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L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti Textes choisis

« AmĂ©nagementCollectionlinguistique »

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti

Textes choisis

éditions zémÚs

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti

Textes choisis

Illustration de la page couverture : tableau Rara, de Gérard Valcin 1982

Conception, couverture et mise en page : Jacky Russo

© Éditions ZĂ©mĂšs S.A. & Éditions du Cidihca bonjour@editionszemes.com

ISBN : 978-99935-41-18-9

Stock : LIT-177-324

DĂ©pĂŽt lĂ©gal, BibliothĂšque nationale d’HaĂŻti : 23-09-352

PrĂ©sentation de la nouvelle Collection « AmĂ©nagement linguistique » des Éditions ZĂ©mĂšs

6

1

Le bilinguisme de l’équitĂ© des droits linguistiques en HaĂŻti : fondements constitutionnels et politique linguistique d’état

Montréal, le 14 juillet 2024

2

L’amĂ©nagement du crĂ©ole en HaĂŻti aux cĂŽtĂ©s du français et en conformitĂ© avec la Constitution de 1987 : promouvoir un dĂ©bat rigoureux et rassembleur

Montréal, le 4 décembre 2023

3

Le « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl -fransĂš français -crĂ©ole », un outil d’apprentissage de haute qualitĂ© scientifique pour l’École haĂŻtienne

Montréal, le 21 juin 2024

4

Konprann sa leksikografi kreyĂČl la ye, kote l sĂČti, kote l prale, ki misyon li dwe akonpli

Monreyal, 18 me 2024

5

La lexicographie créole en Haïti : retour -synthÚse sur ses origines historiques, sa méthodologie et ses défis contemporains

Montréal, le 11 décembre 2023

6

10

98

La problĂ©matique de l’amĂ©nagement et de la didactisation du crĂ©ole dans l’École haĂŻtienne : promouvoir une vision rassembleuse

Montréal, le 17 novembre 2023

7

119

De la simultanĂ©itĂ© de l’amĂ©nagement du crĂ©ole et du français en HaĂŻti : un choix de sociĂ©tĂ© conforme Ă  la Constitution de 1987

Montréal, le 7 novembre 2022

8

Le partenariat crĂ©ole -français, l’unique voie constitutionnelle et rassembleuse en HaĂŻti

Montréal, le 14 mars 2023

133

143

Présentation de la nouvelle Collection

« AmĂ©nagement linguistique » des Éditions ZĂ©mĂšs

Au terme d’une ample rĂ©flexion, les Éditions ZĂ©mĂšs sont particuliĂšrement fiĂšres d’annoncer la crĂ©ation de la « Collection AMÉNAGEMENT LINGUISTIQUE ». Cette nouvelle collection vient combler un vide puisque, sur le marchĂ© du livre haĂŻtien, il n’y avait pas encore une collection dĂ©diĂ©e de maniĂšre spĂ©cifique Ă  la problĂ©matique de l’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti. Cette collection, qui n’est pas seulement destinĂ©e aux seuls linguistes, innove Ă©galement sur le registre de la diffusion grand public puisqu’elle s’adresse Ă  des lectorats divers et entend leur apporter des ouvrages de rĂ©fĂ©rence dans les diffĂ©rents champs de l’amĂ©nagement des deux langues de notre patrimoine linguistique historique, le crĂ©ole et le français. Les objectifs de cette collection sont les suivants :

Objectifs de la « Collection AMÉNAGEMENT LINGUISTIQUE »

‱ ProcĂ©der Ă  l’inventaire d’articles divers (Ă©tudes scientifiques, enquĂȘtes de terrain, textes de vulgarisation grand public) portant sur l’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti et portant Ă©galement sur des sujets liĂ©s Ă  l’amĂ©nagement linguistique (dictionnairique, lexicographie françaiscrĂ©ole, lexicographie anglais-crĂ©ole, lexicographie crĂ©ole, didactique et didactisation du crĂ©ole, jurilinguistique).

‱ Assurer une ample diffusion/rediffusion des textes rĂ©pertoriĂ©s auprĂšs de lectorats divers (enseignants, Ă©tudiants, directeurs d’écoles, rĂ©dacteurs de manuels scolaires, cadres du ministĂšre de l’Éducation nationale, etc.).

‱ Contribuer par leur diffusion Ă©largie Ă  une meilleure connaissance des articles produits par des chercheurs reconnus et par des jeunes chercheurs formĂ©s dans les universitĂ©s haĂŻtiennes et ailleurs.

‱ Promouvoir une meilleure comprĂ©hension de la problĂ©matique de l’amĂ©nagement des deux langues officielles d’HaĂŻti conformĂ©ment Ă  la Constitution de 1987. Contribuer Ă  la promotion d’une vision consensuelle et rassembleuse de l’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti. Le bilinguisme de l'Ă©quitĂ© des droits linguistiques en HaĂŻti : fondements constitutionnels et politique linguistique d'État.

La politique Ă©ditoriale de la « Collection AMÉNAGEMENT LINGUISTIQUE » s’inscrit tout naturellement dans le prolongement de la politique du livre Ă©ducatif qui caractĂ©rise les Éditions ZĂ©mĂšs depuis ses dĂ©buts.

Politique Ă©ditoriale de la Collection AMÉNAGEMENT LINGUISTIQUE

La politique Ă©ditoriale de la « Collection AMÉNAGEMENT LINGUISTIQUE » s’énonce en deux sĂ©quences liĂ©es. D’une part rassembler des textes divers au titre de documents de rĂ©fĂ©rence et de rĂ©flexion sur l’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti. D’autre part permettre Ă  des lectorats divers de revisiter ces textes dans le but de contribuer Ă  bĂątir un consensus national sur l’amĂ©nagement des deux langues officielles d’HaĂŻti conformĂ©ment Ă  la Constitution de 1987. Les textes de la « Collection AMÉNAGEMENT LINGUISTIQUE » sont publiĂ©s en français et/ou en crĂ©ole.

La Collection accueillera Ă  l’occasion des textes rĂ©digĂ©s en anglais ou en espagnol et, autant que faire se peut, ces textes seront offerts en traduction crĂ©ole et française.

Modalités opérationnelles

La direction Ă©ditoriale et administrative de la « Collection AMÉNAGEMENT LINGUISTIQUE » dĂ©termine les thĂšmes et les modalitĂ©s d’élaboration de chacune des publications : (1) publications thĂ©matiques ; (2) publications Ă  sujets variĂ©s ; (3) publications de linguistes spĂ©cialistes de l’amĂ©nagement linguistique de pays tiers (QuĂ©bec-Canada, Maroc, Cameroun, Île Maurice, etc.). La direction Ă©ditoriale et administrative de la « Collection AMÉNAGEMENT LINGUISTIQUE » pourra conclure des ententes ponctuelles avec une institution nationale en vue de la prĂ©paration d’une publication thĂ©matique. À titre d’exemple, une entente ponctuelle pourra ĂȘtre conclue avec la FacultĂ© de linguistique appliquĂ©e

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis de l’UniversitĂ© d’État d’HaĂŻti pour l’élaboration d’une publication ciblant

L’histoire de la graphie des crĂ©oles Ă  base lexicale française ou dĂ©diĂ©e Ă  L'histoire de la lexicographie crĂ©ole de 1958 Ă  2024.

Le secrĂ©tariat de la Collection AMÉNAGEMENT LINGUISTIQUE

se trouve au siÚge social :

Éditions ZĂ©mĂšs

3, rue de la PépiniÚre

FrÚres (Pétion-Ville)

HaĂŻti

Courriel : bonjour@editionszemes.com

La « Collection AMÉNAGEMENT LINGUISTIQUE », dans un esprit de dialogue constructif, sera ouverte aux Ă©changes avec ses lecteurs.

Bonne lecture,

Charles Tardieu, Ph.D. Directeur

1Le bilinguisme de l’équitĂ© des droits linguistiques en HaĂŻti : fondements constitutionnels et politique linguistique d’état

Montréal, le 14 juillet 2024

« (...) nous n’avons pas Ă  hiĂ©rarchiser les langues entre elles, bien au contraire. Nous devons ĂȘtre riches, concrĂštement ou poĂ©tiquement, de toutes les langues du monde. Aucune langue ne peut s’épanouir seule, il lui faut le concert des autres langues qu’elle invoque, qu’elle accueille et respecte. (...) il nous faut abandonner l’imaginaire monolingue des colonialistes, pour tendre vers un imaginaire multi-trans-linguistique, qui n’a rien Ă  voir avec une facultĂ© polyglotte, mais qui tend vers le dĂ©sir-imaginant de toutes les langues du monde, qu’on les connaisse ou non. » – (« Nous devons ĂȘtre riches de toutes les langues du monde », par Patrick Chamoiseau, Le Courrier de l’UNESCO, 20 juin 2024)

L’idĂ©e d’élaborer le prĂ©sent article provient en partie de la lecture d’un avis public paru dans l’édition du 9 juillet 2024 du journal Le National et elle est en lien avec la publication antĂ©rieure en HaĂŻti d’un livre mort-nĂ© traitant du statut du crĂ©ole. RĂ©digĂ© uniquement en français, l’avis public paru en page onze du National est fort intĂ©ressant. Il s’énonce comme suit : « URGENCES ! Au regard de la conjoncture, Le National et la Radio TĂ©lĂ© Pacific lancent un appel Ă  l’action pour adresser [sic] les points suivants : 01) Établissement d’un climat de sĂ©curitĂ© durable / 02) AmĂ©lioration des conditions de vie de la population / 03) Mise en place du CEP / 04) RĂ©vision constitutionnelle / 05) Organisation des Ă©lections pour le retour Ă  l’ordre constitutionnel / Le pays n’en peut plus ! ». Par-delĂ  le caractĂšre manifestement kafkaĂŻen et erratique de cet Ă©noncĂ©, le fait qu’il soit rĂ©digĂ© uniquement en français alors mĂȘme qu’il s’agit d’un avis public induit un questionnement sur l’unilinguisme institutionnel de facto que l’on observe en HaĂŻti dans diffĂ©rents contextes d’interlocution. L’unilinguisme institutionnel renvoie Ă  l’usage hĂ©gĂ©monique du français instituĂ©

en HaĂŻti dĂšs le 1er janvier 1804 : il consiste en l’institution par les PĂšres de la patrie de l’usage exclusif et dominant du français dans l’administration de l’État dĂšs sa fondation. Dans ce contexte l’unilinguisme institutionnel dĂ©signe, sur le plan historique, l’ensemble des pratiques linguistiques administratives implicites mais gĂ©nĂ©ralisĂ©es du nouvel État dont l’Acte d’indĂ©pendance a Ă©tĂ© rĂ©digĂ© uniquement en français. La rĂ©volution anti-esclavagiste et anticolonialiste victorieuse de 1804 avait en effet investi les sphĂšres militaire et politique mais –par l’adoption implicite du français comme langue de l’administration du nouvel État–, elle a confĂ©rĂ© Ă  la langue crĂ©ole, tĂŽt refoulĂ©e dans les mornes, le statut de langue soumise Ă  une explicite minorisation institutionnelle. Pareille minorisation institutionnelle a confĂ©rĂ© au crĂ©ole les attributions de l’invisibilitĂ© institutionnelle en faisant de cette langue la grande absente de la gestion des domaines relevant des prĂ©rogatives rĂ©galiennes de l’État. Sur ce registre, l’hypothĂšse que nous avançons et qui devrait ĂȘtre, souhaitons-le, examinĂ©e de prĂšs par les historiens de concert avec les linguistes est la suivante : Ă  la proclamation de l’IndĂ©pendance le 1er janvier 1804, HaĂŻti est tributaire de deux « rĂ©gimes linguistiques » diffĂ©rents mais liĂ©s : d’une part l’unilinguisme institutionnel francophone de facto et, d’autre part, l’unilinguisme non institutionnel des crĂ©olophones locuteurs majoritaires dans le nouvel État. La minorisation institutionnelle du crĂ©ole couplĂ©e Ă  l’usage dominant du français remonte donc aux premiers pas du nouvel État en 1804, et l’invisibilisation institutionnelle du crĂ©ole s’est depuis lors Ă©tendue et consolidĂ©e dans la totalitĂ© du corps social haĂŻtien. Cette configuration bipolaire de facto caractĂ©risera pour l’essentiel la situation linguistique d’HaĂŻti jusqu’en 1987, annĂ©e de l’adoption de la nouvelle Constitution qui accorde aux deux langues de notre patrimoine linguistique historique, le crĂ©ole et le français, le statut de langues co-officielles.

Il y a quelques annĂ©es, un Ă©diteur, parĂ© des vertus curatives de la catĂ©chĂ©tique mais lourdement dĂ©pourvu des lumiĂšres des sciences du langage, a cru pouvoir faire Ă©cole en publiant aventureusement un livre intitulĂ© « Yon sĂšl lang ofisyĂšl » (Éditions Kopivit / l’Action sociale, 2018). D’une grande pauvretĂ© argumentative et intellectuelle, ce livre Ă©numĂšre moult sourates en une profession de foi dont la qualitĂ© premiĂšre est de dĂ©fier la moindre rigueur analytique au fil de ses 317 pages. À mi-chemin entre le catĂ©chisme d’autrefois et la lodyans contemporaine, « Yon sĂšl lang ofisyĂšl » toupille, tournoie, pirouette, claudique, virevolte et prĂȘche d’abondance

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis

le monolinguisme crĂ©ole. Il est attestĂ© que cet ouvrage a connu un vĂ©ritable « flop » et, mis Ă  part l’accueil complaisant d’un journaliste officiant sur les terres encombrĂ©es du plus ancien quotidien d’HaĂŻti, il est passĂ© inaperçu. Le constat est unanime : comme frappĂ© d’une salutaire mutitĂ©, le livre, dont l’auteur est l’éditeur GĂ©rard-Marie Tardieu, n’a guĂšre retenu l’attention des linguistes et des enseignants et, de maniĂšre plus essentielle, il n’a Ă  aucun moment contribuĂ© Ă  Ă©clairer et Ă  enrichir la rĂ©flexion sur l’amĂ©nagement du crĂ©ole Ă  l’échelle du pays tout entier.

Si nous avons choisi de rappeler dans le prĂ©sent article l’acrobatique et chĂ©tive saga du livre « Yon sĂšl lang ofisyĂšl », ce n’est certainement pas en raison d’un appareillage argumentatif crĂ©dible dont il est pesamment dĂ©pourvu, ni pour dĂ©broussailler les herbes folles recouvrant le caveau d’un livre chu depuis 2018 dans les plissures de l’oubli. Nous avons choisi de cibler ponctuellement son Ă©phĂ©mĂšre apparition sur les radars du dĂ©bat d’idĂ©es parce que –sur les registres de l’unilinguisme institutionnel francophone de facto et de l’unilinguisme non institutionnel des crĂ©olophones –, ce livre tĂ©moigne de la perduration de l’« idĂ©ologie linguistique haĂŻtienne ». Celle-ci a Ă©tĂ© auscultĂ©e de maniĂšre fort pertinente par le sociolinguiste et sociodidacticien Bartholy Pierre Louis et elle continue de se manifester sur le terreau encore fertile du confusionnisme et de l’essentialisme linguistique crĂ©olophile qui, en enfermant le crĂ©ole dans une sorte de mantra itĂ©ratif, en a fait un totem identitaire Ă  gĂ©omĂ©trie variable et dont certains attendent en vain d’illusoires miracles. Ancien Ă©tudiant de la FacultĂ© de linguistique appliquĂ©e de l’UniversitĂ© d’État d’HaĂŻti, Bartholy Pierre Louis est l’auteur d’une brillante thĂšse de doctorat soutenue avec succĂšs en 2015 Ă  l’UniversitĂ© de Rennes 2, « Quelle autogestion des pratiques sociolinguistiques haĂŻtiennes dans les interactions verbales scolaires et extrascolaires en HaĂŻti ? : une approche sociodidactique de la pluralitĂ© linguistique ». Il explore au chapitre 4.3.1.3 de sa thĂšse (page 201 et suivantes), « L’idĂ©ologie linguistique haĂŻtienne : pour ou contre le français ? ». Ses observations de terrain et son analyse permettent de mieux comprendre ce qu’il nomme trĂšs justement « l’idĂ©ologie linguistique haĂŻtienne » qui se caractĂ©rise, pour l’essentiel, par la primautĂ© des poncifs de l’idĂ©ologie sur l’analyse basĂ©e sur les sciences du langage. « L’idĂ©ologie linguistique haĂŻtienne » est vĂ©hiculĂ©e principalement par des locuteurs bilingues français-crĂ©ole promoteurs d’un monolinguisme crĂ©ole sectaire et dogmatique qui, tout en tournant le dos Ă 

la Constitution de 1987, militent pour la survenue en HaĂŻti de « Yon sĂšl lang ofisyĂšl » (« Une seule langue officielle ») et cette vision inconstitutionnelle traduit, surtout, le rachitisme de la « pensĂ©e linguistique » des crĂ©olistes fondamentalistes et des Ayatollahs du crĂ©ole... NOTE – Sur l’essentialisme en linguistique, sur le discours unitariste ou discours essentialiste, « qui vise Ă  rendre monolithique aux consciences ce qui n’est objectivement qu’un conglomĂ©rat de variĂ©tĂ©s linguistiques », voir Pierre Frath (UniversitĂ© de Reims Champagne-Ardenne), « Introduction : en finir avec l’essentialisme en linguistique... », supplĂ©ment Ă  la Zeitschrift fĂŒr Französische Sprache und Literatur, 1er Colloque Res per Nomen (UniversitĂ© de Reims Champagne-Ardenne, mai 2007). Voir aussi IrĂšne Rosier, « Combats contre l’essentialisme », paru dans PersĂ©e / Histoire ÉpistĂ©mologie Langage, (36-2) 2014. Voir Ă©galement Jean-Marie Klinkenberg, « La conception essentialiste du français et ses consĂ©quences. RĂ©flexions polĂ©miques » (Revue belge de Philologie et d’Histoire, 79-3, 2001).

La problĂ©matique du monolinguisme crĂ©ole sectaire et dogmatique, en lien avec l’unilinguisme institutionnel francophone de facto et l’unilinguisme non institutionnel des crĂ©olophones, a tĂŽt Ă©tĂ© explorĂ©e par le poĂšte Georges Castera Fils dans son livre « KonbĂšlann » publiĂ© en 1976 Ă  MontrĂ©al aux Éditions Nouvelle optique. Il y lieu de le lire avec la meilleure attention : « Nan pati sa-a nou rĂ©lĂ© ANEKS 2-a, n-ap konsidĂ©rĂ© litĂ©rati kreĂ©yĂČl-la an rapĂČ ak litĂ©rati ti-boujoua ki ap Ă©kri an kreyĂČl-yo. Min nou pa-p limitĂ© pouin sa-a a intelĂ©ktuĂšl fanatik kreyĂČl-la, ni a sa yo rĂ©lĂ© « litĂ©rati krĂ©yĂČl-la ». PaskĂ© pa gin oun litĂ©rati krĂ©yĂČl ako un litĂ©rati fransĂ© lan fĂČmasyon sosyal ayisyĂšn-la. Gin oun litĂ©rati « ayisyĂšn » lit dĂ© klas-la travĂšsĂ©. InpĂČtans yo bay kĂ©syon litĂ©rati-a an jĂ©nĂ©ral, plis inpĂČtans kĂ©syon litĂ©rati krĂ©yĂČl-la pou intĂ©lĂ©ktuĂšl ti-boujoua-yo, sĂ© rĂ©zon ki fĂš nou tĂ© ouĂš nĂ©sĂ©sitĂ© Ă©kri AnĂšks 2-a. KĂ©syon litĂ©rati krĂ©yĂČl la, yo pa kapab konsidĂ©rĂ©-l tankou oun progrĂ© deskĂ© litĂ©rati sa-a Ă©kri an krĂ©yĂČl. Sa pa gin sans. Bagay sa-a, sĂ© oun pouin-d vi rĂ©yaksyonĂ© ki pa ouĂš oun lang sĂ© oun mouayin pou tout kalitĂ© lidĂ© pran la ri, kit idĂ©-yo rĂ©yaksyonĂš, kit idĂ©-yo progrĂ©sis. N-ap raplĂ© tout idĂ© sĂ© idĂ© dĂ© klas yo yĂ©. (...) lĂ©ktĂš-yo fĂšt pou konprann ki jan lĂš oun problĂšm mal li pĂšmĂšt tout kalitĂ© dĂ©magoji. Younn lan dĂ©magoji sa-yo sĂ© : « krĂ©yĂČl lang pĂšp », « fransĂ© sĂ© lang boujoua ». Pou nou kit litĂ©rati-a an kreyĂČl, kit li an fransĂ©, li gin oun karaktĂš de klas ki indĂ©pandan dĂ© afĂš lang-lan ».

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis

Par l’article publiĂ© le 31 juillet 2017 dans Le National, « Le monolinguisme crĂ©ole est-il une utopie ? », nous avons levĂ© le voile sur les mirages du monolinguisme en revisitant les prĂ©cieux enseignements d’Édouard Glissant. Dialoguant avec le philosophe Jacques Derrida – auteur, entre autres, de « De la grammatologie » (Éditions de Minuit, 1967) et de « Le monolinguisme de l’autre ou la prothĂšse d’origine » (Éditions GalilĂ©e, 1996) –, le romancier et philosophe martiniquais Édouard Glissant nous enseigne qu’« On ne peut plus Ă©crire son paysage ni Ă©crire sa propre langue de maniĂšre monolingue. Par consĂ©quent, les gens qui, comme par exemple les AmĂ©ricains, les États-Uniens, n’imaginent pas la problĂ©matique des langues, n’imaginent mĂȘme pas le monde. Certains dĂ©fenseurs du crĂ©ole sont complĂštement fermĂ©s Ă  cette problĂ©matique. Ils veulent dĂ©fendre le crĂ©ole de maniĂšre monolingue, Ă  la maniĂšre de ceux qui les ont opprimĂ©s linguistiquement. Ils hĂ©ritent de ce monolinguisme sectaire et ils dĂ©fendent leur langue Ă  mon avis d’une mauvaise maniĂšre. Ma position sur la question est qu’on ne sauvera pas une langue dans un pays en laissant tomber les autres. » (« L’imaginaire des langues : entretien avec Édouard Glissant », par Lise Gauvin ; paru dans « L’AmĂ©rique entre les langues », revue Études françaises volume 28, numĂ©ros 2-3, automne–hiver 1992.)

Trente-deux ans aprĂšs, en un Ă©cho plus contemporain Ă  la rĂ©flexion d’Édouard Glissant, le romancier et essayiste martiniquais Patrick Chamoiseau expose lui aussi, avec hauteur de vue, que « Nous devons ĂȘtre riches de toutes les langues du monde ». Autrement dit, « (...) nous n’avons pas Ă  hiĂ©rarchiser les langues entre elles, bien au contraire. Nous devons ĂȘtre riches, concrĂštement ou poĂ©tiquement, de toutes les langues du monde. Aucune langue ne peut s’épanouir seule, il lui faut le concert des autres langues qu’elle invoque, qu’elle accueille et respecte. (...) il nous faut abandonner l’imaginaire monolingue des colonialistes, pour tendre vers un imaginaire multi-trans-linguistique, qui n’a rien Ă  voir avec une facultĂ© polyglotte, mais qui tend vers le dĂ©sir-imaginant de toutes les langues du monde, qu’on les connaisse ou non. Avec un tel imaginaire aucune langue ne saurait ĂȘtre en mesure d’en dominer d’autres, et aucune langue ne serait menacĂ©e quelque part sans un Ă©lan protecteur planĂ©taire. Cela pose bien des exigences en termes d’éducation et d’action culturelle. En ce qui concerne l’écriture, l’imaginaire multi-trans-linguistique appelle Ă  la maĂźtrise d’un langage. Le langage est une prise de possession

de toute langue : une autoritĂ©. Il n’est pas dans la dĂ©fense ou dans l’illustration d’une langue quelconque, mais dans un processus d’élargissement de chaque mot, de chaque phrase, de chaque sens, de chaque image, pour qu’elles puissent appeler, signaler, invoquer, le possible des autres langues du monde. Le langage brise l’orgueil des langues, leur sacralisation acadĂ©micienne, pour les ouvrir Ă  leurs insuffisances, Ă  leurs indicibles, au trouble de leur propre dĂ©route, et les forcer Ă  dĂ©sirer ainsi la prĂ©sence d’autres langues autour d’elles. L’écrivain irlandais James Joyce disait souvent : « Je suis allĂ© jusqu’au bout de l’anglais ! » Le poĂšte et romancier martiniquais Édouard Glissant affirmait : « J’écris en prĂ©sence de toutes les langues du monde » (source : « Patrick Chamoiseau – Nous devons ĂȘtre riches de toutes les langues du monde », Le Courrier de l’UNESCO, 20 juin 2024).

La seconde hypothĂšse que nous avançons et qui devrait ĂȘtre, souhaitons-le, examinĂ©e de prĂšs par les historiens de concert avec les linguistes est la suivante : l’unilinguisme non institutionnel des crĂ©olophones devrait-il accĂ©der au statut de politique linguistique d’État et ainsi constituer une rĂ©ponse Ă  l’unilinguisme institutionnel de facto que l’on observe en HaĂŻti dans diffĂ©rents contextes d’interlocution ?

Des Ă©lĂ©ments de rĂ©ponse Ă  ce questionnement majeur se trouvent dans notre article titrĂ© « Le crĂ©ole, “seule langue officielle” d’HaĂŻti : mirage ou vaine utopie ? » (Le National, 7 juin 2018). Cet article atteste la continuitĂ© de notre rĂ©flexion sur ce que nous appelons le « monolinguisme de la surditĂ© historique » : « Certains prĂ©dicateurs crĂ©olophiles assument que la dĂ©fense du crĂ©ole doit obligatoirement se faire sur le mode de l’exclusion d’une autre langue – le français, langue co-officielle depuis 1987. Sectaire et dogmatique, cette posture d’exclusion revient Ă  nier le caractĂšre historiquement constituĂ© de notre patrimoine linguistique bilingue (voir lĂ -dessus nos articles « Le patrimoine linguistique bilingue d’HaĂŻti : promouvoir une vision rassembleuse » (Le National, 25 mai 2018), et « Faut-il exclure le français de l’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti ? » (Le National, 20 aoĂ»t 2017). Cette illusoire posture d’exclusion de la langue française au nom du « monolinguisme de la surditĂ© historique » a autrefois Ă©tĂ© dĂ©fendue dans la plus grande confusion thĂ©orique par le linguiste Yves Dejean (1927-2018) dans l’article « FransĂ© sĂ© danjĂ© », (revue SĂšl, n° 23-24 ; n° 33-39, New York, 1975) et Ă©galement dans sa pĂ©tition « Rebati » (12 juin 2010). EnfermĂ© dans la « bulle idĂ©ologique » du rĂ©visionnisme historique,

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis

Yves Dejean assĂšne dans cette pĂ©tition qu’« Il faut tirer les consĂ©quences du fait qu’HaĂŻti est un pays essentiellement monolingue. HaĂŻti est des plus monolingues des pays monolingues ». Pareille imposture, prĂ©sentĂ©e comme une « thĂ©orie » sinon une doxa, doit ĂȘtre mise en perspective par l’étude des divers apports issus des travaux de terrain rĂ©alisĂ©s par des linguistes de premier plan qui ont procĂ©dĂ© Ă  l’analyse de diffĂ©rents aspects de la situation linguistique haĂŻtienne. L’échantillon de rĂ©fĂ©rences documentaires ci-aprĂšs en fournit une adĂ©quate illustration.

1 Pompilus, Pradel (1958) : Lexique crĂ©ole-français – ThĂšse complĂ©mentaire, Éditions de l’UniversitĂ© de Paris.

2 Pompilus, Pradel (1973, 1976) : Contribution Ă  l’étude comparĂ©e du français et du crĂ©ole, volume I, phonologie et lexique ; volume II, morphosyntaxe, Éditions CaribĂ©ennes.

3 Pompilus, Pradel (1981) : La langue française en HaĂŻti », Éditions Fardin.

4 Govain, Renauld (2022) : La question linguistique haĂŻtienne : histoire, usages et description . Document post-doctoral en vue de l’« Habilitation Ă  diriger des recherches » (HDR) en sciences du langage, UniversitĂ© Paris VIII, 1er premier juin.

5 Govain, Renauld (2009) : Plurilinguisme, pratique du français et appropriation de connaissances en contexte universitaire en HaĂŻti. ThĂšse de doctorat de l’UniversitĂ© Paris VIII.

6 Govain, Renauld (2013) : Enseignement du crĂ©ole Ă  l’école en HaĂŻti : entre pratiques didactiques, contextes linguistiques et rĂ©alitĂ©s de terrain, in FrĂ©dĂ©ric Anciaux, Thomas Forissier et Lambert-FĂ©lix : voir Prudent (dir.), Contextualisations didactiques. Approches thĂ©oriques, Paris, L’Harmattan.

7 Govain, Renauld (2014) : L’état des lieux du crĂ©ole dans les Ă©tablissements scolaires en HaĂŻti , revue Contextes et didactiques, 4.

8 Govain, Renauld (sous la direction de) (2018) : Le crĂ©ole haĂŻtien : description et analyse, Paris, Éditions L’Harmattan.

9 Govain, Renauld (2020a) : Le français haïtien et le "français commun" : normes, regards, représentations, revue Altre Modernità / Autres modernités, Università degli Studi di Milano, Italie.

10 Govain, Renauld (2021) : Enseignement/apprentissage formel du crĂ©ole Ă  l’école en HaĂŻti : un parcours Ă  construire, revue Kreolistika, mars.

11 Govain, Renauld (sous la direction de) (2021) : La francophonie haïtienne et la francophonie internationale : apports d’Haïti et du français haïtien. JEBCA Éditions.

12 Govain, Renauld (2021) : Pour une didactique du crĂ©ole langue maternelle, article paru dans le livre collectif de rĂ©fĂ©rence « La didactisation du crĂ©ole au cƓur de l’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti », par BerrouĂ«t-Oriol et al., Éditions ZĂ©mĂšs et Éditions du Cidihca.

13 MolÚs Paul : Les modalités du futur en créole haïtien. ThÚse de doctorat, Université Paris 8, février 2021.

14 MolĂšs Paul : Pou yon lengwistik ayisyen, revue RechĂšch etid kreyĂČl numĂ©ro 1, 2022.

15 ThĂ©lusma, Fortenel (2018) : Le crĂ©ole haĂŻtien dans la tourmente / Faits probants, analyse et perspectives. C3 Éditions.

16 ThĂ©lusma, Fortenel (2024) : La problĂ©matique de l’enseignement bilingue crĂ©ole-français en HaĂŻti : dĂ©fis et perspectives. Madinin’Art, 19 janvier 2024.

17 ThĂ©lusma, Fortenel (2021) : Pratique du crĂ©ole et du français en HaĂŻti : entre un monolinguisme persistant et un bilinguisme compliquĂ© C3 Éditions.

18 ThĂ©lusma, Fortenel (2019) : ÉlĂ©ments didactiques du crĂ©ole et du français : le cas de la prĂ©dication nominale, des verbes pronominaux et du conditionnel. Imprimerie des Antilles S. A.

Il est utile de rappeler que notre premiĂšre contribution formelle Ă  la rĂ©flexion sur l’amĂ©nagement linguistique au pays s’intitule « L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti : enjeux, dĂ©fis et propositions » (Éditions de l’UniversitĂ© d’État d’HaĂŻti et Éditions du Cidihca, 2011). Ce livre a Ă©tĂ© rééditĂ© en 2023 par le Cidihca-France et cette nouvelle Ă©dition comprend la version crĂ©ole officielle de la Constitution de 1987. En ce qui a trait aux droits linguistiques, nous avons publiĂ© le livre « Plaidoyer pour les droits linguistiques en HaĂŻti / Pledwaye pou dwa lenguistik ann Ayiti » (Éditions ZĂ©mĂšs et Éditions du Cidihca, 2018). Par ailleurs notre contribution Ă  la rĂ©flexion sur divers aspects de l’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti est consignĂ©e, entre autres, dans les articles suivants :

1 Partenariat crĂ©ole/français – Plaidoyer pour un bilinguisme de l’équitĂ© des droits linguistiques en HaĂŻti . Le National, 7 novembre 2019).

2 L’amĂ©nagement simultanĂ© du crĂ©ole et du français en HaĂŻti, une perspective constitutionnelle et rassembleuse . Le National, 24 novembre 2020).

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis

3 L’amĂ©nagement du crĂ©ole en HaĂŻti et la rĂ©forme Bernard de 1979 : le bilan exhaustif reste Ă  faire . RezonĂČdwĂšs, 16 mars 2021.

4 L’amĂ©nagement du crĂ©ole doit-il s’accompagner de « l’éviction de la langue française en HaĂŻti ? . Le National, 11 mai 2022).

5 Le crĂ©ole et le français dans l’École haĂŻtienne : faut-il amĂ©nager une seule langue officielle en faisant l’impasse sur l’autre ?. Le National, 21 juin 2022.

6 Le partenariat crĂ©ole-français, l’unique voie constitutionnelle et rassembleuse en HaĂŻti . Le National, 14 mars 2023.

7 La Constitution de 1987 est au fondement du "bilinguisme de l’équitĂ© des droits linguistiques" en HaĂŻti . Le National, 25 avril 2023.

8 Plaidoyer pour la premiùre loi sur les langues officielles d’Haïti Potomitan, 14 mars 2019.

Il est attestĂ© qu’en dĂ©pit de la qualitĂ© des Ă©tudes de terrain rĂ©alisĂ©es entre 1958 et 2024, en dĂ©pit des apports et des acquis analytiques divers mis en lumiĂšre dans les Ă©tudes que nous avons citĂ©es, l’usage dominant du français ainsi que la minorisation institutionnelle du crĂ©ole couplĂ©e Ă  son invisibilisation institutionnelle constituent encore, pour une large part, des facteurs structurels de blocage de la rĂ©solution des problĂšmes linguistiques d’HaĂŻti tant Ă  l’échelle du pays tout entier qu’à l’échelle du systĂšme Ă©ducatif haĂŻtien. Sur ce double registre et au creux des mĂ©canismes d’exercice du pouvoir politique en HaĂŻti, l’on constate Ă©galement que les rĂ©ponses apportĂ©es jusqu’ici par l’État haĂŻtien – tributaire d’un lourd dĂ©ficit de leadership politique en matiĂšre d’amĂ©nagement linguistique –, sont encore faibles, partielles ou incomplĂštes, parfois dĂ©magogiques et inconstitutionnelles. Sur ce double registre l’on constate Ă©galement que l’« idĂ©ologie linguistique haĂŻtienne » est encore prĂ©gnante dans le corps social haĂŻtien et qu’elle est vĂ©hiculĂ©e principalement par les promoteurs d’un monolinguisme crĂ©ole sectaire et dogmatique qui tourne le dos Ă  la Constitution de 1987. L’ignorance choisie et/ou le dĂ©ni de toute vision constitutionnelle de l’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti constituent le lien et le liant communs au « monolinguisme de la surditĂ© historique » et Ă  l’« unilatĂ©ralisme crĂ©olophile » qui sont au fondement des diffĂ©rentes variantes idĂ©ologiques et identitaires du « populisme linguistique » (voir notre article « L’amĂ©nagement du crĂ©ole piĂ©gĂ© par le “populisme linguistique” des crĂ©olistes fondamentalistes », MĂ©diapart, 28 fĂ©vrier 2024).

Le « populisme linguistique » constitue une vision rĂ©ductionniste des faits de langue et il se caractĂ©rise principalement par (1) la nĂ©gation de l’historicitĂ© du patrimoine linguistique historique bilingue français-crĂ©ole d’HaĂŻti, (2) par le rejet partiel de l’article 5 et le rejet total de l’article 40 de la Constitution de 1987 qui aboutissent Ă  (3) la promotion inconstitutionnelle et exclusive du monolinguisme crĂ©ole. Le « populisme linguistique » se caractĂ©rise Ă©galement par la dĂ©fense de l’idĂ©e frauduleuse de la « guerre des langues » en HaĂŻti couplĂ©e Ă  la promotion d’une « fatwa » contre la prĂ©tendue « langue du colon », le français, stigmatisĂ©e au titre d’une « gwojemoni neyokolonyal » au MIT Haiti Initiative (voir notre article « L’amĂ©nagement du crĂ©ole piĂ©gĂ© par le “populisme linguistique” des crĂ©olistes fondamentalistes », MĂ©diapart, 28 fĂ©vrier 2024). Il y a lieu de rappeler que le « populisme linguistique » a Ă©tĂ© promu ces onze derniĂšres annĂ©es au rang de « vision » et de « mĂ©thode » de gouvernance au ministĂšre de l’Éducation nationale, notamment dans l’erratique saga du LIV INIK AN KREYÒL et dans l’inconstitutionnelle dĂ©cision de ne financer que les livres scolaires rĂ©digĂ©s en crĂ©ole (voir notre article « L’amĂ©nagement du crĂ©ole dans l’École haĂŻtienne durant le mandat de Nesmy Manigat Ă  l’Éducation nationale : radiographie d’un bavardeux naufrage », RezonĂČdwĂšs, 10 juillet 2024).

Sur le registre de la subjectivitĂ© idĂ©ologique, le « populisme linguistique » exprime tantĂŽt une vision racialiste-noiriste de la question linguistique haĂŻtienne (Jean Casimir), tantĂŽt un amalgame indigĂ©niste-nĂ©oduvaliĂ©riste de l’« identitĂ© » haĂŻtienne (Jean-Robert Placide et la Sosyete Koukouy), tantĂŽt une forclusion essentialiste du crĂ©ole lui-mĂȘme (l’Akademi kreyĂČl ayisyen) : voir nos articles « Jean Casimir ou les dĂ©rives d’une vision racialiste de la problĂ©matique linguistique haĂŻtienne » (Le National, 21 mars 2023), « Le livre « Ayisyanite ak kreyolite » ressuscite-t-il l’indigĂ©nisme racialiste duvaliĂ©rien sous les habits artificieux du « nouvo endijenis an evolisyon » ?, (RezonĂČdwĂšs, 23 mars 2024) et « L’AcadĂ©mie du crĂ©ole haĂŻtien : autopsie d’un Ă©chec banalisĂ© (2014 – 2022), (Le National, 18 janvier 2022). Le « populisme linguistique » se caractĂ©rise aussi par la rĂ©citation itĂ©rative des sourates d’un brĂ©viaire dans lequel sont abolis les droits linguistiques des locuteurs haĂŻtiens ainsi que le partenariat linguistique crĂ©ole-français fondĂ© sur les articles 5 et 40 de la Constitution de 1987.

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis

NOTE / Sur la notion de populisme et de « populisme linguistique », voir les contributions de Patrick Charaudeau, professeur Ă©mĂ©rite de l’UniversitĂ© Sorbonne Paris-Nord, spĂ©cialiste de l’analyse du discours politique, chercheur au laboratoire Communication et politique rattachĂ© au CNRS–Cerlis, UniversitĂ© de Paris : « RĂ©flexions pour l’analyse du discours populiste », revue Mots. Les langages du politique, n°97, 2011 ; « Le discours populiste, un brouillage des enjeux politiques » (Éditions Lambert-Lucas, 2022). Voir aussi Ulrike Klinger et Karolina Koc-Michalska, « Le populisme comme phĂ©nomĂšne de communication : une comparaison transversale et longitudinale des campagnes politiques sur Facebook », revue Mots. Les langages du politique. Voir Ă©galement Pierre-AndrĂ© Taguieff , « L’illusion populiste. Essai sur les dĂ©magogies de l’ñge dĂ©mocratique », Paris, Flammarion, 2007 [2002] ; Marie-Anne Paveau, « Populisme : itinĂ©raires discursifs d’un mot voyageur », revue Critique, n°776-777, 2012, p. 75-84 ; Pierre Rosanvallon, « Le siĂšcle du populisme. Histoire, thĂ©orie, critique », Paris, Seuil, 2020 ; Stefano Vicari, « De quelques reprĂ©sentations linguistiques ordinaires de “populisme” dans la presse française et italienne : une analyse contrastive », paru dans Carmen MarimĂłn Llorca, Wim Remysen & Fabio Rossi (dir.), « Les idĂ©ologies linguistiques : dĂ©bats, purismes et stratĂ©gies discursives », Berlin, Peter Lang, 2021 ; Gattiglia Modena et Stefano Vicari, « Discours populistes et sur le populisme : entre auto- et hĂ©tĂ©ro-dĂ©signations », revue Espaces linguistiques, (2024 / 7).

Bref rappel de la dimension politique et constitutionnelle de l’amĂ©nagement linguistique

À contre-courant des diffĂ©rentes variantes idĂ©ologiques et identitaires du « populisme linguistique », nous offrons en partage UNE VISION POLITIQUE ET CONSTITUTIONNELLE de l’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti au creux d’un projet de sociĂ©tĂ© oĂč les droits linguistiques s’apparient aux droits citoyens. Cette vision centrale se caractĂ©rise comme suit : l’amĂ©nagement des deux langues de notre patrimoine linguistique historique, le crĂ©ole et le français, est une obligation Ă  la fois politique et constitutionnelle dĂ©coulant de la Constitution de 1987. La vision constitutionnelle de l’amĂ©nagement des deux langues officielles d’HaĂŻti dont nous faisons le plaidoyer est fondĂ©e sur le « PrĂ©ambule » ainsi que sur les articles 5, 32 et 40 de la Constitution haĂŻtienne de 1987. Cette vision

ne se limite pas Ă  la simple et trĂšs partielle dĂ©fense/promotion du crĂ©ole : elle privilĂ©gie la mise en oeuvre des droits linguistiques au titre d’un droit essentiel compris dans le grand ensemble des droits citoyens consignĂ©s dans notre charte fondamentale (voir le texte constitutionnel, Titre III, article 16 : « La rĂ©union des droits civils et politiques constitue la qualitĂ© du citoyen ». Chapitre II : « Des droits fondamentaux » / « Droit Ă  la vie et Ă  la santĂ© », article 19 : « L’État a l’impĂ©rieuse obligation de garantir le droit Ă  la vie, Ă  la santĂ©, au respect de la personne humaine, Ă  tous les citoyens sans distinction, conformĂ©ment Ă  la DĂ©claration universelle des droits de l’homme ». Ce qu’il faut donc rigoureusement promouvoir c’est une vision de l’amĂ©nagement linguistique dans sa dimension politique : l’État haĂŻtien doit prendre le leadership politique de l’amĂ©nagement de nos deux langues officielles dans l’espace public et dans le systĂšme Ă©ducatif national, en lien avec la dimension constitutionnelle de ses obligations dĂ©coulant des articles 5, 32 et 40 de la Constitution de 1987.

L’articulation de la dimension politique et de la dimension constitutionnelle confĂšre Ă  notre Charte fondamentale une grande cohĂ©rence et elle situe les obligations de l’État sur le terrain du Droit et des droits du citoyen. La Constitution de 1987 dispose en effet, dans son « PrĂ©ambule », que « Le peuple haĂŻtien proclame la prĂ©sente Constitution » (...) « Pour garantir ses droits inaliĂ©nables et imprescriptibles Ă  la vie, Ă  la libertĂ© et Ă  la poursuite du bonheur ; conformĂ©ment Ă  son Acte d’indĂ©pendance de 1804 et Ă  la DĂ©claration universelle des droits de l’homme de 1948 (...) « Pour fortifier l’unitĂ© nationale, en Ă©liminant toutes discriminations entre les populations des villes et des campagnes, par l’acceptation de la communautĂ© de langues et de culture et par la reconnaissance du droit au progrĂšs, Ă  l’information, Ă  l’éducation, Ă  la santĂ©, au travail et au loisir pour tous les citoyens » (...) Pour instaurer un rĂ©gime gouvernemental basĂ© sur les libertĂ©s fondamentales et le respect des droits humains, la paix sociale, l’équitĂ© Ă©conomique, la concertation et la participation de toute la population aux grandes dĂ©cisions engageant la vie nationale, par une dĂ©centralisation effective ».

En quoi consiste le bilinguisme de l’équitĂ© des droits linguistiques en HaĂŻti au regard de ses fondements constitutionnels et quelle politique linguistique d’État faut-il Ă©laborer et mettre en Ɠuvre ?

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis

Tel que nous l’avons exposĂ© au dĂ©but de cet article, HaĂŻti est encore tributaire de deux « rĂ©gimes linguistiques » diffĂ©rents : d’une part l’unilinguisme institutionnel francophone de facto et d’autre part l’unilinguisme non institutionnel des crĂ©olophones locuteurs majoritaires au pays. La minorisation institutionnelle du crĂ©ole couplĂ©e Ă  l’usage dominant du français remonte comme nous l’avons vu aux premiers pas du nouvel État en 1804, et l’invisibilisation institutionnelle du crĂ©ole est encore prĂ©gnante dans la sociĂ©tĂ© haĂŻtienne en dĂ©pit des acquis de la rĂ©forme Bernard de 1979 et en dĂ©pit de l’adoption, par le vote rĂ©fĂ©rendaire majoritaire de la Constitution de 1987, qui accorde aux deux langues de notre patrimoine linguistique historique, le crĂ©ole et le français, le statut de langues co-officielles. NOTE – Il est nĂ©cessaire de rappeler que de la Constitution haĂŻtienne de 1987 est la seule Constitution dĂ©mocratique adoptĂ©e par la voie inĂ©dite du vote rĂ©fĂ©rendaire majoritaire au pays de 1804 Ă  nos jours. Elle confĂšre aux institutions nationales, dĂ©partementales et communales du pays leur pleine et entiĂšre lĂ©gitimitĂ© populaire. Le fait qu’elle a Ă©tĂ© peu appliquĂ©e ou mal appliquĂ©e ou travestie ou combattue par diffĂ©rentes forces politiques n’altĂšre en rien cette lĂ©gitimitĂ© populaire. C’est prĂ©cisĂ©ment parce que cette Constitution –dĂ©tentrice de l’entiĂšre lĂ©gitimitĂ© populaire–, (1) consigne les fondements de l’État de droit, (2) garantit les droits citoyens fondamentaux et (3) fixe les obligations de l’État sur diffĂ©rents registres qu’elle a Ă©tĂ© malmenĂ©e par des politiciens de tous bords, y compris par des nostalgiques de la dictature duvaliĂ©riste et par les ayants-droits de la « rente financiĂšre d’État ». Plusieurs tentatives illĂ©gales et inconstitutionnelles d’« amendement » de la Constitution de 1987 ont Ă©tĂ© entreprises ces derniĂšres annĂ©es, mais elles ont toutes Ă©chouĂ©. Elles seront sans doute reprises en 2024-2025 par les nouveaux tenants du pouvoir politique qui ne sont dĂ©tenteurs d’aucune lĂ©gitimitĂ© populaire et constitutionnelle. L’objectif central d’une telle forfaiture politique sera de rendre inopĂ©rante la lĂ©gitimitĂ© populaire au fondement du vote rĂ©fĂ©rendaire de 1987 et de remplacer cette lĂ©gitimitĂ© populaire par un rĂ©gime d’exception dit de « transition politique » au motif que le pays connaĂźt une « situation exceptionnelle » Ă  laquelle il a fallu rĂ©pondre par des « mesures exceptionnelles »...

Aussi, la vision de l’amĂ©nagement linguistique que nous offrons en partage expose rigoureusement que « La Constitution de 1987 est au fondement du « bilinguisme de l’équitĂ© des droits linguistiques » en HaĂŻti » (par

Robert BerrouĂ«t-Oriol, Le National, 25 avril 2023). Nous reviendrons plus loin sur la notion centrale de « bilinguisme de l’équitĂ© des droits linguistiques » au fondement de la future POLITIQUE LINGUISTIQUE

DE L’ÉTAT HAÏTIEN.

En dĂ©pit de la co-officialisation du crĂ©ole et du français dans la Constitution haĂŻtienne de 1987, la crĂ©olistique n’est pas parvenue Ă  Ă©laborer des Ă©tudes de rĂ©fĂ©rence sur les fondements constitutionnels et juridiques de notions aussi centrales en jurilinguistique et en amĂ©nagement linguistique que les droits linguistiques, le droit Ă  la langue, le droit Ă  la langue maternelle, la paritĂ© linguistique ainsi que le bilinguisme de l’équitĂ© des droits linguistiques. De son cĂŽtĂ©, le constitutionnalisme haĂŻtien non plus ne s’est pas encore attachĂ© Ă  Ă©tudier ces notions de premier plan en dĂ©pit du fait que la Constitution de 1987 consigne les droits fondamentaux du citoyen autrefois violemment rĂ©primĂ©s durant la dictature des Duvalier (voir le Titre III - Chapitre II / Des droits fondamentaux : la libertĂ© individuelle, la libertĂ© d’expression, la libertĂ© de rĂ©union et d’association, etc.).

NOTE – Sur le le constitutionnalisme haĂŻtien voir le livre de Claude MoĂŻse, « Les trois Ăąges du constitutionnalisme haĂŻtien. IndĂ©pendance, occupation Ă©trangĂšre, dĂ©mocratie : ruptures et continuitĂ©s », Éditions du Cidihca, 2020. Du mĂȘme auteur voir Ă©galement « Constitutions et luttes de pouvoir en HaĂŻti » : T.1 « La faillite des classes dirigeantes, 1804-1915 », Éditions du Cidihca 1988 ; T.2 « De l’occupation Ă©trangĂšre Ă  la dictature macoute, 1915-1987 », Éditions du Cidihca 1990.

Tel que prĂ©cisĂ© dans le livre collectif de rĂ©fĂ©rence « L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti : enjeux, dĂ©fis et propositions » (par Robert BerrouĂ«t-Oriol et alii, Éditions du Cidihca et Éditions de l’UniversitĂ© d’État d’HaĂŻti, 2011), « On entend par « droits linguistiques » l’« Ensemble des droits fondamentaux dont disposent les membres d’une communautĂ© linguistique tels que le droit Ă  l’usage privĂ© et public de leur langue, le droit Ă  une prĂ©sence Ă©quitable de leur langue dans les moyens de communication et le droit d’ĂȘtre accueilli dans leur langue dans les organismes officiels » (Gouvernement du QuĂ©bec, ThĂ©saurus de l’action gouvernementale, 2017). L’universalitĂ© des « droits linguistiques » s’entend donc au sens du « droit Ă  la langue », du « droit Ă  la langue maternelle » et de « l’équitĂ© des droits linguistiques ». En fonction du principe que les droits linguistiques sont Ă  la fois individuels et collectifs, l’universalitĂ© des « droits linguis-

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis tiques » pose (1) le droit d’une communautĂ© linguistique Ă  l’enseignement de sa langue maternelle et de sa culture ; (2) le droit d’une communautĂ© de locuteurs Ă  une prĂ©sence Ă©quitable de sa langue maternelle et de sa culture dans les mĂ©dias ; (3) le droit pour chaque membre d’une communautĂ© linguistique de se voir rĂ©pondre dans sa propre langue dans ses relations avec les pouvoirs publics et dans les institutions socioĂ©conomiques. Les notions conjointes de « droits linguistiques » et de « bilinguisme de l’équitĂ© des droits linguistiques » sont apparues pour la premiĂšre fois en HaĂŻti en 2011 avec la publication du livre collectif de rĂ©fĂ©rence « L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti : enjeux, dĂ©fis et propositions » (par Robert BerrouĂ«t-Oriol et alii, Éditions de l’UniversitĂ© d’État d’HaĂŻti et Éditions du Cidihca). Pour la premiĂšre fois depuis la promulgation de la Constitution haĂŻtienne de 1987, des linguistes ont abordĂ©, dans des Ă©tudes amplement documentĂ©es, l’épineuse question linguistique haĂŻtienne sous des angles majeurs et complĂ©mentaires, notamment en proposant un cadre analytique conforme au texte constitutionnel votĂ© par rĂ©fĂ©rendum en 1987 et en lien avec la notion-perspective de langues partenaires. Ce livre innove sur plusieurs registres, entre autres en Ă©clairant les notions centrales de « droits linguistiques », de « droit Ă  la langue » et de « droit Ă  la langue maternelle », en dĂ©finissant clairement le concept d’amĂ©nagement linguistique et en le situant dans le contexte haĂŻtien, en exposant le cadre thĂ©orique et lĂ©gislatif d’une future politique linguistique en HaĂŻti, en Ă©tablissant le lien existant entre la politique d’amĂ©nagement linguistique et la pĂ©dagogie convergente français-crĂ©ole au creux de l’impĂ©ratif de la refondation du systĂšme Ă©ducatif national.

Il est utile de rappeler que sur le registre du constitutionnalisme haĂŻtien et d’une jurilinguistique haĂŻtienne – oĂč, sauf une seule exception, la totalitĂ© des textes juridiques et constitutionnels est rĂ©digĂ©e en français –, nous ne disposons pas encore d’une jurisprudence Ă©laborĂ©e traitant des droits linguistiques. MalgrĂ© cela, il est tout indiquĂ© de situer la remarquable Ă©tude du juriste Alain Guillaume comme relevant des premiers pas de la jurilinguistique haĂŻtienne. Cette Ă©tude a pour titre « L’expression crĂ©ole du droit : une voie pour la rĂ©duction de la fracture juridique en HaĂŻti » et elle est parue dans la Revue française de linguistique appliquĂ©e, XVI-1, 2011). Il en est de mĂȘme de l’étude du juriste Éric Sauray, « Observations critiques sur la proposition de loi relative Ă  la crĂ©ation d’une AcadĂ©mie du crĂ©ole haĂŻtien » datĂ©e du 12 octobre 2012.

