emploi de chaque entrĂ©e sont ainsi consignĂ©s et complĂ©tĂ©s par des dĂ©finitions ou Ă©quivalences, avec ou sans exemples, citations ou commentaires. Des informations grammaticales et stylistiques peuvent les accompagner. Pour assurer sa fonction mĂ©talinguistique, lâensemble du vocabulaire explicitant doit ĂȘtre plus restreint et mieux structurĂ© que le vocabulaire explicitĂ©.
Lorsque la nomenclature, le mĂ©talangage, les exemples, citations ou parties explicatives relĂšvent du mĂȘme systĂšme linguistique, le dictionnaire est dit monolingue (ou unilingue). Dans le cas contraire, il est plurilingue (bilingue ou multilingue) selon le nombre de langues en prĂ©sence. Les dictionnaires homoglosses mettent en relation des usages issus dâune souche commune (dictionnaires dialectaux), des niveaux sociolinguistiques diffĂ©rents (dictionnaire dâargot), ou des Ă©tats de la langue distincts (dictionnaire de lâancien ou du moyen français). Lâusage standard moderne sert alors Ă expliciter la nomenclature suivant les mĂ©thodes des rĂ©pertoires bilingues.
Dictionnaires de langue et dictionnaires encyclopédiques
Selon quâelles portent sur le signe (mot) ou sur le rĂ©fĂ©rent (chose, rĂ©alitĂ© ou concept auquel le signe renvoie), les informations sont de nature diffĂ©rente. Pour fondamentale quâelle soit, cette distinction induit des caractĂšres dominants plutĂŽt quâexclusifs.
Le dictionnaire de langue, dĂ©nommĂ© aussi « dictionnaire de mots » de DâAlembert Ă Pierre Larousse, amplifie la catĂ©gorie ouverte par les premiers glossaires latins du Moyen Ăge destinĂ©s Ă faciliter la lecture des textes anciens. Il donne des informations de type linguistique : nature grammaticale, genre, forme graphique et sonore du mot, significations, valeurs dâemploi et spĂ©cialisations dans les divers niveaux de langue, relations structurales ou fonctionnelles avec les autres Ă©lĂ©ments du lexique, origine, histoire, etc.
RelÚvent de cette catégorie :
â les dictionnaires de langue gĂ©nĂ©raux dont la nomenclature regroupe un ensemble pondĂ©rĂ© reprĂ©sentatif de lâusage ou de la norme collective de rĂ©fĂ©rence ;
â les glossaires, lexiques et vocabulaires thĂ©matiques dont les entrĂ©es sont dĂ©terminĂ©es par des critĂšres descriptifs ou fonctionnels (dictionnaires de domaines spĂ©cialisĂ©s) ;
â les dictionnaires de langue spĂ©ciaux qui regroupent les unitĂ©s lexicales Ă partir dâun caractĂšre commun pouvant ĂȘtre morphologique (dictionnaire de racines, dĂ©rivĂ©s, familles de mots) ; grammatical (dictionnaires de particules, verbes, Ă©pithĂštes, genres) ; formel (dictionnaires dâorthographe, sigles, prononciation, rimes, homonymes, paronymes, inverses) ; sĂ©mantique (dictionnaires de synonymes, antonymes, ou idĂ©ologiques, analogiques) ; phrasĂ©ologique (dictionnaires de locutions, proverbes), etc.
Le dictionnaire encyclopédique, ou « dictionnaire de choses », informe sur les choses désignées par les mots et non, comme les précédents, qui traitent les mots en tant que signes. Les entrées principales du dictionnaire de langue y sont souvent reprises avec un traitement spécifique (description et commentaire des réalités auxquelles elles renvoient) qui peut représenter de courtes monographies extralinguistiques. Alors que les mots grammaticaux y sont sommairement décrits en tant que signes fonctionnels, les termes des arts et des sciences y sont largement repré-
sentĂ©s. Le dictionnaire de langue les Ă©vite en raison du discours encyclopĂ©dique requis pour les dĂ©finir, et il ignore de mĂȘme les noms propres exclus du systĂšme lexical de la langue avec les donnĂ©es gĂ©ographiques, biographiques, historiques qui leur sont attachĂ©es. Le cas Ă©chĂ©ant, il les traite Ă part, tandis que le dictionnaire encyclopĂ©dique les accueille sans rĂ©serve et les mĂȘle aux autres.
Le dictionnaire encyclopĂ©dique ne se confond pas avec lâ« encyclopĂ©die alphabĂ©tique », mĂȘme si lâemploi dâadresses-vedettes, la composition par articles et lâordre alphabĂ©tique, gĂ©nĂ©ralisĂ©s Ă partir de la fin du XVIIe siĂšcle, ont souvent entraĂźnĂ© une confusion entre les deux types dâouvrages. LâencyclopĂ©die moderne est lâhĂ©ritiĂšre des sommes mĂ©diĂ©vales qui avaient pour objet de rĂ©unir et dâexpliquer lâensemble des idĂ©es et des savoirs du temps sur les choses et le monde. Organisation raisonnĂ©e des connaissances, elle propose bien un discours sĂ©quentiel, mais les unitĂ©s de sa nomenclature relĂšvent dâune structure mĂ©thodique et hiĂ©rarchisĂ©e de notions. Les vedettes chefs dâarticles reprĂ©sentent non des mots du lexique, comme dans le dictionnaire, mais des « Ă©tiquettes », proches des descripteurs des classifications documentaires. Il sâagit des noms de notions, de rĂ©alitĂ©s, de domaines, de disciplines, de techniques, etc., qui donnent accĂšs Ă des discours sur les objets de savoir contenus dans les articles correspondants.
Au XIXe siĂšcle, le comte de Saint-Simon notait avec pertinence (Esquisse dâune nouvelle encyclopĂ©die, non publiĂ©e) : « EncyclopĂ©die, ce mot [...] signifie enchaĂźnement des connaissances ; il ne devrait jamais servir de titre aux dictionnaires gĂ©nĂ©raux. Un dictionnaire gĂ©nĂ©ral est un magasin de matĂ©riaux propres Ă construire une encyclopĂ©die. » Si lâencyclopĂ©die se dĂ©marque sans ambiguĂŻtĂ© du dictionnaire, la distribution des deux types de discours (sur les mots / sur les choses) est moins simple dans les catĂ©gories de dictionnaires correspondantes. Cela pour plusieurs raisons convergentes dont la principale est que les corrĂ©lations entre signe et objet ou chose sont trĂšs fortes. Lâun se trouvant Ă©voquĂ© chaque fois que lâon traite de lâautre, le discours sur le mot tend Ă sâenrichir de donnĂ©es sur la chose. Peu de lexicographes de la langue ont su, pu, ou voulu se limiter au minimum requis pour la comprĂ©hension du sens, câest-Ă -dire Ă©liminer autant que possible les donnĂ©es encyclopĂ©diques. Cette distinction fondamentale est pourtant aussi ancienne que les premiers rĂ©pertoires français. Les arguments de FuretiĂšre pour justifier son Dictionnaire universel
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis (1690) en fournissent un magistral exemple, mĂȘme si lâAcadĂ©mie, forte de son monopole, ne les a pas entendus. Il invoquait la complĂ©mentaritĂ© des deux modĂšles pour nier la concurrence, ce qui sera reconnu au siĂšcle suivant, Diderot disant que le dictionnaire de langue est « le recueil des titres que doit remplir le dictionnaire encyclopĂ©dique ». La formule de Laveaux (1820) selon laquelle « oĂč le premier finit, le second commence » reste, aujourdâhui encore, celle des dictionnaires encyclopĂ©diques qui proposent, dans chaque article mot-notion, une information linguistique puis un dĂ©veloppement rĂ©fĂ©rentiel, ou celle des dictionnaires de langue que complĂšte un rĂ©pertoire de noms propres.
Il est dâautres raisons, Ă la fois historiques et commerciales. Le dictionnaire de langue est devenu, au XIXe siĂšcle, le tĂ©moin des progrĂšs des connaissances et lâoutil de leur vulgarisation. Le Pan-Lexique de Boiste (1834) prĂ©tendait offrir les services de tous les dictionnaires, jusquâĂ ceux de morale et dâinstruction civique. Quant au Grand Dictionnaire universel de Pierre Larousse (1866-1890), il fera effectivement office de rĂ©sumĂ© de tous les savoirs dans de nombreux foyers du temps. On peut admettre que, depuis lors, tout dictionnaire dĂ©veloppĂ© propose (inĂ©galement) les deux sortes dâinformations, la prééminence de lâune ou de lâautre dĂ©terminant son appartenance. Cette tendance est confirmĂ©e par le sous-titre « dictionnaire des mots et des choses » souvent repris aprĂšs Richelet (1680), par le succĂšs du qualificatif « universel » aux XVIIIe et XIXe siĂšcles, ou par la multiplication des termes scientifiques et techniques dans les dictionnaires contemporains. Le recours au dictionnaire conçu comme un auxiliaire didactique accuse encore sa fonction de dĂ©codage pour la comprĂ©hension dâun nombre croissant dâĂ©noncĂ©s spĂ©cialisĂ©s.
La lexicographie moderne prend son essor au XVIe siĂšcle avec la multiplication des rĂ©pertoires plurilingues et surtout lâapparition de grands dictionnaires philologiques des langues classiques. Les multilingues, destinĂ©s, selon leur format et leur contenu, aux savants ou aux voyageurs et aux commerçants, introduisent le français Ă lâoccasion dâune réédition. Ils proposent un nombre croissant de langues (flamand, italien, espagnol, anglais, allemand et français pour lâessentiel), leur nombre allant de pair avec la rĂ©duction du contenu des articles. Le Dictionarium dâAmbrogio Calepino (2 langues en 1502, 11 en 1588) en est un bon exemple. Les dictionnaires philologiques sont dus Ă de cĂ©lĂšbres Ă©rudits et, avec eux,
sâaffirme le concept de « dictionnaire gĂ©nĂ©ral » dâune langue. Les perfectionnements appliquĂ©s au traitement des langues littĂ©raires anciennes, et dâabord au latin, ont ouvert la voie aux premiers grands rĂ©pertoires des principales langues europĂ©ennes. »
Poursuivant le parcours historique de lâarrivĂ©e et de lâĂ©laboration des dictionnaires Ă travers les siĂšcles, Bernard Quemada prĂ©cise que « Pour le français, lâartisan en fut sans conteste Robert Estienne, auteur dâun Thesaurus linguae latinae (1532) de rĂ©putation internationale (encore revu et rééditĂ© en Italie en 1771 par Forcellini). La version bilingue Ă lâusage des Ă©tudiants, le Dictionaire françoys-latin (1539) est le premier relevĂ© important dâentrĂ©es françaises, dix mille items environ en ordre alphabĂ©tique, avec de nombreux dĂ©veloppements en français Ă cĂŽtĂ© des Ă©quivalents latins. Au fil des rééditions, les ajouts sans correspondants latins seront dĂ©finis et commentĂ©s en français. Le remaniement dĂ» Ă Jean Nicot, paru sous le titre Thresor de la langue françoyse tant ancienne que moderne (1606), rĂ©duit encore le bilinguisme au profit du français, preuve de lâintĂ©rĂȘt portĂ© par un large public aux commentaires Ă©tymologiques et encyclopĂ©diques en langue vulgaire.
Les premiers rĂ©pertoires europĂ©ens monolingues de langues nationales sont le Tesoro de Covarrubias (1611) pour lâespagnol, et le Vocabolario de lâAccademia della Crusca (1612) pour le toscan. InspirĂ©e par ces modĂšles, la lexicographie monolingue du français fait ses dĂ©buts officiels Ă la fin du XVIIe siĂšcle sous le double aspect qui est encore le sien : dictionnaires de langue et dictionnaires encyclopĂ©diques. DĂšs 1636, la toute rĂ©cente AcadĂ©mie française avait Ă©tĂ© chargĂ©e dâun dictionnaire de la langue illustrĂ© par les meilleurs auteurs. Mais le français littĂ©raire connaissant encore des changements profonds et rĂ©pĂ©tĂ©s, il sâavĂ©ra aussi difficile de choisir des modĂšles que des mĂ©thodes satisfaisantes pour les traiter alors que sâaffrontaient des conceptions grammaticales divergentes. Ce fut donc un dictionnaire normatif quâelle publia en 1694. FondĂ© sur la langue des « honnĂȘtes gens » et non sur celle des « meilleurs Ă©crivains », il offrait Ă lâhomme cultivĂ© de lâĂ©poque une image sĂ©lective dâun « bon usage » que certains qualifieront dâaristocratique. Il proposait des dĂ©finitions gĂ©nĂ©rales souvent abstraites, des exemples créés mais non des citations (les acadĂ©miciens nâĂ©taient-ils pas eux-mĂȘmes des autoritĂ©s reconnues ?) pour une nomenclature de quinze mille vedettes environ. Par ces options,
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis lâouvrage allait dĂ©terminer les caractĂšres distinctifs des dictionnaires de langue prescriptifs synchroniques. Les huit Ă©ditions de 1694 Ă 1932, et la neuviĂšme en cours, resteront fidĂšles Ă ce modĂšle, comme les trĂšs nombreux rĂ©pertoires Ă visĂ©es scolaires qui sâen inspireront ensuite, explicitement ou non.
Pendant la seconde moitiĂ© du XVIIe siĂšcle, la lenteur du travail acadĂ©mique a laissĂ© place Ă des projets diffĂ©rents et parfois concurrents qui parurent les premiers. Le Dictionnaire des mots et des choses de Pierre Richelet (1680) peut ĂȘtre tenu pour le prototype du dictionnaire gĂ©nĂ©ral. Premier dictionnaire intĂ©gralement monolingue en français, ses dĂ©finitions sont dans lâensemble originales. Dictionnaire descriptif, il sâouvre aux rĂ©alitĂ©s de la sociĂ©tĂ© contemporaine en introduisant des marques dâusage, il accueille des mots populaires ou « bas », des usages marginaux et de nombreux termes des arts et des sciences traitĂ©s Ă la maniĂšre encyclopĂ©dique. Il propose aussi des citations dâauteurs alors cĂ©lĂšbres. Ses qualitĂ©s en feront la rĂ©fĂ©rence obligĂ©e des rĂ©pertoires du mĂȘme type.
Dans son Dictionnaire universel (1690), Antoine FuretiĂšre, acadĂ©micien lui-mĂȘme, sera plus ambitieux encore puisquâil entend rĂ©aliser lâ« encyclopĂ©die de la langue ». Il rĂ©duit la part de la langue commune pour se dĂ©marquer de lâAcadĂ©mie, et il accorde toute son attention aux langues de spĂ©cialitĂ©, aux termes techniques, aux mots rares mĂȘme anciens, quâil traite en « philosophe » Ă©rudit. Son ouvrage reprĂ©sente le prototype du dictionnaire encyclopĂ©dique extensif, annonciateur des grands rĂ©pertoires de lâavenir. » (Bernard Quemada : « Dictionnaire », site Universalis.fr, non datĂ©)
Il est utile de clore cet arpentage de lâhistoire des dictionnaires par le rappel du rĂŽle pĂ©dagogique du dictionnaire et des rapports entre la lexicographie, la didactique et la didactisation. LâĂ©tude de Jean Dubois, « Dictionnaire et discours didactique » (revue Langages, 5Ăšme annĂ©e, n°19, 1970) nous offre lĂ -dessus de prĂ©cieux enseignements. Lâauteur prĂ©cise en effet que « lâĂ©noncĂ© lexicographique » (...) relĂšve du discours pĂ©dagogique. Comme lui, il est plus prĂ©cisĂ©ment un Ă©noncĂ© sur un autre Ă©noncĂ© dĂ©jĂ rĂ©alisĂ©. Le savoir sur le monde que le dictionnaire communique est lui-mĂȘme un discours tenu sur un corpus fait de formulations scientifiques ou culturelles. La langue dont parle un dictionnaire nâest pas directement cette
langue que les locuteurs utilisent dans les communications sociales, câest dĂ©jĂ une langue analysĂ©e, un texte dĂ©coupĂ© et ajustĂ© aux dimensions que le modĂšle dâanalyse aristotĂ©licien a imposĂ©es au discours pĂ©dagogique (...) ». Dans le discours pĂ©dagogique, lâobjectif est de combler lâĂ©cart qui existe entre le savoir du lecteur dĂ©fini par un ensemble de questions sur la langue ou sur le monde et le savoir du lexicographe dĂ©fini par lâensemble des rĂ©ponses quâelles impliquent (et vice versa). Le texte implicite doit donc ĂȘtre commun aux lecteurs et aux lexicographes ; le dictionnaire ne remplit son usage que lorsquâil comble cet Ă©cart entre les deux savoirs dĂ©finis par les mĂȘmes rĂšgles ».
La lexicographie haĂŻtienne de 1958 Ă 2023
Dans le champ relativement jeune de la crĂ©olistique, la lexicographie haĂŻtienne â qui comprend des ouvrages bilingues français-crĂ©ole, anglaiscrĂ©ole, ainsi que de rares ouvrages unilingues crĂ©oles â, est un domaine spĂ©cialisĂ© dâĂ©tudes et de production dâouvrages lexicographiques. Dans nos diffĂ©rents articles consacrĂ©s Ă ce champ, nous employons toutefois lâexpression « lexicographie crĂ©ole » pour dĂ©signer lâensemble des travaux lexicographiques ciblant le crĂ©ole. LâĂ©mergence et lâhistoire de la lexicographie crĂ©ole sont historiquement attestĂ©es depuis les travaux pionniers du linguiste haĂŻtien Pradel Pompilus auteur, en 1958, du « Lexique crĂ©ole-français » (UniversitĂ© de Paris). Au terme dâune ample recherche documentaire, nous avons exposĂ© les caractĂ©ristiques typologiques de la lexicographie crĂ©ole par la publication de notre « Essai de typologie de la lexicographie crĂ©ole de 1958 Ă 2022 » (journal Le National, Port-au-Prince, 21 juillet 2021). Dans cet essai nous avons rĂ©pertoriĂ© et classĂ© 64 dictionnaires et 11 lexiques, et dans les articles subsĂ©quents qui ont complĂ©tĂ© cet essai, nous avons dĂ©montrĂ© que sur le total de 75 ouvrages, seuls 11 ont Ă©tĂ© Ă©laborĂ©s selon les rĂšgles mĂ©thodologiques de la lexicographie telle quâelle est enseignĂ©e dans les universitĂ©s Ă travers le monde et telle quâelle est mise en Ćuvre dans la confection des lexiques et des dictionnaires de la langue usuelle (Le Robert, Le Larousse, USITO, Le LittrĂ©, le Oxford English Dictionary, le Oxford Advanced American Dictionary, El Diccionario de la lengua española de la Real academia española , etc.). Le tableau 1 prĂ©sente les lexiques et les dictionnaires crĂ©oles Ă©laborĂ©s en conformitĂ© avec la mĂ©thodologie de la lexicographie professionnelle (11 ouvrages sur un total de 75 publiĂ©s entre 1958 et 2022) tandis que le tableau 2
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis prĂ©sente un Ă©chantillon dâouvrages Ă©laborĂ©s en dehors de la mĂ©thodologie de la lexicographie professionnelle. Notre diagnostic analytique attestant que seuls 11 ouvrages sur un total de 75 publiĂ©s entre 1958 et 2022 sont conformes Ă la mĂ©thodologie de la lexicographie professionnelle confirme quâil sâagit lĂ dâun indicateur majeur de la plus grande lacune de la lexicographie crĂ©ole : lâabsence dâun modĂšle mĂ©thodologique couplĂ© Ă un amateurisme rachitique trop souvent constituĂ© en « savoir-faire » (voir plus bas les tableaux 2 et 3 ; voir aussi notre article « Toute la lexicographie haĂŻtienne doit ĂȘtre arrimĂ©e au socle mĂ©thodologique de la lexicographie professionnelle » (Le National, 29 dĂ©cembre 2022).
