Le Digital Post n°7

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Le mot de la semaine LE DOIGT DU DIGITAL Honnêtement, « digital », quelle horreur. Ce mot. Il fait penser aux empreintes digitales, au fichage d’un quelconque état policier. Ou alors à la digitaline, ce médicament-poison probablement plus utilisé par les assassins que par les pharmaciens. En mai 1980, Simone Weber, la « diabolique de Nancy », administra cette digitotoxine à son premier mari pour s’en débarrasser en toute discrétion. Et puis « digital », tel qu’il est utilisé dans les agences apparaît vaguement comme un anglicisme honteux. En fait, l’adjectif digital est tout à fait français. Il est même synonyme de « numérique » et désigne tout système d’information régi par les nombres. Parce que à la base, on compte sur nos doigts. Cette acception mathématisante du mot a surgi au début des années 60, avec la naissance de l’informatique. Alors, l’ère du digital c’est peut-être le triomphe des chiffres et du nombre. De la statistique. Des cohortes. Des fréquences. Le gouvernement des écarts types. La célébration des tableaux Excel et des diagrammes. Ou des nuages de points. Quand on a oublié, disons depuis le collège, comment poser correctement une division à virgules (avec les deux barres et tout), ça glace le sang. Mais le digital ce n’est pas que ça. Parce que digital, ça veut dire aussi tout bêtement les doigts. C’est au fond un mot d’une frappante banalité. C’est aussi et surtout un mot qui raconte le corps. Après tout, c’est l’adjectif qui qualifie un bout de main. On est loin de la sécheresse de l’alignement mystérieux des uns et de zéros. La réintroduction du doigt au cœur du vocabulaire d’une agence de publicité qui met le web au centre de ses préoccupations est en fait emblématique d’une réalité consommateur. Dire « digital », c’est entendre les doigts qui tapent sur le clavier, qui cliquent, qui s’agitent sur les écrans tactiles des smartphones, qui envoient des textos ou actualisent leurs inintéressants statuts Facebook. Et d’ailleurs les adolescents n’utilisent plus leur téléphone pour téléphoner mais pour envoyer prioritairement des SMS avant de rentrer chez eux chatter. Se lève une génération des doigts. Le digital remet donc d’actualité l’individu fait de chair et de sang, de tendons, de peau, d’ongles et de phalanges. C’est à dire un individu concret, unique, situé, doué de raison, d’habitudes, de contradictions et de névroses dont certains aspects sont irréductibles à une matrice. Le digital va nous pousser à devenir anthropologue. C’est une bonne nouvelle. Fabien Le Roux Planneur stratégique


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