Le patrimoine linguistique historique bilingue d’HaĂŻti et la constitutionnalitĂ© du « bilinguisme de l’équitĂ© des droits linguistiques » en HaĂŻti

Le patrimoine linguistique historique bilingue d’HaĂŻti, dans son acception la plus large et la plus inclusive, se dĂ©finit comme « hĂ©ritage, bien de la nation », soit l’ensemble des productions langagiĂšres orales et Ă©crites, en français et en crĂ©ole, parfois attestĂ©es avant 1804 et dans l’ensemble repĂ©rables de 1804 Ă  nos jours. Sur le registre de l’écrit notamment, il comprend des documents aussi divers que « Lisette quittĂ© la plaine », chanson attribuĂ©e Ă  Duvivier de la MahautiĂšre en 1757 ; l’Acte d’indĂ©pendance du premier janvier 1804 rĂ©digĂ© uniquement en français et traduit en crĂ©ole par Jacques Pierre (Journal of Haitian Studies, vol. 17, no 2 / 2011) ; l’ensemble des Constitutions, lois, traitĂ©s, codes civil et criminel et conventions de la RĂ©publique d’HaĂŻti rĂ©digĂ©s uniquement en français ; une histoire d’HaĂŻti rĂ©digĂ©e pour la premiĂšre fois en crĂ©ole, « Ti difĂ© boulĂ© sou istoua Ayiti » de Michel-Rolph Trouillot ; « Dezafi » de Franketienne, premier roman Ă©crit en crĂ©ole haĂŻtien ; « L’oranger magique / Ti pye zoranj » et autres contes bilingues de Mimi Barthelemy ; « Kavalye polka », piĂšce de théùtre en crĂ©ole de Syto CavĂ© ; « KonpĂš jeneral soley », traduction crĂ©ole par Edenne Roc du roman de Jacques Stephen Alexis « CompĂšre gĂ©nĂ©ral soleil » ; « Ti diksyonnĂš kreyĂČl-franse » d’Henry Tourneux et Pierre Vernet ; les romans « Des fleurs pour les hĂ©ros » d’Anthony Phelps et « Hadriana dans tous mes rĂȘves » de RenĂ© Depestre, etc. Le patrimoine linguistique d’HaĂŻti est Ă©troitement liĂ© Ă  l’histoire et Ă  la culture du pays. Ainsi la « lodyans », d’abord contĂ©e en crĂ©ole puis transcrite et renarrativisĂ©e par des auteurs de talent tels Maurice Sixto et Georges Anglade, fait partie du patrimoine linguistique et culturel d’HaĂŻti et elle prĂ©sente la particularitĂ© de se situer sur les registres de l’oral et de l’écrit. La littĂ©rature haĂŻtienne dans sa totalitĂ©, longtemps produite seulement en français et plus rĂ©cemment en crĂ©ole, fait partie du patrimoine linguistique historique bilingue d’HaĂŻti.

Il faut prendre toute la mesure que la configuration bilingue du patrimoine linguistique historique d’HaĂŻti est attestĂ©e dans la Constitution de 1987. Cette rĂ©alitĂ© est pourtant niĂ©e et oblitĂ©rĂ©e par les Ayatollahs du crĂ©ole –propagandistes de l’inconstitutionnelle idĂ©e de l’exclusion du français partout en HaĂŻti : ils ne retiennent qu’un segment de l’article 5 de la Constitution de 1987, Ă  savoir « Tous les HaĂŻtiens sont unis par

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis une langue commune : le crĂ©ole », tout en excluant le segment statutaire et inclusif qui suit, « Le crĂ©ole et le français sont les langues officielles de la RĂ©publique ». Le caractĂšre bilingue du patrimoine linguistique historique d’HaĂŻti est attestĂ© dĂšs les premiĂšres phrases du « PrĂ©ambule » de la Constitution de 1987 qui se lit comme suit : « Pour fortifier l’unitĂ© nationale, en Ă©liminant toutes discriminations entre les populations des villes et des campagnes, par l’acceptation de la communautĂ© de langues et de culture (...) ». L’inscription dans le texte constitutionnel de « la communautĂ© de langues et de culture », – qui renvoie Ă  la notion centrale de communautĂ© nationale –, est prĂ©cĂ©dĂ©e de la solennelle proclamation prĂ©ambulaire dans ces termes : « PrĂ©ambule » – « Le peuple haĂŻtien proclame la prĂ©sente Constitution / Pour garantir ses droits inaliĂ©nables et imprescriptibles Ă  la vie, Ă  la libertĂ© et la poursuite du bonheur ; conformĂ©ment Ă  son Acte d’indĂ©pendance de 1804 et Ă  la DĂ©claration universelle des droits de l’homme de 1948 ». Il y a donc dans le texte constitutionnel de 1987 un appariement juridique, un lien/liant juridique commun entre la communautĂ© nationale comprenant l’ensemble des locuteurs, unilingues crĂ©oles et bilingues français-crĂ©ole d’une part ; et, d’autre part, il existe un lien juridique rĂ©fĂ©rentiel majeur entre « l’acceptation de la communautĂ© de langues et de culture » (le terme langues est consignĂ© au pluriel) et les « droits inaliĂ©nables et imprescriptibles » en conformitĂ© avec l’Acte d’indĂ©pendance de 1804 et avec la DĂ©claration universelle des droits de l’homme de 1948. Sur le registre d’une jurilinguistique haĂŻtienne qu’HaĂŻti aura Ă  Ă©laborer, l’on peut dĂ©jĂ  noter la rĂ©fĂ©rence constante au Droit, Ă  la personnalitĂ© juridique de l’Acte d’indĂ©pendance de 1804 qui consacre l’institution d’une nation souveraine ayant vaincu le colonialisme. Et cette rĂ©fĂ©rence constante au Droit apparie l’Acte d’indĂ©pendance de 1804 au texte fondateur consacrant au sortir de la Seconde Guerre mondiale l’universalitĂ© des droits humains, Ă  savoir la DĂ©claration universelle des droits de l’homme de 1948.

La « dimension Droit » est l’une des caractĂ©ristiques majeures de la Constitution de 1987, et cela s’explique en grande partie du fait que l’AssemblĂ©e constituante a voulu prĂ©munir HaĂŻti d’un retour du fascisme duvaliĂ©rien. Tel que prĂ©cisĂ© plus haut, les droits citoyens fondamentaux sont identifiĂ©s dĂšs le « PrĂ©ambule » de la Constitution de 1987 : « Le peuple haĂŻtien proclame la prĂ©sente Constitution / Pour garantir ses droits inaliĂ©nables et imprescriptibles Ă  la vie, Ă  la libertĂ© et la poursuite du bonheur (...).

Cette proclamation prĂ©ambulaire est explicitement renforcĂ©e (1) par le dernier segment du « PrĂ©ambule » du texte constitutionnel dans les termes suivants : « Pour instaurer un rĂ©gime gouvernemental basĂ© sur les libertĂ©s fondamentales et le respect des droits humains, la paix sociale, l’équitĂ© Ă©conomique, la concertation et la participation de toute la population aux grandes dĂ©cisions engageant la vie nationale, par une dĂ©centralisation effective », d’une part. Et, d’autre part, elle est explicitement renforcĂ©e (2) au Titre III - Chapitre II qui consigne explicitement « Des droits fondamentaux » : la libertĂ© individuelle, la libertĂ© d’expression, la libertĂ© de rĂ©union et d’association, etc. L’article 19 du Titre III - Chapitre II du texte constitutionnel dispose de surcroĂźt que « L’État a l’impĂ©rieuse obligation de garantir le droit Ă  la vie, Ă  la santĂ©, au respect de la personne humaine, Ă  tous les citoyens sans distinction, conformĂ©ment Ă  la DĂ©claration universelle des droits de l’homme ».

Le « bilinguisme de l’équitĂ© des droits linguistiques », dĂ©fini ci-aprĂšs, renvoie Ă  la fois Ă  sa dimension politique et juridique, et il est fort Ă©clairant que l’AssemblĂ©e constituante ait consignĂ© un si explicite « PrĂ©ambule » dans la Constitution de 1987 selon les termes suivants : « Pour fortifier l’unitĂ© nationale, en Ă©liminant toutes discriminations entre les populations des villes et des campagnes, par l’acceptation de la communautĂ© de langues et de culture (...) ». « Fortifier l’unitĂ© nationale » est de l’ordre de la gouvernance politique de l’État – le « PrĂ©ambule » est conclu dans cette perspective par l’obligation d’« instaurer un rĂ©gime gouvernemental basĂ© sur les libertĂ©s fondamentales et le respect des droits humains » –, et ce choix politique de sociĂ©tĂ© repose sur les garanties constitutionnelles inscrites dans les articles relatifs aux droits citoyens dĂ©signĂ©s dans notre charte fondamentale. Un tel choix politique de sociĂ©tĂ© trouve toute sa lĂ©gitimitĂ© dans notre charte fondamentale au Titre III - Chapitre II qui consigne explicitement « Des droits fondamentaux ». Dans l’expression « bilinguisme de l’équitĂ© des droits linguistiques », chacun des termes (« bilinguisme », « Ă©quitĂ© », « droits linguistiques ») est porteur de traits dĂ©finitoires distincts et pourtant liĂ©s. Alors mĂȘme que le terme « Ă©quitĂ© » comprend les sĂšmes dĂ©finitoires de « CaractĂšre de ce qui est fait avec justice et impartialitĂ© » (Le Larousse), il ne faut pas perdre de vue que les termes « bilingue » et « bilinguisme » sont le lieu d’ñpres dĂ©bats notionnels contradictoires et l’objet de cet article n’est pas d’en exposer les grandes avenues ni les principales tendances. La rĂ©flexion que nous proposons en partage

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis s’attache plutĂŽt au bilinguisme en tant que politique d’État tout en gardant Ă  l’esprit que « Des 195 États souverains, 54 sont officiellement bilingues, c’est-Ă -dire 27,6 % des pays du monde pour une population regroupant environ deux milliards de personnes (Jacques Leclerc : « L’amĂ©nagement linguistique dans le monde », QuĂ©bec, CEFAN, UniversitĂ© Laval). Le dictionnaire Le Robert dĂ©finit comme suit le « bilinguisme » : « CaractĂšre bilingue (d’un pays, d’une rĂ©gion, de ses habitants). Le bilinguisme en Belgique, au QuĂ©bec (personnes). QualitĂ© de bilingue. Le bilinguisme parfait est rare ». Pour sa part, Le Larousse consigne la dĂ©finition suivante : « Situation d’un individu parlant couramment deux langues diffĂ©rentes (bilinguisme individuel) ; situation d’une communautĂ© oĂč se pratiquent concurremment deux langues ». Ranka Bijeljac-Babic, de l’UniversitĂ© de Poitiers, introduit des Ă©lĂ©ments de dĂ©finition en ces termes : « Les termes « bilingue », « bilinguisme » dĂ©signent diffĂ©rents phĂ©nomĂšnes selon qu’ils dĂ©crivent un individu, une communautĂ© ou un mode de communication. Une personne est bilingue si elle utilise deux langues de façon rĂ©guliĂšre ; une sociĂ©tĂ© est bilingue si elle utilise une langue dans un contexte et l’autre dans un contexte diffĂ©rent. » (« Enfant bilingue / De la petite enfance Ă  l’école », Éditions Odile Jacob, 2017). Le bilinguisme de sociĂ©tĂ© Ă©voquĂ© dans le dernier segment de cette dĂ©finition est contestable et il rappelle l’opposition de nombre de linguistes au concept de diglossie appliquĂ© Ă  la situation linguistique haĂŻtienne.

Sans entrer dans les dĂ©tails de son argumentaire, il est utile de mentionner l’éclairage que propose le linguiste-amĂ©nagiste Jean-Claude Corbeil lorsqu’il Ă©tablit une « Distinction entre bilinguisme en tant que projet individuel et bilinguisme en tant que projet collectif-Distinction entre bilinguisme institutionnel et bilinguisme fonctionnel ». Ainsi, « L’objectif du bilinguisme de langue commune est de donner Ă  l’individu une aisance linguistique en langue seconde qui lui permette, par exemple, d’entretenir une conversation courante, de lire, d’aller au cinĂ©ma, de faire ses courses, de manger au restaurant, en somme les gestes les plus familiers de la vie quotidienne. (...) c’est le vocabulaire surtout qui caractĂ©rise le bilinguisme de langue spĂ©cialisĂ©e : il s’agit, ici, d’acquĂ©rir le vocabulaire d’une science, d’un mĂ©tier, d’une technique, ou encore un ensemble de vocabulaires qui constituent la langue d’une entreprise. Le bilinguisme est institutionnel lorsque la sociĂ©tĂ© tend Ă  vouloir faire de chaque individu un individu bilingue tant de langue commune que de langue

spĂ©cialisĂ©e » (Jean-Claude Corbeil : « L’embarras des langues / Origine, conception et Ă©volution de la politique linguistique quĂ©bĂ©coise », Éditions QuĂ©bec-AmĂ©rique, 2007).

Dans le droit fil de ces diffĂ©rents Ă©clairages notionnels, nous entendons par « bilinguisme de l’équitĂ© des droits linguistiques » la future politique d’État d’amĂ©nagement des deux langues officielles d’HaĂŻti conformĂ©ment Ă  la Constitution de 1987 et qui s’articule sur deux versants indissociables :

(1) À l’échelle de l’État, le bilinguisme institutionnel instaure la paritĂ© effective et mesurable entre nos deux langues officielles et il garantit, dans la sphĂšre publique, l’obligation de l’État d’effectuer toutes ses prestations, orales et Ă©crites, en crĂ©ole et en français, et d’élaborer/diffuser tous ses documents administratifs dans les deux langues officielles du pays – il s’agit lĂ  d’une obligation dĂ©jĂ  inscrite Ă  l’article 40 de la Constitution de 1987. Le bilinguisme institutionnel se rĂ©fĂšre ainsi en amont aux droits linguistiques collectifs ainsi qu’à l’« aptitude d’un service public Ă  fournir Ă  la population et Ă  son propre personnel des services dans les deux langues officielles » (Centre de traduction et de terminologie juridiques (CTTJ), FacultĂ© de droit, UniversitĂ© de Moncton, et Bureau de la traduction du gouvernement fĂ©dĂ©ral canadien).

(2) À l’échelle de la sociĂ©tĂ©, le bilinguisme individuel recouvre le « droit Ă  la langue » (le droit Ă  l’acquisition et Ă  la maĂźtrise des deux langues du patrimoine linguistique historique d’HaĂŻti ; le « droit Ă  la langue maternelle » (le droit Ă  la maĂźtrise et Ă  l’utilisation de la langue maternelle crĂ©ole dans toutes les situations de communication) et qui est Ă©troitement liĂ© aux obligations de l’État sur le registre du bilinguisme institutionnel.

En tant que politique d’État, le « bilinguisme de l’équitĂ© des droits linguistiques » que nous prĂ©conisons au coeur de l’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti constitue sur plusieurs plans une avancĂ©e majeure. Il est conforme au « PrĂ©ambule » et aux articles 5 et 40 de la Constitution de 1987, il est en lien direct avec la DĂ©claration universelle des droits linguistiques de 1996, et il s’articule Ă  la perspective centrale en jurilinguistique selon laquelle les droits linguistiques, dans leur universalitĂ©, sont Ă  la fois individuels et collectifs. Ainsi, dans cette optique, le « bilinguisme de

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis l’équitĂ© des droits linguistiques » renvoie Ă  toute la problĂ©matique du rĂŽle central que l’État doit assumer en matiĂšre de mise en Ɠuvre des droits linguistiques et quant aux garanties constitutionnelles qu’il faut obligatoirement leur accorder.

Dans une sĂ©rie d’articles spĂ©cialisĂ©s parus sur le site de l’Observatoire international des droits linguistiques, « L’État et les droits linguistiques », le juriste Graham Fraser prend soin de noter que « Les droits linguistiques sont plus que des moyens de protection : ce sont aussi des outils de transformation qui permettent aux citoyens (...) de fonctionner en tant que membres Ă  part entiĂšre de la sociĂ©tĂ©. Ainsi, les droits linguistiques sont, Ă  n’en pas douter, des droits individuels, mais ils n’acquiĂšrent leur plein sens que dans le contexte de la communautĂ© linguistique dont fait partie la personne qui les revendique » (Revue de droit linguistique 5 / 1, 2018.) Dans cette mĂȘme publication spĂ©cialisĂ©e, Graham Fraser – « Senior Fellow » (« Professionnel en rĂ©sidence ») Ă  l’École supĂ©rieure d’affaires publiques et internationales Ă  l’UniversitĂ© d’Ottawa, auparavant Commissaire aux langues officielles du Canada et prĂ©sident de l’Association internationale des commissaires linguistiques de 2013 Ă  2016 –, mentionne la rĂ©fĂ©rence suivante tout en faisant ressortir le rĂŽle de l’État en matiĂšre de droits linguistiques : « Voir notamment R c Beaulac, [1999] 1 RCS 768 au parag. 20 : « Les droits linguistiques ne sont pas des droits nĂ©gatifs, ni des droits passifs ; ils ne peuvent ĂȘtre exercĂ©s que si les moyens en sont fournis. Cela concorde avec l’idĂ©e prĂ©conisĂ©e en droit international que la libertĂ© de choisir est dĂ©nuĂ©e de sens en l’absence d’un devoir de l’État de prendre des mesures positives pour mettre en application des garanties linguistiques [...] ». Sur ce registre, il faut prendre toute la mesure que la mise en application des droits linguistiques exige des mesures gouvernementales explicites et appropriĂ©es et elle crĂ©e des obligations pour l’État : ces mesures et obligations doivent ĂȘtre consignĂ©es dans un dispositif d’ordre juridique et administratif.

Enseignant de carriĂšre et Ă©ditorialiste disposant en HaĂŻti d’une large audience dans les milieux Ă©ducatifs et dans les mĂ©dias, Roody EdmĂ© nous invite avec hauteur de vue Ă  une rĂ©flexion rassembleuse sur le bilinguisme haĂŻtien dans les termes suivants : « Si l’on parle de refondation de ce pays, on ne peut faire l’économie d’un dispositif lĂ©gislatif consacrant l’autodĂ©termination et la protection de la langue parlĂ©e par tous les HaĂŻtiens,

[le crĂ©ole] tout en conservant au français sa place historique. Notre bilinguisme est une richesse qu’il faut donc cultiver comme la terre, assainir comme notre environnement, et le mettre au service du jeune HaĂŻtien comme un outil prĂ©cieux d’éducation et de production de richesses » (« Bilinguisme haĂŻtien : sortir de la zone grise », AlterPresse, 13 fĂ©vrier 2022).

En guise de conclusion il est nĂ©cessaire de rappeler, comme nous l’avons auparavant exposĂ©, que la Constitution haĂŻtienne de 1987 est la seule Constitution dĂ©mocratique adoptĂ©e par la voie inĂ©dite du vote rĂ©fĂ©rendaire majoritaire au pays de 1804 Ă  nos jours. Elle confĂšre aux institutions nationales, dĂ©partementales et communales du pays leur pleine et entiĂšre lĂ©gitimitĂ© populaire. Le fait qu’elle a Ă©tĂ© peu appliquĂ©e ou mal appliquĂ©e ou travestie ou combattue par diffĂ©rentes forces politiques n’altĂšre en rien cette lĂ©gitimitĂ© populaire. C’est prĂ©cisĂ©ment parce que cette Constitution – dĂ©tentrice de l’entiĂšre lĂ©gitimitĂ© populaire –, (1) consigne les fondements de l’État de droit, (2) garantit les droits citoyens fondamentaux, incluant les droits linguistiques et le droit Ă  la scolarisation en langue maternelle crĂ©ole, et (3) fixe les obligations de l’État sur diffĂ©rents registres, qu’elle a Ă©tĂ© malmenĂ©e par des politiciens de tous bords, y compris par des nostalgiques de la dictature duvaliĂ©riste et par les ayants-droits de la « rente financiĂšre d’État ». Plusieurs tentatives illĂ©gales et inconstitutionnelles d’« amendement » de la Constitution de 1987 ont Ă©tĂ© entreprises ces derniĂšres annĂ©es, mais elles ont toutes Ă©chouĂ©. Elles seront sans doute reprises en 2024-2025 par les nouveaux tenants du pouvoir politique qui ne sont dĂ©tenteurs d’aucune lĂ©gitimitĂ© populaire et constitutionnelle. L’objectif central d’une telle forfaiture politique sera de rendre inopĂ©rante la lĂ©gitimitĂ© populaire au fondement du vote rĂ©fĂ©rendaire de 1987 et de remplacer cette lĂ©gitimitĂ© populaire par un rĂ©gime d’exception dit de « transition politique » au motif que le pays connaĂźt une « situation exceptionnelle » Ă  laquelle il a fallu rĂ©pondre par des « mesures exceptionnelles »...

Et l’on verra une fois de plus accourir au chevet d’HaĂŻti –qui aura Ă©tĂ© Ă  nouveau gratifiĂ©e du diagnostic de son « incapacitĂ© » Ă  entrer en dĂ©mocratie–, les « experts », les « spĂ©cialistes » et les « stratĂšges » multitĂąches de l’ONU, de l’OEA et de la comateuse CARICOM. La « fabrique du consentement » politique sera une fois de plus mise en route, comme

en 1991, en 1994, en 2004 et en 2011, avec les mĂȘmes acteurs politiques, et elle accouchera des mĂȘmes rĂ©sultats... À la diffĂ©rence notable, dans le contexte actuel, que les dĂ©tenteurs « transitionnels » du pouvoir politique font face Ă  la violence des gangs armĂ©s sur l’ensemble du territoire national et que nos institutions rĂ©galiennes ont Ă©tĂ© assautĂ©es et dĂ©mantibulĂ©es ces onze derniĂšres annĂ©es par le cartel politico-mafieux du PHTK nĂ©o-duvaliĂ©riste fortement reprĂ©sentĂ©, aujourd’hui encore, au plus haut niveau de l’État.

L’amĂ©nagement du crĂ©ole en HaĂŻti aux cĂŽtĂ©s du français et en conformitĂ© avec la Constitution de 1987 : promouvoir un dĂ©bat rigoureux et rassembleur

Montréal, le 4 décembre 2023

PubliĂ©s d’abord en HaĂŻti dans le journal Le National et quelques fois sur le site AlterPresse puis reproduits en outre-mer sur diffĂ©rents sites –Fondas kreyĂČl, Montray kreyĂČl, Madinin’Art (Martinique), RezonĂČdwĂšs (ÉtatsUnis) et MĂ©diapart (France)–, plusieurs de nos articles exposent deux caractĂ©ristiques majeures de la configuration sociolinguistique d’HaĂŻti. Nous avons mis en lumiĂšre d’une part l’usage dominant du français institutionnalisĂ© dĂšs la promulgation de l’« Acte de l’IndĂ©pendance d’HaĂŻti » le 1er janvier 1804 (premier document historique du nouvel État, rĂ©digĂ© uniquement en français), et, d’autre part, nous avons fourni un Ă©clairage analytique sur la minorisation institutionnelle du crĂ©ole, langue usuelle de la majoritĂ© des locuteurs haĂŻtiens. Ces deux caractĂ©ristiques sont Ă  l’origine des rapports inĂ©galitaires depuis lors instituĂ©s entre les deux langues de notre patrimoine linguistique historique, le crĂ©ole et le français. Les rapports inĂ©galitaires entre les deux langues se sont consolidĂ©s au fil des ans dans diffĂ©rents domaines, notamment dans l’École haĂŻtienne jusqu’à prĂ©sent privĂ©e d’une politique linguistique Ă©ducative alors mĂȘme que l’article 32 de la Constitution de 1987 consigne le droit Ă  l’Éducation et que l’article 5 consacre la co-officialisation du crĂ©ole et du français. Sur le registre du regard diffractĂ© que portent plusieurs locuteurs sur diffĂ©rents aspects de la problĂ©matique linguistique haĂŻtienne, nous avons notĂ© que la presse parlĂ©e et Ă©crite ainsi que les rĂ©seaux sociaux, au pays comme en diaspora, se font l’écho de maniĂšre constante de dĂ©bats, d’échanges divers et d’opinions diffĂ©renciĂ©es. Les Ă©changes et dĂ©bats sont dans bien des cas constructifs mais nous avons Ă©galement constatĂ© que plusieurs interventions ponctuelles sont de l’ordre du « voye monte », du verbiage qui, lui, alimente la confusion (« verbiage » : « Flot de paroles superflues masquant la pauvretĂ© de la pensĂ©e », dictionnaire Le Larousse).

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis

Ainsi, l’une des caractĂ©ristiques de certaines interventions relatives au crĂ©ole sur les rĂ©seaux sociaux est le verbiage intempestif, le radotage prĂ©tentieux Ă  l’aune d’un « voye monte » rĂ©pĂ©titif, chĂ©tif et iconoclaste. L’un des adeptes du verbiage sur Facebook – haut-lieu et miroir bavardeux du narcissisme et du nombrilisme –, est un certain Marc-Arthur Thys qui assimile son radotage Ă  un axiome « scientifique » et se croit compĂ©tent lorsqu’il s’exprime « doctement » et dogmatiquement sur le crĂ©ole. Le 14 novembre 2023, il a une fois de plus infligĂ© Ă  ses rares lecteurs son habituel verbiage en ces termes : « Oui, je persiste et signe : un HaĂŻtien qui ne peut Ă©crire qu’en crĂ©ole est un handicapĂ©. Écrire en français (ou [dans] une grande langue internationale) c’est faire le choix de la richesse. Écrire en crĂ©ole c’est faire le choix de la pauvretĂ© ». Du haut de son immense « savoir encyclopĂ©dique », Marc-Arthur Thys Ă©met ce surrĂ©aliste « diagnostic » sociolinguistique sans fournir la moindre analyse scientifique Ă  l’appui de sa « trouvaille »...

Il ne fait aucun doute qu’avec la litanie itĂ©rative et pontifiante de Marc-Arthur Thys sur Facebook lorsqu’il se met Ă  pĂ©rorer Ă  propos du crĂ©ole, nous sommes sur le registre de la version haĂŻtienne de la boule de cristal et de la « divination », sorte de mantra Ă©sotĂ©rique jusqu’à prĂ©sent inconnu des neurosciences, de la didactique des langues et des sciences du langage... Manifestement, Marc-Arthur Thys fait de sa lourde ignorance de la linguistique, de la crĂ©olistique, de la didactique des langues et de l’histoire des Ă©crits crĂ©oles rĂ©pertoriĂ©s dĂšs la fin du XVIIĂšme siĂšcle une axiomatique illusionniste aussi pĂ©remptoire que fumeuse : Ă  travers l’histoire des idĂ©es au fil des siĂšcles, l’ignorance n’a jamais constituĂ© un critĂšre Ă©pistĂ©mologique, un appareillage conceptuel ou un cadre mĂ©thodologique d’apprentissage ayant contribuĂ© aux avancĂ©es des savoirs et des connaissances... Pour mĂ©moire, il y a lieu de rappeler que dans un article rĂ©cent paru sur RezonĂČdwĂšs le 28 novembre 2023 – « Quelques repĂšres pour contribuer Ă  une exploratoire « archĂ©ologie de la littĂ©rature crĂ©ole » –, nous avons exposĂ© les grandes lignes de la problĂ©matique d’une « archĂ©ologie de la littĂ©rature crĂ©ole » et celle, conjointe, d’un « discours littĂ©raire crĂ©ole savant ». Cette problĂ©matique a fait l’objet d’une remarquable Ă©tude de Ralph Ludwig de l’UniversitĂ© Martin Luther Halle-Wittenberg en Allemagne, « LittĂ©ratures des mondes crĂ©oles – des dĂ©buts aux questionnements actuels », parue dans la revue Études crĂ©oles no 33 | 1 | 2016. La pesante ignorance de la linguistique et de l’histoire des crĂ©oles

inscrite au creux de l’axiomatique illusionniste de Marc-Arthur Thys fait Ă©cran Ă  l’étendue et Ă  la pertinence des Ă©tudes conduites par des universitaires de renom sur les premiers Ă©crits rĂ©digĂ©s en langue crĂ©ole et qui ont Ă©tĂ© retracĂ©s aux XVIIĂšme et XVIIIĂšme siĂšcles. Ainsi, l’exploration de l’écrit littĂ©raire crĂ©ole a fait l’objet d’une ample Ă©tude du romancier et lexicographe martiniquais RaphaĂ«l Confiant intitulĂ©e « Les grandes dates de la langue crĂ©ole » (Fondas kreyĂČl, premiĂšre version : 27 janvier 2022). Sur son registre spĂ©cifique, l’écrit littĂ©raire crĂ©ole bĂ©nĂ©ficie Ă©galement d’un Ă©clairage philologique de premier plan consignĂ© dans le remarquable livre de la linguiste Marie-Christine Hazael-Massieux, « Textes anciens en crĂ©ole français de la CaraĂŻbe / Histoire et analyse » (Éditions Publibook 2008). Cette exceptionnelle publication de 487 pages, qui comprend 17 chapitres, s’ouvre sur une question que se posent tous les crĂ©olophones qui s’intĂ©ressent de prĂšs ou de loin Ă  l’écrit littĂ©raire crĂ©ole : « Comment sont nĂ©s les crĂ©oles ? Dans cet ouvrage [qui se lit aisĂ©ment], Marie-Christine Hazael-Massieux prĂ©sente une centaine de textes anciens en crĂ©ole français de la CaraĂŻbe, datant principalement des XVIII et XIXĂšmes sciĂšcles (...) et relevant de genres multiples. Cette Ă©tude entreprend de saisir et dĂ©crire les interactions dans ces sociĂ©tĂ©s complexes, et par une approche contrastive, philologique, linguistique et sociolinguistique de textes souvent inĂ©dits, permet de revoir les hypothĂšses classiques en matiĂšre de genĂšse, tout en proposant un schĂ©ma historique de la crĂ©olisation. On peut ainsi mieux comprendre la formation et le dĂ©veloppement de ces langues qu’on appelle crĂ©oles » [4Ăšme de couverture de l’ouvrage].

Était-il utile de parler de l’axiomatique illusionniste de l’un des adeptes du radotage sur Facebook alors mĂȘme qu’il aurait mieux valu laisser

Marc-Arthur Thys, promoteur d’un sentencieux et prĂ©tentieux verbiage prĂ©scientifique, arpenter son habituelle solitude, lui qui n’est dĂ©tenteur d’aucune compĂ©tence connue en linguistique et n’a publiĂ© aucun article scientifique sur le crĂ©ole ? Il est vrai qu’il aurait mieux valu laisser

Marc-Arthur Thys arpenter seul la pauvretĂ© de sa pensĂ©e prĂ©-scientifique et son culte immodĂ©rĂ© du radotage. Toutefois il nous a semblĂ© pertinent de l’évoquer briĂšvement afin de rappeler une exigence qui relĂšve de l’épistĂ©mologie comme d’ailleurs de l’éthique : les linguistes doivent ĂȘtre Ă  l’écoute de l’opinion et de la maniĂšre de penser des non-linguistes au sujet de la problĂ©matique linguistique haĂŻtienne afin de proposer, au moyen d’échanges rigoureusement documentĂ©s, une vision rassembleuse

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis de l’amĂ©nagement des deux langues de notre patrimoine linguistique historique en conformitĂ© avec la Constitution de 1987 et aussi dans le but d’offrir en partage des propositions fondĂ©es sur les sciences du langage. C’est Ă©galement l’occasion de rappeler que la prise en compte de l’opinion des non-linguistes ne signifie pas que cette opinion constitue un discours scientifique Ă  valeur Ă©gale avec les sciences du langage : souvent l’opinion des non-linguistes sur le crĂ©ole relĂšve d’une vision enchĂąssĂ©e dans l’idĂ©ologie et dans des revendications identitaires, et les porteurs des diverses variĂ©tĂ©s d’un discours idĂ©ologique sur le crĂ©ole confondent indistinctement une opinion et un discours scientifique sur la langue crĂ©ole.

L’évocation ponctuelle du pontifiant verbiage de Marc-Arthur Thys nous permet Ă©galement de rappeler un fait observable : trĂšs souvent en HaĂŻti la discussion et les Ă©changes sur la problĂ©matique linguistique haĂŻtienne et en particulier sur le crĂ©ole sont passionnelles, elles s’effectuent trop frĂ©quemment sur le mode de l’enfermement idĂ©ologique et d’une pensĂ©e binaire quasi catĂ©chĂ©tique Ă  contre-courant des sciences du langage. Il est de surcroĂźt particuliĂšrement symptomatique et rĂ©vĂ©lateur de constater que l’enfermement idĂ©ologique et la pensĂ©e binaire quasi catĂ©chĂ©tique caractĂ©risent Ă  la fois le discours d’un nombre indĂ©terminĂ© de « militantsapĂŽtres-crĂ©olistes » et celui des Ayatollahs du crĂ©ole. C’est donc en raison de cette « parentĂ© idĂ©elle » et idĂ©ologique qu’il importe de soumettre Ă  l’analyse critique, toutes les fois qu’il le faut, le dispositif Ă©nonciatif mis en Ɠuvre par les « militants-apĂŽtres-crĂ©olistes » et celui des Ayatollahs du crĂ©ole.

L’enfermement idĂ©ologique et la pensĂ©e binaire dont il est question dans cet article relĂšvent de l’« idĂ©ologie linguistique ». Dans une Ă©tude qui a le grand mĂ©rite de caractĂ©riser les principaux ressorts des idĂ©ologies linguistiques, « IdĂ©ologies linguistiques et didactique des langues », ZiXi Wang (UniversitĂ© Paul ValĂ©ry-Montpellier), nous enseigne qu’« En sociolinguistique, H. Boyer (2003, p. 17) souligne que l’idĂ©ologie est en effet « un corps plus ou moins fermĂ© de reprĂ©sentations, une construction socio-cognitive spĂ©cifique Ă  teneur coercitive, susceptible de lĂ©gitimer des discours performatifs et donc des actions dans la perspective de la conquĂȘte, de l’exercice, du maintien d’un pouvoir au sein de la communautĂ© concernĂ©e ou face Ă  une autre / d’autres communautĂ©(s) ». Citant Jean-Louis Chiss, il prĂ©cise que « Les idĂ©ologies linguistiques, « mythes » discursivement

organisĂ©s, structurent historiquement « des reprĂ©sentations spontanĂ©es Ă  la fois volatiles et prĂ©gnantes » (Chiss, 2010, p. 12), qui se diffusent et s’installent dans les lieux oĂč se fabriquent et se transmettent les savoirs sur les langues comme l’école et le journal (Chiss., 2005, p. 70). Il s’agira de mesurer leurs influences sur la linguistique savante, sur les politiques linguistiques, sur les systĂšmes Ă©ducatifs et leur « offre » de langues (Chiss, 2010) ». L’auteur de l’article prĂ©cise Ă©galement que « L’un des traits d’idĂ©ologie linguistique rĂ©side dans l’idĂ©e ordinaire des locuteurs, de l’inĂ©galitĂ© de langues. Cette reprĂ©sentation idĂ©ologique des langues consiste Ă  faire croire que les langues sont d’inĂ©gales valeurs. Elle provient le plus souvent de prĂ©jugĂ©s ethnocentriques, qui consistent Ă  la dĂ©valorisation des langues d’altĂ©ritĂ©s, pour maintenir la supĂ©rioritĂ© de sa propre langue/culture et de son groupe (Beacco, 2003) ». (Voir ZiXi Wang : « IdĂ©ologies linguistiques et didactique des langues », HypothĂšses – Carnet de recherche, 12 janvier 2015). L’article de Jean-Louis Chiss datĂ© de 2005 auquel se rĂ©fĂšre ZiXi Wang s’intitule « La thĂ©orie du langage face aux idĂ©ologies linguistiques » (consignĂ© dans G.Dessons, S. Martin & P. Michon (Ă©ds.), « Henri Meschonnic, la pensĂ©e et le poĂšme », Paris, InPress) et il a Ă©tĂ© reproduit dans la revue Langages, 2011/2, n° 182. Celui de 2010 a pour titre « Linguistique française et enseignement du français (de l’EPPFE Ă  l’UFR DFLE) : l’épreuve de l’étranger » et il a Ă©tĂ© Ă©ditĂ© par la SociĂ©tĂ© internationale pour l’histoire du français langue Ă©trangĂšre ou seconde, sĂ©rie « Documents pour l’histoire du français langue Ă©trangĂšre ou seconde » (44 / 2010). L’un des livres phare de Jean-Louis Chiss a pour titre « La culture du langage et les idĂ©ologies linguistiques » (Éditions Lambert-Lucas, 2018). Il plaide pour la survenue d’un acte fondateur, Ă  savoir « dĂ©construire les idĂ©ologies », affronter les « dĂ©terminations politiques et Ă©thiques » [car dit-il] « (...) les idĂ©ologies linguistiques se construisent comme des ensembles structurĂ©s de reprĂ©sentations et de discours avec une consistance, une systĂ©matisation, une historicitĂ© surtout, et s’inscrivent dans des cultures linguistiques et Ă©ducatives spĂ©cifiques ». La notion d’« idĂ©ologie linguistique », a Ă©galement Ă©tĂ© abordĂ©e dans l’étude d’Annette Boudreau intitulĂ©e « IdĂ©ologie linguistique » parue dans Langage et sociĂ©tĂ©, HS1, 2021. Elle prĂ©cise, entre autres, que « Les idĂ©ologies linguistiques ont fait retour en Europe par l’anthropologue du langage Ă©tats-unien Michael Silverstein. Il les dĂ©finit comme « A set of beliefs about language articulated by users as a rationalization or justification of perceived language and use (1979, p. 193) »

[Traduction RBO : « Ensemble de croyances sur la langue formulées par

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis les utilisateurs pour rationaliser ou justifier la langue et l’utilisation qu’ils en font »]. Annette Boudreau note que « Cette dĂ©finition s’est affinĂ©e avec le temps afin d’inclure des facteurs historiques et socio-politiques qui permettent de mieux comprendre comment s’établissent et s’exercent les relations de pouvoir Ă  l’intĂ©rieur d’un groupe, lesquelles contribuent Ă  la façon dont ses membres perçoivent leurs langue(s) et celle(s) des autres, et agissent sur leurs pratiques linguistiques (pour une synthĂšse des diffĂ©rentes approches, voir Costa, 2017) ».

La problĂ©matique de l’« idĂ©ologie linguistique » a Ă©tĂ© abordĂ©e avec hauteur de vue par le sociolinguiste et sociodidacticien haĂŻtien Bartholy Pierre Louis dans sa remarquable thĂšse de doctorat intitulĂ©e « Quelle autogestion des pratiques sociolinguistiques haĂŻtiennes dans les interactions verbales scolaires et extrascolaires en HaĂŻti ? : une approche sociodidactique de la pluralitĂ© linguistique ». Cette thĂšse de doctorat, dĂ©fendue avec succĂšs le 15 dĂ©cembre 2015 sous le sceau de l’UniversitĂ© europĂ©enne de Bretagne (laboratoire « Plurilinguisme, reprĂ©sentations, expressions francophones information, communication, sociolinguistique », PREFics – UFR Arts, lettres, communication (ALC), a Ă©tĂ© Ă©laborĂ©e sous la direction du linguiste Philippe Blanchet, professeur Ă  l’Universit ? ? Rennes 2. Sociolinguiste, spĂ©cialiste du plurilinguisme et didacticien de rĂ©putation internationale, Philippe Blanchet est l’auteur entre autres de « Les transpositions didactiques », dans Blanchet, P. et Chardenet, P. (dir.), « Guide pour la recherche en didactique des langues et des cultures. Approches contextualisĂ©es ». MontrĂ©al / Paris, PREFics, Agence universitaire de la Francophonie / Éditions des archives contemporaines, 2011 ; il est Ă©galement l’auteur de « Politique linguistique et diffusion du français dans le monde », dans Bulot, T. et Blanchet, Ph., « Une introduction Ă  la sociolinguistique (pour l’étude des dynamiques de la langue française dans le monde) », Éditions des archives contemporaines, Paris, 2013.

Dans sa thĂšse de doctorat, Bartholy Pierre Louis examine, Ă  partir d’une recherche de terrain effectuĂ©e en HaĂŻti, « L’idĂ©ologie linguistique haĂŻtienne : pour ou contre le français ? » (chapitre 4.3.1.3, page 201 et suivantes). Il expose que « Ce travail de recherche basĂ© sur une approche empirico-inductive est une description analytique et une synthĂšse interprĂ©tative des pratiques sociolinguistiques haĂŻtiennes Ă  partir des reprĂ©sentations du français et du crĂ©ole (langues co-officielles) ». Il fait la dĂ©monstration que

« l’idĂ©ologie linguistique haĂŻtienne » fonctionne sur le mode de la pensĂ©e binaire, celle de l’opposition idĂ©ologique instituĂ©e entre le français et le crĂ©ole dans le discours des « crĂ©olistes » fondamentalistes : l’une des caractĂ©ristiques majeures de « l’idĂ©ologie linguistique haĂŻtienne » repĂ©rable chez les « crĂ©olistes » fondamentalistes et autres Ayatollahs du crĂ©ole consiste en effet, par l’émission d’une « fatwa » contre la langue française en HaĂŻti, Ă  enfermer les dĂ©bats sur le crĂ©ole dans l’étroite lucarne d’une pseudo « guerre des langues » en HaĂŻti. C’est le lieu de rappeler que l’« idĂ©ologie linguistique haĂŻtienne » – sanctuarisĂ©e Ă  l’AcadĂ©mie crĂ©ole, l’AKA, ou chez plusieurs « militants-apĂŽtres-crĂ©olistes » en HaĂŻti et en diaspora ou au MIT Haiti Initiative –, met en Ɠuvre deux leviers majeurs au creux du populisme linguistique : le « fĂ©tichisme de la langue » et l’« idĂ©ologisation de la langue », leviers qui n’appartiennent pas aux sciences du langage et qui ne peuvent pas modĂ©liser l’amĂ©nagement du crĂ©ole.

« L’opĂ©ration de fĂ©tichisation de la langue lĂ©gitime » et « l’idĂ©ologie de la langue comme bien public » sont dĂ©crites par le sociologue Pierre Bourdieu et Luc Boltanski dans une longue Ă©tude intitulĂ©e « Le fĂ©tichisme de la langue » (Actes de la recherche en sciences sociales, volume 1 no 4, juillet 1975, numĂ©ro thĂ©matique « Le fĂ©tichisme de la langue »). La « fĂ©tichisation de la langue lĂ©gitime » est Ă©galement abordĂ©e par Pierre Bourdieu dans « Langage et pouvoir symbolique » (Éditions Fayard, 2014), au chapitre 1, « La production et la reproduction de la langue lĂ©gitime » compris dans « Ce que parler veut dire / L’économie des Ă©changes linguistiques » auparavant publiĂ© aux Éditions Fayard en 1982 [1997]. Le lecteur curieux pourra consulter ces publications en vue d’approfondir les propositions analytiques de l’auteur. Dans le cadre de cet article de vulgarisation, il est utile de rappeler que le terme « fĂ©tichisation » s’entend au sens de « Attribuer Ă  quelqu’un ou Ă  quelque chose une existence ou un pouvoir quasi-magique » (dictionnaire Ortolang), et « fĂ©tichiser » signifie « Attribuer Ă  quelqu’un, Ă  quelque chose une existence ou un pouvoir quasi magique, les respecter de façon excessive » (dictionnaire Le Larousse). La « fĂ©tichisation » Ă©voquĂ©e dans le prĂ©sent article dĂ©signe donc les divers dispositifs Ă©nonciatifs relatifs au crĂ©ole qui s’expriment pour l’essentiel sur le registre de l’idĂ©ologie : il y a une vĂ©ritable migration, notamment depuis 1987, du dĂ©bat d’idĂ©es sur le crĂ©ole depuis le pĂ©rimĂštre des sciences du langage vers l’étroite lucarne de l’idĂ©ologie.

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis

De maniĂšre rĂ©currente, la « fĂ©tichisation de la langue lĂ©gitime », le crĂ©ole, consiste Ă  l’essentialiser en lui accordant toutes les « vertus » faisant de lui l’essence unique de l’identitĂ© haĂŻtienne, l’unique instrument, l’unique potion pouvant assurer le « salut » du corps social haĂŻtien malade de tous ses maux historiques et contemporains. L’abord de la « fĂ©tichisation de la langue » est d’un grand intĂ©rĂȘt pour bien comprendre les diffĂ©rentes manifestations du repli et de l’enfermement de la rĂ©flexion sur le crĂ©ole dans les filets de l’idĂ©ologie. En HaĂŻti comme dans diffĂ©rentes aires gĂ©ographiques, la « fĂ©tichisation de la langue » a empruntĂ© la voie de l’« essentialisation de la langue », phĂ©nomĂšne amplement Ă©tudiĂ© par Jean-Marie Klinkenberg dans l’article « La conception essentialiste du français et ses consĂ©quences / RĂ©flexions polĂ©miques » (Revue belge de philosophie et d’histoire (tome 79, fasc. 3, 2001). Il l’exprime en ces termes : « Mais il y a quelque chose de commun entre les deux situations : c’est la manƓuvre qui consiste Ă  hypostasier la langue, Ă  en faire une essence, Ă  y voir un objet allant de soi. Qu’elle fonctionne comme emblĂšme ou stigmate, la langue est vue dans son unitĂ©, et non dans sa diversitĂ© ; dans son irrĂ©ductible spĂ©cificitĂ©, et non dans sa gĂ©nĂ©ricitĂ©. Et dĂšs lors une telle langue doit nĂ©cessairement ĂȘtre conforme Ă  un modĂšle idĂ©al, stable, voire immuable. Adamique et antĂ©-babĂ©lienne. Avatar de la croyance selon laquelle chaque langue aurait ce que l’on appelle mystĂ©rieusement son « gĂ©nie », cachĂ© dans un Saint des Saints auquel seuls auraient accĂšs certains grands prĂȘtres, cette conception est particuliĂšrement pregnante dans le cas de langue française, qui, plus qu’une autre, s’est dotĂ©e de puissants instruments de stabilisation et de cĂ©lĂ©bration ».

Un exemple rĂ©cent de « fĂ©tichisation de la langue » : la sanctification et la sanctuarisation du crĂ©ole dans le diptyque « lang kreyĂČl » / « lang blan » chez l’universitaire haĂŻtien Jean Casimir, enseignant-chercheur Ă  l’UniversitĂ© d’État d’HaĂŻti. Il a publiĂ© plusieurs articles sur le site Ayibopost dans lesquels il se prononce sur la problĂ©matique linguistique haĂŻtienne et en particulier sur le crĂ©ole. Il a ainsi fait paraĂźtre sur ce site, le 10 fĂ©vrier 2023, l’article « Lang blan yo p ap pran peyi a pou yo ». Comme nous l’avons dĂ©montrĂ© dans l’article « Jean Casimir ou les dĂ©rives d’une vision racialiste de la problĂ©matique linguistique haĂŻtienne » (Le National, Port-au-Prince, 21 mars 2023), Jean Casimir fait le lien entre la dĂ©mocratie et la langue que parle la dĂ©mocratie : « Pou gen demokrasi, fĂČk moun lavil – soti nan kwĂČkmĂČ nan simityĂš rive nan pi gwo otorite palĂš nasyonal – gouvĂšnen ak

lang pĂšp la pale. Depi alatĂšt yo kantonnen kĂČ yo nan sitadĂšl blan franse a, yo p ap pale ak abitan peyi a. Yo gen pwoteksyon etranje, e pa gen twonpĂšt de Jeriko k ap kraze mi sa a. » L’on a dĂšs ce paragraphe notĂ© le glissement –sĂ©mantique et conceptuel–, opĂ©rĂ© par l’auteur vers une vision essentialiste et racialiste des rapports entre les langues, d’une part, et, d’autre part, entre les langues et les forces politiques en HaĂŻti vĂ©hiculĂ©e par Jean Casimir : « nan sitadĂšl blan franse a ». Cette vision essentialiste et racialiste des rapports des forces politiques se dĂ©nude, sous la plume de l’auteur, au paragraphe suivant de son article : « (...) KĂČm blan sĂšnen nou tout kote, nou bezwen franse a ak tout lĂČt lang blan yo. Men fĂČk Lasosyete konprann ke konvĂšsasyon ak blan pa ka fĂšt dĂšyĂš do malere. Angle, franse, panyĂČl gen pou sikile tout kote nan peyi a, san restriksyon. Se dakĂČ. Men lang blan yo p ap pran peyi a pou yo. Yo p ap deplase kreyĂČl la, depi gen Ayisyen ladann ». Il y a lieu de tenir Ă  distance toute mĂ©sinterprĂ©tation de notre approche critique de la vision essentialiste et racialiste de Jean Casimir : s’il est vrai que sur des registres familiers du crĂ©ole le terme « blan » dĂ©signe l’« Ă©tranger » en gĂ©nĂ©ral – comme d’ailleurs le terme « nĂšg » dĂ©signe le gĂ©nĂ©rique « homme » –, dans le contexte de son article c’est la jonction de « lang » + « blan » qui est sĂ©mantiquement signifiante, qui est porteuse du sens premier de sa vision, car l’auteur cible trĂšs prĂ©cisĂ©ment la langue dans l’énoncĂ© « nou bezwen franse a ak tout lĂČt lang blan yo ». La vision racialiste de la problĂ©matique linguistique haĂŻtienne vĂ©hiculĂ©e par Jean Casimir participe pleinement de la « fĂ©tichisation de la langue » crĂ©ole par le dĂ©tour idĂ©ologique de l’hyspostasie et de l’« essentialisme linguistique » que dĂ©crit Jean-Marie Klinkenberg dans son article plus haut citĂ©. La vision racialiste de la problĂ©matique linguistique haĂŻtienne portĂ©e par Jean Casimir se dĂ©ploie au pĂ©rimĂštre du populisme linguistique aujourd’hui en vogue au ministĂšre de l’Éducation nationale et dans la minuscule sphĂšre de l’Akademi kreyĂČl. Par-delĂ  la lourde confusion que gĂ©nĂšre la vision racialiste de la problĂ©matique linguistique haĂŻtienne, il ne faut pas perdre de vue qu’elle s’inscrit objectivement dans l’axiomatique noiriste, celle de la racialisation de l’histoire nationale et de la racialisation des rapports entre les classes sociales en HaĂŻti telles que mises en Ɠuvre par le dictateur François Duvalier dans ses Ă©crits. La racialisation de l’histoire nationale est au fondement du fascisme duvaliĂ©riste qui a eu ses thurifĂ©raires et ses intellectuels de service ainsi que ses Ă©crits de propagande. Il est attestĂ© que la dictature de François Duvalier disposait de ses intellectuels « en service commandĂ© » : les frĂšres Paul et Jules Blanchet, l’autoproclamĂ©

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis

« historien » rĂ©visionniste Rony Gilot (laudateur-maquilleur de la dictature duvaliĂ©riste), l’idĂ©ologue raciste RenĂ© Piquion (porte-Ă©tendard du noirisme et des « authentiques »), GĂ©rard Daumec (le prĂ©facier en 1967 du « Guide des « ƒuvres essentielles » du docteur François Duvalier ») et le proto-nazi GĂ©rard de Catalogne (admirateur de PĂ©tain et de Maurras et responsable Ă©ditorial des « ƒuvres essentielles » de François Duvalier). Rappel : sur les fondements historiques du noirisme duvaliĂ©riste, voir la remarquable Ă©tude de Micheline Labelle, « La force opĂ©rante de l’idĂ©ologie de couleur en 1946 » consignĂ©e dans le livre paru sous la direction de Frantz Voltaire, « Pouvoir noir en HaĂŻti. L’explosion de 1946 », (MontrĂ©al : V&R Éditeurs et les Éditions du Cidihca, 1988).

L’« idĂ©ologisation de la langue » ainsi que la « fĂ©tichisation de la langue lĂ©gitime » dĂ©crites par les sociologues Pierre Bourdieu et Luc Boltanski dans l’étude « Le fĂ©tichisme de la langue » (Actes de la recherche en sciences sociales, volume 1 no 4, juillet 1975, numĂ©ro thĂ©matique « Le fĂ©tichisme de la langue »), sont Ă©galement repĂ©rables dans l’argumentaire pseudo-scientifique et fallacieux exposĂ© par le MIT Haiti Initiative pour justifier, sur le registre de la « lexicographie borlette », l’élaboration de son mĂ©diocre « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative ». L’« idĂ©ologisation de la langue » et la « fĂ©tichisation de la langue lĂ©gitime » sont ainsi mises en Ɠuvre sous couvert d’une dĂ©marche « lexicographique » et « nĂ©ologique » inconnue de la mĂ©thodologie de la lexicographie professionnelle : en embuscade sous les oripeaux de l’idĂ©ologie, l’« essentialisme linguistique » prend au MIT Haiti Initiative l’allure d’un discours scientifique qui, Ă  l’analyse, se rĂ©vĂšle incompĂ©tent et amateur. Ainsi, dans la plus grande confusion conceptuelle entre « glossaire » et « lexique », le MIT-Haiti Initiative a Ă©laborĂ© un lexique bilingue anglais-crĂ©ole d’environ 800 termes qu’il prĂ©sente faussement comme un « glossaire ». L’aventureuse prĂ©tention du MIT-Haiti Initiative de fournir un « Glossaire » destinĂ© Ă  « la crĂ©ation et la traduction de matĂ©riel dans les domaines des sciences, de la technologie, de l’ingĂ©nierie et des mathĂ©matiques (STEM) » s’apparie Ă  une vĂ©ritable « arnaque lexicographique » au creux de laquelle les rĂ©dacteurs du fantaisiste « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative », dĂ©pourvus de la moindre compĂ©tence connue en lexicographie crĂ©ole, soutiennent frauduleusement mener une entreprise de nĂ©ologie crĂ©ole. En effet, l’élaboration du « Glossary » est prĂ©sentĂ©e, sur le site du MIT – Haiti Initiative – au chapitre « KreyĂČl-English glosses

for creating and translating materials in Science, Technology, Engineering & Mathematics (STEM) fields in the MIT-Haiti Initiative » –, dans les termes suivants : « (...) l’un des effets secondaires positifs des activitĂ©s du MIT-HaĂŻti (ateliers sur les STEM, production de matĂ©riel en kreyĂČl de haute qualitĂ©, etc.) est que nous enrichissons la langue d’un nouveau vocabulaire scientifique qui peut servir de ressource indispensable aux enseignants et aux Ă©tudiants Ces activitĂ©s contribuent au dĂ©veloppement lexical de la langue » crĂ©ole » [Traduction : RBO]. Comme nous l’avons rigoureusement dĂ©montrĂ© dans notre article « La lexicographie crĂ©ole Ă  l’épreuve des Ă©garements systĂ©miques et de l’amateurisme d’une « lexicographie borlette » (Le National, 28 mars 2023), le pseudo « nouveau vocabulaire scientifique » bricolĂ© par le MIT – Haiti Initiative en dehors de la mĂ©thodologie de la lexicographie professionnelle comprend un grand nombre d’équivalents « crĂ©oles » fantaisistes, erratiques, faux, sĂ©mantiquement opaques, souvent non conforme au systĂšme morphosyntaxique du crĂ©ole et incomprĂ©hensibles du locuteur crĂ©olophone. L’autre grande caractĂ©ristique de la « lexicographie borlette » au creux du pseudo « nouveau vocabulaire scientifique » bricolĂ© par le MIT – Haiti Initiative est l’absence systĂ©matique du critĂšre de l’exactitude de l’équivalence lexicale conjoint Ă  celui de l’équivalence notionnelle alors mĂȘme qu’il est un critĂšre majeur placĂ© au centre de toute dĂ©marche lexicographique et terminologique. L’amateurisme confirmĂ© des rĂ©dacteurs-bricoleurs du « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative » Ă©claire donc le fait que, dĂ©pourvus de la moindre compĂ©tence connue en lexicographie crĂ©ole, ils alimentent une vision erratique et fantaisiste de la nĂ©ologie crĂ©ole totalement opposĂ©e Ă  la mĂ©thodologie de la nĂ©ologie. (Sur la mĂ©thodologie de la nĂ©ologie, voir l’article de Salah Mejri et Jean-François Sablayrolles, « PrĂ©sentation : nĂ©ologie, nouveaux modĂšles thĂ©oriques et NTIC » paru dans la revue Langages no 183, 2011/3 ; voir aussi l’étude « NĂ©ologie sĂ©mantique et analyse de corpus » parue sous la direction de Jean-François Sablayrolles dans les Cahiers de lexicologie, Éditions Classiques Garnier, Paris 2012. Les Cahiers de lexicologie sont publiĂ©s par le laboratoire Lexiques, dictionnaires, informatique (lDi, UniversitĂ© Paris 13 – UniversitĂ© de Cergy-Pontoise – Centre national de la recherche scientifique de France) ; voir Ă©galement l’article de Robert BerrouĂ«t-Oriol, « La nĂ©ologie scientifique et technique, un indispensable auxiliaire de la didactisation du crĂ©ole » consignĂ© dans le livre collectif de rĂ©fĂ©rence « La didactisation du crĂ©ole au cƓur de l’amĂ©nagement

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis linguistique en HaĂŻti ». CoordonnĂ© et co-Ă©crit par Robert BerrouĂ«t-Oriol, cet ouvrage a Ă©tĂ© publiĂ© en 2021 aux Éditions ZĂ©mĂšs, Ă  Port-au-Prince, et aux Éditions du Cidihca, Ă  MontrĂ©al). Illustration :

TABLEAU 1 - Échantillon de pseudo Ă©quivalents « crĂ©oles » du « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative »

Termes anglais

atomic packing

Équivalents « crĂ©oles** » du « Glossary » du MIT-Haiti Initiative

makonn atomik [1,2,3,4]

background circle sĂšk nan fon [1,2,3,4]

bar graph grafik ti baton [1,2,3,4]

air resistance rezistans lĂš [1,3,4]

air track pis kout lĂš ; pis ayere [1,2,3,4] and replica plate on epi plak pou replik sou [1,2,3,4]

escape velocity vitĂšs chape poul [1,3,4]

multiple regression analysis analiz pou yon makonnay regresyon [1,2,3,4]

center of mass sant mas yo [1,2,3,4]

checkbox bwat tchĂšk [1,2,3,4]

flux meter flimĂšt [1,3,4]

line integral entegral sou liy [1,2,3,4]

peer instruction enstriksyon ant kanmarad [1,3,4]

prior (conjugate) konpayĂšl o pa [1,2,3,4]

seasaw prinsiple prensip balanswa baskil [1,2,3,4]

spin angular momentum moman angilĂš piwĂšt [1,2,3,4]

** Remarques analytiques sur les Ă©quivalents « crĂ©oles » : 1 = Ă©quivalent faux et/ou fantaisiste et/ou qui ne constitue pas une unitĂ© lexicale ; 2 = Ă©quivalent non conforme Ă  la syntaxe du crĂ©ole ; 3 = Ă©quivalent prĂ©sentant une totale opacitĂ© sĂ©mantique ; 4 = Ă©quivalent dont la catĂ©gorie lexicale n’est pas prĂ©cisĂ©e.