TABLEAU 1 - Ouvrages lexicographiques (lexiques et dictionnaires) élaborés en conformité avec la méthodologie de la lexicographie professionnelle (11 ouvrages sur un total de 75 publiés entre 1958 et 2022)
Titre Auteur
1- Ti diksyonnĂš kreyĂČl-franse
2- Haitian Creole-English-French Dictionnary (vol. I, vol. II)
3- Petit lexique crĂ©ole haĂŻtien utilisĂ© dans le domaine de lâĂ©lectricitĂ©
4- DiksyonĂš ĂČtograf kreyĂČl ayisyen
5- Dictionnaire préliminaire des fréquences de la langue créole
6- Dictionnaire inverse de la langue crĂ©ole haĂŻtienne/ DiksyonĂš lanvĂ lang kreyĂČl ayisyen
7- Dictionnaire de lâĂ©colier haĂŻtien
8- Dictionnaire de lâĂ©volution du vocabulaire français en HaĂŻti (tome 1)
9- Dictionnaire de lâĂ©volution du vocabulaire français en HaĂŻti (tome 2)
Date Ăditeur
Henry Tourneux, Pierre Vernet et al 1976 Ăditions caraĂŻbes
Albert Valdman et al 1981 Creole Institute, Bloomington University
Henry Tourneux 1986 CNRS â Cahiers du Lacito
Pierre Vernet, B.C. Freeman 1988 Sant lengwistik aplike, InivĂšsite
Leta Ayiti
Pierre Vernet, B.C. Freeman 1989 Sant lengwistik aplike, InivĂšsite
Leta Ayiti
B.C. Freeman 1989 Sant lengwistik aplike, InivĂšsite
Leta Ayiti
AndrĂ© Vilaire Chery 1996 HachetteDeschamps/ ĂDITHA
AndrĂ© Vilaire Chery 2000 Ăditions Ădutex
AndrĂ© Vilaire Chery 2002 Ăditions Ădutex
Titre Auteur
10- Haitian Creole-English Bilingual Dictionnary
11- English-Haitian Creole Bilingual Dictionnary
Albert Valdman
Albert Valdman, Marvin D. Moody, Thomas E. Davies
Date Ăditeur
2007 Creole Institute, Bloomington University
2017 Creole Institute, Bloomington University
NOTE / Ces dictionnaires de grande qualitĂ© scientifique mettent tous en Ćuvre le mĂȘme cadre mĂ©thodologique qui consiste (1) Ă dĂ©finir le projet Ă©ditorial et les usagers-cibles visĂ©s ; (2) Ă identifier les sources du corpus de rĂ©fĂ©rence en vue de lâĂ©tablissement de la nomenclature ; (3) Ă procĂ©der Ă lâĂ©tablissement de la nomenclature des termes retenus Ă lâĂ©tape du dĂ©pouillement du corpus de rĂ©fĂ©rence ; (4) Ă procĂ©der au traitement lexicographique des termes de la nomenclature et Ă la rĂ©daction des rubriques dictionnairiques (dĂ©finitions, notes explicatives, notes contextuelles, catĂ©gorisation grammaticale des termes placĂ©s en « entrĂ©e » en ordre alphabĂ©tique et sâil y a lieu mention de lâaire gĂ©ographique dâemploi du terme). Le mĂȘme cadre mĂ©thodologique est mis en Ćuvre dans lâĂ©laboration des lexiques bilingues (qui ne comprennent pas de dĂ©finitions des termes) et pour la confection des vocabulaires spĂ©cialisĂ©s en nĂ©ologie scientifique et technique. Sur le plan mĂ©thodologique, les ouvrages identifiĂ©s au tableau 1 ont Ă©tĂ© Ă©laborĂ©s dans la stricte observance du critĂšre de lâexactitude de lâĂ©quivalence lexicale conjoint Ă celui de lâĂ©quivalence notionnelle : câest le critĂšre majeur placĂ© au centre de toute dĂ©marche lexicographique et terminologique. (Sur la problĂ©matique de lâĂ©quivalence lexicale et terminologique, voir AnnaĂŻch Le Serrec : « Analyse comparative de lâĂ©quivalence terminologique en corpus parallĂšle et en corpus comparable : application au domaine du changement climatique », thĂšse de doctorat, UniversitĂ© de MontrĂ©al, avril 2012 ; voir aussi Robert Dubuc, enseignant Ă©mĂ©rite de traduction et de terminologie Ă lâUniversitĂ© de MontrĂ©al et auteur du « Manuel pratique de terminologie » (Ăditions Linguatech, 2002). Il nous enseigne que « Deux termes sont dits Ă©quivalents sâils affichent une identitĂ© complĂšte de sens et dâusage Ă lâintĂ©rieur dâun mĂȘme domaine dâapplication. (...) Il y a Ă©quivalence mĂȘme si chaque langue nâenvisage pas la mĂȘme notion sous le mĂȘme angle »). Les dictionnaires anglais-crĂ©ole Ă©laborĂ©s par le linguiste-lexicographe Albert Valdman et ses Ă©quipes se situent tous au sommet de la lexicographie crĂ©ole en raison de
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis leur rigueur scientifique et de leur ancrage systĂ©matique sur le socle de la mĂ©thodologie de la lexicographie professionnelle : ils appartiennent de la sorte Ă la grande famille des dictionnaires majeurs de la langue usuelle rĂ©putĂ©s pour leur fiabilitĂ© (Le Robert, Le Larousse, USITO, Le LittrĂ©, le Oxford English Dictionary, le Oxford Advanced American Dictionary, El Diccionario de la lengua española de la Real Academia española , etc.).
Sur la base des critĂšres de la mĂ©thodologie de la lexicographie professionnelle, notre Ă©valuation des dictionnaires Ă©laborĂ©s par Albert Valdman et par le lexicographe haĂŻtien AndrĂ© Vilaire Chery permet dâexposer que ces ouvrages constituent LE MODĂLE NORMATIF STANDARD dont doit sâinspirer toute la lexicographie haĂŻtienne contemporaine (voir nos articles « Lexicographie crĂ©ole : revisiter le « Haitian Creole-English Bilingual Dictionnary » dâAlbert Valdman » (Le National, 30 janvier 2023), « Le « Dictionnaire de lâĂ©colier haĂŻtien », un modĂšle de rigueur pour la lexicographie en HaĂŻti » (Le National, 3 septembre 2022), et « Toute la lexicographie haĂŻtienne doit ĂȘtre arrimĂ©e au socle mĂ©thodologique de la lexicographie professionnelle » (Le National, 29 dĂ©cembre 2022).
Dâautre part, il faut prendre toute la mesure que la crĂ©olistique âdepuis la co-officialisation du crĂ©ole et du français dans la Constitution haĂŻtienne de 1987â, a produit peu dâĂ©tudes de rĂ©fĂ©rence sur la lexicographie crĂ©ole, ses enjeux, sa dimension institutionnelle et, surtout, sur la mĂ©thodologie de la lexicographie professionnelle. Elle sâest toutefois enrichie de deux Ă©tudes de premier plan dâAlbert Valdman, qui tĂ©moignent dâune haute rĂ©flexion thĂ©orique sur la lexicographie en tant quâobjet dâĂ©tude : « LâĂ©volution du lexique dans les crĂ©oles Ă base lexicale française » » (revue Lâinformation grammaticale », 2000/85) et « Vers un dictionnaire scolaire bilingue pour le crĂ©ole haĂŻtien ? » (revue La linguistique 2005/1, vol.41). Sur le plan de lâanalyse de lâhistoire et de lâĂ©volution de la lexicographie crĂ©ole, la linguiste Annegret BollĂ©e a Ă©laborĂ© elle aussi une Ă©tude de grande amplitude analytique, « Lexicographie crĂ©ole : problĂšmes et perspectives » (Revue française de linguistique appliquĂ©e, 2005/1 (vol.X) ; elle a considĂ©rablement enrichi, elle aussi, notre connaissance de la lexicographie crĂ©ole.
TABLEAU 2 â Ăchantillon de lexiques et de dictionnaires Ă©laborĂ©s en dehors de la mĂ©thodologie de la lexicographie professionnelle
Titre de lâouvrage
DiksyonĂš kreyĂČl Vilsen
Leksik kreyĂČl : ekzanp devlopman kĂšk mo ak fraz a pati 1986
DiksyonĂš kreyĂČl karayib
Glossary of STEM terms from the MIT â Haiti Initiative
Auteur(s)
Maud Heurtelou, FéquiÚre Vilsaint
Ăditeur AnnĂ©e de publication
ĂducaVision 1994 [2009]
Emmanuel Védrine Védrine Creole Project [ ?] 2000
Jocelyne Trouillot CUC Université Caraïbe 2003 [ ?]
MIT â Haiti Initiative MIT â Haiti Initiative 2017 [ ?]
TABLEAU 3 - Caractéristiques des ouvrages élaborés en dehors de la méthodologie de la lexicographie professionnelle (échantillon de 4 publications)
Titre de lâouvrage
Auteur(s) Catégorie Principales caractéristiques lexicographiques
DiksyonĂš kreyĂČl Vilsen Maud Heurtelou, FĂ©quiĂšre Vilsaint
Leksik kreyĂČl : ekzanp devlopman kĂšk mo ak fraz a pati 1986
Emmanuel Védrine
DiksyonĂš kreyĂČl karayib Jocelyne Trouillot
Dictionnaire unilingue créole AccÚs Web et format papier
Sâintitule « leksik » alors quâil est un glossaire unilingue crĂ©ole
Dictionnaire unilingue créole au format papier uniquement
Incohérence, insuffisance ou inadéquation de nombreuses définitions. Certaines rubriques comprennent des notes explicatives
De nombreuses entrées (« mots vedettes ») sont des slogans ou des séquences de phrases ou des proverbes. De nombreuses entrées ne sont pas des unités lexicales. Incohérence, insuffisance ou inadéquation des rares définitions
Incohérence, insuffisance ou inadéquation de nombreuses définitions. De nombreuses entrées (« mots vedettes ») ne sont pas des unités lexicales, ce sont plutÎt des noms propres ou des toponymes...
Titre de lâouvrage
Glossary of STEM terms from the MIT âHaiti Initiative
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis
Auteur(s) Catégorie Principales caractéristiques lexicographiques
MIT â Haiti Initiative Lexique bilingue anglais-crĂ©ole AccĂšs Web uniquement
Ăquivalents crĂ©oles souvent fantaisistes, erratiques, asĂ©mantiques et non conformes au systĂšme morphosyntaxique du crĂ©ole. Les pseudo nĂ©ologismes « crĂ©oles » sont essentiellement abracadabrants, farfelus et non conformes au systĂšme morphosyntaxique du crĂ©ole
NOTE / Les lexiques et les dictionnaires Ă©laborĂ©s en dehors de la mĂ©thodologie de la lexicographie professionnelle se caractĂ©risent par (1) lâabsence complĂšte et/ou le rachitisme du projet Ă©ditorial lexicographique et lâabsence de critĂšres mĂ©thodologiques mis en Ćuvre et habituellement identifiĂ©s par les appellations « PrĂ©face » ou « Guide dâutilisation » ; (2) lâabsence de critĂšres lexicographiques relatifs Ă la dĂ©termination du corpus Ă dĂ©pouiller et lâabsence de critĂšres relatifs au dispositif de dĂ©pouillement de diverses sources documentaires ; (3) lâabsence de critĂšres lexicographiques relatifs Ă lâĂ©tablissement de la nomenclature du dictionnaire ou du lexique ; (4) lâabsence de critĂšres relatifs au traitement lexicographique des termes de la nomenclature. Lâun des traits communs entre ces ouvrages Ă©laborĂ©s en dehors de la mĂ©thodologie de la lexicographie professionnelle est quâils ne sont pas lâĆuvre de lexicographes ou de professionnels langagiers dĂ©tenteurs dâune formation/compĂ©tence avĂ©rĂ©e en lexicographie gĂ©nĂ©rale et en lexicographie crĂ©ole. Lâouvrage de FĂ©quiĂšre Vilsaint et Maud Heurtelou et celui de Jocelyne Trouillot procĂšdent sans doute dâun lĂ©gitime projet de doter HaĂŻti dâun dictionnaire unilingue crĂ©ole â mais lâon conviendra quâune bonne intention ne saurait se substituer Ă lâindispensable compĂ©tence en lexicographie crĂ©ole. Quant au « Glossary of STEM terms from the MIT â Haiti Initiative » â le plus mĂ©diocre de tous les ouvrages de la lexicographie crĂ©ole de 1958 Ă 2023 â, il est attestĂ© quâil nâa jamais pu sâimplanter dans les Ăcoles haĂŻtiennes depuis sa mise en ligne (en 2017 ?) en raison du fait quâil ne dispose dâaucune crĂ©dibilitĂ© scientifique. Le « Glossary of STEM terms from the MIT â Haiti Initiative » promeut une aventureuse « lexicographie borlette » par la promotion dâĂ©quivalents « crĂ©oles » souvent fantaisistes, erratiques, asĂ©mantiques et non conformes au systĂšme morphosyntaxique du crĂ©ole, tandis que ses pseudo nĂ©ologismes « crĂ©oles » sont essentiellement abracadabrants, farfelus et
non conformes au systÚme morphosyntaxique du créole (voir nos articles
« Le traitement lexicographique du crĂ©ole dans le « Glossary of STEM terms from the MIT â HaĂŻti Initiative » (Le National, 21 juillet 2020) et « Le naufrage de la lexicographie crĂ©ole au MIT Haiti Initiative » (Le National, 15 fĂ©vrier 2022). Lâamateurisme aventureux du « Glossary of STEM terms from the MIT â Haiti Initiative » sâexplique amplement par le fait que ses rĂ©dacteurs-bricoleurs ne sont dĂ©tenteurs dâaucune compĂ©tence connue en lexicographie gĂ©nĂ©rale et en lexicographie crĂ©ole. Il ne faut pas perdre de vue que la lexicographie nâest pas enseignĂ©e au DĂ©partement de linguistique du MIT et sur le site Web de cette institution aucun de ses linguistes, notamment le responsable du MIT Haiti Initiative, ne mentionne sur son profil professionnel avoir acquis une quelconque compĂ©tence en lexicographie... Il est dâailleurs tout Ă fait rĂ©vĂ©lateur que lâĂ©laboration du « Glossary of STEM terms from the MIT â Haiti Initiative » est prĂ©sentĂ©e, sur le site du MIT â Haiti Initiative âau chapitre « KreyĂČl-English glosses for creating and translating materials in Science, Technology, Engineering & Mathematics (STEM) fields in the MIT-Haiti Initiative »â, dans les termes suivants : « (...) lâun des effets secondaires positifs des activitĂ©s du MIT-HaĂŻti (ateliers sur les STEM, production de matĂ©riel en kreyĂČl de haute qualitĂ©, etc.) est que nous enrichissons la langue dâun nouveau vocabulaire scientifique qui peut servir de ressource indispensable aux enseignants et aux Ă©tudiants Ces activitĂ©s contribuent au dĂ©veloppement lexical de la langue crĂ©ole » [Traduction : RBO]. Comme nous lâavons rigoureusement dĂ©montrĂ© dans notre article « La lexicographie crĂ©ole Ă lâĂ©preuve des Ă©garements systĂ©miques et de lâamateurisme dâune « lexicographie borlette » (Le National, Port-au-Prince, 28 mars 2023), le pseudo « nouveau vocabulaire scientifique » bricolĂ© par le MITâHaiti Initiative en dehors de la mĂ©thodologie de la lexicographie professionnelle comprend un grand nombre dâĂ©quivalents « crĂ©oles » fantaisistes, erratiques, faux, sĂ©mantiquement opaques, souvent non conformes au systĂšme morphosyntaxique du crĂ©ole et incomprĂ©hensibles du locuteur crĂ©olophone. Lâautre grande caractĂ©ristique de la « lexicographie borlette » au creux du pseudo « nouveau vocabulaire scientifique » bricolĂ© par le MITâHaiti Initiative est lâabsence systĂ©matique du critĂšre de lâexactitude de lâĂ©quivalence lexicale conjoint Ă celui de lâĂ©quivalence notionnelle alors mĂȘme quâil est un critĂšre majeur placĂ© au centre de toute dĂ©marche lexicographique et terminologique. Lâamateurisme confirmĂ© des rĂ©dacteurs-bricoleurs du « Glossary of STEM terms from the MIT â Haiti Initiative »
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis Ă©claire donc le fait que, dĂ©pourvus de la moindre compĂ©tence connue en lexicographie crĂ©ole, ils alimentent une vision erratique et fantaisiste de la nĂ©ologie crĂ©ole totalement opposĂ©e Ă la mĂ©thodologie de la nĂ©ologie. (Sur la mĂ©thodologie de la nĂ©ologie, voir lâarticle de Salah Mejri et Jean-François Sablayrolles, « PrĂ©sentation : nĂ©ologie, nouveaux modĂšles thĂ©oriques et NTIC » paru dans la revue Langages no 183, 2011/3 ; voir aussi lâĂ©tude « NĂ©ologie sĂ©mantique et analyse de corpus » parue sous la direction de Jean-François Sablayrolles dans les Cahiers de lexicologie (Ăditions Classiques Garnier, Paris 2012). Les Cahiers de lexicologie sont publiĂ©s par le laboratoire Lexiques, dictionnaires, informatique (lDi, UniversitĂ© Paris 13 â UniversitĂ© de Cergy-Pontoise â Centre national de la recherche scientifique de France).
Les défis contemporains de la lexicographie créole
Les liens complĂ©mentaires et fonctionnels qui existent entre la lexicographie crĂ©ole et la didactisation du crĂ©ole sont Ă©voquĂ©s dans le livre collectif de rĂ©fĂ©rence « La didactisation du crĂ©ole au cĆur de lâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti » (ouvrage de 381 pages coordonnĂ© et co-Ă©crit par Robert BerrouĂ«t-Oriol (Ăditions ZĂ©mĂšs et Ăditions du Cidihca, 2021).
La problĂ©matique de la didactisation du crĂ©ole a tĂŽt Ă©tĂ© exposĂ©e par le linguiste Renauld Govain. Dans un texte fort Ă©clairant, « LâĂ©tat des lieux du crĂ©ole dans les Ă©tablissements scolaires en HaĂŻti », (Contextes et didactiques, 4, 2014) le doyen de la FacultĂ© de linguistique appliquĂ©e de lâUniversitĂ© dâĂtat dâHaĂŻti consigne en ces termes des questions de fond quant Ă la didactisation du crĂ©ole :
« Le crĂ©ole est officiellement introduit Ă lâĂ©cole haĂŻtienne en 1979. Son emploi dans le systĂšme Ă©ducatif nâa pas Ă©tĂ© facile. Il souffre encore dâun problĂšme de mĂ©thodes, de mĂ©thodologies et de « didactisation ». Ce problĂšme sâest davantage accentuĂ© avec la disparition en 1991 de lâIPN [Institut pĂ©dagogique national] chargĂ© de lâĂ©laboration de matĂ©riels didactiques pour le systĂšme. (...) Mais la problĂ©matique de la didactique du crĂ©ole comme langue maternelle nâa pas Ă©tĂ© posĂ©e. (...) on navigue encore dans des actions routiniĂšres qui ne sont pas Ă©clairĂ©es par des mĂ©thodes Ă©laborĂ©es mĂ»rement construites sur la base dâune dĂ©marche rĂ©flexive de nature Ă rĂ©duire les chances de tĂątonnement quâon constate actuellement dans lâenseignement/apprentissage du crĂ©ole Ă lâĂ©cole en HaĂŻti. »
Et lors dâune prĂ©sentation au DĂ©partement de français et dâitalien Ă Indiana University, le 11 avril 2018 intitulĂ©e « Le crĂ©ole haĂŻtien : de langue dâalphabĂ©tisation des adultes Ă langue dâenseignement » , Renauld Govain prĂ©cise sa pensĂ©e comme suit : « Ă lâĂ©cole et Ă lâuniversitĂ© : problĂšme de didactisation - Mais lâenseignement du/en CH [crĂ©ole haĂŻtien] se heurte Ă un problĂšme de contextualisation et de didactisation. La contextualisation Ă©tant un processus dâadaptation rendant la discipline Ă enseigner/faire apprendre adĂ©quate aux spĂ©cificitĂ©s des diffĂ©rents facteurs ou Ă©lĂ©ments qui interviennent dans lâacte dâenseignement / apprentissage (Govain 2013). Parmi les Ă©lĂ©ments intervenant dans la dynamique de contextualisation, Galisson (1991) retient les huit suivants : sujet (apprenant), objet (langue-culture), agent (enseignant), humain), temps (chronologique et climatique). » Et il poursuit en posant que la (...) didactisation est « un processus qui sâappuie sur des procĂ©dĂ©s scientifiques (mais aussi sur des techniques particuliĂšres et contextuelles selon les caractĂ©ristiques du public cible, du milieu dans lequel lâenseignement / apprentissage doit avoir lieu, des objectifs visĂ©s, etc.) qui rendent la langue apte Ă ĂȘtre enseignĂ©e selon une dĂ©marche qui minimise les risques de fuite dus Ă une orientation alĂ©atoire du processus (...). Didactiser une langue, dans cette perspective, consistera en lâĂ©tablissement dâune sĂ©rie de dĂ©marches ou dispositifs institutionnels afin de maximiser lâintervention dâun facilitateur (cĂŽtĂ© enseignement) et lâactivitĂ© dâapprentissage (cĂŽtĂ© apprentissage) (Govain 2014, 14-15). »
Le livre collectif de rĂ©fĂ©rence « La didactisation du crĂ©ole au cĆur de lâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti » constitue la premiĂšre publication scientifique ciblant la didactisation du crĂ©ole et dans laquelle des spĂ©cialistes dâhorizons divers approfondissent cette problĂ©matique et proposent des solutions marquĂ©es du sceau de la rigueur. Quant au volet spĂ©cifiquement nĂ©ologique de la lexicographie crĂ©ole, notre Ă©tude, dans cet ouvrage, a pour titre « La nĂ©ologie scientifique et technique, un indispensable auxiliaire de la didactisation du crĂ©ole haĂŻtien ». Elle contribue elle aussi Ă instituer la modĂ©lisation de lâactivitĂ© nĂ©ologique sur le registre de lâĂ©laboration mĂ©thodique des vocabulaires crĂ©oles des sciences et des techniques.