Nous avons procĂ©dĂ© Ă  un diagnostic rigoureux et dĂ©taillĂ© du naufrage de la lexicographie crĂ©ole au MIT Haiti Initiative dans plusieurs articles que le lecteur peut en tout temps consulter : « Le traitement lexicographique du crĂ©ole dans le « Glossary of STEM terms from the MIT – HaĂŻti Initiative », Le National, 21 juillet 2020 ; « Le naufrage de la lexicographie crĂ©ole au MIT Haiti Initiative », Le National, 15 fĂ©vrier 2022 ; « La lexicographie crĂ©ole Ă  l’épreuve des Ă©garements systĂ©miques et de l’amateurisme

d’une « lexicographie borlette », Le National, 28 mars 2023 ; « Toute la lexicographie haĂŻtienne doit ĂȘtre arrimĂ©e au socle mĂ©thodologique de la lexicographie professionnelle », Le National, 29 dĂ©cembre 2022. Voir aussi notre article « Plaidoyer pour une lexicographie crĂ©ole de haute qualitĂ© scientifique », Le National, 15 dĂ©cembre 2021.

Pour étayer davantage cette revue analytique, voici, à titre comparatif, un échantillon de dictionnaires et de lexiques élaborés en dehors de la méthodologie de la lexicographie professionnelle :

TABLEAU 2 - Principales caractéristiques des ouvrages élaborés en dehors de la méthodologie de la lexicographie professionnelle (échantillon de 4 publications)

Titre de l’ouvrage

Auteur(s) et éditeurs Catégorie Principales caractéristiques lexicographiques

DiksyonĂš kreyĂČl Vilsen Maud Heurtelou, FĂ©quiĂšre Vilsaint ; ÉducaVision, 1994

Leksik kreyĂČl : ekzanp devlopman kĂšk mo ak fraz a pati 1986 Emmanuel VĂ©drine ; Creole Project, Inc., 2000

Dictionnaire unilingue créole AccÚs aux formats papier et Web

S’intitule « leksik » alors qu’il est un glossaire unilingue crĂ©ole

Incohérence, insuffisance ou inadéquation de nombreuses définitions. Certaines rubriques comprennent des notes explicatives.

De nombreuses entrées (« mots vedettes ») sont des slogans ou des séquences de phrases ou des proverbes. De nombreuses entrées ne sont pas des unités lexicales. Incohérence, insuffisance ou inadéquation des rares définitions.

DiksyonĂš kreyĂČl karayib Jocelyne Trouillot ; Éditions CUC

Université Caraïbe, non daté

Glossary of STEM terms from the MIT –Haiti Initiative

Dictionnaire unilingue créole au format papier uniquement

MIT – Haiti Initiative, 2015 ( ?) Lexique bilingue anglais-crĂ©ole. AccĂšs Web uniquement

Incohérence, insuffisance ou inadéquation de nombreuses définitions. De nombreuses entrées (« mots vedettes ») ne sont pas des unités lexicales, ce sont plutÎt des noms propres ou des toponymes...

Équivalents crĂ©oles trĂšs souvent fantaisistes, erratiques, asĂ©mantiques et non conformes au systĂšme morphosyntaxique du crĂ©ole.

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis

Pour mieux donner Ă  voir l’éclairage analytique ici exposĂ© de la lexicographie haĂŻtienne (sur ses versants français et crĂ©ole, voici, Ă  titre comparatif, un Ă©chantillon de dictionnaires et de lexiques Ă©laborĂ©s en conformitĂ© avec la mĂ©thodologie de la lexicographie professionnelle :

TABLEAU 3 - Ouvrages lexicographiques (lexiques et dictionnaires) élaborés en conformité avec la méthodologie de la lexicographie professionnelle (10 ouvrages sur un total de 75 publiés entre 1958 et 2022)

Titre Auteur

Ti diksyonnĂš kreyĂČl-franse

Haitian Creole-English-French Dictionnary (vol. I, vol. II)

Petit lexique crĂ©ole haĂŻtien utilisĂ© dans le domaine de l’électricitĂ©

DiksyonĂš ĂČtograf kreyĂČl ayisyen

Dictionnaire préliminaire des fréquences de la langue créole

Dictionnaire inverse de la langue crĂ©ole haĂŻtienne/ DiksyonĂš lanvĂ  lang kreyĂČl ayisyen

Dictionnaire de l’écolier haĂŻtien

Dictionnaire de l’évolution du vocabulaire français en HaĂŻti (tome 1)

Dictionnaire de l’évolution du vocabulaire français en HaĂŻti (tome 2)

Haitian Creole-English Bilingual Dictionnary

Henry Tourneux, Pierre Vernet et al.

Albert Valdman et al

Henry Tourneux

Pierre Vernet, B.C. Freeman

Date Éditeur

1976 Éditions caraïbes

1981 Creole Institute, Bloomington University

1986 CNRS – Cahiers du Lacito

1988 Sant lengwistik aplike, InivĂšsite

Leta Ayiti

Pierre Vernet, B.C. Freeman 1989 Sant lengwistik aplike, InivĂšsite

Leta Ayiti

B.C. Freeman 1989 Sant lengwistik aplike, InivĂšsite

Leta Ayiti

AndrĂ© Vilaire Chery 1996 HachetteDeschamps/ ÉDITHA

AndrĂ© Vilaire Chery 2000 Éditions Édutex

AndrĂ© Vilaire Chery 2002 Éditions Édutex

Albert Valdman 2007 Creole Institute, Bloomington University

Existe-t-il une « parentĂ© idĂ©ologique et fonctionnelle » entre « l’opĂ©ration de fĂ©tichisation de la langue lĂ©gitime », le crĂ©ole, « l’idĂ©ologie de la langue comme bien public », la stigmatisation du crĂ©ole et le discours idĂ©ologique des Ayatollahs du crĂ©ole, discours axĂ© sur l’exclusion et l’anathĂšme ciblant le français et qui sont repĂ©rables au cƓur du populisme linguistique ? La rĂ©ponse est « oui » et cette parentĂ© idĂ©ologique est attestĂ©e de diffĂ©rentes façons. Ainsi, dans leur dispositif Ă©nonciatif, les deux corps d’idĂ©es « fonctionnent Ă  l’idĂ©ologie » au sens oĂč c’est l’idĂ©ologie, plutĂŽt que les sciences du langage, qui est le facteur dominant de leurs Ă©noncĂ©s : ceux-ci sont des « jugements » sur la langue historiquement et socialement marquĂ©s, comme c’est le cas par exemple avec les termes « kreyĂČl rĂšk », « lang moun mĂČn », « frankofoli », « lang blan an », « lang kolon an ». Toujours dans leur dispositif Ă©nonciatif, les deux corps d’idĂ©es se rejoignent sur le registre de l’enfermement de la langue crĂ©ole : d’une part celle-ci est forclose dans sa nĂ©gativitĂ©, et le crĂ©ole est Ă  ce titre stigmatisĂ© ; d’autre part la langue crĂ©ole est forclose au pĂ©rimĂštre d’un discours fondamentaliste clivant qui « fĂ©tichise » le crĂ©ole et agit comme un vĂ©ritable repoussoir dĂ©mobilisateur aussi bien auprĂšs des unilingues crĂ©olophones que des bilingues crĂ©ole-français (voir notre article « La « fĂ©tichisation » du crĂ©ole sous la plume de Daly Valet, une voie rĂ©ductrice et sans issue », Le National, 13 septembre 2022).

La « fĂ©tichisation du crĂ©ole » est amplement redevable des errements idĂ©ologiques du linguiste Yves Dejean et elle conduit certains « crĂ©olistes » fondamentalistes Ă  plaider pour que le pays avalise une option-cul-desac inconstitutionnelle consistant en l’éviction de la langue française en HaĂŻti. Manifestement, il s’agit lĂ  d’un choix politique de sociĂ©tĂ© Ă©troitement liĂ© au monolinguisme chimĂ©rique prĂŽnĂ© par le linguiste Yves Dejean dans sa pĂ©tition du 12 juin 2010, « Rebati ». Ce « monolinguisme de la surditĂ© historique » Ă©tait dĂ©jĂ  promu par Yves Dejean en 1975 dans la plaquette « Dilemme en HaĂŻti : français en pĂ©ril ou pĂ©ril français ? » (Éditions Connaissance d’HaĂŻti), ainsi que dans d’autres textes de facture aveuglĂ©ment idĂ©ologique, dont « FransĂ© sĂ© danjĂ© » (revue SĂšl, n° 23-24 ; n° 33-39, New York, 1975). Ce choix de sociĂ©tĂ©, qui s’oppose frontalement Ă  l’article 5 de la Constitution de 1987, est portĂ© par d’autres « crĂ©olistes » fondamentalistes qui prĂŽnent, dans une grande solitude, la survenue de « yon sĂšl lang ofisyĂšl » en HaĂŻti. Une rĂ©cente expression du fondamentalisme crĂ©olophile et de l’aveuglement volontaire se donne Ă  voir

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis dans l’article « Yon sĂšl lang ofisyĂšl pou dechouke mantalite nou » (Le Nouvelliste, 31 mai 2018) annonçant la parution en HaĂŻti du livre fantaisiste de GĂ©rard-Marie Tardieu, « Yon sĂšl lang ofisyĂšl » (Éditions l’Action sociale, 2018) dans lequel celui-ci, membre fondateur de l’AcadĂ©mie crĂ©ole, plaide pour un unilatĂ©ralisme crĂ©ole sectaire et dogmatique qui entend exclure l’une des deux langues de notre patrimoine linguistique historique, le français, en violation flagrante de l’article 5 de la Constitution de 1987 (voir notre article « Le crĂ©ole, « seule langue officielle » d’HaĂŻti : mirage ou vaine utopie ? », Le National, 7 juin 2018). Il est attestĂ© que ce livre fourre-tout, dĂ©pourvu de la moindre argumentation scientifique, n’a pas Ă©tĂ© pris au sĂ©rieux par les enseignants, par les directeurs d’écoles et mĂȘme par le ministĂšre de l’Éducation nationale qui, depuis le retour aux affaires en 2021 de Nesmy Manigat, la « superstar » du cartel politico-mafieux du PHTK nĂ©o-duvaliĂ©riste, promeut plusieurs versions du populisme linguistique au creux d’une erratique et bricoleuse gouvernance du systĂšme Ă©ducatif national (voir nos articles « Le LIV INIK AN KREYÒL et la problĂ©matique des outils didactiques en langue crĂ©ole dans l’École haĂŻtienne » (RezonĂČdwĂšs, 25 aoĂ»t 2023) ; « Le ministre de facto de l’Éducation Nesmy Manigat et l’amĂ©nagement du crĂ©ole dans l’École haĂŻtienne : entre surditĂ©, mal-voyance et dĂ©ni de rĂ©alitĂ© » (Le National, 2 dĂ©cembre 2021), et « Un « Plan dĂ©cennal d’éducation et de formation 2018 – 2028 » en HaĂŻti dĂ©nuĂ© d’une vĂ©ritable politique linguistique Ă©ducative (Le National, 31 octobre 2018).

Au dĂ©but de cet article nous avons Ă©voquĂ©, sur le registre des dĂ©bats d’idĂ©es relatifs Ă  la problĂ©matique linguistique haĂŻtienne, l’enfermement idĂ©ologique et la pensĂ©e binaire quasi catĂ©chĂ©tique qui se dĂ©ploient Ă  contre-courant des sciences du langage : elles relĂšvent de l’« idĂ©ologie linguistique » que nous avons dĂ©finie et exemplifiĂ©e. Nous avons exposĂ© que l’enfermement idĂ©ologique, chez plusieurs « militants-apĂŽtres-crĂ©olistes » en HaĂŻti et en diaspora, met en Ɠuvre deux leviers majeurs au creux du populisme linguistique : le « fĂ©tichisme de la langue » et l’« idĂ©ologisation de la langue », leviers qui n’appartiennent pas aux sciences du langage et qui ne peuvent pas modĂ©liser l’amĂ©nagement du crĂ©ole. Dans le cours de notre rĂ©flexion analytique, nous avons mis en lumiĂšre la rĂ©alitĂ© que la « fĂ©tichisation de la langue » se dĂ©ploie en lien avec les diffĂ©rentes manifestations du repli et de l’enfermement de la rĂ©flexion sur le crĂ©ole dans les filets de l’idĂ©ologie. Cela Ă©claire pour l’essentiel le fait que les « militants-

apĂŽtres-crĂ©olistes », ainsi que les Ayatollahs du crĂ©ole, passent totalement sous silence la problĂ©matique de la didactisation du crĂ©ole ainsi que celle de l’élaboration d’une lexicographie crĂ©ole de haute qualitĂ© scientifique (sur la didactisation du crĂ©ole, voir le livre collectif de rĂ©fĂ©rence « La didactisation du crĂ©ole au cƓur de l’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti », par Robert BerrouĂ«t-Oriol et alii, Éditions ZĂ©mĂšs, Port-au-Prince, et Éditions du Cidihca, MontrĂ©al, 2021 ; voir aussi notre article « La problĂ©matique de l’amĂ©nagement et de la didactisation du crĂ©ole dans l’École haĂŻtienne : promouvoir une vision rassembleuse » (RezonĂČdwĂšs, 17 novembre 2023) ; sur la lexicographie crĂ©ole, voir notre article « Plaidoyer pour une lexicographie crĂ©ole de haute qualitĂ© scientifique » (Le National, 15 dĂ©cembre 2021 ; voir Ă©galement notre article « Lexicographie crĂ©ole : retour-synthĂšse sur la mĂ©thodologie d’élaboration des lexiques et des dictionnaires » (Le National, 4 avril 2023). Ayant dĂ©libĂ©rĂ©ment choisi l’enfermement dans les filets de l’idĂ©ologie, les « militants-apĂŽtres-crĂ©olistes et les Ayatollahs du crĂ©ole Ă©vacuent les exigences de la mise en Ɠuvre des droits linguistiques de tous les locuteurs haĂŻtiens. De la sorte, ils passent totalement sous silence les fondements constitutionnels de l’amĂ©nagement des deux langues officielles d’HaĂŻti par une interprĂ©tation tronquĂ©e et partielle de l’article 5 de la Constitution de 1987 et ils appellent Ă  la violation de notre Charte fondamentale en prĂŽnant la survenue de « yon sĂšl lang ofisyĂšl ».

À contre-courant de ces dĂ©rives idĂ©ologiques et politiques, nous faisons le plaidoyer rassembleur de l’amĂ©nagement simultanĂ© du crĂ©ole en HaĂŻti aux cĂŽtĂ©s du français en conformitĂ© avec la Constitution de 1987 (voir notre article « Le partenariat crĂ©ole-français, l’unique voie constitutionnelle et rassembleuse en HaĂŻti » (Le National, 14 mars 2023). Les remontĂ©es de terrain qui nous parviennent rĂ©guliĂšrement indiquent que cette vision est partagĂ©e par un grand nombre d’enseignants, de directeurs d’écoles et de linguistes oeuvrant en HaĂŻti. Promouvoir un dĂ©bat rigoureux et rassembleur sur l’amĂ©nagement simultanĂ© de nos deux langues officielles requiert d’expliquer et de partager davantage cette vision de l’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti en stricte conformitĂ© avec la Constitution de 1987 et en lien avec la DĂ©claration universelle des droits linguistiques de 1996. Les linguistes amĂ©nagistes doivent donc poursuivre – auprĂšs des directeurs d’écoles, des parents d’élĂšves et des enseignants –, un patient travail d’explicitation des enjeux et de la nĂ©cessitĂ© d’amĂ©nager simultanĂ©ment les deux langues officielles du pays dans l’espace public et dans

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis l’École haĂŻtienne conformĂ©ment Ă  la Constitution de 1987. Il ne s’agit pas lĂ  d’une « option facultative » mais bien d’une obligation constitutionnelle, au cƓur mĂȘme de l’État de droit dont les fondements se trouvent dans la Constitution haĂŻtienne de 1987, et cette obligation constitutionnelle s’apparie aux droits linguistiques tels que dĂ©finis par la DĂ©claration universelle des droits linguistiques de 1996. La vision et les perspectives dont nous faisons le plaidoyer rassembleur dĂ©signent la future politique linguistique de l’État haĂŻtien, le « bilinguisme de l’équitĂ© des droits linguistiques » au cƓur d’un futur État de droit (voir nos articles « La Constitution de 1987 est au fondement du « bilinguisme de l’équitĂ© des droits linguistiques » en HaĂŻti » (Le National, 25 avril 2023), et « La Constitution de 1987 est au fondement du « bilinguisme de l’équitĂ© des droits linguistiques » en HaĂŻti » (Le National, Port-au-Prince, 25 avril 2023) ; voir aussi notre livre « Plaidoyer pour les droits linguistiques en HaĂŻti / Pledwaye pou dwa lenguistik ann Ayiti » (Éditions ZĂ©mĂšs et Éditions du Cidihca, 2018). C’est bien pour promouvoir les droits linguistiques des locuteurs et pour institutionnaliser les interventions de l’État sur le registre de ses obligations constitutionnelles relatives au statut des langues et Ă  l’amĂ©nagement linguistique que de nombreux États ont promulguĂ© des lois destinĂ©es Ă  orienter et Ă  encadrer la vie des langues dans leurs pays respectifs : dans tous les cas de figure, il s’agit d’amĂ©nager le code et/ou le statut et/ou les usages institutionnels et communicationnels des langues prĂ©sentes dans un territoire donnĂ© (sur la problĂ©matique de l’amĂ©nagement linguistique dans le monde, voir le dossier « Les politiques d’amĂ©nagement linguistique : un tour d’horizon », TĂ©lE scope / Revue d’analyse comparĂ©e en administration publique, ÉNAP : École nationale d’administration publique, QuĂ©bec, automne 2010).

En guise de conclusion, il est utile de revisiter les prĂ©cieux enseignements du romancier et essayiste Édouard Glissant Ă  propos du crĂ©ole : « On ne peut plus Ă©crire son paysage ni Ă©crire sa propre langue de maniĂšre monolingue. Par consĂ©quent, les gens qui, comme par exemple les AmĂ©ricains, les États-Uniens, n’imaginent pas la problĂ©matique des langues, n’imaginent mĂȘme pas le monde. Certains dĂ©fenseurs du crĂ©ole sont complĂštement fermĂ©s Ă  cette problĂ©matique. Ils veulent dĂ©fendre le crĂ©ole de maniĂšre monolingue, Ă  la maniĂšre de ceux qui les ont opprimĂ©s linguistiquement. Ils hĂ©ritent de ce monolinguisme sectaire et ils dĂ©fendent leur langue Ă  mon avis d’une mauvaise maniĂšre. Ma position sur la question est

qu’on ne sauvera pas une langue dans un pays en laissant tomber les autres. » (Lise Gauvin : « L’imaginaire des langues – Entretien avec Édouard Glissant », revue Études françaises, 28, 2/3, 1992-1993, Presses de l’UniversitĂ© de MontrĂ©al, 1993).

Le « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole », un outil d’apprentissage de haute qualitĂ© scientifique pour l’École haĂŻtienne

Montréal, le 21 juin 2024

Les Ă©lĂšves haĂŻtiens, les enseignants, les directeurs d’écoles, les associations de parents d’élĂšves, les rĂ©dacteurs et Ă©diteurs de manuels scolaires auront Ă  leur disposition, dans un proche avenir il faut le souhaiter, l’un des meilleurs ouvrages produits par la lexicographie haĂŻtienne depuis 1958 : il s’agit du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole ».

Il a Ă©tĂ© Ă©laborĂ© en HaĂŻti, il y a quelques annĂ©es, par une Ă©quipe rĂ©dactionnelle dirigĂ©e par feu AndrĂ© Vilaire Chery et il a bĂ©nĂ©ficiĂ© de l’expertise des lexicographes oeuvrant au Creole Institute (Indiana University) sous la direction scientifique du linguiste-lexicographe Albert Valdman. La parution dans un proche avenir aux Ă©ditions ÉDITHA de cet outil d’apprentissage de haute qualitĂ© scientifique sera d’un apport considĂ©rable pour l’École haĂŻtienne qui ne dispose toujours pas –quarante-cinq ans aprĂšs le lancement de la rĂ©forme Bernard–, d’un dictionnaire bidirectionnel français-crĂ©ole/crĂ©ole-français et d’un dictionnaire unilingue crĂ©ole Ă©laborĂ©s selon la mĂ©thodologie de la lexicographie professionnelle.

Pourtant la lexicographie haĂŻtienne, sur ses versants français et crĂ©ole, a su produire au fil des ans des outils lexicographiques de grande qualitĂ© comme nous l’avons mis en lumiĂšre par l’analyse de plusieurs ouvrages lexicographiques (voir nos articles « Le “Dictionnaire de l’écolier haĂŻtien”, un modĂšle de rigueur pour la lexicographie en HaĂŻti », Le National, 31 aoĂ»t 2022, et « Lexicographie crĂ©ole : revisiter le « Petit lexique crĂ©ole haĂŻtien utilisĂ© dans le domaine de l’électricitĂ© » d’Henry Tourneux », MĂ©diapart, 6 mars 2022). La parution entre 1958 et 2023 d’une dizaine d’ouvrages lexicographiques crĂ©oles de grande qualitĂ© atteste deux rĂ©alitĂ©s dont il faut prendre toute la mesure. D’une part il existe en HaĂŻti et en dehors d’HaĂŻti des lexicographes compĂ©tents et, d’autre part, la lexicographie haĂŻtienne

s’est ancrĂ©e sur le socle de la mĂ©thodologie de la lexicographie professionnelle dĂšs les travaux pionniers de Pradel Pompilus en 1958.

Ainsi, en ce qui a trait au lexique crĂ©ole du linguiste Henry Tourneux, il est utile de rappeler qu’il a Ă©tĂ© Ă©laborĂ© en rĂ©ponse Ă  une demande de la FacultĂ© de linguistique appliquĂ©e de l’UniversitĂ© d’État d’HaĂŻti. Il a Ă©tĂ© rĂ©digĂ© Ă  partir d’enquĂȘtes de terrain rĂ©alisĂ©es dans la rĂ©gion de Saint-Marc en HaĂŻti et il est paru en France dans les Cahiers du LACITO/1/CNRS, en juin 1986. ÉlaborĂ© par le lexicographe AndrĂ© Vilaire Chery et son Ă©quipe et paru initialement chez Hachette-Deschamps/ÉDITHA en 1996, le « Dictionnaire de l’écolier haĂŻtien » figure depuis sa parution parmi les ouvrages de rĂ©fĂ©rence de nombre d’enseignants haĂŻtiens en raison de ses grandes qualitĂ©s lexicographiques. Nous en avons fait une prĂ©sentation analytique dĂ©taillĂ©e dans l’article « Le “Dictionnaire de l’écolier haĂŻtien”, un modĂšle de rigueur pour la lexicographie en HaĂŻti » (Le National, 31 aoĂ»t 2022). Pour mĂ©moire, il y a lieu de rappeler que le lexicographe AndrĂ© Vilaire Chery, ancien enseignant de la FacultĂ© de linguistique appliquĂ©e de l’UniversitĂ© d’État d’HaĂŻti, est l’auteur du remarquable « Dictionnaire de l’évolution du vocabulaire français en HaĂŻti » (tomes 1 et 2, parus en 2000 et 2002 chez Édutex avec le concours du Bureau caraĂŻbe de l’Agence universitaire de la Francophonie et de la FOKAL). Cet ouvrage a lui aussi fait l’objet d’un compte-rendu analytique publiĂ© en HaĂŻti et en outremer (voir l’article « Le « Dictionnaire de l’évolution du vocabulaire français en HaĂŻti » d’AndrĂ© Vilaire ChĂ©ry, un riche hĂ©ritage », par Robert BerrouĂ«tOriol, Le National, 29 juillet 2022).

Le prĂ©sent article fournit au lecteur, d’une part, une prĂ©sentation analytique du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole » et, d’autre part, il met en lumiĂšre le rĂŽle des dictionnaires scolaires dans l’apprentissage conjoint de la langue (apprentissage du vocabulaire, de l’orthographe, de l’écriture et de la lecture) et de celui des savoirs et des connaissances en milieu scolaire. L’article se termine par une prĂ©sentation gĂ©nĂ©rale de l’histoire des dictionnaires de langue en Occident, maniĂšre de montrer au lecteur haĂŻtien que le « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČlfransĂš français-crĂ©ole » se rattache Ă  une grande tradition dictionnairique et Ă  son histoire.

Histoire et rĂŽle des dictionnaires scolaires

Le linguiste-terminologue Jean-Claude Boulanger nous fournit, dans un article Ă  large spectre analytique, des repĂšres de premier plan sur l’histoire des dictionnaires scolaires. Ainsi, « Les dictionnaires scolaires revendiquent de trĂšs lointaines origines. Ils sont Ă©troitement liĂ©s Ă  l’invention de l’écriture. Des recherches rĂ©centes les font remonter au IVe-IIIe millĂ©naire avant J.-C. alors que les scribes mĂ©sopotamiens Ă©tablissaient des listes lexicales tabulaires destinĂ©es Ă  l’enseignement dans les eduba, c’estĂ -dire dans les Ă©coles oĂč l’on formait les futurs scribes. La confection de ces catalogues de mots sur des supports d’argile avait dĂ©jĂ  pour premier objectif de venir appuyer l’apprentissage de l’écriture et la connaissance de la langue. C’étaient des relevĂ©s de noms communs, de noms propres (proprionymes), de synonymes, de parties de mots, etc., tous Ă©lĂ©ments de base dans un cheminement scolaire. Pour apprendre l’écriture cunĂ©iforme, les jeunes Ă©lĂšves recopiaient ces listes sur d’autres tablettes. Et on a retrouvĂ© un nombre impressionnant de ces cahiers de devoirs en argile. Dans l’Europe du Moyen-Âge, on trouvera Ă©galement des dictionnaires destinĂ©s Ă  combler des besoins d’apprentissage non pas de la langue maternelle et quotidienne, mais du latin, la langue de l’intellect, de la religion et du pouvoir. Il faudra attendre la Renaissance pour que la production d’ouvrages sur le français prenne le pas sur les dictionnaires du latin et sur les glossaires bilingues. Il faudra patienter encore plus longtemps pour que le dictionnaire scolaire devienne un genre dĂ©tachĂ©. Les dictionnaires « portatifs » des siĂšcles postĂ©rieurs Ă  la Renaissance, notamment ceux du XVIIIe siĂšcle, ne doivent pas ĂȘtre confondus avec les petits dictionnaires pour enfants ni avec les compilations Ă©lĂ©mentaires du XIXe siĂšcle ayant le mĂȘme gabarit. Les portatifs sont surtout des abrĂ©gĂ©s et des rĂ©ductions de rĂ©pertoires plus volumineux et plus grands que l’on pouvait transporter plus aisĂ©ment. Ils rĂ©pondent Ă  des besoins de dĂ©mocratisation du livre. Leurs prix baissent et leur maniabilitĂ© s’accroĂźt. Le livre peut devenir accessible Ă  un plus grand nombre de personnes. Un dictionnaire portatif n’est donc pas nĂ©cessairement un recueil de mots Ă©laborĂ© pour des Ă©lĂšves et Ă  des fins pĂ©dagogiques. Ce n’est qu’accessoirement qu’il aura une vocation scolaire. AprĂšs 1820, les portatifs du type abrĂ©gĂ© semblent en dĂ©saffection ». (...) « La science et l’industrie modernes du dictionnaire scolaire dĂ©marrent vraiment, en France, au milieu du XIXe siĂšcle ». (...)

La lexicographie scolaire se faufile en effet entre le grand dictionnaire

philologique, culturel et conservateur d’Émile LittrĂ© et l’immense Ɠuvre encyclopĂ©dique moderniste de Pierre Larousse lui-mĂȘme ». (...) « Lorsque l’on Ă©voque les dictionnaires pour l’école, trois idĂ©es surgissent Ă  l’esprit : celle du « dictionnaire scolaire », celle du « dictionnaire pour enfants » et celle du « dictionnaire d’apprentissage ». « (...) Toutes ces idĂ©es sont en outre faussement placĂ©es dans un systĂšme d’opposition avec les dictionnaires gĂ©nĂ©raux culturels pour adultes, alors que ces rapports sont plutĂŽt de l’ordre de la gradation, de la hiĂ©rarchisation. « De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, le dictionnaire pour enfants se dĂ©finit contrastivement par rapport au dictionnaire pour adultes. » La subordination des premiers aux seconds ne rend pas justice au genre du dictionnaire scolaire, qui est loin d’ĂȘtre un genre secondaire ». « (...) Le dictionnaire scolaire est un ouvrage gĂ©nĂ©ral monolingue —il existe aussi quelques bilingues— et monovolumaire conçu pour son utilisation dans l’enseignement primaire et secondaire. Le terme peut avoir un sens plus Ă©largi, car, d’une part, on peut en Ă©tendre l’acception du cĂŽtĂ© de l’école maternelle et, d’autre part, du cĂŽtĂ© du dĂ©but de la formation post-secondaire ou collĂ©giale. On peut dire que ce type de rĂ©pertoire couvre une fourchette d’ñge qui s’étend de 5/6 ans jusqu’à 15/16 ans. Le Larousse mini dĂ©butants [LMiD] et le Robert scolaire [RS] sont des exemples applicables aux deux extrĂ©mitĂ©s de cet empan. Le LMiD est identifiĂ© comme « le premier vrai dictionnaire[7] », l’adjectif premier Ă©tant entendu dans le sens chronologique par rapport aux Ă©tapes de la scolarisation des enfants. Son public cible est celui des jeunes enfants de 5/6 ans. Le RS s’adresse Ă  des adolescents de 12 Ă  16 ans, c’est-Ă -dire aux Ă©lĂšves de tout le cycle du secondaire ». « (...) Le dictionnaire scolaire a une fonction avant tout d’ordre descriptif, la description Ă©tant le plus souvent renforcĂ©e par l’iconographie dont la prĂ©sence est plus sensible dans les ouvrages Ă  petite nomenclature. Les 1 065 mots de Mon Larousse en images [MLL] sont accompagnĂ©s de 887 tableaux et dessins. Le LMiD propose 500 illustrations pour un volume de 5 400 entrĂ©es. Son concurrent le Robert benjamin [RB] revendique une nomenclature de 6 000 mots et de 640 illustrations. Dans son Ă©dition de 1999, le Dictionnaire CEC jeunesse [DCECJ] rĂ©pertorie 20 000 mots tandis qu’il n’offre que 250 illustrations. De fait, la quantitĂ© d’illustrations est inversement proportionnelle Ă  la quantitĂ© de mots vedettes : plus la nomenclature croĂźt, plus le nombre d’illustrations diminue. Le RS reste fidĂšle Ă  la politique Ă©ditoriale des dictionnaires de langue du Robert qui ne proposent jamais d’iconostructure, sauf dans le Robert junior illustrĂ© [RJI], le Petit Robert des enfants [PRE]/

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis

Robert des jeunes [RJ] et dans le RB. À titre d’exemple, le nombre d’illustrations du RJI s’élĂšve Ă  1 000, auxquelles s’ajoutent 35 planches thĂ©matiques ».

« Le dictionnaire scolaire a pour objectifs de sensibiliser les jeunes au vocabulaire et de les mettre Ă  l’aise avec les mots. Il consigne le lexique vivant, dont une partie est dĂ©jĂ  connue de la majoritĂ© des Ă©lĂšves, soit de maniĂšre active, parce que les jeunes locuteurs doivent s’exprimer, soit de maniĂšre passive, parce qu’ils doivent Ă©couter et comprendre les autres ».

« (...) Le terme dictionnaire scolaire est synonyme de dictionnaire pĂ©dagogique, ce dernier Ă©tant d’un emploi plus restreint dans la terminologie française » (source : Jean-Claude Boulanger, « Du cĂŽtĂ© de la petite histoire des dictionnaires scolaires modernes » paru dans « Aspects diachroniques du vocabulaire », par Danielle Candel et François Gaudin, Éditions des UniversitĂ©s de Rouen et du Havre, 2006. Pour une connaissance Ă©largie de l’histoire des dictionnaires dĂ©nommĂ©s dictionnaires pĂ©dagogiques ou scolaires ou d’apprentissage, voir Chantal Lambrechts, « La conception Ă©ditoriale d’un dictionnaire pĂ©dagogique », Presses de l’UniversitĂ© de MontrĂ©al, 2005. Pour se familiariser avec la mĂ©thodologie d’élaboration des dictionnaires pour enfants apparus au dĂ©but des annĂ©es 1950, voir Micaela Rossi (UniversitĂ  degli Studi di Genova, Italia), « Dictionnaires pour enfants en langue française / L’accĂšs au sens lexical ». Dans cette magistrale thĂšse de doctorat soutenue en 2001, l’auteure retrace l’histoire des dictionnaires pour enfants, elle analyse « la structure d’un dictionnaire scolaire », « la prĂ©sentation et organisation de la nomenclature », « les pratiques dĂ©finitionnelles dans les dictionnaires pour enfants », etc. De la mĂȘme auteure, voir aussi l’article « Dictionnaires pour enfants et accĂšs au sens lexical – Pour une rĂ©flexion mĂ©talexicologique » (euralex.org, 2004). Pour une approche plus ample des dictionnaires gĂ©nĂ©ralistes et des dictionnaires scolaires d’apprentissage, voir Jean Pruvost : « Les dictionnaires d’apprentissage monolingues de la langue française (1856-1999) –ProblĂšmes et mĂ©thodes » (Les Dictionnaires de langue française. Dictionnaire d’apprentissage, dictionnaires spĂ©cialisĂ©s de la langue, dictionnaires de spĂ©cialitĂ©. Études de lexicologie, lexicographie et dictionnairique) - 4, Paris, HonorĂ© Champion, collection « BibliothĂšque de l’Institut de linguistique française », 2001 ; Jean Pruvost, « Les dictionnaires d’apprentissage du français langue maternelle : deux siĂšcles de maturation et quelques paramĂštres distinctifs », Éla, Revue de didactologie des langues-culture,

vocabulaires et dictionnaires en français langue maternelle et en français langue Ă©trangĂšre, 1999 / 116 ; Jean Pruvost, « Les dictionnaires d’apprentissage monolingues du français langue maternelle : l’histoire d’une mĂ©tamorphose, du sous-produit Ă  l’heureux pragmatisme en passant par l’heuristique », Euralex 2002 Proceedings ; Josette Rey-Debove : « Dictionnaires d’apprentissage : que dire aux enfants ? », Lexiques, Paris, Hachette, collection « Recherches et applications », 1989 ; RenĂ© Lagane : « Les dictionnaires scolaires : enseignement de la langue maternelle », nan Franz Josef Hausmann, Oskar Reichmann, Herbert Emst Wiegand et Ladislav Zgusta (dir.), Dictionnaires. EncyclopĂ©die internationale de lexicographie, II, Berlin/New York, Walter de Gruyter, 1990.)

Bref survol de la genĂšse du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole »

En dĂ©pit de ses difficultĂ©s structurelles et du faible pouvoir d’achat des familles haĂŻtiennes, le marchĂ© du livre scolaire haĂŻtien a Ă©voluĂ© au cours des derniĂšres annĂ©es. Ses besoins se sont diversifiĂ©s et la demande d’outils lexicographiques (dictionnaires et lexiques) s’est prĂ©cisĂ©e alors mĂȘme que l’on observait l’arrivĂ©e de nouveaux Ă©diteurs de manuels scolaires dans l’écosystĂšme Ă©ducatif national.

Traditionnellement, les dictionnaires en usage dans le systĂšme Ă©ducatif haĂŻtien (Le Larousse, Le Robert, Le Hachette) Ă©taient importĂ©s de France et, tel que mentionnĂ© prĂ©cĂ©demment, au dĂ©but des annĂ©es 1990 il n’existait toujours pas en HaĂŻti de dictionnaire bilingue bidirectionnel français-crĂ©ole/crĂ©ole-français ou unilingue crĂ©ole Ă©laborĂ© selon la mĂ©thodologie de la lexicographie professionnelle. À cette Ă©poque, pour rĂ©pondre Ă  la nĂ©cessitĂ© de fournir aux Ă©lĂšves et aux enseignants haĂŻtiens un outil lexicographique de qualitĂ© Ă  prix abordable et destinĂ© Ă  supporter adĂ©quatement l’apprentissage scolaire, les Éditions haĂŻtiennes ÉDITHA, filiale de la Maison Henri Deschamps, ont entrepris l’élaboration d’un dictionnaire bidirectionnel français-crĂ©ole/crĂ©ole-français. Une Ă©quipe rĂ©dactionnelle a Ă©tĂ© mise sur pied aux Éditions haĂŻtiennes ÉDITHA avec pour mandat d’élaborer, sous la direction du lexicographe AndrĂ© Vilaire Chery, le « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš françaiscrĂ©ole ». Aux Éditions Henri Deschamps/ÉDITHA, AndrĂ© Vilaire Chery avait auparavant dirigĂ© les travaux ayant conduit Ă  l’édition en 1996

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis du « Dictionnaire de l’écolier haĂŻtien ». Ce dictionnaire a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ© avec la collaboration de cinq auteurs et il a bĂ©nĂ©ficiĂ© de la contribution d’une Ă©quipe de la FacultĂ© de linguistique appliquĂ©e de l’UniversitĂ© d’État d’HaĂŻti sous la direction du linguiste Pierre Vernet.

Fruit d’une inĂ©dite collaboration entre l’équipe dirigĂ©e par AndrĂ© Vilaire Chery aux Éditions haĂŻtiennes ÉDITHA et celle d’Albert Valdman du Creole Institute (Indiana University), la rĂ©daction du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole » a Ă©tĂ© menĂ©e Ă  terme en 2016 mais cette Ɠuvre, innovante et originale dans le domaine de la dictionnairique français-crĂ©ole, n’a pas encore Ă©tĂ© publiĂ©e en HaĂŻti. Il faut prendre toute la mesure que plus de 2 millions d’écoliers haĂŻtiens ne disposent toujours pas d’un dictionnaire bidirectionnel français-crĂ©ole de qualitĂ© alors mĂȘme que la Constitution de 1987 a consacrĂ© la co-officialitĂ© du crĂ©ole et du français et que l’un des acquis de la rĂ©forme Bernard de 1979 demeure l’introduction du crĂ©ole dans le dispositif didactique des Ă©coles du pays.

Sur le plan de l’infrastructure rĂ©dactionnelle, il y a lieu de prĂ©ciser que le maillage institutionnel entre l’éditeur, ÉDITHA, et la FacultĂ© de linguistique appliquĂ©e de l’UniversitĂ© d’État d’HaĂŻti constitue Ă  notre connaissance – dans le processus de fabrication du « Dictionnaire de l’écolier haĂŻtien » –, une premiĂšre et sans doute l’unique exemple dans la lexicographie haĂŻtienne contemporaine (sur ses versants crĂ©ole et français) oĂč l’expertise d’une institution linguistique nationale a Ă©tĂ© mise Ă  contribution par un Ă©diteur du secteur privĂ© disposant de sa propre Ă©quipe de rĂ©daction. Parmi les 64 dictionnaires et 11 lexiques que nous avons rĂ©pertoriĂ©s dans notre « Essai de typologie de la lexicographie crĂ©ole de 1958 Ă  2022 » (Le National, 21 juillet 2022), seuls cinq ouvrages ont Ă©tĂ© Ă©laborĂ©s dans un cadre institutionnel national, celui du Centre de linguistique appliquĂ©e qui deviendra plus tard la FacultĂ© de linguistique appliquĂ©e de l’UniversitĂ© d’État d’HaĂŻti. Il s’agit du « Ti diksyonĂš kreyĂČl-franse » d’Henry Tourneux et Pierre Vernet (Éditions caraĂŻbes, 1976), de « ÉlĂ©ments de lexicographie bilingue : lexique crĂ©ole-français » d’Ernst Mirville (Biltin Institi lingistik aplikĂ©, 1979), du « Petit lexique crĂ©ole haĂŻtien utilisĂ© dans le domaine de l’électricitĂ© » de Henry Tourneux (CNRS/Cahiers du Lacito, 1986), du « Dictionnaire prĂ©liminaire des frĂ©quences de la langue crĂ©ole haĂŻtienne / DiksyonĂš lanvĂš lang kreyĂČl ayisyen » de Pierre Vernet et B. C. Freeman

(Sant lengwistik aplike, InivĂšsite Leta Ayiti), et du « Leksik elektwomekanik kreyĂČl, franse, angle, espayĂČl » de Pierre Vernet et H. Tourneux (dir.) publiĂ© sous le label Fakilte lengwistik aplike, InivĂšsite Leta Ayiti en 2001.

Le « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole », un vĂ©ritable dictionnaire scolaire bidirectionnel

Le « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole » a Ă©tĂ© conçu pour rĂ©pondre adĂ©quatement Ă  des besoins d’apprentissage rĂ©els, Ă  la fois comme outil de rĂ©fĂ©rence et instrument d’apprentissage actif des savoirs et des connaissances dans la langue maternelle et dans la langue seconde des apprenants. Ce dictionnaire scolaire est donc le premier outil lexicographique du genre Ă  avoir Ă©tĂ© conçu pour rĂ©pondre aux besoins spĂ©cifiques de l’École haĂŻtienne. Il possĂšde tous les attributs de la dictionnairique moderne, ses rubriques lexicographiques, conçues selon un modĂšle unique comme nous l’exemplifions plus bas dans le prĂ©sent article, sont concises et elles se consultent aisĂ©ment.

La « PrĂ©face » du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš françaiscrĂ©ole » que nous reproduisons ici indique, sur des registres liĂ©s, que cet ouvrage a Ă©tĂ© Ă©laborĂ© en conformitĂ© avec la mĂ©thodologie de la lexicographie professionnelle. RAPPEL – Le socle conceptuel de la mĂ©thodologie de la lexicographie professionnelle comprend les sĂ©quences suivantes : (1) l’identification de l’ouvrage et de ses auteurs, le nom de l’éditeur et la date de publication ; (2) le projet Ă©ditorial, les destinataires visĂ©s et l’identification de la mĂ©thodologie d’élaboration du dictionnaire ; (3) l’établissement du corpus dictionnairique ; (4) la confection de la nomenclature et le nombre de termes retenus au terme de l’étude du corpus dictionnairique ; (5) le traitement des donnĂ©es lexicographiques prĂ©sentĂ©es Ă  la suite des « mots-vedettes » (les entrĂ©es classĂ©es en ordre alphabĂ©tique dans les rubriques, Ă  savoir les dĂ©finitions, les contextes dĂ©finitoires et les notes illustratives).

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis

Le lecteur du prĂ©sent article trouvera dans la « PrĂ©face » du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole » des informations de premiĂšre main sur la mĂ©thodologie d’élaboration de ce dictionnaire scolaire. Cette « PrĂ©face » s’énonce comme suit : « Au terme de longues annĂ©es de travail, les Éditions haĂŻtiennes ÉDITHA sont heureuses de mettre Ă  la disposition du public scolaire haĂŻtien le « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole ». Cet ouvrage de rĂ©fĂ©rence est destinĂ© plus spĂ©cialement aux Ă©lĂšves des 2e et 3e cycles de l’École fondamentale. Il peut toutefois ĂȘtre consultĂ© avec profit et plaisir par toute personne (Ă©lĂšve ou non) s’intĂ©ressant aux lexiques (vocabulaires) respectifs de nos deux langues nationales. La fonction principale d’un dictionnaire bilingue (ou de traduction) est d’indiquer les Ă©quivalences des mots et des expressions entre deux langues diffĂ©rentes mises en rapport (ici : le crĂ©ole et le français).

Le « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole » se compose de deux parties, distinctes mais complĂ©mentaires. La premiĂšre partie, kreyĂČl-fransĂš, traduit du crĂ©ole vers le français. La seconde, françaiscrĂ©ole, traduit du français vers le crĂ©ole.

Le texte de la « PrĂ©face » mentionne explicitement que l’ouvrage procure « Une aide Ă  la comprĂ©hension et Ă  la production Ă©crites » et il fournit un Ă©clairage adĂ©quat sur la mĂ©thodologie d’élaboration ainsi que le modĂšle de traitement de l’information lexicographique. Ainsi, « Le Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole » fournira Ă  l’élĂšve une aide apprĂ©ciable, tant en comprĂ©hension Ă©crite qu’en production Ă©crite. C’est un fait que l’élĂšve haĂŻtien utilise couramment deux langues Ă  l’école : le crĂ©ole (sa langue maternelle) et le français (l’autre langue nationale). Ces deux langues sont en perpĂ©tuel dialogue en salle de classe, et l’une vient rĂ©guliĂšrement au secours de l’autre, et vice versa. Ainsi, le jeune apprenant haĂŻtien pourra consulter utilement son dictionnaire pour trouver l’équivalent ou le sens qui lui fait dĂ©faut dans l’autre langue, que ce soit en lecture ou en production Ă©crite (construire des phrases, rĂ©diger un texte...). Chaque mot est traduit par un Ă©quivalent ou, selon le cas, par plusieurs, plus ou moins synonymes entre eux. Le dictionnaire offrira ainsi Ă  l’élĂšve une belle opportunitĂ© d’enrichir son vocabulaire et d’accroĂźtre ses capacitĂ©s d’expression et de communication. Plus largement, la mise en service du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole » servira

efficacement de relais vers l’atteinte de l’objectif de « bilinguisme Ă©quilibrĂ© » prĂ©conisĂ© par les programmes du ministĂšre de l’Éducation nationale. Le « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole » est, de ce fait, un irremplaçable outil de communication entre le crĂ©ole et le français, et vice versa ; une vraie passerelle entre les deux langues. Pour des raisons faciles Ă  comprendre, la partie crĂ©ole-français a reçu cependant de plus amples dĂ©veloppements que la partie français-crĂ©ole (744 pages contre 420). Ce qui ne nuit cependant nullement Ă  la « fermeture » du dictionnaire : chaque terme dĂ©veloppĂ© dans l’une des parties se retrouve dans l’autre. PrĂšs de 80 % environ des mots du crĂ©ole haĂŻtien sont issus du français. Si ce fait constitue, Ă  coup sĂ»r, un facteur d’appui pour l’élĂšve, il peut aussi se rĂ©vĂ©ler source d’erreurs, car souvent le mot, s’il a plus ou moins la mĂȘme forme, n’a pas le mĂȘme sens dans les deux langues. Par exemple : « derape » (kreyĂČl) n’est pas l’équivalent de « dĂ©raper » (français) ; « pilon » (kreyĂČl) ne se traduit pas par « pilon » en français. Ce dernier mot existe bien en français, mais avec un sens diffĂ©rent du crĂ©ole. C’est pourquoi nous avons accordĂ© dans l’ouvrage une grande attention aux aspects « diffĂ©rentiels » existant entre les deux lexiques. Dans cette mĂȘme optique, nous avons fait une large place aux locutions figurĂ©es et expressions idiomatiques, lesquelles ne se traduisent pas mot pour mot d’une langue Ă  l’autre et ne correspondent pas Ă  une addition de la traduction particuliĂšre de chaque mot en particulier.

Ci-dessous quelques exemples : depuis belle lurette depi iks tan, depi dikdantan avoir la langue bien pendue gen bouch alĂšlĂš montrer quelqu’un du doigt lonje dwĂšt jouda [li] sou yon moun ne savoir ni lire ni Ă©crire pa konn g a ga nan fĂšy malanga

Pour une meilleure comprĂ©hension, les mots du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole » sont souvent illustrĂ©s d’exemples, suivis de leur traduction dans l’autre langue. Les exemples peuvent ĂȘtre soit des phrases complĂštes, soit des groupes de mots. Les verbes et les adjectifs figurent parmi les catĂ©gories grammaticales qui sont toujours illustrĂ©es. Les noms, eux, le sont seulement quand ils ont dans l’autre langue plusieurs sens ou Ă©quivalents diffĂ©rents. Les exemples remplissent alors une fonction distinctive. Ci-dessous un exemple :

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis

observation n.f. 1 obsĂšvasyon L’observation de la nature. ObsĂšvasyon lanati. 2 obsĂšvasyon, remak Le professeur a fait ses observations dans la marge des devoirs. MĂšt la mete remak li yo nan maj devwa yo. 3 obsĂšvasyon, respĂš, aplikasyon Le directeur a beaucoup insistĂ© sur l’observation des consignes de sĂ©curitĂ©. DirektĂš a mete aksan anpil sou respĂš konsiy sekirite yo.

Nous adressons nos plus chaleureux remerciements au professeur Albert Valdman d’Indiana University, qui a bien voulu mettre Ă  notre disposition les donnĂ©es informatiques du « Haitian Creole-English Bilingual Dictionary ». C’est de cette base de donnĂ©es que nous avons tirĂ©, pour l’essentiel, la nomenclature (c’est-Ă -dire la liste de mots) de notre propre dictionnaire. (...) ». (L’Éditeur)

Les critĂšres mĂ©thodologiques que nous avons prĂ©cĂ©demment Ă©numĂ©rĂ©s ont Ă©tĂ© rigoureusement mis en application par les rĂ©dacteurs du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole » aux Éditions ÉDITHA. En effet, la « PrĂ©face » de cet ouvrage expose que les deux premiers critĂšres ont Ă©tĂ© mis en application : (1) l’identification de l’ouvrage et de ses auteurs, le nom de l’éditeur et la date de publication ; (2) le projet Ă©ditorial, les destinataires visĂ©s et l’identification de la mĂ©thodologie d’élaboration du dictionnaire. Il s’agit d’un dictionnaire scolaire bilingue bidirectionnel kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole « destinĂ© plus spĂ©cialement aux Ă©lĂšves des 2e et 3e cycles de l’École fondamentale ». Il en est de mĂȘme des troisiĂšme et quatriĂšme critĂšres adĂ©quatement appliquĂ©s : (3) l’établissement du corpus dictionnairique et (4) la confection de la nomenclature du dictionnaire et le nombre de termes retenus aprĂšs l’étude du corpus dictionnairique. L’usager est adĂ©quatement renseignĂ© puisqu’il lui a Ă©tĂ© prĂ©cisĂ© que le corpus dictionnairique a Ă©tĂ© Ă©tabli en amont par l’apport supplĂ©mentaire des donnĂ©es informatiques/lexicographiques du « Haitian Creole-English Bilingual Dictionary » Ă©laborĂ© par l’équipe rĂ©dactionnelle dirigĂ©e par le linguiste-lexicographe Albert Valdman au Creole Institute (Indiana University). La « PrĂ©face » en effet mentionne explicitement que « C’est de cette base de donnĂ©es que nous avons tirĂ©, pour l’essentiel, la nomenclature (c’est-Ă -dire la liste de mots) de notre propre dictionnaire. (...) »

Nous avons effectuĂ© une prĂ©sentation analytique de ce rigoureux dictionnaire d’Albert Valdman dans l’article « Lexicographie crĂ©ole : revisiter le « Haitian Creole-English Bilingual Dictionnary » paru sur le site Fondas kreyĂČl le 1er fĂ©vrier 2023. Le fait que le corpus dictionnairique et la confection de la nomenclature du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČlfransĂš français-crĂ©ole » aient bĂ©nĂ©ficiĂ© de l’apport des donnĂ©es informatiques/lexicographiques supplĂ©mentaires du « Haitian Creole-English Bilingual Dictionnary » est incontestablement un critĂšre de haute qualitĂ© scientifique : les rĂ©dacteurs du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČlfransĂš français-crĂ©ole » aux Éditions ÉDITHA, en plus d’appliquer les deux premiers critĂšres que nous avons exposĂ©s, ont fait appel aux donnĂ©es lexicographiques fiables d’un dictionnaire aux assises scientifiques Ă©prouvĂ©es, le « Haitian Creole-English Bilingual Dictionary ». NOTE – Il s’agit lĂ  d’un procĂ©dĂ© de maillage et d’enrichissement lexicographique connu en lexicographie professionnelle. Ainsi, le fameux « Dictionnaire des francophones » (DDF) accessible gratuitement depuis trois ans sur Internet et qui comprend 400 000 mots, a puisĂ© lors de son Ă©laboration Ă  diffĂ©rentes sources rĂ©putĂ©es pour leur scientificitĂ© : « L’Inventaire des particularitĂ©s lexicales du français en Afrique noire », le « Dictionnaire des synonymes, des mots et expressions des français parlĂ©s dans le monde », le « Grand dictionnaire terminologique » de l’Office quĂ©bĂ©cois de la langue française, l’ouvrage « Belgicismes - Inventaire des particularitĂ©s lexicales du français en Belgique », le « Dictionnaire des rĂ©gionalismes de France », la « Base de donnĂ©es lexicographiques panfrancophone » incluant le « Dictionnaire des belgicismes » et « FranceTerme ».