Par lâĂ©laboration dâoutils lexicographiques de grande qualitĂ© scientifique (dictionnaires, lexiques, vocabulaires spĂ©cialisĂ©s, glossaires), la lexicographie crĂ©ole saura Ă lâavenir contribuer amplement Ă la didactisation
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis du crĂ©ole. Dans leur diversitĂ© et quant Ă leur pertinence, les futurs chantiers lexicographiques crĂ©oles fourniront Ă la didactisation du crĂ©ole un vaste Ă©ventail de termes crĂ©oles destinĂ©s Ă dĂ©nommer les rĂ©alitĂ©s, les objets, les idĂ©es, etc. Il faut toutefois rappeler que lâapport de la lexicographie crĂ©ole ne saurait se limiter Ă la fourniture de termes Ă la didactisation du crĂ©ole : en une dĂ©marche transversale et conjointe, il sâagira dâĂ©laborer Ă lâaide des outils de la lexicographie et de la didactique « un discours crĂ©ole savant » entendu au sens de lâĂ©tablissement du « mĂ©talangage » dont a besoin le crĂ©ole pour ĂȘtre vĂ©ritablement didactisĂ©. Le « discours crĂ©ole savant » nâest pas celui des communications usuelles entre locuteurs dans la vie quotidienne, il fait plutĂŽt appel Ă une combinatoire liant les termes aux idĂ©es et aux concepts, Ă lâabstraction et aux diffĂ©rentes formes du raisonnement logique, Ă la conceptualisation et Ă la modĂ©lisation des corps dâidĂ©es. Le linguiste-lexicographe Albert Valdman Ă©claire rigoureusement la problĂ©matique du « mĂ©talangage » crĂ©ole de la maniĂšre suivante : « Le handicap le plus difficile Ă surmonter dans lâĂ©laboration dâun dictionnaire unilingue pour le CH [crĂ©ole haĂŻtien] est certainement lâabsence dâun mĂ©talangage adĂ©quat. (...) Au fur et Ă mesure que sâĂ©tend lâutilisation du CH [crĂ©ole haĂŻtien] aux domaines techniques, il se dotera dâun mĂ©talangage propre Ă traiter de concepts de plus en plus abstraits. Dans lâattente de cette Ă©volution, la lexicographie bilingue peut affiner ses mĂ©thodes, sur plusieurs points : (1) la sĂ©lection de la nomenclature, (2) le recensement des variantes et le classement diatopique, diastratique et diaphasique des lexies, et (3) le choix des exemples illustratifs (...) » (voir Albert Valdman : « Vers la standardisation du crĂ©ole haĂŻtien », article paru dans la Revue française de linguistique appliquĂ©e, 2005 / 1, volume X).
Les dĂ©fis contemporains de la lexicographie crĂ©ole sont Ă©galement de lâordre de la formation acadĂ©mique des lexicographes et la FacultĂ© de linguistique appliquĂ©e de lâUniversitĂ© dâĂtat dâHaĂŻti a un rĂŽle de premier plan Ă jouer dans un environnement dĂ©lĂ©tĂšre oĂč lâĂtat haĂŻtien â dĂ©missionnaire en ce qui a trait Ă lâamĂ©nagement simultanĂ© des deux langues de notre patrimoine linguistique historique â, nâaccorde aucune vĂ©ritable prioritĂ© Ă lâĂ©ducation en HaĂŻti. La dimension institutionnelle de la lexicographie crĂ©ole sâavĂšre donc ĂȘtre une exigence de premier plan : la professionnalisation du mĂ©tier de lexicographe (comme dâailleurs la professionnalisation du mĂ©tier de traducteur gĂ©nĂ©raliste ou de traducteur technique et scientifique) passe obligatoirement par une formation adĂ©quate Ă
lâUniversitĂ©. En ce qui a trait Ă la formation en lexicographie, il est tout indiquĂ© le « Programme de formation en techniques de traduction » mis en route en 2017 Ă la FacultĂ© de linguistique appliquĂ©e (FLA) de lâUniversitĂ© dâĂtat dâHaĂŻti, en partenariat avec lâAssociation LEVE, soit renforcĂ© par lâintroduction de cours spĂ©cifiques de lexicographie. Lâune des options programmatiques Ă explorer serait que dĂšs la deuxiĂšme annĂ©e de licence en linguistique la FLA offre une double spĂ©cialisation en traduction / lexicographie crĂ©ole. Cette double spĂ©cialisation en traduction / lexicographie crĂ©ole pourrait ĂȘtre enrichie par lâadjonction de cours en didactique / didactisation du crĂ©ole. Comme nous lâavons exemplifiĂ© plus haut dans cet article, lâun des plus grands dĂ©fis de la lexicographie crĂ©ole est la rupture avec lâamateurisme afin de parvenir Ă une rĂ©flexion analytique et Ă une production scientifique solidement ancrĂ©e sur le socle de la mĂ©thodologie de la lexicographie professionnelle. Câest incontestablement la seule voie conduisant Ă la professionnalisation de la lexicographie et Ă la production dâoutils lexicographiques conformes Ă la mĂ©thodologie de la lexicographie professionnelle. La production dâoutils lexicographiques crĂ©oles de haute qualitĂ© scientifique â notamment un dictionnaire unilingue crĂ©ole et un dictionnaire scolaire bilingue français-crĂ©ole â, sera dâun apport majeur dans lâenseignement DE la langue crĂ©ole et dans lâenseignement EN langue crĂ©ole des savoirs et des connaissances dans lâĂcole haĂŻtienne.
Dans le contexte oĂč depuis la rĂ©forme Bernard de 1979 (rĂ©forme lacunaire et inaboutie) et depuis la co-officialisation du crĂ©ole et du français dans la Constitution de 1987, lâĂtat haĂŻtien ne sâest toujours pas dotĂ© dâune politique linguistique Ă©ducative ; dans le contexte oĂč, au ministĂšre de lâĂducation nationale, diverses formes de « populisme linguistique » cadenassent et dĂ©sarticulent lâamĂ©nagement du crĂ©ole et sont mises en Ćuvre Ă lâaune de lâimprovisation tous azimuts â entre autres dans la saga du LIV INIK AN KREYĂL qui se dĂ©cline en 7 versions diffĂ©rentes Ă©laborĂ©es par 7 diffĂ©rents Ă©diteurs â, la contribution de la lexicologie crĂ©ole ainsi que celle de la lexicographie crĂ©ole devrait ĂȘtre le lieu dâune remise Ă plat et dâune rigoureuse redĂ©finition de la didactique du français langue seconde et de la didactique modĂ©lisĂ©e du crĂ©ole selon la vision des langues partenaires et en conformitĂ© avec lâarticle 5 de la Constitution de 1987 (voir notre article « Le partenariat crĂ©ole-français, lâunique voie constitutionnelle et rassembleuse en HaĂŻti », Le National, Port-au-Prince, 14 mars 2023 ; voir la sĂ©rie dâĂ©tudes de premier plan consignĂ©es dans
le livre « Cohabitation des langues et politique linguistique / La notion de « langue partenaire » Ă©ditĂ© en 2015 par la DĂ©lĂ©gation Ă la langue française de Suisse ; voir aussi le livre « Le français et les langues partenaires : convivialitĂ© et compĂ©titivitĂ© » (Presses universitaires de Bordeaux, 2014. Sur le « populisme linguistique », voir lâarticle de ZiXi Wang, « IdĂ©ologies linguistiques et didactique des langues » paru dans HypothĂšses â Carnet de recherche, 12 janvier 2015 ; voir aussi lâarticle de Jean-Louis Chiss datĂ© de 2005 « La thĂ©orie du langage face aux idĂ©ologies linguistiques » consignĂ© dans G.Dessons, S. Martin & P. Michon (Ă©ds.), « Henri Meschonnic, la pensĂ©e et le poĂšme », Paris, InPress). Le lecteur dĂ©sireux dâapprofondir la vision des langues partenaires pourra avec profit consulter deux autres publications majeures sur le sujet : « Contacts de langues, politiques linguistiques et formes dâintervention », par VĂ©ronique Castellotti, Daniel Coste, Diana-Lee Simon (dans « Contacts de langues » (LâHarmattan, 2003), et « Les langues dans lâespace francophone : de la coexistence au partenariat » des linguistes Robert Chaudenson et Louis-Jean Calvet (Ăditions LâHarmattan, 2001).
La problĂ©matique de lâamĂ©nagement et de la didactisation du crĂ©ole dans lâĂcole
haĂŻtienne : promouvoir une vision rassembleuse
Montréal, le 17 novembre 2023
Au moment oĂč nous Ă©crivons ces lignes, le systĂšme Ă©ducatif national haĂŻtien, oĂč sont scolarisĂ©s environ 3 millions dâĂ©coliers, est lourdement impactĂ© par lâaction violente des gangs armĂ©s partout au pays. Tel que nous lâavons exposĂ© Ă la Directrice gĂ©nĂ©rale de lâUNESCO, Audrey Azoulay, dans notre « Appel Ă lâUNESCO : non Ă tout appui au cartel politico-mafieux du PHTK nĂ©o-duvaliĂ©riste en HaĂŻti » (RezonĂČdwĂšs, 13 novembre 2023), « (...) plus de 500 sur 976 Ă©coles Ă©valuĂ©es sont dysfonctionnelles ou inaccessibles tandis que 54 dâentre elles sont complĂštement fermĂ©es depuis plusieurs mois, en grande majoritĂ© Ă cause des rivalitĂ©s entre groupes armĂ©s, des affrontements entre les gangs et la police, ou des problĂšmes dâaccĂšs des enseignants dans ces zones » (voir le communiquĂ© de presse paru le 23 juin 2022 sur le site officiel de lâUNICEF en HaĂŻti, « Haiti : une Ă©cole sur trois est cible de violence Ă Port-au-Prince »). Selon le site ONU Info, « Les actes de violence armĂ©e contre les Ă©coles en HaĂŻti, notamment les fusillades, les saccages, les pillages et les enlĂšvements, se sont multipliĂ©s par neuf en un an, alors que lâinsĂ©curitĂ© grandissante et les troubles gĂ©nĂ©ralisĂ©s commencent Ă paralyser le systĂšme Ă©ducatif du pays, a averti lâUNICEF jeudi. (...) Au cours des quatre premiers mois de lâannĂ©e scolaire (dâoctobre Ă fĂ©vrier), 72 Ă©coles auraient Ă©tĂ© prises pour cible, contre huit au cours de la mĂȘme pĂ©riode lâannĂ©e derniĂšre. Le bilan comprend au moins 13 Ă©coles prises pour cible par des groupes armĂ©s, une Ă©cole incendiĂ©e, un Ă©lĂšve tuĂ© et au moins deux membres du personnel enlevĂ©s, selon les rapports des partenaires du Fonds des Nations Unies pour lâenfance. Au cours des six premiers jours du mois de fĂ©vrier, 30 Ă©coles ont Ă©tĂ© fermĂ©es en raison de la montĂ©e de la violence dans les zones urbaines, tandis que plus dâune Ă©cole sur quatre est restĂ©e fermĂ©e depuis octobre 2022 » (ONU Info : « HaĂŻti : la violence armĂ©e contre les Ă©coles multipliĂ©e par neuf en un an, selon lâUNICEF », 9 fĂ©vrier 2023).
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis
Câest dans un tel contexte de crise et de mortifĂšre dĂ©mission politique de lâĂtat face aux gangs armĂ©s que le systĂšme Ă©ducatif national haĂŻtien court le risque dâĂȘtre affligĂ© une fois de plus dâune nouvelle « rĂ©forme » Ă©ducative qui, dans son dĂ©ploiement volontariste et cosmĂ©tique, ne fera pas elle non plus lâobjet dâun bilan analytique public. Cette Ă©niĂšme « rĂ©forme » Ă©ducative a Ă©tĂ© amorcĂ©e (1) par la dĂ©cision du ministĂšre de lâĂducation nationale â en flagrante contravention avec les articles 5 et 40 de la Constitution de 1987 â, de ne financer Ă partir de lâannĂ©e acadĂ©mique 2022-2023 que les livres scolaires rĂ©digĂ©s uniquement en crĂ©ole ; (2) par la saga bĂ©gayante, les ratĂ©s prĂ©visibles et le parachutage anarchique du manuel scolaire unique rĂ©digĂ© en crĂ©ole, le LIV INIK qui, en dĂ©pit de lâappellation « livre unique », se dĂ©cline en sept versions diffĂ©rentes Ă©laborĂ©es et Ă©ditĂ©es par sept diffĂ©rentes maisons dâĂ©dition ; (3) par lâadoption dâun nouveau document de « rĂ©forme curriculaire », le « Cadre dâorientation curriculaire pour le systĂšme Ă©ducatif haĂŻtien / HaĂŻti 2054 » (voir nos articles « Financement des manuels scolaires en crĂ©ole en HaĂŻti : confusion et dĂ©magogie au plus haut niveau de lâĂtat » (Le National, 8 mars 2022) ; « Le LIV INIK AN KREYĂL et la problĂ©matique des outils didactiques en langue crĂ©ole dans lâĂcole haĂŻtienne » (entrevue exclusive avec Charles Tardieu, Directeur des Ăditions ZĂ©mĂšs et ancien ministre de lâĂducation nationale, RezonĂČdwĂšs, 13 aoĂ»t 2023) ; « LâamĂ©nagement du crĂ©ole en HaĂŻti Ă lâĂ©preuve du « Cadre dâorientation curriculaire » du ministĂšre de lâĂducation nationale » (RezonĂČdwĂšs, 27 aoĂ»t 2023).
Les remontĂ©es de terrain qui nous sont parvenus de nombreux enseignants haĂŻtiens consignent une critique de fond du LIV INIK AN KREYĂL qui, il faut encore le souligner, se dĂ©cline en sept versions diffĂ©rentes Ă©laborĂ©es et Ă©ditĂ©es par sept diffĂ©rentes maisons dâĂ©dition. Le « Cahier des charges pour lâĂ©laboration du Livre scolaire unique au premier cycle fondamental » que le ministĂšre de lâĂducation nationale a acheminĂ© aux Ă©diteurs est un document dâune grande pauvretĂ© conceptuelle et programmatique. Il consigne et privilĂ©gie les balises techniques de la fabrication matĂ©rielle du LIV INIK, il donne la prioritĂ© Ă lâobligation de respecter les « rĂšgles techniques » que chaque Ă©diteur devait suivre sâil voulait emporter lâappel dâoffre et, ce faisant, il ne consigne aucune vision didactique de lâapprentissage scolaire Ă lâaide du LIV INIK. Pire : ce document ministĂ©riel â situĂ© en amont de la production allĂ©guĂ©e de plus dâun million dâexemplaires de lâouvrage â, nâa aucunement fourni aux Ă©diteurs un modĂšle
didactique unique Ă partir duquel devait ĂȘtre Ă©laborĂ© le LIV INIK qui nâa dâ« unique », selon le propos dâun enseignant, que le titre... Il est ainsi attestĂ© que chacun des Ă©diteurs a Ă©laborĂ©, Ă partir de ses fonds de tiroir ou de ses ressources rĂ©dactionnelles internes, son propre LIV INIK qui « emprisonne » les savoirs dans un glauque « cachot » dâenviron 300 pages... Ainsi se comprend, pour une grande part, la ferme dĂ©cision de nombreux enseignants et directeurs dâĂ©coles de ne pas utiliser le LIV INIK en salle de classe. Dans tous les cas de figure, Ă lâĂ©chelle nationale les enseignants nâont pas Ă©tĂ© formĂ©s Ă lâutilisation du LIV INIK et le ministĂšre de lâĂducation nationale ne dispose pas dâune infrastructure administrative dĂ©diĂ©e au contrĂŽle de la diffusion et de lâimplantation du LIV INIK dans les Ă©coles haĂŻtiennes...
Dans lâarticle du 27 aoĂ»t 2023, nous avons fait la dĂ©monstration quâil existe un rĂ©el blocage de lâĂcole haĂŻtienne rĂ©sultant dâune contradiction majeure (de vision et de finalitĂ©s) entre le « Cadre dâorientation curriculaire pour le systĂšme Ă©ducatif haĂŻtien / HaĂŻti 2054 », un document de 70 pages, et le « Plan dĂ©cennal dâĂ©ducation et de formation 2018 â 2028 ». Il ressort de notre analyse attentive que lâĂtat haĂŻtien â trente-six ans aprĂšs la co-officialisation du crĂ©ole et du français Ă lâarticle 5 de la Constitution de 1987 â, est lourdement dĂ©missionnaire quant Ă lâobligation politique et constitutionnelle dâĂ©laborer et de mettre en oeuvre LA politique linguistique Ă©ducative nationale. La dĂ©mission de lâĂtat a de pesantes consĂ©quences sur le plan de la gouvernance du systĂšme Ă©ducatif haĂŻtien, sur celui de la didactique gĂ©nĂ©rale des matiĂšres scolaires et sur celui de la didactique du crĂ©ole langue maternelle comme sur celui du français langue seconde.
Lâun des traits communs majeurs entre le « Cadre dâorientation curriculaire pour le systĂšme Ă©ducatif haĂŻtien / HaĂŻti 2054 » et le « Plan dĂ©cennal dâĂ©ducation et de formation 2018 â 2028 » est lâabsence de lignes directrices dĂ©diĂ©es Ă la problĂ©matique de lâamĂ©nagement linguistique en lien avec la didactisation du crĂ©ole dans le systĂšme Ă©ducatif national haĂŻtien. Il faut prendre toute la mesure que la complexe et incontournable exigence de la didactisation du crĂ©ole est totalement absente de ces deux « documents stratĂ©giques » du ministĂšre de lâĂducation nationale alors mĂȘme que celui-ci prĂ©tend y avoir consignĂ© les objectifs devant « guider » lâĂcole haĂŻtienne. Ainsi, le « Cadre dâorientation curriculaire pour le systĂšme
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis Ă©ducatif haĂŻtien / HaĂŻti 2054 » expose que ce document comprend « (...) un ensemble dâorientations qui, articulĂ©es entre elles, constituent le guide stratĂ©gique du systĂšme Ă©ducatif haĂŻtien » (section 1.4.1., p. 17) », mais lâon nây trouve aucune trace de la problĂ©matique de la didactisation du crĂ©ole (voir notre article « LâĂ©chec prĂ©visible de la prochaine rĂ©forme curriculaire de lâĂcole haĂŻtienne : pistes de rĂ©flexion », RezonĂČdwĂšs, 2 octobre 2023).