Le cinquiĂšme critĂšre mĂ©thodologique a lui aussi Ă©tĂ© appliquĂ© dans la fabrication du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole » : il concerne le traitement ordonnĂ© – modĂ©lisĂ© –, des donnĂ©es lexicographiques prĂ©sentĂ©es Ă  la suite des « mots-vedettes » (les « entrĂ©es » classĂ©es en ordre alphabĂ©tique dans les rubriques comprenant les dĂ©finitions, les contextes dĂ©finitoires et les notes illustratives). À l’analyse, il s’agit lĂ  de l’un des points forts de ce dictionnaire : le traitement des donnĂ©es lexicographiques est standardisĂ©, il est effectuĂ© selon le mĂȘme modĂšle prĂ©sentatif et analytique tant pour la partie français-crĂ©ole que pour la partie crĂ©ole-français comme l’attestent les tableaux 1 et 2.

TABLEAU 1 – Échantillon de rubriques lexicographiques du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole » pour les entrĂ©es « bien » et « rete »

[EntrĂ©e « bien », partie français-crĂ©ole :] bien n.m. byen ‱ dire du bien de pale an byen de Ils ont dit du bien de toi. Yo pale de ou an byen. ‱ faire du bien Ă  quelqu’un fĂš yon moun byen Le sirop m’a fait beaucoup de bien, il a arrĂȘtĂ© la grippe. Siwo a fĂš m byen anpil, li rete grip la. ‱ faire du bien fĂš byen, fĂš lebyen Ils sont charitables, ils font du bien dans la communautĂ©. Yo charitab, yo fĂš byen nan kominote a. ‱ pour le bien de quelqu’un pou byen yon moun

C’est pour notre bien qu’il nous donne ces conseils. Se pou byen nou l ap ban nou konsùy sa yo.

[EntrĂ©e « rete », partie crĂ©ole-français :] rete1 oswa ret I v. tr. arrĂȘter, stopper Gadyen bi a rete chout la. Le gardien de but a arrĂȘtĂ© le tir. II v.intr. rester M pran pĂČsyon pa m lan, sak rete a se pou ou. J’ai pris ma portion, ce qui reste est Ă  toi. 2 s’arrĂȘter ChofĂš a rete pou chanje yon kawotchou. Le chauffeur s’est arrĂȘtĂ© pour remplacer un pneu. 3 demeurer, habiter Ki bĂČ ou rete ? OĂč est-ce que tu habites ? III v. enp. [NOTE DE RBO / L’abrĂ©viation v.enp est un abrĂ©gĂ© de « vĂšb enpĂšsonnĂšl », un verbe dont le sujet est abstrait, par ex. : il pleut ».] 1 rester Rete sĂšlman de jou anvan NwĂšl. Il reste seulement deux jours avant la NoĂ«l. 2 rester Sitiyasyon an toujou rete frajil. La situation reste toujours fragile. ‱ rete bra kwaze (a) rester les bras croisĂ©s LĂš l ap priye, li rete bra kwaze Quand il prie, il reste les bras croisĂ©s (b) ne pas lever/remuer le petit doigt, ne rien faire Tout priye m priye l pou l ede m, li rete bra kwaze. J’ai eu beau le supplier de m’aider, il n’a pas levĂ© le petit doigt. ‱ rete je klĂš rester Ă©veillĂ©/-e Li rete je klĂš tout nuit lan akĂČz yon mal-tĂšt. Il est restĂ© Ă©veillĂ© toute la nuit hier Ă  cause d’un mal de tĂȘte. ‱ rete nan wĂČl/limit [li] rester dans ses limites. ‱ rete pou (a) ĂȘtre sur le point de Li tĂšlman gen dĂšt, rete l pou l pĂšdi tĂšt li Il a tellement de dettes qu’il est sur le point de perdre la tĂȘte. (b) il reste Ă  Ou achte kay la, rete pou antre ladan. Tu as achetĂ© la maison, il te reste Ă  prendre logement. ‱ san rete sans arrĂȘt, sans cesse Pe ! Nou pale san rete ! Taisez- vous ! Vous parlez sans arrĂȘt ! rete2 n. arrĂȘt n.m., escale n.f. Mwen p ap rantre tou suit, m ap fĂš yon rete nan wout. Je ne rentre pas tout de suite, je vais faire un arrĂȘt en route.

TABLEAU 2 – Échantillon de rubriques lexicographiques du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole » pour les entrĂ©es « fou », « homme », « grangou » et « plein/-e »

[EntrĂ©e « fou », partie crĂ©ole-français :] fou adj. 1 fou/folle Mesye sa a pĂšdi tĂšt li, li fou. Ce monsieur a perdu la tĂȘte, il est fou. 2 fou/fol, insensĂ©/-e Ou vle fĂš tout wout sa a a pye ! Ou fou ? Tu veux faire tout ce trajet Ă  pied ! Tu es fou ? ‱ fĂš fou oswa rann fou rendre fou/folle Bri sa a enĂšvan, li ka rann yon moun fou ! Ce bruit est Ă©nervant, il peut vous rendre fou ! ‱ fou pou fou/ folle de, passionnĂ©/-e de ‱ moun fou/folle ‱ zafĂš moun fou insensĂ©/-e Ou vle fĂš tout wout sa a apye, se zafĂš moun fou ! Tu veux faire tout ce trajet Ă  pied, c’est insensĂ© !

[EntrĂ©e « homme », partie français-crĂ©ole :] homme n.m. 1 lĂČm L’homme n’est pas seulement un corps, il a aussi une Ăąme. LĂČm pa sĂšlman yon kĂČ, li gen yon nanm tou. 2 gason L’homme et la femme se complĂštent dans une famille. Gason ak fi konplete youn lĂČt nan yon fanmi. 3 mesye/msye, nĂšg Trois hommes sont assis dans la salle. Gen twa mesye ki chita nan sal la. 4 nĂšg, nonm Cet homme est vraiment mal Ă©levĂ© Nonm sa a vrĂšman malelve. ‱ homme d’affaires ĂČm d afĂš/ĂČm dafĂš, biznismann ‱ homme d’État ĂČm d Eta ‱ homme riche grannĂšg ‱ jeune homme jĂšnjan/jennjan, jennonm.

[EntrĂ©e « plein/-e », partie français-crĂ©ole :] plein/-e adj. 1 foul, plen, ranpli La voiture est pleine, il n’y a plus de place. Machin nan foul, pa gen plas ankĂČ. 2 [f.] plenn Cette chatte est pleine, elle va bientĂŽt mettre bas. Chat sa a plenn, li pa lwen akouche. ‱ plein/-e Ă  craquer plen rabouch ‱ (ĂȘtre) plein/-e de plen Son pantalon est plein de trous. Pantalon l plen twou.

[EntrĂ©e « grangou », partie crĂ©ole-français :] grangou n. 1 faim n.f. Li poko manje, li kĂČmanse santi grangou a. Il n’a pas encore mangĂ©, il commence Ă  ressentir la faim. 2 faim n.f., famine n.f. Grangou ap fĂš ravaj nan rejyon sa a. La faim fait des ravages dans cette rĂ©gion. ‱ grĂšv grangou gade grĂšv ‱ mouri (anba) grangou mourir de faim, crever de faim ‱ pase grangou [li] apaiser sa faim.

Éclairage analytique – Ces exemples de rubriques dictionnairiques illustrent bien l’orientation Ă©ditoriale et pĂ©dagogique de l’ouvrage ainsi que la mĂ©thodologie lexicographique qui en a guidĂ© la rĂ©daction. Le « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole » se distingue de ses prĂ©dĂ©cesseurs par une nomenclature (nombre d’entrĂ©es) plus ample et une microstructure (les renseignements fournis sur les « entrĂ©es ») plus dĂ©taillĂ©e : cela s’explique aisĂ©ment du fait que ce dictionnaire a bĂ©nĂ©ficiĂ© de l’apport des donnĂ©es informatiques/lexicographiques supplĂ©mentaires du « Haitian Creole-English Bilingual Dictionnary » d’Albert Valdman qui comprend 30 000 entrĂ©es et 26 000 sous-entrĂ©es. « Its nomenclature (the list of words) contains 30 000 headwords, many, especially verbs, with multiple senses, and about 26 000 subentries, multiword units or idiomatic expressions whose meanings cannot readily be derived from the individual meaning of the constituent words. Second, it provides the most developed microstructure (the content of individual articles) for headwords ». (« Sa nomenclature (la liste des mots) contient 30 000 mots-clĂ©s, dont beaucoup, en particulier les verbes, ont plusieurs sens, et environ 26 000 sous-entrĂ©es, des unitĂ©s de plusieurs mots ou des expressions idiomatiques dont le sens ne peut pas ĂȘtre facilement dĂ©rivĂ© du sens individuel des mots qui les composent. DeuxiĂšmement, elle fournit

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis la microstructure la plus dĂ©veloppĂ©e (le contenu des articles individuels) pour les mots-clĂ©s ».) [Traduction : RBO] Cette information de premier plan est consignĂ©e Ă  la page (i) du « Haitian Creole-English Bilingual Dictionnary » d’Albert Valdman. NOTE – ÉlaborĂ© par une Ă©quipe de rĂ©dacteurs sous la direction du linguiste-lexicographe Albert Valdman, le remarquable « Haitian Creole-English Bilingual Dictionnary » (Creole Institute, Indiana University, 2007) demeure jusqu’à aujourd’hui le modĂšle de dictionnaire bilingue le plus abouti au plan de la mĂ©thodologie de la lexicographie professionnelle comme Ă  celui du contenu des rubriques lexicographiques : Ă  ce titre, il est LA RÉFÉRENCE ET LE MODÈLE qui doit guider l’ensemble de la production lexicographique crĂ©ole contemporaine.

Pour l’entrĂ©e « bien » de la partie français-crĂ©ole du dictionnaire, l’usager a accĂšs aux quatre acceptions de ce terme, et ces acceptions sont suivies d’un Ă©noncĂ© en français Ă©clairant chacune des significations, les Ă©noncĂ©s Ă©tant eux-mĂȘmes suivis d’une traduction crĂ©ole. Ce dispositif de prĂ©sentation de l’information lexicographique prĂ©sente l’avantage de fournir Ă  l’élĂšve-usager des « contextes phrastiques » parfaitement grammaticaux et qui illustrent le fonctionnement morphosyntaxique habituel des termes. De la sorte, l’élĂšve-usager accĂšde Ă  la fois au sens du terme et Ă  son usage dans son environnement morphosyntaxique habituel. La mission pĂ©dagogique de ce dictionnaire se trouve de la sorte confirmĂ©e comme il est mentionnĂ© dans la « PrĂ©face » : « Pour une meilleure comprĂ©hension, les mots du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole » sont souvent illustrĂ©s d’exemples, suivis de leur traduction dans l’autre langue. Les exemples peuvent ĂȘtre soit des phrases complĂštes, soit des groupes de mots ».

Alors mĂȘme que dans nombre de rubriques du dictionnaire l’on accĂšde aux diffĂ©rentes variantes d’une « entrĂ©e » portĂ©es par un efficace systĂšme de renvoi (par exemple afĂš, zafĂš), les diverses significations d’un terme sont adĂ©quatement prĂ©sentĂ©es par une numĂ©rotation diffĂ©rentielle comme dans rete1 oswa ret et rete2 , qui sont dĂ©finis aux sous-rubriques /I / (verbe transitif), /II / (verbe intransitif) et /III / v. enp. 1 rester Rete. Pour tous les verbes et adjectifs, ainsi que pour les noms ayant plusieurs sens, des exemples illustratifs qui explicitent et illustrent les diverses significations sont fournis Ă  l’élĂšve-usager dans les deux langues, le français et

le crĂ©ole. L’exemple rete1 oswa ret et rete2 du tableau 1 est particuliĂšrement Ă©clairant et « confirmatif » de l’« identitĂ© » pĂ©dagogique du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole » : l’étalement cumulatif de plusieurs « contextes phrastiques » parfaitement grammaticaux permet Ă  l’élĂšve-usager de s’approprier les diffĂ©rentes significations des termes dans leur environnement morphosyntaxique habituel. Ce faisant l’élĂšve-usager bĂ©nĂ©ficie d’un double apport : sur le registre sĂ©mantique il apprend le sens/ les sens d’un mot et il renforce sa maĂźtrise de la combinatoire grammaticale des mots entre eux. C’est aussi en cela que le « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole » est vĂ©ritablement un dictionnaire scolaire pĂ©dagogique.

Au tableau 2, l’information lexicographique de l’entrĂ©e « homme » (partie français-crĂ©ole) consigne les diffĂ©rentes acceptions du terme et l’élĂšve-usager accĂšde Ă  une donnĂ©e qui recoupe le sens 4 : « homme » a pour Ă©quivalent gĂ©nĂ©rique, en crĂ©ole haĂŻtien, « nĂšg », « nonm ». Le locuteur crĂ©olophone dira tout naturellement « NĂšg sa a se bon moun » (« Cette personne-lĂ  est une bonne personne »). Toujours au tableau 2, l’information lexicographique de l’entrĂ©e « grangou » (partie crĂ©ole-français) atteste deux emplois du terme : l’emploi ayant le trait /+ humain/ puisque la « faim »/« grangou » est celle qui affecte un ĂȘtre humain. D’autre part, le sens 2 de « faim » renvoie Ă  une gĂ©nĂ©ralitĂ©, celle de la « famine » touchant par exemple une rĂ©gion, un pays. La rubrique « grangou » est Ă©galement enrichie de la forme verbale « mouri (anba) grangou » « mourir de faim », « crever de faim » et « pase grangou [li] » « apaiser sa faim ». L’élĂšve-usager est ainsi introduit non seulement Ă  deux significations du mĂȘme terme, mais il apprend Ă©galement Ă  distinguer Ă  l’aide de sĂ©quences illustratives parfaitement grammaticales deux fonctions distinctes couvertes par l’emploi de « grangou » /+ humain/ par opposition Ă  une gĂ©nĂ©ralitĂ©, celle de la « famine » touchant une rĂ©gion. En cela encore le « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole » est un ouvrage pĂ©dagogique, il guide l’élĂšve-usager en lui apprenant Ă  distinguer le mode de fonctionnement du terme dans la chaĂźne parlĂ©e/Ă©crite ainsi que la catĂ©gorisation grammaticale du terme : « grangou » dans son emploi substantif avec le trait /+ humain/ et « grangou » dans un environnement verbal « mouri (anba) grangou » « mourir de faim », « crever de faim ».

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis

RAPPEL – Comme nous l’avons auparavant explicitĂ© dans le dĂ©roulĂ© du prĂ©sent article, « Le dictionnaire scolaire a pour objectifs de sensibiliser les jeunes au vocabulaire et de les mettre Ă  l’aise avec les mots. Il consigne le lexique vivant, dont une partie est dĂ©jĂ  connue de la majoritĂ© des Ă©lĂšves, soit de maniĂšre active, parce que les jeunes locuteurs doivent s’exprimer, soit de maniĂšre passive, parce qu’ils doivent Ă©couter et comprendre les autres ». « (...) Le terme dictionnaire scolaire est synonyme de dictionnaire pĂ©dagogique, ce dernier Ă©tant d’un emploi plus restreint dans la terminologie française » (source : Jean-Claude Boulanger, « Du cĂŽtĂ© de la petite histoire des dictionnaires scolaires modernes » paru dans « Aspects diachroniques du vocabulaire », par Danielle Candel et François Gaudin, Éditions des UniversitĂ©s de Rouen et du Havre, 2006. Dans cette acception, le « dictionnaire scolaire » ou « dictionnaire pĂ©dagogique » est fondamentalement diffĂ©rent du « dictionnaire encyclopĂ©dique » qui s’adresse Ă  des usagers diffĂ©rents et utilise un niveau de langue qui peut ĂȘtre qualifiĂ© d’« acadĂ©mique ». Le Grand dictionnaire terminologique de l’Office quĂ©bĂ©cois de la langue française dĂ©finit comme suit le « dictionnaire encyclopĂ©dique » : « Dictionnaire qui contient des informations de nature linguistique (sĂ©mantique, grammaticale, phonĂ©tique) et des informations de nature rĂ©fĂ©rentielle, c’est-Ă -dire relatives aux objets ». Le dictionnaire Le Robert Ă©claire la notion de « dictionnaire encyclopĂ©dique » par la dĂ©finition de l’adjectif « encyclopĂ©dique » : « Qui embrasse l’ensemble des connaissances. De l’encyclopĂ©die. Un dictionnaire encyclopĂ©dique, qui fait connaĂźtre les choses, les concepts (opposĂ© Ă  dictionnaire de langue) ».

Dans l’ensemble, le « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš françaiscrĂ©ole » est appelĂ© Ă  jouer un rĂŽle de premier plan dans la conduite (1) des diffĂ©rents futurs chantiers de la traduction crĂ©ole et de la lexicographie crĂ©ole, dans (2) la didactique du crĂ©ole, dans (3) la didactisation du crĂ©ole et (4) au titre d’un ouvrage de rĂ©fĂ©rence, dans la rĂ©daction de manuels scolaires crĂ©oles de qualitĂ©. Les liens Ă©troits entre la dictionnairique crĂ©ole et la didactisation du crĂ©ole sont examinĂ©s sous diffĂ©rents angles dans le livre collectif de rĂ©fĂ©rence « La didactisation du crĂ©ole au cƓur de l’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti » (ouvrage coordonnĂ© et co-Ă©crit par Robert BerrouĂ«t-Oriol, Éditions ZĂ©mĂšs et Éditions du Cidihca, 2021). Pour sa part, en ce qui a trait au futur dictionnaire unilingue crĂ©ole, le linguiste-lexicographe Albert Valdman en circonscrit hautement la problĂ©matique : « Le handicap le plus difficile Ă  surmonter dans l’élaboration

d’un dictionnaire unilingue pour le CH [crĂ©ole haĂŻtien] est certainement l’absence d’un mĂ©talangage adĂ©quat. Cette carence rend ardu tout effort de dĂ©finition comparable Ă  celle que l’on trouve dans les dictionnaires unilingues de langues pleinement standardisĂ©es et instrumentalisĂ©es. Le rĂ©dacteur se trouve obligĂ© de suivre le modĂšle des dictionnaires pour jeunes qui rendent le sens des lexies par une approche concrĂšte basĂ©e sur le jeu des synonymes et l’utilisation d’exemples illustratifs. C’est cette voie que devraient suivre les lexicographes prĂȘts Ă  affronter le dĂ©fi de l’élaboration d’un dictionnaire unilingue, en particulier s’ils Ɠuvrent dans une perspective pĂ©dagogique, tant dans l’enseignement de base que dans l’alphabĂ©tisation des adultes. (...) Au fur et Ă  mesure que le CH [crĂ©ole haĂŻtien] est appelĂ© Ă  la rĂ©daction d’une large gamme de textes, en particulier dans les domaines techniques, et Ă  son emploi dans les cycles scolaires supĂ©rieurs, il se dotera d’un mĂ©talangage capable de traiter de concepts de plus en plus abstraits. Dans l’attente de cette Ă©volution, la lexicographie bilingue peut prĂ©parer le terrain en affinant ses mĂ©thodes, en particulier quant Ă  : 1 / la sĂ©lection de la nomenclature ; 2 / la description des variantes et le classement diatopique, diastratique et diaphasique ?des lexies ; et 3 / le choix des exemples illustratifs » (Albert Valdman, « Vers un dictionnaire scolaire bilingue pour le crĂ©ole haĂŻtien ? », revue La linguistique, 2005/1 (vol. 14) ; voir aussi un article prĂ©cĂ©dent d’Albert Valdman, « L’évolution du lexique dans les crĂ©oles Ă  base lexicale française » paru dans L’information grammaticale no 85, mars 2000).

Les apports analytiques du linguiste Renauld Govain alimentent eux aussi une rĂ©flexion transversale capable d’enrichir la rĂ©flexion sur la dictionnairique crĂ©ole. Ces apports analytiques sont consignĂ©s dans les articles suivants : (1) « Enseignement du crĂ©ole Ă  l’école en HaĂŻti : entre pratiques didactiques, contextes linguistiques et rĂ©alitĂ©s de terrain », in FrĂ©dĂ©ric Anciaux, Thomas Forissier et Lambert-FĂ©lix : voir Prudent (dir.), « Contextualisations didactiques. Approches thĂ©oriques », Paris, L’Harmattan, 2013 ; (2) « L’état des lieux du crĂ©ole dans les Ă©tablissements scolaires en HaĂŻti », revue Contextes et didactiques, 4, 2014 ; (3) « Le crĂ©ole haĂŻtien : description et analyse » (sous la direction de Renauld Govain, Paris, Éditions L’Harmattan, 2018 ; (4) « Enseignement/apprentissage formel du crĂ©ole Ă  l’école en HaĂŻti : un parcours Ă  construire », revue Kreolistika, mars 2021 ; (5) « De l’expression vernaculaire Ă  l’élaboration scientifique : le crĂ©ole haĂŻtien Ă  l’épreuve des reprĂ©sentations mĂ©ta-Ă©pilinguistiques »

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis (revue Contextes et didactiques, 17 | 2021) ; (6) « Pour une didactique du crĂ©ole langue maternelle », paru dans le livre collectif de rĂ©fĂ©rence « La didactisation du crĂ©ole au cƓur de l’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti », par BerrouĂ«t-Oriol et al., Éditions ZĂ©mĂšs et Éditions du Cidihca, 2021.

Au chapitre 6 « La question de la (in)disponibilitĂ© des concepts en CH, un vrai faux problĂšme » de son article « De l’expression vernaculaire Ă  l’élaboration scientifique : le crĂ©ole haĂŻtien Ă  l’épreuve des reprĂ©sentations mĂ©ta-Ă©pilinguistiques » (revue Contextes et didactiques, 17 | 2021), Renauld Govain prĂ©cise comme suit sa pensĂ©e au sujet « de la (in)disponibilitĂ© des concepts en CH. De bonnes Ăąmes bien pensantes prĂ©tendent que le CH n’est pas apte Ă  exprimer des rĂ©alitĂ©s scientifiques parce que les concepts pour ce faire n’y existeraient pas. Il est Ă©vident que la langue accuse certaines limites Ă  ce niveau parce que cette expĂ©rience n’y a guĂšre encore Ă©tĂ© tentĂ©e dans tous les compartiments de la science. Pour considĂ©rer qu’une langue a des limites dans l’expression de tel type de rĂ©alitĂ© intellectuelle, on la compare Ă  d’autres langues qui, elles, connaissent une longue tradition d’expression scientifique. Mais, cela ne veut pas dire que celle-lĂ  soit pauvre et celles-ci soient riches. Du point de vue de l’expression de rĂ©alitĂ©s vernaculaires, une langue ne peut pas ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme pauvre car elle permet Ă  ses locuteurs de pouvoir tout exprimer ». Il ajoute, plus loin dans son propos, que « Lorsque les HaĂŻtiens Ă©voquent la non-disponibilitĂ© des concepts en CH, ils font davantage rĂ©fĂ©rence aux disciplines des sciences dites de base, telles les mathĂ©matiques, la mĂ©decine, la biologie, la physique, etc. Mais, si l’on devait vraiment parler d’indisponibilitĂ© de concepts en CH, cela se poserait aussi au niveau de l’enseignement des disciplines relevant de ce qu’on pourrait appeler les sciences situĂ©es telles l’histoire, la gĂ©ographie, la sociologie, la climatologie, etc. qui parfois font appel Ă  des concepts basĂ©s sur des expĂ©riences localement situĂ©es. Par exemple, on continue d’enseigner aux Ă©lĂšves haĂŻtiens qu’il existe 4 saisons (le printemps, l’étĂ©, l’automne, l’hiver), alors que l’observation empirique de la climatologie haĂŻtienne (ou caribĂ©enne plus gĂ©nĂ©ralement) montre qu’il n’existe qu’une seule saison qu’on pourrait diviser en une pĂ©riode sĂšche (que les paysans haĂŻtiens cultivateurs appellent gĂ©nĂ©ralement ‘lesĂšk’) et une pĂ©riode pluvieuse (qu’ils appellent gĂ©nĂ©ralement ‘lepli’). Il se pose dĂšs lors le problĂšme de la contextualisation didactique dont un ordre d’idĂ©es peut ĂȘtre donnĂ© Ă  ce sujet dans R. Govain (2013). L’enseignement Ă©tant fait dans un contexte spĂ©cifique, il doit Ă©pouser

les spĂ©cificitĂ©s de ce contexte : « Notion Ă  gĂ©omĂ©trie variable dont le sens prĂ©cis varie selon la discipline Ă  laquelle on l’applique, le contexte est Ă  envisager sous diverses facettes : pĂ©dagogique, institutionnelle, Ă©ducative, (socio)linguistique, ethnique, Ă©conomique, socioculturelle, Ă©cologique, politique... Toute situation scolaire en milieu plurilingue fait intervenir les notions de contexte et contextualisation » (Govain, 2013 : 23-53) ». Et l’on peut mettre en perspective ce que consigne Renauld Govain lorsqu’il expose que « La contextualisation didactique renvoie, quant Ă  elle, Ă  l’adĂ©quation des rĂ©alitĂ©s Ă  la fois linguistiques, socioculturelles, Ă©cologiques en gĂ©nĂ©ral et Ă©ducatives. Elle vise aussi la mise Ă  contribution des diffĂ©rents Ă©lĂ©ments intervenant dans l’environnement d’enseignement / apprentissage qui est multiforme car formĂ© d’acteurs aux identitĂ©s et aux compĂ©tences linguistiques multiples et plurielles (parfois aux langues premiĂšres diffĂ©rentes), aux appartenances socio-ethniques diffĂ©rentes et diverses, etc. (Govain, 2013) ». Et le lien/liant entre la dictionnairique crĂ©ole et la didactisation crĂ©ole s’éclaire encore de la suite logique de son propos : « La langue, quelle qu’elle soit, est un moyen de communication, d’expression, de (re)prĂ©sentation, inventĂ© collectivement par les membres d’une communautĂ© pour communiquer des idĂ©es, conceptualiser le monde, les objets et les expĂ©riences du monde. Toute langue naturelle est pourvue de ce potentiel lui permettant d’idĂ©aliser des expĂ©riences abstraites, savantes. Donc, une langue qui n’aurait pas cette capacitĂ© de conceptualisation n’en serait pas une. De mĂȘme, une idĂ©e, aussi abstraite soit-elle, qui n’est pas conceptualisĂ©e n’est pas communicable, une rĂ©alitĂ© scientifique qui n’est pas conceptualisable n’est pas partageable. Le concept a pour mission de modĂ©liser cette idĂ©e abstraite (cette modĂ©lisation constituant le discours scientifique) afin de la communiquer Ă  des locuteurs qui ne sont pas forcĂ©ment des scientifiques dans le domaine concernĂ©, mĂȘme si les initiĂ©s au domaine peuvent y accĂ©der plus ou moins facilement ».

L’édition prochaine du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole », une Ɠuvre lexicographique de haute qualitĂ© scientifique destinĂ©e aux Ă©coliers et aux enseignants haĂŻtiens et Ă©galement au grand public, est une nĂ©cessitĂ© de premier plan pour forger et moderniser les outils pĂ©dagogiques et didactiques dont a besoin le systĂšme Ă©ducatif national. Cet ouvrage saura contribuer remarquablement Ă  la didactique et Ă  la didactisation du crĂ©ole dans l’optique de la consolidation de son institutionnalisation comme langue instrument et objet d’enseignement.

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis

Les Éditions haĂŻtiennes ÉDITHA – en en faisant une prioritĂ© dans un environnement oĂč, selon les statistiques de l’UNESCO et de l’UNICEF, environ 2 millions d’élĂšves sont scolarisĂ©s dans 17 000 Ă©coles Ă  travers le territoire national –, apporteront une contribution majeure Ă  la modernisation de l’enseignement en HaĂŻti. À cet Ă©gard, il faut souhaiter que la nouvelle direction du ministĂšre de l’Éducation nationale saura elle aussi faire sienne l’impĂ©rieuse nĂ©cessitĂ© de doter l’École haĂŻtienne d’instruments pĂ©dagogiques et didactiques de grande qualitĂ© dans les deux langues officielles d’HaĂŻti, le crĂ©ole et le français. Ainsi elle enverra Ă  coup sĂ»r un signal fort aux enseignants, aux directeurs d’écoles, aux associations de parents d’élĂšves et aux rĂ©dacteurs de manuels scolaires crĂ©oles et français en contribuant au financement de l’édition prochaine du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole ».

Incursion dans l’histoire des dictionnaires

Le rĂ©putĂ© site « MusĂ©e virtuel des dictionnaires » consigne une prĂ©sentation historique de la dictionnairique sous le titre « Les dictionnaires de la langue française : une histoire et une dynamique ». Le « MusĂ©e virtuel des dictionnaires » est un site gĂ©rĂ© par le laboratoire Lexiques, textes, discours, dictionnaires : Centre Jean Pruvost (EA 7518) de l’UniversitĂ© de Cergy-Pontoise. Sa vocation est de prĂ©senter une bibliographie des dictionnaires et des travaux s’y rapportant. Pour illustrer l’idĂ©e que le « Dictionnaire scolaire bilingue kreyĂČl-fransĂš français-crĂ©ole » – qui s’inscrit dans le prolongement des travaux des pionniers Pradel Pompilus, Pierre Vernet, Henry Tourneux, Bryant Freeman, AndrĂ© Vilaire Chery tout en se rattachant Ă  une grande tradition dictionnairique et Ă  son histoire –, nous procĂ©dons Ă  une incursion dans l’histoire des dictionnaires en Occident.

Sur le plan historique

« Des dictionnaires du grand siĂšcle, pour la plupart des in folio, volumineux fleurant bon le vieux papier et le cuir, aux dictionnaires de la fin du XXe siĂšcle et du XXIe siĂšcle, de plus en plus souvent offerts sur supports Ă©lectroniques, c’est-Ă -dire sur “disques optiques compacts” plus couramment appelĂ©s “cĂ©dĂ©roms” (graphie prĂŽnĂ©e par l’AcadĂ©mie française), nous sommes indĂ©niablement confrontĂ©s Ă  la sensible Ă©volution de fond et de forme d’un mĂȘme produit, Ă  la fois hautement symbolique et essentielle-

ment pragmatique. S’il y a en moyenne, selon les statistiques, plus d’un dictionnaire par foyer, et si les dictionnaires font en quelque sorte partie du mobilier et du patrimoine, il n’en reste pas moins qu’ils restent trĂšs mal connus et dans leur diversitĂ© et dans leur histoire.

L’AntiquitĂ© et le Moyen Âge : la gĂ©nĂšse des dictionnaires

Qui a inventĂ© les dictionnaires et quand ? Il serait en fait incongru de n’apporter qu’une seule rĂ©ponse Ă  pareille question... Faut-il par exemple considĂ©rer que la pierre de Rosette dĂ©couverte lors de la campagne d’Égypte de Bonaparte constitue la premiĂšre trace d’un dictionnaire plurilingue ? Sur ladite pierre figuraient en effet les mĂȘmes informations transcrites en trois codes diffĂ©rents, les hiĂ©roglyphes, le dĂ©motique et le grec. Mais si la confrontation des hiĂ©roglyphes a permis en 1822 Ă  Champollion de percer leur mystĂšre, il ne serait pas trĂšs convaincant d’assimiler cette trace de plurilinguisme Ă  un dictionnaire trilingue. Pas plus que de mentionner l’existence de dictionnaires chez les Grecs en Ă©voquant les recueils de mots rares appartenant Ă  un dialecte ou Ă  un Ă©crivain, par exemple HomĂšre. En vĂ©ritĂ©, les conditions ne sont pas remplies pour faire aboutir le genre lexicographique. MĂȘme si le dictionnaire monolingue va prendre souche dans les rĂ©pertoires plurilingues, qu’il s’agisse de l’AntiquitĂ© ou du Moyen Âge, les mots sont encore prisonniers des conceptions mĂ©taphysiques : on ne s’intĂ©resse pas pleinement au langage pour lui-mĂȘme mais Ă  son essence divine. Ainsi, les Sommes du Moyen Âge, correspondent Ă  des rĂ©sumĂ©s des connaissances de l’époque – par exemple la Summa theologica de saint Thomas d’Aquin (1225-1273) – mais ne dĂ©crivent pas les mots. Y sont seulement transmis les concepts et les savoirs de l’époque, fortement teintĂ©s d’interprĂ©tation mĂ©taphysique. Les Étymologies (Etymologiae) d’Isidore de SĂ©ville (570-636), l’un des ouvrages fondateurs de la pensĂ©e mĂ©diĂ©vale, restent en rĂ©alitĂ© totalement imprĂ©gnĂ©es d’une pensĂ©e religieuse qui ne laisse presque aucune place aux considĂ©rations sur la langue.

Du Moyen Âge à la Renaissance : des gloses aux dictionnaires bilingues

Le dictionnaire est un outil destinĂ© Ă  rĂ©soudre les questions que l’on se pose sur les mots, il reprĂ©sente d’une certaine maniĂšre notre premier outil didactique. Il ne serait pas totalement faux d’affirmer qu’il est nĂ© des difficultĂ©s rencontrĂ©es par les Ă©lĂšves.

En effet, les gloses – c’est-Ă -dire les remarques explicatives ajoutĂ©es briĂšvement en marge ou entre les lignes, destinĂ©es Ă  commenter dans les ouvrages de grammaire latine ou d’enseignement du latin les passages difficiles –sont instaurĂ©es pour aider les clercs qui ne maĂźtrisent pas parfaitement le latin. Lorsque les gloses sont regroupĂ©es, on aboutit Ă  un glossaire, le plus cĂ©lĂšbre Ă©tant celui de Reichenau (VIIIe siĂšcle) qui rassemblait un peu plus d’un millier de mots difficiles d’une vulgate de la Bible, avec leur traduction en un latin plus facile ou en langue romane.

Le dictionnaire bilingue, et Ă  terme le dictionnaire monolingue, sont dĂ©jĂ  lĂ  en germes. En vĂ©ritĂ©, traduire puis expliquer en ajoutant un commentaire lorsque la traduction se rĂ©vĂšle insuffisante, c’est dĂ©jĂ  forger les premiĂšres dĂ©finitions.

Le XVIIe siĂšcle : le grand siĂšcle et la naissance d’une trinitĂ© lexicographique

Le grand siĂšcle est celui des monarques absolus, et avec eux de la codification et de la rĂ©gulation. Henri IV, Louis XIII et Louis XIV vont chacun Ă  leur maniĂšre servir la langue française et l’instituer comme une grande langue internationale. Le bon roi Henri IV, sans le vouloir, incitera les “prĂ©cieux” Ă  se rĂ©unir dans des salons Ă©loignĂ©s de la cour, trop rustre Ă  leur goĂ»t, mais ce faisant, mĂȘme si l’on a surtout retenu le ridicule des pĂ©riphrases (les “belles mouvantes”, les “chers souffrants”... pour les pieds et les mains), ces derniers ainsi que Malherbe vont affiner la langue, l’épurer, peut-ĂȘtre trop prĂ©tendront d’aucuns. Sous Louis XIII, Richelieu fondera en 1635 l’AcadĂ©mie française, et Louis XIV rassemblera autour de lui, Ă  Versailles, les Ă©crivains qui poliront la langue et lui donneront cette tonalitĂ© classique et ce prestige littĂ©raire international. AprĂšs le foisonnement lexical de la Renaissance, le Grand siĂšcle reprĂ©sente une pĂ©riode de remise en ordre : Malherbe, au nom de la puretĂ©, Vaugelas, au nom de l’usage, se chargent de normaliser la langue, avec l’aval du public.

Constatons au passage que lorsqu’un pays bĂ©nĂ©ficie d’une langue et d’un gouvernement forts, apparaissent gĂ©nĂ©ralement des rĂ©pertoires monolingues qui donnent aux mots du code linguistique national leur sens prĂ©cis, ce qui renforce la validitĂ© des textes officiels. Au public de Corneille, Racine, MoliĂšre, aux contemporains instruits, bourgeois et nobles, correspondent Ă  la fin du siĂšcle trois dictionnaires de facture diffĂ©rente qui marquent la rĂ©elle naissance de la lexicographie de haute qualitĂ© : le dictionnaire de Richelet en 1680, celui de FuretiĂšre en 1690, et celui de l’AcadĂ©mie en 1694.

Tout d’abord, Pierre Richelet (1631-1694) publie en 1680 le premier dictionnaire monolingue de langue française, le Dictionnaire français contenant les mots et les choses (2 vol., in- 4°), dictionnaire destinĂ© Ă  “l’honnĂȘte homme”. Il y dĂ©finit les mots en homme de goĂ»t et de raison, volontiers puriste. Il s’agit d’un dictionnaire descriptif du bel usage, avec des exemples choisis dans l’Ɠuvre de Boileau, MoliĂšre, Pascal, Vaugelas, sans oublier les collaborateurs de Richelet, Patin et Bouhours qui n’hĂ©sitent pas Ă  se citer, un bon moyen de passer Ă  la postĂ©ritĂ©... Ce dictionnaire prĂ©figure l’ouvrage de LittrĂ© et de Paul Robert : le grand dictionnaire de langue s’appuyant sur des citations d’auteurs est nĂ©.

Ensuite Antoine FuretiĂšre (1620-1688), esprit vif et volontiers railleur, est l’auteur du Dictionnaire Universel, contenant gĂ©nĂ©ralement tous les mots françois tant vieux que modernes et les termes de toutes les Sciences et des Arts (2vol. ; in-folio). Ce n’est plus cette fois-ci le “bon usage” qui est mis en relief mais, comme il est annoncĂ© dans la prĂ©face, “une infinitĂ© de choses”. Les traits d’Histoire, les curiositĂ©s de “l’histoire naturelle, de la physique expĂ©rimentale et de la pratique des Arts” l’emportent sur la citation des bons auteurs. FuretiĂšre prĂ©figure Pierre Larousse et le dictionnaire encyclopĂ©dique, ce dernier Ă©tant davantage centrĂ© sur les idĂ©es et les choses dĂ©crites par les mots que sur l’usage du mot dans la langue.

Enfin, paraĂźt en 1694 la premiĂšre Ă©dition du Dictionnaire de l’AcadĂ©mie française (2 vol., in-4°) se trouve ainsi accomplie l’une des tĂąches que s’était fixĂ©e l’AcadĂ©mie dĂšs 1635 sous l’Ɠil attentif de Richelieu. Ce dernier souhaitait vivement en effet que la France se dotĂąt d’un dictionnaire Ă  l’image de celui de l’AcadĂ©mie della Crusca fondĂ©e Ă  Florence,

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis dictionnaire illustrant la langue italienne dans une premiĂšre Ă©dition en 1612 et une seconde en 1623.

Certes, la publication du dictionnaire de l’AcadĂ©mie, fort attendue, Ă©tait bien tardive, mais Ă  tout prendre, ce fut une chance pour la lexicographie, puisque le monopole du dictionnaire de l’AcadĂ©mie n’avait pu ĂȘtre conservĂ©. En effet, publiĂ©s Ă  GenĂšve et en Hollande, mais destinĂ©s Ă  tous les usagers de la langue française, les dictionnaires de Richelet et de FuretiĂšre avaient dĂ©jĂ  eu l’heur de plaire au Roi. Une saine concurrence Ă©tait dĂ©sormais installĂ©e.

Le dictionnaire de l’AcadĂ©mie avait pĂąti, d’une part, de la mort en 1653 de son rĂ©dacteur talentueux, Vaugelas, et, d’autre part, d’un changement d’état de langue aprĂšs ce premier Ă©lan, une reprise s’était donc rĂ©vĂ©lĂ©e nĂ©cessaire Ă  la fin du XVIIe siĂšcle. Sans oublier le conflit qui opposa FuretiĂšre, acadĂ©micien accusĂ© d’avoir plagiĂ© le dictionnaire de l’AcadĂ©mie pour alimenter son propre dictionnaire. S’il est vrai que la formule initiale du dictionnaire de FuretiĂšre ne devait comprendre que des mots scientifiques, techniques, et que d’une certaine façon, en y introduisant les mots d’usage courant, il “doublait” l’AcadĂ©mie, la teneur mĂȘme de ces articles Ă©tait cependant bien diffĂ©rente. La premiĂšre Ă©dition du dictionnaire de l’AcadĂ©mie n’eut pas le succĂšs escomptĂ© parce que les mots y Ă©taient regroupĂ©s en fonction des racines, et le public n’apprĂ©ciait guĂšre ce classement qui rassemblait des mots comme dette, dĂ©biter, redevance sous l’entrĂ©e devoir. Cela Ă©tant, c’était une initiative pertinente sur le plan linguistique, trois siĂšcles plus tard tous les linguistes salueraient Josette Rey-Debove pour avoir Ă©laborĂ© le Dictionnaire mĂ©thodique (1982) dans une dynamique analogue.

Le XVIIIe siĂšcle : le siĂšcle de l’encyclopĂ©die

La premiĂšre tĂąche des lexicographes du XVIIIe siĂšcle fut d’abord de perfectionner les ouvrages existants. En particulier, revint aux JĂ©suites de TrĂ©voux le mĂ©rite de poursuivre la tĂąche entreprise par FuretiĂšre ; en effet dĂšs 1704, les PĂšres JĂ©suites de cette petite ville situĂ©e sur la SaĂŽne dans les Dombes publiĂšrent un dictionnaire encyclopĂ©dique, le Dictionnaire Universel françois et latin, en enrichissant et en corrigeant idĂ©ologiquement la seconde Ă©dition du dictionnaire de FuretiĂšre, qui avait Ă©tĂ© reprise

en 1702 par le protestant Basnage de Beauval, ce qui n’était Ă©videmment pas du goĂ»t des PĂšres JĂ©suites. Ce furent d’abord trois volumes in-folio qui furent offerts en 1704, puis cinq en 1732, et huit en 1771. Fournir une information soutenue et combattre un certain nombre d’idĂ©es, tel Ă©tait l’objectif. Et sur ce dernier point les JĂ©suites avaient fort Ă  faire, puisque les jansĂ©nistes d’abord, les philosophes ensuite, leur portaient de rudes coups. Par ailleurs, les diffĂ©rents dictionnaires de l’AcadĂ©mie apportaient leur lot de rĂ©formes utiles, simplifiant l’orthographe, en particulier dans la troisiĂšme Ă©dition (1740) avec l’AbbĂ© d’Olivet.

Il faut enfin signaler Ă  la veille de la RĂ©volution, en 1788, la publication du Dictionaire critique de la langue française (3 vol., in-8°), avec un seul n, de l’AbbĂ© FĂ©raud, ouvrage qui connut peu de succĂšs mais qui prĂ©sente sans doute l’image la plus intĂ©ressante de la langue du moment, avec des points de vue critiques et la mention de la prononciation. Ce dictionnaire qui a influencĂ© les lexicographes du XIXe siĂšcle mĂ©ritait bien la réédition qui vient d’en ĂȘtre faite depuis peu par les Presses de l’École Normale supĂ©rieure, sous la direction de Philippe Caron. Et, c’est le sort heureux des ouvrages majeurs, il fait actuellement l’objet d’une informatisation pour ĂȘtre sans doute bientĂŽt publiĂ© sur cĂ©dĂ©rom.

La premiÚre moitié du XIXe siÚcle : les accumulateurs de mots

La RĂ©volution française ne fut pas seulement politique, elle fut aussi linguistique. À la sociĂ©tĂ© nĂ©e de la RĂ©volution a correspondu en effet un lexique plus large. Au-delĂ  des mots issus des diverses rĂ©formes, par exemple celle du systĂšme mĂ©trique, des mots nouveaux se rĂ©pandirent dans le commerce. Les anglicismes commencĂšrent Ă  s’incruster dans notre langue, en particulier dans les domaines techniques oĂč l’Angleterre disposait d’une rĂ©volution industrielle d’avance. Par ailleurs, la vague montante des romantiques fit dĂ©ferler dans la littĂ©rature un vocabulaire abondant et colorĂ©. Le mĂ©lange des mots de basse ou noble extraction, archaĂŻques, classiques ou nouveaux, n’est plus un obstacle : les barriĂšres volent en Ă©clats sous la poussĂ©e de ces Ă©crivains chevelus qui rompent avec la tradition. Et nĂ©cessairement, ce sang neuf allait gĂ©nĂ©rer un nouveau mouvement lexicographique.

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis

De cette pĂ©riode de crĂ©ation lexicale, nous retiendrons notamment quelques dictionnaires rĂ©putĂ©s pour constituer avant tout des “accumulateurs” de mots, c’est-Ă -dire que, nĂ©gligeant plus ou moins la dĂ©finition et la prĂ©cision dans l’information, ils se caractĂ©risent d’abord par des nomenclatures plĂ©thoriques. L’ouvrage de Boiste en 1800, Le Dictionnaire Universel de la langue française (1 vol., in-4°), repris en 1829 avec le sous-titre de Pan-lexique par Charles Nodier, celui de NapolĂ©on Landais en 1834, et enfin celui de Bescherelle en 1845, illustrent tout Ă  fait cette tendance Ă  ouvrir les nomenclatures au plus grand nombre de mots, sans pour autant ĂȘtre trĂšs pertinents quant aux dĂ©finitions.

La seconde moitié du XIXe siÚcle : la linguistique historique

LittrĂ© (1801-1881) et Larousse (1817-1875) DĂšs 1804, avec entre autres les publications de Franz Bopp, commençait l’aventure de la linguistique historique qui rapprochait les langues europĂ©ennes du sanscrit, d’oĂč la dĂ©couverte progressive de la famille des langues indo-europĂ©ennes, expliquant les parentĂ©s entre des langues apparemment aussi Ă©loignĂ©es que le latin, l’allemand et le grec. Mais c’est surtout au cours de la seconde moitiĂ© du XIXe siĂšcle que s’installent en France les recherches Ă©tymologiques avec l’établissement des rĂšgles de phonĂ©tique historique.

Ajoutons Ă  cela l’influence dĂ©cisive d’Auguste Comte qui publie entre 1830 et 1842 le Cours de philosophie positive. FondĂ©e sur l’observation, l’étude positive des faits, et donc implicitement sur la recherche des causes historiques, cette philosophie s’adaptait parfaitement aux aspirations d’une nouvelle gĂ©nĂ©ration dĂ©sormais plus sensible aux rĂ©alitĂ©s scientifiques qu’aux rĂȘveries enthousiastes. Larousse et LittrĂ© en seront de fervents adeptes, et tous deux s’inscrivent sans hĂ©siter dans le courant de la linguistique historique et comparative.

LittrĂ© naquit le 1er fĂ©vrier 1801 Ă  Paris, avec pour premier prĂ©nom Maximilien, prĂ©nom donnĂ© par son pĂšre en souvenir de Robespierre l’Incorruptible... L’enfant prometteur, entre une mĂšre protestante et un pĂšre disciple de Voltaire, ne fut point baptisĂ©, ce qui fit couler beaucoup d’encre lorsqu’il devint cĂ©lĂšbre. Brillant Ă©lĂšve, il se destine Ă  la mĂ©decine, mais le mĂ©decin se mĂ©tamorphose petit Ă  petit en Ă©rudit en publiant notamment une traduction critique des Ɠuvres d’Hippocrate. En 1840 lui est alors

proposĂ©e une chaire d’Histoire mĂ©dicale qu’il refuse, ne souhaitant guĂšre le contact avec le public. Émile LittrĂ© avait formĂ© le projet dĂšs 1841 de rĂ©diger un dictionnaire Ă©tymologique qui serait publiĂ© chez son camarade de classe, Christophe Hachette, dĂ©jĂ  devenu un Ă©diteur Ă©clairĂ©. En fait, ce premier projet n’aboutira pas, il faut attendre 1859 pour que les premiers textes du Dictionnaire de la langue française (4 vol., in-4°) soient remis Ă  Hachette, et 1872 pour que ce dictionnaire en quatre volumes qui fait une large part Ă  l’histoire du mot soit achevĂ©. Un SupplĂ©ment publiĂ© en 1877 couronne l’ensemble. Le dictionnaire de la langue française eut un franc succĂšs auprĂšs du public cultivĂ© qui trouvait dans cet ouvrage une somme d’informations jusque-lĂ  inĂ©galĂ©e quant Ă  l’étymologie et Ă  la filiation historique des sens d’un mot, le tout cautionnĂ© par de grands auteurs. Aussi prit-on rapidement l’habitude d’évoquer “ le LittrĂ© ” avec dĂ©fĂ©rence, comme une autoritĂ© ; il devint mĂȘme l’instrument indispensable de toute recherche sĂ©rieuse en langue française. Son prestige ne diminua guĂšre au fil des annĂ©es, ainsi, jusqu’à la publication du Dictionnaire de Paul Robert , presque un siĂšcle aprĂšs, LittrĂ© fut le plus souvent considĂ©rĂ© comme la seule vĂ©ritable rĂ©fĂ©rence des lettrĂ©s.

Alain Rey, dans un ouvrage explicite sur le lexicographe et son Ɠuvre, met Ă©loquemment en relief comment s’est installĂ©e la notoriĂ©tĂ© d’un dictionnaire qui, n’étant plus rééditĂ©, est devenu tout au long de la premiĂšre moitiĂ© du XIXe siĂšcle un ouvrage mythique. En fait, le dictionnaire de LittrĂ© Ă©tait fondĂ© sur l’idĂ©e darwinienne que la langue est un organisme qui connaĂźt d’abord une croissance, et qui, en atteignant son apogĂ©e, commence Ă  dĂ©cliner. Pour LittrĂ©, comme pour nombre de linguistes de la fin du XIXe siĂšcle, l’apogĂ©e se situait au XVIIe siĂšcle. Aussi, son dictionnaire enregistre-t-il principalement la langue française comprise entre le XVIIe siĂšcle et le dĂ©but du XIXe. Les citations prĂ©sentĂ©es ne sont jamais postĂ©rieures Ă  1830. É. Zola et la majeure partie de l’Ɠuvre de V. Hugo n’y figurent pas. Ajoutons Ă  cet handicap que la conception des articles, avec parfois 40 sens qui se succĂšdent selon une filiation que LittrĂ© souhaite avant tout historique, positiviste, est loin d’ĂȘtre clarificatrice. Il n’en reste pas moins que l’ouvrage reste jusqu’à celui de Paul Robert d’une richesse foisonnante et mĂ©ritait pleinement toute sa notoriĂ©tĂ©.

Le XXe siĂšcle

Les talentueux successeurs de P. Larousse Au Grand Dictionnaire Universel du XIXe siĂšcle devait succĂ©der en 1904 les sept volumes in-quarto du Nouveau Larousse illustrĂ©, dirigĂ© par Claude AugĂ©, qui fut trĂšs largement rĂ©pandu, avec des planches illustrĂ©es en couleurs et de nombreuses illustration au cƓur des articles. Version singuliĂšrement amincie du prĂ©dĂ©cesseur en 17 volumes, il mĂ©ritait sa notoriĂ©tĂ© de par son homogĂ©nĂ©itĂ© et la fiabilitĂ© des informations apportĂ©es. En 1910 paraissait le Larousse pour tous en deux volumes, intitulĂ© ensuite Larousse Universel en 1923, et Nouveau Larousse Universel en 1948. Il devait donner naissance au Larousse en trois volumes, le L3. En 1933, Ă©tait publiĂ© sous la direction de Paul AugĂ© le dernier des six volumes du Larousse du XXe siĂšcle (6 vol. et un SupplĂ©ment en 1953, in-4°), ouvrage particuliĂšrement riche en biographies.

Mais c’est en 1963 que, sous la direction de Jean Dubois et avec le concours du grand linguiste Claude Dubois, Ă©tait achevĂ© le Grand Larousse EncyclopĂ©dique en dix volumes, plus de 10 000 pages, 450 000 acceptions, 22 000 illustration. AssurĂ©ment, un dictionnaire de grande classe correspondant aux trente glorieuses : pas moins de 700 spĂ©cialistes y participaient en effet, rĂ©partis en treize grandes disciplines dirigĂ©es par des secrĂ©taires de rĂ©daction responsables de l’homogĂ©nĂ©itĂ© de l’ensemble. On est en fait ici Ă  l’aube du travail structurĂ© Ă  l’aide de l’ordinateur, cet ouvrage reprĂ©sentait la derniĂšre Ă©tape avant l’aventure informatique, celle correspondant Ă  la mise en fiche la plus efficace possible. En 1985, dans la mĂȘme dynamique Ă©tait publiĂ© le Grand Dictionnaire EncyclopĂ©dique Larousse en dix volumes. Mais il s’agissait lĂ  de dictionnaires encyclopĂ©diques, et si la description de la langue n’y Ă©tait pas nĂ©gligĂ©e, ces ouvrages privilĂ©giaient naturellement l’information encyclopĂ©dique.

Les Éditions Larousse allaient donc Ă©galement s’intĂ©resser au dictionnaire de langue. Ainsi est publiĂ© en 1978 le Grand Larousse de la langue française, en 7 volumes, Ă©laborĂ© sous la direction de Louis Guilbert, R. Lagane, G. Niobey. Un dictionnaire Larousse sans illustration, uniquement consacrĂ© Ă  la description des mots de notre langue, voilĂ  qui rompait avec la tradition. En fait, dĂšs 1967, une premiĂšre percĂ©e avait Ă©tĂ© faite avec le Dictionnaire français contemporain (le DFC) rĂ©digĂ© sous

la direction de Jean Dubois, ouvrage en un volume, de format trĂšs rĂ©duit, avant tout destinĂ© au public scolaire. Ce petit dictionnaire, en dĂ©crivant le français en synchronie, avec un dĂ©groupement des articles, en fonction de la distribution des mots dans la langue (plusieurs articles pour le mot “classe” au lieu d’un seul avec de nombreux sens diffĂ©rents) avait fait l’effet d’une rĂ©volution lexicographique.