Le « Cadre dâorientation curriculaire pour le systĂšme Ă©ducatif haĂŻtien / HaĂŻti 2054 » â qui nâa pas Ă©tĂ© Ă©galement rĂ©digĂ© en crĂ©ole en conformitĂ© avec les obligations de lâĂtat prĂ©vues Ă lâarticle 40 de la Constitution de 1987 â, ne comprend pas un chapitre entier dĂ©diĂ© spĂ©cifiquement Ă la didactisation du crĂ©ole et Ă lâamĂ©nagement linguistique dans le systĂšme Ă©ducatif national, alors mĂȘme que ce document, qui entend instituer une « norme » et un « guide stratĂ©gique » pour les prochaines dĂ©cennies, soutient avoir consignĂ©, sans lâĂ©laborer, « La politique linguistique dĂ©finie par le MĂNFP » (p. 40). En rĂ©alitĂ©, lâexamen attentif de ce « guide stratĂ©gique » rĂ©vĂšle que les prĂ©conisations linguistiques du « Cadre dâorientation curriculaire » figurent de maniĂšre dispersĂ©e dans plusieurs sous-chapitres, ce qui sâexplique aisĂ©ment par le fait que contrairement Ă lâaffirmation relevĂ©e Ă la page 40 sous lâĂ©tiquette « La politique linguistique dĂ©finie par le MĂNFP », cette prĂ©sumĂ©e « politique linguistique » ne constitue pas lâaxe central ou prioritaire dans la vision du ministĂšre de lâĂducation nationale.
Sur le plan historique, il est attestĂ© que les responsables administratifs et politiques du systĂšme Ă©ducatif haĂŻtien, depuis la rĂ©forme Bernard de 1979, ne parviennent toujours pas Ă formuler LA politique linguistique Ă©ducative de lâĂtat haĂŻtien â sans doute par manque de vision, par dĂ©ficit de leadership politique, par incompĂ©tence quant Ă la comprĂ©hension de la complexitĂ© de la situation linguistique haĂŻtienne, ou plus prosaĂŻquement parce que lâĂ©ducation en HaĂŻti, sous-financĂ©e dans les budgets de lâĂtat et sorte de protĂ©iforme « machine Ă cash », est « gĂ©rĂ©e » comme un secteur oĂč prĂ©domine lâappĂ©tit de la « rente financiĂšre dâĂtat », la course aux juteuses enveloppes financiĂšres de lâInternational, les combines de lâinformel Ă valeur marchande et lâamateurisme grandiloquent de la plupart des ministres de lâĂducation de ces trente derniĂšres annĂ©es.
Dans le contexte actuel oĂč prĂ©domine, Ă la haute direction du ministĂšre de lâĂducation nationale, plusieurs variantes de « populisme linguistique » apparentĂ©es au dĂ©lire catĂ©chĂ©tique des Ayatollahs du crĂ©ole ; au moment
oĂč la gouvernance du systĂšme Ă©ducatif national vogue sur la mer houleuse de lâimprovisation et affiche une grande confusion, des incohĂ©rences et des idĂ©es en pagaille sur la question de lâamĂ©nagement du crĂ©ole, il est nĂ©cessaire et indispensable que les linguistes haĂŻtiens prennent publiquement la parole et proposent â aux enseignants, aux directeurs dâĂ©coles, aux cadres du systĂšme Ă©ducatif, aux rĂ©dacteurs et Ă©diteurs de manuels scolaires â, une vision articulĂ©e, documentĂ©e et rassembleuse de lâamĂ©nagement simultanĂ©, dans lâĂcole haĂŻtienne, des deux langues de notre patrimoine linguistique historique, le crĂ©ole et le français, en lien avec lâindispensable didactisation du crĂ©ole et la modernisation de la didactique du français langue seconde. Le prĂ©sent article propose des pistes de rĂ©flexion sur lâamĂ©nagement linguistique dans lâĂcole haĂŻtienne en lien avec la didactisation du crĂ©ole.
Telle que nous lâavons exposĂ©e dans le livre collectif de rĂ©fĂ©rence « LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti : enjeux, dĂ©fis et propositions » (Ăditions de lâUniversitĂ© dâĂtat dâHaĂŻti et Ăditions du Cidihca, 2011), la notion dâamĂ©nagement linguistique sâentend au sens de lâ« Intervention dâune autoritĂ© compĂ©tente, souvent Ă©tatique, sur la gestion dâune langue, par lâĂ©laboration et lâinstauration dâune politique linguistique » (Grand dictionnaire terminologique de lâOffice quĂ©bĂ©cois de la langue française). Pour sa part, la linguiste Christiane Loubier nous enseigne, sur le registre des droits linguistiques et des dispositions linguistiques constitutionnelles, quâ« On a recensĂ© Ă lâheure actuelle des dispositions linguistiques constitutionnelles dans prĂšs de 75 % des Ătats souverains (Gauthier, Leclerc et Maurais, 1993). Le terme politique linguistique nâest pas pour autant synonyme de lĂ©gislation linguistique. Une politique linguistique peut nâĂȘtre que dĂ©claratoire. Elle peut Ă©galement ne comporter quâun ensemble de mesures administratives. Mais elle peut aussi se traduire dans une lĂ©gislation linguistique, câest-Ă -dire par un ensemble de normes juridiques (lois, rĂšglements, dĂ©crets) ayant trait expressĂ©ment Ă lâutilisation de la langue ou des langues sur un territoire donnĂ©, ou par une loi linguistique particuliĂšre qui Ă©dicte dâune maniĂšre assez exhaustive des droits et des obligations linguistiques (comme la Charte de la langue française au QuĂ©bec) » [voir Christiane Loubier : « Politiques linguistiques et droit linguistique », 2002. Source : banq.qc.ca]. Dans une autre Ă©tude, Ă la fois trĂšs ample et fort Ă©clairante, Christiane Loubier propose « (...) une dĂ©finition trĂšs gĂ©nĂ©rale de lâamĂ©nagement linguistique
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis qui peut couvrir lâensemble de ses composantes : « organisation des situations sociolinguistiques qui rĂ©sulte de lâautorĂ©gulation et de la rĂ©gulation externe de lâusage des langues au sein dâun espace social donnĂ© (Loubier, 2002) ». Sur le registre de la sociolinguistique, elle expose que « Lâintervention sociolinguistique se dĂ©finit comme lâ« ensemble des pratiques dâamĂ©nagement linguistique exercĂ©es par tout acteur social (institutionnel ou individuel) en vue dâinfluencer dĂ©libĂ©rĂ©ment lâĂ©volution dâune situation sociolinguistique donnĂ©e ». Exemples : politiques linguistiques dâĂtats ou dâentreprises, lois, dĂ©crets, rĂšglements linguistiques, programmes officiels dâamĂ©nagement lexical, graphique, phonĂ©tique, grammatical, etc. Les pratiques dâamĂ©nagement linguistique englobent les actions de plusieurs acteurs sociaux (individus, associations, groupes, organisations, institutions sociales). Lâintervention sociolinguistique nâest donc pas exclusive Ă lâĂtat, mĂȘme si ce type de pratique a des retombĂ©es importantes sur les situations sociolinguistiques (Christiane Loubier : « Fondements de lâamĂ©nagement linguistique », 2002. Source : banq.qc.ca). Cette Ă©tude de Christiane Loubier, « Fondements de lâamĂ©nagement linguistique », a Ă©tĂ© reproduite, avec son aimable autorisation, dans notre livre « Plaidoyer pour les droits linguistiques en HaĂŻti / Pledwaye pou dwa lenguistik ann Ayiti » (Ăditions ZĂ©mĂšs et Ăditions du Cidihca, 2018). Sur le versant jurilinguistique de la crĂ©olistique, cet ouvrage est la premiĂšre et la seule contribution traitant de maniĂšre spĂ©cifique des droits linguistiques en HaĂŻti.
La question de lâamĂ©nagement et de la didactisation du crĂ©ole dans le systĂšme Ă©ducatif haĂŻtien nâest pas nouvelle en HaĂŻti. « En 1898 dĂ©jĂ , Georges Sylvain [dĂ©clarait que] le jour oĂč (...) le crĂ©ole aura droit de citĂ© dans nos Ă©coles primaires, rurales et urbaines, le problĂšme de lâorganisation de notre enseignement populaire sera prĂšs dâĂȘtre rĂ©solu ». Au cours des annĂ©es 1970-1980 et par la suite, plusieurs linguistes ont fait un plaidoyer dans la perspective de lâutilisation du crĂ©ole haĂŻtien comme langue dâenseignement pour une meilleure rentabilitĂ© de lâaction Ă©ducative (Renauld Govain : « Le crĂ©ole haĂŻtien : de langue dâalphabĂ©tisation des adultes Ă langue dâenseignement », researchgate.net, 11 avril 2018.) Auparavant, dans les annĂ©es 1940, cette question a Ă©tĂ© entrevue notamment par Christian Beaulieu, compagnon de lutte de Jacques Roumain et auteur de « Pour Ă©crire le crĂ©ole » (Les Griots, 1939), et qui fut lâun des premiers, Ă cette Ă©poque, Ă rĂ©clamer lâutilisation du crĂ©ole Ă des fins
pĂ©dagogiques. De maniĂšre plus programmatique, la question de lâamĂ©nagement et de la « didactisation » du crĂ©ole dans le systĂšme Ă©ducatif haĂŻtien a Ă©tĂ© posĂ©e avec la rĂ©forme Bernard de 1979, mise en veilleuse en 1987, et qui faisait du crĂ©ole langue dâenseignement et langue enseignĂ©e. Pour mieux la situer et en saisir les enjeux, il faut dans un premier temps comprendre en quoi consiste la notion de « didactisation ».
La dĂ©finition canonique de la « didactisation » renvoie Ă un processus, Ă la mise en Ćuvre dâun dispositif comprenant plusieurs volets complĂ©mentaires et ciblant lâenseignement dâune matiĂšre, dâun corps dâidĂ©es ou dâune langue. Dans leurs travaux de recherche sur la didactique et lâenseignement des langues maternelle et seconde, des linguistes et didacticiens ont fourni dâutiles Ă©clairages sur la notion de « didactisation ». Ainsi, la linguiste-didacticienne RaphaĂ«le Fouillet lâexpose en ces termes : « En quoi consiste la didactisation ? Intuitivement, on rĂ©pond que tout acte dâenseignement suppose un objet dâenseignement mis Ă la portĂ©e de lâapprenant. Un mĂȘme savoir ne sera pas enseignĂ© de la mĂȘme façon suivant lâĂąge ou lâimportance de la discipline dans le cursus scolaire. Le mot didactisation est absent du Dictionnaire de didactique des langues (Galisson, Coste, 1976). En revanche, dans le Dictionnaire de didactique du français langue Ă©trangĂšre et seconde (Cuq, 2003 : 71), on en lit la dĂ©finition suivante : « La didactisation est lâopĂ©ration consistant Ă transformer ou Ă exploiter un document langagier brut pour en faire un objet dâenseignement. Ce processus implique gĂ©nĂ©ralement une analyse prĂ©didactique, dâessence linguistique, pour identifier ce qui peut ĂȘtre utile dâenseigner. » Cette dĂ©finition ne correspond pas Ă lâopĂ©ration de transformation supposĂ©e dans le passage dâun savoir savant Ă un savoir didactisĂ©, Ă moins que lâon considĂšre un savoir sur la langue issu de la communautĂ© scientifique comme un « document langagier brut ». DâaprĂšs Bronckart et Chiss, le terme dĂ©signe le « fait de rendre didactique, appropriĂ© Ă lâenseignement, Ă la pĂ©dagogie ». Cette dĂ©finition plus ouverte nous permet de lâappliquer au cas de la transformation du savoir savant linguistique en savoir appropriĂ© Ă lâenseignement dâune langue. On retient provisoirement que la didactisation indique un processus didactique : il concerne la mĂ©thodologie, le choix des contenus, leur organisation et les activitĂ©s proposĂ©es aux apprenants (RaphaĂ«le Fouillet : « Entre savoir savant et didactisation : le cas de lâarticle en français », Synergies France n° 122018 p. 67-83) Compte-tenu de la variĂ©tĂ© et du poids dĂ©mographique
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis des langues natives en Afrique, on notera que la dĂ©finition de la « didactisation » de Cuq (2003) est reprise, pour sa pertinence, par Diao Faye, de la FacultĂ© des Sciences et des technologies de lâĂ©ducation et de la formation, UniversitĂ© Cheikh Anta Diop de Dakar, dans le document intitulĂ© « Contributions Ă©crites et synthĂšses des ateliers du SĂ©minaire dâĂ©laboration de matĂ©riaux pĂ©dagogiques sur le thĂšme de la didactisation du patrimoine oral africain : de lâenseignement prĂ©scolaire Ă lâuniversitĂ© », Dakar, SĂ©nĂ©gal, mars 2010. Pour sa part, le linguiste haĂŻtien Renauld Govain prĂ©cise que la « didactisation » est « un processus qui sâappuie sur des procĂ©dĂ©s scientifiques (mais aussi sur des techniques particuliĂšres et contextuelles selon les caractĂ©ristiques du public cible, du milieu dans lequel lâenseignement/apprentissage doit avoir lieu, des objectifs visĂ©s, etc.) qui rendent la langue apte Ă ĂȘtre enseignĂ©e selon une dĂ©marche qui minimise les risques de fuite dus Ă une orientation alĂ©atoire du processus (...). Didactiser une langue, dans cette perspective, consistera en lâĂ©tablissement dâune sĂ©rie de dĂ©marches ou dispositifs permettant de modĂ©liser son enseignement/apprentissage en situation formelle et institutionnelle afin de maximiser lâintervention dâun facilitateur (cĂŽtĂ© enseignement) et lâactivitĂ© dâapprentissage (cĂŽtĂ© apprentissage) (Govain 2014, 14-15) » (voir Renauld Govain : « Le crĂ©ole haĂŻtien : de langue dâalphabĂ©tisation des adultes Ă langue dâenseignement » (researchgate.net, 11 avril 2018 ; voir aussi un autre article de Renauld Govain, « De lâexpression vernaculaire Ă lâĂ©laboration scientifique : le crĂ©ole haĂŻtien Ă lâĂ©preuve des reprĂ©sentations mĂ©ta-Ă©pilinguistiques » (revue Contextes et didactiques, 17 | 2021). Renauld Govain amplifie et approfondit la problĂ©matique de la didactisation du crĂ©ole dans un article de grande amplitude analytique rĂ©digĂ© en collaboration avec la linguiste Guerlande Bien-AimĂ©, « Pour une didactique du crĂ©ole haĂŻtien langue maternelle », paru dans livre collectif de rĂ©fĂ©rence « La didactisation du crĂ©ole au cĆur de lâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti », par Robert BerrouĂ«t-Oriol et alii, Ăditions ZĂ©mĂšs, Port-au-Prince, et Ăditions du Cidihca, MontrĂ©al, 2021.)
Par lâĂ©laboration dâoutils lexicographiques de grande qualitĂ© scientifique (dictionnaires, lexiques, vocabulaires spĂ©cialisĂ©s, glossaires), la lexicographie crĂ©ole saura Ă lâavenir contribuer amplement Ă la didactisation du crĂ©ole. Dans leur diversitĂ© et quant Ă leur pertinence, les futurs chantiers lexicographiques crĂ©oles fourniront Ă la didactisation du crĂ©ole un vaste Ă©ventail de termes crĂ©oles destinĂ©s Ă dĂ©nommer les rĂ©alitĂ©s, les objets,
les idĂ©es, etc. Il faut toutefois rappeler que lâapport de la lexicographie crĂ©ole ne saurait se limiter Ă la fourniture de termes Ă la didactisation du crĂ©ole : en une dĂ©marche transversale et conjointe, il sâagira dâĂ©laborer Ă lâaide des outils de la lexicographie et de la didactique « un discours crĂ©ole savant » entendu au sens de lâĂ©tablissement du « mĂ©talangage » dont a besoin le crĂ©ole pour ĂȘtre vĂ©ritablement didactisĂ©. Le « discours crĂ©ole savant » nâest pas celui des communications usuelles entre locuteurs dans la vie quotidienne, il fait plutĂŽt appel Ă une combinatoire liant les termes aux idĂ©es et aux concepts, Ă lâabstraction et aux diffĂ©rentes formes du raisonnement logique, Ă la conceptualisation et Ă la modĂ©lisation des corps dâidĂ©es. Le linguiste-lexicographe Albert Valdman Ă©claire rigoureusement la problĂ©matique du « mĂ©talangage » crĂ©ole de la maniĂšre suivante : « Le handicap le plus difficile Ă surmonter dans lâĂ©laboration dâun dictionnaire unilingue pour le CH [crĂ©ole haĂŻtien] est certainement lâabsence dâun mĂ©talangage adĂ©quat. (...) Au fur et Ă mesure que sâĂ©tend lâutilisation du CH [crĂ©ole haĂŻtien] aux domaines techniques, il se dotera dâun mĂ©talangage propre Ă traiter de concepts de plus en plus abstraits. Dans lâattente de cette Ă©volution, la lexicographie bilingue peut affiner ses mĂ©thodes, sur plusieurs points : (1) la sĂ©lection de la nomenclature, (2) le recensement des variantes et le classement diatopique, diastratique et diaphasique des lexies, et (3) le choix des exemples illustratifs (...) » (Albert Valdman : « Vers la standardisation du crĂ©ole haĂŻtien », article paru dans la Revue française de linguistique appliquĂ©e, 2005 / 1, volume X).
Les donnĂ©es parcellaires disponibles au fil des ans attestent que la rĂ©flexion des enseignants et des linguistes sur lâamĂ©nagement et la « didactisation » du crĂ©ole dans le systĂšme Ă©ducatif haĂŻtien a Ă©tĂ© abordĂ©e de maniĂšre relativement neuve mais inaboutie dĂšs le dĂ©but des annĂ©es 1970, mais elle nâa toutefois pas fait lâobjet de recherches systĂ©matiques ayant dĂ©bouchĂ© sur des articles scientifiques et une modĂ©lisation de la didactique du crĂ©ole. De la sorte, lâon peut difficilement soutenir quâil existe en HaĂŻti une pensĂ©e didactique issue de la linguistique et modĂ©lisant lâapprentissage des connaissances et des savoirs en crĂ©ole. Sous rĂ©serve dâune future Ă©valuation des outils pĂ©dagogiques Ă©laborĂ©s et utilisĂ©s par lâIPN (Institut pĂ©dagogique national) en appui Ă la rĂ©forme Bernard de 1979, on peut aujourdâhui Ă©mettre lâhypothĂšse que la « didactisation » du crĂ©ole dans le systĂšme Ă©ducatif haĂŻtien a prĂ©occupĂ© les concepteurs de cette rĂ©forme mais quâelle nâa pas nĂ©cessairement dĂ©bouchĂ© sur lâĂ©laboration dâune pensĂ©e
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis didactique modĂ©lisant lâapprentissage des connaissances et des savoirs en crĂ©ole. Ă lâappui de cette hypothĂšse, lâon retiendra la trĂšs grande raretĂ© des travaux de recherche et des publications scientifiques traitant de maniĂšre spĂ©cifique de la « didactisation » du crĂ©ole dans le systĂšme Ă©ducatif haĂŻtien. De la rĂ©forme Bernard de 1979 Ă aujourdâhui, HaĂŻti nâa publiĂ© aucun travail de recherche universitaire, aucune thĂšse de troisiĂšme cycle, aucun livre consacrĂ© â exclusivement â Ă la « didactisation » du crĂ©ole. Il faut donc prendre toute la mesure quâil y a de lourdes carences thĂ©oriques et de vision sur la « didactisation » du crĂ©ole, et cette carence perdure en dĂ©pit de lâexemplaire travail effectuĂ© par un certain nombre dâenseignants de carriĂšre dans le domaine de lâenseignement des langues en HaĂŻti.
La « didactisation » du crĂ©ole dans le systĂšme Ă©ducatif haĂŻtien demeure donc trĂšs embryonnaire depuis la rĂ©forme Bernard de 1979. Toutefois, malgrĂ© les lourdes carences thĂ©oriques et de vision constatĂ©es, elle continue de prĂ©occuper plusieurs linguistes haĂŻtiens. Ainsi, elle est explicitement Ă©voquĂ©e par le linguiste Renauld Govain en ces termes : « Le crĂ©ole est officiellement introduit Ă lâĂ©cole haĂŻtienne en 1979. Son emploi dans le systĂšme Ă©ducatif nâa pas Ă©tĂ© facile. Il souffre encore dâun problĂšme de mĂ©thodes, de mĂ©thodologies et de « didactisation ». Ce problĂšme sâest davantage accentuĂ© avec la disparition en 1991 de lâIPN [Institut pĂ©dagogique national] chargĂ© de lâĂ©laboration de matĂ©riels didactiques pour le systĂšme. Le crĂ©ole a Ă©tĂ© lâobjet de rĂ©sistance et de rĂ©actions rĂ©fractaires et conservatrices de la part de lâensemble des acteurs du systĂšme. Ces rĂ©sistances et rĂ©actions rĂ©fractaires concordent avec les reprĂ©sentations et idĂ©ologies collectives et les rĂ©sultats des actions de politique linguistique arrĂȘtĂ©es en HaĂŻti qui ne sont pas toujours en faveur de la langue. NĂ©anmoins, il a toujours Ă©tĂ© (et est) un facilitateur dans le processus dâenseignement et dâappropriation de connaissances Ă tous les niveaux. Le cycle du nouveau secondaire dont lâexpĂ©rimentation a dĂ©butĂ© en 2007 est venu prolonger lâenseignement-apprentissage de la langue sur tout le cycle scolaire. Mais la problĂ©matique de la didactique du crĂ©ole comme langue maternelle nâa pas Ă©tĂ© posĂ©e. Cela Ă©tant, on navigue encore dans des actions routiniĂšres qui ne sont pas Ă©clairĂ©es par des mĂ©thodes Ă©laborĂ©es mĂ»rement construites sur la base dâune dĂ©marche rĂ©flexive de nature Ă rĂ©duire les chances de tĂątonnement quâon constate actuellement dans lâenseignement / apprentissage du crĂ©ole Ă lâĂ©cole en HaĂŻti. »
(Renauld Govain : « LâĂ©tat des lieux du crĂ©ole dans les Ă©tablissements scolaires en HaĂŻti », Contextes et didactiques, 4, 2014.)
Lâanalyse de Renauld Govain est dâune grande pertinence et il mentionne avec Ă -propos, en ce qui a trait Ă la didactique du crĂ©ole, un « problĂšme de mĂ©thodes, de mĂ©thodologies et de « didactisation » ; et de maniĂšre prĂ©cise, il rappelle que « la problĂ©matique de la didactique du crĂ©ole comme langue maternelle nâa pas Ă©tĂ© posĂ©e » en amont et Ă la mise en Ćuvre de la rĂ©forme Bernard de 1979. La liste trĂšs partielle des publications de lâIPN (Institut pĂ©dagogique national) relevĂ©e sur le site WorldCat.org illustre ce « problĂšme de mĂ©thodes, de mĂ©thodologies et de « didactisation » et le fait que « la problĂ©matique de la didactique du crĂ©ole comme langue maternelle nâa pas Ă©tĂ© posĂ©e ».
Liste partielle des publications de lâIPN Ă©laborĂ©e au fil dâune ample recherche documentaire
â « La rĂ©forme Ă©ducative : Ă©lĂ©ments dâinformation »
Auteur : Institut pédagogique national (Haïti). Comité de curriculum.
DĂ©partement de lâĂ©ducation nationale. Direction de la planification.
Livre imprimé : publication gouvernementale nationale
Langue : français
Ăditeur : DĂ©partement de lâĂ©ducation nationale, Port-au-Prince, [1982].
â « Le crĂ©ole en question »
Auteur : Institut pédagogique national (Haïti).
Livre imprimé : publication gouvernementale nationale
Langue : français
Ăditeur : Institut pĂ©dagogique national, Port-au-Prince, HaĂŻti, [1979].
â « CrĂ©ole et enseignement primaire en HaĂŻti »
Auteur : Albert Valdman ; Institut pédagogique national (Haïti).
DĂ©partement de lâĂ©ducation nationale et Indiana University, Bloomington.
Livre imprimé : publication de conférence
Langue : français
Ăditeur : Bloomington, Indiana University, 1980.
â « Konprann sa nou li : lekti 2Ăšm ane »
Auteurs : DĂ©partement de lâĂ©ducation nationale et Institut pĂ©dagogique national (HaĂŻti).
Livre imprimé
Langue : crĂ©ole dâHaĂŻti
Ăditeur : H. Deschamps, Port-au-Prince, 1983.
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis
â « Konprann sa nou li. 3Ăšm ane »
Auteurs : DĂ©partement de lâĂ©ducation nationale et Institut pĂ©dagogique national (HaĂŻti) ;
Livre imprimé
Langue : crĂ©ole dâHaĂŻti
Ăditeur : H. Deschamps, Port-au-Prince, 1984.
â
« Konprann sa nou li : lekti katriyÚm ane : liv elÚv »
Auteurs : DĂ©partement de lâĂ©ducation nationale et Institut pĂ©dagogique national (HaĂŻti) ;
Livre imprimé
Langue : crĂ©ole dâHaĂŻti
Ăditeur : H. Deschamps, Port-au-Prince, HaĂŻti, 1986.
â « CrĂ©ole et enseignement primaire en HaĂŻti : actes »
Auteurs : Albert Valdman, Yves Joseph, Joseph C Bernard. Livre imprimé : publication de conférence, publication gouvernementale
Langue : français
Ăditeur : Indiana University et IPN, Bloomington, 1980.
â « GramĂš kreyĂČl : 4Ăšm ane : kaye elĂšv »
Auteurs : DĂ©partement de lâĂ©ducation nationale et Institut pĂ©dagogique national (HaĂŻti) ;
Livre imprimé
Langue : créole
Ăditeur : Enstiti pedagojik nasyonal, Port-au-Prince, 1986.
â « Lekti kreyĂČl : 5Ăšm ak 6Ăšm ane : liv elĂšv »
Auteurs : DĂ©partement de lâĂ©ducation nationale et Institut pĂ©dagogique national (HaĂŻti) ; Livre imprimĂ©
Langue : crĂ©ole dâHaĂŻti
Ăditeur : Depatman edikasyon nasyonal, Enstiti pedagojik nasyonal, Port-au-Prince, HaĂŻti, [1986 ?].
LâĂ©tude de Renauld Govain, « LâĂ©tat des lieux du crĂ©ole dans les Ă©tablissements scolaires en HaĂŻti », Contextes et didactiques, 4, 2014), ainsi que la consultation de la liste trĂšs partielle des publications de lâIPN montrent bien que lâintroduction du crĂ©ole dans le systĂšme Ă©ducatif haĂŻtien en 1979 nâa pas fait lâobjet dâune planification didactique spĂ©cifique, et encore moins dâĂ©tudes et de textes spĂ©cialisĂ©s sur la « didactisation » du crĂ©ole (voir nos articles « LâamĂ©nagement du crĂ©ole en HaĂŻti et la rĂ©forme Bernard de 1979 : le bilan exhaustif reste Ă faire » (Le National, 16 mars 2021), et « De lâusage du crĂ©ole dans lâapprentissage scolaire en HaĂŻti : quâen savons-nous vraiment ? », (Le National, 11 novembre 2021).
Aujourdâhui, la « didactisation » du crĂ©ole dans le systĂšme Ă©ducatif haĂŻtien nâest pas Ă lâordre du jour chez les dĂ©cideurs politiques et les administrateurs du ministĂšre de lâĂducation nationale dont la grande pauvretĂ© de la pensĂ©e linguistique est avĂ©rĂ©e (voir Ă ce sujet notre article « Un « Plan dĂ©cennal dâĂ©ducation et de formation 2018 â 2028 » en HaĂŻti dĂ©nuĂ© dâune vĂ©ritable politique linguistique Ă©ducative », Le National, 31 octobre 2018). Quarante-quatre ans aprĂšs la rĂ©forme Bernard de 1979, la « didactisation » du crĂ©ole dans le systĂšme Ă©ducatif haĂŻtien demeure encore embryonnaire et elle doit affronter des obstacles structurels majeurs, comme nous lâavons montrĂ© dans notre article, « Le dĂ©fi de lâamĂ©nagement du crĂ©ole dans le systĂšme Ă©ducatif haĂŻtien » (Le National, 8 janvier 2020). Parmi les facteurs structurels objectifs qui entravent la gĂ©nĂ©ralisation de lâutilisation du crĂ©ole comme langue dâenseignement aux cycles primaire et secondaire, il faut mentionner la rarĂ©faction du matĂ©riel didactique de qualitĂ© en crĂ©ole. Quels sont les manuels dâenseignement du crĂ©ole et en crĂ©ole actuellement disponibles sur le marchĂ© du livre scolaire ? Par qui ont-ils Ă©tĂ© rĂ©digĂ©s ? Leurs auteurs sont-ils des linguistes-didacticiens ou des enseignants ayant acquis une formation spĂ©cifique en didactique des langues ? Ces ouvrages sont-ils au prĂ©alable Ă©valuĂ©s puis recommandĂ©s et/ou normalisĂ©s ? Si oui, par qui ? Le ministĂšre de lâĂducation nationale dispose-t-il de compĂ©tences spĂ©cifiques en didactique des langues lâhabilitant Ă recommander/normaliser ces ouvrages ? En HaĂŻti, lâenseignement en langue maternelle crĂ©ole et lâenseignement de la langue maternelle crĂ©ole bute en amont Ă des obstacles majeurs : il est attestĂ© que peu dâenseignants haĂŻtiens sont dĂ©positaires dâune formation spĂ©cifique en didactique crĂ©ole. Dâautre part, il existe une lourde constante, câest lâabsence de volontĂ© politique de lâĂtat Ă intervenir dans le domaine de lâamĂ©nagement linguistique couplĂ©e Ă lâinexistence dâune politique linguistique Ă©ducative nationale issue de lâĂ©noncĂ© de la politique linguistique que lâĂtat est appelĂ© Ă Ă©laborer et Ă mettre en Ćuvre conformĂ©ment Ă la Constitution de 1987. En dehors dâune politique linguistique Ă©ducative nationale, il est peu probable que lâĂcole haĂŻtienne soit en mesure dâassurer un enseignement de qualitĂ© en crĂ©ole. Il y a lieu de rappeler que les Ă©coles haĂŻtiennes sont financĂ©es et administrĂ©es Ă hauteur de 20% par lâĂtat et Ă 80% par le secteur privĂ© national et international.
Au jour dâaujourdâhui, il appartient aux linguistes et aux didacticiens, de concert avec des enseignants de carriĂšre, de mettre sur pied le vaste chantier de la « didactisation » du crĂ©ole dans le systĂšme Ă©ducatif haĂŻtien. Il sâagira dâune entreprise Ă la fois linguistique et didactique Ă mettre en Ćuvre par la mutualisation des ressources professionnelles de la FacultĂ© de linguistique appliquĂ©e et de lâĂcole normale supĂ©rieure. LâĂ©laboration en amont dâune claire vision de la « didactisation » du crĂ©ole haĂŻtien est indispensable Ă sa mise en route dans la perspective dâune Ă©cole de qualitĂ© fondĂ©e sur le respect des droits linguistiques des locuteurs. Ă lâinstar de toutes les autres langues natives, le crĂ©ole haĂŻtien est appelĂ© Ă Ă©voluer et Ă prendre en charge la transmission des savoirs dans tous les domaines de connaissance dĂšs lors quâil est « didactisĂ© ». Volet majeur de lâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti, la « didactisation » du crĂ©ole est une donnĂ©e historique incontournable : elle est, Ă ce titre, une prioritĂ© Ă laquelle le systĂšme Ă©ducatif national ne saurait se soustraire.
De la simultanĂ©itĂ© de lâamĂ©nagement du crĂ©ole et du français en HaĂŻti : un choix de sociĂ©tĂ© conforme Ă la Constitution de 1987
Montréal, le 7 novembre 2022
Simultanéité :
« CaractĂšre de ce qui a lieu en mĂȘme temps » (Dictionnaire de lâAcadĂ©mie française) ; « Fait dâappartenir au mĂȘme acte, au mĂȘme ensemble ; fait de constituer un seul acte, un ensemble » (OrtolangDictionnaire du Centre national de ressources textuelles et lexicales de France).
Toute sociĂ©tĂ©, tout pouvoir public, toute instance rĂ©galienne qui intervient dans le domaine de lâamĂ©nagement des langues le fait Ă partir de paramĂštres historiques, dâune vision de la configuration linguistique au sein dâune communautĂ© de locuteurs ou des rapports entre plusieurs langues sur un territoire donnĂ©. Dans tous les cas de figure, il sâagit dâun choix de sociĂ©tĂ©, dâun parti-pris amĂ©nagiste oĂč sâagrĂšgent le politique, lâidĂ©ologique, le social et lâHistoire. Le rĂ©putĂ© site du sociolinguiste quĂ©bĂ©cois Jacques Leclerc, « LâamĂ©nagement linguistique dans le monde », consigne la description des « situations et politiques particuliĂšres de 400 Ătats ou territoires [ou rĂ©gions] rĂ©partis dans les 195 pays (reconnus) du monde ». Il exemplifie diffĂ©rents types de politique linguistique : politiques dâassimilation, de non-intervention, de valorisation de la langue officielle, de multilinguisme stratĂ©gique, dâinternationalisation linguistique, de bilinguisme (ou de trilinguisme), de statut juridique diffĂ©renciĂ© (fondĂ© sur les droits personnels sans limite territoriale ou sur les droits personnels territorialisĂ©s, ou sur les droits territoriaux). Lâune des grandes qualitĂ©s informatives de ce site est de prĂ©senter un descriptif des « Dispositions linguistiques des constitutions des Ătats souverains », et le lecteur curieux sera sans doute surpris de constater quâun grand nombre dâĂtats souverains ont inscrit des dispositions linguistiques diverses dans leur Loi-mĂšre,
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis de lâAfrique du Sud Ă lâAngola, dâAntigua-et-Barbuda Ă lâArgentine, du BĂ©nin au Burkina Faso, du Canada Ă la Chine, de la Dominique Ă lâEspagne, etc.
Au chapitre des « Dispositions linguistiques des constitutions des Ătats souverains », lâexemple de lâAfrique du Sud est fort instructif. Lâactuelle Constitution du 4 dĂ©cembre 1996 (entrĂ©e en vigueur le 4 fĂ©vrier 1997) dispose ce qui suit Ă lâarticle 6 :
1) Les langues officielles de la RĂ©publique sont le sepedi, le sotho, le tswana, le swati, le venda, le tsonga, lâafrikaans, lâanglais, le ndĂ©bĂ©lĂ©, le xhosa et le zoulou.
2) Reconnaissant que les langues indigĂšnes de notre peuple ont connu, par le passĂ© une utilisation et un statut amoindris, lâĂtat doit, par des mesures concrĂštes et positives, amĂ©liorer le statut et dĂ©velopper lâutilisation de ces langues.
3) Le gouvernement national et les gouvernements provinciaux peuvent utiliser lâune des langues officielles particuliĂšres Ă des fins administratives, en tenant compte de lâusage, de la faisabilitĂ©, des coĂ»ts, de la situation rĂ©gionale et en respectant lâĂ©quilibre entre les besoins et les prĂ©fĂ©rences de la population, aux niveaux national et provincial ; mais le gouvernement national et chaque gouvernement rĂ©gional doivent utiliser au moins deux langues officielles. Les municipalitĂ©s doivent prendre en considĂ©ration lâusage de la langue et des prĂ©fĂ©rences de leurs citoyens.
4) Il incombe au gouvernement national et aux gouvernements provinciaux de rĂ©glementer et de contrĂŽler, Ă travers des dispositions juridiques ou autres, lâutilisation des langues officielles. Sous rĂ©serve des dispositions du paragraphe 2, toutes les langues officielles doivent jouir dâune paritĂ© de considĂ©ration et faire lâobjet dâun traitement Ă©quitable.
5) Le Grand Conseil sud-africain des langues est chargĂ© : (a) de promouvoir et crĂ©er des conditions pour le dĂ©veloppement et lâusage de : (i) toutes les langues officielles ; (ii) des langues khoĂŻ, nama et san ; et (iii) de la langue des signes.
(b) de promouvoir et assurer le respect pour les langues, incluant lâallemand, le grec, le gudjarati, lâhindi, le portugais, le tamoul, le tĂ©lougou, lâourdou et dâautres langues gĂ©nĂ©ralement employĂ©es par des communautĂ©s en Afrique du Sud, ainsi que lâarabe, lâhĂ©breu, le sanskrit et dâautres utilisĂ©es Ă des fins religieuses. » (Jacques Leclerc : « LâamĂ©nagement linguistique dans le monde »).
En termes de synthĂšse, il est utile de noter que de telles dispositions jurilinguistiques dans la Constitution de lâAfrique du Sud sont des dispositions contraignantes car « Il incombe au gouvernement national et aux gouvernements provinciaux de rĂ©glementer et de contrĂŽler, Ă travers des dispositions juridiques ou autres, lâutilisation des langues officielles » (article 6. 4). Ă lâavenir, un bilan analytique devra permettre dâĂ©tablir si ces dispositions constitutionnelles ont Ă©tĂ© effectivement mises en Ćuvre.
La dimension juridique et constitutionnelle de lâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti a Ă©tĂ© trĂšs peu Ă©tudiĂ©e depuis la promulgation de la Constitution de 1987. Les constitutionnalistes haĂŻtiens â juristes confirmĂ©s ou « spĂ©cialistes » autoproclamĂ©s du domaine juridico-constitutionnel â, nâont pas encore produit dâĂ©tudes de rĂ©fĂ©rence sur la dimension juridique et constitutionnelle de lâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti. Ainsi, Mirlande Manigat a soutenu Ă la Sorbonne en 1968 une brillante thĂšse de doctorat en science politique â et non pas en droit constitutionnel â, intitulĂ©e « Le groupe de Brazzaville aux Nations Unies » sous la direction de Pierre Gerbet, historien et auteur notamment du « Dictionnaire historique de lâEurope unie » (Ăditions AndrĂ© Versaille, 2009). Quoique dĂ©pourvue de toute formation universitaire avĂ©rĂ©e en droit constitutionnel, Mirlande Manigat est considĂ©rĂ©e, en HaĂŻti, comme lâun des meilleurs experts constitutionnalistes du pays. Elle a publiĂ© entre autres un « TraitĂ© de droit constitutionnel haĂŻtien » (une analyse comparative des vingt-deux constitutions haĂŻtiennes, en deux volumes, lâImprimeur II, Collection de lâUniversitĂ© Quisqueya, 2000 et 2002), ainsi quâun « Manuel de droit constitutionnel » (lâImprimeur II, Collection de lâUniversitĂ© Quisqueya, 2004). Ces publications nâont pas pris en compte la problĂ©matique de la dimension juridique et constitutionnelle de lâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti. Câest plutĂŽt dans un texte du 8 mai 2011 traitant de la rĂ©vision constitutionnelle âentamĂ©e en 2009 par lâancien prĂ©sident RenĂ© PrĂ©valâ, et titrĂ© « Lâamendement de la Constitution de 1987 : les leçons du passĂ©, le poids du prĂ©sent », que Mirlande Manigat se prononce sur ce quâelle croit ĂȘtre, de maniĂšre confuse il faut le souligner, la « dualitĂ© linguistique proclamĂ©e dans la Constitution » haĂŻtienne. Au paragraphe « ProblĂšme de la langue en HaĂŻti » de son texte, elle expose que « Sâagissant dâune opĂ©ration concernant la Loi-mĂšre, on sâĂ©tonne que lâun et lâautre texte nâaient pas respectĂ© la dualitĂ© linguistique proclamĂ©e dans la Constitution ». Dans la lettre ouverte que nous lui avons adressĂ©e Ă lâĂ©poque,
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis
« Les acrobaties sĂ©mantiques de Mirlande Manigat sont un danger pour lâamĂ©nagement du crĂ©ole haĂŻtien » (Potomitan, 8 mai 2011), nous avons soulignĂ© le caractĂšre fantaisiste de la notion de « dualitĂ© linguistique » haĂŻtienne et nous avons dĂ©montrĂ© que la Constitution de 1987, en co-officialisant Ă lâarticle 5 le crĂ©ole et le français, nâatteste aucunement cette prĂ©tendue « dualitĂ© linguistique ».