Le Grand Larousse de la langue française s’inscrivait dans cette mĂȘme perspective, moderniste, en ajoutant Ă  la nomenclature des articles exclusivement consacrĂ©s Ă  la linguistique. HĂ©las, ce bel outil Ă©laborĂ© avant l’informatisation, n’a pas eu la carriĂšre qu’il mĂ©ritait, il ne fut pas remis Ă  jour.

Paul Robert est nĂ© en 1910 en AlgĂ©rie, dans une famille aisĂ©e, et il entreprend des Ă©tudes de droit qui le conduiront jusqu’à une thĂšse soutenue Ă  la fin de la guerre, en 1945. Rien ne le prĂ©destinait Ă  la lexicographie, mais son affectation pendant la guerre au service du dĂ©codage, oĂč il participe Ă  l’élaboration d’un dictionnaire du chiffre, son contact apprĂ©ciĂ© avec la langue anglaise, ses premiers essais Ă  titre personnel de mise en analogie des mots anglais puis des mots français, l’entraĂźnent peu Ă  peu Ă  transformer son loisir en activitĂ© dĂ©vorante, au point de bientĂŽt recruter des auxiliaires sur sa fortune personnelle pour faire aboutir le dictionnaire dont il rĂȘve. En 1950, il apprend que le premier fascicule de son dictionnaire obtient le prix Saintour de l’AcadĂ©mie française. DĂšs lors, il n’a de cesse d’achever l’Ɠuvre commencĂ©e et, en 1952 et 1953, il recrute pour l’aider deux collaborateurs d’excellence, Alain Rey et Josette Rey-Debove. Le 28 juin 1964, il achĂšve le sixiĂšme et dernier tome du Dictionnaire alphabĂ©tique et analogique de la langue française. Paul Robert offrait Ă  la France un digne successeur du LittrĂ© avec des citations extraites d’un corpus littĂ©raire plus rĂ©cent, la SociĂ©tĂ© qu’il avait fondĂ©e s’intitulait d’ailleurs la SociĂ©tĂ© du Nouveau LittrĂ©. Quant au principe analogique qui Ă©tait Ă  l’origine du projet, s’il n’est pas nĂ©gligeable, ce n’est pas lui qui dĂ©terminait le succĂšs de l’entreprise, mais la qualitĂ© du travail dĂ©finitoire. Les Ă©ditions Robert allaient s’installer dans le paysage lexicographique en s’illustrant par diffĂ©rents dictionnaires de grande qualitĂ©. En 1967, naissait d’abord le Petit Robert, le petit dictionnaire de langue manquant

sur le marché et qui pouvait ainsi constituer le pendant du Petit Larousse illustré, dictionnaire encyclopédique. AprÚs un Supplément (1971) ajouté au Dictionnaire alphabétique et analogique de Paul Robert, supplément qui installait A. Rey et J. Rey-Debove parmi les grands lexicographes connus, paraissait en 1985 le Grand Robert de la langue française dirigé par A. Rey.

À la fin du siĂšcle, marquĂ© par l’informatique, sont diffusĂ©s, en 1994, le cĂ©dĂ©rom correspondant au Grand Robert et, deux ans plus tard, celui correspondant au Petit Robert, outil prĂ©cieux permettant de nombreux croisements d’information avec, pour la premiĂšre fois, des mots sonorisĂ©s, prĂšs de 9 000.

Enfin, signe patent d’une maison d’édition bien installĂ©e dans le paysage lexicographique, on assiste au cours de la derniĂšre dĂ©cennie du XXe siĂšcle Ă  la diversification des ouvrages en un ou deux volumes, qu’il s’agisse des dictionnaires pour enfants, des dictionnaires pour collĂ©giens ou des dictionnaires de noms propres, sans oublier en 1992 le Dictionnaire historique de la langue française (2 vol., in-4°), synthĂšse des informations recueillies par les chercheurs de ce demi-siĂšcle, et ouvrage qui renoue utilement avec un genre qu’avait tentĂ© d’imposer l’AcadĂ©mie au XIXe siĂšcle, sans succĂšs. Outre leur compĂ©tence de lexicographe et de dictionnariste, Josette Rey-Debove et Alain Rey nous ont offert par ailleurs d’importants ouvrages thĂ©oriques sur la lexicologie et la lexicographie. Ils auront indĂ©niablement marquĂ© la seconde moitiĂ© du siĂšcle ».

Konprann sa leksikografi kreyĂČl la ye, kote l sĂČti, kote l prale, ki misyon li dwe akonpli

Monreyal, 18 me 2024

OnĂš respĂš pou Pradel Pompilus, pyonye leksikografi kreyĂČl ann Ayiti, otĂš premye « Lexique crĂ©ole-français » (UniversitĂ© de Paris, 1958).

OnĂš respĂš pou Pierre Vernet , fondatĂš Fakilte Lengwistik Aplike nan InivĂšsite Leta d Ayiti, premye lengwis ki plede pou kreyĂČl ak fransĂš mache ansanm

OnĂš respĂš pou AndrĂ© Vilaire Chery, otĂš « Dictionnaire de l’évolution du vocabulaire français en HaĂŻti » (tĂČm 1 ak tĂČm 2, Edisyon Édutex, 2000 ak 2002).

Atik sila a, « Konprann sa leksikografi kreyĂČl la ye, kote l sĂČti, kote l prale, ki misyon li dwe akonpli », pral rive jwenn divĂšs kalte kreyolofĂČn ann Ayiti osnon nan lĂČt peyi. Mwen ekri li pou m bay bon jan esplikasyon sou sa syans lang, kidonk lengwistik, rele « leksikografi », espesyalman « leksikografi kreyĂČl ». Pi fĂČ moun k ap sĂšvi ak yon diksyonĂš osnon yon leksik pa konnen kouman leksikograf ki se espesyalis nan domĂšn leksikografi ekri yo, ki pwotokĂČl syantifik yo sĂštoblije swiv pou fĂš liv sa yo. Ann Ayiti, pi fĂČ pwofesĂš lekĂČl osnon pwofesĂš kreyĂČl pa menm konnen gen yon aktivite syantifik ki koumanse lan peyi a depi lane 1950 yo lĂš Pradel Pompilus pibliye « Lexique crĂ©ole-français » li a (UniversitĂ© de Paris, 1958). Se youn nan rezon ki fĂš mwen dedikase atik sa a pou 3 gran lengwis leksikograf Ayisyen : onĂš respĂš pou Pradel Pompilus, Pierre Vernet, AndrĂ© Vilaire Chery.

Nan atik n ap li koulye a, n ap jwenn esplikasyon sou leksikografi an jeneral. Atik sa a pote bon jan limyĂš sou tĂšm leksikografi kreyĂČl la, kote l sĂČti, kote l prale, ki misyon li dwe akonpli. Dokiman sa a rasanble yon

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pakĂšt referans (atik al liv) tout lektĂš ka chache jwenn pou konprann pi byen sa leksikografi kreyĂČl la ye. Nan atik jodi a mwen sĂšvi ak kĂšk konsĂšp (« concepts »), nosyon (« notion ») ak tĂšminoloji (« terminologie ») syans leksikografik la dĂšske yo se konsĂšp, nosyon ak tĂšminoloji kle pou disiplin leksikografi a. An fransĂš , konsĂšp, nosyon ak tĂšminoloji sa yo se : « lexicographie », « lexicographe », « lexicologie », « lexicologue », « lexicalisation », « lexicalisĂ© », « locuteur », « terme », « Ă©tymologie », « unitĂ© lexicale », « catĂ©gorie grammaticale », « nom », « pronom », « adjectif », « verbe », « adverbe », eks. Mwen konsidere tradiksyon/adaptasyon konsĂšp sa yo an kreyĂČl po ko fin franchi divĂšs etap jouk pou yo ta rive estandadize. Pa egzanp, nou ka jwenn konsĂšp ak tĂšminoloji an kreyĂČl moun itilize nan domĂšn elektrisite nan « Petit lexique crĂ©ole haĂŻtien utilisĂ© dans le domaine de l’électricitĂ© » (Edisyon Cahiers du Lacito/CNRS, 1976) ki se yon leksik fransĂš-kreyĂČl. PwofesĂš Henry Tourneux te reyalize travay sa a nan vil Senmak lĂš l t ap kolabore ak Fakilte lengwistik aplike, InivĂšsite Leta dAyiti. Kidonk menm jan leksikografi kreyĂČl la poko ekri yon « DiksonyĂš jiridik kreyĂČl » osnon yon « DiksyonĂš lamedsin kreyĂČl », menm jan an li poko ekri yon « DiksyonĂš tĂšminoloji kreyĂČl » osnon yon « DiksyonĂš leksikografi kreyĂČl » ki va rasanble tout mo, tout nosyon nou ka itilize nan domĂšn leksikografi ak tĂšminoloji kreyĂČl.

Mo kle : « Leksikografi », « Leksikografi kreyĂČl », « TĂšminoloji », « DiksyonĂš », « Leksik », « Inite leksikal »

AlapapĂČt m ap remĂšsye 2 lengwis ki pase men nan atik m ap pibliye jodi a : – MolĂšs Paul, responsab Laboratwa GRESKA (Gwoup rechĂšch sou sans nan kreyĂČl ayisyen), pwofesĂš, Fakilte lengwistik aplike, InivĂšsite Leta dAyiti. – LemĂšte ZĂ©phyr, pwofwsĂš, Fakilte lengwistik aplike ak EkĂČl nĂČmal siperyĂš, InivĂšsite Leta dAyiti ; li anchaj ISTI (Institut supĂ©rieur de traduction et d’interprĂ©tation).

Premye pawĂČl : ann voyaje andedan vokabilĂš syans leksikografi a

Ki sa sa vle di lĂš n ap pale de « Leksikografi », « TĂšminoloji », « DiksyonĂš », « Leksik », elatriye ? Kit ou se pwofesĂš, elĂšv, tradiktĂš kreyĂČl oubyen jounalis, ou ka sĂšvi ak yon liv yo rele « DiksyonĂš » (« Dictionnaire » an fransĂš ), osnon ak yon « Leksik » (« Lexique » an fransĂš ) nenpĂČt ki lĂš. Yon « DiksyonĂš » osnon yon « Leksik » sĂČti nan sa « Lengwistik » rele

« Leksikografi » (« lexicographie » an fransĂš). « Leksikografi » se yon disiplin syantifik nan « Lengwistik aplike » (an fransĂš « Linguistique appliquĂ©e »). Men definisyon lengwis Marie-Éva de Villers bay pou disiplin « Leksikografi » a : « La lexicographie est la branche de la linguistique appliquĂ©e qui a pour objet d’observer, de recueillir, de choisir et de dĂ©crire les unitĂ©s lexicales d’une langue et les interactions qui s’exercent entre elles. L’objet de son Ă©tude est donc le lexique, c’est-Ă -dire l’ensemble des mots, des locutions en ce qui a trait Ă  leurs formes, Ă  leurs significations et Ă  la façon dont ils se combinent entre eux » (Marie-Éva de Villers : « Profession lexicographe », Presses de l’UniversitĂ© de MontrĂ©al, 2006).

TermiumPlus se non diksyonĂš elektwonik Biwo tradiksyon gouvĂšnman Kanada. Men kouman li defini mo « Lexicographie » a : « Recensement et Ă©tude des mots pris dans leur forme et leur signification visant l’élaboration de dictionnaires de langue ».

Nou pa dwe konfonn « Lexikoloji » ak « Leksikografi ». Branch lengwistik yo rele « Lexikoloji » a li etidye fonksyĂČnman konpozant leksikal yon lang (diferan moso domĂšn kle lang lan), fason youn mare ak lĂČt, fason konpozant leksikal yo mache ak lĂČt domĂšn kle lang nan (fonoloji, sentaks, semantik, mĂČfoloji). « Leksikografi » a (gade definisyon Marie Éva de Villers fĂšk bay la), se yon disiplin nan syans lang (lengwistik), misyon li se rasanble tout « mo » (egal tout « inite leksikal »), klase yo, epi bay deskripsyon yo. « Leksikografi » a gen yon wĂČl, yon misyon, li mache ak metodoloji leksikograf yo itilize pou yo ekri diksyonĂš, leksik osnon glosĂš.

WĂČl leksikografi a se chache konnen ki kalite mo ( « inite leksikal ») yon lang genyen, kouman lang nan rasanble mo yo epi kouman li klase yo , apre sa li bay yon definisyon pou chak mo nan yon liv ki rele diksyonĂš. Moun k ap fĂš travay sa a rele leksikograf. Yon leksikograf se yon espesyalis nan zafĂš lang, wĂČl li se etidye tout « mo » yon lang dekwa pou l klase yo epi pou l esplike sans yo. Konsa, lĂš l fin rasanble mo yon lang li klase yo nan yon diksyonĂš osinon yon leksik . DiksyonĂš a ka ekri nan yon sĂšl lang (lĂš sa a yo rele l « DiksyonĂš inileng ») ; li ka ekri nan 2 lang (lĂš sa a yo rele l « DiksyonĂš bileng »). Yon diksyonĂš klase mo yo jan yo mache nan lang nan, selon « kategori gramatikal » yo : « non », « pwonon », « adjektif », « vĂšb », « advĂšb »), eks. Yon diksyonĂš dwe bay definisyon tout mo li klase kon yon « inite leksikal » lang nan. Yon leksik pa bay definisyon mo yon lang, li se yon lis « mo » (« inite leksikal ») ki klase ann ĂČd alfabetik

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ak tout etikĂšt yo rele « kategori gramatikal » : « non », « pwonon », « adjektif », « vĂšb », « advĂšb »), eks. Dapre tradisyon leksikografi a, nou jwenn divĂšs kalite leksik nan divĂšs domĂšn : leksik elektrisite, leksik jiridik, leksik lasante, leksik agwonomi/syans latĂš, leksik fĂš fĂČje, eks. Nan divĂšs nivo yon lang osnon rejis yon lang (« niveau de langue », « registre de langue »), lokitĂš yo sĂšvi ak « mo » yo (« inite leksikal » yo) selon sa yo bezwen di. Konsa nan konvĂšsasyon tou lejou lokitĂš yo ka sĂšvi ak « mo » tankou « tabliye » ki se yon rad moun mete sou kĂČ yo lĂš yo pral kwuit manje. Nan yon lĂČt nivo, lan domĂšn achitekti, yon « tabliye » se yon pati nan chapant yon pon (al gade definisyon « tablier » an franse : « Le tablier d’un pont est une structure porteuse qui supporte les charges du trafic routier et les transmet aux appuis ou aux Ă©lĂ©ments de suspension (suspentes ou arcs).

Le tablier d’un pont peut ĂȘtre fait en acier ou en bĂ©ton ».

Nan yon diksyonĂš osnon nan yon leksik, yon « mo leksikalize » egal yon « inite leksikal » (an franse : « unitĂ© lexicale ») lang nan. Men kouman Grand dictionnaire terminologique (Office quĂ©bĂ©cois de la langue française) defini mo « unitĂ© lexicale » la (sinonim li se « lexie » : « UnitĂ© fonctionnelle du discours constituĂ©e d’un ou plusieurs mots, qui appartient au lexique d’une langue donnĂ©e et a un sens figĂ©. (...) Par exemple, les mots simples (chat, ensoleiller), les mots composĂ©s (pomme de terre) et les expressions (petit train va loin) sont des unitĂ©s lexicales. » Kidonk yon « inite leksikal », yon « mo leksikalize » sa vle di yon mo senp osnon yon mo konpoze (« chĂšz » / « chĂšz ba », « motĂš » / « motĂš avyon »), li gen yon « fonksyon », sa vle di li jwe yon wĂČl nan vokabilĂš yon lang. Gen yon sit EntĂšnĂšt ki rele « FrançaisFacile.com » ; li bay yon bon definisyon sou « fonksyon »/ « wĂČl » inite leksikal yo : « Tout mot a non seulement une nature grammaticale (nom, verbe, pronom...), mais aussi une fonction grammaticale dans la phrase. La fonction d’un mot ou d’un groupe de mots est le rĂŽle qu’il joue dans la phrase pour que celle-ci ait un sens. Ces mots ou groupes de mots ayant une fonction essentielle, ne peuvent ĂȘtre ni dĂ©placĂ©s ni supprimĂ©s. Ils sont indispensables pour la bonne comprĂ©hension de la phrase ». Sa vle di tout « mo », tout « inite leksikal » yon lang posede « kategori mo a » (wĂČl gramatikal li) : non, pwonon, vĂšb, eksetera, ki mare ak « fonksyon gramatikal li », sa vle di wĂČl li jwe pou yon fraz ranpli fonksyon semantik li, pou pĂšmĂšt tout lokitĂš konprann sans yon fraz menm jan. (Men kĂšk referans sou nosyon « inite leksikal » la : al gade atik sa yo : « La notion d’ « unitĂ© lexicale » en linguistique et son usage

en lexicologie », Fabienne Cusin-Berche, revue Linx, 40 | 1999 ; « La notion d’unitĂ© lexicale et l’enseignement du lexique », Carmen Lederer, The French Review (American Association of Teachers of French), vol. 43, no 1, oct. 1969 ; « Les propriĂ©tĂ©s syntaxiques de l’unitĂ© lexicale », Alan J. Ford, Meta - Journal des traducteurs / Translators’ Journal, volume 18, no 1-2, mars 1973 (Actes du deuxiĂšme colloque international de linguistique et de traduction, MontrĂ©al, 4-7 octobre 1972) ; « Didactique du lexique et problĂ©matique de l’unitĂ© lexicale : Ă©tat d’une confusion », GĂ©rard Petit (UniversitĂ© Paris X), 2000 ; Jean Pruvost « Lexique et vocabulaires : une dynamique d’apprentissage », revue Études de linguistique appliquĂ©e, n°116, Didier-Érudition, 1999.)

DezyĂšm pawĂČl : leksikografi se yon syans, li gen pwĂČp istwa pa l

Tradisyon leksikografi a ansyen anpil, li gen plis pase 4 syĂšk depi li egziste. Nan tradisyon leksikografik lang fransĂš a, premye diksyonĂš inileng lan parĂšt an 1680, li rele « Dictionnaire français », se Pierre Richelet ki ekri li. DezyĂšm nan se Antoine FuretiĂšre ki ekri li an 1690, li rele « Dictionnaire universel ». TwazyĂšm nan se « Dictionnaire de l’AcadĂ©mie française », li parĂšt an 1694. Se nan 19vyĂšm syĂšk la Pierre Larousse pibliye « Grand Dictionnaire universel », premye diksyonĂš ansiklopedik monn modĂšn nan. Pou premye fwa, kalite diksyonĂš sa a bay orijin mo yo ak sans yo, li esplike divĂšs nosyon istwa, jewografi, anatomi, eks. Gen divĂšjans sou dat ak non premye diksyonĂš lang fransĂš a. Dapre plizyĂš espesyalis, premye diksyonĂš leksikografi fransĂš a se yon diksyonĂš bileng fransĂš -laten : « Dictionaire français-latin ». Robert Estienne, otĂš liv sa a, pibliye li an 1539. LĂČt espesyalis di premye diksyonĂš a rele « Thresor de la langue françoyse, tant ancienne que moderne », Jean Nicot pibliye l an 1606.

(1) Nan tradisyon leksikografik lang fransÚ a, gen plizyÚ kalite diksyonÚ. Dapre Alise Lehmann ak Françoise Martin-Berthet (gade atik yo a : « Les types de dictionnaires », revue Lexicologie, 2018), gen : diksyonÚ monoleng, diksyonÚ bileng, diksyonÚ miltileng, diksyonÚ lang, diksyonÚ ansiklopedik (egzanp : « Petit Larousse illustré »), diksyonÚ kiltirÚl (egzanp : « Petit Robert », « Grand Robert », « Grand Larousse de la langue française »), diksyonÚ jeneral, diksyonÚ espesyalize (dictionnaires de langue spécialisés), diksyonÚ ansiklopedik espesyalize, diksyonÚ tÚminolojik (egzanp : « Juridictionnaire », « Dictionnaire

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis de droit international public »), diksyonĂš pou elĂšv lekĂČl (diksyonĂš aprantisaj lang, egzanp : « Mon Larousse en images », « Larousse mini dĂ©butants », « Robert scolaire », « Robert junior illustrĂ© », « Petit Robert des enfants », « Robert des jeunes »), diksyonĂš ĂČtograf (egzanp : « L’orthographe par la phonĂ©tique », Le Robert), diksyonĂš an liy (sou EntĂšnĂšt), diksyonĂš sou CDRom. Nan tradisyon leksikografik lang fransĂš a, pi gwo diksyonĂš a rele « Dictionnaire des francophones » (DDF) ; li rasanble plis pase 480 mil mo ki sĂČti nan 52 peyi sou latĂš (Ayiti bay diksyonĂš sa a plizyĂš mo tankou « dodin », « acra », « mamba »). Tout moun ka sĂšvi ak « Dictionnaire des francophones » la gratis depi w gen koneksyon EntĂšnet. (Pou prezantasyon DDF la, al gade atik « Le DDF, « Dictionnaire des francophones », un monumental rĂ©pertoire lexicographique de 400 000 termes et expressions accessible gratuitement sur Internet », se Robert BerrouĂ«t-Oriol ki ekri li nan jounal Le National, Port-au-Prince, 22 mars 2021. Nou ka tande entĂšvyou Robert BerrouĂ«t-Oriol te bay jounalis Henry Saint-Fleur nan radyo CIBL-MontrĂ©al jou ki 31 mas 2021 an, « Le Dictionnaire des francophones : un rĂ©pertoire lexicographique Ă  dĂ©couvrir. »)

Yon diplis : pou n konprann pi byen sa yo rele diksyonĂš elĂšv lekĂČl / diksyonĂš eskolĂš, al gade atik Jean-Claude Boulanger a : « Du cĂŽtĂ© de la petite histoire des dictionnaires scolaires modernes », nan Danielle Candel ak François Gaudin, Mont-Saint-Aignan, UniversitĂ© de Rouen et du Havre, 2006. Al gade lĂČt referans sa yo : Jean Pruvost : « Les dictionnaires d’apprentissage monolingues de la langue française (1856-1999) ProblĂšmes et mĂ©thodes » (Les Dictionnaires de langue française. Dictionnaire d’apprentissage, dictionnaires spĂ©cialisĂ©s de la langue, dictionnaires de spĂ©cialitĂ©. Études de lexicologie, lexicographie et dictionnairique) - 4, Paris, HonorĂ© Champion, collection « BibliothĂšque de l’Institut de linguistique française », 2001 ; Jean Pruvost, « Les dictionnaires d’apprentissage du français langue maternelle : deux siĂšcles de maturation et quelques paramĂštres distinctifs », Éla, Revue de didactologie des langues-culture, vocabulaires et dictionnaires en français langue maternelle et en français langue Ă©trangĂšre, 1999 / 116 ; Jean Pruvost, « Les dictionnaires d’apprentissage monolingues du français langue maternelle : l’histoire d’une mĂ©tamorphose, du sous-produit Ă  l’heureux pragmatisme en passant par l’heuristique », Euralex 2002 Proceedings ; Josette Rey-Debove : « Dictionnaires d’apprentissage : que dire aux enfants ? », Lexiques, Paris, Hachette, collection « Recherches et applications », 1989 ; RenĂ© Lagane :

« Les dictionnaires scolaires : enseignement de la langue maternelle », nan Franz Josef Hausmann, Oskar Reichmann, Herbert Emst Wiegand et Ladislav Zgusta (dir.), Dictionnaires. Encyclopédie internationale de lexicographie, II, Berlin/New York, Walter de Gruyter, 1990.

(2) Nan tradisyon leksikografik lang kreyĂČl la, se pastĂš kongreganis ki ekri premye diksyonĂš kreyĂČl yo. Lengwis Annegret BollĂ©e, manm fondatĂš « ComitĂ© international des Ă©tudes crĂ©oles (CIEC) » an 1976, ekri « Lexicographie crĂ©ole : problĂšmes et perspectives », yon kokenn chenn atik, (nan Revue française de linguistique appliquĂ©e, 2005/1, vol. X). Li fĂš n konnen

« Criolisches Wörterbuch » dapre C.G.A. Oldendorp (1767-68) 2 frĂš Kongregasyon Moraves yo ekri, se premye diksyonĂš lang kreyĂČl ki egziste.

Li montre liv sa a se te yon diksyonĂš « negerhollands » (« nĂšg olandĂš yo/ Hollandais ») » kidonk lang moun te pale nan Zile VyĂšj jouk rive nan XXyĂšm syĂšk. DezyĂšm diksyonĂš kreyĂČl la rele « Wörterbuch des Saramakkischen », se J.A. Riemer ki ekri l an 1779.

Nan menm atik sa a, lengwis Annegret BollĂ©e ba nou « batistĂš » leksikografik lang kreyĂČl la. Li di nou dapre Dominique Fattier (1997, 256)

« L’Ɠuvre fondatrice », premye dokiman ki kreye leksikografi lang kreyĂČl la rele « Manuel des habitants de Saint-Domingue », S.J. DucƓurjoly (1802), yon misyonĂš Jezuit ekri. Li di liv sa a se yon « GlosĂš », li gen 395 « antre » (egal « mo » ki klase ann ĂČd alfabetik nan yon diksyonĂš) ki enpĂČtan anpil pou n konprann istwa vokabilĂš kreyĂČl ayisyen an. « GlosĂš » a yo te ekri l pou kolon fransĂš ki ta pral ale Sendomeng prezante divĂšs kalite konvĂšsasyon fransĂš - kreyĂČl. fransĂš .

Ki wĂČl yon diksyonĂš osnon yon leksik nan fonksyĂČnman yon lang, nan yon sosyete osinon nan lekĂČl ? Lengwis-leksikograf yo ban nou yon bon jan lide : yon diksyonĂš gen anpil konesans ladan l, chak « mo » se yon konesans, chak « mo » se tankou yon pĂČtre tankou yon fotokopi yon reyalite nan lang nan lan tĂšl epĂČk oubyen nan tĂšl lane. Chak « mo » nan yon diksyonĂš mache ak batistĂš li, kidonk ak etimoloji li. Dapre diksyonĂš Le Larousse, etimoloji se syans ki etidye orijin mo yon lang, ki chache konnen asandans ak evolisyon mo yo. Lengwis-leksikograf yo fĂš nou konnen yon diksyonĂš ka itil nan 3 domĂšn : nan aprantisaj yon lang, nan aprantisaj divĂšs matyĂš nan lekĂČl (tankou jewografi, syans natirĂšl), nan tout aktivite kominikasyon oral osnon ekri. Se konsa jounalis, espesyalis

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis piblisite, moun k ap ekri liv pou elĂšv lekĂČl, elĂšv, pwofesĂš, administratĂš, eksetera, ka sĂšvi ak yon diksyonĂš pou chache yon mo ak definisyon li.

TwazyĂšm pawĂČl : leksikografi ayisyen osnon leksikografi kreyĂČl se « syans mo », li gen yon istwa, li gen otĂš depi lane 1958

Leksikografi ayisyen se « syans mo », nan lengwistik aplike, li ranmase deskripsyon ak definisyon tout kalite mo lokitĂš sĂšvi avĂš yo ann Ayiti, li klase epi li bay definisyon yo. Objektif li se « konseptyalize » / « kreye lide » epi ekri diksyonĂš ak leksik. Leksikografi ayisyĂšn nan genyen plizyĂš nivo : (1) leksikografi inidireksyonĂšl / sans inik / yon sĂšl sans (nan yon sĂšl lang : egzanp : « DiksyonĂš ĂČtograf kreyĂČl ayisyen », otĂš yo se Pierre Vernet ak Bryan C. Freeman (Sant Lengwistik Aplike, InivĂšsite Leta dAyiti, 1988). (2) Leksikografi bidireksyonĂšl /nan 2 sans : kreyĂČl-fransĂš, fransĂš-kreyĂČl, anglĂš-kreyĂČl, kreyĂČl-anglĂš. Egzanp : « English-Haitian Creole Bilingual Dictionnary », otĂš yo se Albert Valdman, Marvin D. Moody, Thomas Davies (Creole Institute, Indiana University, 2017). An jeneral, mwen sĂšvi ak ekspresyon « leksikografi kreyĂČl » lĂš m ap travay sou leksikografi inidireksyonĂšl menm jan ak leksikografi bidireksyonĂšl la.

Leksikografi kreyĂČl se yon syans, se lengwis « Ă©mĂ©rite » Pradel Pompilus ki parĂšt avĂš l ann Ayiti ak premye leksik kote li etidye lang kreyĂČl ayisyen an, « Lexique crĂ©ole-français » (UniversitĂ© de Paris, 1958). Pradel Pompilus pibliye plizyĂš liv nan domĂšn « literati » ak domĂšn « lengwistik ». Nan domĂšn « literati » li ekri : « Pages de littĂ©rature haĂŻtienne » (1951), « Manuel illustrĂ© d’histoire de la littĂ©rature haĂŻtienne » (1961), « Histoire de la littĂ©rature haĂŻtienne illustrĂ©e par les textes » an twa volim (1975 eks). Nan domĂšn « lengwistik » li ekri : « Lexique du patois crĂ©ole d’HaĂŻti », Paris : SNE, 1961 ; « La langue française en HaĂŻti » (tĂšz doktora, UniversitĂ© de Paris, Institut des hautes Ă©tudes de l’AmĂ©rique latine, 1961 ; Port-au-Prince, Éditions Fardin, 1981) ; « Contribution Ă  l’étude comparĂ©e du crĂ©ole et du français Ă  partir du crĂ©ole haĂŻtien », vol 1 : « Phonologie et lexique », Port-au-Prince, Éditions CaraĂŻbes, 1973 ; vol 2 : « Morphologie et syntaxe », Port-au-Prince, Éditions CaraĂŻbes, 1976 ; « Manuel d’initiation Ă  l’étude du crĂ©ole », Port-au-Prince, Impressions magiques, 1983 ; « Approche du français fondamental d’HaĂŻti, le vocabulaire de la presse haĂŻtienne contemporaine », Port-au-Prince,

FacultĂ© de Linguistique AppliquĂ©e, UniversitĂ© d’État d’HaĂŻti, 1983 ; « Le problĂšme linguistique haĂŻtien », Port-au-Prince, Éditions Fardin, 1985.

Pa bliye : Pradel Pompilus pa janm defann lide fo mamit kĂČmkwa fĂČk nou dechouke lang fransĂš a ann Ayiti pou n ka amenaje lang kreyĂČl la. Menm jan ak lengwis Pierre Vernet, fondatĂš Fakilte lengwistik aplike a, Pradel Pompilus te fĂš pwomosyon lang kreyĂČl la an menm tan li t ap defann dwa tout Ayisyen pou metrize lang fransĂš a epi sĂšvi ak li kĂČrĂškteman jan atik 5 ak atik 40 Konstitisyon 1987 la mande pou sa fĂšt (al gade atik mwen yo :

« Partenariat crĂ©ole/français – Plaidoyer pour un bilinguisme de l’équitĂ© des droits linguistiques en HaĂŻti », site Madinin’Art, 6 novembre 2019 ; « L’amĂ©nagement simultanĂ© du crĂ©ole et du français en HaĂŻti : une perspective constitutionnelle et rassembleuse », Madinin’Art, 24 novembre 2020 ;

« L’amĂ©nagement du crĂ©ole en HaĂŻti et la stigmatisation du français : le dessous des cartes », Le National, 3 mai 2022) ; « L’amĂ©nagement du crĂ©ole doit-il s’accompagner de « l’éviction de la langue française en HaĂŻti » ? », Le National, 11 mai 2022).

KĂČm lengwis-tĂšminolĂČg ki konekte ak eritaj leksikografi kreyĂČl pyonye yo kite pou nou depi 1958, an 2022, mwen reyalize yon gwo rechĂšch dokimantĂš sou tout travay ki te fĂšt nan domĂšn leksikografi kreyĂČl pandan 64 lane. Rezilta rechĂšch dokimantĂš sa a n ap jwenn li nan atik mwen an, « Essai de typologie de la lexicographie crĂ©ole de 1958 Ă  2022 » (jounal Le National, 21 juillet 2022). Mwen idantifye 64 diksyonĂš ak 11 leksik (inileng kreyĂČl, fransĂš -kreyĂČl, anglĂš-kreyĂČl) epi m klase yo. Pi fĂČ ladan yo se liv papye, de twa ladan yo aksesib nan fĂČma elektwonik. DivĂšs sous fĂš nou konnen premye diksyonĂš kreyĂČl ayisyen an pou XXĂšm syĂšk la se Jules Faine ki te ekri li an 1936, li rele « Dictionnaire français-crĂ©ole », men diksyonĂš sa a rive pibliye apre 38 an nan Éditions LemĂ©ac, Ottawa, an 1974. Jules Faine ekri yon lĂČt liv li rele « Philologie crĂ©ole / Études historiques et Ă©tymologiques sur la langue crĂ©ole d’HaĂŻti » (Port-au-Prince, Imprimerie de l’État, 1936).

Men yon echantiyon leksik ak diksyonĂš leksikografi kreyĂČl la pote ba nou : leksik ak diksyonĂš sa yo konfĂČm / tonbe daplon ak metodoloji leksikografi pwofesyonĂšl la.

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis

TABLO 1 / Echantiyon leksik ak diksyonĂš kreyĂČl yo ekri ak zouti fondal natal metodoloji leksikografi pwofesyonĂšl la

1. Ti diksyonnĂš kreyĂČl-fransĂš

2. Haitian Creole - English - French Dictionary (vol. I and II)

3. Petit lexique crĂ©ole haĂŻtien utilisĂ© dans le domaine de l’électricitĂ©

4. DiksyonĂš ĂČtograf kreyĂČl ayisyen

5. Dictionnaire préliminaire des fréquences de la langue créole haïtienne

6. Dictionnaire inverse de la langue crĂ©ole haĂŻtienne / DiksyonĂš lanvĂš lang kreyĂČl ayisyen

7. Dictionnaire de l’écolier haĂŻtien

8. Dictionnaire de l’évolution du vocabulaire français en HaĂŻti (tome 1)

9. Dictionnaire de l’évolution du vocabulaire français en HaĂŻti (tome 2)

10. Haitian Creole-English Bilingual Dictionnary

Henry Tourneux, Pierre Vernet et al. 1976 Éditions caraïbes

Albert Valdman (et al) 1981 Creole Institute Bloomington University

Henry Tourneux 1986 CNRS / Cahiers du Lacito

Pierre Vernet, B. C. Freeman 1988 Sant lengwistik aplike, InivĂšsite Leta dAyiti

Pierre Vernet, B. C. Freeman 1989 Sant lengwistik aplike, InivĂšsite Leta dAyiti

Bryant Freeman 1989 Sant lengwistik aplike, InivĂšsite Leta dAyiti

André Vilaire Chery et al. 1996 HachetteDeschamps / EDITHA

AndrĂ© Vilaire Chery 2000 Éditions Édutex

AndrĂ© Vilaire Chery 2002 Éditions Édutex

Albert Valdman 2007 Creole Institute, Indiana University

11. English-Haitian Creole bilingual dictionary Albert Valdman, Marvin D Moody, Thomas E Davies 2017 Indiana University Creole Institute

Pa bliye, sa enpĂČtan anpil : nan tablo 1 an, leksik ak diksyonĂš kreyĂČl sa yo, otĂš yo ekri yo ak zouti metodoloji leksikografi pwofesyonĂšl la, se poutĂšt sa yo se pwodiksyon syantifik toutbon vre. Metodoloji leksikografi pwofesyonĂšl la mande leksikograf yo respekte 4 gwo prensip : (1) leksik ak diksyonĂš kreyĂČl yo dwe bay bon jan esplikasyon sou pwojĂš editoryal ak leksikografik yo, epi yo dwe sible piblik diksyonĂš a ; (2) leksik ak diksyonĂš

kreyĂČl yo dwe byen idantifye « kĂČpis referans » lan, se sa nou rele « corpus de rĂ©fĂ©rence », an fransĂš sa vle di tout kalite dokiman yo depouye/konsilte/ analize anvan yo ekri diksyonĂš a ; (3) leksikograf la dwe elabore « nomanklati » (« nomenclature ») diksyonĂš a ki gen tout « mo »/« inite leksikal » yo jwenn nan « kĂČpis referans » lan (« corpus de rĂ©fĂ©rence ») ladan l ; (4) leksikograf la dwe fĂš « analiz leksikografik » tout « mo »/« inite leksikal » yo te chwazi nan etap preparasyon« nomanklati » diksyonĂš a : li dwe bay kategori gramatikal mo yo ; ekivalans mo ki sĂČti nan yon lang pou rive ak tradiksyon li an kreyĂČl (nan ka diksyonĂš bileng) ; definisyon mo yo, fraz-kontĂšks mo yo, nĂČt pou esplike mo yo pi byen (nan ka diksyonĂš bileng). Metodoloji leksikografi pwofesyonĂšl la se potomitan leksikografi kreyĂČl la : jan nou fenk esplike l la, li rasanble tout prensip yon leksikograf dwe respekte lĂš l ap ekri yon diksyonĂš osinon yon leksik. (Al gade atik sa yo mwen ekri sou metodoloji leksikografi kreyĂČl la : « Plaidoyer pour une lexicographie crĂ©ole de haute qualitĂ© scientifique » (Le National, 15 dĂ©cembre 2021), « Toute la lexicographie haĂŻtienne doit ĂȘtre arrimĂ©e au socle mĂ©thodologique de la lexicographie professionnelle » (Le National, 31 dĂ©cembre 2022, « Lexicographie crĂ©ole : retour-synthĂšse sur la mĂ©thodologie d’élaboration des lexiques et des dictionnaires » (Le National, 4 avril 2023, « La lexicographie crĂ©ole en HaĂŻti : pour mieux comprendre le rĂŽle central de la mĂ©thodologie dans l’élaboration du dictionnaire crĂ©ole » (RezonĂČdwĂšs, 16 dĂ©cembre 2023).

TABLO 2 / Egzanp yon ribrik leksikografik nan yon diksyonĂš bileng anglĂškreyĂČl ki respekte metodoloji leksikografi kreyĂČl la (referans : « Haitian Creole-English Bilingual Dictionnary » (HCEBD), Albert Valdman, Creole Institute, Indiana University, 2007, p. 559)

Mo/inite leksikal Kategori gramatikal Definisyon Sous ak dat

pipirit non definisyon 1

Mo/inite leksikal derive osinon aparante

(1) pipirit chandel (2), pipirit chantan (3), pipirit gri (4), pipirit gwo tĂšt (5), pipirit rivyĂš (6), pipirit tĂšt fou (7) [Al gade : gri kou pipirit (8), sou kon pipirit (9)]

Kind of small bird HCEBD 2007

non definisyon 2

Hispaniolan pitchary definisyon 3

At the crack of dawn konteks 3

Li kite kay li maten an o pipirit chantan / She left the house at dawn

HCEBD 2007

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis

RechĂšch dokimantasyon mwen reyalize sou leksikografi kreyĂČl la –« Essai de typologie de la lexicographie crĂ©ole de 1958 Ă  2022 » (jounal Le National, 21 juillet 2022)–, montre gen plizyĂš diksyonĂš ak leksik bileng (1) ki sou mank, ki gen anpil feblĂšs (move ekivalan kreyĂČl, definisyon wĂČwĂČt osinon pasyĂšl osnon pachiman ; (2) ki pa respekte okenn rĂšg solid metodoloji leksikografi pwofesyonĂšl mwen fĂšk idantifye yo.

TABLO 3 / Echantiyon diksyonÚ ak leksik ki sou mank, ki gen anpil feblÚs + yon « glosÚ » ki pa respekte prensip kle metodoloji leksikografi pwofesyonÚl la

Non liv la OtĂš a EditĂš a Ane li pibliye

DiksyonĂš kreyĂČl Vilsen

Leksik kreyĂČl : egzanp devlopman kĂšk mo ak fraz a pati 1986

Maud Heurtelou, FéquiÚre Vilsaint

Emmanuel Védrine

DiksyonĂš kreyĂČl karayib Jocelyne Trouillot

Éduca Vision 1994 [2009]

Védrine Creole Project [ ?] 2000

CUC Université Caraïbe 2003 [ ?]

Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative MIT – Haiti Initiative MIT – Haiti Initiative 2017 [ ?]

TABLO 4 / Prensipal karakteristik leksikografik plizyĂš diksyonĂš ak leksik yo elabore san yo pa aplike prensip kle metodoloji leksikografi pwofesyonĂšl la

Tit liv la OtĂš a Kategori liv la Principal karakteristik leksikografik zĂšv la

DiksyonĂš kreyĂČl Vilsen

Leksik kreyĂČl : egzanp devlopman kĂšk mo ak fraz a pati 1986

DiksyonĂš kreyĂČl karayib

Maud Heurtelou, FéquiÚre Vilsaint

Emmanuel Védrine

Jocelyne Trouillot

DiksyonĂš inileng kreyĂČl ; disponib sou EntĂšnĂšt sĂšlman

OtĂš a rele l « leksik » men se yon glosĂš inileng kreyĂČl li ye.

Disponib sou EntĂšnĂšt

DiksyonĂš inileng kreyĂČl. FĂČma papye

Enkoyerans, ensifizans, move definisyon anpil « inite leksikal »

Anpil « mo vedÚt » (inite leksikal) se slogan yo ye, pafwa se yon moso fraz osinon yon pwovÚb otÚ a konfonn yo tout ak yon veritab inite leksikal. Enkoyerans osinon ensifizans anpil definisyon

Enkoyerans osinon ensifizans anpil definisyon. Anpil « mo vedĂšt » se pa inite leksikal yo ye, otĂš a konfonn non moun, non yon vil, non yon peyi ak inite leksikal lang kreyĂČl la

Tit liv la OtĂš a Kategori liv la Principal karakteristik leksikografik zĂšv la

Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative

MIT – Haiti Initiative

Leksik bileng anglĂš -kreyĂČl ; disponib sou EntĂšnĂšt sĂšlman

Anpil ekivalan kreyĂČl fantezis, pa reyĂšl, a-semantik, yo pa respekte rĂšg mĂČfosentaksik lang kreyĂČl la ; anpil ekivalan kreyĂČl yo pa inite leksikal, pafwa se yon moso fraz yo bay nan plas inite leksikal yo ; pi fĂČ neyolojis yo (nouvo mo yo) egziste, yo pa respekte rĂšg mĂČfosentaksik lang kreyĂČl la

KatriyĂšm pawĂČl : pi gwo defi leksikografi kreyĂČl la ta dwe leve kanpe

LĂš nou byen etidye tablo 2 ak tablo 3, nou konstate leksikografi kreyĂČl la ekri 11 travay syantifik ki konsekan sou yon total 75, sa vle di pi fĂČ ladan yo sou mank. Youn nan pi gwo feblĂšs leksikografi kreyĂČl la se « amateris » (« amateurisme »), travay machĂČkĂšt, sa vle di moun ki pa gen okenn konpetans nan domĂšn leksikografi ap ekri fo diksyonĂš ak leksik ki pa respekte okenn rĂšg fondamantal metodoloji leksikografi pwofesyonĂšl la . Nan tablo 1 an, mwen idantifye 11 diksyonĂš ak leksik ki respekte rĂšg fondamantal metodoloji leksikografi pwofesyonĂšl la : chif la piti anpil, se yon ti minorite diksyonĂš ak leksik, sou yon total 75 ouvraj, ki konsekan. M ap repete l : youn nan pi gwo feblĂšs leksikografi kreyĂČl la chita sou « amateris » (« amateurisme ») akoz inyorans rĂšg fondamantal metodoloji leksikografi pwofesyonĂšl la . Sa ba nou yon leksikografi fo mamit osnon yon leksikografi bĂČlĂšt (al gade tablo 3 a), pi gwo karakteristik li se absans respĂš prensip fondal natal « ekivalans leksikal » la (« l’équivalence lexicale ») ki mache ansanm ak « ekivalans nosyonĂšl » (l’« Ă©quivalence notionnelle »). Yonn nan pi gwo karakteristik fo leksikografi fo mamit la se lĂš otĂš yo bay yon fraz pase yo bay yon inite leksikal kĂČm ekivalan kreyĂČl. An fransĂš mwen rele fenomĂšn sa a « phrasĂ©ologie d’équivalence » / « phrasĂ©ologie dĂ©finitionnelle » otĂš yo chwazi bay kĂČm si yo se ekivalan leksikal kreyĂČl. OtĂš fo leksikografi yo nan konfizyon nĂšt : yo konfonn yon « antre », yon inite leksikal, ak yon fraz.

TABLO 5 / Echantiyon diksyonĂš ak leksik ki bay yon fraz olye yon inite leksikal kĂČm ekivalan kreyĂČl

Tit liv la OtĂš, dat liv la parĂšt, editĂš liv la Mo anglĂš

English –Haitian Creole

Computer Terms / TĂšm

KonpyoutĂš :

AnglĂš – KreyĂČl

Haitian-Creole

Glossary of Legal and Related Terms

Emmanuel Vedrine, Creole

Editions, 2006

(1) clip art keywords (2) shift (3) crash, crashed

National Center for Interpretation, University of Arizona, 2018 (1) acquit (2) zoning ordinance (3) child abuse (4) false arrest

« PhrasĂ©ologie d’équivalence » / « phrasĂ©ologie dĂ©finitionnelle » yo bay kĂČm inite leksikal an kreyĂČl

(1) mo kle pou klip sou travay ar (2) pese bouton shift (pou bay majiskil) (3) krach (defo kote yon pwoblĂšm ka koze pĂšt tout dokiman ki te konsĂšve yo)

(1) deklare moun pa koupab (2) lwa ki regle sa ki ka fĂšt nan dives zĂČn yon vil (3) fĂš timoun pase mizĂš ; maltrete timoun ; fĂš timoun abi (4) lĂš yo arete yon moun pou anyen ; lĂš yo fĂšmen yon moun san rezon ; lĂš yo mete yon moun nan prizon san lalwa pa mande fĂš sa

Glossary of STEM terms from the MIT –Haiti Initiative

MIT – Haiti Initiative [2017 ?]

(1) and replica plate on (2) multiple regression analysis (3) how many more matings would you like to perform ? (4) for mating & replica plating experiments not involving tetrads

(1) epi plak pou replik sou (2) analiz pou yon makonay regresyon (3) konbyen kwazman ou vle reyalize ?

(4) pou esperimantasyon sou kwazman ak plak replik ki pa sĂšvi ak tetrad

Tablo 3, 4, 5 yo montre nou leksikografi kreyĂČl la dwe rezoud plizyĂš gwo defi : (1) jwenn bon jan fĂČmasyon akademik (se wĂČl Fakilte lengwistik aplike a, li deja lanse yon pwogram fĂČmasyon nan domĂšn nan). (2) FĂČmasyon akademik la dwe debouche sou yon veritab pwofesyonalizasyon metye leksikograf la . (3) Ak resous syans lang (kidonk lengwistik) fĂČk nou elabore/defini/redije yon « PwotokĂČl metodolojik leksikografi kreyĂČl » an kreyĂČl. (4) « PwotokĂČl metodolojik leksikografi kreyĂČl » la dwe respekte prensip « mo prete » (an fransĂš : les emprunts) ak prensip

« didaktizasyon lang kreyĂČl la » (an fransĂš : la « didactisation du crĂ©ole »). Pou prensip « mo prete » a, nou ka pran egzanp epi adapte sa nou bezwen nan dokiman ofisyĂšl Office quĂ©bĂ©cois de la langue française la : « Politique de l’emprunt linguistique » (QuĂ©bec, janvye 2017). Pou « didaktizasyon lang kreyĂČl la », nou gen yon liv kolektif referans 15 espesyalis ekri, tit li se « La didactisation du crĂ©ole au cƓur de l’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti » (Robert BerrouĂ«t-Oriol et al, Éditions ZĂ©mĂšs, Port-au-Prince, et Éditions du Cidihca, MontrĂ©al, 2021, 381 pages). Leksikografi kreyĂČl la dwe leve kanpe defi sa yo pou li rive nan nivo yon aktivite syantifik toutbon vre.

Misyon leksikografi kreyĂČl la chita sou 4 gwo prensip, kidonk : (1) kreye divĂšs zouti leksikografik (diksyonĂš ak leksik) elĂšv lekĂČl, pwofesĂš lekĂČl ak tout lokitĂš kreyolofĂČn yo bezwen pou konprann definisyon mo yo ; (2) ede moun k ap ekri manyĂšl eskolĂš yo sĂšvi ak bon jan vokabilĂš lang kreyĂČl la ; (3) ede moun k ap ekri kourikouloum eskolĂš yo jwenn bon jan vokabilĂš lang kreyĂČl la ; (4) bay lang kreyĂČl la referans syantifik li bezwen pou li leve kanpe estandatizasyon li kĂČm sa dwa. (Sou estandatizasyon lang kreyĂČl la , al gade Albert Valdman : « Vers la standardisation du crĂ©ole haĂŻtien », Revue française de linguistique appliquĂ©e, 2005/1, vol.X ; Robert Chaudenson : « Description et graphisation : le cas des crĂ©oles français », Revue française de linguistique appliquĂ©e, 2005, vol. 10, no 1 ; Marie-Christine Hazael-Masieux : « L’écriture des crĂ©oles français au dĂ©but du 3e millĂ©naire : Ă©tat de la question », Revue française de linguistique appliquĂ©e, 2005, vol. 10, no 1 ; Renauld Govain : « Le crĂ©ole haĂŻtien : de langue d’alphabĂ©tisation des adultes Ă  langue d’enseignement », konferans, Indiana University, 11 avril 2018 ; Hugues SaintFort : « ÉlĂ©ments pour une standardisation de la langue crĂ©ole haĂŻtienne », Revue KrĂ©olistika, mas 2022 ; Robert BerrouĂ«t-Oriol : « CrĂ©ole haĂŻtien : plaidoyer pour un rĂ©fĂ©rentiel mĂ©thodologique standardisĂ© et unique en terminologie scientifique et technique », Le National, 24 fevriye 2023.)

La lexicographie créole en Haïti : retour-synthÚse sur ses origines historiques, sa méthodologie et ses défis contemporains

Montréal, le 11 décembre 2023

En novembre dernier, les responsables de la 5Ăšme Ă©dition du Festival international de littĂ©rature crĂ©ole (LĂ©ogane et Port-au-Prince, 5-10 dĂ©cembre 2023) nous ont invitĂ© Ă  prononcer une confĂ©rence le 7 dĂ©cembre 2023 pour les enseignants de l’Asosyasyon pwofesĂš kreyĂČl ayisyen (APKA) et dont le thĂšme retenu Ă©tait « Leksikografi kreyĂČl defilannegiy ». En lien avec la tenue de ce festival, nous avons publiĂ© sur RezonĂČdwĂšs et sur diffĂ©rents sites en outremer, le 25 novembre 2023, l’article prĂ©sentatif intitulĂ© « Le « Festival entĂšnasyonal literati kreyĂČl », Ă©dition 2023, au rendez-vous de ses grands dĂ©fis ». Dans cet article, nous avons rappelĂ© aux lecteurs que la CrĂ©olophonie compte environ 12 millions de locuteurs crĂ©olophones rĂ©partis dans diffĂ©rentes aires gĂ©ographiques, de l’arc antillais Ă  l’archipel des Mascareignes, d’HaĂŻti Ă  la Martinique, de La RĂ©union Ă  Sainte-Lucie, des Seychelles Ă  la Guyane, de l’Île Maurice Ă  la Dominique. HaĂŻti, la plus peuplĂ©e des aires gĂ©ographiques crĂ©olophones avec ses 11 millions d’habitants, a donc accueilli du 5 au 10 dĂ©cembre 2023 la cinquiĂšme Ă©dition du Festival entĂšnasyonal literati kreyĂČl. Cet Ă©vĂ©nement majeur et singulier Ă  l’échelle de toute la CrĂ©olophonie a Ă©tĂ© conceptualisĂ© et mis sur les rails par le poĂšte et opĂ©rateur culturel haĂŻtien Anivince Jean Baptiste et il est dĂ©sormais soutenu par des institutions telles que la Fondation Maurice Sixto et l’OMDAC (l’Organisation martiniquaise pour le dĂ©veloppement des arts et de la culture). Devenu au fil des ans un incontournable rendezvous littĂ©raire, le Festival entĂšnasyonal literati kreyĂČl, Ă©dition 2023, avait pour thĂšme « Pou yon kreyolofoni solid e solidĂš ». Comme en font foi les courriels qui nous ont Ă©tĂ© acheminĂ©s, le sujet de notre confĂ©rence a retenu l’attention des enseignants de l’Asosyasyon pwofesĂš kreyĂČl ayisyen et celle d’un grand nombre d’internautes en HaĂŻti et en outremer. Plusieurs d’entre eux nous ont demandĂ© de fournir une synthĂšse Ă©crite de notre confĂ©rence, de sorte qu’ils puissent disposer d’une rĂ©fĂ©rence documentaire

capable de contribuer à enrichir leur réflexion sur les sujets abordés. Le présent article répond à cette demande.

Pour fournir aux enseignants de l’Asosyasyon pwofesĂš kreyĂČl ayisyen un Ă©clairage Ă  la fois informatif, historique et amplement documentĂ© dans le traitement du thĂšme « Leksikografi kreyĂČl defilannegiy », nous avons structurĂ© notre intervention autour de plusieurs axes. En voici quelques-uns.

1. L’identification et la prĂ©sentation d’outils lexicographiques divers : dictionnaires gĂ©nĂ©ralistes unilingues, dictionnaires gĂ©nĂ©ralistes bilingues, vocabulaires thĂ©matiques scientifiques et techniques, lexiques thĂ©matiques bilingues, glossaires et listages, bases de donnĂ©es lexicographiques locales ou en ligne sur le Web.

2. Le rĂŽle pĂ©dagogique et didactique du dictionnaire dans l’apprentissage de la langue et dans l’apprentissage des savoirs et des connaissances. Au niveau neurolinguistique, le dictionnaire contribue au processus de rĂ©tention et d’accumulation des savoirs et des connaissances et Ă  leur classification.

3. Les liens Ă©troits qui existent entre la lexicographie crĂ©ole et la didactisation du crĂ©ole (dĂ©finition et rĂŽle de premier plan de la didactisation du crĂ©ole ; rappel du livre collectif de rĂ©fĂ©rence « La didactisation du crĂ©ole au cƓur de l’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti » (ouvrage coordonnĂ© et co-Ă©crit par Robert BerrouĂ«t-Oriol, Éditions ZĂ©mĂšs et Éditions du Cidihca, 2021).

4. L’émergence et l’histoire de la lexicographie crĂ©ole depuis les travaux pionniers du linguiste haĂŻtien Pradel Pompilus en 1958.

5. Les caractĂ©ristiques typologiques de la lexicographie crĂ©ole : publication de l’« Essai de typologie de la lexicographie crĂ©ole de 1958 Ă  2022 » (par Robert BerrouĂ«t-Oriol, Le National, Port-auPrince, 21 juillet 2021.