En dĂ©pit de cette lourde confusion conceptuelle â la « dualitĂ© linguistique » haĂŻtienne â, lâarticle de Mirlande Manigat comprend des observations dâune Ă©vidente justesse, notamment lorsquâelle expose quâ« Il convient de souligner que lâopĂ©ration [la rĂ©vision constitutionnelle] a Ă©tĂ© substantiellement bĂąclĂ©e, remplie dâincohĂ©rence et traduit le manque de sĂ©rieux avec lequel les parlementaires ont expĂ©diĂ© la premiĂšre phase de la procĂ©dure. De toute Ă©vidence, ils nâavaient ni lu ni analysĂ© le document acheminĂ© le 4 septembre par lâExĂ©cutif et qui reprenait lâessentiel du travail soumis le 10 juillet par le Groupe de travail sur la Constitution, le GTC, prĂ©sidĂ© par mon Ă©minent ami Claude MoĂŻse et dont les membres comptent parmi les personnalitĂ©s du monde acadĂ©mique et de la sociĂ©tĂ© civile. » Elle prĂ©cise Ă©galement que « (...) lâarticle 40 [de la Constitution de 1987] fait obligation Ă lâĂtat de publier tous les documents officiels en français et en crĂ©ole. Cette omission ne frappe pas pour autant de caducitĂ© substantielle celui en examen, mais elle souligne la lĂ©gĂšretĂ© avec laquelle les dĂ©tenteurs du pouvoir dâĂtat font fi des exigences les plus Ă©lĂ©mentaires de la gouvernance normative. De maniĂšre fondamentale, il faut souligner que lâabsence dâune version crĂ©ole rendrait inopĂ©rante lâimmense majoritĂ© des dĂ©cisions exĂ©cutives et judiciaires adoptĂ©es dans le pays depuis 24 ans. De ce dernier point de vue, la question en discussion est lâacceptation dâune version unilingue. »
La rĂ©futation de la notion fantaisiste de « dualitĂ© linguistique » haĂŻtienne exposĂ©e par Mirlande Manigat prend Ă©galement appui sur dâautres acquis de nature jurilinguistique et politique mis en lumiĂšre par certains auteurs. Dans une Ă©tude dâune grande amplitude analytique, « Lingua politica / RĂ©flexions sur lâĂ©galitĂ© linguistique » (Le Philosophoire 2012/1 (n° 37), Astrid von Busekist â agrĂ©gĂ©e de science politique, professeur de thĂ©orie politique et directrice du Master de thĂ©orie politique Ă lâInstitut dâĂ©tudes politiques de Paris (Science Po Paris) â, nous instruit de la congruence (la conformitĂ©) existant entre lâĂ©galitĂ© linguistique, lâĂ©galitĂ© de statut
des langues et « lâinvention de la dĂ©mocratie » Ă lâaune de la constitution de lâĂtat de droit. Elle prĂ©cise sa pensĂ©e comme suit : « Cette Ă©galitĂ© a marquĂ© lâhistoire de notre rapport Ă la langue de trois maniĂšres en inaugurant lâĂ©galitĂ© de parole des citoyens ; en inspirant lâĂ©galitĂ© des individus-locuteurs dans un monde plurilingue ; en faisant de lâĂ©galitĂ© des langues elles-mĂȘmes une exigence de dĂ©mocratie. » Câest prĂ©cisĂ©ment « lâĂ©galitĂ© de parole des citoyens » que garantit lâarticle 5 de la Constitution de 1987 : lâĂ©galitĂ© de parole est en lien direct et essentiel avec tous les droits citoyens consignĂ©s dans la Loi-mĂšre, elle est soudĂ©e au socle de lâĂ©galitĂ© des langues et au statut officiel con-joint du crĂ©ole et du français. Sur ce registre jurilinguistique, la Constitution de 1987 innove : elle accorde un statut Ă©gal et paritaire aux deux langues tout en consignant la volontĂ© de la mise hors-jeu de la minorisation institutionnelle du crĂ©ole dĂšs lâĂ©noncĂ© de son « PrĂ©ambule ». Ainsi, la Charte fondamentale se rĂ©clame de lâActe de lâIndĂ©pendance de 1804 et de la DĂ©claration universelle des droits de lâhomme de 1948, et elle est proclamĂ©e « Pour fortifier lâunitĂ© nationale, en Ă©liminant toutes discriminations entre les populations des villes et des campagnes, par lâacceptation de la communautĂ© de langues et de culture et par la reconnaissance du droit au progrĂšs, Ă lâinformation, Ă lâĂ©ducation, Ă la santĂ©, au travail et au loisir pour tous les citoyens. »
En dĂ©pit de la trĂšs grande raretĂ© dâĂ©tudes de nature jurilinguistique sur lâamĂ©nagement des langues en HaĂŻti, nous disposons de deux remarquables Ă©tudes du juriste Alain Guillaume, docteur en droit et enseignant-chercheur Ă lâUniversitĂ© Quisqueya. La premiĂšre contribution sâintitule « Lâexpression crĂ©ole du droit : une voie pour la rĂ©duction de la fracture juridique en HaĂŻti » (Revue française de linguistique appliquĂ©e, 2011/1, vol. XVI). Dans ce texte de haute amplitude analytique, Alain Guillaume prĂ©cise que « DĂšs la naissance de lâĂtat haĂŻtien, le droit substantiel sâest rĂ©vĂ©lĂ© une superstructure au service dâun ordre social inĂ©galitaire. Conscient de lâiniquitĂ© de la situation, lâordre constitutionnel Ă©tabli en 1987 sâest voulu le catalyseur du changement nĂ©cessaire dans une perspective politiquement libĂ©rale et selon une dĂ©marche inclusive. Le projet dâamĂ©nagement linguistique quâil vĂ©hicule est trĂšs favorable au crĂ©ole dont lâofficialitĂ© et le caractĂšre de « langue dâunion » sont consacrĂ©s. Cependant, la mise en Ćuvre concrĂšte de ce projet tarde Ă se rĂ©aliser pour des raisons diverses. Elle implique en effet la disponibilitĂ© de moyens difficiles Ă mobiliser et un engagement vĂ©ritable des pouvoirs publics. Ămerge
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis donc une nouvelle dichotomie entre un droit constitutionnel libĂ©ral et des pratiques qui le sont moins, notamment au niveau de la formulation des actes normatifs infra-constitutionnels. » De maniĂšre fort pertinente, Alain Guillaune note que « La sociĂ©tĂ© haĂŻtienne est marquĂ©e par toute une sĂ©rie de dichotomies qui se manifestent au niveau du droit Ă travers un bilinguisme inĂ©galitaire et une forme particuliĂšre de bi-juridisme. LâintĂ©gration juridique de la Nation passe par lâexpression crĂ©ole du droit et la prise en compte, dans le droit Ă©crit, des normes coutumiĂšres, dĂ©marches complĂ©mentaires susceptibles dâenrichir le droit substantiel haĂŻtien, mais dont la mise en Ćuvre se rĂ©vĂšle complexe. »
La seconde contribution majeure dâAlain Guillaume a pour titre « Pour un encadrement juridique de la didactisation du crĂ©ole en HaĂŻti - Approche de droit comparĂ© », et elle figure dans le livre collectif de rĂ©fĂ©rence « La didactisation du crĂ©ole au cĆur de lâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti » (par Robert BerrouĂ«t-Oriol et al., Ăditions ZĂ©mĂšs et Ăditions du Cidihca, 2021). Dans cette Ă©tude, Alain Guillaume expose avec rigueur que « Le dispositif [lĂ©gislatif] actuel est largement insuffisant puisque les textes supra-lĂ©gislatifs, mĂȘme en vigueur, ne se suffisent pas Ă eux-mĂȘmes pour produire des effets de droit. Leur application consiste, en grande partie, en lâĂ©diction de textes infĂ©rieurs destinĂ©s Ă concrĂ©tiser leurs prescriptions. Il y a lieu, pour se conformer aux prescriptions constitutionnelles et aux revendications quâelles charrient, que soit formulĂ©e une glottopolitique intĂ©gratrice qui serait traduite par une grande lĂ©gislation linguistique et diffĂ©rentes lĂ©gislations sectorielles dont lâapplication serait assurĂ©e par des actes rĂ©glementaires. En effet, la Constitution nâest censĂ©e exprimer que les grands principes gouvernant lâaction publique. Le Pouvoir lĂ©gislatif, Ă travers les lois, est appelĂ© Ă les prĂ©ciser âquitte Ă renvoyer au Pouvoir rĂ©glementaire, Ă travers les arrĂȘtĂ©s de lâarticle 159 de la Constitution, pour la dĂ©finition des dĂ©tails de lâapplication quotidienne desdites lois. (...) La rĂ©alitĂ© sociolinguistique dâHaĂŻti ne permet pas dâen faire un Ătat-nation monolingue en niant lâexistence et lâimportance du crĂ©ole ou en le relĂ©guant dans un statut social marginal ou dans des registres strictement informels. Cette situation oblige les autoritĂ©s du pays, dans une perspective dĂ©mocratique, Ă adopter une lĂ©gislation et une politique linguistiques plus ambitieuses que dans la plupart des pays et territoires de la CrĂ©olophonie. Le cadre juridique des langues en HaĂŻti ne peut ĂȘtre quâoriginal et innovant par rapport aux Ătats et territoires des CaraĂŻbes et
de lâOcĂ©an indien, du fait de la singularitĂ© de la situation sociale haĂŻtienne. Il serait difficilement concevable, dans le contexte haĂŻtien, de viser la maitrise de la seconde langue ou dâune autre langue par la majoritĂ© de la population, sans passer par une valorisation du crĂ©ole et surtout sa didactisation. »
Le titre mĂȘme du prĂ©sent article, « De la simultanĂ©itĂ© de lâamĂ©nagement du crĂ©ole et du français en HaĂŻti : un choix de sociĂ©tĂ© conforme Ă la Constitution de 1987 », ramĂšne au dĂ©bat public la nĂ©cessitĂ© dâapprofondir, sur le plan jurilinguistique, les dĂ©fis actuels de lâĂtat haĂŻtien en matiĂšre dâamĂ©nagement de nos deux langues officielles. En confĂ©rant Ă lâarticle 5 un statut Ă©gal et paritaire aux deux langues officielles du pays, le crĂ©ole et le français, le texte constitutionnel induit lâobligation de simultanĂ©itĂ© dans la mise en Ćuvre de leur amĂ©nagement . La mĂȘme obligation constitutionnelle est explicitement contenue dans lâarticle 40 de notre Charte fondamentale qui fait obligation Ă lâĂtat de publier tous ses documents officiels en français et en crĂ©ole.
Lâobligation de simultanĂ©itĂ© dans la mise en Ćuvre de lâamĂ©nagement du crĂ©ole et du français en HaĂŻti est parfois mal comprise ou volontairement ignorĂ©e sinon dĂ©tournĂ©e par certains. Lâobligation de simultanĂ©itĂ© est fondĂ©e sur le plan jurilinguistique puisque, dans les termes mĂȘmes de lâarticle 5 de la Constitution de 1987, la co-officialitĂ© des deux langues est consignĂ©e en dehors de toute hiĂ©rarchisation prĂ©fĂ©rentielle explicite. Lâarticle 5 articule en effet deux pĂŽles constitutifs liĂ©s Ă la rĂ©alitĂ© de notre patrimoine linguistique historique bilingue : le pĂŽle intĂ©grateur de lâinclusion Ă lâaune de lâunitĂ© (« Tous les HaĂŻtiens sont unis par une langue commune : le crĂ©ole), et le pĂŽle de « lâacceptation de la communautĂ© de langues et de culture » spĂ©cifiĂ© au « PrĂ©ambule » de la Constitution. Dans le segment « lâacceptation de la communautĂ© de langues et de culture », le terme « langueS » est Ă©crit au pluriel Ă la suite du terme « LA communautĂ© » consignĂ© au singulier : lâAssemblĂ©e constituante de 1987 a procĂ©dĂ© Ă une lecture adĂ©quate et conforme de la rĂ©alitĂ© historique et trĂšs justement statuĂ© que par « lâacceptation de LA communautĂ© de langueS et de culture », sur lâensemble du territoire national « Le crĂ©ole et le français sont les langues officielles de la RĂ©publique ». Lâobligation de simultanĂ©itĂ© de lâamĂ©nagement du crĂ©ole et du français en HaĂŻti repose donc Ă©galement sur la fonction intĂ©gratrice du partenariat entre le crĂ©ole et
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis le français, partenariat qui devra ĂȘtre explicitement formulĂ© dans la future et premiĂšre Loi dâamĂ©nagement linguistique dâHaĂŻti et dans toute rĂ©vision constitutionnelle conduite sur des bases cohĂ©rentes et juridiquement fondĂ©es (voir notre article « Partenariat crĂ©ole/français â Plaidoyer pour un bilinguisme de lâĂ©quitĂ© des droits linguistiques en HaĂŻti », Le National, 7 novembre 2019). La simultanĂ©itĂ© de lâamĂ©nagement du crĂ©ole et du français en HaĂŻti, Ă travers son encadrement juridique, permettra aussi dâĂ©viter lâenfermement du processus amĂ©nagiste dans une vision sectaire et dogmatique basĂ©e sur lâexclusion de lâune des deux langues officielles, le français. Câest le lieu de dire une fois de plus que toute proposition dâamĂ©nager uniquement le crĂ©ole, en particulier dans le systĂšme Ă©ducatif national, est objectivement inconstitutionnelle et contraire Ă lâesprit et Ă la lettre de lâarticle 5 de la Constitution de 1987 (voir nos articles « Faut-il exclure le français de lâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti ? », Le National, 20 et 31 aoĂ»t 2017 ; et « LâamĂ©nagement simultanĂ© du crĂ©ole et du français en HaĂŻti, une perspective constitutionnelle et rassembleuse », Le National, 24 novembre 2020).
Il faut aussi prendre toute la mesure que notre Charte fondamentale se rĂ©clame de lâActe de lâIndĂ©pendance de 1804 et de la DĂ©claration universelle des droits de lâhomme de 1948 et quâelle a Ă©tĂ© promulguĂ©e en 1987 aprĂšs la dĂ©faite en 1986 de la dictature de Jean Claude Duvalier. Comme le prĂ©cise son « PrĂ©ambule », elle a Ă©tĂ© proclamĂ©e « Pour fortifier lâunitĂ© nationale, en Ă©liminant toutes discriminations entre les populations des villes et des campagnes, par lâacceptation de la communautĂ© de langues et de culture et par la reconnaissance du droit au progrĂšs, Ă lâinformation, Ă lâĂ©ducation, Ă la santĂ©, au travail et au loisir pour tous les citoyens ». Ce « PrĂ©ambule » situe la question linguistique haĂŻtienne dans la perspective de la construction dâun Ătat de droit car il sâagit, comme le consigne le texte constitutionnel, de « fortifier lâunitĂ© nationale, en Ă©liminant toutes discriminations entre les populations des villes et des campagnes ». Se trouve ainsi confortĂ©e la dimension inclusive de lâamĂ©nagement simultanĂ© des deux langues officielles du pays â et il faut ici mettre en lumiĂšre une contrainte anti discriminatoire de premier plan, Ă savoir que le texte constitutionnel interdit « toutes discriminations entre les populations des villes et des campagnes », au premier chef toutes les formes de discrimination touchant le crĂ©ole et le français.
Lâobligation de simultanĂ©itĂ© dans la mise en Ćuvre de lâamĂ©nagement du crĂ©ole et du français en HaĂŻti est Ă©galement conforme Ă la DĂ©claration universelle des droits linguistiques de 1996 et au Manifeste de GĂ©rone sur les droits linguistiques adoptĂ© le 13 mai 2011. Comme nous lâavons explicitĂ© dans le livre collectif de rĂ©fĂ©rence « LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti : enjeux, dĂ©fis et propositions » (par Robert BerrouĂ«t-Oriol et al., Ăditions de lâUniversitĂ© dâĂtat dâHaĂŻti et Ăditions du Cidihca, 2011), lâamĂ©nagement simultanĂ© du crĂ©ole et du français en HaĂŻti sâarrime Ă la notion fondamentale de « droits linguistiques » dans leur universalitĂ©. On entend par « droits linguistiques » lâ« Ensemble des droits fondamentaux dont disposent les membres dâune communautĂ© linguistique tels que le droit Ă lâusage privĂ© et public de leur langue, le droit Ă une prĂ©sence Ă©quitable de leur langue dans les moyens de communication et le droit dâĂȘtre accueilli dans leur langue dans les organismes officiels » (Gouvernement du QuĂ©bec, ThĂ©saurus de lâaction gouvernementale, 2017). LâuniversalitĂ© des « droits linguistiques » sâentend au sens du « droit Ă la langue », du « droit Ă la langue maternelle » et de « lâĂ©quitĂ© des droits linguistiques ». En fonction du principe que les droits linguistiques sont Ă la fois individuels et collectifs, lâuniversalitĂ© des « droits linguistiques » recouvre (1) le droit dâune communautĂ© linguistique Ă lâenseignement de sa langue maternelle et de sa culture ; (2) le droit dâune communautĂ© de locuteurs Ă une prĂ©sence Ă©quitable de sa langue maternelle et de sa culture dans les mĂ©dias ; (3) le droit pour chaque membre dâune communautĂ© linguistique de se voir rĂ©pondre dans sa propre langue dans ses relations avec les pouvoirs publics et dans les institutions socioĂ©conomiques. En lien avec la simultanĂ©itĂ© de lâamĂ©nagement du crĂ©ole et du français en HaĂŻti, lâun des enseignements essentiels de la DĂ©claration universelle des droits linguistiques de 1996 et du Manifeste de GĂ©rone sur les droits linguistiques est le caractĂšre inclusif que doit avoir tout projet dâamĂ©nagement linguistique fondĂ©, comme nous en faisons le plaidoyer depuis 2011, sur lâefficience des droits linguistiques. Pareil arrimage jurilinguistique doit ĂȘtre garant du caractĂšre nĂ©cessairement inclusif de la future politique dâĂtat dâamĂ©nagement simultanĂ© de nos deux langues officielles et il permettra de ne pas se fourvoyer sous les dĂ©combres des homĂ©lies sectaires et dogmatiques des Ayatollahs du crĂ©ole et des divers prĂ©dicateurs de lâunilinguisme crĂ©ole en HaĂŻti.
Dans une sĂ©rie dâarticles spĂ©cialisĂ©s parus sur le site de lâObservatoire international des droits linguistiques, « LâĂtat et les droits linguistiques », le juriste Graham Fraser soutient avec rigueur et hauteur de vue que « Les droits linguistiques sont plus que des moyens de protection : ce sont aussi des outils de transformation qui permettent aux citoyens (...) de fonctionner en tant que membres Ă part entiĂšre de la sociĂ©tĂ©. Ainsi, les droits linguistiques sont, Ă nâen pas douter, des droits individuels, mais ils nâacquiĂšrent leur plein sens que dans le contexte de la communautĂ© linguistique dont fait partie la personne qui les revendique. » (Revue de droit linguistique 5 / 1, 2018.) Il prĂ©cise Ă©galement que « Les droits linguistiques ne sont pas des droits nĂ©gatifs, ni des droits passifs ; ils ne peuvent ĂȘtre exercĂ©s que si les moyens en sont fournis. Cela concorde avec lâidĂ©e prĂ©conisĂ©e en droit international que la libertĂ© de choisir est dĂ©nuĂ©e de sens en lâabsence dâun devoir de lâĂtat de prendre des mesures positives pour mettre en application des garanties linguistiques (...) » â Sur la notion centrale de droits linguistiques, voir lâarticle synthĂšse du linguiste Giovanni Agresti, « Droits linguistiques », paru dans la revue Langage et sociĂ©tĂ©, 2021/HS1 (Hors-sĂ©rie pages 115 Ă 118) ; voir aussi la remarquable Ă©tude du juriste Joseph-G. Turi « Le droit linguistique et les droits linguistiques » consignĂ©e dans Les Cahiers de droit de lâUniversitĂ© Laval, volume 31, numĂ©ro 2, 1990.)
En guise de conclusion et dans la perspective dâun bilinguisme de lâĂ©quitĂ© des droits linguistiques en HaĂŻti, nous formulons lâhypothĂšse que les juristes et constitutionnalistes haĂŻtiens, de concert avec la Cour de cassation, sâaccordent pour instituer une rĂ©flexion de fond sur lâamĂ©nagement simultanĂ© du crĂ©ole et du français au pays, rĂ©flexion qui sâavĂšre aujourdâhui incontournable. Cette hypothĂšse mĂ©rite dâautant plus dâĂȘtre Ă©tudiĂ©e que la Cour de cassation est la plus haute cour de justice de la RĂ©publique dâHaĂŻti et le tribunal de dernier ressort. Elle est chargĂ©e de veiller Ă la plus stricte observation des lois en vigueur. Elle joue le rĂŽle de Conseil supĂ©rieur de la magistrature et, par exception, de Cour constitutionnelle. Ă ce titre, elle pourrait envisager dâĂ©laborer une jurisprudence innovante sur lâamĂ©nagement simultanĂ© du crĂ©ole et du français en HaĂŻti.