6. La primautĂ© de la mĂ©thodologie de la lexicographie professionnelle : comment s’élaborent les dictionnaires et les lexiques ? Quels sont les principes mĂ©thodologiques d’élaboration des dictionnaires et des lexiques ?

7. Les dĂ©fis contemporains de la lexicographie crĂ©ole : institutionnalisation et adĂ©quation de la formation universitaire, professionnalisation de la lexicographie, production d’outils lexicographiques conformes Ă  la mĂ©thodologie de la lexicographie professionnelle.

Voyage à travers l’histoire des dictionnaires

L’apparition des premiers dictionnaires en Occident s’inscrit au creux de plusieurs faits de sociĂ©tĂ© en raison de leur dimension historique, culturelle, sociologique et linguistique. Les recherches menĂ©es au fil des ans sur l’histoire des dictionnaires sont riches d’enseignements et « l’objet-livre », le dictionnaire, est diffĂ©remment perçu selon que l’on soit un usager ou un fabriquant de dictionnaire, un lexicographe. Reconnu Ă  l’échelle internationale pour l’étendue de ses savoirs dictionnairique et lexicographique, le linguiste Bernard Quemada (directeur de recherche Ă©mĂ©rite au C.N.R.S. et directeur d’études honoraire Ă  l’École pratique des hautes Ă©tudes de France), nous enseigne que « Pour l’usager, le dictionnaire de langue se prĂ©sente comme une suite discontinue d’informations susceptibles de fournir des rĂ©ponses aux questions qu’il se pose sur les mots, sur leurs sens et leurs usages corrects en particulier. Pour le lexicographe-dictionnariste, c’est un rĂ©pertoire Ă  visĂ©es didactiques oĂč sont enregistrĂ©s, ordonnĂ©s, dĂ©crits ou dĂ©finis des mots, sens et emplois, selon des formules affinĂ©es au cours de la longue histoire de ce type d’ouvrages. Plus socialisĂ© que tout autre recueil de donnĂ©es linguistiques, le dictionnaire de langue reprĂ©sente, pour le public, un guide dĂ©tenteur du code de l’usage lĂ©gitimĂ©, image et mĂ©moire de la langue, toutes Ă©poques et tous domaines rĂ©unis. Le spĂ©cialiste, lui, le tient pour un projet trĂšs contingent de savoirs linguistiques, d’idĂ©ologies, de rĂ©alitĂ©s socioculturelles, techniques et Ă©conomiques de son temps. Ces variables font que nul ouvrage n’est exempt de choix arbitraires. » (Bernard Quemada : « Dictionnaire », site Universalis.fr, non datĂ©)

En raison de sa pertinence et de l’amplitude des donnĂ©es historiques qu’il fournit, cet article de Bernard QuĂ©mada est ici longuement citĂ©. L’auteur consigne comme suit une « Typologie gĂ©nĂ©rale » particuliĂšrement Ă©clairante des grandes catĂ©gories de dictionnaires :

« Les premiers essais d’inventaire des dictionnaires français (Durey de Noirville, Table alphabĂ©tique des dictionnaires, 1758) et de classification (D’Alembert, article « dictionnaire » dans l’EncyclopĂ©die) ont Ă©tĂ© Ă©tablis au XVIIIe siĂšcle. Mais il faut attendre le milieu du XXe siĂšcle pour disposer des premiĂšres typologies et des Ă©tudes systĂ©matiques sur les caractĂ©ristiques internes et externes des rĂ©pertoires depuis leur apparition au XVIe siĂšcle.

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Des critĂšres fondamentaux permettent de distinguer six ouvrages types et leurs sous-variĂ©tĂ©s : nombre et nature des langues traitĂ©es et des langues de traitement (dictionnaires monolingues ou plurilingues) ; nature des informations, l’entrĂ©e Ă©tant considĂ©rĂ©e comme un signe (mot), ou comme un accĂšs au rĂ©fĂ©rent (concept ou chose), opposant ainsi les dictionnaires de langue aux encyclopĂ©diques ; options retenues pour dĂ©terminer l’étendue et la composition de la nomenclature (dictionnaires extensifs ou sĂ©lectifs).

Dictionnaires monolingues et dictionnaires plurilingues

Le dictionnaire met en rapport deux ensembles d’unitĂ©s lexicales ou d’élĂ©ments de discours, l’un servant Ă  informer sur l’autre et Ă  l’expliciter. Lorsque ces ensembles appartiennent Ă  des langues diffĂ©rentes, ils peuvent assumer ces fonctions Ă  tour de rĂŽle dans des versions rĂ©ciproques.

Le premier ensemble est constituĂ© par tous les items de la nomenclature (entrĂ©es dictionnairiques, Ă  distinguer des mots vedettes, tĂȘtes d’article pouvant regrouper plusieurs entrĂ©es ou acceptions). Le second est reprĂ©sentĂ© par les mots ou les Ă©noncĂ©s explicitants (mĂ©talangage). Nature, sens et emploi de chaque entrĂ©e sont ainsi consignĂ©s et complĂ©tĂ©s par des dĂ©finitions ou Ă©quivalences, avec ou sans exemples, citations ou commentaires. Des informations grammaticales et stylistiques peuvent les accompagner. Pour assurer sa fonction mĂ©talinguistique, l’ensemble du vocabulaire explicitant doit ĂȘtre plus restreint et mieux structurĂ© que le vocabulaire explicitĂ©.

Lorsque la nomenclature, le mĂ©talangage, les exemples, citations ou parties explicatives relĂšvent du mĂȘme systĂšme linguistique, le dictionnaire est dit monolingue (ou unilingue). Dans le cas contraire, il est plurilingue (bilingue ou multilingue) selon le nombre de langues en prĂ©sence. Les dictionnaires homoglosses mettent en relation des usages issus d’une souche commune (dictionnaires dialectaux), des niveaux sociolinguistiques diffĂ©rents (dictionnaire d’argot), ou des Ă©tats de la langue distincts (dictionnaire de l’ancien ou du moyen français). L’usage standard moderne sert alors Ă  expliciter la nomenclature suivant les mĂ©thodes des rĂ©pertoires bilingues.

Dictionnaires de langue et dictionnaires encyclopédiques

Selon qu’elles portent sur le signe (mot) ou sur le rĂ©fĂ©rent (chose, rĂ©alitĂ© ou concept auquel le signe renvoie), les informations sont de nature diffĂ©rente. Pour fondamentale qu’elle soit, cette distinction induit des caractĂšres dominants plutĂŽt qu’exclusifs.

Le dictionnaire de langue, dĂ©nommĂ© aussi « dictionnaire de mots » de D’Alembert Ă  Pierre Larousse, amplifie la catĂ©gorie ouverte par les premiers glossaires latins du Moyen Âge destinĂ©s Ă  faciliter la lecture des textes anciens. Il donne des informations de type linguistique : nature grammaticale, genre, forme graphique et sonore du mot, significations, valeurs d’emploi et spĂ©cialisations dans les divers niveaux de langue, relations structurales ou fonctionnelles avec les autres Ă©lĂ©ments du lexique, origine, histoire, etc.

RelÚvent de cette catégorie :

– les dictionnaires de langue gĂ©nĂ©raux dont la nomenclature regroupe un ensemble pondĂ©rĂ© reprĂ©sentatif de l’usage ou de la norme collective de rĂ©fĂ©rence ;

– les glossaires, lexiques et vocabulaires thĂ©matiques dont les entrĂ©es sont dĂ©terminĂ©es par des critĂšres descriptifs ou fonctionnels (dictionnaires de domaines spĂ©cialisĂ©s) ;

– les dictionnaires de langue spĂ©ciaux qui regroupent les unitĂ©s lexicales Ă  partir d’un caractĂšre commun pouvant ĂȘtre morphologique (dictionnaire de racines, dĂ©rivĂ©s, familles de mots) ; grammatical (dictionnaires de particules, verbes, Ă©pithĂštes, genres) ; formel (dictionnaires d’orthographe, sigles, prononciation, rimes, homonymes, paronymes, inverses) ; sĂ©mantique (dictionnaires de synonymes, antonymes, ou idĂ©ologiques, analogiques) ; phrasĂ©ologique (dictionnaires de locutions, proverbes), etc.

Le dictionnaire encyclopédique, ou « dictionnaire de choses », informe sur les choses désignées par les mots et non, comme les précédents, qui traitent les mots en tant que signes. Les entrées principales du dictionnaire de langue y sont souvent reprises avec un traitement spécifique (description et commentaire des réalités auxquelles elles renvoient) qui peut représenter de courtes monographies extralinguistiques. Alors que les mots grammaticaux y sont sommairement décrits en tant que signes fonctionnels, les termes des arts et des sciences y sont largement repré-

sentĂ©s. Le dictionnaire de langue les Ă©vite en raison du discours encyclopĂ©dique requis pour les dĂ©finir, et il ignore de mĂȘme les noms propres exclus du systĂšme lexical de la langue avec les donnĂ©es gĂ©ographiques, biographiques, historiques qui leur sont attachĂ©es. Le cas Ă©chĂ©ant, il les traite Ă  part, tandis que le dictionnaire encyclopĂ©dique les accueille sans rĂ©serve et les mĂȘle aux autres.

Le dictionnaire encyclopĂ©dique ne se confond pas avec l’« encyclopĂ©die alphabĂ©tique », mĂȘme si l’emploi d’adresses-vedettes, la composition par articles et l’ordre alphabĂ©tique, gĂ©nĂ©ralisĂ©s Ă  partir de la fin du XVIIe siĂšcle, ont souvent entraĂźnĂ© une confusion entre les deux types d’ouvrages. L’encyclopĂ©die moderne est l’hĂ©ritiĂšre des sommes mĂ©diĂ©vales qui avaient pour objet de rĂ©unir et d’expliquer l’ensemble des idĂ©es et des savoirs du temps sur les choses et le monde. Organisation raisonnĂ©e des connaissances, elle propose bien un discours sĂ©quentiel, mais les unitĂ©s de sa nomenclature relĂšvent d’une structure mĂ©thodique et hiĂ©rarchisĂ©e de notions. Les vedettes chefs d’articles reprĂ©sentent non des mots du lexique, comme dans le dictionnaire, mais des « Ă©tiquettes », proches des descripteurs des classifications documentaires. Il s’agit des noms de notions, de rĂ©alitĂ©s, de domaines, de disciplines, de techniques, etc., qui donnent accĂšs Ă  des discours sur les objets de savoir contenus dans les articles correspondants.

Au XIXe siĂšcle, le comte de Saint-Simon notait avec pertinence (Esquisse d’une nouvelle encyclopĂ©die, non publiĂ©e) : « EncyclopĂ©die, ce mot [...] signifie enchaĂźnement des connaissances ; il ne devrait jamais servir de titre aux dictionnaires gĂ©nĂ©raux. Un dictionnaire gĂ©nĂ©ral est un magasin de matĂ©riaux propres Ă  construire une encyclopĂ©die. » Si l’encyclopĂ©die se dĂ©marque sans ambiguĂŻtĂ© du dictionnaire, la distribution des deux types de discours (sur les mots / sur les choses) est moins simple dans les catĂ©gories de dictionnaires correspondantes. Cela pour plusieurs raisons convergentes dont la principale est que les corrĂ©lations entre signe et objet ou chose sont trĂšs fortes. L’un se trouvant Ă©voquĂ© chaque fois que l’on traite de l’autre, le discours sur le mot tend Ă  s’enrichir de donnĂ©es sur la chose. Peu de lexicographes de la langue ont su, pu, ou voulu se limiter au minimum requis pour la comprĂ©hension du sens, c’est-Ă -dire Ă©liminer autant que possible les donnĂ©es encyclopĂ©diques. Cette distinction fondamentale est pourtant aussi ancienne que les premiers rĂ©pertoires français. Les arguments de FuretiĂšre pour justifier son Dictionnaire universel

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis (1690) en fournissent un magistral exemple, mĂȘme si l’AcadĂ©mie, forte de son monopole, ne les a pas entendus. Il invoquait la complĂ©mentaritĂ© des deux modĂšles pour nier la concurrence, ce qui sera reconnu au siĂšcle suivant, Diderot disant que le dictionnaire de langue est « le recueil des titres que doit remplir le dictionnaire encyclopĂ©dique ». La formule de Laveaux (1820) selon laquelle « oĂč le premier finit, le second commence » reste, aujourd’hui encore, celle des dictionnaires encyclopĂ©diques qui proposent, dans chaque article mot-notion, une information linguistique puis un dĂ©veloppement rĂ©fĂ©rentiel, ou celle des dictionnaires de langue que complĂšte un rĂ©pertoire de noms propres.

Il est d’autres raisons, Ă  la fois historiques et commerciales. Le dictionnaire de langue est devenu, au XIXe siĂšcle, le tĂ©moin des progrĂšs des connaissances et l’outil de leur vulgarisation. Le Pan-Lexique de Boiste (1834) prĂ©tendait offrir les services de tous les dictionnaires, jusqu’à ceux de morale et d’instruction civique. Quant au Grand Dictionnaire universel de Pierre Larousse (1866-1890), il fera effectivement office de rĂ©sumĂ© de tous les savoirs dans de nombreux foyers du temps. On peut admettre que, depuis lors, tout dictionnaire dĂ©veloppĂ© propose (inĂ©galement) les deux sortes d’informations, la prééminence de l’une ou de l’autre dĂ©terminant son appartenance. Cette tendance est confirmĂ©e par le sous-titre « dictionnaire des mots et des choses » souvent repris aprĂšs Richelet (1680), par le succĂšs du qualificatif « universel » aux XVIIIe et XIXe siĂšcles, ou par la multiplication des termes scientifiques et techniques dans les dictionnaires contemporains. Le recours au dictionnaire conçu comme un auxiliaire didactique accuse encore sa fonction de dĂ©codage pour la comprĂ©hension d’un nombre croissant d’énoncĂ©s spĂ©cialisĂ©s.

La lexicographie moderne prend son essor au XVIe siĂšcle avec la multiplication des rĂ©pertoires plurilingues et surtout l’apparition de grands dictionnaires philologiques des langues classiques. Les multilingues, destinĂ©s, selon leur format et leur contenu, aux savants ou aux voyageurs et aux commerçants, introduisent le français Ă  l’occasion d’une réédition. Ils proposent un nombre croissant de langues (flamand, italien, espagnol, anglais, allemand et français pour l’essentiel), leur nombre allant de pair avec la rĂ©duction du contenu des articles. Le Dictionarium d’Ambrogio Calepino (2 langues en 1502, 11 en 1588) en est un bon exemple. Les dictionnaires philologiques sont dus Ă  de cĂ©lĂšbres Ă©rudits et, avec eux,

s’affirme le concept de « dictionnaire gĂ©nĂ©ral » d’une langue. Les perfectionnements appliquĂ©s au traitement des langues littĂ©raires anciennes, et d’abord au latin, ont ouvert la voie aux premiers grands rĂ©pertoires des principales langues europĂ©ennes. »

Poursuivant le parcours historique de l’arrivĂ©e et de l’élaboration des dictionnaires Ă  travers les siĂšcles, Bernard Quemada prĂ©cise que « Pour le français, l’artisan en fut sans conteste Robert Estienne, auteur d’un Thesaurus linguae latinae (1532) de rĂ©putation internationale (encore revu et rééditĂ© en Italie en 1771 par Forcellini). La version bilingue Ă  l’usage des Ă©tudiants, le Dictionaire françoys-latin (1539) est le premier relevĂ© important d’entrĂ©es françaises, dix mille items environ en ordre alphabĂ©tique, avec de nombreux dĂ©veloppements en français Ă  cĂŽtĂ© des Ă©quivalents latins. Au fil des rééditions, les ajouts sans correspondants latins seront dĂ©finis et commentĂ©s en français. Le remaniement dĂ» Ă  Jean Nicot, paru sous le titre Thresor de la langue françoyse tant ancienne que moderne (1606), rĂ©duit encore le bilinguisme au profit du français, preuve de l’intĂ©rĂȘt portĂ© par un large public aux commentaires Ă©tymologiques et encyclopĂ©diques en langue vulgaire.

Les premiers rĂ©pertoires europĂ©ens monolingues de langues nationales sont le Tesoro de Covarrubias (1611) pour l’espagnol, et le Vocabolario de l’Accademia della Crusca (1612) pour le toscan. InspirĂ©e par ces modĂšles, la lexicographie monolingue du français fait ses dĂ©buts officiels Ă  la fin du XVIIe siĂšcle sous le double aspect qui est encore le sien : dictionnaires de langue et dictionnaires encyclopĂ©diques. DĂšs 1636, la toute rĂ©cente AcadĂ©mie française avait Ă©tĂ© chargĂ©e d’un dictionnaire de la langue illustrĂ© par les meilleurs auteurs. Mais le français littĂ©raire connaissant encore des changements profonds et rĂ©pĂ©tĂ©s, il s’avĂ©ra aussi difficile de choisir des modĂšles que des mĂ©thodes satisfaisantes pour les traiter alors que s’affrontaient des conceptions grammaticales divergentes. Ce fut donc un dictionnaire normatif qu’elle publia en 1694. FondĂ© sur la langue des « honnĂȘtes gens » et non sur celle des « meilleurs Ă©crivains », il offrait Ă  l’homme cultivĂ© de l’époque une image sĂ©lective d’un « bon usage » que certains qualifieront d’aristocratique. Il proposait des dĂ©finitions gĂ©nĂ©rales souvent abstraites, des exemples créés mais non des citations (les acadĂ©miciens n’étaient-ils pas eux-mĂȘmes des autoritĂ©s reconnues ?) pour une nomenclature de quinze mille vedettes environ. Par ces options,

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis l’ouvrage allait dĂ©terminer les caractĂšres distinctifs des dictionnaires de langue prescriptifs synchroniques. Les huit Ă©ditions de 1694 Ă  1932, et la neuviĂšme en cours, resteront fidĂšles Ă  ce modĂšle, comme les trĂšs nombreux rĂ©pertoires Ă  visĂ©es scolaires qui s’en inspireront ensuite, explicitement ou non.

Pendant la seconde moitiĂ© du XVIIe siĂšcle, la lenteur du travail acadĂ©mique a laissĂ© place Ă  des projets diffĂ©rents et parfois concurrents qui parurent les premiers. Le Dictionnaire des mots et des choses de Pierre Richelet (1680) peut ĂȘtre tenu pour le prototype du dictionnaire gĂ©nĂ©ral. Premier dictionnaire intĂ©gralement monolingue en français, ses dĂ©finitions sont dans l’ensemble originales. Dictionnaire descriptif, il s’ouvre aux rĂ©alitĂ©s de la sociĂ©tĂ© contemporaine en introduisant des marques d’usage, il accueille des mots populaires ou « bas », des usages marginaux et de nombreux termes des arts et des sciences traitĂ©s Ă  la maniĂšre encyclopĂ©dique. Il propose aussi des citations d’auteurs alors cĂ©lĂšbres. Ses qualitĂ©s en feront la rĂ©fĂ©rence obligĂ©e des rĂ©pertoires du mĂȘme type.

Dans son Dictionnaire universel (1690), Antoine FuretiĂšre, acadĂ©micien lui-mĂȘme, sera plus ambitieux encore puisqu’il entend rĂ©aliser l’« encyclopĂ©die de la langue ». Il rĂ©duit la part de la langue commune pour se dĂ©marquer de l’AcadĂ©mie, et il accorde toute son attention aux langues de spĂ©cialitĂ©, aux termes techniques, aux mots rares mĂȘme anciens, qu’il traite en « philosophe » Ă©rudit. Son ouvrage reprĂ©sente le prototype du dictionnaire encyclopĂ©dique extensif, annonciateur des grands rĂ©pertoires de l’avenir. » (Bernard Quemada : « Dictionnaire », site Universalis.fr, non datĂ©)

Il est utile de clore cet arpentage de l’histoire des dictionnaires par le rappel du rĂŽle pĂ©dagogique du dictionnaire et des rapports entre la lexicographie, la didactique et la didactisation. L’étude de Jean Dubois, « Dictionnaire et discours didactique » (revue Langages, 5Ăšme annĂ©e, n°19, 1970) nous offre lĂ -dessus de prĂ©cieux enseignements. L’auteur prĂ©cise en effet que « l’énoncĂ© lexicographique » (...) relĂšve du discours pĂ©dagogique. Comme lui, il est plus prĂ©cisĂ©ment un Ă©noncĂ© sur un autre Ă©noncĂ© dĂ©jĂ  rĂ©alisĂ©. Le savoir sur le monde que le dictionnaire communique est lui-mĂȘme un discours tenu sur un corpus fait de formulations scientifiques ou culturelles. La langue dont parle un dictionnaire n’est pas directement cette

langue que les locuteurs utilisent dans les communications sociales, c’est dĂ©jĂ  une langue analysĂ©e, un texte dĂ©coupĂ© et ajustĂ© aux dimensions que le modĂšle d’analyse aristotĂ©licien a imposĂ©es au discours pĂ©dagogique (...) ». Dans le discours pĂ©dagogique, l’objectif est de combler l’écart qui existe entre le savoir du lecteur dĂ©fini par un ensemble de questions sur la langue ou sur le monde et le savoir du lexicographe dĂ©fini par l’ensemble des rĂ©ponses qu’elles impliquent (et vice versa). Le texte implicite doit donc ĂȘtre commun aux lecteurs et aux lexicographes ; le dictionnaire ne remplit son usage que lorsqu’il comble cet Ă©cart entre les deux savoirs dĂ©finis par les mĂȘmes rĂšgles ».

La lexicographie haĂŻtienne de 1958 Ă  2023

Dans le champ relativement jeune de la crĂ©olistique, la lexicographie haĂŻtienne – qui comprend des ouvrages bilingues français-crĂ©ole, anglaiscrĂ©ole, ainsi que de rares ouvrages unilingues crĂ©oles –, est un domaine spĂ©cialisĂ© d’études et de production d’ouvrages lexicographiques. Dans nos diffĂ©rents articles consacrĂ©s Ă  ce champ, nous employons toutefois l’expression « lexicographie crĂ©ole » pour dĂ©signer l’ensemble des travaux lexicographiques ciblant le crĂ©ole. L’émergence et l’histoire de la lexicographie crĂ©ole sont historiquement attestĂ©es depuis les travaux pionniers du linguiste haĂŻtien Pradel Pompilus auteur, en 1958, du « Lexique crĂ©ole-français » (UniversitĂ© de Paris). Au terme d’une ample recherche documentaire, nous avons exposĂ© les caractĂ©ristiques typologiques de la lexicographie crĂ©ole par la publication de notre « Essai de typologie de la lexicographie crĂ©ole de 1958 Ă  2022 » (journal Le National, Port-au-Prince, 21 juillet 2021). Dans cet essai nous avons rĂ©pertoriĂ© et classĂ© 64 dictionnaires et 11 lexiques, et dans les articles subsĂ©quents qui ont complĂ©tĂ© cet essai, nous avons dĂ©montrĂ© que sur le total de 75 ouvrages, seuls 11 ont Ă©tĂ© Ă©laborĂ©s selon les rĂšgles mĂ©thodologiques de la lexicographie telle qu’elle est enseignĂ©e dans les universitĂ©s Ă  travers le monde et telle qu’elle est mise en Ɠuvre dans la confection des lexiques et des dictionnaires de la langue usuelle (Le Robert, Le Larousse, USITO, Le LittrĂ©, le Oxford English Dictionary, le Oxford Advanced American Dictionary, El Diccionario de la lengua española de la Real academia española , etc.). Le tableau 1 prĂ©sente les lexiques et les dictionnaires crĂ©oles Ă©laborĂ©s en conformitĂ© avec la mĂ©thodologie de la lexicographie professionnelle (11 ouvrages sur un total de 75 publiĂ©s entre 1958 et 2022) tandis que le tableau 2

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis prĂ©sente un Ă©chantillon d’ouvrages Ă©laborĂ©s en dehors de la mĂ©thodologie de la lexicographie professionnelle. Notre diagnostic analytique attestant que seuls 11 ouvrages sur un total de 75 publiĂ©s entre 1958 et 2022 sont conformes Ă  la mĂ©thodologie de la lexicographie professionnelle confirme qu’il s’agit lĂ  d’un indicateur majeur de la plus grande lacune de la lexicographie crĂ©ole : l’absence d’un modĂšle mĂ©thodologique couplĂ© Ă  un amateurisme rachitique trop souvent constituĂ© en « savoir-faire » (voir plus bas les tableaux 2 et 3 ; voir aussi notre article « Toute la lexicographie haĂŻtienne doit ĂȘtre arrimĂ©e au socle mĂ©thodologique de la lexicographie professionnelle » (Le National, 29 dĂ©cembre 2022).

TABLEAU 1 - Ouvrages lexicographiques (lexiques et dictionnaires) élaborés en conformité avec la méthodologie de la lexicographie professionnelle (11 ouvrages sur un total de 75 publiés entre 1958 et 2022)

Titre Auteur

1- Ti diksyonnĂš kreyĂČl-franse

2- Haitian Creole-English-French Dictionnary (vol. I, vol. II)

3- Petit lexique crĂ©ole haĂŻtien utilisĂ© dans le domaine de l’électricitĂ©

4- DiksyonĂš ĂČtograf kreyĂČl ayisyen

5- Dictionnaire préliminaire des fréquences de la langue créole

6- Dictionnaire inverse de la langue crĂ©ole haĂŻtienne/ DiksyonĂš lanvĂ  lang kreyĂČl ayisyen

7- Dictionnaire de l’écolier haĂŻtien

8- Dictionnaire de l’évolution du vocabulaire français en HaĂŻti (tome 1)

9- Dictionnaire de l’évolution du vocabulaire français en HaĂŻti (tome 2)

Date Éditeur

Henry Tourneux, Pierre Vernet et al 1976 Éditions caraïbes

Albert Valdman et al 1981 Creole Institute, Bloomington University

Henry Tourneux 1986 CNRS – Cahiers du Lacito

Pierre Vernet, B.C. Freeman 1988 Sant lengwistik aplike, InivĂšsite

Leta Ayiti

Pierre Vernet, B.C. Freeman 1989 Sant lengwistik aplike, InivĂšsite

Leta Ayiti

B.C. Freeman 1989 Sant lengwistik aplike, InivĂšsite

Leta Ayiti

AndrĂ© Vilaire Chery 1996 HachetteDeschamps/ ÉDITHA

AndrĂ© Vilaire Chery 2000 Éditions Édutex

AndrĂ© Vilaire Chery 2002 Éditions Édutex

Titre Auteur

10- Haitian Creole-English Bilingual Dictionnary

11- English-Haitian Creole Bilingual Dictionnary

Albert Valdman

Albert Valdman, Marvin D. Moody, Thomas E. Davies

Date Éditeur

2007 Creole Institute, Bloomington University

2017 Creole Institute, Bloomington University

NOTE / Ces dictionnaires de grande qualitĂ© scientifique mettent tous en Ɠuvre le mĂȘme cadre mĂ©thodologique qui consiste (1) Ă  dĂ©finir le projet Ă©ditorial et les usagers-cibles visĂ©s ; (2) Ă  identifier les sources du corpus de rĂ©fĂ©rence en vue de l’établissement de la nomenclature ; (3) Ă  procĂ©der Ă  l’établissement de la nomenclature des termes retenus Ă  l’étape du dĂ©pouillement du corpus de rĂ©fĂ©rence ; (4) Ă  procĂ©der au traitement lexicographique des termes de la nomenclature et Ă  la rĂ©daction des rubriques dictionnairiques (dĂ©finitions, notes explicatives, notes contextuelles, catĂ©gorisation grammaticale des termes placĂ©s en « entrĂ©e » en ordre alphabĂ©tique et s’il y a lieu mention de l’aire gĂ©ographique d’emploi du terme). Le mĂȘme cadre mĂ©thodologique est mis en Ɠuvre dans l’élaboration des lexiques bilingues (qui ne comprennent pas de dĂ©finitions des termes) et pour la confection des vocabulaires spĂ©cialisĂ©s en nĂ©ologie scientifique et technique. Sur le plan mĂ©thodologique, les ouvrages identifiĂ©s au tableau 1 ont Ă©tĂ© Ă©laborĂ©s dans la stricte observance du critĂšre de l’exactitude de l’équivalence lexicale conjoint Ă  celui de l’équivalence notionnelle : c’est le critĂšre majeur placĂ© au centre de toute dĂ©marche lexicographique et terminologique. (Sur la problĂ©matique de l’équivalence lexicale et terminologique, voir AnnaĂŻch Le Serrec : « Analyse comparative de l’équivalence terminologique en corpus parallĂšle et en corpus comparable : application au domaine du changement climatique », thĂšse de doctorat, UniversitĂ© de MontrĂ©al, avril 2012 ; voir aussi Robert Dubuc, enseignant Ă©mĂ©rite de traduction et de terminologie Ă  l’UniversitĂ© de MontrĂ©al et auteur du « Manuel pratique de terminologie » (Éditions Linguatech, 2002). Il nous enseigne que « Deux termes sont dits Ă©quivalents s’ils affichent une identitĂ© complĂšte de sens et d’usage Ă  l’intĂ©rieur d’un mĂȘme domaine d’application. (...) Il y a Ă©quivalence mĂȘme si chaque langue n’envisage pas la mĂȘme notion sous le mĂȘme angle »). Les dictionnaires anglais-crĂ©ole Ă©laborĂ©s par le linguiste-lexicographe Albert Valdman et ses Ă©quipes se situent tous au sommet de la lexicographie crĂ©ole en raison de

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis leur rigueur scientifique et de leur ancrage systĂ©matique sur le socle de la mĂ©thodologie de la lexicographie professionnelle : ils appartiennent de la sorte Ă  la grande famille des dictionnaires majeurs de la langue usuelle rĂ©putĂ©s pour leur fiabilitĂ© (Le Robert, Le Larousse, USITO, Le LittrĂ©, le Oxford English Dictionary, le Oxford Advanced American Dictionary, El Diccionario de la lengua española de la Real Academia española , etc.).

Sur la base des critĂšres de la mĂ©thodologie de la lexicographie professionnelle, notre Ă©valuation des dictionnaires Ă©laborĂ©s par Albert Valdman et par le lexicographe haĂŻtien AndrĂ© Vilaire Chery permet d’exposer que ces ouvrages constituent LE MODÈLE NORMATIF STANDARD dont doit s’inspirer toute la lexicographie haĂŻtienne contemporaine (voir nos articles « Lexicographie crĂ©ole : revisiter le « Haitian Creole-English Bilingual Dictionnary » d’Albert Valdman » (Le National, 30 janvier 2023), « Le « Dictionnaire de l’écolier haĂŻtien », un modĂšle de rigueur pour la lexicographie en HaĂŻti » (Le National, 3 septembre 2022), et « Toute la lexicographie haĂŻtienne doit ĂȘtre arrimĂ©e au socle mĂ©thodologique de la lexicographie professionnelle » (Le National, 29 dĂ©cembre 2022).

D’autre part, il faut prendre toute la mesure que la crĂ©olistique –depuis la co-officialisation du crĂ©ole et du français dans la Constitution haĂŻtienne de 1987–, a produit peu d’études de rĂ©fĂ©rence sur la lexicographie crĂ©ole, ses enjeux, sa dimension institutionnelle et, surtout, sur la mĂ©thodologie de la lexicographie professionnelle. Elle s’est toutefois enrichie de deux Ă©tudes de premier plan d’Albert Valdman, qui tĂ©moignent d’une haute rĂ©flexion thĂ©orique sur la lexicographie en tant qu’objet d’étude : « L’évolution du lexique dans les crĂ©oles Ă  base lexicale française » » (revue L’information grammaticale », 2000/85) et « Vers un dictionnaire scolaire bilingue pour le crĂ©ole haĂŻtien ? » (revue La linguistique 2005/1, vol.41). Sur le plan de l’analyse de l’histoire et de l’évolution de la lexicographie crĂ©ole, la linguiste Annegret BollĂ©e a Ă©laborĂ© elle aussi une Ă©tude de grande amplitude analytique, « Lexicographie crĂ©ole : problĂšmes et perspectives » (Revue française de linguistique appliquĂ©e, 2005/1 (vol.X) ; elle a considĂ©rablement enrichi, elle aussi, notre connaissance de la lexicographie crĂ©ole.

TABLEAU 2 – Échantillon de lexiques et de dictionnaires Ă©laborĂ©s en dehors de la mĂ©thodologie de la lexicographie professionnelle

Titre de l’ouvrage

DiksyonĂš kreyĂČl Vilsen

Leksik kreyĂČl : ekzanp devlopman kĂšk mo ak fraz a pati 1986

DiksyonĂš kreyĂČl karayib

Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative

Auteur(s)

Maud Heurtelou, FéquiÚre Vilsaint

Éditeur AnnĂ©e de publication

ÉducaVision 1994 [2009]

Emmanuel Védrine Védrine Creole Project [ ?] 2000

Jocelyne Trouillot CUC Université Caraïbe 2003 [ ?]

MIT – Haiti Initiative MIT – Haiti Initiative 2017 [ ?]

TABLEAU 3 - Caractéristiques des ouvrages élaborés en dehors de la méthodologie de la lexicographie professionnelle (échantillon de 4 publications)

Titre de l’ouvrage

Auteur(s) Catégorie Principales caractéristiques lexicographiques

DiksyonĂš kreyĂČl Vilsen Maud Heurtelou, FĂ©quiĂšre Vilsaint

Leksik kreyĂČl : ekzanp devlopman kĂšk mo ak fraz a pati 1986

Emmanuel Védrine

DiksyonĂš kreyĂČl karayib Jocelyne Trouillot

Dictionnaire unilingue créole AccÚs Web et format papier

S’intitule « leksik » alors qu’il est un glossaire unilingue crĂ©ole

Dictionnaire unilingue créole au format papier uniquement

Incohérence, insuffisance ou inadéquation de nombreuses définitions. Certaines rubriques comprennent des notes explicatives

De nombreuses entrées (« mots vedettes ») sont des slogans ou des séquences de phrases ou des proverbes. De nombreuses entrées ne sont pas des unités lexicales. Incohérence, insuffisance ou inadéquation des rares définitions

Incohérence, insuffisance ou inadéquation de nombreuses définitions. De nombreuses entrées (« mots vedettes ») ne sont pas des unités lexicales, ce sont plutÎt des noms propres ou des toponymes...

Titre de l’ouvrage

Glossary of STEM terms from the MIT –Haiti Initiative

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis

Auteur(s) Catégorie Principales caractéristiques lexicographiques

MIT – Haiti Initiative Lexique bilingue anglais-crĂ©ole AccĂšs Web uniquement

Équivalents crĂ©oles souvent fantaisistes, erratiques, asĂ©mantiques et non conformes au systĂšme morphosyntaxique du crĂ©ole. Les pseudo nĂ©ologismes « crĂ©oles » sont essentiellement abracadabrants, farfelus et non conformes au systĂšme morphosyntaxique du crĂ©ole

NOTE / Les lexiques et les dictionnaires Ă©laborĂ©s en dehors de la mĂ©thodologie de la lexicographie professionnelle se caractĂ©risent par (1) l’absence complĂšte et/ou le rachitisme du projet Ă©ditorial lexicographique et l’absence de critĂšres mĂ©thodologiques mis en Ɠuvre et habituellement identifiĂ©s par les appellations « PrĂ©face » ou « Guide d’utilisation » ; (2) l’absence de critĂšres lexicographiques relatifs Ă  la dĂ©termination du corpus Ă  dĂ©pouiller et l’absence de critĂšres relatifs au dispositif de dĂ©pouillement de diverses sources documentaires ; (3) l’absence de critĂšres lexicographiques relatifs Ă  l’établissement de la nomenclature du dictionnaire ou du lexique ; (4) l’absence de critĂšres relatifs au traitement lexicographique des termes de la nomenclature. L’un des traits communs entre ces ouvrages Ă©laborĂ©s en dehors de la mĂ©thodologie de la lexicographie professionnelle est qu’ils ne sont pas l’Ɠuvre de lexicographes ou de professionnels langagiers dĂ©tenteurs d’une formation/compĂ©tence avĂ©rĂ©e en lexicographie gĂ©nĂ©rale et en lexicographie crĂ©ole. L’ouvrage de FĂ©quiĂšre Vilsaint et Maud Heurtelou et celui de Jocelyne Trouillot procĂšdent sans doute d’un lĂ©gitime projet de doter HaĂŻti d’un dictionnaire unilingue crĂ©ole – mais l’on conviendra qu’une bonne intention ne saurait se substituer Ă  l’indispensable compĂ©tence en lexicographie crĂ©ole. Quant au « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative » – le plus mĂ©diocre de tous les ouvrages de la lexicographie crĂ©ole de 1958 Ă  2023 –, il est attestĂ© qu’il n’a jamais pu s’implanter dans les Écoles haĂŻtiennes depuis sa mise en ligne (en 2017 ?) en raison du fait qu’il ne dispose d’aucune crĂ©dibilitĂ© scientifique. Le « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative » promeut une aventureuse « lexicographie borlette » par la promotion d’équivalents « crĂ©oles » souvent fantaisistes, erratiques, asĂ©mantiques et non conformes au systĂšme morphosyntaxique du crĂ©ole, tandis que ses pseudo nĂ©ologismes « crĂ©oles » sont essentiellement abracadabrants, farfelus et

non conformes au systÚme morphosyntaxique du créole (voir nos articles

« Le traitement lexicographique du crĂ©ole dans le « Glossary of STEM terms from the MIT – HaĂŻti Initiative » (Le National, 21 juillet 2020) et « Le naufrage de la lexicographie crĂ©ole au MIT Haiti Initiative » (Le National, 15 fĂ©vrier 2022). L’amateurisme aventureux du « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative » s’explique amplement par le fait que ses rĂ©dacteurs-bricoleurs ne sont dĂ©tenteurs d’aucune compĂ©tence connue en lexicographie gĂ©nĂ©rale et en lexicographie crĂ©ole. Il ne faut pas perdre de vue que la lexicographie n’est pas enseignĂ©e au DĂ©partement de linguistique du MIT et sur le site Web de cette institution aucun de ses linguistes, notamment le responsable du MIT Haiti Initiative, ne mentionne sur son profil professionnel avoir acquis une quelconque compĂ©tence en lexicographie... Il est d’ailleurs tout Ă  fait rĂ©vĂ©lateur que l’élaboration du « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative » est prĂ©sentĂ©e, sur le site du MIT – Haiti Initiative –au chapitre « KreyĂČl-English glosses for creating and translating materials in Science, Technology, Engineering & Mathematics (STEM) fields in the MIT-Haiti Initiative »–, dans les termes suivants : « (...) l’un des effets secondaires positifs des activitĂ©s du MIT-HaĂŻti (ateliers sur les STEM, production de matĂ©riel en kreyĂČl de haute qualitĂ©, etc.) est que nous enrichissons la langue d’un nouveau vocabulaire scientifique qui peut servir de ressource indispensable aux enseignants et aux Ă©tudiants Ces activitĂ©s contribuent au dĂ©veloppement lexical de la langue crĂ©ole » [Traduction : RBO]. Comme nous l’avons rigoureusement dĂ©montrĂ© dans notre article « La lexicographie crĂ©ole Ă  l’épreuve des Ă©garements systĂ©miques et de l’amateurisme d’une « lexicographie borlette » (Le National, Port-au-Prince, 28 mars 2023), le pseudo « nouveau vocabulaire scientifique » bricolĂ© par le MIT–Haiti Initiative en dehors de la mĂ©thodologie de la lexicographie professionnelle comprend un grand nombre d’équivalents « crĂ©oles » fantaisistes, erratiques, faux, sĂ©mantiquement opaques, souvent non conformes au systĂšme morphosyntaxique du crĂ©ole et incomprĂ©hensibles du locuteur crĂ©olophone. L’autre grande caractĂ©ristique de la « lexicographie borlette » au creux du pseudo « nouveau vocabulaire scientifique » bricolĂ© par le MIT–Haiti Initiative est l’absence systĂ©matique du critĂšre de l’exactitude de l’équivalence lexicale conjoint Ă  celui de l’équivalence notionnelle alors mĂȘme qu’il est un critĂšre majeur placĂ© au centre de toute dĂ©marche lexicographique et terminologique. L’amateurisme confirmĂ© des rĂ©dacteurs-bricoleurs du « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative »

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis Ă©claire donc le fait que, dĂ©pourvus de la moindre compĂ©tence connue en lexicographie crĂ©ole, ils alimentent une vision erratique et fantaisiste de la nĂ©ologie crĂ©ole totalement opposĂ©e Ă  la mĂ©thodologie de la nĂ©ologie. (Sur la mĂ©thodologie de la nĂ©ologie, voir l’article de Salah Mejri et Jean-François Sablayrolles, « PrĂ©sentation : nĂ©ologie, nouveaux modĂšles thĂ©oriques et NTIC » paru dans la revue Langages no 183, 2011/3 ; voir aussi l’étude « NĂ©ologie sĂ©mantique et analyse de corpus » parue sous la direction de Jean-François Sablayrolles dans les Cahiers de lexicologie (Éditions Classiques Garnier, Paris 2012). Les Cahiers de lexicologie sont publiĂ©s par le laboratoire Lexiques, dictionnaires, informatique (lDi, UniversitĂ© Paris 13 – UniversitĂ© de Cergy-Pontoise – Centre national de la recherche scientifique de France).

Les défis contemporains de la lexicographie créole

Les liens complĂ©mentaires et fonctionnels qui existent entre la lexicographie crĂ©ole et la didactisation du crĂ©ole sont Ă©voquĂ©s dans le livre collectif de rĂ©fĂ©rence « La didactisation du crĂ©ole au cƓur de l’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti » (ouvrage de 381 pages coordonnĂ© et co-Ă©crit par Robert BerrouĂ«t-Oriol (Éditions ZĂ©mĂšs et Éditions du Cidihca, 2021).

La problĂ©matique de la didactisation du crĂ©ole a tĂŽt Ă©tĂ© exposĂ©e par le linguiste Renauld Govain. Dans un texte fort Ă©clairant, « L’état des lieux du crĂ©ole dans les Ă©tablissements scolaires en HaĂŻti », (Contextes et didactiques, 4, 2014) le doyen de la FacultĂ© de linguistique appliquĂ©e de l’UniversitĂ© d’État d’HaĂŻti consigne en ces termes des questions de fond quant Ă  la didactisation du crĂ©ole :

« Le crĂ©ole est officiellement introduit Ă  l’école haĂŻtienne en 1979. Son emploi dans le systĂšme Ă©ducatif n’a pas Ă©tĂ© facile. Il souffre encore d’un problĂšme de mĂ©thodes, de mĂ©thodologies et de « didactisation ». Ce problĂšme s’est davantage accentuĂ© avec la disparition en 1991 de l’IPN [Institut pĂ©dagogique national] chargĂ© de l’élaboration de matĂ©riels didactiques pour le systĂšme. (...) Mais la problĂ©matique de la didactique du crĂ©ole comme langue maternelle n’a pas Ă©tĂ© posĂ©e. (...) on navigue encore dans des actions routiniĂšres qui ne sont pas Ă©clairĂ©es par des mĂ©thodes Ă©laborĂ©es mĂ»rement construites sur la base d’une dĂ©marche rĂ©flexive de nature Ă  rĂ©duire les chances de tĂątonnement qu’on constate actuellement dans l’enseignement/apprentissage du crĂ©ole Ă  l’école en HaĂŻti. »

Et lors d’une prĂ©sentation au DĂ©partement de français et d’italien Ă  Indiana University, le 11 avril 2018 intitulĂ©e « Le crĂ©ole haĂŻtien : de langue d’alphabĂ©tisation des adultes Ă  langue d’enseignement » , Renauld Govain prĂ©cise sa pensĂ©e comme suit : « À l’école et Ă  l’universitĂ© : problĂšme de didactisation - Mais l’enseignement du/en CH [crĂ©ole haĂŻtien] se heurte Ă  un problĂšme de contextualisation et de didactisation. La contextualisation Ă©tant un processus d’adaptation rendant la discipline Ă  enseigner/faire apprendre adĂ©quate aux spĂ©cificitĂ©s des diffĂ©rents facteurs ou Ă©lĂ©ments qui interviennent dans l’acte d’enseignement / apprentissage (Govain 2013). Parmi les Ă©lĂ©ments intervenant dans la dynamique de contextualisation, Galisson (1991) retient les huit suivants : sujet (apprenant), objet (langue-culture), agent (enseignant), humain), temps (chronologique et climatique). » Et il poursuit en posant que la (...) didactisation est « un processus qui s’appuie sur des procĂ©dĂ©s scientifiques (mais aussi sur des techniques particuliĂšres et contextuelles selon les caractĂ©ristiques du public cible, du milieu dans lequel l’enseignement / apprentissage doit avoir lieu, des objectifs visĂ©s, etc.) qui rendent la langue apte Ă  ĂȘtre enseignĂ©e selon une dĂ©marche qui minimise les risques de fuite dus Ă  une orientation alĂ©atoire du processus (...). Didactiser une langue, dans cette perspective, consistera en l’établissement d’une sĂ©rie de dĂ©marches ou dispositifs institutionnels afin de maximiser l’intervention d’un facilitateur (cĂŽtĂ© enseignement) et l’activitĂ© d’apprentissage (cĂŽtĂ© apprentissage) (Govain 2014, 14-15). »

Le livre collectif de rĂ©fĂ©rence « La didactisation du crĂ©ole au cƓur de l’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti » constitue la premiĂšre publication scientifique ciblant la didactisation du crĂ©ole et dans laquelle des spĂ©cialistes d’horizons divers approfondissent cette problĂ©matique et proposent des solutions marquĂ©es du sceau de la rigueur. Quant au volet spĂ©cifiquement nĂ©ologique de la lexicographie crĂ©ole, notre Ă©tude, dans cet ouvrage, a pour titre « La nĂ©ologie scientifique et technique, un indispensable auxiliaire de la didactisation du crĂ©ole haĂŻtien ». Elle contribue elle aussi Ă  instituer la modĂ©lisation de l’activitĂ© nĂ©ologique sur le registre de l’élaboration mĂ©thodique des vocabulaires crĂ©oles des sciences et des techniques.

Par l’élaboration d’outils lexicographiques de grande qualitĂ© scientifique (dictionnaires, lexiques, vocabulaires spĂ©cialisĂ©s, glossaires), la lexicographie crĂ©ole saura Ă  l’avenir contribuer amplement Ă  la didactisation

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis du crĂ©ole. Dans leur diversitĂ© et quant Ă  leur pertinence, les futurs chantiers lexicographiques crĂ©oles fourniront Ă  la didactisation du crĂ©ole un vaste Ă©ventail de termes crĂ©oles destinĂ©s Ă  dĂ©nommer les rĂ©alitĂ©s, les objets, les idĂ©es, etc. Il faut toutefois rappeler que l’apport de la lexicographie crĂ©ole ne saurait se limiter Ă  la fourniture de termes Ă  la didactisation du crĂ©ole : en une dĂ©marche transversale et conjointe, il s’agira d’élaborer Ă  l’aide des outils de la lexicographie et de la didactique « un discours crĂ©ole savant » entendu au sens de l’établissement du « mĂ©talangage » dont a besoin le crĂ©ole pour ĂȘtre vĂ©ritablement didactisĂ©. Le « discours crĂ©ole savant » n’est pas celui des communications usuelles entre locuteurs dans la vie quotidienne, il fait plutĂŽt appel Ă  une combinatoire liant les termes aux idĂ©es et aux concepts, Ă  l’abstraction et aux diffĂ©rentes formes du raisonnement logique, Ă  la conceptualisation et Ă  la modĂ©lisation des corps d’idĂ©es. Le linguiste-lexicographe Albert Valdman Ă©claire rigoureusement la problĂ©matique du « mĂ©talangage » crĂ©ole de la maniĂšre suivante : « Le handicap le plus difficile Ă  surmonter dans l’élaboration d’un dictionnaire unilingue pour le CH [crĂ©ole haĂŻtien] est certainement l’absence d’un mĂ©talangage adĂ©quat. (...) Au fur et Ă  mesure que s’étend l’utilisation du CH [crĂ©ole haĂŻtien] aux domaines techniques, il se dotera d’un mĂ©talangage propre Ă  traiter de concepts de plus en plus abstraits. Dans l’attente de cette Ă©volution, la lexicographie bilingue peut affiner ses mĂ©thodes, sur plusieurs points : (1) la sĂ©lection de la nomenclature, (2) le recensement des variantes et le classement diatopique, diastratique et diaphasique des lexies, et (3) le choix des exemples illustratifs (...) » (voir Albert Valdman : « Vers la standardisation du crĂ©ole haĂŻtien », article paru dans la Revue française de linguistique appliquĂ©e, 2005 / 1, volume X).

Les dĂ©fis contemporains de la lexicographie crĂ©ole sont Ă©galement de l’ordre de la formation acadĂ©mique des lexicographes et la FacultĂ© de linguistique appliquĂ©e de l’UniversitĂ© d’État d’HaĂŻti a un rĂŽle de premier plan Ă  jouer dans un environnement dĂ©lĂ©tĂšre oĂč l’État haĂŻtien – dĂ©missionnaire en ce qui a trait Ă  l’amĂ©nagement simultanĂ© des deux langues de notre patrimoine linguistique historique –, n’accorde aucune vĂ©ritable prioritĂ© Ă  l’éducation en HaĂŻti. La dimension institutionnelle de la lexicographie crĂ©ole s’avĂšre donc ĂȘtre une exigence de premier plan : la professionnalisation du mĂ©tier de lexicographe (comme d’ailleurs la professionnalisation du mĂ©tier de traducteur gĂ©nĂ©raliste ou de traducteur technique et scientifique) passe obligatoirement par une formation adĂ©quate Ă 

l’UniversitĂ©. En ce qui a trait Ă  la formation en lexicographie, il est tout indiquĂ© le « Programme de formation en techniques de traduction » mis en route en 2017 Ă  la FacultĂ© de linguistique appliquĂ©e (FLA) de l’UniversitĂ© d’État d’HaĂŻti, en partenariat avec l’Association LEVE, soit renforcĂ© par l’introduction de cours spĂ©cifiques de lexicographie. L’une des options programmatiques Ă  explorer serait que dĂšs la deuxiĂšme annĂ©e de licence en linguistique la FLA offre une double spĂ©cialisation en traduction / lexicographie crĂ©ole. Cette double spĂ©cialisation en traduction / lexicographie crĂ©ole pourrait ĂȘtre enrichie par l’adjonction de cours en didactique / didactisation du crĂ©ole. Comme nous l’avons exemplifiĂ© plus haut dans cet article, l’un des plus grands dĂ©fis de la lexicographie crĂ©ole est la rupture avec l’amateurisme afin de parvenir Ă  une rĂ©flexion analytique et Ă  une production scientifique solidement ancrĂ©e sur le socle de la mĂ©thodologie de la lexicographie professionnelle. C’est incontestablement la seule voie conduisant Ă  la professionnalisation de la lexicographie et Ă  la production d’outils lexicographiques conformes Ă  la mĂ©thodologie de la lexicographie professionnelle. La production d’outils lexicographiques crĂ©oles de haute qualitĂ© scientifique – notamment un dictionnaire unilingue crĂ©ole et un dictionnaire scolaire bilingue français-crĂ©ole –, sera d’un apport majeur dans l’enseignement DE la langue crĂ©ole et dans l’enseignement EN langue crĂ©ole des savoirs et des connaissances dans l’École haĂŻtienne.

Dans le contexte oĂč depuis la rĂ©forme Bernard de 1979 (rĂ©forme lacunaire et inaboutie) et depuis la co-officialisation du crĂ©ole et du français dans la Constitution de 1987, l’État haĂŻtien ne s’est toujours pas dotĂ© d’une politique linguistique Ă©ducative ; dans le contexte oĂč, au ministĂšre de l’Éducation nationale, diverses formes de « populisme linguistique » cadenassent et dĂ©sarticulent l’amĂ©nagement du crĂ©ole et sont mises en Ɠuvre Ă  l’aune de l’improvisation tous azimuts – entre autres dans la saga du LIV INIK AN KREYÒL qui se dĂ©cline en 7 versions diffĂ©rentes Ă©laborĂ©es par 7 diffĂ©rents Ă©diteurs –, la contribution de la lexicologie crĂ©ole ainsi que celle de la lexicographie crĂ©ole devrait ĂȘtre le lieu d’une remise Ă  plat et d’une rigoureuse redĂ©finition de la didactique du français langue seconde et de la didactique modĂ©lisĂ©e du crĂ©ole selon la vision des langues partenaires et en conformitĂ© avec l’article 5 de la Constitution de 1987 (voir notre article « Le partenariat crĂ©ole-français, l’unique voie constitutionnelle et rassembleuse en HaĂŻti », Le National, Port-au-Prince, 14 mars 2023 ; voir la sĂ©rie d’études de premier plan consignĂ©es dans

le livre « Cohabitation des langues et politique linguistique / La notion de « langue partenaire » Ă©ditĂ© en 2015 par la DĂ©lĂ©gation Ă  la langue française de Suisse ; voir aussi le livre « Le français et les langues partenaires : convivialitĂ© et compĂ©titivitĂ© » (Presses universitaires de Bordeaux, 2014. Sur le « populisme linguistique », voir l’article de ZiXi Wang, « IdĂ©ologies linguistiques et didactique des langues » paru dans HypothĂšses – Carnet de recherche, 12 janvier 2015 ; voir aussi l’article de Jean-Louis Chiss datĂ© de 2005 « La thĂ©orie du langage face aux idĂ©ologies linguistiques » consignĂ© dans G.Dessons, S. Martin & P. Michon (Ă©ds.), « Henri Meschonnic, la pensĂ©e et le poĂšme », Paris, InPress). Le lecteur dĂ©sireux d’approfondir la vision des langues partenaires pourra avec profit consulter deux autres publications majeures sur le sujet : « Contacts de langues, politiques linguistiques et formes d’intervention », par VĂ©ronique Castellotti, Daniel Coste, Diana-Lee Simon (dans « Contacts de langues » (L’Harmattan, 2003), et « Les langues dans l’espace francophone : de la coexistence au partenariat » des linguistes Robert Chaudenson et Louis-Jean Calvet (Éditions L’Harmattan, 2001).