Le partenariat crĂ©ole-français, lâunique voie constitutionnelle et rassembleuse en HaĂŻti
Montréal, le 14 mars 2023
« Cohabitation des langues et politique linguistique / La notion de « langue partenaire » est le titre de lâouvrage publiĂ© au cours du mois de novembre 2015 par la DĂ©lĂ©gation Ă la langue française de Suisse. Cette publication de 198 pages regroupe les actes du sĂ©minaire « Le concept de âlangue partenaireâ et ses consĂ©quences pour une politique intĂ©grĂ©e du français » organisĂ© Ă ChampĂ©ry (Suisse) les 6 et 7 novembre 2014 par le rĂ©seau OPALE. Depuis plusieurs annĂ©es, le rĂ©seau OPALE regroupe les organismes francophones de politique et dâamĂ©nagement linguistiques suivants : (1) le Service de la langue française et le Conseil de la langue française et de politique linguistique de la FĂ©dĂ©ration Wallonie-Bruxelles ; (2) la DĂ©lĂ©gation gĂ©nĂ©rale Ă la langue française et aux langues de France ; (3) le Conseil supĂ©rieur de la langue française, lâOffice quĂ©bĂ©cois de la langue française et le SecrĂ©tariat Ă la politique linguistique du QuĂ©bec ; et (4) la DĂ©lĂ©gation Ă la langue française de Suisse romande. Les auteurs des contributions rĂ©unies dans ce volume proviennent de diverses rĂ©gions de la Francophonie (Belgique, CĂŽte dâIvoire, France, Gabon, QuĂ©bec, Suisse). Ils sont enseignants-chercheurs et spĂ©cialistes de diffĂ©rents domaines de la linguistique ou de domaines liĂ©s : philologie, sociolinguistique, linguistique cognitive, contact des langues, didactique des langues, sĂ©miotique, dialectologie, anthropologie linguistique, sciences de lâĂ©ducation, lexicographie francophone et politique linguistique Ă©ducative. Au cours des ans, plusieurs de ces spĂ©cialistes ont collaborĂ© avec le CIRAL (le Centre international de recherche en amĂ©nagement linguistique) et le RINT (le RĂ©seau international de nĂ©ologie et de terminologie) qui a accueilli HaĂŻti parmi ses membres en 1989.
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis
La problĂ©matique de la cohabitation des langues a Ă©tĂ© diversement Ă©tudiĂ©e par les linguistes et les sociolinguistes. Le lecteur curieux dâexplorer cette problĂ©matique pourra consulter, entre autres, les rĂ©fĂ©rences suivantes : « Les langues en contact », par Louis-Jean Calvet (La sociolinguistique, 2013) ; « Plurilinguisme, contact ou conflit de langues », par Henri Boyer (LâHarmattan, 2000) ; « Sociolinguistique des contacts de langues / Un domaine en plein essor », par Jacky Simonin et Sylvie Wharton, dans « Sociolinguistique du contact : Dictionnaire des termes et concepts » (Lyon : ENS Ăditions, 2013) ; « Contacts de langues, politiques linguistiques et formes d'intervention », par VĂ©ronique Castellotti, Daniel Coste, Diana-Lee Simon, dans « Contacts de langues » (LâHarmattan, 2003) ; Robert Chaudenson et Louis-Jean Calvet : « Les langues dans lâespace francophone : de la coexistence au partenariat », LâHarmattan, 2001.
Le livre « Cohabitation des langues et politique linguistique / La notion de « langue partenaire » consigne et fournit, au creux des sciences du langage, un Ă©clairage variĂ© sur la problĂ©matique de la cohabitation des langues et la politique linguistique en lien avec la notion centrale de langue partenaire. Sur ce registre, les prĂ©cieux enseignements quâexpose ce livre mĂ©ritent dâĂȘtre partagĂ©s avec les linguistes et les enseignants haĂŻtiens, avec les didacticiens et les rĂ©dacteurs de manuels scolaires, avec les cadres du ministĂšre de lâĂducation nationale et plus gĂ©nĂ©ralement avec tous ceux qui sâintĂ©ressent Ă la question linguistique en HaĂŻti.
La vision centrale qui sert de fil conducteur au livre « Cohabitation des langues et politique linguistique / La notion de « langue partenaire » sâarrime fortement aux sciences du langage et il est essentiel de prendre toute la mesure quâelle nâest pas un discours idĂ©ologique sur la langue. Le choix des termes « cohabitation » et « langue partenaire » du titre nâest pas fortuit, il consigne et Ă©claire le dispositif dâune rĂ©flexion de nature linguistique qui a cours parmi les linguistes Ă©tudiant le phĂ©nomĂšne de la cohabitation des langues dans la Francophonie institutionnelle, et cette rĂ©flexion privilĂ©gie le partenariat entre les langues plutĂŽt que la manichĂ©enne conception qui enferme les rapports entre les langues dans lâĂ©troit pĂ©rimĂštre de la prĂ©tendue « guerre des langues ». La linguistique en tant que science nâa jamais thĂ©orisĂ© la « supĂ©rioritĂ© » dâune langue au regard de lâ« infĂ©rioritĂ© » dâune autre langue : la science linguistique dĂ©crit les langues sur le registre de leur Ă©galitĂ© structurelle de fait et sur celui
de leur diversitĂ© non hiĂ©rarchisĂ©e. LâidĂ©e de « guerre des langues » ne relĂšve pas des sciences du langage mais plutĂŽt dâune lecture idĂ©ologique des complexes rapports entre les langues oĂč lâon confond en plein brouillard conceptuel les rapports de force dans le corps social et le rĂŽle politique, Ă©conomique et culturel que lâon fait jouer aux langues dans les luttes pour le pouvoir ou pour lâexpansion extraterritoriale dâun Ătat. Dans le champ de la rĂ©flexion sur la cohabitation des langues, il faut bien comprendre que « Pour les scientifiques qui participent Ă ce dĂ©bat, il sâagit, Ă partir dâanalyses rigoureuses, de poser de bonnes questions et dâapporter des rĂ©ponses appropriĂ©es et rĂ©alistes de nature Ă Ă©clairer lâaction politique en matiĂšre de langues. Comment faire pour sortir de la diglossie actuelle et dĂ©velopper entre le français et les langues nationales des relations apaisĂ©es et conviviales ? Comment, dans une perspective de dĂ©veloppement, organiser les lignes de partage, les circuits dâĂ©change et les possibilitĂ©s de dialogue entre toutes les langues au bĂ©nĂ©fice des gens qui les parlent et des Ătats qui les abritent ? Dans le champ fondamental de lâĂ©cole, quels nouveaux modĂšles, quelles innovations mĂ©thodologiques prĂ©coniser pour une plus grande efficacitĂ© de lâenseignement ? Puisquâil ne peut sâagir de remplacer, de façon brutale et irrationnelle, une exclusivitĂ© (celle dâune langue europĂ©enne hĂ©ritĂ©e de la colonisation) par une autre (celle des langues autochtones encore insuffisamment outillĂ©es), comment rĂ©aliser la convivialitĂ© entre les langues tout en favorisant entre elles une saine et stimulante compĂ©titivitĂ© ? » (Musanji Ngalasso-Mwatha : « Avant-propos », paru dans « Le français et les langues partenaires : convivialitĂ© et compĂ©titivitĂ© », Presses Universitaires de Bordeaux, 2014).
En ce qui a trait Ă HaĂŻti, nous postulons que la « cohabitation des langues partenaires » est une vision enracinĂ©e dans les sciences du langage et dans la Constitution de 1987 et elle est Ă©galement un dĂ©fi de sociĂ©tĂ©. Sur le plan constitutionnel en effet, cette vision est conforme Ă lâarticle 5 de notre charte fondamentale qui co-officialise le crĂ©ole et le français, et elle sâapparie au « PrĂ©ambule » du texte constitutionnel qui se lit comme suit : « Le peuple haĂŻtien proclame la prĂ©sente Constitution » (...) « Pour fortifier l'unitĂ© nationale, en Ă©liminant toutes discriminations entre les populations des villes et des campagnes, par l'acceptation de la communautĂ© de langues et de culture et par la reconnaissance du droit au progrĂšs, Ă l'information, Ă l'Ă©ducation, Ă la sante?, au travail et au loisir pour tous les citoyens » (sur les fondements constitutionnels de
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis lâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti, voir notre article « LâamĂ©nagement simultanĂ© du crĂ©ole et du français en HaĂŻti, une perspective constitutionnelle et rassembleuse », Le National, 24 novembre 2020).
EnracinĂ©e dans les sciences du langage, la vision qui se dĂ©gage du livre « Cohabitation des langues et politique linguistique / La notion de « langue partenaire » fournit un ample appareillage conceptuel permettant dâendiguer et de se libĂ©rer de lâĂ©troit carcan de lâenfermement idĂ©ologique « langue dominante/langue dominĂ©e » et de celui de la prĂ©tendue « guerre des langues ». La vision de « langue partenaire » sâoppose Ă celle du « monolinguisme de la surditĂ© historique » dĂ©fendue par les crĂ©olistes fondamentalistes, elle prend le contre-pied des errements idĂ©ologiques des Ayatollahs du crĂ©ole qui dĂ©crĂ©dibilisent le juste combat citoyen pour lâamĂ©nagement du crĂ©ole en faisant de ce combat celui dâune petite secte conflictuelle, clivante et dont la « fatwa », incantatoire et compulsive, est lancĂ©e Ă lâassaut de la « gwojemoni frankofil » dont il faudrait briser les « chaĂźnes mentales ». La « fatwa » des Ayatollahs du crĂ©ole â qui est un appel à « dĂ©chouquer » le français partout en HaĂŻti â, a une place de choix dans leur catĂ©chisme doctrinal car la langue française serait essentiellement [yon] « zam pou gwojemoni kont PĂšp Souvren an » couplĂ© Ă lâaliĂ©nant « sentĂČm gwojemoni neyokolonyal » rĂ©sultant de lâemploi de la langue française en HaĂŻti. Plusieurs observateurs ont Ă©galement notĂ© que, dans la vision des Ayatollahs du crĂ©ole, notamment dans la vision de ceux qui sont professionnellement liĂ©s Ă des institutions Ă©tats-uniennes, « zam pou gwojemoni kont PĂšp Souvren an » nâest jamais la langue anglaise. Lâanglais, selon eux, ne saurait ĂȘtre pourvoyeuse de lâaliĂ©nant « sentĂČm gwojemoni neyokolonyal », et les Ayatollahs du crĂ©ole ne se privent pas de passer sous silence le rĂŽle historique des Ătats-Unis dans la (re)configuration dâun systĂšme nĂ©ocolonial monopoliste en HaĂŻti, depuis lâOccupation amĂ©ricaine de 1915 jusquâau chaos créé par le cartel politico-mafieux du PHTK nĂ©o-duvaliĂ©riste ces onze derniĂšres annĂ©es au pays. La vision dâun partenariat novateur entre le français et dâautres langues, telle que soutenue dans le livre « Cohabitation des langues et politique linguistique / La notion de « langue partenaire », permet Ă©galement de tenir Ă distance le rachitisme de la « pensĂ©e linguistique » incantatoire des Ayatollahs du crĂ©ole guerroyant contre un prĂ©sumĂ© tsunami de « pratiques anti-crĂ©ole » : « se pratik anti kreyĂČl sa yo k ap kraze pouvwa PĂšp Souvren an »... Pour mĂ©moire, il est utile de rappeler que ce que nous dĂ©signons sous le vocable
de rachitisme de la « pensĂ©e linguistique » des Ayatollahs du crĂ©ole se caractĂ©rise principalement par lâapologie du monolinguisme crĂ©ole sectaire et dogmatique qui promeut la survenue en HaĂŻti de « Yon sĂšl lang ofisyĂšl » (« Une seule langue officielle ») et lâexpulsion du français sur lâensemble du territoire national et en particulier dans le systĂšme Ă©ducatif. Lâapologie du monolinguisme crĂ©ole est une posture inconstitutionnelle opposĂ©e Ă lâarticle 5 de la Constitution de 1987 et Ă la DĂ©claration universelle des droits linguistiques de 1996, et elle est au centre du rachitisme de la « pensĂ©e linguistique » des Ayatollahs du crĂ©ole. Il y a lieu de noter que le rachitisme de la « pensĂ©e linguistique » des Ayatollahs du crĂ©ole est attestĂ© sur plusieurs registres de la maniĂšre suivante :
1. La nĂ©gation du caractĂšre bilingue crĂ©ole-français du patrimoine linguistique historique dâHaĂŻti et la promotion du monolinguisme crĂ©ole qui passe, entre autres, par lâinstitution dâune apostolique « fatwa » lancĂ©e aux trousses des hĂ©rĂ©tiques [k] « ap plede ankouraje pratik anti-kreyĂČl mi wo mi ba ».
2. Le rejet de toute vision de partenariat entre le créole et le français, celui-ci étant stigmatisé au titre de « langue du colon », de « gwojemoni frankofil » et de « francofolie ».
3. Lâabsence dâune rĂ©flexion analytique sur la lexicographie crĂ©ole et la production dâoutils lexicographiques (dictionnaires et lexiques) conformes Ă la mĂ©thodologie de la lexicographie professionnelle.
4. Lâabsence dâune rĂ©flexion analytique sur la terminologie crĂ©ole et la production dâoutils terminologiques (dictionnaires et vocabulaires thĂ©matiques) conformes Ă la mĂ©thodologie de la terminologie.
5. Lâabsence dâune rĂ©flexion analytique sur la didactique et la didactisation du crĂ©ole et la production dâoutils didactiques de qualitĂ© en crĂ©ole.
6. Lâabsence dâune rĂ©flexion analytique sur la constitutionnalitĂ© de lâamĂ©nagement simultanĂ© du crĂ©ole et du français Ă lâĂ©chelle nationale et singuliĂšrement dans le systĂšme Ă©ducatif haĂŻtien.
7. Lâabsence dâune rĂ©flexion analytique et de propositions en vue de lâĂ©laboration de la premiĂšre Loi de politique linguistique Ă©ducative devant garantir et encadrer lâamĂ©nagement du crĂ©ole dans le systĂšme Ă©ducatif haĂŻtien.
8. Lâabsence dâune rĂ©flexion analytique et de propositions en vue de la formation et la certification en didactique des langues des enseignants de crĂ©ole.
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis
Lâexamen attentif des positions catĂ©chĂ©tiques des Ayatollahs du crĂ©ole confirme que leur brĂ©viaire populiste est un obstacle Ă lâamĂ©nagement du crĂ©ole : partant du juste principe de la nĂ©cessitĂ© dâinstituer lâapprentissage scolaire en langue maternelle crĂ©ole, les crĂ©olistes fondamentalistes se rĂ©vĂšlent en effet incapables de proposer une vision rassembleuse de lâamĂ©nagement du crĂ©ole dans le systĂšme Ă©ducatif haĂŻtien. Par exemple, ils se sont prĂ©cipitĂ©s pour applaudir hasardeusement une rĂ©cente et bancale dĂ©cision du ministĂšre de lâĂducation nationale â abusivement qualifiĂ©e de « journĂ©e historique » â, de ne subventionner que les manuels scolaires rĂ©digĂ©s en crĂ©ole, mais ils se rĂ©vĂšlent incapables de poser les bases dâune compĂ©tente rĂ©flexion sur la didactique spĂ©cifique du crĂ©ole dans le processus dâapprentissage scolaire en langue maternelle crĂ©ole. Autre exemple : depuis la co-officialisation du crĂ©ole et du français dans la Constitution de 1987, les Ayatollahs du crĂ©ole nâont proposĂ© aucun cadre analytique et pragmatique sur lâimportant volet de la didactisation du crĂ©ole alors mĂȘme quâil est avĂ©rĂ© quâen dehors de cette indispensable didactisation lâapprentissage scolaire en langue maternelle crĂ©ole demeure lourdement handicapĂ© (sur la didactisation du crĂ©ole, voir le livre collectif de rĂ©fĂ©rence « La didactisation du crĂ©ole au cĆur de lâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti », par Robert BerrouĂ«t-Oriol et al., Ăditions ZĂ©mĂšs et Ăditions du Cidihca, 2021). TroisiĂšme exemple : lorsquâun certain prĂ©dicateur du « monolinguisme de la surditĂ© historique » sâaventure, en dehors de la moindre compĂ©tence avĂ©rĂ©e en lexicographie crĂ©ole, Ă produire un lexique anglais-crĂ©ole, lâon aboutit Ă une tapageuse arnaque lexicographique et Ă la promotion dâun erratique « modĂšle » lexicographique de type Wikipedia inconnu en lexicographie professionnelle (voir notre article « Le naufrage de la lexicographie crĂ©ole au MIT Haiti Initiative » (Le National, 15 fĂ©vrier 2022). Il est ainsi attestĂ© que le « bruitage compulsif » et la « cacophonie apostolique » rĂ©pĂ©titive des Ayatollahs du crĂ©ole appauvrissent en boucle le dĂ©bat dâidĂ©es sur le crĂ©ole et le fait rĂ©gresser au niveau dâun « strabisme populiste » et dâun vain et vaniteux « combat de coqs ». Sur ce registre, les prĂ©cieux enseignements de lâouvrage « Cohabitation des langues et politique linguistique / La notion de « langue partenaire » peuvent servir de pare-feu Ă lâenfermement de la rĂ©flexion citoyenne sur lâamĂ©nagement du crĂ©ole en HaĂŻti.
Les prĂ©cieux enseignements de lâouvrage « Cohabitation des langues et politique linguistique / La notion de « langue partenaire »
En plus de lâ« Introduction », ce volume comprend 9 contributions Ă©laborĂ©es par des enseignants-chercheurs et spĂ©cialistes de diffĂ©rents domaines de la linguistique ou de domaines liĂ©s. Voici les titres de leurs contributions :
1. « Que peut ĂȘtre un partenariat entre langues ? Lâexemple des langues romanes », par Jean-Marie Klinkenberg.
2. « La langue partenaire : régimes politico-linguistiques », par Raphael Berthele.
3. « La mĂ©taphore des « langues partenaires », ou les langues vues par lâĂtat », par Valelia Muni Toke.
4. « Du concept de partenariat aux politiques linguistiques et éducatives en Afrique francophone », par Auguste Moussirou-Mouyama.
5. « Lâanglais, dâune langue menaçante Ă une langue partenaire », par Conrad Ouellon.
6. « Le francoprovençal et le français : partenaires ? », par Raphaël Maßtre.
7. « Le partenariat vécu entre le français et les langues locales en milieu scolaire ivoirien », par Koia Jean-Martial Kouamé.
8. « Un partenariat inscrit sur le territoire. Les langues autochtones dans la toponymie du Québec », par Robert Vézina.
9. « La communauté germanophone de Belgique, un cadre propice au développement du français comme langue partenaire », par Isabelle Delnooz.
La lecture de chacune des neuf contributions de ce volume est enrichissante et lâune dâelles a particuliĂšrement retenu notre attention : « Du concept de partenariat aux politiques linguistiques et Ă©ducatives en Afrique francophone » (pages 77 Ă 88), par Auguste Moussirou-Mouyama (UniversitĂ© Omar Bongo, Gabon). Mais avant dâexplorer les principaux enseignements de cette Ă©tude, il est utile de situer la notion de « langues partenaires » qui sert de fil conducteur Ă lâensemble des articles du livre « Cohabitation des langues et politique linguistique / La notion de « langue partenaire ».