La problĂ©matique de l’amĂ©nagement et de la didactisation du crĂ©ole dans l’École

haĂŻtienne : promouvoir une vision rassembleuse

Montréal, le 17 novembre 2023

Au moment oĂč nous Ă©crivons ces lignes, le systĂšme Ă©ducatif national haĂŻtien, oĂč sont scolarisĂ©s environ 3 millions d’écoliers, est lourdement impactĂ© par l’action violente des gangs armĂ©s partout au pays. Tel que nous l’avons exposĂ© Ă  la Directrice gĂ©nĂ©rale de l’UNESCO, Audrey Azoulay, dans notre « Appel Ă  l’UNESCO : non Ă  tout appui au cartel politico-mafieux du PHTK nĂ©o-duvaliĂ©riste en HaĂŻti » (RezonĂČdwĂšs, 13 novembre 2023), « (...) plus de 500 sur 976 Ă©coles Ă©valuĂ©es sont dysfonctionnelles ou inaccessibles tandis que 54 d’entre elles sont complĂštement fermĂ©es depuis plusieurs mois, en grande majoritĂ© Ă  cause des rivalitĂ©s entre groupes armĂ©s, des affrontements entre les gangs et la police, ou des problĂšmes d’accĂšs des enseignants dans ces zones » (voir le communiquĂ© de presse paru le 23 juin 2022 sur le site officiel de l’UNICEF en HaĂŻti, « Haiti : une Ă©cole sur trois est cible de violence Ă  Port-au-Prince »). Selon le site ONU Info, « Les actes de violence armĂ©e contre les Ă©coles en HaĂŻti, notamment les fusillades, les saccages, les pillages et les enlĂšvements, se sont multipliĂ©s par neuf en un an, alors que l’insĂ©curitĂ© grandissante et les troubles gĂ©nĂ©ralisĂ©s commencent Ă  paralyser le systĂšme Ă©ducatif du pays, a averti l’UNICEF jeudi. (...) Au cours des quatre premiers mois de l’annĂ©e scolaire (d’octobre Ă  fĂ©vrier), 72 Ă©coles auraient Ă©tĂ© prises pour cible, contre huit au cours de la mĂȘme pĂ©riode l’annĂ©e derniĂšre. Le bilan comprend au moins 13 Ă©coles prises pour cible par des groupes armĂ©s, une Ă©cole incendiĂ©e, un Ă©lĂšve tuĂ© et au moins deux membres du personnel enlevĂ©s, selon les rapports des partenaires du Fonds des Nations Unies pour l’enfance. Au cours des six premiers jours du mois de fĂ©vrier, 30 Ă©coles ont Ă©tĂ© fermĂ©es en raison de la montĂ©e de la violence dans les zones urbaines, tandis que plus d’une Ă©cole sur quatre est restĂ©e fermĂ©e depuis octobre 2022 » (ONU Info : « HaĂŻti : la violence armĂ©e contre les Ă©coles multipliĂ©e par neuf en un an, selon l’UNICEF », 9 fĂ©vrier 2023).

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis

C’est dans un tel contexte de crise et de mortifĂšre dĂ©mission politique de l’État face aux gangs armĂ©s que le systĂšme Ă©ducatif national haĂŻtien court le risque d’ĂȘtre affligĂ© une fois de plus d’une nouvelle « rĂ©forme » Ă©ducative qui, dans son dĂ©ploiement volontariste et cosmĂ©tique, ne fera pas elle non plus l’objet d’un bilan analytique public. Cette Ă©niĂšme « rĂ©forme » Ă©ducative a Ă©tĂ© amorcĂ©e (1) par la dĂ©cision du ministĂšre de l’Éducation nationale – en flagrante contravention avec les articles 5 et 40 de la Constitution de 1987 –, de ne financer Ă  partir de l’annĂ©e acadĂ©mique 2022-2023 que les livres scolaires rĂ©digĂ©s uniquement en crĂ©ole ; (2) par la saga bĂ©gayante, les ratĂ©s prĂ©visibles et le parachutage anarchique du manuel scolaire unique rĂ©digĂ© en crĂ©ole, le LIV INIK qui, en dĂ©pit de l’appellation « livre unique », se dĂ©cline en sept versions diffĂ©rentes Ă©laborĂ©es et Ă©ditĂ©es par sept diffĂ©rentes maisons d’édition ; (3) par l’adoption d’un nouveau document de « rĂ©forme curriculaire », le « Cadre d’orientation curriculaire pour le systĂšme Ă©ducatif haĂŻtien / HaĂŻti 2054 » (voir nos articles « Financement des manuels scolaires en crĂ©ole en HaĂŻti : confusion et dĂ©magogie au plus haut niveau de l’État » (Le National, 8 mars 2022) ; « Le LIV INIK AN KREYÒL et la problĂ©matique des outils didactiques en langue crĂ©ole dans l’École haĂŻtienne » (entrevue exclusive avec Charles Tardieu, Directeur des Éditions ZĂ©mĂšs et ancien ministre de l’Éducation nationale, RezonĂČdwĂšs, 13 aoĂ»t 2023) ; « L’amĂ©nagement du crĂ©ole en HaĂŻti Ă  l’épreuve du « Cadre d’orientation curriculaire » du ministĂšre de l’Éducation nationale » (RezonĂČdwĂšs, 27 aoĂ»t 2023).

Les remontĂ©es de terrain qui nous sont parvenus de nombreux enseignants haĂŻtiens consignent une critique de fond du LIV INIK AN KREYÒL qui, il faut encore le souligner, se dĂ©cline en sept versions diffĂ©rentes Ă©laborĂ©es et Ă©ditĂ©es par sept diffĂ©rentes maisons d’édition. Le « Cahier des charges pour l’élaboration du Livre scolaire unique au premier cycle fondamental » que le ministĂšre de l’Éducation nationale a acheminĂ© aux Ă©diteurs est un document d’une grande pauvretĂ© conceptuelle et programmatique. Il consigne et privilĂ©gie les balises techniques de la fabrication matĂ©rielle du LIV INIK, il donne la prioritĂ© Ă  l’obligation de respecter les « rĂšgles techniques » que chaque Ă©diteur devait suivre s’il voulait emporter l’appel d’offre et, ce faisant, il ne consigne aucune vision didactique de l’apprentissage scolaire Ă  l’aide du LIV INIK. Pire : ce document ministĂ©riel – situĂ© en amont de la production allĂ©guĂ©e de plus d’un million d’exemplaires de l’ouvrage –, n’a aucunement fourni aux Ă©diteurs un modĂšle

didactique unique Ă  partir duquel devait ĂȘtre Ă©laborĂ© le LIV INIK qui n’a d’« unique », selon le propos d’un enseignant, que le titre... Il est ainsi attestĂ© que chacun des Ă©diteurs a Ă©laborĂ©, Ă  partir de ses fonds de tiroir ou de ses ressources rĂ©dactionnelles internes, son propre LIV INIK qui « emprisonne » les savoirs dans un glauque « cachot » d’environ 300 pages... Ainsi se comprend, pour une grande part, la ferme dĂ©cision de nombreux enseignants et directeurs d’écoles de ne pas utiliser le LIV INIK en salle de classe. Dans tous les cas de figure, Ă  l’échelle nationale les enseignants n’ont pas Ă©tĂ© formĂ©s Ă  l’utilisation du LIV INIK et le ministĂšre de l’Éducation nationale ne dispose pas d’une infrastructure administrative dĂ©diĂ©e au contrĂŽle de la diffusion et de l’implantation du LIV INIK dans les Ă©coles haĂŻtiennes...

Dans l’article du 27 aoĂ»t 2023, nous avons fait la dĂ©monstration qu’il existe un rĂ©el blocage de l’École haĂŻtienne rĂ©sultant d’une contradiction majeure (de vision et de finalitĂ©s) entre le « Cadre d’orientation curriculaire pour le systĂšme Ă©ducatif haĂŻtien / HaĂŻti 2054 », un document de 70 pages, et le « Plan dĂ©cennal d’éducation et de formation 2018 – 2028 ». Il ressort de notre analyse attentive que l’État haĂŻtien – trente-six ans aprĂšs la co-officialisation du crĂ©ole et du français Ă  l’article 5 de la Constitution de 1987 –, est lourdement dĂ©missionnaire quant Ă  l’obligation politique et constitutionnelle d’élaborer et de mettre en oeuvre LA politique linguistique Ă©ducative nationale. La dĂ©mission de l’État a de pesantes consĂ©quences sur le plan de la gouvernance du systĂšme Ă©ducatif haĂŻtien, sur celui de la didactique gĂ©nĂ©rale des matiĂšres scolaires et sur celui de la didactique du crĂ©ole langue maternelle comme sur celui du français langue seconde.

L’un des traits communs majeurs entre le « Cadre d’orientation curriculaire pour le systĂšme Ă©ducatif haĂŻtien / HaĂŻti 2054 » et le « Plan dĂ©cennal d’éducation et de formation 2018 – 2028 » est l’absence de lignes directrices dĂ©diĂ©es Ă  la problĂ©matique de l’amĂ©nagement linguistique en lien avec la didactisation du crĂ©ole dans le systĂšme Ă©ducatif national haĂŻtien. Il faut prendre toute la mesure que la complexe et incontournable exigence de la didactisation du crĂ©ole est totalement absente de ces deux « documents stratĂ©giques » du ministĂšre de l’Éducation nationale alors mĂȘme que celui-ci prĂ©tend y avoir consignĂ© les objectifs devant « guider » l’École haĂŻtienne. Ainsi, le « Cadre d’orientation curriculaire pour le systĂšme

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis Ă©ducatif haĂŻtien / HaĂŻti 2054 » expose que ce document comprend « (...) un ensemble d’orientations qui, articulĂ©es entre elles, constituent le guide stratĂ©gique du systĂšme Ă©ducatif haĂŻtien » (section 1.4.1., p. 17) », mais l’on n’y trouve aucune trace de la problĂ©matique de la didactisation du crĂ©ole (voir notre article « L’échec prĂ©visible de la prochaine rĂ©forme curriculaire de l’École haĂŻtienne : pistes de rĂ©flexion », RezonĂČdwĂšs, 2 octobre 2023).

Le « Cadre d’orientation curriculaire pour le systĂšme Ă©ducatif haĂŻtien / HaĂŻti 2054 » – qui n’a pas Ă©tĂ© Ă©galement rĂ©digĂ© en crĂ©ole en conformitĂ© avec les obligations de l’État prĂ©vues Ă  l’article 40 de la Constitution de 1987 –, ne comprend pas un chapitre entier dĂ©diĂ© spĂ©cifiquement Ă  la didactisation du crĂ©ole et Ă  l’amĂ©nagement linguistique dans le systĂšme Ă©ducatif national, alors mĂȘme que ce document, qui entend instituer une « norme » et un « guide stratĂ©gique » pour les prochaines dĂ©cennies, soutient avoir consignĂ©, sans l’élaborer, « La politique linguistique dĂ©finie par le MÉNFP » (p. 40). En rĂ©alitĂ©, l’examen attentif de ce « guide stratĂ©gique » rĂ©vĂšle que les prĂ©conisations linguistiques du « Cadre d’orientation curriculaire » figurent de maniĂšre dispersĂ©e dans plusieurs sous-chapitres, ce qui s’explique aisĂ©ment par le fait que contrairement Ă  l’affirmation relevĂ©e Ă  la page 40 sous l’étiquette « La politique linguistique dĂ©finie par le MÉNFP », cette prĂ©sumĂ©e « politique linguistique » ne constitue pas l’axe central ou prioritaire dans la vision du ministĂšre de l’Éducation nationale.

Sur le plan historique, il est attestĂ© que les responsables administratifs et politiques du systĂšme Ă©ducatif haĂŻtien, depuis la rĂ©forme Bernard de 1979, ne parviennent toujours pas Ă  formuler LA politique linguistique Ă©ducative de l’État haĂŻtien – sans doute par manque de vision, par dĂ©ficit de leadership politique, par incompĂ©tence quant Ă  la comprĂ©hension de la complexitĂ© de la situation linguistique haĂŻtienne, ou plus prosaĂŻquement parce que l’éducation en HaĂŻti, sous-financĂ©e dans les budgets de l’État et sorte de protĂ©iforme « machine Ă  cash », est « gĂ©rĂ©e » comme un secteur oĂč prĂ©domine l’appĂ©tit de la « rente financiĂšre d’État », la course aux juteuses enveloppes financiĂšres de l’International, les combines de l’informel Ă  valeur marchande et l’amateurisme grandiloquent de la plupart des ministres de l’Éducation de ces trente derniĂšres annĂ©es.

Dans le contexte actuel oĂč prĂ©domine, Ă  la haute direction du ministĂšre de l’Éducation nationale, plusieurs variantes de « populisme linguistique » apparentĂ©es au dĂ©lire catĂ©chĂ©tique des Ayatollahs du crĂ©ole ; au moment

oĂč la gouvernance du systĂšme Ă©ducatif national vogue sur la mer houleuse de l’improvisation et affiche une grande confusion, des incohĂ©rences et des idĂ©es en pagaille sur la question de l’amĂ©nagement du crĂ©ole, il est nĂ©cessaire et indispensable que les linguistes haĂŻtiens prennent publiquement la parole et proposent – aux enseignants, aux directeurs d’écoles, aux cadres du systĂšme Ă©ducatif, aux rĂ©dacteurs et Ă©diteurs de manuels scolaires –, une vision articulĂ©e, documentĂ©e et rassembleuse de l’amĂ©nagement simultanĂ©, dans l’École haĂŻtienne, des deux langues de notre patrimoine linguistique historique, le crĂ©ole et le français, en lien avec l’indispensable didactisation du crĂ©ole et la modernisation de la didactique du français langue seconde. Le prĂ©sent article propose des pistes de rĂ©flexion sur l’amĂ©nagement linguistique dans l’École haĂŻtienne en lien avec la didactisation du crĂ©ole.

Telle que nous l’avons exposĂ©e dans le livre collectif de rĂ©fĂ©rence « L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti : enjeux, dĂ©fis et propositions » (Éditions de l’UniversitĂ© d’État d’HaĂŻti et Éditions du Cidihca, 2011), la notion d’amĂ©nagement linguistique s’entend au sens de l’« Intervention d’une autoritĂ© compĂ©tente, souvent Ă©tatique, sur la gestion d’une langue, par l’élaboration et l’instauration d’une politique linguistique » (Grand dictionnaire terminologique de l’Office quĂ©bĂ©cois de la langue française). Pour sa part, la linguiste Christiane Loubier nous enseigne, sur le registre des droits linguistiques et des dispositions linguistiques constitutionnelles, qu’« On a recensĂ© Ă  l’heure actuelle des dispositions linguistiques constitutionnelles dans prĂšs de 75 % des États souverains (Gauthier, Leclerc et Maurais, 1993). Le terme politique linguistique n’est pas pour autant synonyme de lĂ©gislation linguistique. Une politique linguistique peut n’ĂȘtre que dĂ©claratoire. Elle peut Ă©galement ne comporter qu’un ensemble de mesures administratives. Mais elle peut aussi se traduire dans une lĂ©gislation linguistique, c’est-Ă -dire par un ensemble de normes juridiques (lois, rĂšglements, dĂ©crets) ayant trait expressĂ©ment Ă  l’utilisation de la langue ou des langues sur un territoire donnĂ©, ou par une loi linguistique particuliĂšre qui Ă©dicte d’une maniĂšre assez exhaustive des droits et des obligations linguistiques (comme la Charte de la langue française au QuĂ©bec) » [voir Christiane Loubier : « Politiques linguistiques et droit linguistique », 2002. Source : banq.qc.ca]. Dans une autre Ă©tude, Ă  la fois trĂšs ample et fort Ă©clairante, Christiane Loubier propose « (...) une dĂ©finition trĂšs gĂ©nĂ©rale de l’amĂ©nagement linguistique

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis qui peut couvrir l’ensemble de ses composantes : « organisation des situations sociolinguistiques qui rĂ©sulte de l’autorĂ©gulation et de la rĂ©gulation externe de l’usage des langues au sein d’un espace social donnĂ© (Loubier, 2002) ». Sur le registre de la sociolinguistique, elle expose que « L’intervention sociolinguistique se dĂ©finit comme l’« ensemble des pratiques d’amĂ©nagement linguistique exercĂ©es par tout acteur social (institutionnel ou individuel) en vue d’influencer dĂ©libĂ©rĂ©ment l’évolution d’une situation sociolinguistique donnĂ©e ». Exemples : politiques linguistiques d’États ou d’entreprises, lois, dĂ©crets, rĂšglements linguistiques, programmes officiels d’amĂ©nagement lexical, graphique, phonĂ©tique, grammatical, etc. Les pratiques d’amĂ©nagement linguistique englobent les actions de plusieurs acteurs sociaux (individus, associations, groupes, organisations, institutions sociales). L’intervention sociolinguistique n’est donc pas exclusive Ă  l’État, mĂȘme si ce type de pratique a des retombĂ©es importantes sur les situations sociolinguistiques (Christiane Loubier : « Fondements de l’amĂ©nagement linguistique », 2002. Source : banq.qc.ca). Cette Ă©tude de Christiane Loubier, « Fondements de l’amĂ©nagement linguistique », a Ă©tĂ© reproduite, avec son aimable autorisation, dans notre livre « Plaidoyer pour les droits linguistiques en HaĂŻti / Pledwaye pou dwa lenguistik ann Ayiti » (Éditions ZĂ©mĂšs et Éditions du Cidihca, 2018). Sur le versant jurilinguistique de la crĂ©olistique, cet ouvrage est la premiĂšre et la seule contribution traitant de maniĂšre spĂ©cifique des droits linguistiques en HaĂŻti.

La question de l’amĂ©nagement et de la didactisation du crĂ©ole dans le systĂšme Ă©ducatif haĂŻtien n’est pas nouvelle en HaĂŻti. « En 1898 dĂ©jĂ , Georges Sylvain [dĂ©clarait que] le jour oĂč (...) le crĂ©ole aura droit de citĂ© dans nos Ă©coles primaires, rurales et urbaines, le problĂšme de l’organisation de notre enseignement populaire sera prĂšs d’ĂȘtre rĂ©solu ». Au cours des annĂ©es 1970-1980 et par la suite, plusieurs linguistes ont fait un plaidoyer dans la perspective de l’utilisation du crĂ©ole haĂŻtien comme langue d’enseignement pour une meilleure rentabilitĂ© de l’action Ă©ducative (Renauld Govain : « Le crĂ©ole haĂŻtien : de langue d’alphabĂ©tisation des adultes Ă  langue d’enseignement », researchgate.net, 11 avril 2018.) Auparavant, dans les annĂ©es 1940, cette question a Ă©tĂ© entrevue notamment par Christian Beaulieu, compagnon de lutte de Jacques Roumain et auteur de « Pour Ă©crire le crĂ©ole » (Les Griots, 1939), et qui fut l’un des premiers, Ă  cette Ă©poque, Ă  rĂ©clamer l’utilisation du crĂ©ole Ă  des fins

pĂ©dagogiques. De maniĂšre plus programmatique, la question de l’amĂ©nagement et de la « didactisation » du crĂ©ole dans le systĂšme Ă©ducatif haĂŻtien a Ă©tĂ© posĂ©e avec la rĂ©forme Bernard de 1979, mise en veilleuse en 1987, et qui faisait du crĂ©ole langue d’enseignement et langue enseignĂ©e. Pour mieux la situer et en saisir les enjeux, il faut dans un premier temps comprendre en quoi consiste la notion de « didactisation ».

La dĂ©finition canonique de la « didactisation » renvoie Ă  un processus, Ă  la mise en Ɠuvre d’un dispositif comprenant plusieurs volets complĂ©mentaires et ciblant l’enseignement d’une matiĂšre, d’un corps d’idĂ©es ou d’une langue. Dans leurs travaux de recherche sur la didactique et l’enseignement des langues maternelle et seconde, des linguistes et didacticiens ont fourni d’utiles Ă©clairages sur la notion de « didactisation ». Ainsi, la linguiste-didacticienne RaphaĂ«le Fouillet l’expose en ces termes : « En quoi consiste la didactisation ? Intuitivement, on rĂ©pond que tout acte d’enseignement suppose un objet d’enseignement mis Ă  la portĂ©e de l’apprenant. Un mĂȘme savoir ne sera pas enseignĂ© de la mĂȘme façon suivant l’ñge ou l’importance de la discipline dans le cursus scolaire. Le mot didactisation est absent du Dictionnaire de didactique des langues (Galisson, Coste, 1976). En revanche, dans le Dictionnaire de didactique du français langue Ă©trangĂšre et seconde (Cuq, 2003 : 71), on en lit la dĂ©finition suivante : « La didactisation est l’opĂ©ration consistant Ă  transformer ou Ă  exploiter un document langagier brut pour en faire un objet d’enseignement. Ce processus implique gĂ©nĂ©ralement une analyse prĂ©didactique, d’essence linguistique, pour identifier ce qui peut ĂȘtre utile d’enseigner. » Cette dĂ©finition ne correspond pas Ă  l’opĂ©ration de transformation supposĂ©e dans le passage d’un savoir savant Ă  un savoir didactisĂ©, Ă  moins que l’on considĂšre un savoir sur la langue issu de la communautĂ© scientifique comme un « document langagier brut ». D’aprĂšs Bronckart et Chiss, le terme dĂ©signe le « fait de rendre didactique, appropriĂ© Ă  l’enseignement, Ă  la pĂ©dagogie ». Cette dĂ©finition plus ouverte nous permet de l’appliquer au cas de la transformation du savoir savant linguistique en savoir appropriĂ© Ă  l’enseignement d’une langue. On retient provisoirement que la didactisation indique un processus didactique : il concerne la mĂ©thodologie, le choix des contenus, leur organisation et les activitĂ©s proposĂ©es aux apprenants (RaphaĂ«le Fouillet : « Entre savoir savant et didactisation : le cas de l’article en français », Synergies France n° 122018 p. 67-83) Compte-tenu de la variĂ©tĂ© et du poids dĂ©mographique

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis des langues natives en Afrique, on notera que la dĂ©finition de la « didactisation » de Cuq (2003) est reprise, pour sa pertinence, par Diao Faye, de la FacultĂ© des Sciences et des technologies de l’éducation et de la formation, UniversitĂ© Cheikh Anta Diop de Dakar, dans le document intitulĂ© « Contributions Ă©crites et synthĂšses des ateliers du SĂ©minaire d’élaboration de matĂ©riaux pĂ©dagogiques sur le thĂšme de la didactisation du patrimoine oral africain : de l’enseignement prĂ©scolaire Ă  l’universitĂ© », Dakar, SĂ©nĂ©gal, mars 2010. Pour sa part, le linguiste haĂŻtien Renauld Govain prĂ©cise que la « didactisation » est « un processus qui s’appuie sur des procĂ©dĂ©s scientifiques (mais aussi sur des techniques particuliĂšres et contextuelles selon les caractĂ©ristiques du public cible, du milieu dans lequel l’enseignement/apprentissage doit avoir lieu, des objectifs visĂ©s, etc.) qui rendent la langue apte Ă  ĂȘtre enseignĂ©e selon une dĂ©marche qui minimise les risques de fuite dus Ă  une orientation alĂ©atoire du processus (...). Didactiser une langue, dans cette perspective, consistera en l’établissement d’une sĂ©rie de dĂ©marches ou dispositifs permettant de modĂ©liser son enseignement/apprentissage en situation formelle et institutionnelle afin de maximiser l’intervention d’un facilitateur (cĂŽtĂ© enseignement) et l’activitĂ© d’apprentissage (cĂŽtĂ© apprentissage) (Govain 2014, 14-15) » (voir Renauld Govain : « Le crĂ©ole haĂŻtien : de langue d’alphabĂ©tisation des adultes Ă  langue d’enseignement » (researchgate.net, 11 avril 2018 ; voir aussi un autre article de Renauld Govain, « De l’expression vernaculaire Ă  l’élaboration scientifique : le crĂ©ole haĂŻtien Ă  l’épreuve des reprĂ©sentations mĂ©ta-Ă©pilinguistiques » (revue Contextes et didactiques, 17 | 2021). Renauld Govain amplifie et approfondit la problĂ©matique de la didactisation du crĂ©ole dans un article de grande amplitude analytique rĂ©digĂ© en collaboration avec la linguiste Guerlande Bien-AimĂ©, « Pour une didactique du crĂ©ole haĂŻtien langue maternelle », paru dans livre collectif de rĂ©fĂ©rence « La didactisation du crĂ©ole au cƓur de l’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti », par Robert BerrouĂ«t-Oriol et alii, Éditions ZĂ©mĂšs, Port-au-Prince, et Éditions du Cidihca, MontrĂ©al, 2021.)

Par l’élaboration d’outils lexicographiques de grande qualitĂ© scientifique (dictionnaires, lexiques, vocabulaires spĂ©cialisĂ©s, glossaires), la lexicographie crĂ©ole saura Ă  l’avenir contribuer amplement Ă  la didactisation du crĂ©ole. Dans leur diversitĂ© et quant Ă  leur pertinence, les futurs chantiers lexicographiques crĂ©oles fourniront Ă  la didactisation du crĂ©ole un vaste Ă©ventail de termes crĂ©oles destinĂ©s Ă  dĂ©nommer les rĂ©alitĂ©s, les objets,

les idĂ©es, etc. Il faut toutefois rappeler que l’apport de la lexicographie crĂ©ole ne saurait se limiter Ă  la fourniture de termes Ă  la didactisation du crĂ©ole : en une dĂ©marche transversale et conjointe, il s’agira d’élaborer Ă  l’aide des outils de la lexicographie et de la didactique « un discours crĂ©ole savant » entendu au sens de l’établissement du « mĂ©talangage » dont a besoin le crĂ©ole pour ĂȘtre vĂ©ritablement didactisĂ©. Le « discours crĂ©ole savant » n’est pas celui des communications usuelles entre locuteurs dans la vie quotidienne, il fait plutĂŽt appel Ă  une combinatoire liant les termes aux idĂ©es et aux concepts, Ă  l’abstraction et aux diffĂ©rentes formes du raisonnement logique, Ă  la conceptualisation et Ă  la modĂ©lisation des corps d’idĂ©es. Le linguiste-lexicographe Albert Valdman Ă©claire rigoureusement la problĂ©matique du « mĂ©talangage » crĂ©ole de la maniĂšre suivante : « Le handicap le plus difficile Ă  surmonter dans l’élaboration d’un dictionnaire unilingue pour le CH [crĂ©ole haĂŻtien] est certainement l’absence d’un mĂ©talangage adĂ©quat. (...) Au fur et Ă  mesure que s’étend l’utilisation du CH [crĂ©ole haĂŻtien] aux domaines techniques, il se dotera d’un mĂ©talangage propre Ă  traiter de concepts de plus en plus abstraits. Dans l’attente de cette Ă©volution, la lexicographie bilingue peut affiner ses mĂ©thodes, sur plusieurs points : (1) la sĂ©lection de la nomenclature, (2) le recensement des variantes et le classement diatopique, diastratique et diaphasique des lexies, et (3) le choix des exemples illustratifs (...) » (Albert Valdman : « Vers la standardisation du crĂ©ole haĂŻtien », article paru dans la Revue française de linguistique appliquĂ©e, 2005 / 1, volume X).

Les donnĂ©es parcellaires disponibles au fil des ans attestent que la rĂ©flexion des enseignants et des linguistes sur l’amĂ©nagement et la « didactisation » du crĂ©ole dans le systĂšme Ă©ducatif haĂŻtien a Ă©tĂ© abordĂ©e de maniĂšre relativement neuve mais inaboutie dĂšs le dĂ©but des annĂ©es 1970, mais elle n’a toutefois pas fait l’objet de recherches systĂ©matiques ayant dĂ©bouchĂ© sur des articles scientifiques et une modĂ©lisation de la didactique du crĂ©ole. De la sorte, l’on peut difficilement soutenir qu’il existe en HaĂŻti une pensĂ©e didactique issue de la linguistique et modĂ©lisant l’apprentissage des connaissances et des savoirs en crĂ©ole. Sous rĂ©serve d’une future Ă©valuation des outils pĂ©dagogiques Ă©laborĂ©s et utilisĂ©s par l’IPN (Institut pĂ©dagogique national) en appui Ă  la rĂ©forme Bernard de 1979, on peut aujourd’hui Ă©mettre l’hypothĂšse que la « didactisation » du crĂ©ole dans le systĂšme Ă©ducatif haĂŻtien a prĂ©occupĂ© les concepteurs de cette rĂ©forme mais qu’elle n’a pas nĂ©cessairement dĂ©bouchĂ© sur l’élaboration d’une pensĂ©e

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis didactique modĂ©lisant l’apprentissage des connaissances et des savoirs en crĂ©ole. À l’appui de cette hypothĂšse, l’on retiendra la trĂšs grande raretĂ© des travaux de recherche et des publications scientifiques traitant de maniĂšre spĂ©cifique de la « didactisation » du crĂ©ole dans le systĂšme Ă©ducatif haĂŻtien. De la rĂ©forme Bernard de 1979 Ă  aujourd’hui, HaĂŻti n’a publiĂ© aucun travail de recherche universitaire, aucune thĂšse de troisiĂšme cycle, aucun livre consacrĂ© – exclusivement – Ă  la « didactisation » du crĂ©ole. Il faut donc prendre toute la mesure qu’il y a de lourdes carences thĂ©oriques et de vision sur la « didactisation » du crĂ©ole, et cette carence perdure en dĂ©pit de l’exemplaire travail effectuĂ© par un certain nombre d’enseignants de carriĂšre dans le domaine de l’enseignement des langues en HaĂŻti.

La « didactisation » du crĂ©ole dans le systĂšme Ă©ducatif haĂŻtien demeure donc trĂšs embryonnaire depuis la rĂ©forme Bernard de 1979. Toutefois, malgrĂ© les lourdes carences thĂ©oriques et de vision constatĂ©es, elle continue de prĂ©occuper plusieurs linguistes haĂŻtiens. Ainsi, elle est explicitement Ă©voquĂ©e par le linguiste Renauld Govain en ces termes : « Le crĂ©ole est officiellement introduit Ă  l’école haĂŻtienne en 1979. Son emploi dans le systĂšme Ă©ducatif n’a pas Ă©tĂ© facile. Il souffre encore d’un problĂšme de mĂ©thodes, de mĂ©thodologies et de « didactisation ». Ce problĂšme s’est davantage accentuĂ© avec la disparition en 1991 de l’IPN [Institut pĂ©dagogique national] chargĂ© de l’élaboration de matĂ©riels didactiques pour le systĂšme. Le crĂ©ole a Ă©tĂ© l’objet de rĂ©sistance et de rĂ©actions rĂ©fractaires et conservatrices de la part de l’ensemble des acteurs du systĂšme. Ces rĂ©sistances et rĂ©actions rĂ©fractaires concordent avec les reprĂ©sentations et idĂ©ologies collectives et les rĂ©sultats des actions de politique linguistique arrĂȘtĂ©es en HaĂŻti qui ne sont pas toujours en faveur de la langue. NĂ©anmoins, il a toujours Ă©tĂ© (et est) un facilitateur dans le processus d’enseignement et d’appropriation de connaissances Ă  tous les niveaux. Le cycle du nouveau secondaire dont l’expĂ©rimentation a dĂ©butĂ© en 2007 est venu prolonger l’enseignement-apprentissage de la langue sur tout le cycle scolaire. Mais la problĂ©matique de la didactique du crĂ©ole comme langue maternelle n’a pas Ă©tĂ© posĂ©e. Cela Ă©tant, on navigue encore dans des actions routiniĂšres qui ne sont pas Ă©clairĂ©es par des mĂ©thodes Ă©laborĂ©es mĂ»rement construites sur la base d’une dĂ©marche rĂ©flexive de nature Ă  rĂ©duire les chances de tĂątonnement qu’on constate actuellement dans l’enseignement / apprentissage du crĂ©ole Ă  l’école en HaĂŻti. »

(Renauld Govain : « L’état des lieux du crĂ©ole dans les Ă©tablissements scolaires en HaĂŻti », Contextes et didactiques, 4, 2014.)

L’analyse de Renauld Govain est d’une grande pertinence et il mentionne avec Ă -propos, en ce qui a trait Ă  la didactique du crĂ©ole, un « problĂšme de mĂ©thodes, de mĂ©thodologies et de « didactisation » ; et de maniĂšre prĂ©cise, il rappelle que « la problĂ©matique de la didactique du crĂ©ole comme langue maternelle n’a pas Ă©tĂ© posĂ©e » en amont et Ă  la mise en Ɠuvre de la rĂ©forme Bernard de 1979. La liste trĂšs partielle des publications de l’IPN (Institut pĂ©dagogique national) relevĂ©e sur le site WorldCat.org illustre ce « problĂšme de mĂ©thodes, de mĂ©thodologies et de « didactisation » et le fait que « la problĂ©matique de la didactique du crĂ©ole comme langue maternelle n’a pas Ă©tĂ© posĂ©e ».

Liste partielle des publications de l’IPN Ă©laborĂ©e au fil d’une ample recherche documentaire

– « La rĂ©forme Ă©ducative : Ă©lĂ©ments d’information »

Auteur : Institut pédagogique national (Haïti). Comité de curriculum.

DĂ©partement de l’éducation nationale. Direction de la planification.

Livre imprimé : publication gouvernementale nationale

Langue : français

Éditeur : DĂ©partement de l’éducation nationale, Port-au-Prince, [1982].

– « Le crĂ©ole en question »

Auteur : Institut pédagogique national (Haïti).

Livre imprimé : publication gouvernementale nationale

Langue : français

Éditeur : Institut pĂ©dagogique national, Port-au-Prince, HaĂŻti, [1979].

– « CrĂ©ole et enseignement primaire en HaĂŻti »

Auteur : Albert Valdman ; Institut pédagogique national (Haïti).

DĂ©partement de l’éducation nationale et Indiana University, Bloomington.

Livre imprimé : publication de conférence

Langue : français

Éditeur : Bloomington, Indiana University, 1980.

– « Konprann sa nou li : lekti 2Ăšm ane »

Auteurs : DĂ©partement de l’éducation nationale et Institut pĂ©dagogique national (HaĂŻti).

Livre imprimé

Langue : crĂ©ole d’HaĂŻti

Éditeur : H. Deschamps, Port-au-Prince, 1983.

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis

– « Konprann sa nou li. 3Ăšm ane »

Auteurs : DĂ©partement de l’éducation nationale et Institut pĂ©dagogique national (HaĂŻti) ;

Livre imprimé

Langue : crĂ©ole d’HaĂŻti

Éditeur : H. Deschamps, Port-au-Prince, 1984.

–

« Konprann sa nou li : lekti katriyÚm ane : liv elÚv »

Auteurs : DĂ©partement de l’éducation nationale et Institut pĂ©dagogique national (HaĂŻti) ;

Livre imprimé

Langue : crĂ©ole d’HaĂŻti

Éditeur : H. Deschamps, Port-au-Prince, Haïti, 1986.

– « CrĂ©ole et enseignement primaire en HaĂŻti : actes »

Auteurs : Albert Valdman, Yves Joseph, Joseph C Bernard. Livre imprimé : publication de conférence, publication gouvernementale

Langue : français

Éditeur : Indiana University et IPN, Bloomington, 1980.

– « GramĂš kreyĂČl : 4Ăšm ane : kaye elĂšv »

Auteurs : DĂ©partement de l’éducation nationale et Institut pĂ©dagogique national (HaĂŻti) ;

Livre imprimé

Langue : créole

Éditeur : Enstiti pedagojik nasyonal, Port-au-Prince, 1986.

– « Lekti kreyĂČl : 5Ăšm ak 6Ăšm ane : liv elĂšv »

Auteurs : DĂ©partement de l’éducation nationale et Institut pĂ©dagogique national (HaĂŻti) ; Livre imprimĂ©

Langue : crĂ©ole d’HaĂŻti

Éditeur : Depatman edikasyon nasyonal, Enstiti pedagojik nasyonal, Port-au-Prince, Haïti, [1986 ?].

L’étude de Renauld Govain, « L’état des lieux du crĂ©ole dans les Ă©tablissements scolaires en HaĂŻti », Contextes et didactiques, 4, 2014), ainsi que la consultation de la liste trĂšs partielle des publications de l’IPN montrent bien que l’introduction du crĂ©ole dans le systĂšme Ă©ducatif haĂŻtien en 1979 n’a pas fait l’objet d’une planification didactique spĂ©cifique, et encore moins d’études et de textes spĂ©cialisĂ©s sur la « didactisation » du crĂ©ole (voir nos articles « L’amĂ©nagement du crĂ©ole en HaĂŻti et la rĂ©forme Bernard de 1979 : le bilan exhaustif reste Ă  faire » (Le National, 16 mars 2021), et « De l’usage du crĂ©ole dans l’apprentissage scolaire en HaĂŻti : qu’en savons-nous vraiment ? », (Le National, 11 novembre 2021).

Aujourd’hui, la « didactisation » du crĂ©ole dans le systĂšme Ă©ducatif haĂŻtien n’est pas Ă  l’ordre du jour chez les dĂ©cideurs politiques et les administrateurs du ministĂšre de l’Éducation nationale dont la grande pauvretĂ© de la pensĂ©e linguistique est avĂ©rĂ©e (voir Ă  ce sujet notre article « Un « Plan dĂ©cennal d’éducation et de formation 2018 – 2028 » en HaĂŻti dĂ©nuĂ© d’une vĂ©ritable politique linguistique Ă©ducative », Le National, 31 octobre 2018). Quarante-quatre ans aprĂšs la rĂ©forme Bernard de 1979, la « didactisation » du crĂ©ole dans le systĂšme Ă©ducatif haĂŻtien demeure encore embryonnaire et elle doit affronter des obstacles structurels majeurs, comme nous l’avons montrĂ© dans notre article, « Le dĂ©fi de l’amĂ©nagement du crĂ©ole dans le systĂšme Ă©ducatif haĂŻtien » (Le National, 8 janvier 2020). Parmi les facteurs structurels objectifs qui entravent la gĂ©nĂ©ralisation de l’utilisation du crĂ©ole comme langue d’enseignement aux cycles primaire et secondaire, il faut mentionner la rarĂ©faction du matĂ©riel didactique de qualitĂ© en crĂ©ole. Quels sont les manuels d’enseignement du crĂ©ole et en crĂ©ole actuellement disponibles sur le marchĂ© du livre scolaire ? Par qui ont-ils Ă©tĂ© rĂ©digĂ©s ? Leurs auteurs sont-ils des linguistes-didacticiens ou des enseignants ayant acquis une formation spĂ©cifique en didactique des langues ? Ces ouvrages sont-ils au prĂ©alable Ă©valuĂ©s puis recommandĂ©s et/ou normalisĂ©s ? Si oui, par qui ? Le ministĂšre de l’Éducation nationale dispose-t-il de compĂ©tences spĂ©cifiques en didactique des langues l’habilitant Ă  recommander/normaliser ces ouvrages ? En HaĂŻti, l’enseignement en langue maternelle crĂ©ole et l’enseignement de la langue maternelle crĂ©ole bute en amont Ă  des obstacles majeurs : il est attestĂ© que peu d’enseignants haĂŻtiens sont dĂ©positaires d’une formation spĂ©cifique en didactique crĂ©ole. D’autre part, il existe une lourde constante, c’est l’absence de volontĂ© politique de l’État Ă  intervenir dans le domaine de l’amĂ©nagement linguistique couplĂ©e Ă  l’inexistence d’une politique linguistique Ă©ducative nationale issue de l’énoncĂ© de la politique linguistique que l’État est appelĂ© Ă  Ă©laborer et Ă  mettre en Ɠuvre conformĂ©ment Ă  la Constitution de 1987. En dehors d’une politique linguistique Ă©ducative nationale, il est peu probable que l’École haĂŻtienne soit en mesure d’assurer un enseignement de qualitĂ© en crĂ©ole. Il y a lieu de rappeler que les Ă©coles haĂŻtiennes sont financĂ©es et administrĂ©es Ă  hauteur de 20% par l’État et Ă  80% par le secteur privĂ© national et international.

Au jour d’aujourd’hui, il appartient aux linguistes et aux didacticiens, de concert avec des enseignants de carriĂšre, de mettre sur pied le vaste chantier de la « didactisation » du crĂ©ole dans le systĂšme Ă©ducatif haĂŻtien. Il s’agira d’une entreprise Ă  la fois linguistique et didactique Ă  mettre en Ɠuvre par la mutualisation des ressources professionnelles de la FacultĂ© de linguistique appliquĂ©e et de l’École normale supĂ©rieure. L’élaboration en amont d’une claire vision de la « didactisation » du crĂ©ole haĂŻtien est indispensable Ă  sa mise en route dans la perspective d’une Ă©cole de qualitĂ© fondĂ©e sur le respect des droits linguistiques des locuteurs. À l’instar de toutes les autres langues natives, le crĂ©ole haĂŻtien est appelĂ© Ă  Ă©voluer et Ă  prendre en charge la transmission des savoirs dans tous les domaines de connaissance dĂšs lors qu’il est « didactisĂ© ». Volet majeur de l’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti, la « didactisation » du crĂ©ole est une donnĂ©e historique incontournable : elle est, Ă  ce titre, une prioritĂ© Ă  laquelle le systĂšme Ă©ducatif national ne saurait se soustraire.

De la simultanĂ©itĂ© de l’amĂ©nagement du crĂ©ole et du français en HaĂŻti : un choix de sociĂ©tĂ© conforme Ă  la Constitution de 1987

Montréal, le 7 novembre 2022

Simultanéité :

« CaractĂšre de ce qui a lieu en mĂȘme temps » (Dictionnaire de l’AcadĂ©mie française) ; « Fait d’appartenir au mĂȘme acte, au mĂȘme ensemble ; fait de constituer un seul acte, un ensemble » (OrtolangDictionnaire du Centre national de ressources textuelles et lexicales de France).

Toute sociĂ©tĂ©, tout pouvoir public, toute instance rĂ©galienne qui intervient dans le domaine de l’amĂ©nagement des langues le fait Ă  partir de paramĂštres historiques, d’une vision de la configuration linguistique au sein d’une communautĂ© de locuteurs ou des rapports entre plusieurs langues sur un territoire donnĂ©. Dans tous les cas de figure, il s’agit d’un choix de sociĂ©tĂ©, d’un parti-pris amĂ©nagiste oĂč s’agrĂšgent le politique, l’idĂ©ologique, le social et l’Histoire. Le rĂ©putĂ© site du sociolinguiste quĂ©bĂ©cois Jacques Leclerc, « L’amĂ©nagement linguistique dans le monde », consigne la description des « situations et politiques particuliĂšres de 400 États ou territoires [ou rĂ©gions] rĂ©partis dans les 195 pays (reconnus) du monde ». Il exemplifie diffĂ©rents types de politique linguistique : politiques d’assimilation, de non-intervention, de valorisation de la langue officielle, de multilinguisme stratĂ©gique, d’internationalisation linguistique, de bilinguisme (ou de trilinguisme), de statut juridique diffĂ©renciĂ© (fondĂ© sur les droits personnels sans limite territoriale ou sur les droits personnels territorialisĂ©s, ou sur les droits territoriaux). L’une des grandes qualitĂ©s informatives de ce site est de prĂ©senter un descriptif des « Dispositions linguistiques des constitutions des États souverains », et le lecteur curieux sera sans doute surpris de constater qu’un grand nombre d’États souverains ont inscrit des dispositions linguistiques diverses dans leur Loi-mĂšre,

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis de l’Afrique du Sud Ă  l’Angola, d’Antigua-et-Barbuda Ă  l’Argentine, du BĂ©nin au Burkina Faso, du Canada Ă  la Chine, de la Dominique Ă  l’Espagne, etc.

Au chapitre des « Dispositions linguistiques des constitutions des États souverains », l’exemple de l’Afrique du Sud est fort instructif. L’actuelle Constitution du 4 dĂ©cembre 1996 (entrĂ©e en vigueur le 4 fĂ©vrier 1997) dispose ce qui suit Ă  l’article 6 :

1) Les langues officielles de la RĂ©publique sont le sepedi, le sotho, le tswana, le swati, le venda, le tsonga, l’afrikaans, l’anglais, le ndĂ©bĂ©lĂ©, le xhosa et le zoulou.

2) Reconnaissant que les langues indigĂšnes de notre peuple ont connu, par le passĂ© une utilisation et un statut amoindris, l’État doit, par des mesures concrĂštes et positives, amĂ©liorer le statut et dĂ©velopper l’utilisation de ces langues.

3) Le gouvernement national et les gouvernements provinciaux peuvent utiliser l’une des langues officielles particuliĂšres Ă  des fins administratives, en tenant compte de l’usage, de la faisabilitĂ©, des coĂ»ts, de la situation rĂ©gionale et en respectant l’équilibre entre les besoins et les prĂ©fĂ©rences de la population, aux niveaux national et provincial ; mais le gouvernement national et chaque gouvernement rĂ©gional doivent utiliser au moins deux langues officielles. Les municipalitĂ©s doivent prendre en considĂ©ration l’usage de la langue et des prĂ©fĂ©rences de leurs citoyens.

4) Il incombe au gouvernement national et aux gouvernements provinciaux de rĂ©glementer et de contrĂŽler, Ă  travers des dispositions juridiques ou autres, l’utilisation des langues officielles. Sous rĂ©serve des dispositions du paragraphe 2, toutes les langues officielles doivent jouir d’une paritĂ© de considĂ©ration et faire l’objet d’un traitement Ă©quitable.

5) Le Grand Conseil sud-africain des langues est chargĂ© : (a) de promouvoir et crĂ©er des conditions pour le dĂ©veloppement et l’usage de : (i) toutes les langues officielles ; (ii) des langues khoĂŻ, nama et san ; et (iii) de la langue des signes.

(b) de promouvoir et assurer le respect pour les langues, incluant l’allemand, le grec, le gudjarati, l’hindi, le portugais, le tamoul, le tĂ©lougou, l’ourdou et d’autres langues gĂ©nĂ©ralement employĂ©es par des communautĂ©s en Afrique du Sud, ainsi que l’arabe, l’hĂ©breu, le sanskrit et d’autres utilisĂ©es Ă  des fins religieuses. » (Jacques Leclerc : « L’amĂ©nagement linguistique dans le monde »).

En termes de synthĂšse, il est utile de noter que de telles dispositions jurilinguistiques dans la Constitution de l’Afrique du Sud sont des dispositions contraignantes car « Il incombe au gouvernement national et aux gouvernements provinciaux de rĂ©glementer et de contrĂŽler, Ă  travers des dispositions juridiques ou autres, l’utilisation des langues officielles » (article 6. 4). À l’avenir, un bilan analytique devra permettre d’établir si ces dispositions constitutionnelles ont Ă©tĂ© effectivement mises en Ɠuvre.

La dimension juridique et constitutionnelle de l’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti a Ă©tĂ© trĂšs peu Ă©tudiĂ©e depuis la promulgation de la Constitution de 1987. Les constitutionnalistes haĂŻtiens – juristes confirmĂ©s ou « spĂ©cialistes » autoproclamĂ©s du domaine juridico-constitutionnel –, n’ont pas encore produit d’études de rĂ©fĂ©rence sur la dimension juridique et constitutionnelle de l’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti. Ainsi, Mirlande Manigat a soutenu Ă  la Sorbonne en 1968 une brillante thĂšse de doctorat en science politique – et non pas en droit constitutionnel –, intitulĂ©e « Le groupe de Brazzaville aux Nations Unies » sous la direction de Pierre Gerbet, historien et auteur notamment du « Dictionnaire historique de l’Europe unie » (Éditions AndrĂ© Versaille, 2009). Quoique dĂ©pourvue de toute formation universitaire avĂ©rĂ©e en droit constitutionnel, Mirlande Manigat est considĂ©rĂ©e, en HaĂŻti, comme l’un des meilleurs experts constitutionnalistes du pays. Elle a publiĂ© entre autres un « TraitĂ© de droit constitutionnel haĂŻtien » (une analyse comparative des vingt-deux constitutions haĂŻtiennes, en deux volumes, l’Imprimeur II, Collection de l’UniversitĂ© Quisqueya, 2000 et 2002), ainsi qu’un « Manuel de droit constitutionnel » (l’Imprimeur II, Collection de l’UniversitĂ© Quisqueya, 2004). Ces publications n’ont pas pris en compte la problĂ©matique de la dimension juridique et constitutionnelle de l’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti. C’est plutĂŽt dans un texte du 8 mai 2011 traitant de la rĂ©vision constitutionnelle –entamĂ©e en 2009 par l’ancien prĂ©sident RenĂ© PrĂ©val–, et titrĂ© « L’amendement de la Constitution de 1987 : les leçons du passĂ©, le poids du prĂ©sent », que Mirlande Manigat se prononce sur ce qu’elle croit ĂȘtre, de maniĂšre confuse il faut le souligner, la « dualitĂ© linguistique proclamĂ©e dans la Constitution » haĂŻtienne. Au paragraphe « ProblĂšme de la langue en HaĂŻti » de son texte, elle expose que « S’agissant d’une opĂ©ration concernant la Loi-mĂšre, on s’étonne que l’un et l’autre texte n’aient pas respectĂ© la dualitĂ© linguistique proclamĂ©e dans la Constitution ». Dans la lettre ouverte que nous lui avons adressĂ©e Ă  l’époque,

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis

« Les acrobaties sĂ©mantiques de Mirlande Manigat sont un danger pour l’amĂ©nagement du crĂ©ole haĂŻtien » (Potomitan, 8 mai 2011), nous avons soulignĂ© le caractĂšre fantaisiste de la notion de « dualitĂ© linguistique » haĂŻtienne et nous avons dĂ©montrĂ© que la Constitution de 1987, en co-officialisant Ă  l’article 5 le crĂ©ole et le français, n’atteste aucunement cette prĂ©tendue « dualitĂ© linguistique ».

En dĂ©pit de cette lourde confusion conceptuelle – la « dualitĂ© linguistique » haĂŻtienne –, l’article de Mirlande Manigat comprend des observations d’une Ă©vidente justesse, notamment lorsqu’elle expose qu’« Il convient de souligner que l’opĂ©ration [la rĂ©vision constitutionnelle] a Ă©tĂ© substantiellement bĂąclĂ©e, remplie d’incohĂ©rence et traduit le manque de sĂ©rieux avec lequel les parlementaires ont expĂ©diĂ© la premiĂšre phase de la procĂ©dure. De toute Ă©vidence, ils n’avaient ni lu ni analysĂ© le document acheminĂ© le 4 septembre par l’ExĂ©cutif et qui reprenait l’essentiel du travail soumis le 10 juillet par le Groupe de travail sur la Constitution, le GTC, prĂ©sidĂ© par mon Ă©minent ami Claude MoĂŻse et dont les membres comptent parmi les personnalitĂ©s du monde acadĂ©mique et de la sociĂ©tĂ© civile. » Elle prĂ©cise Ă©galement que « (...) l’article 40 [de la Constitution de 1987] fait obligation Ă  l’État de publier tous les documents officiels en français et en crĂ©ole. Cette omission ne frappe pas pour autant de caducitĂ© substantielle celui en examen, mais elle souligne la lĂ©gĂšretĂ© avec laquelle les dĂ©tenteurs du pouvoir d’État font fi des exigences les plus Ă©lĂ©mentaires de la gouvernance normative. De maniĂšre fondamentale, il faut souligner que l’absence d’une version crĂ©ole rendrait inopĂ©rante l’immense majoritĂ© des dĂ©cisions exĂ©cutives et judiciaires adoptĂ©es dans le pays depuis 24 ans. De ce dernier point de vue, la question en discussion est l’acceptation d’une version unilingue. »

La rĂ©futation de la notion fantaisiste de « dualitĂ© linguistique » haĂŻtienne exposĂ©e par Mirlande Manigat prend Ă©galement appui sur d’autres acquis de nature jurilinguistique et politique mis en lumiĂšre par certains auteurs. Dans une Ă©tude d’une grande amplitude analytique, « Lingua politica / RĂ©flexions sur l’égalitĂ© linguistique » (Le Philosophoire 2012/1 (n° 37), Astrid von Busekist – agrĂ©gĂ©e de science politique, professeur de thĂ©orie politique et directrice du Master de thĂ©orie politique Ă  l’Institut d’études politiques de Paris (Science Po Paris) –, nous instruit de la congruence (la conformitĂ©) existant entre l’égalitĂ© linguistique, l’égalitĂ© de statut

des langues et « l’invention de la dĂ©mocratie » Ă  l’aune de la constitution de l’État de droit. Elle prĂ©cise sa pensĂ©e comme suit : « Cette Ă©galitĂ© a marquĂ© l’histoire de notre rapport Ă  la langue de trois maniĂšres en inaugurant l’égalitĂ© de parole des citoyens ; en inspirant l’égalitĂ© des individus-locuteurs dans un monde plurilingue ; en faisant de l’égalitĂ© des langues elles-mĂȘmes une exigence de dĂ©mocratie. » C’est prĂ©cisĂ©ment « l’égalitĂ© de parole des citoyens » que garantit l’article 5 de la Constitution de 1987 : l’égalitĂ© de parole est en lien direct et essentiel avec tous les droits citoyens consignĂ©s dans la Loi-mĂšre, elle est soudĂ©e au socle de l’égalitĂ© des langues et au statut officiel con-joint du crĂ©ole et du français. Sur ce registre jurilinguistique, la Constitution de 1987 innove : elle accorde un statut Ă©gal et paritaire aux deux langues tout en consignant la volontĂ© de la mise hors-jeu de la minorisation institutionnelle du crĂ©ole dĂšs l’énoncĂ© de son « PrĂ©ambule ». Ainsi, la Charte fondamentale se rĂ©clame de l’Acte de l’IndĂ©pendance de 1804 et de la DĂ©claration universelle des droits de l’homme de 1948, et elle est proclamĂ©e « Pour fortifier l’unitĂ© nationale, en Ă©liminant toutes discriminations entre les populations des villes et des campagnes, par l’acceptation de la communautĂ© de langues et de culture et par la reconnaissance du droit au progrĂšs, Ă  l’information, Ă  l’éducation, Ă  la santĂ©, au travail et au loisir pour tous les citoyens. »

En dĂ©pit de la trĂšs grande raretĂ© d’études de nature jurilinguistique sur l’amĂ©nagement des langues en HaĂŻti, nous disposons de deux remarquables Ă©tudes du juriste Alain Guillaume, docteur en droit et enseignant-chercheur Ă  l’UniversitĂ© Quisqueya. La premiĂšre contribution s’intitule « L’expression crĂ©ole du droit : une voie pour la rĂ©duction de la fracture juridique en HaĂŻti » (Revue française de linguistique appliquĂ©e, 2011/1, vol. XVI). Dans ce texte de haute amplitude analytique, Alain Guillaume prĂ©cise que « DĂšs la naissance de l’État haĂŻtien, le droit substantiel s’est rĂ©vĂ©lĂ© une superstructure au service d’un ordre social inĂ©galitaire. Conscient de l’iniquitĂ© de la situation, l’ordre constitutionnel Ă©tabli en 1987 s’est voulu le catalyseur du changement nĂ©cessaire dans une perspective politiquement libĂ©rale et selon une dĂ©marche inclusive. Le projet d’amĂ©nagement linguistique qu’il vĂ©hicule est trĂšs favorable au crĂ©ole dont l’officialitĂ© et le caractĂšre de « langue d’union » sont consacrĂ©s. Cependant, la mise en Ɠuvre concrĂšte de ce projet tarde Ă  se rĂ©aliser pour des raisons diverses. Elle implique en effet la disponibilitĂ© de moyens difficiles Ă  mobiliser et un engagement vĂ©ritable des pouvoirs publics. Émerge

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis donc une nouvelle dichotomie entre un droit constitutionnel libĂ©ral et des pratiques qui le sont moins, notamment au niveau de la formulation des actes normatifs infra-constitutionnels. » De maniĂšre fort pertinente, Alain Guillaune note que « La sociĂ©tĂ© haĂŻtienne est marquĂ©e par toute une sĂ©rie de dichotomies qui se manifestent au niveau du droit Ă  travers un bilinguisme inĂ©galitaire et une forme particuliĂšre de bi-juridisme. L’intĂ©gration juridique de la Nation passe par l’expression crĂ©ole du droit et la prise en compte, dans le droit Ă©crit, des normes coutumiĂšres, dĂ©marches complĂ©mentaires susceptibles d’enrichir le droit substantiel haĂŻtien, mais dont la mise en Ɠuvre se rĂ©vĂšle complexe. »

La seconde contribution majeure d’Alain Guillaume a pour titre « Pour un encadrement juridique de la didactisation du crĂ©ole en HaĂŻti - Approche de droit comparĂ© », et elle figure dans le livre collectif de rĂ©fĂ©rence « La didactisation du crĂ©ole au cƓur de l’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti » (par Robert BerrouĂ«t-Oriol et al., Éditions ZĂ©mĂšs et Éditions du Cidihca, 2021). Dans cette Ă©tude, Alain Guillaume expose avec rigueur que « Le dispositif [lĂ©gislatif] actuel est largement insuffisant puisque les textes supra-lĂ©gislatifs, mĂȘme en vigueur, ne se suffisent pas Ă  eux-mĂȘmes pour produire des effets de droit. Leur application consiste, en grande partie, en l’édiction de textes infĂ©rieurs destinĂ©s Ă  concrĂ©tiser leurs prescriptions. Il y a lieu, pour se conformer aux prescriptions constitutionnelles et aux revendications qu’elles charrient, que soit formulĂ©e une glottopolitique intĂ©gratrice qui serait traduite par une grande lĂ©gislation linguistique et diffĂ©rentes lĂ©gislations sectorielles dont l’application serait assurĂ©e par des actes rĂ©glementaires. En effet, la Constitution n’est censĂ©e exprimer que les grands principes gouvernant l’action publique. Le Pouvoir lĂ©gislatif, Ă  travers les lois, est appelĂ© Ă  les prĂ©ciser –quitte Ă  renvoyer au Pouvoir rĂ©glementaire, Ă  travers les arrĂȘtĂ©s de l’article 159 de la Constitution, pour la dĂ©finition des dĂ©tails de l’application quotidienne desdites lois. (...) La rĂ©alitĂ© sociolinguistique d’HaĂŻti ne permet pas d’en faire un État-nation monolingue en niant l’existence et l’importance du crĂ©ole ou en le relĂ©guant dans un statut social marginal ou dans des registres strictement informels. Cette situation oblige les autoritĂ©s du pays, dans une perspective dĂ©mocratique, Ă  adopter une lĂ©gislation et une politique linguistiques plus ambitieuses que dans la plupart des pays et territoires de la CrĂ©olophonie. Le cadre juridique des langues en HaĂŻti ne peut ĂȘtre qu’original et innovant par rapport aux États et territoires des CaraĂŻbes et

de l’OcĂ©an indien, du fait de la singularitĂ© de la situation sociale haĂŻtienne. Il serait difficilement concevable, dans le contexte haĂŻtien, de viser la maitrise de la seconde langue ou d’une autre langue par la majoritĂ© de la population, sans passer par une valorisation du crĂ©ole et surtout sa didactisation. »

Le titre mĂȘme du prĂ©sent article, « De la simultanĂ©itĂ© de l’amĂ©nagement du crĂ©ole et du français en HaĂŻti : un choix de sociĂ©tĂ© conforme Ă  la Constitution de 1987 », ramĂšne au dĂ©bat public la nĂ©cessitĂ© d’approfondir, sur le plan jurilinguistique, les dĂ©fis actuels de l’État haĂŻtien en matiĂšre d’amĂ©nagement de nos deux langues officielles. En confĂ©rant Ă  l’article 5 un statut Ă©gal et paritaire aux deux langues officielles du pays, le crĂ©ole et le français, le texte constitutionnel induit l’obligation de simultanĂ©itĂ© dans la mise en Ɠuvre de leur amĂ©nagement . La mĂȘme obligation constitutionnelle est explicitement contenue dans l’article 40 de notre Charte fondamentale qui fait obligation Ă  l’État de publier tous ses documents officiels en français et en crĂ©ole.

L’obligation de simultanĂ©itĂ© dans la mise en Ɠuvre de l’amĂ©nagement du crĂ©ole et du français en HaĂŻti est parfois mal comprise ou volontairement ignorĂ©e sinon dĂ©tournĂ©e par certains. L’obligation de simultanĂ©itĂ© est fondĂ©e sur le plan jurilinguistique puisque, dans les termes mĂȘmes de l’article 5 de la Constitution de 1987, la co-officialitĂ© des deux langues est consignĂ©e en dehors de toute hiĂ©rarchisation prĂ©fĂ©rentielle explicite. L’article 5 articule en effet deux pĂŽles constitutifs liĂ©s Ă  la rĂ©alitĂ© de notre patrimoine linguistique historique bilingue : le pĂŽle intĂ©grateur de l’inclusion Ă  l’aune de l’unitĂ© (« Tous les HaĂŻtiens sont unis par une langue commune : le crĂ©ole), et le pĂŽle de « l’acceptation de la communautĂ© de langues et de culture » spĂ©cifiĂ© au « PrĂ©ambule » de la Constitution. Dans le segment « l’acceptation de la communautĂ© de langues et de culture », le terme « langueS » est Ă©crit au pluriel Ă  la suite du terme « LA communautĂ© » consignĂ© au singulier : l’AssemblĂ©e constituante de 1987 a procĂ©dĂ© Ă  une lecture adĂ©quate et conforme de la rĂ©alitĂ© historique et trĂšs justement statuĂ© que par « l’acceptation de LA communautĂ© de langueS et de culture », sur l’ensemble du territoire national « Le crĂ©ole et le français sont les langues officielles de la RĂ©publique ». L’obligation de simultanĂ©itĂ© de l’amĂ©nagement du crĂ©ole et du français en HaĂŻti repose donc Ă©galement sur la fonction intĂ©gratrice du partenariat entre le crĂ©ole et

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis le français, partenariat qui devra ĂȘtre explicitement formulĂ© dans la future et premiĂšre Loi d’amĂ©nagement linguistique d’HaĂŻti et dans toute rĂ©vision constitutionnelle conduite sur des bases cohĂ©rentes et juridiquement fondĂ©es (voir notre article « Partenariat crĂ©ole/français – Plaidoyer pour un bilinguisme de l’équitĂ© des droits linguistiques en HaĂŻti », Le National, 7 novembre 2019). La simultanĂ©itĂ© de l’amĂ©nagement du crĂ©ole et du français en HaĂŻti, Ă  travers son encadrement juridique, permettra aussi d’éviter l’enfermement du processus amĂ©nagiste dans une vision sectaire et dogmatique basĂ©e sur l’exclusion de l’une des deux langues officielles, le français. C’est le lieu de dire une fois de plus que toute proposition d’amĂ©nager uniquement le crĂ©ole, en particulier dans le systĂšme Ă©ducatif national, est objectivement inconstitutionnelle et contraire Ă  l’esprit et Ă  la lettre de l’article 5 de la Constitution de 1987 (voir nos articles « Faut-il exclure le français de l’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti ? », Le National, 20 et 31 aoĂ»t 2017 ; et « L’amĂ©nagement simultanĂ© du crĂ©ole et du français en HaĂŻti, une perspective constitutionnelle et rassembleuse », Le National, 24 novembre 2020).

Il faut aussi prendre toute la mesure que notre Charte fondamentale se rĂ©clame de l’Acte de l’IndĂ©pendance de 1804 et de la DĂ©claration universelle des droits de l’homme de 1948 et qu’elle a Ă©tĂ© promulguĂ©e en 1987 aprĂšs la dĂ©faite en 1986 de la dictature de Jean Claude Duvalier. Comme le prĂ©cise son « PrĂ©ambule », elle a Ă©tĂ© proclamĂ©e « Pour fortifier l’unitĂ© nationale, en Ă©liminant toutes discriminations entre les populations des villes et des campagnes, par l’acceptation de la communautĂ© de langues et de culture et par la reconnaissance du droit au progrĂšs, Ă  l’information, Ă  l’éducation, Ă  la santĂ©, au travail et au loisir pour tous les citoyens ». Ce « PrĂ©ambule » situe la question linguistique haĂŻtienne dans la perspective de la construction d’un État de droit car il s’agit, comme le consigne le texte constitutionnel, de « fortifier l’unitĂ© nationale, en Ă©liminant toutes discriminations entre les populations des villes et des campagnes ». Se trouve ainsi confortĂ©e la dimension inclusive de l’amĂ©nagement simultanĂ© des deux langues officielles du pays – et il faut ici mettre en lumiĂšre une contrainte anti discriminatoire de premier plan, Ă  savoir que le texte constitutionnel interdit « toutes discriminations entre les populations des villes et des campagnes », au premier chef toutes les formes de discrimination touchant le crĂ©ole et le français.

L’obligation de simultanĂ©itĂ© dans la mise en Ɠuvre de l’amĂ©nagement du crĂ©ole et du français en HaĂŻti est Ă©galement conforme Ă  la DĂ©claration universelle des droits linguistiques de 1996 et au Manifeste de GĂ©rone sur les droits linguistiques adoptĂ© le 13 mai 2011. Comme nous l’avons explicitĂ© dans le livre collectif de rĂ©fĂ©rence « L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti : enjeux, dĂ©fis et propositions » (par Robert BerrouĂ«t-Oriol et al., Éditions de l’UniversitĂ© d’État d’HaĂŻti et Éditions du Cidihca, 2011), l’amĂ©nagement simultanĂ© du crĂ©ole et du français en HaĂŻti s’arrime Ă  la notion fondamentale de « droits linguistiques » dans leur universalitĂ©. On entend par « droits linguistiques » l’« Ensemble des droits fondamentaux dont disposent les membres d’une communautĂ© linguistique tels que le droit Ă  l’usage privĂ© et public de leur langue, le droit Ă  une prĂ©sence Ă©quitable de leur langue dans les moyens de communication et le droit d’ĂȘtre accueilli dans leur langue dans les organismes officiels » (Gouvernement du QuĂ©bec, ThĂ©saurus de l’action gouvernementale, 2017). L’universalitĂ© des « droits linguistiques » s’entend au sens du « droit Ă  la langue », du « droit Ă  la langue maternelle » et de « l’équitĂ© des droits linguistiques ». En fonction du principe que les droits linguistiques sont Ă  la fois individuels et collectifs, l’universalitĂ© des « droits linguistiques » recouvre (1) le droit d’une communautĂ© linguistique Ă  l’enseignement de sa langue maternelle et de sa culture ; (2) le droit d’une communautĂ© de locuteurs Ă  une prĂ©sence Ă©quitable de sa langue maternelle et de sa culture dans les mĂ©dias ; (3) le droit pour chaque membre d’une communautĂ© linguistique de se voir rĂ©pondre dans sa propre langue dans ses relations avec les pouvoirs publics et dans les institutions socioĂ©conomiques. En lien avec la simultanĂ©itĂ© de l’amĂ©nagement du crĂ©ole et du français en HaĂŻti, l’un des enseignements essentiels de la DĂ©claration universelle des droits linguistiques de 1996 et du Manifeste de GĂ©rone sur les droits linguistiques est le caractĂšre inclusif que doit avoir tout projet d’amĂ©nagement linguistique fondĂ©, comme nous en faisons le plaidoyer depuis 2011, sur l’efficience des droits linguistiques. Pareil arrimage jurilinguistique doit ĂȘtre garant du caractĂšre nĂ©cessairement inclusif de la future politique d’État d’amĂ©nagement simultanĂ© de nos deux langues officielles et il permettra de ne pas se fourvoyer sous les dĂ©combres des homĂ©lies sectaires et dogmatiques des Ayatollahs du crĂ©ole et des divers prĂ©dicateurs de l’unilinguisme crĂ©ole en HaĂŻti.

Dans une sĂ©rie d’articles spĂ©cialisĂ©s parus sur le site de l’Observatoire international des droits linguistiques, « L’État et les droits linguistiques », le juriste Graham Fraser soutient avec rigueur et hauteur de vue que « Les droits linguistiques sont plus que des moyens de protection : ce sont aussi des outils de transformation qui permettent aux citoyens (...) de fonctionner en tant que membres Ă  part entiĂšre de la sociĂ©tĂ©. Ainsi, les droits linguistiques sont, Ă  n’en pas douter, des droits individuels, mais ils n’acquiĂšrent leur plein sens que dans le contexte de la communautĂ© linguistique dont fait partie la personne qui les revendique. » (Revue de droit linguistique 5 / 1, 2018.) Il prĂ©cise Ă©galement que « Les droits linguistiques ne sont pas des droits nĂ©gatifs, ni des droits passifs ; ils ne peuvent ĂȘtre exercĂ©s que si les moyens en sont fournis. Cela concorde avec l’idĂ©e prĂ©conisĂ©e en droit international que la libertĂ© de choisir est dĂ©nuĂ©e de sens en l’absence d’un devoir de l’État de prendre des mesures positives pour mettre en application des garanties linguistiques (...) » – Sur la notion centrale de droits linguistiques, voir l’article synthĂšse du linguiste Giovanni Agresti, « Droits linguistiques », paru dans la revue Langage et sociĂ©tĂ©, 2021/HS1 (Hors-sĂ©rie pages 115 Ă  118) ; voir aussi la remarquable Ă©tude du juriste Joseph-G. Turi « Le droit linguistique et les droits linguistiques » consignĂ©e dans Les Cahiers de droit de l’UniversitĂ© Laval, volume 31, numĂ©ro 2, 1990.)

En guise de conclusion et dans la perspective d’un bilinguisme de l’équitĂ© des droits linguistiques en HaĂŻti, nous formulons l’hypothĂšse que les juristes et constitutionnalistes haĂŻtiens, de concert avec la Cour de cassation, s’accordent pour instituer une rĂ©flexion de fond sur l’amĂ©nagement simultanĂ© du crĂ©ole et du français au pays, rĂ©flexion qui s’avĂšre aujourd’hui incontournable. Cette hypothĂšse mĂ©rite d’autant plus d’ĂȘtre Ă©tudiĂ©e que la Cour de cassation est la plus haute cour de justice de la RĂ©publique d’HaĂŻti et le tribunal de dernier ressort. Elle est chargĂ©e de veiller Ă  la plus stricte observation des lois en vigueur. Elle joue le rĂŽle de Conseil supĂ©rieur de la magistrature et, par exception, de Cour constitutionnelle. À ce titre, elle pourrait envisager d’élaborer une jurisprudence innovante sur l’amĂ©nagement simultanĂ© du crĂ©ole et du français en HaĂŻti.

Le partenariat crĂ©ole-français, l’unique voie constitutionnelle et rassembleuse en HaĂŻti

Montréal, le 14 mars 2023

« Cohabitation des langues et politique linguistique / La notion de « langue partenaire » est le titre de l’ouvrage publiĂ© au cours du mois de novembre 2015 par la DĂ©lĂ©gation Ă  la langue française de Suisse. Cette publication de 198 pages regroupe les actes du sĂ©minaire « Le concept de “langue partenaire” et ses consĂ©quences pour une politique intĂ©grĂ©e du français » organisĂ© Ă  ChampĂ©ry (Suisse) les 6 et 7 novembre 2014 par le rĂ©seau OPALE. Depuis plusieurs annĂ©es, le rĂ©seau OPALE regroupe les organismes francophones de politique et d’amĂ©nagement linguistiques suivants : (1) le Service de la langue française et le Conseil de la langue française et de politique linguistique de la FĂ©dĂ©ration Wallonie-Bruxelles ; (2) la DĂ©lĂ©gation gĂ©nĂ©rale Ă  la langue française et aux langues de France ; (3) le Conseil supĂ©rieur de la langue française, l’Office quĂ©bĂ©cois de la langue française et le SecrĂ©tariat Ă  la politique linguistique du QuĂ©bec ; et (4) la DĂ©lĂ©gation Ă  la langue française de Suisse romande. Les auteurs des contributions rĂ©unies dans ce volume proviennent de diverses rĂ©gions de la Francophonie (Belgique, CĂŽte d’Ivoire, France, Gabon, QuĂ©bec, Suisse). Ils sont enseignants-chercheurs et spĂ©cialistes de diffĂ©rents domaines de la linguistique ou de domaines liĂ©s : philologie, sociolinguistique, linguistique cognitive, contact des langues, didactique des langues, sĂ©miotique, dialectologie, anthropologie linguistique, sciences de l’éducation, lexicographie francophone et politique linguistique Ă©ducative. Au cours des ans, plusieurs de ces spĂ©cialistes ont collaborĂ© avec le CIRAL (le Centre international de recherche en amĂ©nagement linguistique) et le RINT (le RĂ©seau international de nĂ©ologie et de terminologie) qui a accueilli HaĂŻti parmi ses membres en 1989.

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis

La problĂ©matique de la cohabitation des langues a Ă©tĂ© diversement Ă©tudiĂ©e par les linguistes et les sociolinguistes. Le lecteur curieux d’explorer cette problĂ©matique pourra consulter, entre autres, les rĂ©fĂ©rences suivantes : « Les langues en contact », par Louis-Jean Calvet (La sociolinguistique, 2013) ; « Plurilinguisme, contact ou conflit de langues », par Henri Boyer (L’Harmattan, 2000) ; « Sociolinguistique des contacts de langues / Un domaine en plein essor », par Jacky Simonin et Sylvie Wharton, dans « Sociolinguistique du contact : Dictionnaire des termes et concepts » (Lyon : ENS Éditions, 2013) ; « Contacts de langues, politiques linguistiques et formes d'intervention », par VĂ©ronique Castellotti, Daniel Coste, Diana-Lee Simon, dans « Contacts de langues » (L’Harmattan, 2003) ; Robert Chaudenson et Louis-Jean Calvet : « Les langues dans l’espace francophone : de la coexistence au partenariat », L’Harmattan, 2001.

Le livre « Cohabitation des langues et politique linguistique / La notion de « langue partenaire » consigne et fournit, au creux des sciences du langage, un Ă©clairage variĂ© sur la problĂ©matique de la cohabitation des langues et la politique linguistique en lien avec la notion centrale de langue partenaire. Sur ce registre, les prĂ©cieux enseignements qu’expose ce livre mĂ©ritent d’ĂȘtre partagĂ©s avec les linguistes et les enseignants haĂŻtiens, avec les didacticiens et les rĂ©dacteurs de manuels scolaires, avec les cadres du ministĂšre de l’Éducation nationale et plus gĂ©nĂ©ralement avec tous ceux qui s’intĂ©ressent Ă  la question linguistique en HaĂŻti.

La vision centrale qui sert de fil conducteur au livre « Cohabitation des langues et politique linguistique / La notion de « langue partenaire » s’arrime fortement aux sciences du langage et il est essentiel de prendre toute la mesure qu’elle n’est pas un discours idĂ©ologique sur la langue. Le choix des termes « cohabitation » et « langue partenaire » du titre n’est pas fortuit, il consigne et Ă©claire le dispositif d’une rĂ©flexion de nature linguistique qui a cours parmi les linguistes Ă©tudiant le phĂ©nomĂšne de la cohabitation des langues dans la Francophonie institutionnelle, et cette rĂ©flexion privilĂ©gie le partenariat entre les langues plutĂŽt que la manichĂ©enne conception qui enferme les rapports entre les langues dans l’étroit pĂ©rimĂštre de la prĂ©tendue « guerre des langues ». La linguistique en tant que science n’a jamais thĂ©orisĂ© la « supĂ©rioritĂ© » d’une langue au regard de l’« infĂ©rioritĂ© » d’une autre langue : la science linguistique dĂ©crit les langues sur le registre de leur Ă©galitĂ© structurelle de fait et sur celui

de leur diversitĂ© non hiĂ©rarchisĂ©e. L’idĂ©e de « guerre des langues » ne relĂšve pas des sciences du langage mais plutĂŽt d’une lecture idĂ©ologique des complexes rapports entre les langues oĂč l’on confond en plein brouillard conceptuel les rapports de force dans le corps social et le rĂŽle politique, Ă©conomique et culturel que l’on fait jouer aux langues dans les luttes pour le pouvoir ou pour l’expansion extraterritoriale d’un État. Dans le champ de la rĂ©flexion sur la cohabitation des langues, il faut bien comprendre que « Pour les scientifiques qui participent Ă  ce dĂ©bat, il s’agit, Ă  partir d’analyses rigoureuses, de poser de bonnes questions et d’apporter des rĂ©ponses appropriĂ©es et rĂ©alistes de nature Ă  Ă©clairer l’action politique en matiĂšre de langues. Comment faire pour sortir de la diglossie actuelle et dĂ©velopper entre le français et les langues nationales des relations apaisĂ©es et conviviales ? Comment, dans une perspective de dĂ©veloppement, organiser les lignes de partage, les circuits d’échange et les possibilitĂ©s de dialogue entre toutes les langues au bĂ©nĂ©fice des gens qui les parlent et des États qui les abritent ? Dans le champ fondamental de l’école, quels nouveaux modĂšles, quelles innovations mĂ©thodologiques prĂ©coniser pour une plus grande efficacitĂ© de l’enseignement ? Puisqu’il ne peut s’agir de remplacer, de façon brutale et irrationnelle, une exclusivitĂ© (celle d’une langue europĂ©enne hĂ©ritĂ©e de la colonisation) par une autre (celle des langues autochtones encore insuffisamment outillĂ©es), comment rĂ©aliser la convivialitĂ© entre les langues tout en favorisant entre elles une saine et stimulante compĂ©titivitĂ© ? » (Musanji Ngalasso-Mwatha : « Avant-propos », paru dans « Le français et les langues partenaires : convivialitĂ© et compĂ©titivitĂ© », Presses Universitaires de Bordeaux, 2014).

En ce qui a trait Ă  HaĂŻti, nous postulons que la « cohabitation des langues partenaires » est une vision enracinĂ©e dans les sciences du langage et dans la Constitution de 1987 et elle est Ă©galement un dĂ©fi de sociĂ©tĂ©. Sur le plan constitutionnel en effet, cette vision est conforme Ă  l’article 5 de notre charte fondamentale qui co-officialise le crĂ©ole et le français, et elle s’apparie au « PrĂ©ambule » du texte constitutionnel qui se lit comme suit : « Le peuple haĂŻtien proclame la prĂ©sente Constitution » (...) « Pour fortifier l'unitĂ© nationale, en Ă©liminant toutes discriminations entre les populations des villes et des campagnes, par l'acceptation de la communautĂ© de langues et de culture et par la reconnaissance du droit au progrĂšs, Ă  l'information, Ă  l'Ă©ducation, Ă  la sante?, au travail et au loisir pour tous les citoyens » (sur les fondements constitutionnels de

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis l’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti, voir notre article « L’amĂ©nagement simultanĂ© du crĂ©ole et du français en HaĂŻti, une perspective constitutionnelle et rassembleuse », Le National, 24 novembre 2020).

EnracinĂ©e dans les sciences du langage, la vision qui se dĂ©gage du livre « Cohabitation des langues et politique linguistique / La notion de « langue partenaire » fournit un ample appareillage conceptuel permettant d’endiguer et de se libĂ©rer de l’étroit carcan de l’enfermement idĂ©ologique « langue dominante/langue dominĂ©e » et de celui de la prĂ©tendue « guerre des langues ». La vision de « langue partenaire » s’oppose Ă  celle du « monolinguisme de la surditĂ© historique » dĂ©fendue par les crĂ©olistes fondamentalistes, elle prend le contre-pied des errements idĂ©ologiques des Ayatollahs du crĂ©ole qui dĂ©crĂ©dibilisent le juste combat citoyen pour l’amĂ©nagement du crĂ©ole en faisant de ce combat celui d’une petite secte conflictuelle, clivante et dont la « fatwa », incantatoire et compulsive, est lancĂ©e Ă  l’assaut de la « gwojemoni frankofil » dont il faudrait briser les « chaĂźnes mentales ». La « fatwa » des Ayatollahs du crĂ©ole – qui est un appel Ă  « dĂ©chouquer » le français partout en HaĂŻti –, a une place de choix dans leur catĂ©chisme doctrinal car la langue française serait essentiellement [yon] « zam pou gwojemoni kont PĂšp Souvren an » couplĂ© Ă  l’aliĂ©nant « sentĂČm gwojemoni neyokolonyal » rĂ©sultant de l’emploi de la langue française en HaĂŻti. Plusieurs observateurs ont Ă©galement notĂ© que, dans la vision des Ayatollahs du crĂ©ole, notamment dans la vision de ceux qui sont professionnellement liĂ©s Ă  des institutions Ă©tats-uniennes, « zam pou gwojemoni kont PĂšp Souvren an » n’est jamais la langue anglaise. L’anglais, selon eux, ne saurait ĂȘtre pourvoyeuse de l’aliĂ©nant « sentĂČm gwojemoni neyokolonyal », et les Ayatollahs du crĂ©ole ne se privent pas de passer sous silence le rĂŽle historique des États-Unis dans la (re)configuration d’un systĂšme nĂ©ocolonial monopoliste en HaĂŻti, depuis l’Occupation amĂ©ricaine de 1915 jusqu’au chaos créé par le cartel politico-mafieux du PHTK nĂ©o-duvaliĂ©riste ces onze derniĂšres annĂ©es au pays. La vision d’un partenariat novateur entre le français et d’autres langues, telle que soutenue dans le livre « Cohabitation des langues et politique linguistique / La notion de « langue partenaire », permet Ă©galement de tenir Ă  distance le rachitisme de la « pensĂ©e linguistique » incantatoire des Ayatollahs du crĂ©ole guerroyant contre un prĂ©sumĂ© tsunami de « pratiques anti-crĂ©ole » : « se pratik anti kreyĂČl sa yo k ap kraze pouvwa PĂšp Souvren an »... Pour mĂ©moire, il est utile de rappeler que ce que nous dĂ©signons sous le vocable

de rachitisme de la « pensĂ©e linguistique » des Ayatollahs du crĂ©ole se caractĂ©rise principalement par l’apologie du monolinguisme crĂ©ole sectaire et dogmatique qui promeut la survenue en HaĂŻti de « Yon sĂšl lang ofisyĂšl » (« Une seule langue officielle ») et l’expulsion du français sur l’ensemble du territoire national et en particulier dans le systĂšme Ă©ducatif. L’apologie du monolinguisme crĂ©ole est une posture inconstitutionnelle opposĂ©e Ă  l’article 5 de la Constitution de 1987 et Ă  la DĂ©claration universelle des droits linguistiques de 1996, et elle est au centre du rachitisme de la « pensĂ©e linguistique » des Ayatollahs du crĂ©ole. Il y a lieu de noter que le rachitisme de la « pensĂ©e linguistique » des Ayatollahs du crĂ©ole est attestĂ© sur plusieurs registres de la maniĂšre suivante :

1. La nĂ©gation du caractĂšre bilingue crĂ©ole-français du patrimoine linguistique historique d’HaĂŻti et la promotion du monolinguisme crĂ©ole qui passe, entre autres, par l’institution d’une apostolique « fatwa » lancĂ©e aux trousses des hĂ©rĂ©tiques [k] « ap plede ankouraje pratik anti-kreyĂČl mi wo mi ba ».

2. Le rejet de toute vision de partenariat entre le créole et le français, celui-ci étant stigmatisé au titre de « langue du colon », de « gwojemoni frankofil » et de « francofolie ».

3. L’absence d’une rĂ©flexion analytique sur la lexicographie crĂ©ole et la production d’outils lexicographiques (dictionnaires et lexiques) conformes Ă  la mĂ©thodologie de la lexicographie professionnelle.

4. L’absence d’une rĂ©flexion analytique sur la terminologie crĂ©ole et la production d’outils terminologiques (dictionnaires et vocabulaires thĂ©matiques) conformes Ă  la mĂ©thodologie de la terminologie.

5. L’absence d’une rĂ©flexion analytique sur la didactique et la didactisation du crĂ©ole et la production d’outils didactiques de qualitĂ© en crĂ©ole.

6. L’absence d’une rĂ©flexion analytique sur la constitutionnalitĂ© de l’amĂ©nagement simultanĂ© du crĂ©ole et du français Ă  l’échelle nationale et singuliĂšrement dans le systĂšme Ă©ducatif haĂŻtien.

7. L’absence d’une rĂ©flexion analytique et de propositions en vue de l’élaboration de la premiĂšre Loi de politique linguistique Ă©ducative devant garantir et encadrer l’amĂ©nagement du crĂ©ole dans le systĂšme Ă©ducatif haĂŻtien.

8. L’absence d’une rĂ©flexion analytique et de propositions en vue de la formation et la certification en didactique des langues des enseignants de crĂ©ole.

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis

L’examen attentif des positions catĂ©chĂ©tiques des Ayatollahs du crĂ©ole confirme que leur brĂ©viaire populiste est un obstacle Ă  l’amĂ©nagement du crĂ©ole : partant du juste principe de la nĂ©cessitĂ© d’instituer l’apprentissage scolaire en langue maternelle crĂ©ole, les crĂ©olistes fondamentalistes se rĂ©vĂšlent en effet incapables de proposer une vision rassembleuse de l’amĂ©nagement du crĂ©ole dans le systĂšme Ă©ducatif haĂŻtien. Par exemple, ils se sont prĂ©cipitĂ©s pour applaudir hasardeusement une rĂ©cente et bancale dĂ©cision du ministĂšre de l’Éducation nationale – abusivement qualifiĂ©e de « journĂ©e historique » –, de ne subventionner que les manuels scolaires rĂ©digĂ©s en crĂ©ole, mais ils se rĂ©vĂšlent incapables de poser les bases d’une compĂ©tente rĂ©flexion sur la didactique spĂ©cifique du crĂ©ole dans le processus d’apprentissage scolaire en langue maternelle crĂ©ole. Autre exemple : depuis la co-officialisation du crĂ©ole et du français dans la Constitution de 1987, les Ayatollahs du crĂ©ole n’ont proposĂ© aucun cadre analytique et pragmatique sur l’important volet de la didactisation du crĂ©ole alors mĂȘme qu’il est avĂ©rĂ© qu’en dehors de cette indispensable didactisation l’apprentissage scolaire en langue maternelle crĂ©ole demeure lourdement handicapĂ© (sur la didactisation du crĂ©ole, voir le livre collectif de rĂ©fĂ©rence « La didactisation du crĂ©ole au cƓur de l’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti », par Robert BerrouĂ«t-Oriol et al., Éditions ZĂ©mĂšs et Éditions du Cidihca, 2021). TroisiĂšme exemple : lorsqu’un certain prĂ©dicateur du « monolinguisme de la surditĂ© historique » s’aventure, en dehors de la moindre compĂ©tence avĂ©rĂ©e en lexicographie crĂ©ole, Ă  produire un lexique anglais-crĂ©ole, l’on aboutit Ă  une tapageuse arnaque lexicographique et Ă  la promotion d’un erratique « modĂšle » lexicographique de type Wikipedia inconnu en lexicographie professionnelle (voir notre article « Le naufrage de la lexicographie crĂ©ole au MIT Haiti Initiative » (Le National, 15 fĂ©vrier 2022). Il est ainsi attestĂ© que le « bruitage compulsif » et la « cacophonie apostolique » rĂ©pĂ©titive des Ayatollahs du crĂ©ole appauvrissent en boucle le dĂ©bat d’idĂ©es sur le crĂ©ole et le fait rĂ©gresser au niveau d’un « strabisme populiste » et d’un vain et vaniteux « combat de coqs ». Sur ce registre, les prĂ©cieux enseignements de l’ouvrage « Cohabitation des langues et politique linguistique / La notion de « langue partenaire » peuvent servir de pare-feu Ă  l’enfermement de la rĂ©flexion citoyenne sur l’amĂ©nagement du crĂ©ole en HaĂŻti.

Les prĂ©cieux enseignements de l’ouvrage « Cohabitation des langues et politique linguistique / La notion de « langue partenaire »

En plus de l’« Introduction », ce volume comprend 9 contributions Ă©laborĂ©es par des enseignants-chercheurs et spĂ©cialistes de diffĂ©rents domaines de la linguistique ou de domaines liĂ©s. Voici les titres de leurs contributions :

1. « Que peut ĂȘtre un partenariat entre langues ? L’exemple des langues romanes », par Jean-Marie Klinkenberg.

2. « La langue partenaire : régimes politico-linguistiques », par Raphael Berthele.

3. « La mĂ©taphore des « langues partenaires », ou les langues vues par l’État », par Valelia Muni Toke.

4. « Du concept de partenariat aux politiques linguistiques et éducatives en Afrique francophone », par Auguste Moussirou-Mouyama.

5. « L’anglais, d’une langue menaçante Ă  une langue partenaire », par Conrad Ouellon.

6. « Le francoprovençal et le français : partenaires ? », par Raphaël Maßtre.

7. « Le partenariat vécu entre le français et les langues locales en milieu scolaire ivoirien », par Koia Jean-Martial Kouamé.

8. « Un partenariat inscrit sur le territoire. Les langues autochtones dans la toponymie du Québec », par Robert Vézina.

9. « La communauté germanophone de Belgique, un cadre propice au développement du français comme langue partenaire », par Isabelle Delnooz.

La lecture de chacune des neuf contributions de ce volume est enrichissante et l’une d’elles a particuliĂšrement retenu notre attention : « Du concept de partenariat aux politiques linguistiques et Ă©ducatives en Afrique francophone » (pages 77 Ă  88), par Auguste Moussirou-Mouyama (UniversitĂ© Omar Bongo, Gabon). Mais avant d’explorer les principaux enseignements de cette Ă©tude, il est utile de situer la notion de « langues partenaires » qui sert de fil conducteur Ă  l’ensemble des articles du livre « Cohabitation des langues et politique linguistique / La notion de « langue partenaire ».

Apparue pour la premiÚre fois au Sommet de la Francophonie de Québec en 1987, la notion de « langues partenaires » a été critiquée par certains analystes qui y ont trouvé des relents de « chauvinisme linguistique » et

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis

d’« ethnicisation de la francitĂ© » au motif que le partenariat entre les langues aurait Ă©tĂ© initialement conçu pour calibrer les rapports entre les langues vĂ©hiculaires ou nationales avec la langue française vue et instituĂ©e comme langue de la centralitĂ© dans son Ă©talement politico-historique hĂ©gĂ©monique au dĂ©triment des langues de la « pĂ©riphĂ©rie ». C’est ce que rappellent deux des contributeurs du livre, Auguste Moussirou-Mouyama, ainsi que Jean-Marie Klinkenberg (UniversitĂ© de LiĂšge, Belgique). Celui-ci note avec pertinence qu’« Un examen critique de la notion de « langue partenaire » ne pourra faire l’impasse sur une description des conditions historiques qui ont abouti Ă  la dĂ©ïŹnir. (...) ; la notion –on ne s’avancera pas Ă  dire « le concept »– est nĂ©e dans le cadre de la rĂ©ïŹ‚exion politique menĂ©e par la Francophonie institutionnelle, et elle reste Ă©troitement associĂ©e Ă  ce cadre francophone. (...) On peut aussi constater que, dans ce cadre francophone, la notion semble de facto ne se voir reconnaitre de pertinence que lorsqu’il s’agit d’évoquer les relations du français avec les langues des pays du Sud, que ces langues soient nationales, vĂ©hiculaires ou transfrontaliĂšres » (Jean-Marie Klinkenberg : « Que peut ĂȘtre un partenariat entre langues ? L’exemple des langues romanes », op. cit, page 21 et suivantes). Citant Calvet et Chaudenson [« CrĂ©oles français et variĂ©tĂ©s de français », L’information grammaticale / 89, 2001] « lorsqu’ils placent le partenariat sur un vecteur qui, partant de la pluralitĂ© langagiĂšre, passe par la coexistence », Jean-Marie Klinkenberg conceptualise la notion de « langues partenaires » sur le mode de la « polycentration des langues » : « le partenariat est un instrument d’intervention », « un objectif, un programme ». L’emploi de l’expression « polycentration des langues » comme trait dĂ©finitoire majeur des « langues partenaires » permet d’opĂ©rer un renversement radical de la perspective vĂ©hiculĂ©e depuis le Sommet de la Francophonie de QuĂ©bec en 1987, qui Ă©tait celle d’une « matrice linguistique centrale », le français, et de ses « expansions », les langues nationales et vĂ©hiculaires des pays du Sud. (Sur le plan Ă©tymologique le terme « polycentration » comprend le prĂ©fixe uninotionnel « poly » provenant du grec Ï€ÎżÎ»áœșς « polus », signifiant nombreux et indiquant la multiplicitĂ© » sans indication d’une quelconque hiĂ©rarchisation (Le Larousse.) À l’aune de la « polycentration des langues », il n’y a donc plus UN centre et DES pĂ©riphĂ©ries linguistiques : le sens rassembleur de la notion de « langues partenaires » recouvre dĂ©sormais, sur le plan scientifique, la reconnaissance de l’égalitĂ© entre les langues et leurs locuteurs, et, sur le plan juridique et politique, la nĂ©cessitĂ© d’inscrire cette Ă©galitĂ© dans la jurisprudence des États et l’obligation d’instituer

la rĂ©ciprocitĂ© dans les Ă©changes linguistiques entre partenaires. C’est d’ailleurs l’orientation prise par les instances dĂ©cisionnelles de la Francophonie institutionnelle qui, Ă  l’instar de l’UNESCO, plaident depuis plusieurs annĂ©es pour la diversitĂ© linguistique et culturelle et l’usage planifiĂ© et encadrĂ© de la langue maternelle dans l’apprentissage scolaire. DĂ©sormais, avec la perspective de l’institutionnalisation des « langues partenaires », nous sommes loin d’une vision essentialiste et ethnocentrĂ©e de la Francophonie aujourd’hui dĂ©pouillĂ©e des tares originelles que lui prĂȘtaient ses dĂ©tracteurs, Ă  savoir les appĂ©tits hĂ©gĂ©moniques franco-français et les relents d’un nĂ©o-colonialisme Ă  peine dĂ©guisĂ© chez certains nostalgiques d’une prĂ©tendue « mission civilisatrice » du français... L’une des inscriptions et des expressions de la diversitĂ© linguistique et culturelle dont il est question ici est la rĂ©cente mise en ligne sur Internet du monumental « Dictionnaire des francophones » qui rassemble les termes en usage dans toutes les aires gĂ©ographiques oĂč est employĂ© le français, y compris HaĂŻti (voir notre article « Le DDF, « Dictionnaire des francophones », un monumental rĂ©pertoire lexicographique de 400 000 termes et expressions accessible gratuitement sur Internet », Le National, 24 mars 2021).

Dans le contexte haĂŻtien, la rĂ©flexion analytique sur le partenariat entre le crĂ©ole et le français doit s’ouvrir Ă  l’interrogation critique de plusieurs variantes du catĂ©chisme incantatoire des Ayatollahs du crĂ©ole. Ce catĂ©chisme incantatoire colporte entre autres l’idĂ©e que l’« hĂ©gĂ©monie linguistique » – le ci-devant « gwojemoni frankofil » et l’aliĂ©nant « sentĂČm gwojemoni neyokolonyal » –, sont une spĂ©cialitĂ© exclusive de l’« impĂ©rialisme français » et des institutions de la Francophonie institutionnelle. Cette idĂ©e, rachitique sur le plan historique, Ă©vacue la problĂ©matique de la complexitĂ© des langues en contact ainsi que la nĂ©cessitĂ© d’analyser correctement les rapports de domination Ă©conomique, culturelle et politique qui ne sont pas le fait des langues en soi mais qui relĂšvent plutĂŽt du rĂŽle impĂ©rial que l’on attribue Ă  telle ou telle langue en situation de conquĂȘte. Ainsi, il sera sans doute utile, Ă  l’avenir, d’explorer l’hypothĂšse de l’existence de formes diversifiĂ©es de partenariat linguistique Ă  l’Ɠuvre dans les aires gĂ©ographiques non francophones. Dans une Ă©tude fort originale, « ModĂšles de gouvernance des politiques linguistiques » (Conseil supĂ©rieur de la langue française, QuĂ©bec, mars 2018), Julie BĂ©rubĂ© rĂ©pertorie les « Organismes regroupant plus d’un État autour d’une langue ou de la notion de langue » pour le nĂ©erlandais, le basque, l’espagnol, le Conseil

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis de l’Europe, les organismes linguistiques de l’Union africaine et les organismes linguistiques des pays baltes. Les États nĂ©erlandophones, y compris ceux de la CaraĂŻbe, sont regroupĂ©s au sein de l’Union de la langue nĂ©erlandaise (Nederlandse Taalunie, en nĂ©erlandais), créée en 1980 par les Pays-Bas et la CommunautĂ© flamande de Belgique. La gouvernance linguistique basque relĂšve de deux organismes, soit l’AcadĂ©mie de la langue basque (Euskaltzaindia, en basque) situĂ©e en Espagne, et l’Office public de la langue basque, situĂ© en France. FondĂ©e Ă  Mexico en 1951, l’Association des acadĂ©mies de langue espagnole (AsociaciĂłn de Academias de la lengua española (ASALE, en espagnol) regroupe 23 acadĂ©mies des AmĂ©riques, d’Espagne, des Philippines et de GuinĂ©e Ă©quatoriale. L’ASALE est Ă  l’origine de la fondation de l’École de lexicographie hispanique (Escuela de lexicografia hispĂĄnica, en espagnol), créée en 2001 dans le but de former des experts en lexicographie espagnole venant des diffĂ©rents pays hispanophones. En ce qui a trait Ă  l’Afrique, il y a lieu de signaler l’existence de deux instances panafricaines de gouvernance linguistique au sein de l’Union africaine (qui regroupe 54 États membres), soit l’AcadĂ©mie africaine des langues (l’ACALAN, créée en 2006) et le Centre d’études linguistiques et historiques par tradition orale (le CELHTO), qui se consacre depuis 1963 Ă  la collecte des traditions orales et Ă  la promotion des langues africaines.

« Du concept de partenariat aux politiques linguistiques et Ă©ducatives en Afrique francophone » d’Auguste Moussirou-Mouyama

La contribution d’Auguste Moussirou-Mouyama dans l’ouvrage « Cohabitation des langues et politique linguistique / La notion de « langue partenaire » consigne une analyse de premier plan, elle interroge l’historicitĂ© du concept de partenariat linguistique au regard des pratiques Ă©ducatives dans les aires francophones de l’Afrique. Auguste Moussirou-Mouyama est l’auteur par ailleurs de l’étude « Les enjeux de la nouvelle politique linguistique du Gabon : de l’exception francophone au rĂ©ceptacle des langues » parue dans le livre « Le français et les langues partenaires : convivialitĂ© et compĂ©titivitĂ© » (Presses universitaires de Bordeaux, 2014). Dans l’article « Du concept de partenariat aux politiques linguistiques et Ă©ducatives en Afrique francophone », l’auteur expose que le partenariat linguistique permet « de sortir de la francophonie entendue comme « ethnicisation » de la francitĂ© (...) et d’aller au cƓur des problĂšmes de

la modernisation de l’Afrique francophone : Ă©ducation, dĂ©mocratie et État de droit qui fondent, au quotidien, l’action citoyenne d’agents sociaux libres et autonomes » (op. cit, page 77). Il situe, dans le prolongement des États gĂ©nĂ©raux de l’enseignement du français en Afrique subsaharienne francophone tenus Ă  Libreville en 2003, la mise en route en 2008 du projet LASCOLAF (« Langues de scolarisation en Afrique francophone subsaharienne » qui donnera naissance Ă  l’initiative ELAN-Afrique (« École et langues en Afrique francophone »). L’auteur prĂ©cise que ELAN-Afrique « vise Ă  amĂ©liorer les politiques publiques d’éducation et de formation en plaçant la question linguistique au cƓur de sa problĂ©matique, notamment Ă  travers l’analyse et l’évaluation de l’articulation entre langues du terroir et langues internationales. » L’une des originalitĂ©s de la contribution d’Auguste Moussirou-Mouyama est prĂ©cisĂ©ment l’articulation qu’il institue entre « l’école, le partenariat entre les langues et la francophonie comme communautĂ© de pratique » en Afrique au liant d’une vision citoyenne du partenariat linguistique. Ainsi, il prĂ©cise que « La question linguistique est insĂ©parable, dans le contexte africain, Ă  la fois de la question didactique et de ce que l’on nomme « questions de dĂ©veloppement » (principalement l’accĂšs aux soins de santĂ©, Ă  l’éducation, Ă  un emploi). Elle contribue ainsi Ă  « dĂ©finir ou thĂ©matiser la notion de partenariat au-delĂ  de la reconnaissance du fait que la langue française n’est pas seule » au sein de l’espace francophone » (op cit, page 81). La vision des « langues partenaires » de l’auteur cible Ă  dessein ce qu’il appelle « la communautĂ© de pratique », soit un maillage institutionnel mettant en Ɠuvre « un dĂ©veloppement mutuel », « une entreprise commune » et « un rĂ©pertoire partagĂ© ».

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti au creux de la vision des « langues partenaires »

Sur le registre de l’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti en lien avec la vision des « langues partenaires », les enseignements de l’ouvrage « Cohabitation des langues et politique linguistique / La notion de « langue partenaire » sont de premiĂšre importance.

1. Ces enseignements exposent avec clartĂ© la nĂ©cessitĂ© de dĂ©passer la vulgate improductive « langue dominante / langue dominĂ©e » et celle d’une pseudo « guerre des langues », tout en tenant compte que sur le plan historique l’État haĂŻtien a consacrĂ© de facto un usage dominant de la langue française couplĂ© Ă  la minorisation

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis

institutionnelle du crĂ©ole. Ce constat se donne Ă  lire dans les diffĂ©rents textes constitutionnels, de la Constitution de 1805 Ă  celle de 1983, et il a fallu attendre la promulgation de la Constitution de 1987 pour que le crĂ©ole, Ă  l’article 5 de notre charte fondamentale, accĂšde au statut de langue co-officielle aux cĂŽtĂ©s du français.

2. Dans le cas d’HaĂŻti, le futur statut de langues partenaires entre le crĂ©ole et le français est fondĂ© au plan constitutionnel (articles 5 et 40 de la Constitution de 1987) et ce partenariat linguistique prend Ă©galement appui sur le « PrĂ©ambule » du texte constitutionnel qui stipule que « Le peuple haĂŻtien proclame la prĂ©sente Constitution (...) Pour fortifier l'unitĂ© nationale, en Ă©liminant toutes discriminations entre les populations des villes et des campagnes, par l'acceptation de la communautĂ© de langues et de culture et par la reconnaissance du droit au progrĂšs, Ă  l'information, Ă  l'Ă©ducation, Ă  la santĂ©, au travail et au loisir pour tous les citoyens ».

3. Le futur statut de langues partenaires entre le crĂ©ole et le français s’énonce en amont au titre d’un choix politique de sociĂ©tĂ© qui interpelle la volontĂ© politique de l’État. Pareil choix politique de sociĂ©tĂ© devra s’articuler Ă  la protection juridique du « bilinguisme de l’équitĂ© des droits linguistiques » et inscrire les droits linguistiques de tous les locuteurs haĂŻtiens sur le registre des droits citoyens fondamentaux (voir notre livre « Plaidoyer pour les droits linguistiques en HaĂŻti / Pledwaye pou dwa lengwistik ann Ayiti » (Éditions ZĂ©mĂšs et Éditions du Cidihca, 2018).

4. La vision du partenariat entre les langues implique en amont un fort maillage de la volontĂ© politique de l’État avec la nĂ©cessitĂ© d’un encadrement juridique et institutionnel de l’égalitĂ© entre les langues en prĂ©sence sur un territoire donnĂ©. Cette dimension d’encadrement juridique et institutionnel du partenariat entre les langues doit ĂȘtre bien comprise et correctement instituĂ©e en HaĂŻti : alors mĂȘme que l’article 5 de la Constitution de 1987 consigne la co-officialisation des deux langues de notre patrimoine linguistique historique, le crĂ©ole et le français, l’État haĂŻtien n’a toujours pas lĂ©gifĂ©rĂ© afin d’assurer, par les attributions d’un texte de loi contraignant et des rĂšglements d’application, l’égalitĂ© rĂ©elle et mesurable entre nos deux langues officielles –l’article 40 du texte constitutionnel indique la voie Ă  suivre, mais de 1987 Ă  nos jours il est systĂ©matiquement violĂ© par l’État.

5. En mettant en Ɠuvre la vision des « langues partenaires » crĂ©ole/ français, l’État haĂŻtien devra fournir un cadre lĂ©gislatif contraignant Ă  l’amĂ©nagement du crĂ©ole dans le systĂšme Ă©ducatif national couplĂ© Ă  une complĂšte et innovante redĂ©finition de l’apprentissage du français langue seconde. Ce cadre lĂ©gislatif contraignant devra ĂȘtre formulĂ© dans la premiĂšre « Loi de politique linguistique Ă©ducative » de l’État haĂŻtien et il fournira les balises d’une compĂ©tente didactique du crĂ©ole langue maternelle et du français langue seconde. La future

et premiĂšre « Loi de politique linguistique Ă©ducative » de l’État haĂŻtien permettra aussi de dĂ©passer le rĂ©citatif incantatoire et chĂ©tif de la « poursuite » allĂ©guĂ©e sinon fantasmĂ©e de la rĂ©forme Bernard de 1987 – rĂ©forme qui n’a toujours pas fait l’objet d’un bilan analytique par une institution nationale haĂŻtienne.

6. La mise en Ɠuvre de la vision des « langues partenaires » crĂ©ole/français qui promeut l’égalitĂ© entre les langues contribuera Ă©galement Ă  combattre le phĂ©nomĂšne de l’insĂ©curitĂ© linguistique et de la dĂ©valorisation du crĂ©ole au plan institutionnel et dans l’imaginaire des locuteurs crĂ©olophones.

Pour rĂ©sumer : du point de vue de l’amĂ©nagement linguistique, le partenariat entre les langues est dĂ©fini comme Ă©tant le dispositif par lequel l’État intervient dans un contexte de langues en contact pour en prĂ©ciser les champs de cohabitation, de complĂ©mentaritĂ©, de coopĂ©ration fonctionnelle et d’enrichissement mutuel. Le partenariat entre les langues est donc un dispositif institutionnel, un processus par lequel l’État dĂ©finit le statut et le rĂŽle des langues en prĂ©sence dans un territoire donnĂ© et fixe les paramĂštres de sa politique linguistique dans les relations avec ses administrĂ©s, dans l’Administration publique et dans le champ Ă©ducatif. La plupart des chercheurs en amĂ©nagement linguistique posent, de façon cohĂ©rente, que le partenariat linguistique est un instrument d’intervention ordonnĂ©e de l’État dans la vie des langues, et cette intervention est destinĂ©e Ă  insuffler une nouvelle dynamique entre les langues en contact visant l’atteinte des objectifs de la politique linguistique d’État. Il s’agira pour l’État haĂŻtien, dans le cadre de l’énoncĂ© de la politique linguistique nationale qu’il est appelĂ© Ă  Ă©laborer et Ă  mettre en Ɠuvre, de fixer le dispositif de partenariat linguistique entre nos deux langues officielles. Ce dispositif consignera le statut et le rĂŽle de chacune des deux langues selon l’exigence de la paritĂ© statutaire constitutionnelle entre le crĂ©ole et le français. Il accordera une place prioritaire Ă  l’amĂ©nagement du crĂ©ole dans le systĂšme Ă©ducatif national et dans l’Administration publique. En ce qui a trait au systĂšme Ă©ducatif national, il s’agira d’élaborer et de mettre en Ɠuvre une vĂ©ritable politique linguistique Ă©ducative fondĂ©e sur les droits linguistiques. Le dispositif de partenariat linguistique entre nos deux langues officielles devra aussi fixer les paramĂštres d’une didactique compĂ©tente du crĂ©ole, d’une didactique renouvelĂ©e du français ainsi que de la didactique convergente crĂ©ole-français.

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti - Textes choisis

En guise de conclusion, il est utile de rappeler la dĂ©finition de la notion de « politique linguistique » exposĂ©e dans notre livre « Plaidoyer pour les droits linguistiques en HaĂŻti / Pledwaye pou dwa lengwistik ann Ayiti » (Éditions ZĂ©mĂšs et Éditions du Cidihca, 2018).

« Une politique linguistique [comprend] un ensemble de dĂ©cisions qui peuvent se prendre Ă  plusieurs niveaux de l’organisation sociale : État, entreprise, organisation, groupe, etc. Elle se rĂ©fĂšre Ă  l’« ensemble des orientations, implicites ou explicites, prises par une autoritĂ© politique, ou par d’autres acteurs sociaux, ayant pour but ou pour effet de rĂ©gir l’usage des langues au sein d’espace social donnĂ© » (Christiane Loubier : « Fondements de l’amĂ©nagement linguistique », Office quĂ©bĂ©cois de la langue française, 2002).

« Une politique linguistique peut comprendre des Ă©lĂ©ments relatifs au statut des langues visĂ©es, c’est-Ă -dire Ă  leur reconnaissance comme langues officielles, langues nationales, etc., et Ă  leur usage respectif dans diffĂ©rents champs (Administration publique, commerce, affaires, travail, enseignement), ou, de maniĂšre plus large, aux droits linguistiques fondamentaux des citoyens ou des communautĂ©s de locuteurs (droits collectifs d’une minoritĂ© de locuteurs, par exemple). Une politique linguistique peut Ă©galement comprendre des Ă©lĂ©ments touchant le code de la langue, c’estĂ -dire son dĂ©veloppement interne (norme, modernisation du vocabulaire, ou rĂ©forme de l’orthographe par exemple). Dans de nombreux cas, il peut y avoir interdĂ©pendance entre le statut et le code d’une langue. Pour atteindre un statut dĂ©terminĂ©, une langue doit ĂȘtre outillĂ©e afin d’ĂȘtre apte Ă  remplir les fonctions que l’on souhaite lui assigner. C’est la raison pour laquelle il existe de nombreux cas de politiques linguistiques incluant les deux volets » (Louis-Jean Rousseau : « Élaboration et mise en Ɠuvre des politiques linguistiques », Cahiers du RIFAL, CommunautĂ© française de Belgique, no 26, 2007.)

L’amĂ©nagement linguistique en HaĂŻti Textes choisis

Éditions ZĂ©mĂšs S.A. & Éditions du Cidihhca

AchevĂ© d’imprimer 3e trimestre 2024

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