Apparue pour la premiÚre fois au Sommet de la Francophonie de Québec en 1987, la notion de « langues partenaires » a été critiquée par certains analystes qui y ont trouvé des relents de « chauvinisme linguistique » et
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis
dâ« ethnicisation de la francitĂ© » au motif que le partenariat entre les langues aurait Ă©tĂ© initialement conçu pour calibrer les rapports entre les langues vĂ©hiculaires ou nationales avec la langue française vue et instituĂ©e comme langue de la centralitĂ© dans son Ă©talement politico-historique hĂ©gĂ©monique au dĂ©triment des langues de la « pĂ©riphĂ©rie ». Câest ce que rappellent deux des contributeurs du livre, Auguste Moussirou-Mouyama, ainsi que Jean-Marie Klinkenberg (UniversitĂ© de LiĂšge, Belgique). Celui-ci note avec pertinence quâ« Un examen critique de la notion de « langue partenaire » ne pourra faire lâimpasse sur une description des conditions historiques qui ont abouti Ă la dĂ©ïŹnir. (...) ; la notion âon ne sâavancera pas Ă dire « le concept »â est nĂ©e dans le cadre de la rĂ©ïŹexion politique menĂ©e par la Francophonie institutionnelle, et elle reste Ă©troitement associĂ©e Ă ce cadre francophone. (...) On peut aussi constater que, dans ce cadre francophone, la notion semble de facto ne se voir reconnaitre de pertinence que lorsquâil sâagit dâĂ©voquer les relations du français avec les langues des pays du Sud, que ces langues soient nationales, vĂ©hiculaires ou transfrontaliĂšres » (Jean-Marie Klinkenberg : « Que peut ĂȘtre un partenariat entre langues ? Lâexemple des langues romanes », op. cit, page 21 et suivantes). Citant Calvet et Chaudenson [« CrĂ©oles français et variĂ©tĂ©s de français », Lâinformation grammaticale / 89, 2001] « lorsquâils placent le partenariat sur un vecteur qui, partant de la pluralitĂ© langagiĂšre, passe par la coexistence », Jean-Marie Klinkenberg conceptualise la notion de « langues partenaires » sur le mode de la « polycentration des langues » : « le partenariat est un instrument dâintervention », « un objectif, un programme ». Lâemploi de lâexpression « polycentration des langues » comme trait dĂ©finitoire majeur des « langues partenaires » permet dâopĂ©rer un renversement radical de la perspective vĂ©hiculĂ©e depuis le Sommet de la Francophonie de QuĂ©bec en 1987, qui Ă©tait celle dâune « matrice linguistique centrale », le français, et de ses « expansions », les langues nationales et vĂ©hiculaires des pays du Sud. (Sur le plan Ă©tymologique le terme « polycentration » comprend le prĂ©fixe uninotionnel « poly » provenant du grec ÏολáœșÏ Â« polus », signifiant nombreux et indiquant la multiplicitĂ© » sans indication dâune quelconque hiĂ©rarchisation (Le Larousse.) Ă lâaune de la « polycentration des langues », il nây a donc plus UN centre et DES pĂ©riphĂ©ries linguistiques : le sens rassembleur de la notion de « langues partenaires » recouvre dĂ©sormais, sur le plan scientifique, la reconnaissance de lâĂ©galitĂ© entre les langues et leurs locuteurs, et, sur le plan juridique et politique, la nĂ©cessitĂ© dâinscrire cette Ă©galitĂ© dans la jurisprudence des Ătats et lâobligation dâinstituer
la rĂ©ciprocitĂ© dans les Ă©changes linguistiques entre partenaires. Câest dâailleurs lâorientation prise par les instances dĂ©cisionnelles de la Francophonie institutionnelle qui, Ă lâinstar de lâUNESCO, plaident depuis plusieurs annĂ©es pour la diversitĂ© linguistique et culturelle et lâusage planifiĂ© et encadrĂ© de la langue maternelle dans lâapprentissage scolaire. DĂ©sormais, avec la perspective de lâinstitutionnalisation des « langues partenaires », nous sommes loin dâune vision essentialiste et ethnocentrĂ©e de la Francophonie aujourdâhui dĂ©pouillĂ©e des tares originelles que lui prĂȘtaient ses dĂ©tracteurs, Ă savoir les appĂ©tits hĂ©gĂ©moniques franco-français et les relents dâun nĂ©o-colonialisme Ă peine dĂ©guisĂ© chez certains nostalgiques dâune prĂ©tendue « mission civilisatrice » du français... Lâune des inscriptions et des expressions de la diversitĂ© linguistique et culturelle dont il est question ici est la rĂ©cente mise en ligne sur Internet du monumental « Dictionnaire des francophones » qui rassemble les termes en usage dans toutes les aires gĂ©ographiques oĂč est employĂ© le français, y compris HaĂŻti (voir notre article « Le DDF, « Dictionnaire des francophones », un monumental rĂ©pertoire lexicographique de 400 000 termes et expressions accessible gratuitement sur Internet », Le National, 24 mars 2021).
Dans le contexte haĂŻtien, la rĂ©flexion analytique sur le partenariat entre le crĂ©ole et le français doit sâouvrir Ă lâinterrogation critique de plusieurs variantes du catĂ©chisme incantatoire des Ayatollahs du crĂ©ole. Ce catĂ©chisme incantatoire colporte entre autres lâidĂ©e que lâ« hĂ©gĂ©monie linguistique » â le ci-devant « gwojemoni frankofil » et lâaliĂ©nant « sentĂČm gwojemoni neyokolonyal » â, sont une spĂ©cialitĂ© exclusive de lâ« impĂ©rialisme français » et des institutions de la Francophonie institutionnelle. Cette idĂ©e, rachitique sur le plan historique, Ă©vacue la problĂ©matique de la complexitĂ© des langues en contact ainsi que la nĂ©cessitĂ© dâanalyser correctement les rapports de domination Ă©conomique, culturelle et politique qui ne sont pas le fait des langues en soi mais qui relĂšvent plutĂŽt du rĂŽle impĂ©rial que lâon attribue Ă telle ou telle langue en situation de conquĂȘte. Ainsi, il sera sans doute utile, Ă lâavenir, dâexplorer lâhypothĂšse de lâexistence de formes diversifiĂ©es de partenariat linguistique Ă lâĆuvre dans les aires gĂ©ographiques non francophones. Dans une Ă©tude fort originale, « ModĂšles de gouvernance des politiques linguistiques » (Conseil supĂ©rieur de la langue française, QuĂ©bec, mars 2018), Julie BĂ©rubĂ© rĂ©pertorie les « Organismes regroupant plus dâun Ătat autour dâune langue ou de la notion de langue » pour le nĂ©erlandais, le basque, lâespagnol, le Conseil
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis de lâEurope, les organismes linguistiques de lâUnion africaine et les organismes linguistiques des pays baltes. Les Ătats nĂ©erlandophones, y compris ceux de la CaraĂŻbe, sont regroupĂ©s au sein de lâUnion de la langue nĂ©erlandaise (Nederlandse Taalunie, en nĂ©erlandais), créée en 1980 par les Pays-Bas et la CommunautĂ© flamande de Belgique. La gouvernance linguistique basque relĂšve de deux organismes, soit lâAcadĂ©mie de la langue basque (Euskaltzaindia, en basque) situĂ©e en Espagne, et lâOffice public de la langue basque, situĂ© en France. FondĂ©e Ă Mexico en 1951, lâAssociation des acadĂ©mies de langue espagnole (AsociaciĂłn de Academias de la lengua española (ASALE, en espagnol) regroupe 23 acadĂ©mies des AmĂ©riques, dâEspagne, des Philippines et de GuinĂ©e Ă©quatoriale. LâASALE est Ă lâorigine de la fondation de lâĂcole de lexicographie hispanique (Escuela de lexicografia hispĂĄnica, en espagnol), créée en 2001 dans le but de former des experts en lexicographie espagnole venant des diffĂ©rents pays hispanophones. En ce qui a trait Ă lâAfrique, il y a lieu de signaler lâexistence de deux instances panafricaines de gouvernance linguistique au sein de lâUnion africaine (qui regroupe 54 Ătats membres), soit lâAcadĂ©mie africaine des langues (lâACALAN, créée en 2006) et le Centre dâĂ©tudes linguistiques et historiques par tradition orale (le CELHTO), qui se consacre depuis 1963 Ă la collecte des traditions orales et Ă la promotion des langues africaines.
« Du concept de partenariat aux politiques linguistiques et Ă©ducatives en Afrique francophone » dâAuguste Moussirou-Mouyama
La contribution dâAuguste Moussirou-Mouyama dans lâouvrage « Cohabitation des langues et politique linguistique / La notion de « langue partenaire » consigne une analyse de premier plan, elle interroge lâhistoricitĂ© du concept de partenariat linguistique au regard des pratiques Ă©ducatives dans les aires francophones de lâAfrique. Auguste Moussirou-Mouyama est lâauteur par ailleurs de lâĂ©tude « Les enjeux de la nouvelle politique linguistique du Gabon : de lâexception francophone au rĂ©ceptacle des langues » parue dans le livre « Le français et les langues partenaires : convivialitĂ© et compĂ©titivitĂ© » (Presses universitaires de Bordeaux, 2014). Dans lâarticle « Du concept de partenariat aux politiques linguistiques et Ă©ducatives en Afrique francophone », lâauteur expose que le partenariat linguistique permet « de sortir de la francophonie entendue comme « ethnicisation » de la francitĂ© (...) et dâaller au cĆur des problĂšmes de
la modernisation de lâAfrique francophone : Ă©ducation, dĂ©mocratie et Ătat de droit qui fondent, au quotidien, lâaction citoyenne dâagents sociaux libres et autonomes » (op. cit, page 77). Il situe, dans le prolongement des Ătats gĂ©nĂ©raux de lâenseignement du français en Afrique subsaharienne francophone tenus Ă Libreville en 2003, la mise en route en 2008 du projet LASCOLAF (« Langues de scolarisation en Afrique francophone subsaharienne » qui donnera naissance Ă lâinitiative ELAN-Afrique (« Ăcole et langues en Afrique francophone »). Lâauteur prĂ©cise que ELAN-Afrique « vise Ă amĂ©liorer les politiques publiques dâĂ©ducation et de formation en plaçant la question linguistique au cĆur de sa problĂ©matique, notamment Ă travers lâanalyse et lâĂ©valuation de lâarticulation entre langues du terroir et langues internationales. » Lâune des originalitĂ©s de la contribution dâAuguste Moussirou-Mouyama est prĂ©cisĂ©ment lâarticulation quâil institue entre « lâĂ©cole, le partenariat entre les langues et la francophonie comme communautĂ© de pratique » en Afrique au liant dâune vision citoyenne du partenariat linguistique. Ainsi, il prĂ©cise que « La question linguistique est insĂ©parable, dans le contexte africain, Ă la fois de la question didactique et de ce que lâon nomme « questions de dĂ©veloppement » (principalement lâaccĂšs aux soins de santĂ©, Ă lâĂ©ducation, Ă un emploi). Elle contribue ainsi à « dĂ©finir ou thĂ©matiser la notion de partenariat au-delĂ de la reconnaissance du fait que la langue française nâest pas seule » au sein de lâespace francophone » (op cit, page 81). La vision des « langues partenaires » de lâauteur cible Ă dessein ce quâil appelle « la communautĂ© de pratique », soit un maillage institutionnel mettant en Ćuvre « un dĂ©veloppement mutuel », « une entreprise commune » et « un rĂ©pertoire partagĂ© ».
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti au creux de la vision des « langues partenaires »
Sur le registre de lâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti en lien avec la vision des « langues partenaires », les enseignements de lâouvrage « Cohabitation des langues et politique linguistique / La notion de « langue partenaire » sont de premiĂšre importance.
1. Ces enseignements exposent avec clartĂ© la nĂ©cessitĂ© de dĂ©passer la vulgate improductive « langue dominante / langue dominĂ©e » et celle dâune pseudo « guerre des langues », tout en tenant compte que sur le plan historique lâĂtat haĂŻtien a consacrĂ© de facto un usage dominant de la langue française couplĂ© Ă la minorisation
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institutionnelle du crĂ©ole. Ce constat se donne Ă lire dans les diffĂ©rents textes constitutionnels, de la Constitution de 1805 Ă celle de 1983, et il a fallu attendre la promulgation de la Constitution de 1987 pour que le crĂ©ole, Ă lâarticle 5 de notre charte fondamentale, accĂšde au statut de langue co-officielle aux cĂŽtĂ©s du français.
2. Dans le cas dâHaĂŻti, le futur statut de langues partenaires entre le crĂ©ole et le français est fondĂ© au plan constitutionnel (articles 5 et 40 de la Constitution de 1987) et ce partenariat linguistique prend Ă©galement appui sur le « PrĂ©ambule » du texte constitutionnel qui stipule que « Le peuple haĂŻtien proclame la prĂ©sente Constitution (...) Pour fortifier l'unitĂ© nationale, en Ă©liminant toutes discriminations entre les populations des villes et des campagnes, par l'acceptation de la communautĂ© de langues et de culture et par la reconnaissance du droit au progrĂšs, Ă l'information, Ă l'Ă©ducation, Ă la santĂ©, au travail et au loisir pour tous les citoyens ».
3. Le futur statut de langues partenaires entre le crĂ©ole et le français sâĂ©nonce en amont au titre dâun choix politique de sociĂ©tĂ© qui interpelle la volontĂ© politique de lâĂtat. Pareil choix politique de sociĂ©tĂ© devra sâarticuler Ă la protection juridique du « bilinguisme de lâĂ©quitĂ© des droits linguistiques » et inscrire les droits linguistiques de tous les locuteurs haĂŻtiens sur le registre des droits citoyens fondamentaux (voir notre livre « Plaidoyer pour les droits linguistiques en HaĂŻti / Pledwaye pou dwa lengwistik ann Ayiti » (Ăditions ZĂ©mĂšs et Ăditions du Cidihca, 2018).
4. La vision du partenariat entre les langues implique en amont un fort maillage de la volontĂ© politique de lâĂtat avec la nĂ©cessitĂ© dâun encadrement juridique et institutionnel de lâĂ©galitĂ© entre les langues en prĂ©sence sur un territoire donnĂ©. Cette dimension dâencadrement juridique et institutionnel du partenariat entre les langues doit ĂȘtre bien comprise et correctement instituĂ©e en HaĂŻti : alors mĂȘme que lâarticle 5 de la Constitution de 1987 consigne la co-officialisation des deux langues de notre patrimoine linguistique historique, le crĂ©ole et le français, lâĂtat haĂŻtien nâa toujours pas lĂ©gifĂ©rĂ© afin dâassurer, par les attributions dâun texte de loi contraignant et des rĂšglements dâapplication, lâĂ©galitĂ© rĂ©elle et mesurable entre nos deux langues officielles âlâarticle 40 du texte constitutionnel indique la voie Ă suivre, mais de 1987 Ă nos jours il est systĂ©matiquement violĂ© par lâĂtat.
5. En mettant en Ćuvre la vision des « langues partenaires » crĂ©ole/ français, lâĂtat haĂŻtien devra fournir un cadre lĂ©gislatif contraignant Ă lâamĂ©nagement du crĂ©ole dans le systĂšme Ă©ducatif national couplĂ© Ă une complĂšte et innovante redĂ©finition de lâapprentissage du français langue seconde. Ce cadre lĂ©gislatif contraignant devra ĂȘtre formulĂ© dans la premiĂšre « Loi de politique linguistique Ă©ducative » de lâĂtat haĂŻtien et il fournira les balises dâune compĂ©tente didactique du crĂ©ole langue maternelle et du français langue seconde. La future
et premiĂšre « Loi de politique linguistique Ă©ducative » de lâĂtat haĂŻtien permettra aussi de dĂ©passer le rĂ©citatif incantatoire et chĂ©tif de la « poursuite » allĂ©guĂ©e sinon fantasmĂ©e de la rĂ©forme Bernard de 1987 â rĂ©forme qui nâa toujours pas fait lâobjet dâun bilan analytique par une institution nationale haĂŻtienne.
6. La mise en Ćuvre de la vision des « langues partenaires » crĂ©ole/français qui promeut lâĂ©galitĂ© entre les langues contribuera Ă©galement Ă combattre le phĂ©nomĂšne de lâinsĂ©curitĂ© linguistique et de la dĂ©valorisation du crĂ©ole au plan institutionnel et dans lâimaginaire des locuteurs crĂ©olophones.
Pour rĂ©sumer : du point de vue de lâamĂ©nagement linguistique, le partenariat entre les langues est dĂ©fini comme Ă©tant le dispositif par lequel lâĂtat intervient dans un contexte de langues en contact pour en prĂ©ciser les champs de cohabitation, de complĂ©mentaritĂ©, de coopĂ©ration fonctionnelle et dâenrichissement mutuel. Le partenariat entre les langues est donc un dispositif institutionnel, un processus par lequel lâĂtat dĂ©finit le statut et le rĂŽle des langues en prĂ©sence dans un territoire donnĂ© et fixe les paramĂštres de sa politique linguistique dans les relations avec ses administrĂ©s, dans lâAdministration publique et dans le champ Ă©ducatif. La plupart des chercheurs en amĂ©nagement linguistique posent, de façon cohĂ©rente, que le partenariat linguistique est un instrument dâintervention ordonnĂ©e de lâĂtat dans la vie des langues, et cette intervention est destinĂ©e Ă insuffler une nouvelle dynamique entre les langues en contact visant lâatteinte des objectifs de la politique linguistique dâĂtat. Il sâagira pour lâĂtat haĂŻtien, dans le cadre de lâĂ©noncĂ© de la politique linguistique nationale quâil est appelĂ© Ă Ă©laborer et Ă mettre en Ćuvre, de fixer le dispositif de partenariat linguistique entre nos deux langues officielles. Ce dispositif consignera le statut et le rĂŽle de chacune des deux langues selon lâexigence de la paritĂ© statutaire constitutionnelle entre le crĂ©ole et le français. Il accordera une place prioritaire Ă lâamĂ©nagement du crĂ©ole dans le systĂšme Ă©ducatif national et dans lâAdministration publique. En ce qui a trait au systĂšme Ă©ducatif national, il sâagira dâĂ©laborer et de mettre en Ćuvre une vĂ©ritable politique linguistique Ă©ducative fondĂ©e sur les droits linguistiques. Le dispositif de partenariat linguistique entre nos deux langues officielles devra aussi fixer les paramĂštres dâune didactique compĂ©tente du crĂ©ole, dâune didactique renouvelĂ©e du français ainsi que de la didactique convergente crĂ©ole-français.
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis
En guise de conclusion, il est utile de rappeler la dĂ©finition de la notion de « politique linguistique » exposĂ©e dans notre livre « Plaidoyer pour les droits linguistiques en HaĂŻti / Pledwaye pou dwa lengwistik ann Ayiti » (Ăditions ZĂ©mĂšs et Ăditions du Cidihca, 2018).
« Une politique linguistique [comprend] un ensemble de dĂ©cisions qui peuvent se prendre Ă plusieurs niveaux de lâorganisation sociale : Ătat, entreprise, organisation, groupe, etc. Elle se rĂ©fĂšre Ă lâ« ensemble des orientations, implicites ou explicites, prises par une autoritĂ© politique, ou par dâautres acteurs sociaux, ayant pour but ou pour effet de rĂ©gir lâusage des langues au sein dâespace social donnĂ© » (Christiane Loubier : « Fondements de lâamĂ©nagement linguistique », Office quĂ©bĂ©cois de la langue française, 2002).
« Une politique linguistique peut comprendre des Ă©lĂ©ments relatifs au statut des langues visĂ©es, câest-Ă -dire Ă leur reconnaissance comme langues officielles, langues nationales, etc., et Ă leur usage respectif dans diffĂ©rents champs (Administration publique, commerce, affaires, travail, enseignement), ou, de maniĂšre plus large, aux droits linguistiques fondamentaux des citoyens ou des communautĂ©s de locuteurs (droits collectifs dâune minoritĂ© de locuteurs, par exemple). Une politique linguistique peut Ă©galement comprendre des Ă©lĂ©ments touchant le code de la langue, câestĂ -dire son dĂ©veloppement interne (norme, modernisation du vocabulaire, ou rĂ©forme de lâorthographe par exemple). Dans de nombreux cas, il peut y avoir interdĂ©pendance entre le statut et le code dâune langue. Pour atteindre un statut dĂ©terminĂ©, une langue doit ĂȘtre outillĂ©e afin dâĂȘtre apte Ă remplir les fonctions que lâon souhaite lui assigner. Câest la raison pour laquelle il existe de nombreux cas de politiques linguistiques incluant les deux volets » (Louis-Jean Rousseau : « Ălaboration et mise en Ćuvre des politiques linguistiques », Cahiers du RIFAL, CommunautĂ© française de Belgique, no 26, 2007.)
LâamĂ©nagement linguistique en HaĂŻti Textes choisis
Ăditions ZĂ©mĂšs S.A. & Ăditions du Cidihhca
AchevĂ© dâimprimer 3e trimestre 2024